Chapitre 5

Transcription

Chapitre 5
1961 YEATS ET ST JOHN SIGNENT
LIDDELL SE RETIRE
SALAIRE MAXIMUM DES JOUEURS ABOLI
1962 PROMOTION EN PREMIERE DIVISION
HUNT BAT LE RECORD DE BUTS INSCRITS EN UNE SAISON
LES BEATLES ENREGISTRENT « LOVE ME DO »
1963 LE SCANDALE PROFUMO
« YOU’LL NEVER WALK ALONE » NUMERO UN
CHANTS DANS LE KOP
CINQUIEME CHAPITRE
1960-1966
Construire le Bastion
1964 CHAMPION DE PREMIERE DIVISION
LES BEATLES CONQUIERENT L’AMERIQUE
1965 PREMIERE VICTOIRE EN COUPE D’ANGLETERRE
1966 CHAMPION DE PREMIERE DIVISION
FINALISTE DE LA COUPE DES VAINQUEURS DE COUPE
L’ANGLETERRE REMPORTE LA COUPE DU MONDE
« MON IDEE ETAIT DE FAIRE DE LIVERPOOL UN BASTION D’INVINCIBILITE…
DE CONSTRUIRE LIVERPOOL DE PLUS EN PLUS SOLIDE JUSQU'À CE QUE CHACUN DOIVE
EN FIN DE COMPTE S’Y SOUMETTRE. »
BILL SHANKLY
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
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« Quel caractère, ce nouveau manager de Liverpool, » affirmait le Daily Post le jour de
l’arrivée de Shankly. L’Ecossais de 46 ans venait juste de donner sa première interview
en tant que boss à Anfield et avait surpris tout le monde par son attitude fière et
passionnée.
« Je suis très honoré et fier d’avoir été choisi en tant que manager du FC Liverpool, un club
qui possède un si grand potentiel, » dit-il. « Mon opinion est que Liverpool a un grand nombre
de supporters capables de rivaliser avec les meilleurs de ce sport. Ils méritent le succès et
j’espère en toute modestie, contribuer à les aider à atteindre cet objectif. »
« Je ne fais pas de promesses exceptée celle qu’à partir de ce moment je vais mettre toute mon
énergie dans ce job. Je ne suis pas un faignant. J’aime redescendre la hiérarchie pour montrer
l’exemple que je voudrais que l’on suive du haut jusqu’au bas de l’échelle au sein du club. »
A l’arrière plan, il avait déjà insisté sur une règle fondamentale : c’était lui – et non le comité
– qui s’occuperait de la composition de l’équipe. Les directeurs acceptèrent mis à part le fait
que la sélection de l’équipe qui serait alignée pour son premier match serait choisie
traditionnellement par le comité.
Liverpool perdit ce match à domicile 4-0 contre Cardiff. Après cela, Shankly prit le contrôle
du jeu et retourna à Huddersfield pour prendre part à une réunion pré-arrangée avec certaines
instances locales. Un directeur de Cardiff qui avait offert sa compassion fut sèchement remis
en place : « Gardez votre sympathie. Je peux m’occuper seul de moi-même et de mon
équipe. »
Mais il savait bien que cette équipe devait être modifiée. Après plus de la moitié de la saison,
elle se trouvait placée au dixième rang et la promotion n’était déjà plus qu’un rêve. La
poignée de fans toujours moins nombreux le savaient aussi. Pour un des premiers matches de
Shankly à domicile contre Derby County, seuls 19'411 spectateurs répondirent présent. Et
quand Manchester United montra la voie à suivre lors d’une victoire 3-1 à Anfield en Coupe
d’Angleterre, même le Kop fut décrit comme « ayant abandonné son équipe » longtemps
avant le coup de sifflet final. Les résultats suivirent enfin mais Liverpool ne put finir que
troisième à huit points de la promotion. Presque immédiatement, le nouveau manager montra
son caractère bien trempé et l’équipe composée de 38 joueurs fut réduite pour n’en garder
qu’un peu plus du quart. En deux ans, il mit à la porte 24 de ses joueurs.
Shankly possédait un don pour juger et décider quels joueurs garder. Parmi eux figurait Gerry
Byrne, un défenseur originaire de la région qui n’avait fait qu’une poignée d’apparitions en
équipe senior du temps de Phil Taylor et qui se trouvait sur la liste des transferts quand son
successeur arriva. Sous le règne du nouveau chef, Byrne se profila comme un titulaire
incontestable de la première équipe – et, bien des années plus tard, Shankly le décrivit comme
étant son joueur favori provenant de la région de la Mersey. Un autre qui attira l’attention du
manager en ces temps-là fut le visage poupin de Ian Callaghan. Le jeune ailier de 17 ans fit
ses débuts en Ligue contre Bristol Rovers en avril 1960 – et il allait devenir le joueur le plus
sélectionné de l’histoire du club.
