Jamais baisser les bras

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Jamais baisser les bras
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RUGBY
MAX BRITO. -- Devenu tétraplégique lors de la Coupe du monde 1995, qu'il disputait
avec la Côte d'Ivoire, l'ex-Biscarrossais fait face à son terrible destin, jour après jour.
Une formidable leçon de vie
Jamais baisser les bras
: Rémi Monnier
PORTRAIT
Une vie à lutter, immobile. Depuis douze ans. Depuis le 3
juin 1995, quand, sur la pelouse de l'Olympia Park de
Rustenburg, en Afrique du Sud, Max Brito, l'ailier des
Eléphants de Côte d'Ivoire ne se relève pas. Dès la
deuxième minute de ce match de Coupe du Monde,
plusieurs avants des îles Tongas lui sont tombés sur le
dos. Sous le choc, le cou de Max est en porte-à-faux. Sa
moelle épinière est sectionnée entre la quatrième et la
cinquième vertèbre cervicale.
Le Biscarrossais, alors âgé de 27 ans, n'a jamais perdu
conscience au cours de l'accident. Il apprend très vite
que sa tétraplégie est irrémédiable. Ce que lui dit Jan
Venter, le chirurgien sud-africain qui l'opère aussitôt à
Pretoria. Seul but de l'intervention : stabiliser sa colonne
cervicale. Mais il sera impossible d'améliorer son état
neurologique.
Douze ans plus tard, Max en est là. A l'horizontale, la tête
calée sur un coussin dans sa maison ensoleillée de
Talence, près de Bordeaux. Il peut bouger la main droite,
un peu la gauche, et c'est tout. « Comme deux mois
après mon accident. Malgré tout ce temps passé à la
Avec Séverine. « Mon ange gardien,
Tour de Gassies puis à domicile, en rééducation. Il n'y a
ma chance »
pas eu de miracle. »
PHOTO CLAUDE PETIT
Difficile d'imaginer aujourd'hui que l'homme au visage
émacié sous un drap en coton, aux cheveux ras, a pesé 80 kilos et porté dreadlocks. Que la vitesse
était son fort, et le placage aussi. Comme ses frères Fabrice et Patrick, trois-quarts centres à Tyrosse
et au Stade Bordelais.
Le corps ne suit plus mais l'esprit reste clair. Max Brito, 39 ans le 8 avril prochain, affronte le quotidien
avec une implacable lucidité. Une force qui lui permet de prendre le meilleur sur cette douleur
neurologique propre aux handicapés, ces picotements insoutenables sur lesquels les médicaments
n'ont pas de prise. Pour un mot, une discussion passionnée, un échange de mail via Charlie, son
ordinateur à infrarouge qu'il commande à la voix. L'amertume n'est pas de son monde.
« Me reconstruire ». L'homme a parfois du mal à trouver les mots pour balayer la chronologie de ces
douze dernières années. Parce que, justement, il n'a jamais eu le temps de s'arrêter. « J'ai galéré
pendant sept ans, à me battre chaque jour, d'abord physiquement. J'ai fini par en avoir marre : des
médecins, des infirmières, des blouses blanches... Pas de ceux qui les portent bien sûr, mais de ce
ballet continuel. Au fond de moi, j'aspirais à la paix, à la tranquillité. Alors, depuis cinq ans, j'ai tout
arrêté. Pour essayer de prendre le temps de me reconstruire. »
Même si la tête ne commande plus le corps, et malgré une prochaine opération, Max Brito ne s'attarde
pas sur les conséquences de son accident. Il voit de temps en temps ses deux fils, Mike, 18 ans, et
Anthony, 15 ans, qui vivent en Gironde avec leur mère. Il comprend que la vie avance. « C'est comme
un tsunami. Une émotion forte, concentrée dans le temps. Et puis ça retombe. Ce n'est pas loin et
pourtant, qui en parle aujourd'hui ? C'est normal. »
Du fond de son lit, il estime même avoir eu de la chance. « Mon accident a eu lieu pendant la Coupe
du monde : il a été très médiatisé. Une mobilisation formidable est partie de Biscarrosse, je ne
remercierai jamais assez tous ces gens qui, avec l'argent récolté, ajouté à celui de l'assurance, me
permettent aujourd'hui de vivre décemment. Je ne roule pas sur l'or, ne pars pas en vacances, mais je
vis dans une maison aménagée grâce à ce bel élan de solidarité. Bien mieux que la plupart des autres
handicapés qui n'ont d'autre choix que l'habitat collectif en institut spécialisé. »
Platini et Lomu. Il est vrai que, cet été 1995, le drame de Max n'a laissé personne indifférent. Ses
copains du rugby de Biscarrosse, la ville où la famille Brito s'était installée en provenance de Côte
d'Ivoire quand Max avait 5 ans, ont organisé un match de soutien avec de nombreux internationaux.
