tome ii : au coeur des parnassiens «un apollon noir - Saint
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tome ii : au coeur des parnassiens «un apollon noir - Saint
TOME II : AU COEUR DES PARNASSIENS «UN APOLLON NOIR PEUT EN CACHER UN AUTRE» .1. AU COEUR DES PARNASSIENS À la découverte dun couple de papillons uniques au monde «Un Apollon Noir peut en cacher un autre» l’APOLLON NOIR Vingt ans ! Voilà plus de vingt ans que la Maison des Papillons propose aux visiteurs la découverte du monde fabuleux des papillons. Tous les ans, au printemps, le Musée présente une sélection inédite des plus beaux papillons du monde. Tour à tour, les MORPHOS, les AGRIAS et les illuminé les cimaises de leur splendeur. DELIAS, les ORNITHOPTERES ont Mais aujourd’hui, le Musée a décidé de présenter le trésor de ses archives où sont conservés les papillons les plus rares. Prélude à l’exubérance des papillons tropicaux, réfugiés dans les plus hautes montagnes de la terre, les PARNASSIENS sont les survivants des dernières glaciations. Moins spectaculaires, mais quelle beauté dans leur simplicité ! Une nouvelle page du grand livre des plus belles créations de l’Histoire Naturelle, porte dérobée de la connaissance, voici les PARNASSIENS. .2. Est-il un caprice de la nature, un accident génétique dont on ne connaît pas l’origine, est-il un spécimen né de l’apparition spontanée d’une espèce nouvelle ? Laissons l’APOLLON NOIR susciter en nous les délices de l’inconnu. Alors, qui que vous soyez, Les ailes couleurs de suie qu’illuminent quatre visiteur, approchez-vous, regardez, encore plus ocelles flamboyants, ce papillon est une près ce papillon unique au monde, laissez-vous extraordinaire création de la nature. Par quel fasciner, plus loin que la Beauté, par sa mystérieux prodige est-il noir au lieu d’être blanc ? singularité. Ve n e z à l a d é c o u v e r t e d u j o y a u d e s PARNASSIENS, le rarissime APOLLON NOIR, le fabuleux trésor de la MAISON des PAPILLONS, dépositaire exclusif des deux seuls exemplaires connus au monde. Hormis les déserts et les régions polaires, les papillons ont peuplé toute la terre luttant contre vents et marées dans un monde convulsif à la fin du Secondaire, essayons de les imaginer, ces pionniers de la beauté sur terre. Loin des exubérances tropicales, de la violence des couleurs, des formes extravagantes, voici, discrets, subtils, énigmatiques, nés à l’aurore du monde, voici les PARNASSIENS, messagers de l’éphémère beauté pour l’éternité. .3. LES PARNASSIUS, RELIQUATS GLACIAIRES Ce genre essentiellement Euro Asiatique étend son habitat jusqu’en Amérique du Nord. Il est riche d’une soixantaine d’espèces qui ont donné naissance à une multitude de formes et variétés qu’il est souvent difficile de déterminer. La prospection de leur gigantesque habitat ne facilite pas les recherches et laisse à penser qu’il existe encore beaucoup de formes à découvrir. Abondance d’espèces mais non de spécimens, certains PARNASSIUS ne sont connus que par un très petit nombre d’exemplaires. Voici quelques PARNASSIUS remarquables : PARNASSIUS AUTOCRATOR L’un des papillons les plus rares du monde. Il n’existe que dans peu de collections, découvert en 1911, en un seul exemplaire au Pamir occidental. Exemplaire qui resta unique pendant un quart de siècle et ne fut redécouvert qu’en 1936. Les mâles sont plus rares que les femelles, le seul PARNASSIUS qui a de grosses taches orangées à la place des ocelles. On le nomma : La petite orange. Autocrator PARNASSIUS ACCO est un papillon exquis. La finesse, la délicatesse de ses ailes décorées d’un complexe réseau de dessins enluminés de rouge est fascinante. Comment fait-il, ce joyau si frêle, pour résister à l’agression des intempéries coutumières des étés himalayens ? Il se réfugie sous les pierres en cas de mauvais temps. Acco PARNASSIUS MAHARAJA entièrement vêtu de gris, de la couleur de la glace, survit