Le mystère de l`île aux épices

Transcription

Le mystère de l`île aux épices
Le mystère de l’île
aux épices
de Ricardo Keens-Douglas,
illustré par Annouchka Gravel-Galouchko
Dans ce très joli conte de l’île de Grenade,
des enfants font la découverte de la beauté
du cœur : cette beauté qui est au-delà des
apparences.
Aglo, un gamin sensible et ouvert, se lie
d’amitié avec une vieille dame farouche qui
lui fait découvrir un monde de don et de beauté. Pétale, son amie, communie à celleci par sa générosité d’âme.
Nos enfants y découvriront des valeurs souvent absentes de l’environnement
médiatique où ils sont immergés fréquemment.
Les légendes des Caraïbes s'inspirent essentiellement du rêve. Dans le rêve s'inscrit une
morale qui répond à un humanisme oublié dans nos grandes cités.
Aglo et Pétale vivent dans l'île aux Épices, Grenade, domaine d'une vieille dame d'une
princesse appelée "Muscade". Si tous les habitants veulent la voir parce que ses cheveux
s'ébouriffent dans des perles de diamant, seuls les yeux du cœur risquent de l'apercevoir.
Un voyage poétique qui ne plaira pas seulement aux petits.
Activité :
Suite à la lecture du conte, vous pouvez engager une discussion sur le thème, et
inviter les enfants à réfléchir sur ce que représente la princesse muscade dans le
conte.
Ensuite vous pouvez leur proposer d’illustrer d’une façon différente et originale cette
figure emblématique sous une forme correspondant à leur sensibilité et à leur
compréhension.
Dans une petite île des Caraïbes, appelée
l’Île aux Épices, vivait autrefois, tout là-haut
dans les montagnes, une vieille dame. Petite
Mama mesurait environ 1m 20 et était la
plus petite dame de l’île. Ses yeux étaient
noirs et profonds. Elle parlait d’une voix
sèche comme les branches mortes et
lorsqu’elle riait, son rire éclatait comme le
tonnerre.
Même si Petite Mama n’était pas grande,
elle était très forte et le travail ne lui faisait
pas peur. Elle possédait beaucoup de terres ; celles-ci s’étendaient jusque dans la
montagne et étaient plantées de tous les fruits tropicaux imaginables.
Il y avait des sapotes, des mangues, des bananes, des caramboles, des pommes grenades,
des goyaves, des oranges, des corossols, des prunes et plusieurs autres. Lorsque les fruits
étaient mûrs, Petite Mama parcourait ses terres, les cueillait et les chargeait dans sa
carriole tirée par un âne. Elle entourait ensuite sa tête d’un foulard aux couleurs
merveilleuses, mettait son chapeau de paille à larges bords et descendait de la montagne
pour vendre ses fruits.
Personne ne se rendait là-haut pour acheter les fruits de Petite Mama. Les gens
avaient tous peur d’elle car elle vivait seule. Ils croyaient qu’elle pratiquait la sorcellerie
ou le vaudou. Mais cela ne dérangeait pas Petite Mama. Elle descendait à la ville, arrêtait
son chariot sur le côté de la route et les gens venaient de partout dans l’île pour acheter
ses fruits car ils étaient les plus sucrés et les plus juteux qu’on pouvait goûter. Même si
Petite Mama possédait plusieurs arbres fruitiers, ses préférés étaient les muscadiers qui
donnent les noix de muscade et le macis.
Un peu plus haut dans la montagne, juste au-dessus des muscadiers, se trouvait au
beau milieu d’un volcan, un lac sans fond.
Des gens étaient souvent venus de loin avec leur équipement sophistiqué pour tenter de
trouver le fond de ce lac, mais, malgré tous leurs efforts, ils n’y étaient jamais parvenus.
Petite Mama disait que sur ce lac vivait une jeune fille noire.
Elle l’appelait « La Princesse Muscade » car elle n’apparaissait que lorsque les noix de
muscade étaient prêtes à être cueillies et que leur parfum sucré embaumait l’air.
- « Elle est la plus jolie princesse que vous ayez jamais vue », racontait Petite Mama.
- « Elle a de grands yeux et un sourire magnifique. Elle est toujours habillée de bleu clair,
ses cheveux sont nattés en centaines de petites tresses et au bout de chacune pend une
goutte de rosée qui ressemble à un diamant. Je crois — poursuivait Petite Mama —, qu’elle
est d’une beauté qu’on ne peut décrire avec des mots. Celle-ci émane de son âme et de son
cœur. Lorsque la Princesse apparaît, elle est assise au milieu du lac sur un radeau fait de
tiges de bambou attachées les unes aux autres et elle se laisse glisser sur l’eau en
fredonnant une douce mélodie. Parfois son chant est triste, quelques fois il est joyeux. Mais
en l’espace d’un éclair, elle disparaît aussi rapidement qu’elle est venue. »
Petite Mama était la seule à avoir vu la petite princesse du lac. C’est pourquoi les gens
de la ville bavardaient sur son compte et croyaient qu’elle était un peu bizarre.
