1 La libération du Grand-Lucé, 1944 Toutes ces
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1 La libération du Grand-Lucé, 1944 Toutes ces
La libération du Grand-Lucé, 1944 Toutes ces lettres ont été adressées à Blanche Paysant, habitant à Lyon Louis Paysant et Blanche Avignon lors de leur mariage le 14 avril 1938 au Grand-Lucé Courte généalogie des personnes nommées dans les lettres : 1ère génération : Marie-Louise Carreau (dite Mémère, 1877-1961) ép. Gustave Avignon (dit Pépère, 1869-1951), habitant Le Grand-Lucé 2ème génération : Blanche Avignon (1899-1981), ép. Paysant, habitant Lyon / Marguerite Avignon (dite Margot, 1900-1991), professeur à Loué 3ème génération : Michel Avignon(1928-), fils de Jean Avignon (1904-1928), recueilli par Marguerite Avignon jusqu’en 1945 De gauche à droite : Marguerite Avignon, Gaston Beaufils1, Marie Avignon (Mémère), Gustave Avignon (Pépère) Devant : Michel Avignon. Photo sans doute prise avant la guerre. 1 1 (Note de Michel Avignon, 2004) Gaston Beaufils, ingénieur des Arts et Métiers, industriel (en particulier fabriquant de roues de traction avant Citroën : les « jantes RAF ») à Paris, était un ancien élève de Pépère du temps où ses parents tenaient l’Hôtel Beaufils sur la « Petite Place » à gauche de la porte d’honneur du château et jouxtant le mur d’enceinte du château. Il revenait souvent au pays natal et à chaque fois était reçu chez les Avignon en véritable ami. Je me demande si la photo n’a pas été prise par Mme Beaufils à l’occasion de leur venue à Lucé dans les jours qui ont précédé ce 14 avril 1938 illustré plus haut, car il me semble qu’ils étaient du nombre des invités. 1 Carte de la Sarthe (partielle) - 1931 Grand-Lucé, Dimanche 21 mai 1944 Nous avons été un moment au calme même nous nous impatientons mais dans la nuit de vendredi à samedi les avions nous ont à nouveau survolé et en grand nombre. Ils ont bombardé Tours et Le Mans, deux trains de munitions ont sauté au Mans et le feu dans les wagons de paille. Cette nuit il en est encore passé mais peu, nous avons entendu encore nos portes trembler mais nous n’avons rien appris. Nous sommes presque toujours sans électricité seulement la nuit pour les boulangers, plus d’indéfrisables : défendues, et aussi le ciné, hier soir il y avait encore ciné mais le courant a été coupé à 9 h, ce soir dernière séance s’il y a du courant, plus de levure chez les boulangers encore pour leurs besoins pour 1 mois et ils sont avertis qu’ils ne recevront peut-être plus de sel. Tout se raréfie très vite. Mémère Avignon Loué, 21 mai 1944 Tous les examens viennent encore d’être avancés de manière à ce que tout soit terminé le 15 juin. Michel doit passer le brevet le 24, c’est-à-dire mardi, mais l’Académie attendait encore l’accord du Recteur vendredi dernier, et il y a toutes les convocations à envoyer. J’espère que tout sera fait à temps. On est obligé de demander des nouvelles au téléphone entre deux alertes. Tu as du apprendre que Le Mans avait à nouveau été bombardé dans la nuit de vendredi à samedi. C’est toujours le Maroc [un quartier du Mans]. Quelques victimes seulement, 5 tués, 5 blessés dit-on, mais c’est difficile d’avoir les renseignements exacts. Les avions ont circulé audessus de nous pendant ½ h environ en vagues si pressées que leur bruit empêchait d’entendre le bruit du bombardement. Seules les lueurs et le tremblement des portes et fenêtres nous ont permis de nous en rendre compte. Et les explosions qui se sont produites pendant environ 1 à 2 heures après le départ des avions. Je crois que cela fait le 8e bombardement du Mans. ... Il paraît que nous n’allons bientôt plus avoir de tramway à vapeur, l’arrivage de charbon ne se fait plus et on va se borner à épuiser le stock, ce qui est m’a-t-on dit, une affaire de 15 jours environ. Nous sommes terriblement rationnés en électricité, nous n’en avons plus que quelques heures par jour, mais souvent la nuit entière. Pour 5 départements de notre région fermeture des cinémas, théâtres, coiffeurs. Les compteurs des coiffeurs doivent être plombés, aussi tous les rendez-vous s’échelonnent sur toutes ces nuits pour les dernières indéfrisables. Une fermière habitant à 3 km environ avait son rendez-vous pour 2 h cette nuit. Heureusement qu’il n’y a pas de grandes patrouilles. On me dit que .... du Mans fait sécher sa mise en pli au soleil, encore faut-il 2 qu’il y en ait. Nous avons attendu le sucre longtemps ce moisci, et ce qui ne va rien arranger, un avion en flammes est tombé sur un entrepôt des Comptoirs Modernes au dernier bombardement. La rumeur ne nous a pas encore fait connaître les dégâts. [en surimpression :] Si, je sais, 17 000 kg de sucre et beaucoup de vin. Marguerite Avignon Loué, 29 mai 1944 Je suis reçu au B.E.. Nous étions tous à Sablé où nous avons été très bien logés et nourris au cours complémentaire. Nous avions tout notre temps entre les épreuves pour aller visiter la ville. Nous sommes revenus par le train comme à l’aller mais avec un train d’une quarantaine de wagons accrochés derrière deux locomotives. Il y avait des wagons de munitions accompagnés d’Allemands. 2 Michel Avignon (16 ans) Grand Lucé, 4 juin Hier il est passé une vingtaine de camions bien camouflés et couverts de branchages, ils sont restés un bon moment le long de notre rue, nous n’étions pas plus fiers que cela puis ils se sont dirigés par les pavillons. Les grossistes sont avisés par la Préfecture de faire leur livraison au plus vite. Leurs camions seront réquisitionnés vers le 15. 7h1/2. Il passe une vague d’avions, environ 70, ils se dirigent encore vers Chateaudun. 8h1/2. Ils reviennent bien aussi nombreux, père Beauclair qui voit toujours grand dit qu’ils sont 180, pas entendu le bombardement. Reçu ce matin une lettre de Margot très ennuyée elle est convoquée pour corriger des examens à La Flèche le 14 pas de train et une bicyclette hors d’usage elle pense aller en tandem avec M. Voyer. Mlle Guerrier exempte en congé et M. Coutelle3 attends la naissance du bébé à cette date. Mémère Avignon Loué, dimanche 11 juin (lettre de Marguerite, à Loué, à Mémère, au Grand Lucé) On commence à y voir un peu plus clair et je crois maintenant que mes lettres précédentes ont dû vous parvenir. Les tramways continuent à circuler régulièrement et nous aurons ici du courrier par voiture postale le lundi, mercredi, vendredi qui apportera et emportera le courrier à 9 h du matin. Nous pourrons donc rester en contact tout du moins tant que cela ne s’aggravera pas pour vous [Pépère et Mémère Avignon à Lucé]. Nous avons été 48 heures sans courant, nous croyions que c’était une mesure générale pour éviter de ramasser les postes, puis nous avons appris que c’était local et le transformateur a été réparé. Avec quel soupir de soulagement nous avons vu les lampes s’éclairer. C’est effrayant tout ce qui a pu circuler de bobards pendant ce temps. Nous avons entendu parler de débarquement à Toulon, de parachutes à Bourges. C’étaient des informations revues et corrigées par les bouches intermédiaires, aussi je prenais la bicyclette de Mlle G. pour aller aux heures convenables auprès d’un accu. Evidemment il serait possible maintenant de vous envoyer Michel, mais je n’ose le faire, la traversée du Mans court un certain risque car c’est tout le temps bombardé, et avec la surveillance continuelle et la mitraille et les bombes lâchées sur les convois des routes, ce n’est guère rassurant soit d’ici au Mans, soit du Mans à Lucé le tramway longe ou traverse souvent la route. Notre voie était réparée le soir même et le tram est arrivé à 9h1/2 du soir au lieu de 9h1/2 du matin. Comme 2 (NdMA) En compagnie d’autres candidats au B.E. et B.E.P.C. j’ai eu une belle peur, car nous étions allés, après les épreuves, faire un tour en barque sur la Sarthe. Nous étions tout près du viaduc de chemin de fer (presque dessous) lorsque deux avions de reconnaissance américains (des Lightnings) l’ont survolé à très basse altitude sans que nous les ayons entendu arriver ; heureusement l’effet de surprise a été tel que même les deux batteries de canon de DCA, établies à chaque extrémité du pont, n’ont pas eu le temps de réagir. 3 (NdMA) M. Albert Vayer était professeur au cours complémentaire de Loué. Il m’a, en particulier, enseigné les mathématiques, l’algèbre, la physique, la chimie et les sciences naturelles. Les jeudis matins (jour de repos à l’époque), il enseignait à ceux qui étaient volontaires, dans l’atelier de l’école, le travail du bois, du fer, le tournage du bois. Mlle Guerrier était Directrice de l’école communale de filles et M. Coutelle Directeur du Cours complémentaire. 