LA PLAGE DE L`ÉTANG

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LA PLAGE DE L`ÉTANG
LA PLAGE DE L’ÉTANG
Michel Voisin
La plage de l’étang
Roman
Éditions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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L’avenir, large porte ouverte sur un
horizon aussi vaste que la mer.
Michelle Le Normand
CHAPITRE I
L
es rues de la petite bourgade de Châtillon-sur-Chalaronne
à une vingtaine de km de Bourg-en-Bresse dans les
Dombes arborent fièrement des drapeaux tricolores. Sur la place,
un orchestre vieillot installé sur une estrade enchaîne les polkas,
les tangos, les valses. Les couples, surtout des jeunes du village
et des alentours virevoltent joyeusement. Les tables entourant
la piste de danse accueillent les plus âgés. Les discussions vont
bon train entre un « petit blanc », un rouge ou une limonade pour
les femmes, en ce 14 juillet. Le premier depuis la grande guerre.
Tous, veulent oublier les atrocités commises, les souffrances, les
misères, les morts, les deuils et vivre enfin dans un monde en paix.
Mélanie dix-huit ans, aspire à profiter de sa jeunesse. Ses
amies déjà entraînées par leurs compagnons, font un petit geste ou
échangent une parole en passant près d’elle. Elle voudrait bien se
mêler à eux mais venant d’arriver, personne ne l’a encore remarquée. Son regard erre par-ci, par-là faisant le tour des garçons
qu’elle connaît.
Ses yeux soudain se fixent sur un petit groupe : quatre jeunes
discutent calmement. D’où sont-ils se dit-elle ? Je ne les ai jamais
vus ? L’un d’eux de taille moyenne, bien charpenté, les cheveux
châtains, une certaine aisance dans les gestes, le regard à la fois
doux et volontaire fait battre la chamade à son cœur.
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« Mon Dieu, faites qu’il m’invite à danser, qu’il m’invite à danser, qu’il… » pense-t-elle très fort.
— Mademoiselle, voulez-vous m’accorder cette danse ?
— Mais je… non… si.
IL est là, devant elle presque implorant. Mais que va-t-il penser
de cette gourde qu’il entraîne déjà, qui lui marche sur les pieds.
— Détendez-vous, tout va bien se passer. Laissez-moi vous
diriger. La valse c’est ce que je préfère. Voilà c’est mieux, à la
seconde, j’espère avoir droit à une autre, tout ira bien. Écoutez, la
valse brune ; allons y dit-il en l’enlaçant.
— Mélanie ne sait plus où elle est. Tout est allé si vite : son
invitation, la valse, sa voix, ses bras. La tête lui tourne quand la
musique s’arrête. Mais pourquoi s’arrête-t-elle ?
— Alors François, tu es en train d’apprendre à danser à ma
sœur lance une voix près d’eux.
— Ta sœur, c’est ta sœur ? Tu ne m’as jamais parlé d’elle. Elle
danse bien heu… ta sœur.
— Elle s’appelle Mélanie, je te signale. Alors qu’il a déjà
disparu.
— Mélanie… votre prénom s’harmonise bien avec votre personnalité. Il est tout en douceur. Quant à votre frère, nous nous
connaissons depuis longtemps. Nos villages ne sont pas si éloignés.
Ils ont dansé sans se rendre compte du temps. Il a filé si vite.
— Maintenant, je dois rentrer, il se fait tard.
— Je peux vous raccompagner, si vous le permettez ?
— Non, mes parents sont là : une autre fois peut-être.
— À bientôt Mélanie.
Sur le chemin du retour, tout en pédalant, son père comme se
parlant à lui-même et se souvenant de sa jeunesse murmure : « les
garçons, quand même, ils font tourner la tête des filles vite fait ».
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Comme presque toutes les semaines depuis qu’elle a quitté
l’école, le certificat d’études en poche, Mélanie accompagne sa
mère au marché. Elles se faufilent entre les étals des marchands,
s’arrêtent un instant devant les innombrables tissus plus attirants
les uns que les autres qu’elles n’ont pas projeté d’acheter, un camelot où les badauds s’agglutinent vante un produit capable de tout
nettoyer du sol au plafond : « l’essayer, c’est l’adopter » lance-t-il
à la cantonade. Un autre propose des habits, des chaussures ; un
autre encore, toutes sortes d’articles utiles et inutiles.