Dans cette ville, vivait un garçon appelé Aglo. Ses parents ne possédaient pas
beaucoup de choses, mais le peu qu’ils avaient leur permettait d’être heureux car la
maison d’Aglo était pleine d’amour et les choses matérielles avaient bien peu
d’importance pour lui.
Sa meilleure amie était une jeune fille joufflue appelée Pétale. Elle habitait tout près de
chez Aglo, à quelques maisons de la sienne. Aglo et Pétale adoraient lire. Ils étaient
chanceux car le papa de Pétale qui était le bibliothécaire de la ville ramenait souvent à la
maison plein de merveilleux livres. Ils s’asseyaient alors sur les marches ou sous un
manguier et se faisaient la lecture, s’évadant dans les pages magiques des livres.
Aglo n’avait pas peur de Petite Mama car pour lui elle était un être humain comme les
autres. Chaque fois qu’il la rencontrait vendant ses fruits il lui criait :
- « Avez-vous besoin d’aide aujourd’hui, Petite Mama ? » Et elle lui répondait : « Non merci,
mon gars, non merci. »
Ou Aglo lui demandait :
- « Avez-vous quelque chose pour moi aujourd’hui, Petite Mama ? »
Et elle lui donnait un fruit. Certains jours, elle le surprenait en lui lançant un livre. Aglo
bondissait alors de joie et descendait la rue aussi vite qu’un oiseau-mouche jusqu’à la
maison de Pétale. Tous les deux s’asseyaient ensuite dans l’escalier pour lire le nouveau
livre.
Un beau jour, Aglo décida de se rendre dans la montagne pour voir Petite Mama.
C’était la première fois qu’il montait là-haut.
- « Petite Mama », cria-t-il.
- « Que veux-tu ? » répondit-elle de sa voix sèche.
- « Dis-moi, Petite Mama, la Princesse Muscade existe-t-elle vraiment ? »
- « Pourquoi veux-tu savoir cela ? »
- « Parce que j’aimerais la voir. Les noix de muscade sont presque mûres et elle
apparaîtra bientôt. »
- « Est-ce que tu crois que moi je peux vraiment la voir ? » demanda Petite Mama.
- « Oh oui ! Petite Mama, je le crois. »
- « Alors écoute-moi bien. Tu dois, comme moi, te lever très tôt, à quatre heures du
matin, avant que le premier coq ne chante, tandis que l’air est pur et frais et qu’on peut
sentir l’odeur de la muscade et celle de la rosée sur les fleurs. Crois-tu que tu peux te lever
aussi tôt ? »
- « Cela ne me pose aucun problème, Petite Mama, vraiment aucun problème », répondit
Aglo tremblant d’excitation.
- « Ensuite, lorsque tu entendras le premier chant du coq, lui dit-elle, tu commenceras à
gravir la montagne. Tu marcheras au-delà des arbres fruitiers et des muscadiers jusqu’à ce
que tu atteignes la rive du lac. Assieds-toi sur la grosse pierre près de la vieille barque
rouge et attends. »
- « Viendra-t-elle ? » demanda Aglo.
- « Seul Dieu le sait, mon enfant. »
Sur ces mots, Aglo redescendit la montagne aussi vite que l’éclair jusqu’à la maison de
Pétale.
- « Pétale, Pétale » cria-t-il.
- « Qu’est-ce qui se passe, Aglo ? » répondit Pétale qui se tenait à la fenêtre.
- « Demain c’est samedi. Il n’y a pas d’école. Je vais monter dans la montagne jusqu’au
lac pour tenter d’apercevoir la Princesse Muscade. »
- « Cela semble amusant. À quelle heure ? »
- « À quatre heures et demie du matin. Est-ce que tu viens avec moi ? »
- - « Compte sur moi. À demain. »
- « Cocorico, cocorico ».
Le lendemain, à cinq heures moins le quart et au premier chant du coq, ils avaient déjà
gravi la moitié de la montagne. Il faisait encore nuit et l’air tropical était pur et frais. On
pouvait entendre le bruit sourd de la rivière coulant dans la montagne.
« Wouah ! Wouah ! »
Un chien aboyait au loin et plusieurs autres lui répondaient en chœur. Aglo et Pétale
continuaient de grimper. Ils traversèrent les champs d’arbres fruitiers où ils s’arrêtèrent
pour cueillir quelques mangues. Un peu plus haut, ils passèrent près des muscadiers et
finalement, atteignirent la rive du lac.
Il était cinq heures trente lorsqu’ils virent la grosse pierre près de la vieille barque
rouge. L’odeur de la muscade était très forte et embaumait l’air frais du matin. Le chant
familier des oiseaux emplissait leurs oreilles d’une douce musique.
Ils s’assirent et attendirent en mangeant leurs mangues, mais rien n’apparut sur le lac,
rien d’inhabituel.
Soudain, les oiseaux cessèrent leur chant et tout devint immobile.
- « Regarde, regarde, dit Aglo doucement, la voilà. »
- « Mais où, où ? » murmura Pétale.
- « Là » répondit Aglo à voix basse.
Mais peu importe dans quelle direction regardait Pétale, elle ne pouvait voir la
princesse.