3 Michel vous le dit nous assistons d’ici aux attaques sur les routes. Nous sommes en effet à quelques km de la ligne de Bretagne qui se croise à 6 km environ avec la ligne de Normandie, de Sablé à Sillé, et nous voyons souvent de petits groupes d’une demi douzaine à une quinzaine d’avions maraudeurs qu’on voit des fenêtres aller et venir au-dessus des routes. De temps en temps on entend les bombes tomber. Michel passe beaucoup de temps à suivre ces évolutions par les tabatières du grenier4 et se lamente fort sur l’absence de ses jumelles. Je le laisse faire car cela ne présente aucun danger. Ces rondes d’avions se font loin, presqu’à l’horizon et les avions sont gros comme des mouches. On suit très bien leur tactique, mais il est impossible que les bombes viennent tomber ici. Quant aux combats d’avions je ne crois pas qu’ils soient bien redoutables on ne voit pour ainsi dire jamais d’aviation allemande. Michel dit que nous allons creuser des tranchées dans le jardin, nous n’en sommes pas encore là. J’en ai parlé pour le cas où le mouvement d’avance se ferait dans notre direction et pour le cas aussi où on garerait des trains de munitions sur la voie Sillé-Sablé. Il en est question, mais ce n’est pas fait. Je sais que les A. ont pris les mesures de la gare en prévision, mais la décision n’est pas encore prise, et chaque fois que les avions voient un train arrêté quelque part, tous ceux qui passent leur flanquent une décharge. Nous entendons aussi des attaques de train de tous côtés, au Nord c’est Coulie, Rouissé, Nassé, Sillé5. Au Sud c’est La Suze et Sablé. Pour les chemins de fer nous sommes aussi placés au centre d’une ceinture de points objectifs, mais c’est nous qui sommes le mieux placés de toute la région, parce qu’au centre justement. A midi encore nous avons vu la ronde avec bombardements dans une direction qui devait être la ligne Le Mans-Angers, entre La Suze et Avoise. Après cela les avions remontent sur l’Angleterre et en profitent pour visiter la route Le Mans-Laval et ensuite la ligne de chemin de fer. Marguerite Avignon Loué, 13 juin 1944 Avec l’arrêt de tous moyens de communications, on revoit comme en 40 les gens qui vont de Brest à Paris et vice versa à pied, faisant de l’auto-stop avec les camions chaque fois que l’occasion se présente. Le petit train continue à fonctionner mais Maman m’écrit que du Mans à Lucé il y a souvent interruption sans préavis. Je ne crois pas que la désorganisation s’étende jusqu’à vous [correspondants à Lyon] mais ici nous sommes bien servis. Nous n’avons du courant électrique que quelques heures par jour. Nous en avons été privés pendant 48 heures. Ce qu’il a pu courir de bobards pendant ce temps, nous n’avions plus aucun moyen d’informations. Nous nous ressentons vraiment d’être à proximité de la zone d’opérations. Nous voyons un nombre formidable d’avions, les américains passent par centaines. De temps en temps alors que tout semble calme le petit tremblement significatif des fenêtres nous indique qu’il y a pourtant un bombardement quelque part. Marguerite Avignon Grand Lucé, 15 juin Une nuit de la semaine il est passé un convoi de tanks, nous croyions que la maison allait descendre à la cave. D’autres jours ce sont des convois de camions et de temps en temps quelques cars isolés qui avaient dû rester en panne sur la route. A peu près jour et nuit nous entendons les bombardements et le canon, lorsque c’est la nuit nous voyons les incendies de notre lit car nous ne fermons plus les volets. Dimanche dernier c’était à Château-du-Loir une bombe est tombée sur la place mais n’a pas fait de mal mais la gare a été bien arrosée. Ce matin il est passé de quatre à cinq cents avions car on a compté d’un côté 298, il y en avait bien autant de l’autre, il y a eu de nombreux éclatements tout dansait et nous venons d’apprendre qu’un camion de bois a été mitraillé 4 (NdMA) Au cours d’une des séances d’observation au vasistas du grenier, j’ai pourtant vu passer en rase-motte au-dessus de la maison, un chasseur allemand, mais c’est bien le seul que j’ai pu observer (si je puis dire, car il est passé si vite que je n’ai pas vu grand’chose). 5 (NdMA) Conlie est à 18 km au NE de Loué, Rouessé-Vassé également à 18 km, mais au NNO. L’ancienne voie de chemin de fer reliant Sablé-sur-Sarthe à Sillé-le-Guillaume (qui passait à Loué) n’existe plus. 4 à la Croix de Pois6 pas de victimes les conducteurs avaient aperçu la manoeuvre et avaient eu le temps de se réfugier dans les bois. je ne sais s’il y a eu d’autres choses dans le coin car le petit tramway qui apporte le courrier n’est pas arrivé, cela arrive de temps en temps. Hier soir il est passé des autobus de Paris remplis de militaires et de civils, beaucoup de personnes reviennent de Paris soit à bicyclette soit à pied par étapes mais cela devient dangereux de circuler sur les routes, tous les véhicules sont mitraillés.... Comme vous le dit Margot nous sommes souvent sans lumière dons pas de nouvelles depuis hier soir nous sommes sans cela et nous ne savons pas ce qui se passe. G. Beauclair est venu chercher notre petit poste à une lampe pour s’en fabriquer un, nous ne pouvons pas nous servir du nôtre faute de piles. Depuis 8 jours nous mangeons de bonnes tartines de beurre bien grasses et de grosses omelettes. Les fermières le lendemain du débarquement nous ont doublé nos rations sans ordres alors qu’elles savaient bien que depuis deux jours les colis n’étaient plus acceptés. J’ai tout rempli mes pots à oeufs et à beurre et il m’en reste encore nous n’arriverons jamais à tout engloutir hier j’y ai mis un frein, je n’ai accepté que deux livres de beurre et j’ai refusé les oeufs. Nous voilà donc revenus au temps où on nous disait « c’est tout ce qu’il vous faut pour aujourd’hui, Madame ? » même chez le boucher on est obligé de dire oh non ne coupez pas si loin ça suffit mais combien de temps cela vat-il durer ? Je ne crois cependant pas que les expéditions reprendront de longtemps, c’est un grand malheur pour les villes, que vont-ils trouver ? La semaine dernière tout ce qui était dirigé sur Paris a dû rester au Mans, les Manceaux ont du poisson des artichauts de tout et tout ils en ont même envoyé jusqu’ici mais les Parisiens ceinture. ... Nous venons encore d’avoir une période de vent et de froid, mais toujours pas de pluie, aussi nous avons beaucoup de mal avec notre jardin car l’eau fait défaut aussi au robinet, nous en avons à peine 2 h par jour aujourd’hui rien, malgré cela nous avons tout de même des petits pois, des asperges et nous avons même mangé les premiers artichauts dimanche. Mémère Loué, lundi 19 juin 1944 Samedi grosse émotion dans tout Loué, à l’heure du déjeuner, vers 1 h des parachutistes ont atterri sur tout le pourtour de Loué, derrière les dernières maisons, ils devaient être 6 qui s’étaient lancés d’un avion en flammes – que nous n’avons d’ailleurs pas vu – un fort vent a dû les faire dériver loin derrière. Michel et moi nous en avons vu atterrir, un qui se trouvait dans le champ de la fenêtre de la cuisine. Les Allemands du poste en ont arrêté 3 qui étaient blessés, je crois que les autres ont dû prendre le large7. C’étaient des Américains d’une forteresse. Chaque fois que le temps le permet à partir de 7 h du matin et le soir c’est la ronde infernale tout autour de nous, pour la visite des routes qui nous encadrent : Le Mans-Brest, Sillé-Sablé (route de Normandie), Le Mans-Angers. Chacune est longée plus ou moins loin par une ligne de chemin de fer. C’est bien rare si au cours des recherches ils ne découvrent pas quelque chose sur l’une des 6 voies, alors du grenier nous assistons aux allées et venues, aux piqués, le tout ponctué de bombardements et de décharges de mitrailleuses. A Rouissé-Vasé près de Sillé, un train est immobilisé depuis longtemps, ne pouvant plus repartir. Il reçoit tous les jours plusieurs décharges, aussi le village n’a-t-il plus de vitres. Condé et Sillé sont aussi parmi les points les plus copieusement arrosés. Jusqu’ici nous sommes à l’abri car ni la route ni la voie qui traversent Loué n’ont encore servi à des transports. Cependant comme cela peut se modifier du jour au lendemain, plusieurs personnes ont déjà fait creuser des tranchées-abris dans leur jardin. Michel en a commencé une qui doit bien avoir 1 m de profondeur maintenant mais nous allons la faire remplacer par un homme de l’art, elle devient dur et des voisins nous ont demandé d’y avoir droit. Cela pourra être utile aussi suivant la direction que suivront les troupes. La poussée sera-t-elle vers Paris ou vers la Loire ? Dans ce cas nous pourrions être sur le passage. ... 6 (NdMA) La Coix de Pois est sur la route de Volnay à environ 4,5 km du Grand-Lucé, au carrefour de la route de St-Marsde-Locquenay qui conduit à Bouloire. 7 (NdMA) Les parachutistes manquants avaient pour la plupart été récupérés par le maquis de la Grande Charnie à 10 km au NO de Loué. 5 J’ai essayé de faire embaucher M. chez un commerçant grossiste, mais toute activité est morte par faute de transport, plus de trams, courrier 3 fois par semaine, plus de téléphone – il y a deux Allemands en permanence à la poste qui accaparent toutes les lignes. Nous sommes très mal servis comme nouvelles, toutes les bombes et mitrailles amènent la désorganisation du réseau électrique, chaque panne nécessite 2 à 3 jours de réparation pendant lesquels ni courant, ni eau, ni nouvelles. Puis ça revient. Au bout d’1 ou 2 jours, parfois la journée, nouvelle avarie et ça recommence. Nous sommes beaucoup trop près du point des opérations pour ne pas en subir le contre-coup. Margot Loué, 20 juin 1944 Ici à Loué nous avons eu un peu de mouvement car samedi à 1 heure un avion américain a pris feu à la suite d’un combat. L’équipage a sauté en parachute et il y a (paraît-il) 9 hommes d’atterris. Les allemands du poste d’observation en ont pris trois. Un était tombé sur la ligne du tramway entre le cimetière et l’école. Il avait le fémur cassé et avait du mal à marcher. Un autre avait une balle de mitrailleuse dans le bras, et le troisième la langue coupée et je ne sais quoi d’autre. Celui qui était près de l’école, et que j’ai vu était très bien habillé, on voyait le fil électrique qui sert à le réchauffer pendre d’une de ses poches. Il a paraît-il perdu dans sa descente une chaussure, un revolver et son inhalateur à oxygène. il avait des pastilles de viande concentrée. Il est parti dans le courant de l’après-midi avec ses deux camarades prisonniers au Mans dans une auto allemande toute camouflée. Les autres doivent continuer à courir. Ici il passe des avions très souvent et même parfois assez bas. Nous les voyons parfois attaquer des convois aux environs : le vasistas du grenier est un beau poste d’observation. Ils ont l’autre jour lâché des bombes sur un convoi du côté de Brûlon. Nous avons très bien vu la fumée des bombes. Tout le monde croyait que c’était le viaduc de Mareil, pourtant ce n’était pas la direction. Michel Avignon Grand Lucé, 20 juin 1944 Ici nous allons bien malgré les événements. Nous nous demandons de temps en temps ce qui nous attend, le plus terrible c’est que nous sommes presque toujours sans électricité et sans nouvelles, celles qui nous parviennent sont souvent bien déformées et on ne veut même pas les répéter, il faudrait aller soi-même écouter mais c’est assez loin et on évite la fatigue. Dimanche matin il est passé entre 4 à 5 cents avions, quel bruit ils sont passés pendant un bon moment ce serait beau si ce n’était pas si triste. Nous n’avons pas encore envisagé de partir, pour le moment rien ne s’impose puis où voulezvous que nous allions il n’y a aucun moyen de transport que ses jambes et la bicyclette, les deux ne sont pas notre fort il n’y a plus de trains. Les gens reviennent à pied de Paris, hier soir il est arrivé 2 camions de réfugiés de Caen, on vient de passer demander de la vaisselle pour eux. Le pays est plein les boulangers sont désolés car ils n’auront jamais assez de farine il faut prendre des précautions tantôt je suis allée au pain les gens l’emportait sortant du four. Les enfants étaient obligés d’attendre qu’il se rafraîchisse un peu pour pouvoir le prendre. Chez nous la chambre du petit Michel n’est pas encore occupée mais je cherche pour ne pas qu’elle soit prise d’office et par n’importe qui, on parle de troupe, ces Messieurs sont venus samedi voir les locaux de classe, salle des fêtes, et hier matin ordre de licencier les classes et ce matin grand nettoyage partout, ça sent quelque chose. ... 