tome ii : au coeur des parnassiens «un apollon noir - Saint

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tome ii : au coeur des parnassiens «un apollon noir - Saint
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TOME
฀ ฀ ฀ II : AU COEUR
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฀ DES PARNASSIENS
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«UN APOLLON NOIR PEUT EN CACHER UN AUTRE»
.1.
AU COEUR DES PARNASSIENS
À la découverte d’un couple de papillons
uniques au monde
«Un Apollon Noir peut en cacher un autre»
l’APOLLON NOIR
Vingt ans ! Voilà plus de vingt ans que la Maison des Papillons propose aux visiteurs la
découverte du monde fabuleux des papillons. Tous les ans, au printemps, le Musée présente une
sélection inédite des plus beaux papillons du monde.
Tour à tour, les MORPHOS, les AGRIAS et les
illuminé les cimaises de leur splendeur.
DELIAS,
les
ORNITHOPTERES
ont
Mais aujourd’hui, le Musée a décidé de présenter le trésor de ses archives où sont conservés les
papillons les plus rares.
Prélude à l’exubérance des papillons tropicaux, réfugiés dans les plus hautes montagnes de la
terre, les PARNASSIENS sont les survivants des dernières glaciations. Moins spectaculaires, mais
quelle beauté dans leur simplicité ! Une nouvelle page du grand livre des plus belles créations de
l’Histoire Naturelle, porte dérobée de la connaissance, voici les PARNASSIENS.
.2.
Est-il un caprice de la nature, un accident
génétique dont on ne connaît pas l’origine, est-il
un spécimen né de l’apparition spontanée d’une
espèce nouvelle ?
Laissons l’APOLLON NOIR susciter en nous les
délices de l’inconnu. Alors, qui que vous soyez,
Les ailes couleurs de suie qu’illuminent quatre visiteur, approchez-vous, regardez, encore plus
ocelles flamboyants, ce papillon est une près ce papillon unique au monde, laissez-vous
extraordinaire création de la nature. Par quel fasciner, plus loin que la Beauté, par sa
mystérieux prodige est-il noir au lieu d’être blanc ? singularité.
Ve n e z à l a d é c o u v e r t e d u j o y a u d e s
PARNASSIENS, le rarissime APOLLON NOIR, le
fabuleux trésor de la MAISON des PAPILLONS,
dépositaire exclusif des deux seuls exemplaires
connus au monde.
Hormis les déserts et les régions polaires,
les papillons ont peuplé toute la terre luttant
contre vents et marées dans un monde convulsif
à la fin du Secondaire, essayons de les imaginer,
ces pionniers de la beauté sur terre.
Loin des exubérances tropicales, de la violence
des couleurs, des formes extravagantes, voici,
discrets, subtils, énigmatiques, nés à l’aurore
du monde, voici les PARNASSIENS, messagers
de l’éphémère beauté pour l’éternité.
.3.
LES PARNASSIUS,
RELIQUATS GLACIAIRES
Ce genre essentiellement Euro Asiatique étend son habitat jusqu’en Amérique du Nord. Il est riche
d’une soixantaine d’espèces qui ont donné naissance à une multitude de formes et variétés qu’il
est souvent difficile de déterminer. La prospection de leur gigantesque habitat ne facilite pas les
recherches et laisse à penser qu’il existe encore beaucoup de formes à découvrir.
Abondance d’espèces mais non de spécimens, certains PARNASSIUS ne sont connus que par un
très petit nombre d’exemplaires.
Voici quelques PARNASSIUS remarquables :
PARNASSIUS AUTOCRATOR
L’un des papillons les plus rares du monde. Il
n’existe que dans peu de collections, découvert en
1911, en un seul exemplaire au Pamir occidental.
Exemplaire qui resta unique pendant un quart
de siècle et ne fut redécouvert qu’en 1936.
