Salutations d`usage, Bien sûr que je fus président général de l`Union

Transcription

Salutations d`usage, Bien sûr que je fus président général de l`Union
Salutations d’usage,
Bien sûr que je fus président général de l’Union des producteurs agricoles
pendant douze ans.
Bien sûr que je fus président fondateur de Solidarité rurale du Québec.
Bien sûr que je suis Commandant de l’Ordre national du Québec.
Bien sûr que j’ai accueilli les leaders agricoles du monde lors d’un congrès
de la Fédération internationale des producteurs agricoles tenu à Québec, en
1991.
Bien sûr que je fus membre de l’illustre Commission Bélanger-Campeau
mise en place par le premier ministre Bourassa pour débattre de l’avenir
constitutionnel du Québec suite à l’échec du Lac Meach.
Bien sûr qu’au même moment, ou à peu près, j’étais membre du SAGIT
Committee, un petit groupe d’experts chargé de conseiller le gouvernement
Mulroney en matière de commerce international.
1
Bien sûr que je fus nommé Patriote de l’année par le Mouvement national
des Québécois et qu’en conséquence, j’ai fait l’hommage patriotique lors du
spectacle de la Saint-Jean dans la foulée des Leclerc, Vigneault, Duceppe, le
père.
Bien sûr que le ministre Michel Pagé, un grand ministre de l’agriculture s’il
en est un, m’a remis la médaille du Mérite agricole.
Bien sûr que l’Ordre des agronomes a aussi salué mon travail de belle façon.
Bien sûr que la ministre Nathalie Normandeau, alors vice-première ministre,
m’a remis le Prix de la ruralité, à Saint-Camille, dans mon village, et ce, au
moment où je quittais la présidence de SRQ.
Bien sûr que ma première bataille comme président général de l’UPA je l’ai
menée contre le premier ministre Pierre-Elliott Trudeau. Le Nid du corbeau,
un passage ferroviaire subventionné, allait disqualifier les producteurs
québécois.
La petite histoire veut que le premier ministre soit arrivé au
conseil des ministres en demandant qui connaissait Jacques Proulx. Ottawa
apprenait mon nom et ma détermination. On a fait reculer Trudeau sur le
Nid du corbeau, mais j’ai perdu contre son aéroport sur les plus belles terres
agricoles du Québec, une balafre sur la plaine comme sur mon cœur
d’agriculteur.
Bien sûr que je suis un indéfectible militant du P’tit Bonheur et un bailleur
de fonds, ce café culturel qui a fait école au Québec.
De plus, tous les
2
vendredis sauf de rares exceptions, je mange de la pizza, cet exercice
culinaire et de financement qui permet à notre lieu culturel d’animer tout
notre village. J’y ai aussi fait un certificat en philosophie appliquée. Je suis
allé à l’Université de Sherbrooke chez nous, dans mon village, grâce au P’tit
Bonheur.
Bien sûr que lorsque mes parents ont dramatiquement vieilli, j’ai refusé
qu’ils partent du village. Alors avec une poignée de bénévoles on a mis sur
pied une coopérative d’habitation pour personnes âgées.
Mon père y est
mort à 93 ans, trop fier d’être resté chez lui jusqu’à la fin. L’aider à mourir
au village aura été le plus grand service, le plus grand cadeau que je pouvais
lui faire.
Bien sûr qu’aujourd’hui je suis flatté et ému de recevoir un doctorat honoris
causa qui souligne de fort belle façon ma contribution à ma société. Bien
sûr qu’il est rassurant de savoir que les recteurs d’université, tous des
docteurs, voient et estiment le travail d’un paysan. Mais quoiqu’aujourd’hui
je devienne « docteur », que personne ne s’y trompe. Le seul titre, ou plutôt
état de fait, qui me mobilise encore, est celui de citoyen.
J’aurai 75 ans en avril. J’ai quitté l’école à 16 ans au grand dam de mes
parents pour qui l’entrée à l’école primaire signifiait, en outre, l’obligation de
la lecture des quotidiens. Je viens d’une famille où on était des citoyens, des
hommes et des femmes responsables d’eux-mêmes et du bien commun. On
pensait qu’il fallait se mêler de ses affaires. Ainsi, on s’occupait des écoles,
3
des syndicats agricoles, des coopératives, des voisins dans le besoin, de la
vie municipale, etc.
