ledesign poétique
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ledesign poétique
Date : 01/07/2014 Pays : FRANCE Page(s) : 196 Périodicité : Trimestriel Surface : 72 % LE DESIGN POÉTIQUE M est-il un oxymore ? Si le nom «design» est souvent utilisé pourqualifier - de façon indue, certes, car il ne s'agit nullementd'un épithète ! un meuble ou un objet au style épuré, on ne peut certainement pas enfermer la discipline dans cette seule esthétique minimaliste.L'ultradécoratif et le poétiquefont en revanche un come-back remarqué, y compris chez les designers les plus radicaux, méditerranéensen tête. Par Anne-France Berthelon Depuis l'Antiquité, le bassin Méditer ranéen a préempté le territoire du beau, et le concept même d'art de vivre s'est articulé autour de cette notion d'esthétique, infil trée dans les moindres lieux et objets qui nous entourent. Qu'il s'agisse de l'Acropole d'Athènes ou de la lampe Arco, dessinée par Achille et Pier Giacomo Castiglioni pour Flos, en passant par la villa Malaparte, à Capri, personnage clé du Mépris, de JeanLuc Godard, beauté rime spontanément avec Méditerranée. Petite précision, toute fois, avant de succomber au syndrome de Stendhal : le bulletin de naissance du design, comme son nom anglo-saxon le laisse d'ailleurs supposer, est indissociable du Bauhaus... allemand, puis du moder nisme Scandinave. Jusqu'à ce que le design industriel italien prenne le pouvoir en Europe, à l'époque des trente glorieuses, avec, aux manettes, des architectes devenus designers par nécessité et des entrepreneurs éclairés qui leur offraient carte blanche. Un business-model qui fonde, aujourd'hui encore, l'âme du design mit/Je in Ilaly, même si la mondialisation a considérable ment affaibli cette organisation structurelle, comme en atteste le récent rachat par le Petit prince libre du baroque contemporain, jaime hayon est à la fois artiste, designer et décorateur. groupe américain Haworth, du Poltrona Frau Group, fleuron du design de la Brianza, avec des marques comme Cassina, Cappellini et Poltrona Frau. Tout au long des années 60 et 70, le design italien a donné naissance aux pièces certainement les plus emblématiques du design mondial, même si, dès la fin des années 60, Joe Colombo prédisait « la disparition du mobi lier» au sein d'un monde toujours plus nomade. Ce sont sans doute les mouve ments antidesign radicaux du début des années 70, tels qu'Archizoom ou Alchimia, apparus autour d'agitateurs comme Alessandro Mendini et Ettore Sottsass, qui lui auront donné raison. En dénonçant l'échec du modernisme et en postulant qu'un objet qui engendre une émotion poétique est un objet hautement fonctionnel à sa manière, les radicaux postmodernes sont parvenus à insuffler du narratif dans les produits, sans pour autant tomber dans l'écueil de la miè vrerie. Respect! En 1981, le curseur de l'antidesign est poussé encore plus loin avec Memphis. Articulé autour d'Ettore Sottsass, de Matteo Thun, de Nadialie du Pasquier —qui fait un come-back très remarqué cette année chez Wrong for Hay —, ou encore de Page 27 George Sowden, le groupe Memphis pro posait un nouveau paysage domestique, coloré et multiple, loin du diktat du bon goût, douze ans avant l'irruption du collec tif néerlandais Droog Design avec son néosurréalisme conceptuel. Deux pièces emblématiques de Memphis ? Assurément l'étagère Carlton, de Sottsass, totem post moderne par excellence, qui trônait dans l'appartement « tout-Memphis » de Karl Lagerfeld à Monte-Carlo et, naturellement, le Tawaraya Boxing Ring Bed, de Masanori Umeda, qui a d'ailleurs servi de décor à la photo la plus connue du groupe. En remet tant au goût du jour des matériaux délaissés comme le Formica —une simple logique économique avouera cependant Matteo Thun au cours de l'une des Dornbracht Conversations, en 2011, puisque la pre mière collection avait bénéficié du inconditionnel de l'entreprise sponsoring Abet Laminati ! —, Memphis a préfiguré, sans le savoir, à la fois le revivalfifiies et les citations eighties qui dominaient la Design Week de New York, au mois de mai, du côté de la jeune création en tout cas. Une chose est sûre :en contestant au minimalisme le droit d'accaparer pour lui seul le rôle fonctionnel du mobilier, cette ren contre improbable entre radicalisme et narratif a continué à qualifier une bonne partie des propositions de design les plus pointues qui se sont distinguées depuis les années 90. Citons les ironiques Tabourets Gnomes, de Starck (Kartell), la WiggleSide Chair en carton, de Frank Gehry (Vitra), les tables et les lampes avec un socle en forme d'animal du collectif suédois Front Design (Moooi), les motifs graphico-opulents du duo néerlandais Studio Job, les meubles sortis de l'imagination de Dali matérialisés par BD Barcelona, ou encore les figurines en porcelaine revisitées par Jaime Hayon. Ultime preuve de la durabilité de ce mou vement ? Les nouvelles créations signées Alessandro Mendini, 83 ans cette année, omniprésentes au Salone 2014 —chez Porro, chez Driade... —, mais également l'appel au do it yourselfet à la personnalisa tion sans tabou lancée par Philippe Starck, à travers la nouvelle marque italo-brésilienneTOG, dont l'e-shop se double d'une plate-forme inédite qui permet la mise en relation entre consommateurs et customizers. L'OPA du décoratif sur le design n'est pas près de s'arrêter ! m Tous droits de reproduction réservés