6 Je te quitte pour que ma lettre parte et je suis en conserve de petits pois. Bons baisers. Mémère Beaucoup de Français collaient le timbre portant l’effigie de Pétain à l’envers. Loué, dimanche 25 juin Michel est parti jeudi. Nous sommes partis d’ici à 2h40, arrivée au Mans vers 5h. Je me suis assurée qu’il y avait bien un train pour Lucé, puis je suis repartie à 5h1/2 pour arriver à 8 h. J’ai vu à l’aller comme au retour des gens qui profitaient de l’existence du petit tacot qui leur permettait d’économiser leurs jambes sur une quarantaine de km. A l’aller il y avait dans ce cas 4 hommes et 3 enfants – parmi mes voisins, pour les autres wagons je ne sais pas – avec ballots de vêtements et de chaussures dans les filets. Au retour 2 hommes aux pieds enveloppés de chiffons, le tout dans des espadrilles. A la descente du train c’était la continuation à pied soit sur Paris, soit vers la Mayenne. Il paraît que l’état de la Normandie est épouvantable, tout est détruit, on dit les combats affreux. En tout cas nous en avons un aperçu par les gens que nous voyons venir de la région. Laval est désert, le viaduc a une arche de sautée, mais les 3 ponts routiers ont été visés et non atteints. C’est la ville qui a pris, la rue de la Paix, celle qui aboutit au pont central en arrivant, est par terre, aussi tout le monde a fui dans l’attente de nouvelles attaques. Mayenne est à moitié démolie – 700 morts paraît-il. Dans la Sarthe presque plus personne à Noyen où des centaines de bombes n’ont pas réussi à toucher un pont, alors ça va continuer. Sur la route qui passe à 3 ou 4 km au Nord de Loué ce sont des attaques continuelles de convois8. Heureusement qu’ici même nous sommes sur une dérivation de la route, ce qui nous épargne. Nous avons été au calme tout le début de la semaine, du dimanche au jeudi. Presqu’aucun avion, ni jour ni nuit. Depuis vendredi cela recommence nuit et jour, mais nous ne pouvons pas suivre la liste des objectifs étant toujours sans lumière ni radio. On espère toujours que le courant va revenir mais cette fois c’est sérieux, le transformateur de Noyen qui nous l’amenait est complètement aplati. Nous avons quand même de l’eau depuis vendredi, grâce au montage d’un gazogène c’est maintenant indépendant du secteur, c’est une commodité appréciable. Depuis vendredi nous avons des hôtes de marque, entre 20 et 30, c’est tout à fait du dessus du panier, aussi seules les installations des notaires, médecins, vétérinaires et autres gros bourgeois sont à la hauteur de la situation. Tout le pays est remué par une histoire de maquis local, à quelques km d’ici, découvert au début de la semaine. C’est encore trop récent pour en connaître la répercussion – une dizaine de prisonniers seulement. 8 (NdMA) Après la Libération, il fut dit que la route Paris-Brest, sur son tronçon Le Mans-Laval, retenait en moyenne 1 véhicule militaire détruit tous les 300 mètres ! Tous les jours, en particulier en fin d’après-midi, il y avait un ballet quasi incessant d’avions qui attaquaient en piqué, mitraillant ou larguant des bombes sur les convois allemands se rendant au front. 7 Tout le monde se creuse des tranchées abris. la nôtre est finie depuis deux jours, dans le fond du jardin, avec l’espoir de ne pas avoir à s’en servir. ... J’attends des nouvelles de Lucé, ils voient beaucoup plus de choses que nous, à eux les tanks et les camions. Pour les parachutistes de la semaine dernière, il y a eu 4 blessés arrêtés, et 5 ont pris la fuite. Margot Grand Lucé, 27 juin 1944 Aujourd’hui nous sommes au calme à part quelques camions qui passent de temps en temps. Pas d’avions, mais samedi ils ont mitraillé un camion en face le café de la gare de St Vincent, il n’y a pas eu de victimes mais des dégâts même à l’intérieur du café. Dimanche matin il en est passé plus de 200 nous entendions les détonations, Parigné a surtout pris ils ont mitraillé une saboterie en gros elle se trouve tout à côté de la grande route au coin d’une petite rue qui descend au sanatorium. Je suis sortie dans la rue au moment des détonations et j’ai vu un gros nuage de fumée s’élever je ne sais s’il y a des victimes quelques-uns ont dit que l’instituteur avait été tué d’autres l’ont démonté, il faut presque être sur place pour bien savoir car il est dit tellement de choses qu’il ne faut rien répéter que ce que l’on entend ou voit soi-même. Ici nous sommes calmes puisqu’il n’y a rien eu jusqu’à présent, notre tour est peut-être pour la prochaine fois, en attendant nous n’avons pas grand chose de changé dans notre existence, quelques-uns font des préparatifs de défense, nous attendons de voir un peu comment les événements vont marcher et de quel côté ils se dirigeront nos préparatifs ne seront pas longs, s’il faut partir ce sera en campagne et on ne peut emporter grand chose il n’y aurait qu’au cas où on enverrait en campagne les choses auxquelles on tient le plus mais nous attendons encore... en attendant je continue à faire des conserves tout ce que je peux c’est peut-être un tort je fais comme d’habitude. ... Avons appris ce matin que Cherbourg était tombé cela n’a pas été long. Mémère Loué, 29 juin Nous avons toujours nos pensionnaires de marque, mais tout cela n’est pas gai, ils sont visiblement démontés et sont très pessimistes. Nous avons pour la première fois dans la nuit de lundi à mardi été sur le parcours de troupes montant en Normandie. Dans la journée ils se camouflent dans la campagne et marchent la nuit. Les paysans sont loin d’être fiers du rôle qu’on leur fait jouer. Ils sont chargés d’accompagner leurs chevaux qui tirent les voitures et canons sur une étape et la nuit suivante d’autres paysans du nouveau gîte doivent les remplacer. C’est de plus en plus dangereux à mesure que ça atteint les régions plus au Nord. Il est resté ici un certain nombre de soldats toute la journée de mardi, qui sont repartis vers 10 h du soir. Au Mans les rues commencent à ne plus en pouvoir avec tous les gros tanks qui circulent. Le Mans est d’ailleurs paraît-il plein de blessés, asiles et écoles se transforment en hôpitaux. Pas de nouveaux bombardements depuis celui du 17. ... Aujourd’hui dernier jour de circulation autorisée, même les gazogènes n’auront plus le droit. Je me demande si le petit tramway va continuer les liaisons avec Lucé ? Margot Grand Lucé, 8 juillet 1944 Ici je m’amuse bien avec un camarade : Gaston Champion. Nous faisons des planeurs en bois et nous avons pris des photographies. Nous sommes bien embarrassés car M. Dufeu ne développe plus rien à cause des restrictions d’électricité. Michel Loué, dimanche 9 juillet 1944 Je suis allée au Mans vendredi pour rencontrer Maman et nous avons eu beaucoup de choses à nous raconter car tout ne peut pas se dire par lettres. Nous avons vu tous les camions et toutes les autos en toilette du front traverser la ville printanièrement ornées de feuillages ou recouvertes de 8 filets. C’est bizarre comme depuis quelques temps on ne rencontre plus guère que des casquettes autrichiennes. Vu un grand nombre de visages enfantins. Quelle fête pour les actionnaires du tramway à vapeur. A chaque gare 30 à 40 nouveaux visages candidats aux places debout, tout cela entre, mais nous avons brûlé la dernière station 7 à 8 km avant Le Mans. La sortie des voyageurs ressemble presque à une arrivée d’express à Paris en temps normal, il faut un ¼ d’heure pour gagner la rue. Et le soir on ne laisse passer sur les quais que les gens qui ont des billets, alors que le guichet les refuse, c’est donc uniquement pour les retours. C’est que personne n’est plus pressé de prendre le car, dont le nombre est réduit de moitié d’ailleurs, mais avec les risques de se faire mitrailler en cours de route, tout le monde préfère affronter les 2h1/2 du tram, ce qui n’est possible que le vendredi, les autres jours pas de trams dans ce sens. ... Toute la semaine la population de Loué a été sur les dents, mardi arrestations de 6 hommes qui ont été emmené au Mans et passent à l’interrogatoire. Parmi eux tu connais Saulou, le boucher, et Ricordeau. Inculpation : avoir été faire un tour à un maquis découvert il y a une quinzaine à quelques km de Loué, que les A. ont cerné et où ils ont fait une dizaine de prisonniers. ils ont été cueillis chez eux le matin vers 7h1/2 je crois qu’on saura seulement dans une quinzaine ce qu’ils sont devenus. Je crois que la totalité de la liste n’a pas été arrêtée, il doit y avoir des fuyards. De plus, vendredi, les A. sont venus à la mairie se faire remettre le fichier de la population et en ont tiré un peu plus de 40 hommes qu’ils emmènent tous les jours en camion déblayer la voie du ch. de fer à Noyen. C’était hier le premier jour, ils sont rentés le soir et sont repartis le matin. Vayer est