Bien sûr que j’ai la piqure de la politique, bien sûr que je suis stratégique
comme d’autres sont artistiques, mais je suis et je serai jusqu’à mon dernier
souffle un citoyen. Alors je ne suis ni neutre, ni blasé de la chose civique.
Même que je dis à qui veut l’entendre que je m’indigne au moins une fois par
jour.
Et je ne vous cacherai pas que les motifs ne manquent pas! Les
audiences de la commission Charbonneau, la commission parlementaire sur
la Chartre, les annonces ministérielles qui pleuvent, le voyage de Stephen
Harper en Israël, l’écoute électronique des citoyens utilisateurs des aéroports
canadiens, le spectacle clownesque des Olympiques, les efforts dits de
rationalisation du Mouvement Desjardins qui ferment les points de service
dans nos villages tout en augmentant le salaire de ses premiers dirigeants, la
Politique de la ruralité renouvelée qui consacre le pouvoir dans les mains des
élus plutôt que dans celles des citoyens, l’Union des producteurs agricoles
qui s’acharnent sans clairvoyance à défendre les droits acquis.
À noter
qu’en cela, elle fait comme toutes les autres centrales syndicales. Moi, un
témoin vivant de la grève d’historique d’Asbestos, je le dis avec force : les
grands syndicats sont aujourd’hui, comme les bureaucraties du secteur
public – locales, régionales, nationales – des forces d’inertie. Et malgré que je
ne vous aie pas encore parlé des affaires internationales, je suis certain que
vous avez compris l’étendue de mon indignation citoyenne. Indigné de ce
que l’on fait de la démocratie. Indigné de ce que font les gouvernements
4
démocratiquement élus avec nos impôts. Et surtout, indigné du « je-m’enfoutisme » qui gagne la population.
Quand traiter dans les centres
commerciaux est plus crucial que de s’informer, quand regarder la télé est
plus captivant que de s’occuper un peu du village, quand l’insulte fait œuvre
de littérature sur Facebook, il est normal que ceux qui, eux, s’occupent de
leurs affaires, usent des États et des impôts comme bon leur semble. Laval,
Montréal, Saint-Rémi, Mascouche, la Caisse de dépôt, le Fonds de solidarité,
etc, etc, sont possibles parce que nous ne sommes pas assez citoyens donc
responsables du bien commun et de notre avenir collectif. La citoyenneté
présuppose l’engagement notamment à aller voter. Surtout à l’heure où les
impôts financent massivement les partis politiques et les candidats,
ou
financent le sauvetage des banques ou celui du grand capital.
Dans les années 60 et 70, j’ai discuté mille fois de tout cela avec mon voisin
Guy Marceau. Il m’a appris beaucoup et m’a un peu poussé dans le dos.
Jeune et endetté avec une famille à faire vivre, je n’étais pas sûr qu’il faille
m’engager. Or, je suis un peu devenu l’homme que je suis au contact de
mon voisin. Un écorché vif d’une intelligence qui faisait ombrage au soleil.
Il a fini sa vie handicapé et malade. Lors de chacune de mes visites dans
son CSHLD, il me répétait, parlant de l’une ou l’autre de mes actions,
« t’étais pas un génie, toi? » Il savait me donner à croire que faire selon ses
convictions, avec éthique et modestie, est dans l’ordre des choses. Cela ne
relevait ni de l’extraordinaire, ni du génial, ni du divin, mais pouvait être le
fait d’hommes de bonne volonté.
5
Un autre paysan sera mon mentor. Je l’ai rencontré à la fin des années 80,
alors que l’utopie de la mondialisation salvatrice de tous les maux
économiques de l’Occident prenait d’assaut toutes les intelligences. Il était
mon homologue en France. L’ami, Raymond Lacombe. Pour vous dire, à sa
mort, le plus important quotidien en tirage de France, l’Ouest France, titra :
« Raymond la conscience est mort ».
Enrôlé enfant par son père dans la
résistance, son engagement social s’amorce avec la présidence nationale des
Jeunesses catholiques.
Son premier grand discours sera pour appeler la
jeunesse française à rebâtir le pays. Paysan dans l’Aveyron, le département
le plus rude de l’Hexagone, il aura plus les pieds dans l’action sociale que
sur sa modeste exploitation. Bref, lors de notre première rencontre, je savais
que je venais de rencontrer mon frère de sang. En bon ainé, il me corrigea à
la fin de cette réunion pour me dire : « Monsieur le Président, vous n’êtes pas
un agriculteur, vous êtes un paysan, puisque d’abord vous vous occupez du
pays.» Il avait ajouté : « Vous serez notre tête de Proulx en Amérique! »
Quand j’ai quitté l’UPA, il m’a fait l’insigne honneur de prononcer par vidéo
quelques mots. Il a alors terminé son allocution en disant : « Les combats
sont nombreux et les hommes pour les faire, peu nombreux. Nous nous
retrouverons. »
Il était la quintessence de la citoyenneté.