caché sous les neiges éternelles. Ses ocelles vestigiaux sont fantomatiques : on dirait qu’il n’a même plus la force de produire de la couleur. .4. Imperator PARNASSIUS IMPERATOR n’a pas usurpé son nom. Volant à proximité du monastère de Lhassa, il est l’empereur des PARNASSIUS. On dirait que ses taches bleues, mystérieuses, sont nées du songe d’un moine tibétain. Hardwickii PARNASSIUS HARDWICKII est un autre bijou volant. Certaines de ses femelles surchargées de rouge lui donnent un air de fête. PARNISSIUS ARCTICUS est le papillon de l’extrême. Minuscule, il fut découvert volant au sommet d’une montagne de la Sibérie orientale. Il ne vole que quelques instants au cours d’une rare journée ensoleillée d’un été réduit à presque rien, au bout du monde. Articus Nés de la glace, ne pouvant voler qu’au soleil, les PARNASSIUS ont la faculté de supporter des températures exceptionnelles. A 5.000 mètres d’altitude, le domaine de CHARLTONIUS SAKAÏ, au mois de Juillet, il fait – 15 degrés la nuit mais + 50 degrés à midi au soleil. Tous les PARNASSIUS ne vivent pas dans des milieux extrêmes. Il en est comme l’adorable SCHENNII, ravissant avec ses ocelles en forme de cœur, volant à 2.500 mètres d’altitude dans les rhododendrons, ou bien encore APOLLONIUS vivant au milieu de plantes montagnardes rappelant les Alpes. Schennii .5. QUELLE AVENTURE LA CHASSE AUX PARNASSIUS ! Torrents glacés, précipices, cols enneigés, averses de grêle, pluies diluviennes, combien d’embuches à franchir, d’obstacles à contourner, de souffrances à surmonter avant que notre téméraire aventurier parvienne enfin, au seuil de l’immensité des hautes vallées perdues, domaine sacré des dieux de la montagne qui mène au nirvana. Haletant, ployant sous le poids de son sac à dos, brandissant son filet à papillons, minuscule au milieu de l’immensité, mais qui est donc ce fada qui trébuche à chaque pas ? Tout à coup, il a vu quelque chose voler au ras des pierres, il court, il tombe et se relève jusqu’à ce qu’enfin la petite chose tant convoitée, soyeuse, délicieuse, prisonnière au fond de son filet ouvre toute grande à ses yeux émerveillés la porte de l’extase. Peu de chasseurs ont réussi à braver l’espace sacré de la montagne ; beaucoup y ont perdu la santé, sont revenus bredouilles, certains y ont trouvé la mort comme ces deux explorateurs qui ont dévissé d’une falaise le long de laquelle volait obstinément LOXIAS sans pouvoir le capturer. Que dire de cet anglais rapatrié en hélicoptère dans des conditions extrêmes à qui on avait demandé : - Mais pourquoi cette obstination à défier l’impossible ? - Passequeu j’aye lou gou de l’impossible. Il y aura toujours un grain de folie chez les chasseurs de papillons. .6. L’APOLLON Nous n’allons pas quitter le monde des PARNASSIUS sans nous attarder un instant sur le plus célèbre d’entre eux qui a fasciné les entomologistes depuis l’avènement de l’Histoire Naturelle, l’APOLLON. Parnassius Apollo Lozerae Le tournel, Martin Lartigue 14 juillet 1960. .7. ….. A toi ! ….. …. A moi ! ….. - Manqué. Attention, il monte vers toi ! - … il redescend… Cris, rires, dégringolade dans la caillasse, mais que font-ils donc ces deux hurluberlus brandissant leurs filets sous ce piton rocheux ? - Ca y est, je l’ai ! Mais de quoi s’agit-il ? Au fond du filet un papillon se débat. Quelle émotion ! Alors a retenti dans la montagne le chant vainqueur glorifiant son hallali. Ah, l’inoubliable souvenir de la capture d’un Apollon ! Lève la tête, berger, et toi randonneur, arrête-toi un instant. Regardez ce grand papillon nonchalant, ce voilier majestueux, il est vraiment magnifique ! Gonflé de soleil et d’orgueil, poussé par les vents ascendants, il vient à votre rencontre pour qu’on admire de plus près ses ailes glorieuses du Seigneur des montagnes. C’est Lui, c’est Toi, c’est l’Apollon. Celui qui n’a jamais vu planer un Apollon est comme un musicien ignorant