Les « footeux » du Variété Club sont venus aussi dans les Landes, Platini et Giresse en tête. A l'autre
bout du monde, Jonah Lomu, la star néo-zélandaise du Mondial, a mis son maillot aux enchères. Et
les Lions britanniques ont rencontré l'Afrique du Sud puis la Côte d'Ivoire pour recueillir des fonds.
A Biscarrosse, les lettres et mots de soutien sont arrivés par centaines. Les collègues d'Electro
France, où Max était électricien, n'ont pas été en reste. Chaque jour de marché a donné l'occasion
aux uns et aux autres de faire un geste pour Max. Comme Séverine, belle jeune fille blonde qui
vendait ses crêpes au marché. Pour Max. Elle ne le connaissait pas. Elle lui a rendu visite, comme
tant d'autres, et juste glissé, sans plus de gravité que ça : « Ne t'inquiète pas. Je reviendrai quand il
n'y aura plus personne. » Deux ans plus tard, elle était là, et ne l'a pas quitté sur ce chemin de
sourires et de larmes. « Mon ange gardien », dit Max, bien conscient là encore de sa « chance ».
Pour Max, évidemment, le rugby est devenu accessoire. « C'est un sport. Et un sport... ce n'est qu'un
sport. » Cette Coupe du monde 1995, la seule de l'histoire de la Côte d'Ivoire, il a pourtant failli la
regarder à la télé. « J'y suis parti à la place de mon frère Patrick, victime d'une pubalgie. C'était un
conte de fées. Et malgré tout, ça le reste. Je ne regrette rien. J'aurais pu avoir un accident similaire en
voiture, en allant au boulot. Et pourtant, avec les Eléphants, on en a pris des tannées en Afrique du
Sud ! » part-il dans un grand rire. Effectivement, 89-0 contre l'Ecosse, puis 54-18 face à la France, où
lui, le joueur de troisième division, se retrouvait face à l'ailier bordelais Techoueyres, aux centres
Lacroix et Mesnel à chaque débordement, servis par la paire de demis Accoceberry-Delaigue.
Fragilité de cristal. De rugbyman célèbre, Max Brito est progressivement passé dans la catégorie
des handicapés anonymes. Ceux qui serrent les dents. « Car la tétraplégie, franchement, c'est plus
dur encore que ce que vous pouvez imaginer. C'est ne pas pouvoir vous gratter l'oreille quand elle
vous démange. Pour vous, rien du tout, un geste effectué sans vous en rendre compte. Pour moi, une
gêne qui devient vite insupportable, se transforme en douleur. »
Au cours de ses nombreux séjours en milieu hospitalier, Max a croisé du monde. Des plus mal que lui,
et surtout des plus seuls. Le mot est lâché. « Le handicap, c'est la solitude. Et la solitude, c'est la peur.
De crever de soif quand on a besoin de boire et que les infirmières sont débordées. De s'étouffer à en
mourir dans une quinte de toux. »
Les hôpitaux manquent de moyens, de chambres adaptées aux personnes handicapées. « Est-ce trop
demander qu'il y en ait au moins une par établissement ? » se révolte Max Brito. « Ca faciliterait la vie
de tous, des malades, des infirmières, bien dépourvues pour faire face à nos lourdes pathologies, et
rarement formées pour cela. Le handicap, quand on ne connaît pas, ça fait peur, ça stresse. Ce qui
manque le plus, c'est la relation de confiance qui permet un rapport détendu. Souvent, c'est moi qui
engage la conversation, qui plaisante pour mettre à l'aise. »
Comme hier sur les terrains de rugby, Max a du répondant, réfléchit, s'adapte et repart au combat.
Avec Séverine en soutien, qui ne le quitte jamais, jour et nuit. L'oeil partout, plus pro que les pros. «
Avec une personne handicapée, il faut être vigilant sur tout, explique-t-elle. Je "bataille" pour tout. Si
on laisse Max quelques heures sur un brancard trop rigide, par exemple, il aura des escarres. Et, dans
un cas comme le sien, un choc sur un talon, ça veut dire un an de soins, un an d'hôpital. Les mots ne
sont pas assez forts, il faut le vivre pour le comprendre. »
Améliorer la vie des personnes handicapées. Si Max Brito entrouvre sa porte, c'est bien pour porter ce
message. Afin de poursuivre ce combat-là où les secrétariats d'Etat et journées « nationales » ont
échoué. « Mais dites-le bien, je ne suis qu'un parmi d'autres, et pas le plus mal loti. »

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