Les mâles sont plus rares que les femelles,
le seul PARNASSIUS qui a de grosses taches
orangées à la place des ocelles. On le nomma :
La petite orange.
Autocrator
PARNASSIUS ACCO
est un papillon
exquis. La finesse, la délicatesse de ses ailes
décorées d’un complexe réseau de dessins
enluminés de rouge est fascinante. Comment
fait-il, ce joyau si frêle, pour résister à
l’agression des intempéries coutumières des
étés himalayens ? Il se réfugie sous les pierres
en cas de mauvais temps.
Acco
PARNASSIUS MAHARAJA entièrement
vêtu de gris, de la couleur de la glace, survit
caché sous les neiges éternelles. Ses ocelles
vestigiaux sont fantomatiques : on dirait qu’il
n’a même plus la force de produire de la
couleur.
.4.
Imperator
PARNASSIUS IMPERATOR
n’a pas
usurpé son nom. Volant à proximité du
monastère de Lhassa, il est l’empereur des
PARNASSIUS. On dirait que ses taches bleues,
mystérieuses, sont nées du songe d’un moine
tibétain.
Hardwickii
PARNASSIUS HARDWICKII
est un
autre bijou volant. Certaines de ses femelles
surchargées de rouge lui donnent un air de
fête.
PARNISSIUS ARCTICUS est le papillon
de l’extrême. Minuscule, il fut découvert
volant au sommet d’une montagne de la Sibérie
orientale. Il ne vole que quelques instants au
cours d’une rare journée ensoleillée d’un été
réduit à presque rien, au bout du monde.
Articus
Nés de la glace, ne pouvant voler qu’au soleil,
les PARNASSIUS ont la faculté de supporter
des températures exceptionnelles. A 5.000
mètres d’altitude, le domaine de CHARLTONIUS
SAKAÏ, au mois de Juillet, il fait – 15 degrés la
nuit mais + 50 degrés à midi au soleil.
Tous les PARNASSIUS ne vivent pas dans des
milieux extrêmes. Il en est comme l’adorable
SCHENNII, ravissant avec ses ocelles en
forme de cœur, volant à 2.500 mètres d’altitude
dans les rhododendrons, ou bien encore
APOLLONIUS vivant au milieu de plantes
montagnardes rappelant les Alpes.
Schennii
.5.
QUELLE AVENTURE LA CHASSE
AUX PARNASSIUS !
Torrents glacés, précipices, cols enneigés, averses
de grêle, pluies diluviennes, combien d’embuches
à franchir, d’obstacles à contourner, de souffrances
à surmonter avant que notre téméraire aventurier parvienne enfin, au seuil de l’immensité des
hautes vallées perdues, domaine sacré des dieux
de la montagne qui mène au nirvana.
Haletant, ployant sous le poids de son sac à dos,
brandissant son filet à papillons, minuscule au
milieu de l’immensité, mais qui est donc ce fada
qui trébuche à chaque pas ? Tout à coup, il a vu
quelque chose voler au ras des pierres, il court,
il tombe et se relève jusqu’à ce qu’enfin la petite
chose tant convoitée, soyeuse, délicieuse,
prisonnière au fond de son filet ouvre toute grande
à ses yeux émerveillés la porte de l’extase.
Peu de chasseurs ont réussi à braver l’espace sacré
de la montagne ; beaucoup y ont perdu la santé,
sont revenus bredouilles, certains y ont trouvé la
mort comme ces deux explorateurs qui ont dévissé
d’une falaise le long de laquelle volait obstinément
LOXIAS sans pouvoir le capturer. Que dire de cet
anglais rapatrié en hélicoptère dans des
conditions extrêmes à qui on avait demandé :
- Mais pourquoi cette obstination à défier
l’impossible ?
- Passequeu j’aye lou gou de l’impossible.
Il y aura toujours un grain de folie chez les
chasseurs de papillons.
.6.