du voyage. La semaine dernière un envoyé de la Préfecture est venu prévenir que 15 000 réfugiés du Calvados étaient attendus on ne sait pas encore si c’est pour la Sarthe ou la Mayenne, mais il faut se tenir prêt à organiser un centre d’accueil, dont nous serons chargés dans les écoles. Ce ne sera que pour des évacués de passage, car ils ne sont pas autorisés à séjourner plus de 48 heures, nous sommes dans la zone dangereuse et ils devront continuer plus loin vers le Sud. Pour l’instant on ne voit que des familles isolées, quelques personnes par jour seulement, qui sont envoyées dans les hôtels. Margot Grand Lucé, dimanche 9 juillet Je suis allée jeudi au Mans pour y rencontrer Marguerite, nous avons passé une bonne journée... Nous avons trouvé Laurence [une tante] dans un état d’énervement formidable. Elle a dû céder sa chambre à un pensionnaire indésirable et elle s’est installée un lit de fortune dans son salon, elle ne peut admettre avoir été ainsi chassée de sa chambre et que quelqu’un d’autre y vive parmi ses souvenirs et dans son lit, encore heureux qu’elle ne soit pas obligée de le partager avec lui, la tante en sourit un peu... ... Ici on ne garde pas les lignes de ch. de fer, mais on garde la ligne téléphonique qui a été coupée plusieurs fois entre Le Mans et St Vincent, ce sont les jeunes qui sont chargés de ce service. Lundi. Malgré la garde cette nuit, il a été coupé 8 poteaux téléphoniques de Lucé à St Vincent. ... Hier pour nous distraire nous sommes allés à la piscine, elle est maintenant installé et c’est très joli, la piscine est bien agrandie il y a le petit bain et le grand. Dans le petit il y a un beau bateau rempli de petits enfants, et dans le grand bain beaucoup de baigneurs excellents qui font de beaux plongeons, puis il y a deux maîtres nageurs qui donnent des leçons et ils ont de nombreux amateurs, la piscine est entourée de jolies barrières peintes en rouge et blanc et un parquet aussi tout le tour. Puis il a été planté des fleurs en arrière, dans le petit bain au dessus il y a des tables et des sièges on y vend des tartines de pâté et des rillettes, et on vend à boire. Dans un autre coin il y a des balançoires et un trapèze, et on doit encore installer d’autres jeux, c’est dommage que le temps ne soit pas favorable car hier il a fait très froid et beaucoup de vent. Mémère 9 Grand Lucé, 19 juillet Nous venons d’avoir une semaine très mouvementée. Mardi soir vers 9 à 10 h du soir nous voyons une allée et venue de chez le maire à la gendarmerie et ainsi de suite, puis Michel en rentrant nous avait dit qu’il était passé à toute vitesse une voiture sans matricule, avec à l’avant une bande noire pour masquer la tête du conducteur et derrière tous stores baissés. Peu après nous apprenions qu’un homme avait été trouvé mort sur le bord de la route du côté du bordage sur la route de St Vincent. peu après nous apprenions que Mercier le minotier de St Vincent avait été arrêté avec toute sa famille. En effet mardi soir des hommes se sont présentés chez Mercier avec un bon pour 20 livres de farine pour les patriotes. Pasqu’ils ont eu ce qu’ils voulaient ils ont montré leurs papiers comme étant de la police et ont ligoté Mercier et se sont fait servir un bon repas bu du bon vin et ont chargé dans leur camion ce qui restait à Mercier de Pernod et de bon vin puis sont partis avec Mercier, sur la route une auto les attendait barrant le passage et à leur arrivée ils ont été salués à coup de mitrailleuse. 3 A. ont été blessés et 1 mort à leur arrivée à l’hôpital et un milicien tué celui qui était resté sur la route et Mercier par ce fait délivré par ceux de la résistance. on le dit blessé mais rien de sûr en tout cas ils ne l’ont pas eu et on dit que sa famille est allée le rejoindre. Je ne crois pas qu’il y ait des sanctions car ils ont été prévenus que s’ils prenaient des otages il serait fusillés le double des leurs, le coin commence à s’agiter sérieusement.9 La nuit suivante il est passé des camions comme nous n’en avions jamais eu toute la nuit, ce fut un vacarme impossible de dormir, puis nous entendions les bombes et les mitrailleuses. Dans la journée Le Mans a encore été bombardée l’embarquement auprès du 117. Cette nuit dernière cela a recommencé comme dans la nuit de mercredi. Pour comble il y avait des avions allemands qui survolaient au moment où des jeunes gens faisaient partir des pétards dans les rues et sur la place. Par bonheur à ce moment le dernier pétard a raté car ils nous auraient fait bombarder, mais ils ont rôdé longtemps et bas, puis vers minuit c’était le tour des autres et ils étaient en grand nombre et cela a duré jusqu’au matin. Je vous assure que ce n’était guère facile de dormir, espérons que cela ne durera pas très longtemps. ... Je viens d’apprendre qu’une ferme de Villaines a été mitraillée hier soir parce qu’il y avait de la lumière. Mémère Loué, 20 juillet Je fanfaronnais mardi en t’écrivant que Loué était tabou. Quelques heures après nous inaugurions la tranchée abri. Peut-être t’avais-je écrit que nous avions un moment tremblé, car il était dans les plans de campagne d’utiliser la voie unique Sablé-Sillé pour le transport des munitions. Elle réunit Paris-Angers à Paris-Brest. En fait elle n’a été utilisée qu’une fois pour un transport de tanks mais elle n’a jamais été perdue de vue par les Anglais qui venaient de temps en temps s’assurer que la gare était vide de wagons et qui à plusieurs reprises ont arrosé de bombes le ballast en divers points. Mardi ils ont pris un moyen radical en s’attaquant au grand ouvrage d’art de la ligne, un viaduc [celui de Mareille ? d’après une lettre ultérieure] situé à 2 km d’ici (20 à 30 m de haut, 150 de large environ). Pendant ½ heure 20 avions se sont acharnés dessus à basse altitude et ont fait sauter une arche sur les 7 qu’il comportait. Malheureusement au début de l’attaque je me trouvai dans la rue avec une dame qui promenait sa petite fille de 9 mois. Quand nous avons senti que c’était si près elle a eu peur pour le bébé et je lui ai fait les honneurs de l’abri, Mlle G. me voyant a pensé que cela s’imposait.. Nous nous y sommes finalement retrouvés 8 et 2 jeunes enfants à entendre les avions ronfler au-dessus de nous et à entendre les éclatements. Nous avions oublié le fameux viaduc et nous demandions bien ce qu’il leur prenait, pensant à une erreur. De ma fenêtre j’aurais tout parfaitement vu, c’est à 300 m d’un village qu’on voit très bien de ma chambre. 9 (NdMA) Je suis perplexe au sujet de la chronologie des événements : si le 9 juillet 1944 est un dimanche, la lettre a été écrite le mercredi 19 et ne peut que relater des événements antérieurs, et pas encore ce qui s’était produit l’après-midi même. Or je me souviens que c’est un jour de marché (donc un mercredi) qu’une traction avant a traversé le marché en trombe, portant, à ce qu’il se disait, sur une de ses ailes avant un maquisard couché et armé d’un fusil-mitrailleur, venant de la route de Pruillé (vraisemblablement du maquis de la forêt de Bercé) et se dirigeant vers St-Vincent-du-Lorouër à la rencontre de la voiture de la Gestapo emmenant au Mans leur prisonnier, Mercier le minotier de St-Vincent (?). Mais y aurait-il eu une autre opération similaire du maquis à cette époque ? Je me souviens aussi que la Gestapo est venue à la brigade de gendarmerie de Lucé pour arrêter le gendarme Gaborieau, un des responsables du maquis. 10 Hier nous avons été sur place voir le travail, travail très précis, tout est tombé dans un rayon de 50 m à peine de chaque côté, le petit village n’a rien, sauf les vitres en grand nombre descendues. 2 femmes blessées assez légèrement, une cependant à l’hôpital avec un doigt arraché et un éclat dans l’épaule (elles avaient leur maison presque au pied du viaduc). 3 vaches tuées. De beaux entonnoirs qu’on était en train de combler dès hier. Ici quelques vitres et glaces descendues par le souffle. Les assiettes de Mlle G. descendues des murs. Mais quelle animation dans les carrefours une fois les avions repartis. Moralité, toutes les lignes doivent être parfaitement « bouzillées » partout pour qu’il ne reste plus que celles d’un aussi mince intérêt que celle-ci. Margot Grand Lucé, 22 juillet 1944 Depuis ma dernière lettre, il y a encore du mouvement. Dimanche le mécanicien de St Vincent a été tué d’un coup de pistolet par un inconnu qui s’est présenté chez lui pour lui offrir de lui vendre de la ficelle, et on continue toutes les nuits à couper les poteaux du téléphone, cette nuit dernière c’était vers les Guimeries [?] rien que 6. Sur la route de St Calais ils installent une ligne souterraine. Il passe tous les matins un camion de travailleurs civils qui vont faire la tranchée et ils repassent le soir. Nous attendons des réfugiés il peut en venir 300 mais ce n’est pas pour séjourner, seulement une nuit ou deux. Ce sont des gens de l’Orne et de la Mayenne qu’on évacue d’office 5 km en arrière des lignes, ils viennent à pied par étapes aussi il est recommandé d’installer une infirmerie car il y aura des pieds blessés. Les autos aussi continuent à passer c’est presque sans arrêt et que de bicyclettes avec des pauvres gens chargés et exténués. Quelqu’un de Paris que nous avons vu ce soir nous a dit que sur la route de Paris les bicyclettes étaient coude à coude aussi pressées que les autos en 40. ... Samedi Ce matin il est arrivé des officiers A. pour loger 200 hommes au repos. Ils ont visité les classes la Chaumière10 la villa Vérité il est 3 h de l’après-midi ils sont encore là et sortent de la gendarmerie avec le garde-champêtre. Je crois que cette fois il n’y aura rien à faire pour les éviter car ils ont commandé à Mme Pajois [?] de vider sa Chaumière et les salles. Mémère Loué, 27 juillet 1944 Depuis dimanche l’activité aérienne a repris, les bombardements ont repris tout autour et Le Mans en a eu plusieurs ces jours-ci, mais rien de grave encore une fois. Je crois qu’aujourd’hui ça va se calmer avec