Tout à coup, Mélanie sent une main sur son épaule. Se retournant rouge de plaisir, son regard croise celui qu’elle attend depuis
plus de quinze jours. Comme c’est long quinze jours. Aussi gêné
l’un que l’autre, François parle le premier.
— Bonjour Mélanie.
— Bonjour Fran… çois.
Après avoir salué la maman de Mélanie, François entraîne sa
compagne le long de la rivière scintillante sous les rayons d’un
généreux soleil. Elle traverse la petite ville d’est en ouest et par
malice sans doute se rend complice d’un amour naissant.
— Mélanie, depuis le bal du quatorze juillet, j’ai souvent pensé
à toi et te retrouver aujourd’hui c’est du bonheur.
— Moi aussi, j’espérais te revoir. Je suis bien avec toi.
Ainsi au fil des semaines, des mois, ils se rencontrent au bal des
villages voisins, en des promenades, seuls au monde avec au cœur
la même passion, le même désir d’être l’un près de l’autre.
— Dimanche prochain murmure François avant de la quitter,
si tu veux bien, je t’attendrai près de chez moi « aux quatre chemins », je voudrais te montrer quelque chose.
— Alors petite sœur, tu en pinces pour François. Embrasse-t-il
bien au moins ?
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— Je te demande moi, ce que tu fais avec les filles que tu rencontres. Laisse-moi tranquille veux-tu !
— Ne te fâche pas. Je te taquinais. Tu sais, c’est quelqu’un
de bien. Avec son père Gaspard, tous deux dirigent le « Domaine
Marie-Louise » avec compétence. Travailleurs nés, rudes à la
tâche mais toujours prêts à rendre service.
— « Le Domaine Marie-Louise » s’écrie Mélanie. Il ne m’en a
jamais parlé. Ça change tout. Il est trop bien, trop haut pour moi.
— S’il n’a rien dit, c’est tout à son honneur. Il ne voudrait pas
d’une femme qui voit d’abord les biens avant de voir l’homme.
Rassure-toi petite sœur, il t’aime et je crois, non j’en suis sûr, sans
me tromper que c’est réciproque.
— Oui, je suis follement amoureuse, mais quand même le fils
de ce domaine : je ne savais pas.
— Maintenant tu sais et ça ne change rien.
Jacques sifflotant la valse brune, les mains dans les poches va
rejoindre son père et l’aider à bêcher un carré dans le jardin jouxtant la maison basse située à l’entrée de Saint-Paul-de-Varax petit
bourg non loin de Châtillon. Sa sœur et lui sont nés ici dans cette
Dombes quelques années après l’arrivée de leurs parents venant
de leur Italie natale, fuyant une certaine misère, espérant trouver
en France une vie meilleure. Les premières années ont été difficiles, mais avec l’espoir au cœur, beaucoup de travail, l’aide reçue
des villageois, leur a permis de s’intégrer. Si Lucia Mezzara, sa
femme, parle correctement la langue de leur patrie d’accueil, Gino
s’exprime avec un accent caractéristique qui ne l’empêche nullement de mener avec rigueur, sérieux et compétence le métier
qu’il exerce depuis une dizaine d’années. Il commercialise pour
les propriétaires des nombreux étangs que compte cette région,
leurs poissons qui sont expédiés aussi bien en France qu’à l’étranger. Grâce à cette activité, ils ont pu acheter cette maison arrangée
à leurs goûts et composée de trois chambres, d’une grande cuisine,
d’un grenier. Un semblant de hangar abrite les vélos et différents
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outils. Le jardin procure les légumes. Que nous faut-il de plus
pour être heureux répète souvent Gino sans savoir bien entendu ce
que demain lui réserve.
Dimanche est enfin arrivé. Voilà les « quatre chemins » se dit
Mélanie qui à peine descendue de vélo se retrouve déjà dans les
bras de François écrasant ses lèvres sur les siennes. Avec fougue,
il l’entraîne.