L’APOLLON
Nous n’allons pas quitter le monde des PARNASSIUS sans nous attarder un
instant sur le plus célèbre d’entre eux qui a fasciné les entomologistes depuis
l’avènement de l’Histoire Naturelle, l’APOLLON.
Parnassius Apollo Lozerae
Le tournel, Martin Lartigue
14 juillet 1960.
.7.
….. A toi ! …..
…. A moi ! …..
- Manqué. Attention, il monte vers toi !
- … il redescend…
Cris, rires, dégringolade dans la caillasse, mais que font-ils donc ces deux
hurluberlus brandissant leurs filets sous ce piton rocheux ?
- Ca y est, je l’ai !
Mais de quoi s’agit-il ?
Au fond du filet un papillon se débat. Quelle émotion ! Alors a retenti dans la
montagne le chant vainqueur glorifiant son hallali.
Ah, l’inoubliable souvenir de la capture d’un Apollon !
Lève la tête, berger, et toi randonneur, arrête-toi un instant. Regardez ce
grand papillon nonchalant, ce voilier majestueux, il est vraiment magnifique !
Gonflé de soleil et d’orgueil, poussé par les vents ascendants, il vient à votre
rencontre pour qu’on admire de plus près ses ailes glorieuses du Seigneur des
montagnes. C’est Lui, c’est Toi, c’est l’Apollon. Celui qui n’a jamais vu planer
un Apollon est comme un musicien ignorant Mozart, comme un aveugle qui
n’a jamais connu la lumière, un enfant qui n’aurait jamais vu la mer.
Mais que fait-il donc cet irrésistible séducteur ? Il a plié ses ailes comme
un parapluie qu’on referme et se laisse tomber sur l’objet de son désir, une
lascive femelle prenant son bain de soleil posée sur une pierre. Apercevant
son prétendant plonger du haut des cimes, elle se met à trembler de tout
son être. Une incontrôlable émotion a saisi la belle et la voilà qui offre à
son futur amant l’extrémité de son abdomen charmant. L’instant d’après ils
s’accouplent dans un délire de froissements d’ailes frémissantes. Au cœur de
l’été triomphant, sous la voûte complice des campanules et des gentianes, à
l’ombre d’une touffe d’arnicas, ils resteront unis jusqu’au soir de leur
merveilleuse journée d’amour.
Maintenant Messire Apollon a relâché son étreinte, mais son affaire n’est pas
terminée pour autant : pris d’un ultime spasme il éjacule sur l’orifice de sa
belle une substance qui durcit aussitôt, signant de son sceau par une ceinture
de chasteté son nuptial accouplement ; chez les Apollons on ne badine pas
avec l’amour.
.8.
Cette oblitération s’appelle le sphragis
Pourquoi cette obstruction à la libido privant
les femelles d’Apollon de tout libertinage ?
Pauvres femmes! pendant que ces messieurs
s’en donnent à cœur joie avec les jolies
demoiselles. Il est interdit à ces dames un Eteint des Vosges, il a disparu récemment du
batifolage qui pourrait compromettre leur chère Massif Central où les montagnes culminant
à trop basse altitude ne lui permettent pas de
progéniture.
monter plus haut pour compenser les effets du
Le cycle de l’Apollon est immuable. La femelle réchauffement climatique.
pond une centaine d’œufs dont seulement une
dizaine parviendront à maturité sur divers L’Apollon est plus clair dans les zones
sedums et sur la joubarbe, une plante grasse désertiques, saupoudré de gris en terrain
avide de soleil poussant dans les éboulis, humide, les ailes pointues pour affronter le vent,
délices de la très vorace chenille quand rondes pour mieux capter la chaleur ; les ocelles
reviendra le printemps. Les œufs auront passé rouges foncés, rouges vifs, carmin, orange et
l’hiver sous la neige et le gel, conditions même jaunes, il a su s’adapter jusqu’à la limite
impératives à leur survie. La chenille est noire de ses possibilités morphologiques, pour le plus
parsemée de petites taches orangées, la chrysalide, grand bonheur des yeux, aux caprices des dieux.