- « Elle nous regarde, Pétale ! Elle nous regarde ! »
- « De quoi a-t-elle l’air, Aglo ? Je ne la vois pas. »
- « C’est une très belle dame. Vraiment très belle. Elle porte une longue robe bleue et elle
nous sourit. »
- « Est-ce qu’elle a des diamants dans ses cheveux ? »
- « Oui, et une aura tout autour d’elle. »
- « Que fait-elle ? »
- « Elle nous sourit. Oh ! Elle est partie. Pétale, elle est partie. »
- « Comme j’aurais aimé la voir ! » dit Pétale, déçue.
- « Peut-être la prochaine fois, Pétale. Rentrons à la maison. »
Ils descendirent de la montagne à toute allure. En passant près de la maison de Petite
Mama, ils lui annoncèrent la bonne nouvelle. Petite Mama les regarda et sourit. Ils
continuèrent leur route criant à tous qu’ils avaient vu la Princesse Muscade.
- « Mais qui donc fait tout ce bruit dans la cour ? » demanda une voisine.
« C’est Aglo et Pétale. Ils disent avoir vu la Princesse Muscade » répondit une autre
voisine.
- « Vous voyez ce qui arrive lorsqu’on parle à des gens comme Petite Mama » dit un
pêcheur.
Aglo entra à toute vitesse chez lui pour annoncer la bonne nouvelle.
- « As-tu déjeuné ? » lui demanda son père.
- « Non, papa » répondit Aglo.
- « Alors, voilà pourquoi tu as vu la Princesse Muscade. Ton ventre est creux et tu as
besoin de manger. »
Personne ne voulut croire Aglo, sauf Pétale et Petite Mama. Mais la nouvelle sur la
princesse aux diamants se répandit vite et même si les gens ne croyaient pas Aglo, la
moitié des habitants de la ville grimpèrent la montagne jusqu’au lac. Ils étaient avides ;
ils croyaient que si Aglo disait vrai et que la princesse existait vraiment, ils pourraient
prendre quelques diamants de ses cheveux et être riches pour le reste de leurs jours.
Les deux premiers matins la princesse n’apparut pas. Mais le troisième matin, Aglo et
Pétale retournèrent au lac et s’assirent à leur endroit préféré sur la grosse pierre près de
la barque rouge. Et une fois de plus, tous les oiseaux cessèrent de chanter et tout devint
calme.
- « La voilà » dit Aglo.
- « Où ? où ? » se mirent à crier les gens.
Mais personne ne put la voir. Même Pétale. Tout ce qu’ils aperçurent c’est le radeau de
bambou. Mais cela suffit à Pétale, car dans son cœur elle savait qu’Aglo pouvait voir la
princesse.
- « Je vois un radeau » dit une dame portant un parapluie.
- « Les diamants sont peut-être sur le radeau », reprit un pêcheur.
Alors, dans un grand plouf, ils sautèrent tous à l’eau et commencèrent à nager vers le
radeau.
La Princesse Muscade demeurait immobile. Elle fredonnait une chanson. Mais son chant
était triste car elle savait que ces gens ne se préoccupaient que de richesses et de rien
d’autre. Elle fit alors signe à Aglo et Pétale de s’approcher.
- « Elle veut qu’on la rejoigne… mais… mais je ne sais pas nager. »
- « Servons-nous de cette vieille barque » dit Pétale.
- « Bonne idée » répondit Aglo.
Ils poussèrent alors la barque jusqu’à l’eau, y montèrent et ramèrent vers la princesse.
Mais c’était une vieille barque et à mi-chemin l’eau commença à s’infiltrer et la barque
à couler.
« Je ne sais pas nager. Je ne sais pas nager » cria Aglo pris de panique.
« Ne t’inquiète pas, répondit Pétale, moi je le sais. Lorsque nous serons dans l’eau
accroche-toi à mon épaule et tout ira bien. »
Aglo agrippa doucement l’épaule de Pétale. Elle se mit alors à nager et tous les deux
atteignirent le radeau, trempés et sans force.
- « Est-elle là ? » demanda Pétale hors de souffle.
- « Oui, elle est là. Et elle nous sourit » répondit Aglo.
À chaque fois que quelqu’un de la ville s’approchait du radeau, celui-ci dérivait hors
de sa portée jusqu’à ce que, épuisés, les gens regagnent la rive et s’assoient pour
regarder Pétale et Aglo flotter sur le lac.
Le visage d’Aglo resplendissait de joie. Tout à coup, la princesse remua ses cheveux et
tous les diamants de rosée se répandirent sur le lac. C’était comme si le ciel s’ouvrait
pour laisser s’échapper des millions d’étoiles. Un des diamants se posa au milieu du
front de Pétale, elle leva les yeux et, à son tour, vit la Princesse Muscade.
- « Je peux la voir, Aglo. Je peux la voir ! »
- « Tu n’es pas égoïste, dit la Princesse. Tu n’as pas pensé qu’à toi mais plutôt à l’amour
que tu portes à ton ami et tu l’as sauvé. Répands cet amour dans le monde. Va maintenant,
poursuis tes rêves et si tu crois en toi, tout est possible. »
Et elle disparut.

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