la mafia pétrolière

Transcription

la mafia pétrolière
Mai 2003
Contes et comptes du prof Lauzon
LA MAFIA PÉTROLIÈRE
PREMIÈRE PARTIE
par Léo-Paul Lauzon
Mille excuses
D’abord, mes thérapeutes actuels, Pancho et Igor, ainsi que mon ex-thérapeute Fred, qui est
actuellement en thérapie par ma faute, qu’il aime bien me répéter, et pour lequel je dois défrayer
les frais de sa réhabilitation, m’ont ordonné de vous présenter mes excuses. En effet, lors de mes
articles portant sur les scandales financiers, je vous ai fait accroire que les comédiennes
Emmanuelle Béart et Isabelle Adjani étaient à mes genoux, et aussi ailleurs, afin que je leur fasse
la faveur d’aller les rencontrer en France en première classe du Concorde, nourri et logé à leurs
frais et «entretenues» à mes frais. Ceci n’était que le fruit de mon imagination, un autre de mes
fantasmes résultant de mon état permanent de carence affective aigue. Soyez, je vous en supplie,
indulgents et miséricordieux à mon endroit, cela ne se reproduira plus. Je me soigne et ça va
beaucoup mieux. Ça fait cinq ans que mes thérapeutes sont à analyser les trois premières années
de ma vie. Ils croient que mon manque d’affection chronique provient de cette période cruciale de
mon existence. L’autre jour, je leur ai tout bonnement demandé si, avant ma mort, nous allions
avoir le temps de se rendre jusqu’à mon adolescence. Ils n’ont pas du tout apprécié mon
questionnement. Résultat, une autre rallonge de six mois à ma thérapie, qui me mènera, si mes
calculs sont bons, à 137 ans.
Analyse des états financiers d’Esso et de Shell
J’ai étudié très en détail, juste pour vous, les états financiers des douze dernières années (19902001) des deux plus grandes compagnies pétrolières canadiennes appartenant à des intérêts
étrangers, soit l’Impériale-Esso, la plus importante société pétrolière et gazière du Canada
détenue à 70% par la plus grande compagnie mondiale, toutes industries confondues, Exxon
Mobil Corporation des États-Unis, qui a réalisé en 2001 un profit net de «seulement» 24
milliards$, et Shell Canada, détenue à 78% par Royal Dutch/Shell Group des Pays-Bas et
d’Angleterre qui est la sixième entreprise mondiale avec un «minime» profit net de 17 milliards$
dégagé en 2001. Selon le classement officiel des Nations Unies pour l’an 2000, vingt-neuf des
cent entités les plus importantes au monde sont des entreprises, dont Exxon Mobil qui se classe
au 45ième rang, devant le Pakistan.
Autosuffisance en pétrole et le cas d’Hydro-Québec
Disons premièrement que le Canada est un pays largement autosuffisant en pétrole et en gaz
naturel et qu’il est le principal exportateur de pétrole et de gaz des États-Unis. Cela signifie
qu’absolument rien, je dis bien rien, ne justifie les prix actuels shylockiens de ces produits qui
constituent une ressource vitale qui devrait appartenir en droit naturel à la population canadienne.
Voulez-vous bien me dire ce qu’a à voir les événements au Nigéria, aux États-Unis, en Irak, en
Venezuela, etc. avec ces prix indécents, si c’est de notre pétrole qu’il s’agit et que les coûts
d’opération de ces firmes n’ont pas augmenté mais bien diminué au cours des douze dernières
années? C’est comme si Hydro-Québec doublerait ses tarifs à cause de ces événements extérieurs
et d’un été trop long et trop chaud ou d’un hiver trop froid. Même lors de la crise du verglas et du
déluge au Saguenay, Hydro-Québec n’a pas augmenté ses tarifs même si cela lui a occasionné des
coûts additionnels et ne l’a pas empêché d’engranger son milliard de bénéfice net. Imaginez la
situation si Hydro-Québec était une firme privée. On y aurait goûté et on serait tenu prisonnier de
leurs magouilles comme c’est le cas avec les pétrolières, les pharmaceutiques, les banques, les
assureurs, etc. Toutes les excuses sont bonnes pour les affairistes afin de voler le monde
ordinaire.
Donc, disais-je, rien ne justifie actuellement les prix démesurés actuels du gaz naturel et de
l’essence qui constituent bel et bien un vol intégral découlant de spéculations injustifiées et de
manipulations de prix effectuées par le cartel pétrolier d’ici et d’ailleurs.