glabre et succincte repose à même le sol, petit
caillou perdu dans les pierres. Le papillon éclot Sa taille aussi est variable. Du petit « Pumilus »
à l’orée de l’été, mais son émergence peut varier calabrais au géant « Kashtshenkoï » du Mont
selon les localités et les années. Son espérance de Ararat de Turquie, plus de cent cinquante sousvie s’échelonne sur un mois, les mâles éclosent espèces ont été nommées et décrites. Lequel est
avant les femelles, celles-ci volent peu et sont le plus beau ? Le splendide « Alpherakyi » de
plus rares que les mâles. Très actifs, les Apollons l’Altaï en Russie méridionale avec ses énormes
sont territoriaux. Il faut les voir pourchassant ocelles, ses puissantes macules et le fond orangé
les intrus hors de leur territoire ! Les ailes des des ailes de la femelle ou bien le magnifique
Apollons sont robustes et peu écailleuses ; elles « Apollo Lozerae » ?
sont faites pour résister aux intempéries de la
montagne. Leur corps et la base des ailes sont
recouverts d’un système pileux qui emmagasine
le rayonnement solaire. L’Apollon ne vole que
par beau temps : un nuage obscurcit le soleil et
le voilà qui se laisse tomber sur le sol paralysé
par le froid. Butineur obstiné des chardons et
des plantes à goût de miel, il ne vit que pour la
gourmandise et l’amour, bienheureux Apollon,
papillon du plaisir et de la joie de vivre !
Du niveau de la mer en Scandinavie aux
montagnes andalouses, à travers l’Europe, l’Asie
mineure, la Russie, l’Asie centrale, jusqu’en
Sibérie, vestiges d’une population omniprésente
de la région Paléarctique, il couvre un immense
territoire. Mais on assiste aujourd’hui à leur
déclin. Le réchauffement climatique aura-t-il
raison de sa survie ? L’Histoire Naturelle a
connu bien des bouleversements à travers les
âges, son évolution est imprévisible.
.9.
Parnassius Marteni
.10.
Teinopalpus Aureus
Bhutanitis Lidderdalii
Des TEINOPALPUS aux THAÏS, reliques tropicales
Génétiquement proches des PARNASSIUS mais
très différents, voici un groupe de papillons
extraordinaires qui sont les vestiges d’une
période tropicale interglaciaire. Volant peu,
difficiles à observer, très discrets, certains de
ces papillons sont d’extravagantes créations de
la nature tels que les TEINOPALPUS dont
AUREUS est l’espèce la plus spectaculaire. Cet
immense papillon aux ailes triangulaires d’un
vert livide, avec ses longues queues acérées
comme des sabres fait songer à quelque
dragon chinois né de l’imagination d’un
génie diabolique. Réfugié dans l’impénétrable
forêt du versant sud de l’Himalaya, à mi-pente
du glacial et du tropical, l’AUREUS est comme
un songe irréel, une émanation du brouillard
qu i trans fo r m e l a p eu r et l ’eff ro i en un e
apparition fantastique. On ne peut l’apercevoir
que brièvement pendant la mousson entre deux
averses.
.11.
L’ARMANDIE des anciens auteurs aujourd’hui
baptisée BUTANITIS est d’une incroyable
élégance. Des ailes en forme de cerf-volant, plus
léger qu’une plume, maquillé de rose que borde
une frange de longs cils recourbés, c’est toute
l’âme mystique de l’Inde que le papillon incarne
lorsqu’il se laisse emporter par la brise comme
une feuille morte au-dessus des montagnes du
Bhoutan.
