Pandora, bijoux danois made in Thaïlande LE MONDE ECONOMIE
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Pandora, bijoux danois made in Thaïlande LE MONDE ECONOMIE
Pandora, bijoux danois made in Thaïlande LE MONDE ECONOMIE | 12.11.2014 à 11h34 • Mis à jour le 12.11.2014 à 11h44 | Par Nicole Vulser Pour entrer dans l’enceinte de Gemopolis – une zone franche gigantesque, grande comme une ville – où sont concentrées près de 130 sociétés de fabrication de bijoux à quelques encablures de l’aéroport de Bangkok – il faut montrer patte blanche. Là où des milliers d’ouvriers travaillent l’or, l’argent, les pierres et les métaux précieux, tout y est sécurisé à l’extrême, ce qui n’est pas sans rappeler la chambre forte de Fort Knox. D’ailleurs, les 7 982 ouvriers de la marque danoise de bijoux Pandora – installée depuis 1989 en Thaïlande – travaillent systématiquement sous l’œil de caméras. A chaque fois qu’ils sortent de leur atelier, deux agents de sécurité – issus de deux entreprises différentes – les passent, de la tête aux pieds, au détecteur de métaux. Pour éviter que quelques grammes de métal précieux ne soient tombés par mégarde au fond d’une poche ? Non, « pour prouver leur absolue innocence », explique la direction dans un aphorisme on ne peut plus politiquement correct. L’ENTREPRISE IGNORE LA CRISE Fondée par le Danois Per Enevoldsen et sa femme Winnie en 1982, Pandora ignore la crise et continue de vendre au monde entier ses petits bracelets en argent auxquels les clientes ajoutent de nouveaux pendentifs, au gré des anniversaires, des fêtes, des naissances, des voyages… Mardi 11 novembre, le groupe coté à la Bourse de Copenhague depuis 2010 a publié de nouveaux résultats trimestriels en très forte croissance. Le chiffre d’affaires a bondi de 29 % au cours des neuf premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2013. Au troisième trimestre, il a augmenté de 26,2 %, à 382,3 millions d’euros. Le bénéfice net a grimpé de 41 % sur neuf mois et de 18,46 %, à 97,4 millions d’euros au dernier trimestre. Le PDG Allan Leighton, qui cédera son fauteuil en mars 2015 à Anders Colding Friis, a revu à la hausse ses prévisions pour 2014 en pariant sur un chiffre d’affaires de 1,55 milliard d’euros (contre 1,2 milliard en 2013) et un résultat brut d’exploitation (ebitda) équivalent à 35 % des ventes. Cette croissance fulgurante n’est possible qu’en produisant entièrement en Thaïlande avec une main-d’œuvre très qualifiée à bas prix. L’usine est d’ailleurs bientôt trop petite – les volumes ayant augmenté de plus de 15 % depuis un an – et le groupe va démarrer la construction d’un autre site de production en 2015, à 700 kilomètres au nord de Bangkok. Pandora s’est forgé une notoriété forte aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ainsi qu’en Australie et Allemagne, ses quatre gros marchés. LE GROUPE NE CHANGE PAS DE STRATÉGIE Pour poursuivre son expansion, le groupe ne change pas d’un iota sa stratégie. L’idée du fondateur était de proposer aux femmes de créer leur propre bracelet, trouver leur propre style en choisissant, parmi plus de 700 « charms » différents – des perles en argent, en or, en verre de Murano, ou encore une tour Eiffel, un petit cœur (le plus vendu au monde), une floppée de petits animaux, les lettres de l’alphabet… Tout est fait pour que les clientes collectionnent les pendentifs comme les enfants d’une cour de récréation accumulent des cartes Panini. C’est la raison pour laquelle Pandora sort désormais sept nouvelles collections par an, dont les plus vendues le sont à Noël, la Saint-Valentin et pour la Fête des mères ; et cible aussi une clientèle très jeune puisque le groupe signe ses premiers bijoux en partenariat avec Disney. Les pendentifs et les bracelets représentent plus des trois quarts des ventes. Le reste est assuré par les bagues – en pleine expansion – et les colliers. Ces bijoux qui n’ont pas vraiment de concurrents – à l’exception de marques bien plus modestes, comme Thomas Sabo en Allemagne ou Links of London en Grande-Bretagne – se vendent comme des petits pains dans 80 pays et 9 841 points de vente. Le petit bracelet en argent coûte environ 50 euros et le prix des pendentifs varie – de 29 euros à plus de 250 euros pour ceux en or. Toute la production est réalisée, de façon artisanale, dans cinq des huit bâtiments que constitue l’énorme usine près de Bangkok. La demande étant chaque jour plus importante, rien qu’au cours des douze derniers mois, Thomas Nyborg, le directeur général de Pandora Thaïlande et vice-président de l’usine, a recruté 3 000 nouveaux ouvriers. Moyenne d’âge, 26 ans. En ce moment une