Shankly maintint sa confiance en l’équipe des assistants dont faisaient partie Paisley et le
redoutable entraîneur Ecossais Reuben Bennett. Il retint également Joe Fagan que Shankly
avait essayé d’engager comme joueur du temps où il était manager de Grimsby. Ensemble,
ces quatre hommes furent à l’origine de ce qui allait devenir les « Gars du vestiaire à
chaussures » - Ce comité de légende disséquait les performances de chaque joueur lors des
matches passés et préparait les plans tactiques de la rencontre à venir.
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En ce qui concerne le marché des transferts, les premières performances de Shankly furent
mitigées. En fait, sa première acquisition – l’ailier de Motherwell Sammy Reid – ne put
jamais sortir du contingent de l’équipe réserve. Mais en Gordon Milne, un transfert de
£ 16'000 en provenance de Preston, il découvrit un milieu de terrain précieux. De même pour
Kevin Lewis, acheté à Sheffield pour £ 13'000, en qui il trouva un buteur efficace pour
épauler Hickson et Hunt.
Lors de la saison 1960-61, ces attaquants inscrivirent 50 des 87 buts de Liverpool. Cela ne fut
toutefois pas suffisant pour assurer la promotion de l’équipe qui, une fois encore, finit
troisième. Le mécontentement grandissait, la moyenne de spectateurs à Anfield tombait à
29'000 et le manager devenait de plus en plus frustré par le manque d’argent à dépenser. Il fit
une tentative auprès de Denis Law, le sensationnel buteur qu’il avait découvert et formé à
Huddersfield, mais ne put arriver à aucun résultat vu le montant avoisinant £ 50'000 qui était
demandé. Il essaya de signer le milieu-défensif Jack Charlton de Leeds, mais fut informé que
son offre initiale de £ 18'000 avait été dépassée.
Pour Shankly, le point déterminant vint de l’acceptation au sein du comité de Eric Sawyer, un
directeur de la compagnie Littlewoods, qui partageait les mêmes ambitions et points de vue
que lui. Ce fut Sawyer qui persuada ses amis directeurs de commencer les rénovations d’un
vétuste Anfield (fameusement appelé par Shankly « les plus grandes toilettes de Liverpool »).
Plus important, il les convainc d’autoriser le transfert de Ian St John. Coté à £ 37'000, St John
devenait de loin le joueur le plus cher jamais acquit par Liverpool. Mais à peine était-il arrivé
en mai 1961 qu’il prouva ses talents en inscrivant un coup du chapeau contre Everton lors de
la finale de la Coupe Senior de Liverpool.
Encouragé par ce succès, le comité approuva l’arrivée d’un autre Ecossais – Ron Yates de
Dundee United. Ce géant, milieu de terrain central, s’était retrouvé lui-même placé sur la liste
des transferts pour avoir demandé une augmentation de £ 2 par semaine. Quand il rencontra
son nouveau patron potentiel dans un hôtel d’Edimbourg, il ne trouva qu’une simple question
à poser : Où est Liverpool ?
« C’était la chose la plus stupide que je pouvais demander à Shanks – cela fit le même effet
qu’une cape rouge montrée à un taureau, » dit Yeats. « Il bondit sur moi et dit : « Que veux-tu
dire par où est Liverpool ? Nous sommes en Première Division en Angleterre. » » « Je
répondis : « Je croyais que vous étiez en Deuxième Division ? » et il surenchérit : « Pour le
moment nous y sommes. Mais si nous t’engageons nous serons en Première Division l’année
prochaine. » Alors, comment pouvez-vous refuser de signer chez quelqu’un qui montre une
telle confiance en vous ? »
Du point de vue de Shankly, Yeats et St John furent ses acquisitions les plus importantes :
elles l’étaient, disait-il : « le début de tout. » Lors de la campagne de 1961-62, ceux-ci
disputèrent tous les matches de Ligue, aidant à pousser l’équipe au sommet de la Division et
ajoutant 10'000 spectateurs à la moyenne des entrées à domicile. St John inscrivit 18 goals
cette saison-là alors que Jimmy Melia en marqua 12 autres. Mais le buteur le plus prolifique
de Liverpool était Roger Hunt. Son total incroyable de 41 en autant de matches disputés fit de
lui le meilleur buteur du pays. Cela lui apporta une certaine notoriété en Angleterre et lui
permit de battre le record de 36 buts inscrits par Gordon Hodgson trois décades auparavant.