Mozart, comme un aveugle qui n’a jamais connu la lumière, un enfant qui n’aurait jamais vu la mer. Mais que fait-il donc cet irrésistible séducteur ? Il a plié ses ailes comme un parapluie qu’on referme et se laisse tomber sur l’objet de son désir, une lascive femelle prenant son bain de soleil posée sur une pierre. Apercevant son prétendant plonger du haut des cimes, elle se met à trembler de tout son être. Une incontrôlable émotion a saisi la belle et la voilà qui offre à son futur amant l’extrémité de son abdomen charmant. L’instant d’après ils s’accouplent dans un délire de froissements d’ailes frémissantes. Au cœur de l’été triomphant, sous la voûte complice des campanules et des gentianes, à l’ombre d’une touffe d’arnicas, ils resteront unis jusqu’au soir de leur merveilleuse journée d’amour. Maintenant Messire Apollon a relâché son étreinte, mais son affaire n’est pas terminée pour autant : pris d’un ultime spasme il éjacule sur l’orifice de sa belle une substance qui durcit aussitôt, signant de son sceau par une ceinture de chasteté son nuptial accouplement ; chez les Apollons on ne badine pas avec l’amour. .8. Cette oblitération s’appelle le sphragis Pourquoi cette obstruction à la libido privant les femelles d’Apollon de tout libertinage ? Pauvres femmes! pendant que ces messieurs s’en donnent à cœur joie avec les jolies demoiselles. Il est interdit à ces dames un Eteint des Vosges, il a disparu récemment du batifolage qui pourrait compromettre leur chère Massif Central où les montagnes culminant à trop basse altitude ne lui permettent pas de progéniture. monter plus haut pour compenser les effets du Le cycle de l’Apollon est immuable. La femelle réchauffement climatique. pond une centaine d’œufs dont seulement une dizaine parviendront à maturité sur divers L’Apollon est plus clair dans les zones sedums et sur la joubarbe, une plante grasse désertiques, saupoudré de gris en terrain avide de soleil poussant dans les éboulis, humide, les ailes pointues pour affronter le vent, délices de la très vorace chenille quand rondes pour mieux capter la chaleur ; les ocelles reviendra le printemps. Les œufs auront passé rouges foncés, rouges vifs, carmin, orange et l’hiver sous la neige et le gel, conditions même jaunes, il a su s’adapter jusqu’à la limite impératives à leur survie. La chenille est noire de ses possibilités morphologiques, pour le plus parsemée de petites taches orangées, la chrysalide, grand bonheur des yeux, aux caprices des dieux. glabre et succincte repose à même le sol, petit caillou perdu dans les pierres. Le papillon éclot Sa taille aussi est variable. Du petit « Pumilus » à l’orée de l’été, mais son émergence peut varier calabrais au géant « Kashtshenkoï » du Mont selon les localités et les années. Son espérance de Ararat de Turquie, plus de cent cinquante sousvie s’échelonne sur un mois, les mâles éclosent espèces ont été nommées et décrites. Lequel est avant les femelles, celles-ci volent peu et sont le plus beau ? Le splendide « Alpherakyi » de plus rares que les mâles. Très actifs, les Apollons l’Altaï en Russie méridionale avec ses énormes sont territoriaux. Il faut les voir pourchassant ocelles, ses puissantes macules et le fond orangé les intrus hors de leur territoire ! Les ailes des des ailes de la femelle ou bien le magnifique Apollons sont robustes et peu écailleuses ; elles « Apollo Lozerae » ? sont faites pour résister aux intempéries de la montagne. Leur corps et la base des ailes sont recouverts d’un système pileux qui emmagasine le rayonnement solaire. L’Apollon ne vole que par beau temps : un nuage obscurcit le soleil et le voilà qui se laisse tomber sur le sol paralysé par le froid. Butineur obstiné des chardons et des plantes à goût de miel, il ne vit que pour la gourmandise et l’amour, bienheureux Apollon, papillon du plaisir et de la joie de vivre ! Du niveau de la mer en Scandinavie