centaine d’offres d’emplois est à pourvoir. DANS CETTE USINE QUI FONCTIONNE 24 HEURES SUR 24, 79 MILLIONS DE PIÈCES DE JOAILLERIE ONT ÉTÉ PRODUITES EN 2013 Tous les salariés sont en uniformes. La très grande majorité – celle qui se consacre à la production des bijoux – porte une chemise de coton rouge bordeaux. Les femmes enceintes sont en bleu clair. Le personnel de sécurité en vert, les employés qui travaillent aux ressources humaines en blanc. A la réception, les jeunes femmes sont vêtues de noir. Il existe vingt et un uniformes différents, « un peu comme à l’armée », concède M. Nyborg. Les responsables d’équipes de production sont reconnaissables par leurs manches grises, leurs chefs par des manches noires et les chefs des chefs par des manches blanches…. Dans cette usine qui fonctionne 24 heures sur 24 et où, en 2013, ont transité 370 tonnes d’argent recyclé et 3,5 tonnes d’or pour fabriquer quelque 79 millions de pièces de joaillerie, les ouvriers continuent de travailler selon la méthode classique de la cire perdue. L’empreinte de chaque perle ou chaque bague est d’abord prise dans un petit moule de caoutchouc dans lequel est injecté de la cire chauffée à 70 degrés. Une fois refroidie et extraite, la pièce de cire moulée est attachée à l’aide d’un fer à souder sur une tige. Des rangées de jeunes filles passent leur journée à fixer, au millimètre près, ces petits moules de cire bleue. Sous la lueur violente des néons, cette étape s’effectue dans des ateliers où sont diffusées toute la journée des chansons enregistrées par les salariées ou encore la radio. LE SALAIRE LE PLUS BAS EST FIXÉ À 220 EUROS Ces petits « arbres » de cire sont ensuite noyés dans du plâtre et déposés dans un four. Là, c’est plutôt le domaine des hommes, dans des salles surchauffées ou dans une sorte de remise où il faut porter des bottes de caoutchouc pour ne pas glisser sur l’eau. Avec la cuisson, le revêtement durcit, la cire fond, brûle et laisse l’empreinte de l’arbre à cire. L’argent fondu, à l’état liquide, y sera ensuite injecté et les moules, en fin de cuisson, sont plongés dans des bains d’eau. Ce sont les métiers qui demandent le moins de compétence. Aussi, les ouvriers sont entassés dans des grands bureaux, avec juste un espace minimum pour procéder au dégrappage – l’opération qui consiste à séparer les pièces de métal de leur arbre. Ils portent des bouchons d’oreille pour ne pas avoir à supporter un bruit d’enfer. A l’étage, les tâches sont plus nobles, comme celles du ciselage ou du polissage. Une armée de sertisseurs très qualifiés terminent les pièces les plus rares, constellées de vrais petits diamants – la plupart sont des diamants synthétiques. La direction assure que le verre coloré vient de Murano pour être, d’une main agile et rapide, transformé en petites perles rondes. Dans cette usine où les horaires s’étalent habituellement de 8 heures à 17 heures 30 ou de 22 heures à 7 heures 30 – le temps de travail ne doit pas excéder soixante heures par semaine. Heures supplémentaires comprises. Le salaire le plus bas est fixé à 9 000 bahts par mois (220 euros) mais le salaire moyen atteint 400 euros. « POUR PANDORA, LA FRANCE EST ENCORE UN PAYS ÉMERGENT » Ce n’est pas le plus élevé au sein de Gemopolis. M. Nyborg se targue toutefois d’avoir mis en place une politique sociale forte – avec 13 lignes de bus « maison » qui permettent aux salariés de venir et rentrer chez eux, un petit supermarché où les produits de première nécessité sont vendus moins cher, la possibilité de suivre une kyrielle de formations, une bibliothèque, des congés maternité plus généreux qu’ailleurs…. Il est très fier aussi d’avoir instauré une journée annuelle pendant laquelle tout le personnel peut aller à la plage ou partir en famille dans un parc à thème. De façon quasiment martiale, il affirme que « le personnel ne veut pas de syndicat », bien que ce soit un droit constitutionnel. « Il existe un comité d’aide sociale » d’une quinzaine de représentants élus, explique-t-il, en assurant que, contrairement aux autres usines de Gemopolis, il n’y a pas eu de grèves chez Pandora. « Pour Pandora, la France est encore un pays émergent », concède Patrick Szraga, le directeur général France. Le groupe danois met les bouchées doubles : vingt boutiques ont été ouvertes dans l’année, ce qui porte à 45 les points de vente dans l’Hexagone. Il compte y doubler les ventes dans les trois ans. Il est persuadé que l’« on peut faire des bijoux d’excellente qualité en Thaïlande, bien meilleure qu’en France où l’heure de fabrication étant tellement chère qu’il est fréquent d’aller plus vite pour finir un bijou ».