Au printemps, Liverpool était confortablement placé en tête, n’ayant plus besoin que d’une
victoire pour assurer son billet de retour dans l’élite. Ce match crucial se déroula à Anfield
contre Southampton. St John fut forcé d’y assister des tribunes pour cause de suspension.
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A sa place jouait Kevin Lewis, un joueur dont les nerfs à la veille de matches le rendaient
souvent malade. Mais le buteur qu’il était ne trouva aucune raison de s’inquiéter avant la
rencontre. Soutenu par une foule hystérique, il inscrivit les deux buts du match gagné 2-0 par
Liverpool. Quand le coup de sifflet final retentit, des milliers de supporters envahirent le
terrain, agitant crécelles, écharpes, et bannières en signe de triomphe.
Le match eu lieu le 21 avril 1962 – un jour si sombre que les projecteurs accentuaient encore
cette impression. Mais quand l’équipe victorieuse ressortit du tunnel pour un second tour
d’honneur, le soleil finalement apparut. Anfield fut ainsi débarrassé d’une obscurité de huit
années.
Compléter le Puzzle
Il y eut d’inombrables raisons de se rappeler la première saison du retour en Première
Division : le derby de la Ligue vit Roger Hunt inscrire le but égalisateur à 2 partout lors de la
dernière minute de jeu devant 72'488 spectateurs à Goodison. Une victoire 5-2 à Anfield
contre les Spurs, auteurs du doublé en championnat (compensée par une défaite retentissante
7-2 à White Heart Lane trois jours plus tard) ; une série inespérée de neuf victoires en Ligue
durant l’hiver accompagnée d’une défaite en demi-finale de Coupe contre une équipe de
Leicester ultra-défensive. Cette année-là, Liverpool signala son retour en finissant huitième. Il
était temps pour Shankly de montrer à quel point il pouvait être impitoyable quand il
s’agissait de la poursuite des titres majeurs. Le manager éprouvait peut-être des sentiments
particuliers pour l’équipe avec laquelle il avait atteint la promotion en montrant une telle
insolence. Mais, dès le premier jour, alors qu’ils perdaient à domicile 2-1 contre Blackpool, il
sut qu’ils n’étaient pas assez forts pour briguer le titre. Et, en novembre, avec seulement dix
points au compteur en 16 rencontres – les critiques pensèrent alors qu’ils allaient directement
redescendre.
Le temps des sentiments était révolu. Shankly s’en alla engager le demi-défensif des Glasgow
Rangers Willie Stevenson, laissant sur la touche Tommy Leishman, qui avait fait 41
apparitions la saison précédente, Jim Furnell, le gardien de but qui avait remplacé Bert Slater
durant la promotion, fut également prié de céder son poste. A sa place arriva Tommy
Laurence, un réserviste de longue date qui allait porter le maillot frappé du numéro un durant
huit ans. Malgré les effets positifs immédiats que ces changements avaient provoqués, les
premiers points perdus étaient toujours en déficit à la sortie de l’hiver. Et, quand la série de
victoires s’interrompit, ils ne purent plus refaire leur retard sur l’éventuel champion qu’était
Everton.
Toutefois, une équipe qui pouvait prétendre relever des challenges dans le futur prenait forme.
Laurence, Yeats et St John donnaient à Shankly de solides fondations pour construire autour
d’elles. Byrne, Milne, Stevenson, Callaghan et Hunt s’étaient imposés en tant que titulaires,
prêts à entrer dans leurs meilleures années. L’excellent ailier de Preston Peter Thompson
accepta de venir à Anfield pour un montant record de £ 40'000, apportant technique et vitesse
sur le côté gauche. Alors que dans l’équipe réserve des jeunes du crû comme Chris Lawler et
Tommy Smith tapaient du pied pour obtenir leur place en équipe première. Ainsi, quatre ans
après son arrivée, Shankly possédait les joueurs dont il avait besoin. Le temps des trophées
pouvait commencer.
Entraînés à Gagner
Le manager planifiait ses assauts en championnat sur le terrain d’entraînement. Depuis son
arrivée, il avait supervisé les améliorations constantes de Melwood, afin qu’il puisse être
certain d’avoir un centre d’entraînement figurant parmi les mieux équipés et les plus
modernes du pays.