le vent qui recommence à souffler. Nous avons eu un peu d’espoir de retrouver un peu de courant électrique, dimanche, lundi et mardi nous en avons eu quelques petites fois, mais c’est bien fini, on est en train d’enlever tous les plombs extérieurs, ne continueront à en recevoir que les docteurs, le maire (est-ce à titre de vétérinaire ?) les moulins et l’hospice. Les promenades du soir vont recommencer mais c’est assommant. Il y a une semaine je me déplaçais jusqu’à 3 fois par jour, je n’avais plus le temps de faire autre chose. Nous nous demandons ce qui va arriver au Mans, dans la nuit de lundi à mardi une bombe à retardement a éclaté dans les sous-sols de la grande poste où sont installés tous les fils et central allemands. Il paraît que tout a proprement sauté, rien aux bâtiments et cela doit terriblement entraver leur communication. Comme 1ère réaction le directeur des postes est arrêté avec sa famille, alors que ce service n’était pas accessibles aux Français. Depuis le débarquement, nous avions ici une permanence à la poste de 3 téléphonistes ou mécaniciens du téléphone. Ils s’escriment des journées entières à faire du neuf avec du vieux, manquant d’isolateurs, de soudures, etc. pour toutes les réparations, les résultats sont loin de soulever l’enthousiasme, mais ils sont ravis quand ça va à peu près. ... A propos, les esprits sont terriblement surexcités. Un certain nombre de personnes sont tenues depuis longtemps pour suspectes et même malfaisantes. Plusieurs ont déjà cherché à se disculper par voie d’annonce au tambour, et tout en brandissant leur blancheur immaculée, usent de la menace pour arrêter les langues. Le plus qu’on puisse espérer c’est un peu plus de retenue dans les 10 (NdMA) Ce que l’on appelait « la Chaumière » était une salle de bal et de cinéma du café Papin, sur l’ancienne « place Verte » face au monument aux morts et à l’école communale des filles. 11 conversations mais les griefs et l’esprit de vengeance ne plieront pas pour cela. Il y a de la tempête dans l’air aussi à propos des travaux faits par requis sur les lignes. La 1ère équipe a très difficilement obtenu du maire qu’il y ait relève au bout de 10 jours, après 20 jours la question devient cuisante, le maire voudrait bien des administrés agneaux qui ne fassent pas d’histoires, mais comme cela représente une perte de travail (personne ne compte toucher le salaire promis) et un danger – 8 bombes sont tombées dernièrement sur le chantier – les requis voudraient une égalité pour toute la population grevée de cette obligation. Les premières équipes ont raconté avoir travaillé avec des requis d’autres communes et des femmes russes qui pieds nus sont obligées aussi de faire les terrassements. Il y en a pas mal au Mans, dont le sort soulève la compassion de tous ceux qui les voient. Je tâcherai de parler avec quelqu’un qui les ait approchées pour avoir des faits certains. Margot Grand Lucé, 27 juillet 1944 Nous allons bien, rien de changé dans notre vie pour l’instant, nous attendons les événements avec calme. Nous espérons un peu que tout soit fini avant que la bataille arrive par ici. Samedi dernier nous avons eu à coucher des réfugiés de Caen, ils sont partis de chez eux volontairement mais depuis 15 jours qu’ils étaient en route leur pays qui sont tout près de Caen a été évacué. Les A. avaient enlevé les tombeaux des cimetières pour en faire une ligne de fortifications, ils vivaient à peu près dans leur cave sous les bombardements, et ils avaient un petit garçon de 3 ans c’est ce qui les a décidé à partir avant l’évacuation. Pourtant le petit n’avait pas peur il est tombé des bombes pas loin de lui, il restait très calme et ne pleurait pas c’était un bon petit blond tout frisé et bien gentil. Ils étaient 8 dont 5 à bicyclette et la grand mère et le petit bébé et une autre dame en voiture, ils vont par étape et d’une mairie à l’autre on les signale pour qu’il y ait une voiture réquisitionnée afin qu’ils en changent tous les 10 à 12 kilomètres la voiture se charge aussi des bagages et des remorques lorsqu’il y en a. Ils doivent se rendre au Sud de la Loire, ils nous ont dit qu’ils doivent se rendre dans l’Allier. Rien ne veut rester par ici ils disent tous que nous sommes très mal placés, en tout cas pour l’instant rien à craindre, car l’avance est tellement lente. Les réfugiés disent aussi qu’il y a des avances et des reculs et que c’est très dur. Depuis hier nous avons des troupes d’occupation une quarantaine environ il doit en venir 500 ceux-ci sont logés à l’école des garçons. Les autres doivent aller dans les autres écoles, la chaumière, la salle des fêtes, la Villa Vérité (ils ont expulsé les réfugiés qui y logeaient), puis le Château. Le musée va devoir partir, mais les gardiens essayent de faire traîner les choses. Il n’y a encore rien de définitif pour savoir où ils vont l’emmener, peut-être une partie au Lude et les reste dans un autre château des environs du Lude. Un des gardiens nous a dit ce matin qu’ils avaient mis deux mois à aménager qu’il fallait toujours bien compter un mois pour l’enlever et qu’il leur fallait 40 camions de 10 tonnes. Ils doivent aussi monter des baraquements dans le parc, peut-être vont-ils ramener ceux qu’ils ont enlevés, nous ne sommes pas très fiers de cet entourage que les avions [... ?], puis nous allons bien avoir un officier à loger. Cela fait beaucoup d’animation dans le pays il passe sans cesse des camions et des autocars remplis de matériel, de lits, de draps. Ils en ont descendu hier des piles dans la Villa Vérité, ils ont dit que c’était pour les grands malades, toute la journée ils cognent, hier soir ils sont venus nous demander un menuisier nous leur avons dit qu’ils étaient tous en Allemagne. Ils ne veulent pas comprendre que nous n’avons pas d’eau surtout au moment où nous avons l’électricité, nous leur avons fait comprendre qu’il fallait tourner une roue pour avoir de l’eau au Château ils ont ri croyant que l’on se fichait d’eux. Il y en a de très jeunes ... [mot illisible] nous en avons vu un qui n’était sûrement pas plus vieux que Michel, un beau gamin on serait plutôt tenté de le cajoler que de le repousser cela fait pitié, hier soir il jouait dans la rue avec ses camarades, il criait halte lorsqu’il passait un vélo qui ne s’arrêtait d’ailleurs pas et cela le faisait rire. Cette nuit ils ont dû patrouiller le long de la rue car nous entendions les bottes, mais ils n’ont pas fait grand bruit tout a été très calme. Ces jours derniers avant leur arrivée il en est passé un dans les Saintonnières qui demandait des vêtements il disait fini la guerre moi repartir. Hier à la Mairie Pépère en a entendu un qui disait à bas la guerre ils en ont tous assez. Mémère Grand Lucé, 1 août 1944 12 Vendredi 28 vers 18 heures Monsieur Cartier instituteur à St Pierre a reçu une visite d’un inconnu qui lui a présenté une convocation comme devant se rendre au Grand Lucé, en même temps il lui envoie 2 balles de revolver, une dans la cuisse et une dans le ventre, il a été transporté au Mans où il a succombé presque à son arrivée. Ce Monsieur avait été arrêté au début de la guerre comme communiste et ensuite relâché quelques temps après, tout le pays avait remarqué qu’il était changé du tout au tout, puis il avait été nommé au Mans grâce à ses libérateurs sa femme était restée institutrice à St Pierre et c’est chez elle qu’il a été frappé. Le même soir vers 8h30 le tramway du Mans à La Chartre a été mitraillé au passage à niveau avant La Chartre à l’heure actuelle il y a 12 morts et vingt cinq autres blessés dont une grande partie grièvement il se trouve des gens des environs et des réfugiés une famille de Caen dont le mari et un enfant avaient été tués à Caen. La mère et 2 autres enfants viennent se faire tuer à La Chartre il reste deux petits encore. Puis une jeune fille de 13 ans que nous aimions bien elle était réfugiée ici avec ses camarades du Cours Complémentaire de Pontlieu elle venait chez nous prendre des leçons de violon. Elle allait tous les 15 jours chez ses grands parents à La Chartre comme une fatalité elle avait avancé d’un jour. Elle a été tuée et sa mère grièvement blessée cette petite prenait pension chez Emilien Macé. 11 Dans la nuit du samedi au dimanche encore des inconnus se sont présentés dans une ferme où couchait Mademoiselle Mercier nièce de Monsieur Mercier arrêté. Ils l’ont emmenée et sur la place de l’église lui ont coupé les cheveux et attachée à un poteau avec une pancarte que quiconque la détacherait avant 11 heures et préviendrait la gendarmerie subirait le même sort. Le maire l’a délivrée dans la matinée on reprochait à cette jeune fille d’avoir trop bavardé. Et les poteaux continuent toute la nuit à être coupés. Nous craignons beaucoup qu’il y ait des sanctions, car depuis mardi nous avons des occupants. Il en est d’abord venu une cinquantaine pour organiser ils ont pris toutes les classes des écoles la chaumière la salle des fêtes et la Villa Vérité avec tous les communs. Ils ont chassés les réfugiés qui y logeaient. Hier matin il en est arrivé 150 à 200 plus les officiers, un a dit qu’il devait en venir 5 000 dans les environs, et sans doute 1 000 pour ici. Ils doivent monter 600 lits comme ils sont à étage cela fait bien 1 200, et comme la place leur manque ce matin ils ont fait déménager une classe que M. Drouet avait gardé pour y mettre le matériel des 3 classes. Puis ils ont fait déménager le Cours Complémentaire qui était installé dans l’ancien hôtel Beaufils12. Ils sont furieux de ne pas avoir le Château ils ont bien essayé mais ils ont reculé devant les difficultés de transport, ils se vengent par ailleurs. Les officiers sont logés chez l’habitant nous en avons un très grand parlant français, il a l’air très à l’aise tout en étant correct, il nous fait une drôle d’impression car il n’a pas l’accent allemand, une dame réfugiée de Paris que j’avais hier a fait la même remarque lorsqu’elle l’a entendu parler, ce matin