Le Saintongeais: un dialecte d`Oïl entre le passé et le péril Joseph
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Le Saintongeais: un dialecte d`Oïl entre le passé et le péril Joseph
Le Saintongeais: un dialecte d’Oïl entre le passé et le péril Joseph Edward Price I. Introduction: Le saintongeais et ses origines Le saintongeais est un dialecte de langue d’oïl, parlé dans le sud-ouest de France, précisément dans les départements de la Charente et de Charente-Maritime. Quoiqu’il diffère en peu de ses dialectes soeurs avoisinants – le poitevin (parlé dans les départements de Vienne et des Deux-Sèvres), le vendéen (parlé en Vendée), l’angoumois (dialecte parlé dans la Charente et très proche du saintongeais [Gregnon 1957:6]), et l’Aunis (dialecte saintongeais, parlé dans la Charente) – le sainteongeais est parfois classé sous une rubrique commune: le poitevin. Ces distinctions d’appellation reflètent les effets de l’histoire et de la politique historique autant que le développement linguistique à travers l’histoire. Lors de l’invasion de la Gaule par les Romains, les habitants celtes de la région, les SANTONES, s’assimilèrent rapidement à la civilisation romaine. Puisqu’elle jouit de terres fertiles et riches, la Saintonge fut vite devenue une région économiquement puissante et un territoire convoitée par les pouvoirs importants qu’Élianor d’Aquitaine, les Anglais et le trône français. Avec la fondation de la Rochelle au dixième siècle, la terre s’ouvre à la mer, et la tradition maritime enrichit davantage le territoire. En tant que port riche et établissement naval important, il n’est pas surprenant que la ville a failli être détruite à deux reprises: par les Anglais, pendant la Guerre de cent ans (1338-1453) et en 1628, lors d’un siège entrepris par Richelieu, ayant le but de faire capituler cette Bastion de protestantisme au pouvoir royal. La révocation de l’Edit de Nantes en 1685 a signalé, de façon définitive, le déclin du pouvoir protestant dans les domaines économique et politique, et face à la persécution, un bon nombre d’huguenots est parti pour le Nouveau Monde. Cette migration vers la Nouvelle-France n’était pas un phénomène huguenot; déjà depuis un demi-siècle, la Saintonge était le pays d’origine d’un grand nombre de colons qui se sont établis en Acadie, et le dialecte formera la base du français acadien. Linguistiquement, il nous reste très peu d’informations sur la langue et les migrations après les invasions germaniques et jusqu’au Moyen Âge. Grâce à cette pauvreté de documentation et aussi à cause de la ressemblance de certains aspects du saintongeais aux langues d’Oc, on est tenté de postuler que le saintongeais est un dialecte d’Oïl d’adoption; c’est à dire, qu’il y un substrat langue d’Oc. C’est surtout à cause des noms de lieux qui se trouvent en Saintonge que l’on propose cette théorie. Pour résumer la situation sans trop de complexité, il suffit de dire que les mots latin en –acum et –iacum (du gaulois –acus et –ius), désignant ‘villa’ et ‘village’, respectivement, ont donné les désinences –ay/-é et –ec/ -y en langue d’oïl mais –ac et -a(t) en langue d’Oc. En Saintonge, cependant, en plus des toponymes ayant la terminaison dite d’oïl, on trouve aussi ceux qui semblent être le résultat des processus qui ont touché la langue d’Oc. Par exemple, au nord de la Charente, au trouve les villages et les hameaux Les Prés, La Pierre Levée, tandis qu’au sud de ce même fleuve on trouve des termes à origine identique: Les Pras, La Pierre Levade (Chibaine 1970: 42). De même, on trouve au nord les villes de Lorigné, Cressy, et Marsilly; le sud nous donne Lorignac, Cressac, Marcillac (Chibaine 43). La Charente semble donc servir de frontière entre les développements d’Oc et ceux de langue d’Oïl; mais même si on parlait un dialecte d’Oc dans la région, on sait qu’un dialecte d’Oïl l’a sûrement remplacé par le treizième siècle au plus tard. Ceci pourrait expliquer en partie les différences entre le saintongeais et ses dialectes soeurs – le poitevin, en particulier – et les autres dialectes d’oïl. Quelques particularités de