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Il calqua ses méthodes d’entraînement sur celles de Preston, où « tu étais entraîné pour être
footballeur – et non coureur de marathon ou artiste de cirque ». Ces séances duraient 90
minutes, incluant sprints, stretching et exercices de gymnastique. Le menu principal était
composé de matches à cinq contre cinq rapides et acharnés, joués sur un terrain de 45 yards de
long sur 25 yards de large. « Nous pratiquions cela tout le temps, » dit Thommy Smith.
« Nous n’exerçons jamais les corners, les pénalties et les phases de jeu, rien de tout cela.
C’était juste des cinq contre cinq, cinq contre cinq, mise en forme, cinq contre cinq. »
En général c’était les joueurs de la première équipe contre ceux de la réserve, ou les infâmes
membres de « l’équipe du personnel » dont faisaient partie Paisley, Fagan, Bennett et Shankly
lui-même. Le staff demeura invaincu pendant plus d’une décade, principalement par le fait
qu’ils possédaient tous des sifflets. Mais, au-delà de ces tricheries criardes, ils usaient de ce
petit jeu pour savoir qui était le plus tranchant, fort et rapide.
Et puis, il y avait la « boîte de douceurs », une invention de Shankly basée sur une technique
d’entraînement utilisée par son joueur favori, Tom Finney. « Je vous la décris à l’attention des
lecteurs sadiques qui aiment lire des articles à propos de la torture infligée à autrui » écrivit
Roger Hunt. « Il dresse quatre panneaux numérotés pour former un carré. Les panneaux sont
des murs séparés d’environ 20 yards. Ensuite ils appellent deux joueurs. Le premier shoote la
balle contre le panneau de son choix, qui rebondit en formant un angle que l’autre joueur doit
anticiper afin de renvoyer la balle dans la cible pour que cela revienne au premier joueur. »
« Cela semble n’être qu’un jeu d’enfant mais essayez de le jouer sous les yeux de Bill
Shankly et à son rythme et vous réaliserez que cela n’est pas une partie de pique-nique.
Certaines de ces planches sont jalonnées pour former six carrés et nous devons expédier
violemment la balle dans le carré qu’il nous ordonne, par ce moyen vous pourrez constater
que nous développons notre précision et notre sens de l’anticipation. L’entraînement à
Liverpool est le job le plus difficile du football – et ne laissez personne prétendre le
contraire. »
La boîte de douceur mit à genoux les nouvelles recrues. Hunt lui-même fut prêt à s’effondrer
après l’avoir essayée pour la première fois. Mais Shankly était convaincu que ses méthodes
allaient bâtir les joueurs les plus en forme de Grande-Bretagne. Pour être certain que son
travail n’était pas saboté, il insistait pour que ses joueurs se comportent en athlètes. « La façon
dont mes joueurs s’entraînent est vitale, » disait-il. « Mais tout aussi importante, voir plus, est
la manière dont ils récupèrent et leur style de vie. J’essaie de contrôler cela autant que
possible, allant presque jusqu’à ordonner le couvre-feu. C’est un travail de vigilance à plein
temps. »
Lors de la saison 1963-64, tous ses efforts allaient être récompensés. Le plus grand adversaire
de Liverpool durant cette saison fut Manchester United, une équipe reconstruite à la suite de
la catastrophe aérienne de Munich en 1958, qui comptait alors dans ses rangs Bobby Charlton,
Denis Law et un jeune talent du nom de George Best. Durant quatre mois, les deux grands du
Nord-Ouest bataillèrent fermement pour occuper la tête du classement.
En mars, quand United s’inclina à Anfield 3-0, le titre semblait se diriger du côté de la
Mersey. Le 18 avril, à quatre journées de la fin, Liverpool n’avait plus besoin que de deux
points supplémentaires pour remporter le championnat. Leur adversaire du jour était Arsenal.