les voisins disaient on dirait plutôt un Anglais, enfin nous allons tâcher de nous entendre et nous verrons pour la suite. Il passe presque chaque jour des réfugiés surtout de la région de Caen j’en avais à coucher il y a une huitaine et hier soir c’était des Parisiens venus en camion. Ils se rendaient à Lhomme et comme le camion est venu par St Calais ils ont du descendre ici et le conducteur est venu jusqu’à notre porte pour les faire descendre, comme il était impossible de trouver une voiture pour les conduire un des Messieurs est parti à Lhomme avec la bicyclette de Pépère pour chercher une voiture, mais il était trop tard pour faire le voyage aller et retour avant le couvre-feu à onze heures. Je les ai gardé à dîner puis 4 ont couché ici et les 2 autres avec un garçon de 22 mois chez Beauclair. Ils sont repartis dans la matinée par 2 voitures de Lhomme qui sont venues les chercher ce matin. ... J’oubliais de vous dire que ce sont des convalescents que nous avons et des blessés légers. Ils sont là en attendant de repartir au front. Hier soir quelques-uns sont venus devant notre porte et dansaient et chantaient, ils sentaient les jeunes parisiennes, nous leur avons dit croyant les chasser il y a un chef ici, un a répondu « sais bien capitaine on s’en f... lui restera et nous au front All. Kaput », puis en partant « reviendront demain », aussi ce soir tous les jeunes sont priés de rester dans la cour. Mémère 11 (NdMA) le mitraillage du petit train qui allait à La Chartre s’est produit au carrefour de Brives. J’y ai perdu une bonne camarade à laquelle Pépère donnait des leçons de violon que je partageais. Depuis cet événement tragique, je n’ai plus touché à un violon ! 12 Hôtel Beaufils déjà fermé depuis longtemps et cité en note 1 13 Loué, 2 août 1944 La population de Loué a fini par avoir gain de cause, le maire est allé à la Préfecture et il en est résulté que tout le monde devait aller faire les travaux sur les lignes, aussi maintenant c’est 12 hommes à la fois, renouvelés tous les 2 jours, avec une périodicité de 3 semaines. D’après Maman, il y a les mêmes démêlés à Lucé à propos du centre d’accueil, Mme B. arrange ça pour ne pas avoir de mal, peu importe si les autres en ont davantage. Toute cette classe se rue en avant pour avoir les postes honorifiques, mais personne n’est prêt à payer de sa personne ou de son porte-monnaie. Cela leur fait du bien de se mettre au pas. ... 19 h. Ce soir les informations vont bon train. Tout le monde a vu des cyclistes venant de Rennes et qui racontent que les Américains y sont, en route vers Laval. Que de broderies sur cette donnée ! Margot Loué, jeudi matin 3 août 1944 Les rumeurs d’hier soir sur l’avance américaine continuent, et tout en étant en contradiction avec la radio semblent tout de même fondées. Ce matin on dit que le dernier point de l’avance serait Laval, bruit lancé par les Allemands qui ont passé la nuit ici en vue de préparer un contournement pour des troupes et qui sont partis précipitamment ce matin. Si c’est vrai c’est pour nous dans 2 jours au plus tard. Sur la grande route c’est le spectacle de l’armée de 40 mais en sens inverse. Tout le monde est électrisé et souffre de ne pas avoir confirmation officielle des bruits ainsi lancés. Si tout est vrai toute vraisemblance qous passerons à travers les mailles, mais il y aurait probablement une grosse résistance au Mans. Margot Grand Lucé, 5 août 1944 Je veux encore écrire aujourd’hui c’est peut-être la dernière lettre avant que nous soyons coupés. Vous êtes peut-être au courant des nouvelles plus que nous puisque nous n’avons pas de lumière depuis 8 jours et il faut aller en campagne ce qui n’est pas toujours commode nous avons beaucoup d’occupations et de surveillance et aussi beaucoup de petites réunions pour s’entretenir des événements. Hier soir notre conseiller général nous annonçait que les Am. étaient entrés dans la Sarthe Châ Gont et Conlie de ce moment ils sont peut-être à Loué dans deux jours à Lucé s’il n’y a pas de résistance au Mans c’est ce que nous craignons quoiqu’ils aient l’air bien démoralisés et bien tristes. il en est arrivé beaucoup depuis deux jours ici, mais ce matin le mouvement est moins grand il a dû en partir cette nuit. A 1h1/2 ce matin on est venu faire lever notre capitaine une auto venant du Mans s’est arrêtée à notre porte, il s’est entretenu pendant très longtemps avec les occupants de cette voiture puis sont repartis vers la ville, puis au réveil nous apprenons que ... [illisible] est tué et Hitler grièvement blessé est-ce vrai ? En tout cas le calme est revenu après une semaine de grande agitation je crois que les ballots se préparent notre capitaine est dans sa chambre a l’air de réunir du matériel a fait sa lessive et sa grande toilette il doit se tenir prêt. Mémère Loué, dimanche 6 août 1944 Le branle-bas de combat étant terminé je peux enfin t’écrire, car il y a branle-bas de combat. Je t’écrivais jeudi que c’était probablement la dernière lettre de la série et je crois que c’est vrai, je ne sais quand tu recevras celle-ci. Nous vivons ces jours-ci une vie joliment mouvementée. Nous avons d’abord eu tous les bobards sur les bonds invraisemblables faits par les Américains mais il y a tout de même ce à quoi nous assistons. Depuis plusieurs nuits nous ne dormons à peu près pas car les voitures allemandes de tous genres et les canons défilent sans arrêt, ils ne se contentent plus de la grande route mais sillonnent Loué dans tous les sens. Hier soir cela a commencé surtout à minuit cela passe soit par la rue de la poste, soit devant chez nous, ça monte ou ça descend, il y a des voitures légères, des chenilles, des camions, des canons, des motos, des cyclistes. J’ai cru pour commencer que c’était la 14 retraite, puis plus tard les canons ont remonté en grand nombre, certainement vers Laval. De plus des avions se sont rendu compte de la manoeuvre et ont fait la ronde au dessus de nous, ils ont lâché des bombes tout près (derrière le cimetière) et un peu autour. Comme nous ne sommes pas très sûrs qu’ils ne bombardent pas en pleine rue, nous avons jugé plus prudent d’aller faire un petit séjour dans la tranchée où nous sommes restés jusqu’à 3h1/2 du matin. A partir de 4 h j’ai enfin pu dormir à peu près jusqu’à 7 h. Et ça va recommencer jusqu’à ce que les Américains soient ici, aussi aujourd’hui nous avons perfectionné l’agencement de la tranchée en vue d’un séjour plus long et j’ai pris toutes mes précautions pour les jours à venir, car une bataille nous attend ici, de petite envergure j’espère mais nous avons l’honneur d’être choisis comme théâtre de résistance. Depuis vendredi nous avons des troupes qui cernent Loué et ont établi des postes de résistance tout autour sur toutes les routes avec mitrailleuses, canons anti-chars et je ne sais pas au juste quoi, car je n’y vais pas voir, j’ai trop peur que les Américains débouchent pendant que j’y serais. Le pont est barricadé par des barrières de champ disposées en chicane et renforcées de barres de fer allant du parapet au milieu de la chaussée. Des troncs d’arbre piqués en terre renforcent. Tout ça devait être si compliqué à passer cette nuit que le convoi n’arrivait pas à s’écouler. Je crois qu’il y a beaucoup de bluff là-dedans et qu’ils ne pourront pas faire grand’chose. Cependant comme il faut compter sur un combat de rues j’ai fait obstruer le soupirail de la cave pour pouvoir y aller à l’occasion et aujourd’hui j’ai fait une valise des vêtements les plus nécessaires, que j’ai garée à la cave, un sac de provisions au cas où il faudrait y passer 1 ou 2 journées entières et depuis ce matin, je porte mes billets de banque en matelas sur le ventre. Nous cherchons à prévoir par les communiqués quand cela viendra, mais les événements sont certainement en avance de 24 h au moins. Comme occupation depuis vendredi tout Loué coud ou peint des drapeaux américains. J’en ai fait au moins 3 pour ma part, qui attendent le moment d’être posés. C’était une vraie ruée sur la teinture rouge et bleue. Lundi 7 Hier soir après le communiqué indiquant la prise de Laval, on était sûr que les Américains arriveraient dans la nuit, aussi chacun de fermer soigneusement les rideaux des boutiques. Je crois que bien peu de gens ont dormi habillés, les uns ont passé la nuit dans la cave, d’autres sur des matelas dans le jardin à proximité de leur tranchée. Moi je me suis transporté dans la chambre de devant pour suivre le mouvement, car ce n’est pas à laisser passer, une occasion unique de voir la libération arriver. Aussi je n’ai guère dormi. Depuis la tombée de la nuit jusqu’à minuit, caché derrière le store baissé j’ai vu quelques camions chargés d’homme monter devant l’école puis 3 groupes de fantassins (2 à pied, 1 à bicyclette) de 25 hommes chacun environ en file indienne à quelques pas de distance chargés de fusils et de grenades. Sur d’autres routes il est passé des canons (3). C’est à peine impressionnant cependant presque toutes les femmes qu’on rencontre vous entretiennent de leur débâcle intestinale causée par la peur. C’es tout à fait à l’ordre du jour. Après minuit je me suis couchée sur la chaise longue, et vers 3 h du matin comme je me sentais raide dans tous les sens j’ai fini la nuit sur le lit, j’en garde la nuque toute raide, car comme je ne voulais pas me chiffonner je n’ai pas osé bouger. Lundi 7, 3 h ¼ de l’après-midi L’heure H de Loué a sonné, les Américains sont à quelques km, tous les Allemands sont parés pour la résistance avec leurs revolvers et leurs grenades à mains. Ils sont postés le long des rues de place en place, les avions ronflent, on entend tirer de temps en temps, très près. Les rues sont vides sauf aux abords immédiats des maisons où les gens tiennent encore des conférences, la plupart ont gagné leurs caves, d’autres sont partis dans les campagnes. Je ne crois pas risquer grand’chose en restant à guetter le bruit de l’arrivée fenêtres ouvertes sur les deux façades. Heureusement le temps permet de laisser un courant d’air. Dès que Mlle Guerrier s’est rendu compte de ce qui se passait, elle s’est emparée de sa canne pour aller voir de plus près à un carrefour, elle veut voir au maximum. Il a fallu lui expliquer que c’était impossible et lui dire qu’il en passerait devant l’école, pour qu’elle reste ici, elle a apparemment essayé de sortir mais elle est rentrée peu après. Je crois que je pourrai dormir à fond la nuit prochaine, finies les conférences de pleine nuit entre les gens en liquette aux fenêtres, c’était un vrai spectacle. Les réceptions clandestines de radio vont aussi se faire ouvertement, cela avait pourtant sa saveur. Une huitaine de personnes se réunissaient chez un mécanicien qui avait un poste à accus, il avait installé des sièges de la salle des fêtes le 15 long des murs. Depuis 2 jours la séance se continuait par un déploiement de tactique en pleine rue par tous les auditeurs en cercle. 