ARCHON APOLLINUS, hôte des terrains
pauvres herbeux et rocailleux de la Turquie, est
un papillon qui passe inaperçu. Pourtant, quel
charme étrange dégage ses ailes transparentes
comme du papier de soie qu’un léger
saupoudrage carmin anime parfois d’une fumée
volatile ! Précoce et rare, il ne vole que si on le
dérange dès la fin de l’hiver, aux premiers jours
du printemps.
Varités d’Archon Apollinus
Une attention particulière doit être portée aux deux THAÎS de la région méditerranéenne,
les ZERYNTHIA des auteurs modernes, plus connus sous les noms populaires de DIANE
et PROSERPINE.
En hommage aux THAÏS, voici un conte que j’ai imaginé.
.12.
La Légende de DIANE et PROSERPINE
Il était une fois deux papillons inséparables qui s’aimaient d’amour tendre, DIANE et
PROSERPINE, des sœurs presque jumelles tant leur ressemblance était grande, charmantes dans
leur simplicité. Délicieuses, ravissantes, on dirait deux arlequins. Ecloses presqu’en
u’en même
temps d’un coin tranquille de Judée, une fièvre soudain s’empare de l’une qui ditt à l’autre :
- On étouffe ici, Adieu Jésus, Marie, Joseph, je pars à la découverte du monde.
- Je ne peux vivre sans toi répond la sœur ; si tu pars, je pars aussi.
Et elles s’en allèrent chacune de leur côté.
DIANE, à tire d’ailes, par-dessus îles de la mer Egée, contourna Santorin, poursuivit son chemin.
N’écoutant pas l’oracle de Delphes prônant la sagesse, elle va plus loin. En Dalmatie, effrayée
par la mer, elle monte vers le Nord, évite Venise et ses fêtes, se perd dans les roseaux de la
plaine du Pô. Puis elle franchit les Alpes, contourne le Mont Bégo, le maître des orages, butine
un moment les jasmins de Fragonard, volant toujours vers l’Ouest, arrive enfin à bout de
souffle aux sources de l’Argens, s’endort au cœur de la Provence.
Pendant ce temps PROSERPINE oubliait Jérusalem, traversait le Sinaï, arrivait en Egypte.
Insensible à la grandeur des pyramides, faisant fi des sept merveilles du monde d’Alexandrie,
elle ne fait que passer à Carthage.
Voici l’Atlas et bientôt Gibraltar qu’elle franchit d’un saut. Arrivée en Espagne, la voilà à
l’Escurial où Charles Quint soignera ses roses, poursuit plus loin, traverse les Pyrénées comme
le fit Hannibal, continue sa route à travers la Camargue, rencontre Marthe apprivoisant la
Tarasque avant de noyer le monstre dans le Rhône, parvient enfin en Provence où elle retrouve
DIANE, quelle surprise, surprenantes retrouvailles !
- Ma sœur, est-ce bien toi ?
- Mais oui c’est moi ! Comment as-tu fait pour te trouver sur mon chemin ?
- Comme toi je me suis laissée guider par le soleil, je me suis laissée emporter par le vent.
Elles avaient fait sans le savoir le tour de la Méditerranée, DIANE par le Nord, PROSERPINE
par le Sud et s’étaient retrouvées en Provence, arrivant chacune de leur côté.
Bonjour, bonjour les demoiselles, bienvenue aux messagères d’Israël ! Quelles nouvelles !
Tout le monde se met en fête pour célébrer leur arrivée.
La tortue sort de sa torpeur, le lapin de son trou, la bartavelle bégaie de bonheur, le capricorne
agite ses cornes, les cicindèles s’affolent.
- Mais où sont-elles donc ces beautés, caquète le héron ?
Le butor méfiant comme la chouette écarte les roseaux, essaye de les apercevoir, le rossignol chante
à tue-tête un air nouveau qu’on n’avait jamais entendu, le grand orchestre des cigales fait résonner
dans toute la Provence un exceptionnel concert en l’honneur des Nouvelles.
.13.