aux montagnes andalouses, à travers l’Europe, l’Asie mineure, la Russie, l’Asie centrale, jusqu’en Sibérie, vestiges d’une population omniprésente de la région Paléarctique, il couvre un immense territoire. Mais on assiste aujourd’hui à leur déclin. Le réchauffement climatique aura-t-il raison de sa survie ? L’Histoire Naturelle a connu bien des bouleversements à travers les âges, son évolution est imprévisible. .9. Parnassius Marteni .10. Teinopalpus Aureus Bhutanitis Lidderdalii Des TEINOPALPUS aux THAÏS, reliques tropicales Génétiquement proches des PARNASSIUS mais très différents, voici un groupe de papillons extraordinaires qui sont les vestiges d’une période tropicale interglaciaire. Volant peu, difficiles à observer, très discrets, certains de ces papillons sont d’extravagantes créations de la nature tels que les TEINOPALPUS dont AUREUS est l’espèce la plus spectaculaire. Cet immense papillon aux ailes triangulaires d’un vert livide, avec ses longues queues acérées comme des sabres fait songer à quelque dragon chinois né de l’imagination d’un génie diabolique. Réfugié dans l’impénétrable forêt du versant sud de l’Himalaya, à mi-pente du glacial et du tropical, l’AUREUS est comme un songe irréel, une émanation du brouillard qu i trans fo r m e l a p eu r et l ’eff ro i en un e apparition fantastique. On ne peut l’apercevoir que brièvement pendant la mousson entre deux averses. .11. L’ARMANDIE des anciens auteurs aujourd’hui baptisée BUTANITIS est d’une incroyable élégance. Des ailes en forme de cerf-volant, plus léger qu’une plume, maquillé de rose que borde une frange de longs cils recourbés, c’est toute l’âme mystique de l’Inde que le papillon incarne lorsqu’il se laisse emporter par la brise comme une feuille morte au-dessus des montagnes du Bhoutan. ARCHON APOLLINUS, hôte des terrains pauvres herbeux et rocailleux de la Turquie, est un papillon qui passe inaperçu. Pourtant, quel charme étrange dégage ses ailes transparentes comme du papier de soie qu’un léger saupoudrage carmin anime parfois d’une fumée volatile ! Précoce et rare, il ne vole que si on le dérange dès la fin de l’hiver, aux premiers jours du printemps. Varités d’Archon Apollinus Une attention particulière doit être portée aux deux THAÎS de la région méditerranéenne, les ZERYNTHIA des auteurs modernes, plus connus sous les noms populaires de DIANE et PROSERPINE. En hommage aux THAÏS, voici un conte que j’ai imaginé. .12. La Légende de DIANE et PROSERPINE Il était une fois deux papillons inséparables qui s’aimaient d’amour tendre, DIANE et PROSERPINE, des sœurs presque jumelles tant leur ressemblance était grande, charmantes dans leur simplicité. Délicieuses, ravissantes, on dirait deux arlequins. Ecloses presqu’en u’en même temps d’un coin tranquille de Judée, une fièvre soudain s’empare de l’une qui ditt à l’autre : - On étouffe ici, Adieu Jésus, Marie, Joseph, je pars à la découverte du monde. - Je ne peux vivre sans toi répond la sœur ; si tu pars, je pars aussi. Et elles s’en allèrent chacune de leur côté. DIANE, à tire d’ailes, par-dessus îles de la mer Egée, contourna Santorin, poursuivit son chemin. N’écoutant pas l’oracle de Delphes prônant la sagesse, elle va plus loin. En Dalmatie, effrayée par la mer, elle monte vers le Nord, évite Venise et ses fêtes, se perd dans les roseaux de la plaine du Pô. Puis elle franchit les Alpes, contourne le Mont Bégo, le maître des orages, butine un moment les jasmins de Fragonard, volant toujours vers l’Ouest, arrive enfin à bout de souffle aux sources de l’Argens, s’endort au cœur de la Provence. Pendant ce temps PROSERPINE oubliait Jérusalem, traversait le Sinaï, arrivait en Egypte. Insensible à la grandeur des pyramides, faisant fi des sept merveilles du monde d’Alexandrie, elle ne fait que passer à Carthage. Voici l’Atlas et bientôt Gibraltar qu’elle franchit d’un saut. Arrivée en Espagne, la voilà à