Des Caméras Braquées Sur le Kop
« Les 28'000 supporters du Kop commencent à chanter à l’unisson – ils semblent savoir
instinctivement quand commencer. Leur rythmique en mouvement est un rituel élaboré et
organisé. »
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« Durant le match, ils inventent de nouvelles paroles, généralement sur des airs d’anciennes
chansons de Liverpool… et à chaque fois qu’ils commencent à chanter ces nouvelles paroles,
ils le font d’une seule voix instantanée et puissante. Ils semblent être instinctivement
connectés les uns aux autres. »
C’est en ces termes que la voix hautaine d’un présentateur de la série des affaires courantes
Panorama, envoyé du côté de la Mersey, décrivit « l’extraordinaire phénomène culturel » de
chants communautaires à Anfield. C’était la fin d’une saison durant laquelle les pensionnaires
du Kop avaient pu exercer leurs voix, passant en revue de simples chants jusqu’aux versions
intégrales de hits des Beatles, Gerry Marsden et Cilla Black. Après avoir adopté ces chansons,
ils les adaptaient : d’abord il y eut les saints – puis les Rouges – qui se mirent en marche ; le
traditionnel « Hit des Fermiers dans leurs Terres » transformé en « Ee-Ay-Adio » ; et le
simple des Routers’ du début des années 1960 intitulé « Let’s Go » fut modifié en un
hommage répétitif à leur idole : « Un-deux, un-deux-trois, un-deux-trois-quatre, St John ! »
Pour une équipe de télévision qui voulait retranscrire la nouvelle ambiance d’Anfield, la
rencontre contre Arsenal ne pouvait offrir meilleure opportunité : un soleil éclatant, 51'000
spectateurs dans le stade, le Kop qui s’enflamme, dégageant quantité de passions débridées.
Alors qu’ils enregistraient une interprétation assourdissante de « She Loves You », les joueurs
pouvaient sentir les vibrations jusque dans les vestiaires. Quand l’équipe entra sur le terrain
une heure plus tard, ils pouvaient à peine s’entendre parler. La future star de Liverpool Geoff
Strong, qui figurait parmi les joueurs alignés par Arsenal, révéla plus tard à quel point la foule
avait diminué le moral des Gunners’ : « Je n’avais jamais entendu de toute ma vie un bruit
comme celui que faisait le Kop cet après-midi-là. Cela provoque l’envie de tout laisser tomber
pour qu’ils arrêtent de porter leur équipe à la victoire. »
Alors que l’opposition était frileuse, les joueurs de Liverpool se déchaînaient. L’ouverture du
score par St John dans les premières minutes fut suivie par un second but d’Alf Arrowsmith –
un attaquant de l’équipe réserve qui avait fait ses preuves en première équipe cette année-là,
atteignant 15 réussites en seulement 20 parties. Thompson transperça les filets de deux
frappes de mules après la pause. Quelques minutes après, il déchira une nouvelle fois la
défense d’Arsenal pour offrir le cinquième but à Hunt.
Quand Shankly fit son salut devant un Kop en délire, une audience d’un million de
téléspectateurs fit connaissance avec le charismatique et miraculeux travailleur d’Anfield. En
moins de cinq ans, il avait rassemblé les meilleurs joueurs d’Angleterre. Et, avec une bonne
dose de discipline et de dur labeur, il avait bâti une équipe prête à rivaliser avec les meilleures
d’Europe.
« Nous étions au paradis quand nous fîmes un tour d’honneur à la fin du match. Je me sentais
si ivre de bonheur que j’aurais pu jouer 90 minutes supplémentaires, » écrivit Hunt. « Le boss
et ses assistants nous ont vraiment fait transpirer à l’entraînement, mais nos efforts en valaient
vraiment la peine. Bill Shankly revendiqua toujours que l’équipe de Liverpool était la plus en
forme du pays et il avait raison. Match après match nous avions toujours le dernier mot parce
que même si nos adversaires pouvaient soutenir la comparaison avec nous en matière
d’habileté, ils ne pouvaient rivaliser jusqu’à la fin. »
Aventures Européennes
Pendant que des footballeurs de la Mersey avaient conquis l’Angleterre, des musiciens issus
de la même région étaient partis à la conquête du monde. En 1964, une audience télévisée
record aux Etats-Unis, estimée à 74 millions de téléspectateurs, vit les Beatles jouer en direct
au Ed Sullivan Show. Les Américains devenaient fous de Liverpool. A peine quelques
semaines plus tard, ils eurent rendez-vous sur la même chaîne pour une apparition des
hommes d’Anfield.
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Shankly emmena son équipe de l’autre côté de l’Atlantique en signe de reconnaissance pour
le titre de Champion, mais aussi pour une préparation rigoureuse aux voyages internationaux.
Avec le titre en poche, ils s’étaient en effet qualifiés pour la Coupe d’Europe ce qui laissait
supposer des voyages à travers tout le Continent.