L’aigle en personne s’en mêle, il a tout vu des hauteurs des cieux, il crie :
- Arrêtez votre errance, restez avec nous éphémères beautés, partageons tous ensemble le calice
de notre jardin des délices.
Mais que se passe-t-il donc ? Elles ne se parlent plus, elles se sont tournées le dos et veulent se
séparer. C’est que, au cours de leur voyage, elles ont acquis une grande indépendance et n’ont
plus les mêmes goûts. DIANE avait adoré la fraîcheur des roseaux des rives du Pô tandis que
PROSERPINE était devenue folle du rocher de Gibraltar dévoré de soleil.
Regrettant le temps de leur voyage, perdues en un pays qu’elles ne connaissent pas, devenues
étrangères l’une à l’autre, elles se disent :
- Qu’allons-nous devenir ?
Quand le lézard passant par là va les tirer d’affaire. Comprenant leur problème, il les conduit là
où il sait qu’elles seront bien.
DIANE élit domicile près d’un frais ruisseau où fleurissent les jonquilles et PROSERPINE s’installe dans la colline où pousse le thym. Tout le monde ravi fut rassuré ; la tortue s’est rendormie,
le lapin est retourné dans son trou, le rossignol s’est tu et l’aigle a conclu :
- Soyez heureuses belles demoiselles, maintenant que vous êtes de chez nous !
Des mois, des années passèrent, quand une folle aventure bouleversa la vie tranquille de nos
deux papillons.
L’aurore blanchit le ciel d’une belle journée d’Avril ; le ruisseau murmure au pied de la garrigue.
DIANE dort encore, PROSERPINE sommeille. Le soleil paraît, se lève enfin. DIANE émerge de
à du presque
son lit de jonquilles, lisse ses ailes, vole un peu. Une brise légère l’emporte au-delà
ur PROSERPINE,
PROSE
rien séparant l’humide du sec que la sauterelle a franchi d’un bond, tombe sur
alanguie au soleil.
- Ah ! c’est toi ma sœur, quelle surprise… depuis si longtemps…
Elles s’embrassent, leur jeunesse retrouvée. Mais la nature a des desseins qu’on ne peut pas
comprendre : soudain leur tendresse prend feu, une incontrôlable pulsion brûle leurs corps, la
passion les dévore, l’amour bouleverse leurs âmes et voilà les sœurs qui s’unissent irrésistiblement. Bientôt naîtra de leur union –l’inceste a ses charmes- leur enfant Jésus, leur prince charmant, un hybride plein de vigueur, beau comme un dieu. Ivres de bonheur, les sœurs énamourées
contemplent avec bonheur les jeux de leur idole : adulé des fourmis, il joue avec les libellules, se
bronze au soleil, s’amuse d’un rien : il est la joie de vivre. Mais voilà que tout se gâte. Il se dit :
- A quoi bon toute ma virilité si je ne rencontre pas l’âme sœur ?
Pas de fiancée en vue, il sent qu’il est stérile, il sent qu’il ne peut pas, qu’il ne pourra jamais
transmettre le plaisir de partager le doux murmure de l’eau et humer ensemble le parfum des
lavandes, de vivre en amoureux le bonheur du printemps. Il ne joue plus, il s’ennuie. Ses ailes
ont perdu leur fraîcheur, il a vieilli d’un coup, il s’est fané plus vite que les fleurs, il a perdu ses
couleurs. A mi-chemin des jonquilles et du thym, de Diane ou Proserpine, il ne sait pas à quel
clan il appartient, cherche en vain à savoir lequel de ses parents hermaphrodites est son père et
sa mère. Il mourut un beau matin au milieu du chemin, écartelé entre l’humide et le sec.
.14.
Cette légende est conforme aux données scientifiques des ZERYNTHIA – THAÎS.