— Viens, je vais te montrer un lieu magique, envoûtant dit-il
en prenant sa main, réservé seulement à ceux qui le connaissent.
Un endroit qui me redonne des forces, m’apaise quand je doute,
quand je suis trop longtemps sans te voir.
Après avoir traversé un pré où les vaches les regardent étonnées, ils prennent un petit sentier entre deux haies.
— Ferme les yeux maintenant. Marche, avance encore un
peu. Écoute le chant des oiseaux. Tu entends le clapotis de l’eau.
Respire, respire la nature, le vent. Ouvre les yeux.
Devant elle, entre deux touffes de roseaux, une étendue d’eau
miroitante, attirante, presque romantique s’étale sous son regard.
— Regarde, Mélanie comme c’est beau. Assieds-toi. Voici « la
plage de l’étang ». Oh, elle n’est pas bien grande mais suffisante
pour tous ceux qui s’aiment… comme nous.
Bouleversée, évitant toute retenue, elle l’embrasse folle
d’amour. Allongés côte à côte, bercés par la nature, François
demande :
— Dis-moi, d’où tiens-tu ses cheveux et ses yeux si noirs et
cette peau veloutée ; aucune fille n’en a de pareils. D’où viens-tu ?
Tu es étrangère à cette région ?
— Je suis d’origine italienne.
— Italienne !
— Tu as quelque chose contre les Italiens dit-elle en se braquant.
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— Oh non, surtout là. Je suis tout contre une Italienne et me
sens très, très bien ajoute-t-il en la serrant contre lui et en éclatant
de rire.
— François, pourquoi m’as-tu caché que tu étais le fils Merle
du domaine « Marie-Louise ». Hein, pourquoi ?
— Mélanie, écoute je ne suis pas le fils Merle mais pour tous
François Merle habitant de Châtillon. Rien de plus. Je n’aurais pas
voulu que ma future femme voie en moi « disons » un bon parti.
Je demande simplement qu’elle m’aime pour moi, tu comprends.
— François, répète : ma future femme ! J’ai bien entendu.
— Tu as bien entendu et je serais très déçu, très déçu si tu disais
non.
— Je t’aime François, je t’aime. Embrasse-moi encore.
— Mélanie, nous nous fréquentons depuis plus d’un an, il me
semble que, avant de partir faire mon service militaire comme on
dit, nous devrions sceller notre amour par nos fiançailles et nous
marier dès mon retour. Qu’en penses-tu ?
— J’en pense, j’en pense que, un an, c’est bien long. J’attendrai
tes permissions en préparant mon trousseau et en continuant d’apprendre la cuisine avec ma mère.
— Viens, récupérons ton vélo et allons à la maison que je te
présente officiellement à mes parents.
— Ils vont être surpris.
— Pas autant que tu crois ; il y a longtemps qu’ils m’interrogent,
font des allusions et attendent presque avec impatience cette jeune
fille qui a conquis leur fils. Je ne sais pas si tu es au courant mais
la tradition veut que les parents du garçon rencontrent ceux de la
jeune fille et fassent au nom de leur fils la demande en mariage.
— Non, je l’ignorais. Chacun à ses coutumes.
— Tu es là maman, dit François, en ouvrant la porte.
— Oui, entre ou plutôt entrez, tous les deux. Je suppose que
voici celle que j’aperçois de temps à autre au marché et à la messe
et qui tient une si grande place dans le cœur de François. Soyez la
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bienvenue Mélanie ajoute-t-elle en l’embrassant, voyez je connais
votre prénom. Gaspard, mon mari regrettera de ne pas être là ;
il est allé dans le bois repérer les arbres bons à abattre pour cet
hiver. Mais ce n’est que partie remise. Est-ce que je me trompe
François ?
— Non, pas un instant. Quand nous aurons discuté avec papa,
nous conviendrons d’une date pour la demande traditionnelle et la
transmettrons à ses parents.
— Papa et toi maman, arrêtez de vous tourmenter : ce sont des
gens comme tout le monde leur fait remarquer Jacques alors que
tous quatre attendent la famille Merle.
