"Docteur que feriez-vous à ma place?" Professionnels de la santé et

Transcription

"Docteur que feriez-vous à ma place?" Professionnels de la santé et
"Docteur que feriez-vous à ma place?"
Professionnels de la santé et processus de décision dans le suivi de la
grossesse
Samuele CAVALLI1
Solène GOUILHERS2
Claudine BURTON-JEANGROS3
Bernice ELGER4
Dans le contexte actuel marqué par la médicalisation et la routinisation des examens
prénataux, le dépistage et la détection d'anomalies sont au centre du suivi de la grossesse. La gestion
des risques se trouve ainsi au cœur de la relation soignant-patiente et interroge leurs rôles respectifs
dans la prise de décision. Malgré l’émergence de la figure d’une patiente autonome, informée et
capable d’évaluer individuellement ses "facteurs de risque", nous constatons que face aux "choix
difficiles", les femmes enceintes explicitent souvent une demande d'inclusion de l'expert dans les
décisions, notamment en matière d'amniocentèse. Dans cette communication nous proposons de cerner
les attitudes des professionnels confrontés à la question typique : "Docteur, que feriez-vous à ma
place?" pour en illustrer les dimensions éthiques.
Issue d’un projet interdisciplinaire réalisé en Suisse associant une analyse juridique et une
analyse sociologique de la relation entre professionnels du suivi de la grossesse et patientes, notre
présentation portera sur les résultats obtenus à partir de 41 entretiens semi-directifs menés avec 26
gynécologues-obstétriciens et 15 sages-femmes exerçant en milieu hospitalier et en pratique privée.
Nos résultats montrent comment les professionnels se positionnent différemment en
construisant des seuils de proximité ou distance par rapport à la demande de la patiente. A travers la
définition du degré d'implication légitime et du rôle à jouer dans le processus décisionnel nous
pouvons mettre en évidence des profils professionnels hétérogènes. Une première attitude consiste à
endosser un rôle d'incitation à l'autonomie impliquant de se soustraire à toute forme de participation.
Pour ces praticiens, l'autonomie va de pair avec la responsabilité individuelle et représente un devoir
pour les patientes. Au contraire, dans un deuxième profil, les professionnels insistent sur les éléments
qui interviennent pour justifier une présence dans la décision. Cette attitude peut aller jusqu'à la
dénonciation des dérives du discours responsabilisant les patients. La revendication de la proximité
constitue un trait spécifique du rôle que ces praticiens s'attribuent. Le troisième groupe de
professionnels, majoritaire parmi nos répondants, défend une position qui se caractérise par l'idée du
partage de la décision. L'enjeu n'est pas celui d'adopter une attitude univoque face au résultat de la
décision mais plutôt de s'investir dans le processus de prise de décision. Ces soignants décrivent ainsi
un rôle d'accompagnement pragmatique qui se distancie du "mythe de l'autonomie" mais qui
néanmoins met en avant le "repérage" des préférences des patientes.
Ces résultats soulignent la complexité de la relation médecin-patient autour de la décision
médicale aujourd’hui.
Article soumis à la revue Bioethics :
Gouilhers S., Cavalli S., Burton-Jeangros C., Elger B., ‘Doctor, what would you do in my position?’
Health professionals and the decision-making process in pregnancy monitoring.
1
Assistant-doctorant en sociologie, Département de sociologie, Université de Genève.
Assitante-doctorante en sociologie, Département de sociologie, Centre universitaire de médecine légale
Université de Genève.
3
Professeure associée de sociologie, Département de sociologie, Université de Genève.
4
Professeure associée de médecine légale et éthique, Centre universitaire de médecine légale, Genève.
2