Les fans de football en Amérique étaient déjà des habitués de Liverpool du fait de leurs
tournées avant-gardistes des années 40 et 50. Bob Paisley, un vétéran de ces voyages, était
ravi d’y retourner. Mais il se rappela plus tard que son manager avait de la peine à
s’acclimater : « Il n’aimait pas vraiment les Etats-Unis pendant que nous étions en tournée,
même s’il avait un faible pour les boxeurs comme Jack Dempsey et les gangsters du temps de
la prohibition. Quand je le rencontrais dans le hall de notre hôtel de New York je lui
demandais s’il voulait visiter le bar de Dempsey. Il regardait sa montre et marmonnait qu’il
était trop tard. Je lui dis qu’il n’était que six heures et demie. Mais sa montre n’était pas
défectueuse et il affirmait que, jusqu’à preuve du contraire, il était onze heures et demie et
qu’aucun Américain ne réussirait à le dissuader de l’heure qu’il était. »
Le désintérêt de Shankly pour tout ce qui était étranger devint aussi un signe récurant des
voyages de Liverpool en Europe. A travers toutes ses campagnes il maintenait que les
autorités locales étaient là pour saboter ses plans. Selon lui, l’équipe fut délibérément installée
dans des hôtels de qualité inférieure où le personnel commençait à percer des murs tôt le
matin pour interrompre leur sommeil ; les joueurs de l’équipe adverse trichaient et feignaient
des blessures, et les arbitres étrangers étaient sujets à la corruption.
Toutefois, il n’eut pas l’occasion de se plaindre lors du tirage au sort de la première rencontre
Européenne de Liverpool – un match aller-retour contre l’équipe semi-professionnelle
Islandaise de Reykjavik en août 1964. Liverpool l’emporta 5-0 à l’extérieur grâce à deux buts
à l’actif de Roger Hunt et Gordon Wallace et une cinquième réussite de Phil Chisnall. Le
match retour à Anfield ne fut qu’une simple formalité à laquelle 32'500 spectateurs assistèrent
malgré tout pour voir leur équipe inscrire 6 autres buts. Toutefois, l’acclamation la plus
retentissante de la soirée fut réservée par les habitués du Kop à l’attaquant de Reykjavik
Felixson qui – contre toute attente – saisit l’occasion d’inscrire un but devant leurs yeux.
L’Islandais quitta la pelouse chaleureusement applaudi – à la fois par la foule et par les
joueurs locaux. Liverpool l’avait emporté 11-1 sur l’ensemble des deux matches et ne pouvait
espérer meilleure entrée en matière dans les compétitions Européennes.
Mais l’opposition allait devenir plus sérieuse. Au tour suivant, ils devaient affronter
Anderlecht – une équipe redoutable qui comptait huit titulaires en équipe nationale de
Belgique. Peu avant la rencontre, Shankly décida de dévoiler une arme secrète – une nouvelle
tenue qu’il croyait capable de terroriser l’adversaire.
« Il m’appela dans son bureau après l’entraînement, » dit Yeats. « Il me dit qu’il voulait que
j’enfile cette tenue entièrement rouge. Alors je l’ai essayée et il m’a demandé de descendre
dans le tunnel d‘Anfield et de sortir en courant en direction du terrain où Shanks se trouvait en
compagnie des autres membres du personnel. Je courus dans sa direction et il dit « C’est cela !
Tu parais avoir vingt pieds de long dans cette tenue. C’est ce que nous allons porter ! » »
Mais il fallait bien plus qu’une nouvelle tenue pour contenir la menace d’Anderlecht, et
Shankly le savait. Il confia ses craintes à Paisley après avoir vu les Belges en action : « Il
revint à Melwood le jour suivant et dit : « Ces gars ne jouent pas à demi-mesures, Bob. Ils
connaissent tout de ce jeu. » Mais il ne le dit jamais aux joueurs, c’était strictement
confidentiel entre nous deux. »
« Il réalisa que nous allions devoir mettre la pression sur ces Belges, les impressionner, sans
quoi ils allaient nous massacrer. »
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La solution se trouvait dans la tactique et dans les classiques de psychologie de Shankly. Sur
le terrain, le manager introduisit le jeune Tommy Smith âgé de 19 ans pour augmenter
l’imperméabilité des lignes arrières. Dans les vestiaires il délivra un de ses plus mémorables
discours devant l’équipe : « Bill parla à tous les joueurs avant le match, » dit Paisley. « Il dit :
« Vous avez lu des articles à propos de tous ces internationaux qu’Anderlecht possède et de la
valeur de ceux-ci. Alors, oubliez cela. Ils ne savent pas jouer. Ils sont nuls. Je les ai vu jouer
et je vous le dis. Vous allez les laminer. Alors, sortez d’ici et faites-le. » »
Les gars sortirent et les laminèrent. Ils l’emportèrent 3-0. Après le match Bill jaillit dans le
vestiaire et dit : « Les gars, vous avez battu la meilleure équipe d’Europe. »
Malgré les moqueries envers Liverpool, dont les chances de remporter une Coupe d’Europe
avaient été sous-estimées, on devait maintenant admettre que cette équipe était digne de
prendre place dans cette compétition. Quand ils revinrent de Belgique avec une autre victoire
en poche, certains prédisaient même qu’ils pouvaient la remporter.
