Devenir image. Dissolution du réel dans le virtuel ? Bref

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Devenir image. Dissolution du réel dans le virtuel ? Bref
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NEAR
Joan Fontcuberta, Atget, de la série Orogenèse, 2004
Devenir image. Dissolution du réel dans le virtuel ?
Bref compte rendu de la table ronde organisée par NEAR au Musée de l'Elysée, Lausanne, le 26 juin 2010
Avec : Joan Fontcuberta, artiste, Barcelone ; Claus Gunti, historien de l'art, UNIL ; Virginie Otth, photographe et
enseignante, Lausanne.
Modérateur : Radu Stern, historien de l'art, responsable des programmes éducatifs au Musée de l'Elysée.
La discussion s'est articulée autour de 4 grands axes : premièrement, la question récurrente de l'ontologie de la photographie : l'essence du médium est-elle
modifiée à l'ère du numérique ? Deuxièmement, les questions relatives aux rapports entre photographie et vérité : le numérique fait-il exploser le mythe de la
vérité photographique ? Troisième point abordé, l'histoire sociale de la photographie : quels sont les changements opérés au sein des catégories amateurs,
artistes, professionnels ? Finalement, il a été question de la dissolution du réel dans le virtuel.
La discussion a porté en premier lieu sur la question récurrente de l'ontologie de la photographie : l'essence du
médium est-elle modifiée à l'ère du numérique ? Selon V. Otth, les rapports au réel et à l'image ont changé pour
le producteur de celle-ci sur le plan phénoménologique, car le photographe voit immédiatement le résultat de sa
prise de vue. J. Fontcuberta souligne l'élargissement du répertoire créatif qu'a permis le passage de
l'analogique − de l'ordre de l'inscription sur une surface, donc une empreinte liée au culte du " vrai "− au
numérique, de nature séquentielle, plus proche de l'écriture. Selon C. Gunti, les années 1990 ont été marquées
par la " post-photographie ", un discours de la rupture postulant à tort une différence radicale entre
photographie argentique et image digitale " photoréaliste ".
Puis, R. Stern a proposé une seconde question : le numérique fait-il exploser le mythe de la vérité photographique ? J. Fontcuberta a analysé les rapports entre photographie et vérité, notamment dans Le baiser de
Judas (1996), pour comprendre les origines historiques et idéologiques de cette convention culturelle de la
transcription fidèle du réel (aujourd'hui, c'est google qui sert d'outil pour vérifier la véracité d'une information !).
C. Gunti s'intéresse particulièrement aux discours théoriques qui ont été tenus sur la photographie et remarque
que le référent y tient une place importante (R. Barthes). R. Stern considère qu'il n'y a pas de rupture
ontologique avec la photographie numérique car de tout temps le médium a été à la fois de l'ordre de
l'empreinte (index) et de la figuration analogique (icone). Il serait plus judicieux de prendre ses distances par
rapport aux théories de l'index et de faire appel au concept de représentation. Ainsi l'ère du numérique offrirait
l'opportunité de réévaluer les théories ontologiques de la photographie.
NEAR • association suisse pour la photographie contemporaine • avenue vinet 5 • 1004 lausanne • www.near.li • [email protected]
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NEAR
Joan Fontcuberta, Landscapes without memory, Aperture, New York, 2005, couverture du livre
Devenir image. Dissolution du réel dans le virtuel ?
Le troisième point abordé fut l'histoire sociale de la photographie : quels sont les changements opérés au sein des
catégories amateurs, artistes et professionnels ? Pour J. Fontcuberta, la photographie est un outil de réflexion
critique dans un contexte d'accumulation d'images. C. Gunti souligne le paradoxe entre omniprésence de l'image −
la communication du savoir passant principalement par celle-ci −et le nombre réduit d'images disponibles sur le
plan médiatique (l'événement est souvent réduit à une image iconique). Pour R. Stern, il y a une dématérialisation
évidente de l'objet d'art par le numérique, mais l'œuvre-concept subsiste. V. Otth relève qu'avec internet, l'amateur
semble croire en une éternité des images sur la mémoire virtuelle du réseau et il ne les sauvegarde même plus.
Nous sommes à la fin d'un processus de sécularisation de l'image, tout le monde photographie avec son
téléphone portable. Ainsi, la limite entre les catégories producteur/consommateur de l'image s'estompe. Mais le
photographe prend la responsabilité de faire son image, de construire du sens. Plusieurs artistes travaillent sur
des images trouvées, des ready-made visuels, dont ils ont effectué la sélection. La notion de l'auteur a été
remise en question par ces pratiques artistiques courantes au 20e siècle.
Finalement, il a été question de la dissolution du réel dans le virtuel. Auparavant, plusieurs étapes distinctes
existaient entre l'événement, la prise de vue et le diffusion de la photographie, alors que les technologies
actuelles (prise de vue et transmission) induisent une quasi simultanéité qui modifie nos rapports à la
connaissance et pose des questions de méthodologie historique. Dès le milieu du 19e siècle, le réel a été
toujours plus vécu indirectement, en passant par la médiation de l'image. La société du spectacle de Guy
Debord (1967) partage ainsi ses origines avec la naissance de la photographie. Le numérique agirait comme un
" révélateur " de ces rapports complexes, médiatisés, au réel (sans que celui-ci disparaisse pour autant !).
Les pouvoirs économiques et politiques imposent des critères de qualité dans le processus d'évaluation des
images ; l'éducation joue donc un rôle fondamental pour développer l'esprit critique. Le photographe opère
aussi dans ce sens car il propose un travail conscient sur la photographie et interroge sans cesse sa pratique.
Pour Mathieu Bernard-Reymond, présent dans la salle, le photographe, l'artiste, est peut-être celui qui veut
partager avec le spectateur quelque chose de spécial, au-delà du visible …
Thématique proposée par Matthieu Gafsou, photographe. Compte rendu : Nassim Daghighian, historienne de l'art.
Voir également : NEXT 21_JUNE 10
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