la grammaire saintongeaise seront traitées dans la section suivante. II. Description du dialecte saintongeais L’inventaire phonétique du saintongeais comprend toutes les consonnes du français standard (/p/, /b/, /t/, /d/, /k/, /g/, /f/, /v/, /s/, /z/, /m/, /n/, //, /l/, /j/, /w/, //), plus quelques consonnes particulières: un s alvéolaire /s/ (représenté à l’écrit par <s>), un /ç/ palatal (<çh> et <th> à l’écrit), un /s/ vélaire (<ch>) et toute une série de la consonne r: /r/ , /r/ (alvéolaires), /r/, /r/ (vélaires), / r/, / r/ (uvulaires). Le son réalisé en français standard par // se réalise en saintongeais par les pharyngales /h/ or / /, qui s’écrivent <h>, <jh> ou <ge>. Autrement dit, le h dit aspiré se réalise dans un son qui ressemble un peu au /h/ anglais. Les voyelles saintongeaises sont plus complexes; en outre des voyelles du français standard (/i/, /e/, //, /a/, //, /y/, /ø/, //, /œ/, /u/, /o/, //, //, //, //), le saintongeais possède trois nasales qui n’existent pas en français standard (/ i/, / e/, /æ/, /o/) et deux voyelles «relâchées»(//, //). Au niveau de la prosodie, on trouve, en plus des variations de qualité (// vs. / i /) des variations de quantité (i.e., la longueur vocalique) et de hauteur bien marquées et un déplacement de l’accent expiratoire de la syllabe ultime jusqu’à la pénultième. Ce dernier fait est remarquable, et porte des conséquences importantes pour la qualité des unités de la chaîne parlée. Par exemple, les voyelles, sous l’effet de l’accent, peuvent subir la diphtongaison: /e/ /e/; // e; /o/ /ou/; //o, // //. Cette situation est compliquée davantage par une intonation où les montées et descentes ne correspondent pas forcément aux groupes rythmiques, mais opèrent plutôt au niveau du mot. Un locuteur saintongeais pourrait donc donner l’impression qu’il possède un accent tonique ou que l’accent tombe sur une syllabe autre que la pénultième ou l’antépénultième. Ceci pourrait contribuer aussi à quelques processus phonologiques qui ont lieu au niveau du mot: simplification des combinaisons occlusive/liquide, les palatalisations, la métathèse, et l’épenthèse pour en citer quelques-uns. Les combinaisons occlusive/liquide ont tendance à se simplifier; par exemple –dr ou -tr finaux deviennent -d ou -t. Quoique ceci soit le cas pour ces mêmes combinaisons dans d’autres dialectes d’oïl, -vr et –kr finaux, curieusement, demeurent généralement inchangés. En ce qui concerne les palatalisations, on peut en identifier toute une série en saintongeais. La séquence du français standard, /k/ + voyelle, par exemple, se réalise en /ç/, dans des mots du type coquille, quitter, cuisine, coeur, quinze, qui. De façon pareille, /kl/ peut /kj/ ou /çj/ (clou, éclair, cloche); /kl/ (en fin de mot) /kj/ (oncle), /bl/ /bj/ (blanc, sable, bleu [bju] ou [bly]), /fl/ /fj/ (fleur), /lj/ /j/ (lierre, soulier), /po/, /bo/ /pja/, /bja/ (peau, beau), et /si/ /ç / (ici, ça, ce/cet//cette/ces). La métathèse a comme but la simplification des combinaisons occlusive/liquide au début ou à l’intérieur des mots donc français standard prune devient [pœrn], vendredi devient [vdœrdi], fromage devient [fœrmah], autrement devient [otrm], par exemple. La tendance à éviter les combinaisons en question n’a pas échappé aux observations faites par les non linguistes, tels que Grenon (1957): “Le saintongeais … trouve pénible de prononcer bre, fre, cre, gre, pre… il est en effet plus commode de dire ber, fer, cer, ger, per, comme il le fait couramment.” (Grenon 1957:6). Finalement, il faut dire que le saintongeais favorise l’insertion des consonnes d’euphonie, comme le note aussi Grenon: “Ennemi du hiatus… [le saintongeis] dira: “Guernut va-t-à la chasse” et “je l’ai vu-t-et causé…” (7) En ce qui concerne la grammaire proprement dite, les particularités sont nombreuses. Par exemple, dans l’usage du nom et de l’article, il est intéressant de noter que l’article défini peut être employé devant les noms propres: le Raymond; la Charlotte (Chidaine 181), et que la féminisation de noms propres se fait très fréquemment (Doussinet 27; Grenon 5): Chabot, la