Fusions, cartel, collusion et manipulations
Au cours des dix dernières années, l’oligopole pétrolier a été renforcé de façon démesurée par de
spectaculaires fusions entre mammouths économiques comme celles d’Exxon avec Mobil, de BP
avec Amoco et avec Atlantic Richfied, de Conoco avec Phillips, de Total avec Elf et avec Fina, de
Chevron avec Texaco, etc. C’est cette poignée de multinationales qui impose leur loi avec leurs
politiciens de service, ceux-là mêmes qui ont autorisé ces regroupements d’entreprises, qui ont
privatisé, qui ont dérèglementé et qui ont été jusqu’à réduire leurs impôts comme ce fut le cas
lors du dernier budget fédéral qui a vu l’impôt sur le revenu de ces bandits être réduit encore une
fois. Saviez-vous mes amis que dans les accords de libre-échange avec les États-Unis, le Canada
a inclut son pétrole et son gaz dans ces traités de cons et que le Mexique les a exclus. Ainsi, on a
perdu encore un peu plus de nos moyens d’intervention au niveau de ces ressources naturelles
qui, comme si ce n’était pas assez, appartiennent majoritairement à des intérêts étrangers. Il n’y
a pas de servitude plus primaire que la servitude volontaire. Vous croyez que j’exagère sur le
cartel pétrolier et l’aplaventrisme des politiciens, et bien voici le titre révélateur de cinq articles de
journaux récents, dont deux proviennent du journal patronal Les Affaires:
o
«Des pétrolières auraient fait monter le prix de l’essence en manipulant leurs stocks» (Les
Affaires, 16 décembre 2000);
o
«Le Sénat américain blâme les raffineurs pour le prix de l’essence (Les Affaires, 25 mai
2002);
o
«Exxon condamnée à verser 500 millions$ US à 10 000 détaillants aux États-Unis (Le
Journal de Montréal, 21 février 2001);
o
«Les ententes secrètes des pétrolières. Derrière des bannières différentes se cache souvent
la même essence» (Le Journal de Montréal, 26 février 2000);
o
«Les compagnies pétrolières ont fortement contribué à la campagne de Bush» (La Presse,
19 mai 2001).
Intégration verticale des pétrolières et produit vital
Une autre caractéristique qui amplifie encore plus le pouvoir indu de ces pétrolières est dû au fait
qu’elles sont totalement intégrées verticalement, c’est-à-dire qu’elles font à la fois de
l’exploration, de la production de pétrole brut, du raffinage et de la vente au détail dans leurs
propres stations service. Enfin, disons que l’essence, qui est la principale responsable, avec les
produits pharmaceutiques et les frais d’assurance, de la remontée de l’inflation au pays, est un
produit vital qui n’entre pas seulement dans l’automobile mais qui fait des ravages dans les coûts
du transport, du chauffage, des loyers, de la fabrication d’une multitude de produits allant du
plastique au papier journal, des coûts publics de déneigement, d’entretien des routes et
d’enlèvement des ordures qui font augmenter les taxes et les impôts, des coûts de production des
agriculteurs et des éleveurs, etc. Voyez-vous, la privatisation d’une ressource naturelle aussi
vitale que l’essence et le gaz naturel n’est pas aussi anodin que de vendre du poil de chameau
synthétique, des crottes de fromage biologiques ou des capotes additionnées de vitamine C.
La solution passe par la nationalisation
La seule solution pour mettre fin à cet esclavage et à cette prise en otage, est de nationaliser ces
ressources naturelles comme l’ont fait avec succès la grande majorité des pays producteurs et
exportateurs de pétrole et de gaz, incluant la Norvège, l’Arabie Saoudite, le Mexique, le
Venezuela, le Brésil, la Malaisie, la Russie, la Chine, etc. Voici, à cet effet, les résultats affichés
par ces sociétés d’État, en 2001, tels que relevés par la revue américaine Fortune:
Nom de la société d’État
Pays
Profit net réalisé en
2001
(En milliards de dollars)
PDVSA
Venezuela
5.9$
Chine
8.0$
Norvège
3.0$
Petrobas
Brésil
5.6$
Petronas
Malaisie
6.1$
Russie
3.2$
China National Petroleum
Statoil
Lukoil
Tous ces pays ont refusé de privatiser ces bien publics. Ainsi, leurs immenses profits
appartiennent à la population et sont réinvestis dans l’économie et les services sociaux du pays
d’origine au lieu d’aller engraisser les poches d’actionnaires privés étrangers qui viennent, une fois
obtenue cette poule aux oeufs d’or, arnaquer par après les individus de ces pays comme c’est le
cas ici même au Canada. Faut-il que nous soyons à ce point aliénés pour avoir laisser ces
impérialistes économiques venir nous coloniser ainsi et partir avec le magot réalisé sur le bras des
Canadiens grâce à l’exploitation éhontée de nos propres ressources naturelles.
Suite au prochain numéro
Dans le prochain article, je passerai en revue avec vous les chiffres que j’ai extrait des états
financiers mêmes de l’Impériale-Esso et de Shell Canada pour les douze dernières années (19902001) et qui viendront appuyer mes dires. Comme mes données financières ont été puisées à
même leurs propres états financiers, les représentants de ces deux compagnies n’ont pu faire
autrement que de reconnaître leur authenticité. Mais, ils leurs ont donné une interprétation
différente. C’est évident que d’analyser ces résultats pharaoniques du point de vue d’un
actionnaire ou d’un investisseur étranger c’est le klondike mais, c’est tout simplement
catastrophique si l’on se place dans la peau des consommateurs, des employés, des entreprises et
de la population d’ici. Le représentant d’Esso a même dit en guise de conclusion à un journaliste
que de toute façon «on connaît les orientations du professeur Lauzon». Ce à quoi je lui ai répondu
très poliment «on connaît aussi les vôtres monsieur, et celles de votre compagnie. Et Dieu merci
que je ne partage pas les mêmes orientations que vous». Vous voyez bien que je suis un modèle
de modération pour les jeunes et que je fais toujours dans la dentelle. Cette retenue exemplaire,
je tiens ça de ma mère. Merci ma petite maman chérie de ne pas être un grogneux qui sacre
comme Michel Chartrand. Définitivement une personne à éviter que me répètent inlassablement
mes thérapeutes. Mais, je le vois quand même en cachette. Ne dites surtout rien à mes
bourreaux, s’il-vous-plaît, sinon ma thérapie sera prolongée jusqu’à 147 ans. Merci à l’avance
pour votre discrétion.