A un moment donné de leur parcours DIANE et PROSERPINE se sont retrouvées en Provence où
leurs routes se sont croisées. Hôte des berges des ruisseaux, l’habitat de DIANE s’oppose à celui de
PROSERPINE vivant dans la garrigue : elles cohabitent mais ne se rencontrent pas. Mais il arrive
qu’elles s’accouplent, accidentellement. La capture de quelques rares hybrides en est la preuve.
Diane
Prosperine
.15.
LA VARIATION INDIVIDUELLE
CHEZ LES PAPILLONS
Les papillons sont génétiquement programmés :
les descendants d’une espèce sont identiques
au type. Mais certains papillons plus sensibles
que d’autres à l’environnement peuvent
donner naissance à des formes imprévues dont
on ne connaît pas l’origine, l’évolution étant
soumise aux deux facteurs du transformisme :
l’hérédité et l’influence climatique. On appelle
ces variantes des aberrations. Elles peuvent
être plus ou moins importantes. L’Apollon
Noir en est une forme extrême. J’ai consulté
le professeur Henri Descimon célèbre généticien
des papillons à ce sujet. Voici ce qu’il m’a
répondu.
Les collectionneurs de papillons sont très friands
de « bêtes pas comme les autres » qui diffèrent du
type de l’espèce par les dessins ou la coloration
des ailes ; ils les appellent des « variétés », ou
« aberrations », ou, comme disent les Américains,
des « curious ».
1- Au cours de son développement, le papillon
a subi un choc, par exemple une température
basse ou élevée, qui a perturbé la mise en place
des dessins ou la synthèse des pigments ; une
telle variation ne sera pas héréditaire. On
l’appellera une sommation.
2- Le développement du papillon est programmé
par l’ensemble de ses gènes (son génome).
Comme nous, les papillons possèdent (pour
l’essentiel) chacun de leurs gènes en deux
exemplaires.
Les gènes peuvent être modifiés par une
mutation, ce qui peut entrainer une modification
des caractères qu’ils gouvernent. Une mutation
est dite dominante si elle se manifeste même s’il
n’y a qu’un seul gène muté dans la paire ; elle est
dite récessive s’il faut que les deux gènes de la
paire portent la mutation pour qu’elle se montre.
Pour savoir si une variété est une somation ou
D’une manière plus scientifique, on peut désigner une mutation et si celle-ci est dominante ou
ces variants selon les facteurs qui les ont récessive, il faut effectuer des expériences et
engendrés :
des croisements.
Apollons de V.Pierrat
.16.
QUATRE VARIETES SPECTACULAIRES
DE PAPILLONS
1- L’APOLLON NOIR : cette
variété très
spectaculaire et rarissime a été prise dans deux
localités différentes et très éloignées (La vallée de
Casterino dans les Alpes-Maritimes et le Causse
Noir dans le Massif Central). En l’absence
d’élevages et de croisements, il est impossible
de l’affecter à une des catégories ci-dessus ; on
doit se contenter de la qualifier de « variété ».
L’Apollon Noir du Mercantour a été trouvé par
moi-même le 14 juillet 1966 en companie de
mon fils Martin dans le Vallon de Valmasque.
Cette extraordinaire découverte fut à l’origine
de la création de la Maison des Papillons.
(cf. photo dernière de couverture)
L’Apollon Noir du Causse Noir fut capturé par
la femme du docteur Fisher le 20 juillet 1929.
Mis en vente à l’Hôtel de Drouot, il fut acheté au
printemps dernier par Martin Lartigue au profit
de la Maison des Papillons, une fabuleuse
aquisition.
Apollon Noir
2- L’APOLLON WISKOTTI : cette très
jolie variété, spéciale à l’île de Gotland dans la
Baltique, a été élevée et les croisements
génétiques effectués ont montré qu’il s’agit
d’une mutation récessive.