Chabot; Bouyer, la Bouyère; Perreault/Perraude. Comme dans tous les dialectes, les genres de mot peuvent être différents que ceux du français standard: ine acte, ine ar, d’la boune arghent, la sarpant, le feurmit (fourmis); in reloghe (horloge). A propos des pronoms, le redoublement du sujet est très fréquent, et un pronom sujet peut être omis après un pronom disjoint. Le saintongeais dispose aussi d’un pronom neutre: ol/o/ou, qui correspond à il (impersonnel) ou à ça: ol fait feit, ol fait biâ (i.e., beau). Dans la négation, ne est toujours omis (Chidaine 182); /pa/ ou /pue/ servent de particule négative, et ce dernier peut être renforcé par /ger/. Concernant les verbes, tous les verbes non pronominaux se conjuguent au passé composé avec être. Une construction très fréquente est celle de l’emploi de la forme verbale du première personne du pluriel avec le pronom je (un usage aussi bien répandu en français acadien): j’allons, j’avons. De même, la désinence verbale du troisième personne du pluriel se prononce: -ant (aussi typique du français acadien. Donc, il y a toujours une distinction entre la troisième personne du singulier et du pluriel au niveau du verbe; le pronom, cependant, est le même pour les deux: i (masc.; il devant une voyelle), a (fém.; al devant une voyelle). Finalement, les désinences –r de l’infinitif ne se prononce jamais. Donc, -er se prononce toujours /e/ (le –r ne se réalise jamais, comme dans une liaison); -ir se prononce toujours /-i/. III. L’Etat actuel du saintongeais Il est vraiment difficile de se faire une idée réelle de l’état actuel de la langue, c’est à dire du nombre de ses locuteurs actifs, du rôle de la langue dans la communauté où elle est toujours en usage et des attitudes envers la langue. En tant que langue quotidienne et principal moyen d’expression, il semblerait que le saintongeais est effectivement mort. Dans une description importante du saintongeais faite par Chidaine (1970), l’auteur remarque qu’il avait extrêmement de difficulté à trouver un locuteur qui se servait du saintongeais dans sa vie quotidienne. Lors de ses recherches, entreprises au milieu de la décennie 1960, il a trouvé un bon nombre de personnes qui étaient capables de comprendre le saintongeais, et il a remarqué que, de quelque façon, le lexique a survécu dans le français local. Cette question du lexique se reflète dans les ouvrages qui ont été préparés au cours du XIXe et XXe siècles. Il est vrai qu’il existe des grammaires (e.g. Doussinet), mais les études du lexique sont beaucoup plus nombreuses (e.g. Rézeau, Jonain, Pivetea). Celles-ci datent du milieu du XIXe siècle – peut-être à cause de l’influence néogrammairienne et l’intérêt dans les dialectes de l’époque. Au XX siècle, cependant, on voit quelques éditions populaires (e.g. Grenon, Doussinet) mais vraiment rien de linguistique jusqu’à récemment. Aux années 1990, cependant, on voit le développement d’un renouveau d’intérêt à la langue, comme le témoigne une nouvelle série de grammaires et de dictionnaires, plus systématisés, plus linguistiques, mais à l’accès de la personne instruite moyenne. Apparemment, comme c’était le cas pour le breton, le but maintenant était de préserver la langue telle qu’elle survivait, ou bien de l’apprendre en tant que langue seconde. Pourtant l’attention donnée au lexique est curieuse. On a l’impression que ce sont les termes particuliers au saintongeais que l’on vise, dans le cadre d’un français autrement régional ou standard. Auzanneau (1995) observe que la situation actuelle peut-être considérée comme post-diglossique: le dialecte a été vaincu par le français standard, et n’existe plus sans lui. La structure grammaticale du français sert donc de soutien pour les tournures et termes qui existent toujours dans le parler des gens de saintonge, et permettra l’usage d’autres termes d’origine à y entrer. Néanmoins, en tant que langue autonome, l’idée que le saintongeais est toujours une langue vernaculaire pour certains est sûrement une à questionner. La parution d’un nombre de sites Internet et pages d’accueil sur le réseau mondial reflète