— Bien sûr, bien sûr mais tout de même rétorque Gino. Les propriétaires du domaine « Marie-Louise » vous vous rendez compte,
nous ayant fui la misère, mariée notre fille à des personnes de cette
importance. Saurons-nous les recevoir ?
— Papa, quand tu as épousé maman t’es-tu posé toutes ces
questions ? Vous vous aimiez non, alors, demande Mélanie. Vous
avez fait votre vie et bien il me semble. N’est-ce pas le plus important ? Les voilà, je vais vous les présenter, frérot, viens avec moi.
Jacques et François se tapent sur l’épaule, souriant. Les hommes
se serrent la main, les femmes s’embrassent et les futurs fiancés se
donnent un baiser.
— Je voudrais dire, en se tournant vers Gino, que les messieurs
par-ci par-là, c’est bon pour une certaine catégorie de personnages.
Personnellement je préfère la simplicité et vous appellerai Gino.
Quant à moi : Gaspard me conviendra parfaitement.
— Moi aussi, moi aussi… Gaspard.
Après un temps d’arrêt, Gino ajoute : quand je vous apercevais
parfois à la sortie de l’église ou encore mais rarement au café, je
ne me doutais pas qu’un jour…
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— C’est t’y pas mieux comme ça hein ! l’interrompt Gaspard.
Voyez le destin : quand vous avez quitté votre pays natal, venant
poser vos pénates dans ce petit village, qui aurait pensé à tout ce
qui est arrivé jusqu’à aujourd’hui. C’est çà la vie imprévisible,
imprévisible. Nous subissons. Mais parlez-moi de vous, j’aime
bien savoir et apprendre sur les métiers qui me sont méconnus.
— Oh, je commercialise la pêche des étangs nombreux dans la
région qui regorgent de carpes, tanches, brochets pour ne parler
que des plus importants. Les grands restaurants de toute la France
sont très demandeurs. Depuis peu, l’Italie ou avec un parent làbas, nous avons un débouché florissant.
— Je vois, je vois. Le commerce… qui avec la fin de la guerre
s’ouvrira davantage à tout le monde.
— François, dites-moi, seriez-vous intéressé par un étang ?
— Moi ? Acheter un étang mais je ne connais rien dans la gestion de ce type de placement.
— Oh, ce n’est pas si difficile. Je pourrais éventuellement vous
donner quelques conseils. Je pense que ce serait un plus dans votre
domaine surtout où il est situé : il touche vos terres sur deux côtés.
— L’étang près de chez moi est en vente ?
— Depuis peu, pas plus tard qu’hier, la propriétaire, veuve
maintenant, veut s’en débarrasser et je pense que ce serait une
affaire.
Mélanie et François, les yeux dans les yeux, échangent un sourire complice. La « plage de l’étang » pourrait bien être à eux.
— Oui effectivement ; c’est une opportunité pour se diversifier.
Mais j’avoue que si je connais bien le prix des terres, celui des
étangs m’échappe complètement. Qui s’occupe de la vente ?
— Le notaire de Châtillon Maître Thibaud. Il pourra vous
conseiller.
— Je dois y réfléchir.
— N’attendez pas trop ; ce serait bête de laisser passer une telle
occasion.
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— Oui, oui, mais nous nous égarons complètement du but de
notre visite. Nos jeunes n’ont que faire d’un étang pour l’instant
tout au moins.
Les convives entourant la table dressée avec goût sur laquelle
des tartes aux pommes, aux poires, une brioche achetée le matin
même, le café écoutent Gaspard debout, sérieux, tourné vers les
parents de Mélanie demandé avec une certaine émotion :
— Lucia, Gino voulez-vous accorder la main de Mélanie votre
fille à François notre fils. Nous serions Catherine et moi heureux
de l’accueillir dans notre famille.
— Nous aurions mauvaise grâce de refuser votre proposition,
aussi c’est avec joie que nous disons oui. Topons-là selon la coutume répond Gino, avant de lever son verre de vin blanc et souhaiter beaucoup de bonheur aux enfants.
Maintenant les deux villages sauront que Mélanie et François
sont promis l’un à l’autre.
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