l’Escurial où Charles Quint soignera ses roses, poursuit plus loin, traverse les Pyrénées comme le fit Hannibal, continue sa route à travers la Camargue, rencontre Marthe apprivoisant la Tarasque avant de noyer le monstre dans le Rhône, parvient enfin en Provence où elle retrouve DIANE, quelle surprise, surprenantes retrouvailles ! - Ma sœur, est-ce bien toi ? - Mais oui c’est moi ! Comment as-tu fait pour te trouver sur mon chemin ? - Comme toi je me suis laissée guider par le soleil, je me suis laissée emporter par le vent. Elles avaient fait sans le savoir le tour de la Méditerranée, DIANE par le Nord, PROSERPINE par le Sud et s’étaient retrouvées en Provence, arrivant chacune de leur côté. Bonjour, bonjour les demoiselles, bienvenue aux messagères d’Israël ! Quelles nouvelles ! Tout le monde se met en fête pour célébrer leur arrivée. La tortue sort de sa torpeur, le lapin de son trou, la bartavelle bégaie de bonheur, le capricorne agite ses cornes, les cicindèles s’affolent. - Mais où sont-elles donc ces beautés, caquète le héron ? Le butor méfiant comme la chouette écarte les roseaux, essaye de les apercevoir, le rossignol chante à tue-tête un air nouveau qu’on n’avait jamais entendu, le grand orchestre des cigales fait résonner dans toute la Provence un exceptionnel concert en l’honneur des Nouvelles. .13. L’aigle en personne s’en mêle, il a tout vu des hauteurs des cieux, il crie : - Arrêtez votre errance, restez avec nous éphémères beautés, partageons tous ensemble le calice de notre jardin des délices. Mais que se passe-t-il donc ? Elles ne se parlent plus, elles se sont tournées le dos et veulent se séparer. C’est que, au cours de leur voyage, elles ont acquis une grande indépendance et n’ont plus les mêmes goûts. DIANE avait adoré la fraîcheur des roseaux des rives du Pô tandis que PROSERPINE était devenue folle du rocher de Gibraltar dévoré de soleil. Regrettant le temps de leur voyage, perdues en un pays qu’elles ne connaissent pas, devenues étrangères l’une à l’autre, elles se disent : - Qu’allons-nous devenir ? Quand le lézard passant par là va les tirer d’affaire. Comprenant leur problème, il les conduit là où il sait qu’elles seront bien. DIANE élit domicile près d’un frais ruisseau où fleurissent les jonquilles et PROSERPINE s’installe dans la colline où pousse le thym. Tout le monde ravi fut rassuré ; la tortue s’est rendormie, le lapin est retourné dans son trou, le rossignol s’est tu et l’aigle a conclu : - Soyez heureuses belles demoiselles, maintenant que vous êtes de chez nous ! Des mois, des années passèrent, quand une folle aventure bouleversa la vie tranquille de nos deux papillons. L’aurore blanchit le ciel d’une belle journée d’Avril ; le ruisseau murmure au pied de la garrigue. DIANE dort encore, PROSERPINE sommeille. Le soleil paraît, se lève enfin. DIANE émerge de à du presque son lit de jonquilles, lisse ses ailes, vole un peu. Une brise légère l’emporte au-delà ur PROSERPINE, PROSE rien séparant l’humide du sec que la sauterelle a franchi d’un bond, tombe sur alanguie au soleil. - Ah ! c’est toi ma sœur, quelle surprise… depuis si longtemps… Elles s’embrassent, leur jeunesse retrouvée. Mais la nature a des desseins qu’on ne peut pas comprendre : soudain leur tendresse prend feu, une incontrôlable pulsion brûle leurs corps, la passion les dévore, l’amour bouleverse leurs âmes et voilà les sœurs qui s’unissent irrésistiblement. Bientôt naîtra de leur union –l’inceste a ses charmes- leur enfant Jésus, leur prince charmant, un hybride plein de vigueur, beau comme un dieu. Ivres de bonheur, les sœurs énamourées contemplent avec bonheur les jeux de leur idole : adulé des fourmis, il joue avec les libellules, se bronze au soleil, s’amuse d’un rien : il est la joie de vivre. Mais voilà que tout se gâte. Il se dit : - A quoi bon toute ma virilité si je ne rencontre pas l’âme sœur ? Pas de fiancée en vue, il