Lutte Domestique
Il y eut un côté sombre à la gloire Européenne. De retour chez eux, leur forme en Ligue fut
catastrophique. Privés de St John, souffrant de l’appendicite, et de Arrowsmith, qui avait été
sérieusement touché pendant la rencontre du Charity Shield contre West Ham, terminée sur le
score de 2 partout, Liverpool connu des débuts désastreux, perdant cinq des huit premières
rencontres disputées. Il y eut une brève éclaircie sous la forme d’une victoire 5-1 contre Aston
Villa. Lors de cette rencontre, le buteur Bobby Graham inscrivit un coup du chapeau pour ses
débuts. Ils revinrent toutefois rapidement sur le chemin de la déception, enregistrant trois
défaites et autant de matches nuls durant la fin d’un automne à oublier. Quand la nouvelle
année arriva, l’espoir d’un nouveau trophée domestique ne subsistait qu’en Coupe, la
compétition que Liverpool semblait ne jamais devoir remporter. La malchance récurrente les
avait à nouveau frappés l’année précédente quand ils atteignirent les quarts de finales et firent
match nul à l’extérieur contre Swansea. Cela semblait être un signe de qualification. Mais,
comme Norwich, Gateshead et Worcester avant eux, le petit club du Sud du Pays de Galles
provoqua l’exploit des quarts de finales en imposant le respect aux hommes de la Mersey
suite à une victoire 2-1 devant des spectateurs d’Anfield médusés.
Des supporters de Liverpool avaient vécu et étaient morts dans l’attente que leur équipe
brandisse enfin ce fameux et ancien trophée. A chaque fois qu’ils mettaient en avant leurs
victoires en championnat ils avaient à supporter les sarcasmes familiers des supporters
d’Everton qui chantaient alors « Vous n’avez jamais gagné la Cup ». Mais Shankly ne douta
jamais qu’ils allaient combler ce manque sur les tabelles honorifiques d’Anfield. Le jour où il
persuada les directeurs de signer Yeats et St John, il promit à ces joueurs qu’ils mèneraient le
club à Wembley pour la gloire.
Le Chemin Vers la Coupe d’Angleterre de 1965
Les fans sentirent que 1965 serait leur année et, comme l’excitation grandissait, 5'000 d’entreeux se rendirent dans les Midlands pour les voir y affronter West Bromwich pour le compte
du troisième tour. Les convois de supporters causèrent le chaos dans le trafic sur la route
principale en direction de la région de l’aubépine et le car de l’équipe de Liverpool fut pris
dans les embouteillages. Comme l’heure du match approchait, Shankly ordonna à ses joueurs
de se changer à bord. Le président du club Sid Reakes sortit du car pour appeler la police à
l’aide, et, seule une escorte formée de motos leur permit d’atteindre le stade pour le coup
d’envoi déjà reporté à 15h20. Pour le match lui-même, Shankly réunit une formation qui
deviendra fameuse : Lawrence ; Lawler, Byrne ; Milne, Yeats, Stevenson ; Callaghan, Hunt,
St John, Smith et Thompson.
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Il les vit prendre un avantage de deux buts grâce à des réussites de Hunt et St John, mais prit
peur quand l’équipe du lieu revint à une longueur et obtint un penalty suite à une faute de
main de Yeats. Par chance, le tir passa à côté – et Liverpool se qualifia pour le quatrième tour.
Le manager était tellement convaincu de gagner au prochain tour qu’il décida de manquer ce
rendez-vous, préférant se déplacer en Allemagne pour y espionner le prochain adversaire des
Rouges en Coupe d’Europe, à savoir Cologne. Sa confiance était facile à comprendre : ses
Champions d’Angleterre avaient tiré un match à domicile contre Stockport County,
pensionnaire de queue de classement en Quatrième Division. En termes de classement en
Ligue de Football Anglaise, c’était le no 1 contre le no 92. Mais c’était la Coupe.