le renouveau d’intérêt qu’ont les Français (et les Européens en général) à propos de leurs langues régionales. Mais ce renouveau d’intérêt reflète une nouvelle conscience et sensibilité de ces langues, et probablement pas une croissance du nombre qui les parlent en tant que langue maternelle ou principale. Comme c’est le cas pour le breton, cependant, une sensibilité et intérêt au saintongeais pourrait mener les gens—surtout ceux qui ont des liens à la langue—à l’étudier en tant que langue seconde et à faire partie, possiblement, d’un groupe cultural ou social associé à l’usage de la langue. Quoique les buts des mouvements comme le mouvement breton soient de conserver la langue, mais la question reste à être posée: à quel point est ce que le maintient d’une langue est possible, lorsque l’on l’apprend en tant que langue seconde? Il est imaginable qu’un langue résiste ainsi à la morte proprement dite, mais sans la compétence innée de celui qui l’apprend en tant langue maternelle, la langue visée risque de subir les effet de la langue dominante, dans ce cas, de se franciser. A cet égard, le saintongeais, comme toute autre langue, sera morte, s’il ne l’est pas déjà, d’après cette définition. Malgré les bonnes intentions et la sensibilité à une langue en danger de perte, la seule façon réelle de préserver une langue est par sa transmission par ses locuteurs natifs. Sinon, la langue risque de devenir une langue de culture, une langue littéraire. Pourtant, pour certains, ceci sera préférable à la disparition totale de la langue, même si elle finit par se ressembler de plus en plus à la langue dominante. IV. Le Lien acadien Pour clore cette étude de la langue, il serait désirable de souligner les liens entre le saintongeais et quelques variétés du français nord-américain, notamment l’acadien et le français de Louisiane (le cadjin). Au niveau de la phonétique et de la grammaire, les ressemblances sont parfois bien frappantes. Comme dans bien des dialectes d’oïl, la graphie <oi> se réalise en /we/, mais le système de phonétique détaillé en haut reflète en grande partie la prononciation de l’acadien, et à un degré moins important, celle du cadjin. Il en va de même pour les diphtongaisons, et pour quelques-unes des palatalisations. Quelques aspects de la grammaire y sont trouvés aussi, à part ceux détaillés en haut: l’usage de nous autres, vous autres en tant que pronoms disjoints, être après + infinitif pour les actions en cours, mais c’est surtout dans le lexique que les liens les plus forts sont trouvés. Quels mots saintongeais attestés en Acadie et en Louisiane sont banquette (saintongeais, cadjin: ‘trottoir’); calin (stg., cadjin: ‘paresseux’); chacoter (‘tailler’); commis (stg., cadjin: ‘employé’); garrocher (‘jeter des pierre dans l’eau’); gratton (‘creton’); mouiller/mouillasser (‘crachiner’); pareil comme; rôtie (stg., acadien, ‘pain grillé’). De la même façon que le saintongeais représente une variété d’oïl, qui, même s’il partage bien des caractéristiques d’autres variété d’oïl, est particulier en ce qui concerne la phonologie, la grammaire et le lexique (possiblement à cause d’une influence langue d’Oc), le cadjin et surtout l’acadien le sont aussi, par rapport aux autres variétés du français nord américain, grâce à ce lien direct et important avec le saintongeais. Dans l’acadien et le cadjin, du moins, le saintongeais est bien vivant. Bibliographie Auzanneau, M. Paroles de marché. La Linguistique 31, 2(1995): 47-62 Chidaine, J.G. 1970. A Patois of Saintonge: Descriptive analysis of an idiolect and assessment of present state of saintongeais. Doctoral dissertation, Ohio State University. Doussinet, R. 1971. Grammaire saintongeaise. La Rochelle: Éditions Rupella. Grenon, C. 1957. Le Patois de Saintonge avec un petit lexique saintongeais. Ronce-lesBains: Archives D’Anchoina. Jonain, P. 1869. Dictionnaire de patois saintongeais. Royan: A. Barre. Pivetea, V. 1996. Dictionnaire du poitevin saintongeais. Parlanjhe. Rézeau, P. 1990. Dictionnaire du français régional de Poitou-Charentes et de Vendée. Condé-sur-Noireau: Editions Bonneton.