sent qu’il est stérile, il sent qu’il ne peut pas, qu’il ne pourra jamais transmettre le plaisir de partager le doux murmure de l’eau et humer ensemble le parfum des lavandes, de vivre en amoureux le bonheur du printemps. Il ne joue plus, il s’ennuie. Ses ailes ont perdu leur fraîcheur, il a vieilli d’un coup, il s’est fané plus vite que les fleurs, il a perdu ses couleurs. A mi-chemin des jonquilles et du thym, de Diane ou Proserpine, il ne sait pas à quel clan il appartient, cherche en vain à savoir lequel de ses parents hermaphrodites est son père et sa mère. Il mourut un beau matin au milieu du chemin, écartelé entre l’humide et le sec. .14. Cette légende est conforme aux données scientifiques des ZERYNTHIA – THAÎS. A un moment donné de leur parcours DIANE et PROSERPINE se sont retrouvées en Provence où leurs routes se sont croisées. Hôte des berges des ruisseaux, l’habitat de DIANE s’oppose à celui de PROSERPINE vivant dans la garrigue : elles cohabitent mais ne se rencontrent pas. Mais il arrive qu’elles s’accouplent, accidentellement. La capture de quelques rares hybrides en est la preuve. Diane Prosperine .15. LA VARIATION INDIVIDUELLE CHEZ LES PAPILLONS Les papillons sont génétiquement programmés : les descendants d’une espèce sont identiques au type. Mais certains papillons plus sensibles que d’autres à l’environnement peuvent donner naissance à des formes imprévues dont on ne connaît pas l’origine, l’évolution étant soumise aux deux facteurs du transformisme : l’hérédité et l’influence climatique. On appelle ces variantes des aberrations. Elles peuvent être plus ou moins importantes. L’Apollon Noir en est une forme extrême. J’ai consulté le professeur Henri Descimon célèbre généticien des papillons à ce sujet. Voici ce qu’il m’a répondu. Les collectionneurs de papillons sont très friands de « bêtes pas comme les autres » qui diffèrent du type de l’espèce par les dessins ou la coloration des ailes ; ils les appellent des « variétés », ou « aberrations », ou, comme disent les Américains, des « curious ». 1- Au cours de son développement, le papillon a subi un choc, par exemple une température basse ou élevée, qui a perturbé la mise en place des dessins ou la synthèse des pigments ; une telle variation ne sera pas héréditaire. On l’appellera une sommation. 2- Le développement du papillon est programmé par l’ensemble de ses gènes (son génome). Comme nous, les papillons possèdent (pour l’essentiel) chacun de leurs gènes en deux exemplaires. Les gènes peuvent être modifiés par une mutation, ce qui peut entrainer une modification des caractères qu’ils gouvernent. Une mutation est dite dominante si elle se manifeste même s’il n’y a qu’un seul gène muté dans la paire ; elle est dite récessive s’il faut que les deux gènes de la paire portent la mutation pour qu’elle se montre. Pour savoir si une variété est une somation ou D’une manière plus scientifique, on peut désigner une mutation et si celle-ci est dominante ou ces variants selon les facteurs qui les ont récessive, il faut effectuer des expériences et engendrés : des croisements. Apollons de V.Pierrat .16. QUATRE VARIETES SPECTACULAIRES DE PAPILLONS 1- L’APOLLON NOIR : cette variété très spectaculaire et rarissime a été prise dans deux localités différentes et très éloignées (La vallée de Casterino dans les Alpes-Maritimes et le Causse Noir dans le Massif Central). En l’absence d’élevages et de croisements, il est impossible de l’affecter à une des catégories ci-dessus ; on doit se contenter de la qualifier de « variété ». L’Apollon Noir du Mercantour a été trouvé par moi-même le 14 juillet 1966 en companie de mon fils Martin dans le Vallon de Valmasque. Cette extraordinaire découverte fut à l’origine de la création de la Maison des Papillons. (cf. photo dernière de couverture) L’Apollon Noir du Causse Noir fut capturé par la femme du docteur Fisher le 20 juillet 1929. Mis