« De l`histoire, partie de la mémoire à la mémoire, partie de l`histoire

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« De l`histoire, partie de la mémoire à la mémoire, partie de l`histoire
«De l’histoire, partie de la mémoire à la mémoire,
partie de l’histoire» (Pomian Krzysztof)
«Notre époque est prise de fascination pour le passé. Cette tendance désordonnée
conduit à une confusion essentielle entre histoire et mémoire. La mémoire rend le
passé présent, mais de façon immédiate et sélective ; l’histoire, elle, permet
d’appréhender la distance qui nous sépare du passé en soulignant les changements
intervenus.»
(Extrait de : Régine Robin, La mémoire saturée, Paris : Stock, 2003, p. 16).
Le besoin de mémoire est un besoin d’histoire
«Mémoire, histoire : loin d’être synonymes, nous prenons conscience que tous les
oppose. La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre,
elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de
l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les
utilisations et manipulations, susceptibles de longues latences et de soudaines
revitalisations.
L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est
plus.
La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ;
l’histoire, une représentation du passé. Parce qu’elle est affective et magique, la
mémoire ne s’accommode que des détails qui la confortent ; elle se nourrit de
souvenirs flous, télescopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques,
sensible à tous les transferts, écrans, censure ou projections.
L’histoire, parce que opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et
discours critique. La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire s’en
débusque, celle prosaïque toujours.
La mémoire sourd d’un groupe qu’elle soude, ce qui revient à dire qu’il y a autant de
mémoires que de groupes ; qu’elle est par nature, multiple et démultipliée,
collective, plurielle et individualisée.
L’histoire, au contraire, appartenant à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à
l’universel. La mémoire s’enracine dans le concret, dans le geste, l’image et l’objet.
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les Archives cantonales vaudoises ». En guise de conclusion
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L’histoire ne s’attache qu’aux continuités temporelles, aux évolutions et aux
rapports des choses. La mémoire est un absolu et l’histoire ne connaît que le
relatif.»
(Extrait de : Les lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, t. 1, Paris : Gallimard,
1997, pp. 24-25, Quarto)
La reformulation de la relation mémoire et histoire
«De cet échange entre mémoire et histoire, que peut-on dire de l’opposition entre
vérité et fidélité, introduite par François Bédarida ? Ma suggestion serait que ces
deux vertus ne sont pas opposées l’une à l’autre, mais doivent être reformulées en
fonction de la dialectique qui vient d’être élaborée, entre mémoire et histoire. Seule
une histoire réduite à sa fonction critique satisferait au seul impératif de vérité.
Seule une mémoire privée de la dimension critique de l’histoire satisferait de son
côté au seul impératif de fidélité, comme y incline un usage non critique de la
tradition. Mais une mémoire soumise à l’épreuve critique de l’histoire ne peut plus
viser à la fidélité sans être passée au crible de la vérité. Et une histoire, replacée
par la mémoire dans le mouvement de la dialectique de la rétrospection et du
projet, ne peut plus séparer la vérité de la fidélité qui s’attache en dernière analyse
aux promesses non tenues du passé. Car c’est à l’égard de celles-ci que nous sommes
primordialement endettés.
En même temps que sont mises dans un rapport dialectique les deux vertus de la
fidélité mémoriale et de la vérité historique, les deux significations majeures de
l’histoire sont réconciliés : il n’est pas possible de «faire de l’histoire», sans aussi
«faire l’histoire».
(Extrait de : Paul Ricoeur, «La marque du passé», In : Revue de Métaphysique et de Morale,
janvier-mars 1998, 1, p. 31).
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Qu’est-ce qui est digne de mémoire ?
Quelles mémoires pour demain ?
Archiver pour témoigner, pour commémorer ?
Transformer en histoire la demande de mémoires ?
Les archives sont non seulement entre mémoire et histoire, elles sont à la fois
mémoire et histoire, elles sont un lieu de confrontation entre mémoire et histoire.
L’archiviste est à la fois le gestionnaire et le gardien de la mémoire et de l’histoire.
Il est le dépositaire de la mémoire et de l’histoire des siècles passés.
La
mémoire
et
l’histoire
sont
deux
représentations
du
passé.
«La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle
est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie,
inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et
manipulations, susceptibles de longues latences et de soudaines revitalisations.
L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est
plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ;
l’histoire, une représentation du passé.»
«L’histoire exige des raisons et des preuves. C’est pourquoi l’histoire ne doit pas se
mettre au service de la mémoire, elle doit certes accepter la demande, mais pour la
transformer en histoire.»
(Extrait de : Lucien Febvre, «Vers une autre histoire (1949)», In : Combats pour l’histoire,
Paris : Armand Colin, 1965, p. 437).
Mais à l’heure du tout numérique et la progression inéluctable de la
dématérialisation, l’archiviste est aussi le garant des futures mémoires et histoires
par ses pratiques professionnelles, son évaluation qui passe également par les
éliminations. Des documents archivés ne sont pas uniquement physiques ou
numériques, ils sont constitués à partir d’une démarche de sélection dont les
critères doivent être transparents.
Le défi de l’obsolescence et du recours obligé aux nouvelles technologies constitue
des menaces certaines sur la mémoire du futur. Celle-ci ne peut être garantie que si
l’on s’en occupe dès aujourd’hui, il faut repenser la collecte, la conservation et la
diffusion. Paradoxalement, aucune autre époque n’a produit autant d’archives que
celle que nous vivons, n’a investi autant de nouveaux périmètres patrimoniaux,
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augmenter, démocratisé et décentralisé le champ du mémorable et le nombre
d’institutions en charge de la conservation de la mémoire.
Dès lors, comment assurer que les questions des générations à venir pourront être
renseignées parce que les informations y relatives auront été conservées dans leur
diversité et dans leur intégralité ? La mémoire d’une société sera celle qu’elle se
sera choisie, elle dépendra de la fiabilité et de la pérennité des structures
conservatoires qu’elle se sera donnée. Ce que les générations et les siècles
précédents ont su organiser et créer avec les supports de conservation (pierre,
papyrus, parchemin, papier et imprimé) doit pouvoir être assumé par les nouvelles
technologies qui, pour la première fois dans l’histoire des civilisations, séparent
l’information de son support, peuvent la reproduire, la diffuser, mais aussi la
manipuler et la falsifier, à une échelle sans pareille.
Veillons à ce que la mémoire informatique ne soit pas le fossoyeur de la mémoire
historique.
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