Cette aberration est connue depuis longtemps :
un flux de couleur rouge relie les ocelles à la
base des ailes. Henri Descimon, accompagné de
sa femme, avait réussi à capturer deux mâles
en 1982 qu’ils ont rapportés vivants dans une
glacière jusqu’à son laboratoire de Marseille
où il réussit à les accoupler avec deux femelles
d’Apollons que Vincent Pierrat lui a expédiées
du Jura. L’expérience réussit et depuis plus
de vingt ans, Henri Descimon élève et obtient
des croisements dont il étudie la descendance.
Il a ainsi obtenu par sélection des papillons
extraordinaires, des spécimens monstrueux où
le rouge a envahi les ailes comme un torrent de
larmes sanguinolentes.
Ce qu’Henri Descimon ne dit pas ce sont les
méthodes étonnantes qu’il a utilisées pour en
arriver à ses conclusions.
Apollon Wiskotti
.17.
3- L’APOLLON ZORRO :
il a été trouvé
dans la vallée de Cervières dans les HautesAlpes, où il n’était pas très rare ; les croisements
ont montré que c’est une mutation dominante.
Il n’a pas été retrouvé depuis une vingtaine
d’années. C’est encore Henri Descimon qui a
découvert cette étrange aberration. Je n’ai pas
suivi les travaux qu’il a faits à son sujet.
Dix-huit exemplaires sont connus dont un
spécimen se trouve à la Maison des Papillons.
Apollon Zorro
4- THAÏS HONNORATI : cette magnifique
variété a fait la réputation entomologique de la
région de Digne, où elle n’était pas très rare au
XIXe siècle. Elle n’a pas été l’objet d’études
génétiques et on doit se contenter de la ranger
elle aussi parmi les « variétés ».
Les études concernant cette merveilleuse
aberration font partie des échecs des chercheurs.
Son histoire n’est pas banale. Découverte par le
docteur Honnorat en 1850, cette merveille ne
fut trouvée que dans une localité restreinte
des environs de Digne. Son émergence, bien
que rare, était ponctuelle et dura cinquante
ans. L’Europe entomologiste accourut de toutes
parts et les collectionneurs acharnés voulurent
avoir dans leur tiroir un spécimen de cette
merveille :
il suffisait de récolter des chrysalides de
Proserpine pour voir apparaître de temps en
temps la bête recherchée. Trop facile ! Des
amateurs fortunés payèrent à prix d’or des
autochtones pour qu’ils récoltent Honnorati
à leur place, une mise à mort programmée de
la poule aux œufs d’or. L’aberration se raréfia
puis disparut à l’aurore du vingtième siècle
sans que la moindre étude ne fût faite à son
sujet. M a i n t e n a n t i l e s t t r o p t a r d !
Q u e l dommage, car l’Honnorati n’est pas
une aberration comme les autres. Si on consulte
au Museum National d’Histoire Naturelle
la boîte où sont conservés une trentaine d’Honnarati,
on s’aperçoit qu’aucun des spécimens n’est
semblable à l’autre. Quel est donc le mécanisme
génétique qui a pu produire ces variétés ? Par
quelle tortueuse route un ancêtre lointain du
papillon a-t-il pu nous faire parvenir à travers
combien de millénaires, ces créatures de rêve ?
Non, nous ne le saurons jamais, nous sommes
condamnés à ne pouvoir comprendre. Mais
partageons l’émerveillement que suscitent ces
créatures de Dieu.
Thaïs Honnorati
.18.
Descimon, en Chine 2005
.19.
Dany et Martin dans le Mercantour
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LES CAHIERS DE LA MAISON DES PAPILLONS
TOME II : AU COEUR DES PARNASSIENS
La maison des Papillons
9, rue Étienne Berny
83990 Saint-Tropez
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tél. 04 94 97 63 45
[email protected]
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Photos (sauf mention) : Ville de Saint-Tropez - Jean-Louis Chaix
Conçu réalisé et imprimé en mai 2013
par la Mairie
de฀ Saint-Tropez
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Dépot légal : 2e trimestre 2013
.20.
w w w.s ain t-t ropez. fr

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