Il était, et je
mesure ce que je vais dire, taillé dans le même bois que Mandela.
Sa
droiture et son sens de l’engagement forçaient à l’excellence.
Dans la lutte théorique et pratique contre la mondialisation, ce que d’aucuns
nomment aujourd’hui le néo-libéralisme ou le capitalisme financier, il nous
6
fallait des esprits, des intellectuels notamment des grandes politiques
agricoles. Quelques-uns sont passés au sein de l’équipe de technocrates de
l’UPA.
J’ai, avec eux, partagé des conversations animées, refait le monde
jusqu’aux petites heures du matin, visité les grandes capitales du monde,
mais l’esprit le plus vif et le plus dévoué aux producteurs et aux productrices
agricoles du Québec est certainement Claude Lafleur.
comme aucun autre économiste.
Il m’a influencé
Il a amélioré mon coffre d’outils en
aiguisant mes arguments et surtout en documentant mes intuitions.
Mes intuitions pour le monde rural ou pour l’agriculture, plusieurs y ont
adhéré. Mais mieux que personne, Jean-Pierre Fournier, mon vice-président
à Solidarité rurale y a cru. Il acceptait d’embarquer dans des projets
audacieux comme la Foire des villages ou les tournées répétées du monde
rural que nous avons faites pour nourrir nos mémoires à titre d’instanceconseil du gouvernement en s’occupant de plusieurs questions d’intendance
comme celle du financement.
Avec Claude Marchesseault, un vacciné du
développement coopératif, économique et régional, nous formions une équipe
redoutable de citoyens capables de se mêler de leurs affaires et capables de
mobiliser leurs semblables.
Mon engagement social est citoyen et moi, Jacques Proulx, je suis né leader.
Ni poète, ni musicien, j’ai le don du leadership. Plutôt autoritaire et sûr de
moi, je ne sais pas pourquoi, ni comment je suis capable de réunir autour de
mes rêves et mes espoirs, des hommes et des femmes qui veulent avancer
7
ensemble. Mais ne pas avoir peur, ne pas trembler devant l’adversaire, être
né pas de « reculon » demande une grande capacité à la solitude, une
prépondérance au silence comme à l’écoute active et une méfiance certaine.
Alors, j’ai côtoyé les plus grands en les évitant, notamment en refusant de
faire de la politique partisane. Je ne suis pas de ce bord-là des choses.
J’aime dire que je suis un paysan qui a pris la parole. Or, cette parole, un
Joël Le Bigot, mon animateur à Radio Canada, m’aura permis de la mieux
faire entendre en me faisant chroniqueur pendant quelques années. Faire
partie de la famille d’une émission c’est un peu adhérer à une tribu. Je suis
de la tribu de Joël Le Bigot.
Dans la tribu des hommes et des femmes qui ont influencé l’homme public
que je fus, il y a aussi Pierre Desjardins, le deuxième secrétaire général de
Solidarité rurale du Québec. Il aura mieux que moi-même été capable de
m’expliquer pourquoi je préférais les enjeux ruraux aux enjeux agricoles.
Parce qu’un jour, m’expliqua-t-il, je ne pouvais plus lire ma vie par la seule
lorgnette de mon métier. Je ne regardais plus le village de ma ferme, mais
bien ma ferme du village.
Ainsi, Marie-Anne Rainville, une complice de longtemps a résumé cela en
écrivant dans mes discours que j’avais besoin d’un village pour être heureux.
Ces quelques mots résument la source profonde de mon engagement en
faveur d’une autre façon aussi juste et féconde d’être Québécois, d’être
citoyen. Au fond, depuis toujours je défends mon droit à vivre en campagne
8
de ma terre. Et je suis heureux qu’une institution comme votre université
salue ce choix en me faisant l’insigne honneur de m’offrir un doctorat
honoris causa.
honneur.
Permettez que je partage avec ma tribu immédiate cet
Les membres de ma petite tribu ont tous des cuisines et des
tables accueillantes qui, au fil de ma vie, m’ont servi de banc d’école.
Merci!
9