4 heures La bataille dure depuis dix minutes environ on se croirait sur la champ de foire à faire un carton ça claque de tous les côtés, parfois assez près, de temps en temps la mitrailleuse ou un coup beaucoup plus fort si je m’y connaissais je reconnaîtrait peut-être une grenade. On se demande sur qui on tire car on n’a rien entendu arriver, les avions sont repartis. 4 h 45 Je commence à comprendre, des motocyclistes américains sont arrivés à pied depuis les premières maisons et c’est encore de porte à encoignure la chasse entre les Am. et les All., ça doit être ça qu’on appelle une bataille de rues. Ca se rapproche sérieusement d’ici aussi j’ai changé de direction et je me suis installée sur la façade cour. Cette fois-ci c’est sûrement 2 grenades qui viennent d’exploser à quelques maisons. Les opérations doivent être conduites en éventail car il y a 3 colonnes de fumée noire à l’horizon vers le Sud. 10 heures. Quelles excitation, je rentre de mon tour de ville, car vers 6 h les gens n’en pouvant plus se sont répandus partout, les All. étant prisonniers. Passage délirant sur la place, tout le monde avait sorti ses drapeaux. Nous avons été suffoqués de voir la quantité d’hommes et de matériel qui passait. Nous pensions voir un petit détachement de quelques chars, mais le défilé s’est poursuivi pendant un temps que je n’ai même pas cherché à évaluer. Mardi Réussie pour une nuit qu’on espérait calme. Cela a été pis qu’aucune précédente. Les Américains, comme nous, ont été trompés par une résistance de quelques Allemands et ils ont cru que tout était fini après avoir fait une douzaine de prisonniers et en avoir tué 3. Le gros des forces américaines est reparti, ne laissant qu’un petit noyau posté aux coins de rue pour essayer d’attraper les quelques fuyards. En réalité les Allemands s’étaient cachés en grand nombre dans la campagne et sont redescendus par groupe de 20 à 50 pendant la nuit. Les Américains ont été débordés d’autant plus que plusieurs avaient accepté des invitations et un canon se trouvait tout seul à un coin de rue. Nous avons entendu des pétarades de revolver et mitrailleuse toute la nuit dans les rues, cours et jardins. Le bouquet s’est produit à 3 h du matin, détonations formidables, la maison a tremblé, bruit de verre cassé. Je ne suis pas trop émotionnée croyant que des balles perdues avaient cassé des carreaux, je me suis seulement félicitée de ne pas avoir couché sur le devant comme la nuit précédente. Le matin vers 6 h ½ j’ai entendu la rumeur des gens dans la rue et suis allée voir laquelle de mes fenêtres avait pris : 1 carreau à l’une, deux à l’autre. Tous les gens réunis devant m’interpellent alors me demandant si je n’étais pas morte de peur, ils avaient l’air très compatissant et je me demandais pourquoi. Ils m’ont seulement dit de me pencher et de regarder plus bas. Evidemment si au cours de la nuit, je m’étais douté j’aurais eu une belle frousse. Toutes les vitres du rez-de-chaussée, et 18 de l’étage, jonchaient la rue jusqu’au milieu de la chaussée c’était un vrai scintillement. Un trou dans la rue. les Allemands avaient jeté une grenade devant la maison. J’ai alors eu peur à retardement, mais c’est beau l’ignorance ! De plus en regardant de plus près nous avons vu tous les trous des balles que la façade a reçue. Tout le monde se demandait ce que nous étions devenues et personne n’en revenait que nous soyons restées à coucher en haut. J’ai vu plus tard qu’un canon (genre 75) était braqué en enfilade sur la rue sur le trottoir de la boulangerie et avait tiré à plusieurs reprises. Enfin dans la nuit les Américains se sont rendu compte qu’ils avaient crié victoire trop vite. Toute la matinée défilé de paysans venant reporter que leurs fermes avaient été envahies par 80, 100 ou plus d’Allemands. Alors ils ont fait marche arrière, organisé une vaste battue avec du renfort appelé par radio et toute la journée ils ont fouillé les bois où ils se cachaient – aidés d’avions qui ont volé en rond au dessus des objectifs. Nous avons entendu tirer à la mitrailleuse et au canon successivement dans toutes les directions. Nous avons vu ramener des prisonniers et nous voudrions bien que tout soit liquidé pour ne plus craindre un retour offensif. Je souhaite que les Américains soient plus prudents la nuit prochaine et se tiennent sur leur garde en nombre. En tous cas, avec notre rez-de-chaussée ouvert à tout venant 16 nous ne couchons pas ici cette nuit. Nous avons transporté des chaises longues dans la cave voisine du percepteur – plus saine que la nôtre – et nous y passerons la nuit, avec l’espoir d’avoir du calme, car ça commence à s’accumuler les nuits sans sommeil. Dans la journée, nous sommes debout tout le temps à regarder passer les Américains car ça défile, sur une route toute la journée, devant chez nous des heures de suite pendant lesquelles on reste là à leur faire des signes de sympathie. Toute la matinée j’ai couru de coin de rue en coin de rue cherchant un officier pour lui signaler la présence d’Allemands que des paysans étaient venu m’annoncer, mais il n’y avait plus d’officier, je n’ai trouvé qu’un caporal. Tout le monde les trouve joliment sympathiques, toujours des airs de grands enfants qui se taquinent à grandes tapes sur l’épaule en riant de toutes leurs dents et s’appelant à grands coups de sifflet. Mercredi 9 août Nuit calme, pas un bruit, mais chaise longue bougrement dure et la femme du percepteur ronfle magnifiquement si bien que le sommeil a été encore assez court. Mais nous voulions y aller tout de même car j’avais appris hier soir au cours d’une longue conversation fort instructive avec un homme de la Military Police à un coin de rue qu’il ne restait en tout que 8 hommes pour nous garder, mais l’infanterie doit venir purger le coin définitivement et les services civils s’installer. Je fais des voeux pour que d’ici là les Allemands restent dans leurs bois. nous avons presque eu les honneurs du communiqué : on annonce ce matin à la TSF « résistance à l’Est de Laval ». C’est ce qui s’est passé ici et dans tout notre coin, avant il n’y avait rien eu. Je me demande comment cela se sera passé pour Lucé, car ils sont maintenant certainement aussi avec les Américains. Depuis le début de l’affaire personne ne fait plus rien, on vit dehors, on se congratule, c’est vraiment l’union sacrée, on échange des signes avec les troupes qui passent on leur distribue des fruits et de la boisson, ils lancent des cigarettes, biscuits, chocolat. une vraie atmosphère de fête. Une ombre au tableau seulement, il y a encore des rapaces qui se ruent pour réclamer, cela fait vraiment honte. Une femme voyant ses voisins offrir oeufs, tartines et fruits a porté sa douzaine d’oeufs, et a naïvement avoué ensuite qu’ils n’avaient pas parlé de payer. Je crois qu’il faudra en mettre au pas. Le maire se préparait ce matin devant moi à réserver toutes les corvées à ces vautours – ex. une femme a déjà vendu 2 oeufs pour 24 F. J’en ai moi-même entendu une qui m’a dit que si les Américains n’avaient pas vraiment besoin de passer par ici, on se passerait de les voir, pour nous faite tout « gaspiller ». Heureusement ceux-là sont une toute petite minorité et sur une grande échelle l’accrochage se fait bien. Dans les environs il y eu quelques épisodes dramatiques. Ici, un jeune homme tué (un domestique de ferme) en conduisant les premiers Américains au devant du coin où les All. étaient cachés. Car la population a beaucoup aidé, quelques-uns se sont même distingués en les accompagnant pour leur montrer les petits couloirs à emprunter pour les surprendre. Ils leur ont montré où étaient les mines et rien n’a sauté. A Brulon un enfant de 12 ans tué je ne sais encore comment, et un homme fusillé par les Allemands. Il y a aussi des arrestations de collaborateurs à Brulon. Ici une jeune fille que la population a presque lynchée pour ses relations avec les All. du poste d’observation et qui hier encore a été trouvée près de leur poste – les attendant pour les ’interroger semble-t-il – les Am. l’ont emmenée. Ici il y a eu aussi quelques arrestations mais le maire a fait relâcher tout le monde, il est probable que la question se posera à nouveau dans quelque temps. Les hommes arrêtés – dont R. et S. – sont rentrés hier soir ils se sont libérés eux-mêmes avec l’aide de femmes, prisonnières aussi, qui ayant une petite fenêtre à leur chambrée, ont pu suivre les opérations de déroute des All. Elles ont enfoncé leur porte, ont pris les clés et ont délivré tout le monde. C’est du beau travail. Mais un certain nombre avait déjà été emmené à Fresnes la veille. 