en vente à l’Hôtel de Drouot, il fut acheté au printemps dernier par Martin Lartigue au profit de la Maison des Papillons, une fabuleuse aquisition. Apollon Noir 2- L’APOLLON WISKOTTI : cette très jolie variété, spéciale à l’île de Gotland dans la Baltique, a été élevée et les croisements génétiques effectués ont montré qu’il s’agit d’une mutation récessive. Cette aberration est connue depuis longtemps : un flux de couleur rouge relie les ocelles à la base des ailes. Henri Descimon, accompagné de sa femme, avait réussi à capturer deux mâles en 1982 qu’ils ont rapportés vivants dans une glacière jusqu’à son laboratoire de Marseille où il réussit à les accoupler avec deux femelles d’Apollons que Vincent Pierrat lui a expédiées du Jura. L’expérience réussit et depuis plus de vingt ans, Henri Descimon élève et obtient des croisements dont il étudie la descendance. Il a ainsi obtenu par sélection des papillons extraordinaires, des spécimens monstrueux où le rouge a envahi les ailes comme un torrent de larmes sanguinolentes. Ce qu’Henri Descimon ne dit pas ce sont les méthodes étonnantes qu’il a utilisées pour en arriver à ses conclusions. Apollon Wiskotti .17. 3- L’APOLLON ZORRO : il a été trouvé dans la vallée de Cervières dans les HautesAlpes, où il n’était pas très rare ; les croisements ont montré que c’est une mutation dominante. Il n’a pas été retrouvé depuis une vingtaine d’années. C’est encore Henri Descimon qui a découvert cette étrange aberration. Je n’ai pas suivi les travaux qu’il a faits à son sujet. Dix-huit exemplaires sont connus dont un spécimen se trouve à la Maison des Papillons. Apollon Zorro 4- THAÏS HONNORATI : cette magnifique variété a fait la réputation entomologique de la région de Digne, où elle n’était pas très rare au XIXe siècle. Elle n’a pas été l’objet d’études génétiques et on doit se contenter de la ranger elle aussi parmi les « variétés ». Les études concernant cette merveilleuse aberration font partie des échecs des chercheurs. Son histoire n’est pas banale. Découverte par le docteur Honnorat en 1850, cette merveille ne fut trouvée que dans une localité restreinte des environs de Digne. Son émergence, bien que rare, était ponctuelle et dura cinquante ans. L’Europe entomologiste accourut de toutes parts et les collectionneurs acharnés voulurent avoir dans leur tiroir un spécimen de cette merveille : il suffisait de récolter des chrysalides de Proserpine pour voir apparaître de temps en temps la bête recherchée. Trop facile ! Des amateurs fortunés payèrent à prix d’or des autochtones pour qu’ils récoltent Honnorati à leur place, une mise à mort programmée de la poule aux œufs d’or. L’aberration se raréfia puis disparut à l’aurore du vingtième siècle sans que la moindre étude ne fût faite à son sujet. M a i n t e n a n t i l e s t t r o p t a r d ! Q u e l dommage, car l’Honnorati n’est pas une aberration comme les autres. Si on consulte au Museum National d’Histoire Naturelle la boîte où sont conservés une trentaine d’Honnarati, on s’aperçoit qu’aucun des spécimens n’est semblable à l’autre. Quel est donc le mécanisme génétique qui a pu produire ces variétés ? Par quelle tortueuse route un ancêtre lointain du papillon a-t-il pu nous faire parvenir à travers combien de millénaires, ces créatures de rêve ? Non, nous ne le saurons jamais, nous sommes condamnés à ne pouvoir comprendre. Mais partageons l’émerveillement que suscitent ces créatures de Dieu. Thaïs Honnorati .18. Descimon, en Chine 2005 .19. Dany et Martin dans le Mercantour LES CAHIERS DE LA MAISON DES PAPILLONS TOME II : AU COEUR DES PARNASSIENS La maison des Papillons 9, rue Étienne Berny 83990 Saint-Tropez tél. 04 94 97 63 45 [email protected] Photos (sauf mention) : Ville de Saint-Tropez - Jean-Louis Chaix Conçu réalisé et imprimé en mai 2013 par la Mairie de Saint-Tropez Dépot légal : 2e trimestre 2013 .20. w w w.s ain t-t ropez. fr