20 heures Station de 5 h sur la place, ce qui nous a permis de voir les premiers français de De Gaulle. Quelle ovation alors ! Plus fou que jamais. Mercredi 11 août Le calme revient petit à petit, quoique ce ne soit pas encore parfait. Les troupes se sont avancées en flèche vers Paris trop rapidement pour que toute la résistance soit réduite partout et avec notre pays boisé il y a des nids d’All. dans chaque bois, dans chaque forêt. Maintenant avec un peu de recul on sait que les deux grands centres sont la forêt de la Charme et celle de Sillé qui abritent 17 chacune 7 à 10 000 All. pense-t-on. Les Am. les cernent avec des forces importantes et des tanks et bombardent. Ils ont miné tous les abords. Nous avons encore la chance de ne pas être dans le combat qui ne commencent avec envergure qu’à 7 ou 8 km d’ici. Mais les villages de ce coin sont terrorisés – des incendies de temps en temps. On dit que Sillé vit dans les caves depuis plusieurs jours. On entend toujours dans cette direction les canonnades et bombardements. Comme ce sont des SS, ils vont résister jusqu’au bout. Ici les opérations continuent sur une toute petite échelle. Il en reste de petits groupes cachés dans le campagne qui s’abritent dans les tas de blé et les petits bois. Ils sont chassés toute la journée par les gens du maquis, le brassard au bras, qui ont leur revolver – et par les volontaires du pays armés de fusils et mitraillettes prises aux prisonniers qu’ils font. De temps en temps quand ils pensent la partie plus sérieuse ils demandent le renfort de quelques Américains et tous ensemble vont cerner les bois. Tous les jours ils ramènent ainsi quelques prisonniers. Hier soir 4 Américains en ramenaient 2 assis sur le capot de leur petite Jip. La nuit ils patrouillent les rues car les Allemands viennent encore y faire un tour de temps en temps, mais isolés. Aussi maintenant on dort calmement dans son lit, le jour on va et vient c’est –à-dire que personne ne reste plus à la maison mais parcourt les rues à la recherche des dernières nouvelles. La grande route Laval-Le Mans étant maintenant dégagée c’est par là que passent les convois, on ne voit plus grand chose maintenant, une cinquantaine de voitures par jour seulement, mais cela a passé pendant 2 jours et 2 nuits à peu près sans arrêt. Les tournants des rues sont tous arrachés par les roues. Ce matin, enterrement de 2 américains tués lundi aux combats à la sortie de Loué. Foule énorme, toutes les sociétés, écoles, tous les drapeaux. 4 Américains arrêtés au passage par la cérémonie au cimetière. Jeudi 17 août Tout est redevenu calme, on n’entend plus parler que tout à fait exceptionnellement de quelques Allemands restés dans la campagne. Les paysans n’en voient à peu près plus. Il passe maintenant bien peu de voitures américaines par Loué, c’est la grande route qui est maintenant utilisée, lundi les voitures y passaient par triple rangée. J’y suis allée voir mardi le trafic avait déjà beaucoup diminué, on y voit toujours passer de temps en temps des camions de prisonniers avec quelques civils dedans. On parle fort ici de l’établissement d’un camp d’aviation ici, je ne sais pas si les gens le savent officiellement ou si c’est une supposition, en tout cas j’ai vu un fermier hier qui a vu une partie de ses champs jalonnés de piquets, on ne lui a jamais rien dit, il tire des conclusions de ce qu’il a constaté. Je compte aller y faire un tour dès que les après-midis permettront de bouger car il fait terriblement chaud. Les Américains sont toujours ceux de 18. Toujours très amateurs de cognac et on en a déjà vu pas mal qui étaient soûls. Un homme de Brulon a eu l’épaule traversé par un coup de fusil tiré par un Américain soûl. Nous sommes toujours sans courrier, le tram qui serait le moyen de communication le plus commode ne peut pas circuler, le pont en X qu’il empruntait sur la Sarthe étant sauté, aussi la Mairie, la perception et nous-mêmes sommes toujours sans liaison avec Le Mans. Tout le monde attend les ordres. Nous avons eu ici quelques opérations de nettoyage parmi les civils. Une arrestation qui n’a d’ailleurs pas été maintenue. Plusieurs sont en liberté surveillée et doivent aller se faire pointer à la mairie plusieurs fois par jour. A St Denis d’Orques 2 jeunes filles ont été rasées pour leur grande amitié avec les Allemands. Vendredi 18 août Lu aujourd’hui dans le Maine Libre la libération de Lucé, d’après cet article il semble ne s’être rien passé et pourtant dans un numéro précédent on parle de 2 morts. Hier après-midi je suis allée voir la baignade sur le bord de la rivière. J’ai dû traverser un pré qui garde encore des traces de bataille : des branches cassées, des trous par terre, des douilles de balles et même une grenade à main non éclatée, à laquelle personne n’ose toucher, il y en a un peu partout qui ont été signalée aux Américains mais ils disent qu’ils ne s’occupent pas de cela. Notre service de D. P. n’ose pas en approcher, ils ont pourtant arboré tout ce qui peut se faire comme brassard, mais personne n’ose toucher à rien. Ca braille fort et c’est tout. 18 On continue à entendre canonnade ou bombardements, on ne sait, nuit et jour. Ce n’est pas tout proche, mais personne ne sait encore ce que c’est.. Margot Pendant la libération du territoire, les lettres étant interdites, le seul moyen de correspondance sera, provisoirement, les cartes pré-timbrées Grand Lucé, 25 septembre Je profite d’un voyage dans le Loiret d’André Beauclair pour tenter de vous faire passer cette lettre, nous pouvons correspondre par carte postale avec Paris pas encore avec Lyon. Nous allons tous bien, Michel est à Lucé depuis juin, Marguerite est restée seule à Loué et nous avons été sans nouvelles d’elle jusqu’au jour où elle est venue nous surprendre le 12 de ce mois-ci elle a profité du rétablissement des cars et du tramway, elle est repartie le 20 pour les examens qui avaient été reculés, depuis son départ nous pouvons correspondre avec elle par carte à découvert. Notre libération s’est faite au mieux possible rien à Lucé les Allemands sont partis tranquillement deux jours avant l’arrivée des Américains, à Loué il y a eu bataille dans les rues et à la sortie de la ville à l’école des filles il ne restait presque plus de carreaux. Marguerite était couchée sur la cour et ne s’est aperçu du dégât que le matin. Mémère Loué, 24 octobre 1944 J’ai appris que Loué avait risqué 3 fois la destruction à peu près certaine. La 1ère fois quand nous avions un état major allemand quelques jours avant notre libération ? Les alliés le surveillait depuis le midi dont il venait. Ils ont cherché à l’avoir, c’est cette nuit-là que nous avons passé plusieurs heures dans la tranchée. Il est tombé 2 bombes hors de l’agglomération. – La 2e fois les Allemands le dimanche 6 août avaient braqué toute une batterie de canons à 7 ou 8 km d’ici sur Loué. Les soldats se sont mutinés et ont refusé de tirer, ils ont même tué leur officier. – 3e fois au cours de la prise de Loué par les Américains dans l’après-midi du lundi 7, devant la résistance rencontrée, les Am. ont demandé par radio de bombarder la ville par avion. Ils ont prévenu les gens qui se trouvaient sur leur passage, et ceux-ci sont partis dans la campagne, mais dans notre coin nous ne savions rien. Par bonheur il ne se trouvait pas d’avion disponible à cet instant. Plus tard le combat du jour avait cessé. Tu vois que nous avons eu une belle veine, et nous ne l’avons su que beaucoup plus tard avec un frisson rétrospectif. Margot Loué, 29 octobre 1944 Dans l’ouest les gens s’émeuvent des nids allemands restés dans les ports, vie intenable pour les civils qui n’ont pas à manger et les relations avec les Américains ne s’améliorent pas. Je ne sais pas si vous en avez eu assez longtemps dans votre coin pour vous en rendre compte, mais ils ne sont du tout « à point » avec les Boches. Ils ont presque de la sympathie pour eux, traitent les prisonniers en copains, les approvisionnent abondamment alors que les civils n’ont rien dans les coins pauvres, avec l’absence de confort. Les Brestois sont unanimes à crier leur désillusion. 19 Il m’est arrivé de parler avec des Américains qui me demandaient ce qu’on reprochait aux Boches et s’ils nous malmenaient. J’étais bien obligé de dire qu’à Loué n’avions pas été martyrisés et ai parlé des atrocités commises ailleurs. Ils n’en croient rien, parce qu’ils n’ont pas vu, ils traitent cela de propagande. D’ailleurs ils ont été très déçus de ne pas nous trouver faméliques. Je me suis trouvé invitée il y a environ 3 semaines par des commerçants qui recevaient 3 Américains à dîner – j’étais chargée d’empêcher de dormir celui qui ne parlait pas un mot de français. Il y a avait de quoi en effet les faire douter de notre appauvrissement. Les petits plats dans les grands, 2 plats de volaille, des gâteaux, desserts variés, vins de toutes les couleurs, mousseux. Mon cavalier m’a dit que les Français étaient bien moins rationnés que les Anglais. On a beau leur dire de ne pas juger de la France entière sur notre région, l’une des plus riches, ils croient au bourrage de crâne. Du côté de Lyon existe-t-il aussi le petit trafic essence-cognac ? Dans le coin cela se pratique sur une grande échelle. Les paysans donnent 1 litre d’eau-de-vie contre 20 l. d’essence. Mon Américain m’a dit que cela se faisait aussi dans les cafés du Mans. Tout au long du parcours de l’essence il y a un coulage formidable. Et les soldats sont à ce point intoxiqués qu’on est obligé de leur entreprendre des cures de désintoxication. C’est beau l’humanité. Il y a vraiment des Français au-dessous de tout, ça chaparde tant que ça peut dans les camps. les gendarmes font des perquisitions avec les M. P. les résultats sont désastreux. Cela vous fait une réputation auprès des étrangers ! Il faut voir aussi la belle ruée de profiteurs qui ont bondi sur les places d’interprètes. Tout ce que j’ai connu ici au cours de l’été parmi les commerçants du Mans de plus malpropre comme froussards et collaborateurs, tout ça s’en est, et ils sont déçus que ça ne rapporte pas assez. Vraiment les Américains pourraient bien leur apporter du café du front quand ils en viennent ! Ce que j’aurais du plaisir à voir le fameux B. en prison avec tous ses millions raflés. Je crois malheureusement qu’il est encore bien tranquille. On enrage parfois. Margot 20