Une foule de 51'000 spectateurs envahit Anfield espérant voir County se faire massacrer.
Malgré le fait qu’ils étaient cotés à 5'000 contre un, l’outsider de la compétition prit
l’avantage et se vit même refuser un penalty, ce qui lui aurait même permis d’ajouter un
second but, le tout dans la première demi-heure de jeu. Bob Paisley était en état de choc et les
fans du Kop redoutaient une nouvelle humiliation en Coupe quand les Rouges finalement
revinrent dans la partie. Gordon Milne provoqua un rugissement de soulagement lorsqu’il
égalisa d’un tir ras-terre après 51 minutes de jeu. Mais, en dépit d’une pression constante
manifestée jusqu’à la fin de la rencontre, Liverpool fut incapable de transpercer une nouvelle
fois la défense. Après 90 minutes, County avait obtenu un match nul 1-1 et le droit de rejouer
le match sur son terrain d’Edgeley Park.
Shankly – dont on dit qu’il avait « pété un plomb » lorsqu’il entendit le résultat – était de
retour aux affaires pour le match à rejouer du mercredi suivant. Il présenta une équipe
inchangée, mais décida de les habiller tout de rouge, comme lors du match contre Anderlecht.
Cette fois, ils parurent délivrés de toute peur. Dans un stade comble envahi de fervents
supporters locaux, Liverpool domina dès le coup de sifflet grâce à un Hunt des grands soirs.
Lors d’un match ou County ne put pratiquement jamais porter la balle au-delà de sa moitié de
terrain, il frappa à deux reprises pour offrir à Liverpool un succès par 2-0. Une pelure de
banane potentielle avait ainsi pu être évitée. Mais le cinquième tour allait leur en apporter une
autre sous la forme de Bolton, une équipe alors en Deuxième Division.
L’intérêt provoqué par cette partie fut phénoménal. Liverpool obtint 20'000 billets pour
Burnden Park mais, même après que ceux-ci eurent trouvés preneurs, il se trouva encore une
forte demande au marché noir. Ce jour-là, il y eut plus de 57'000 spectateurs pour voir Ian
Callaghan battre l’opposition d’une reprise parfaite de la tête. Wanderers fournit de grands
efforts dans les dernières minutes pour obtenir le match nul mais c’était trop tard. Quand
l’arbitre siffla la fin de la rencontre, une nuée de supporters du Kop ayant fait le déplacement
célébra leur qualification pour les quarts de finales.
Un tirage au sort tout aussi inquiétant désigna Leicester – la bête noire de Liverpool qui les
avait battu en demi-finale deux ans auparavant et qui collectionnait une série impressionnante
de victoires durant toute l’histoire de la Ligue contre les Rouges. Au sommet de sa forme,
Gordon Banks dans les buts, le gardien de l’équipe d’Angleterre décrit par Tommy Smith
comme étant « le Mur de Berlin - que tu ne peux abattre ». Comme prévu, Banks rendit une
copie vierge lors du match à Filbert Street, mais Tommy Lawrence en fit de même, lui qui
réalisa une des meilleures prestations de sa carrière entre les poteaux de Liverpool.
Quatre jours plus tard eut lieu le match à rejouer devant 53'324 spectateurs, une affluence plus
grande que celles enregistrées jusqu’alors à Anfield en saison régulière du Championnat. Ce
fut une soirée où planait une atmosphère électrique – et une dont Hunt se souviendra. A la
72ème minute, Yeats rabattit de la tête un corner de Callaghan et le buteur patenté de Liverpool
exécuta une volée pour inscrire le seul but qui qualifiait ainsi l’équipe pour les demi-finales.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
63
Shankly attribua plus tard ce geste tout en puissance de Hunt comme étant le fruit de toutes
les heures passées par le footballeur dans la Boîte de Douceurs de Melwood. L’entraînement
sous haute surveillance payait à nouveau : Liverpool n’était ainsi plus qu’à 90 minutes de
Wembley.
Pile Nous Gagnons
Mais d’abord il fallait surmonter un obstacle supplémentaire en Coupe d’Europe. Une
semaine exactement après le match rejoué contre Leicester, Anfield était à nouveau comble
pour recevoir Cologne. Liverpool avait déjà obtenu un nul 0-0 lors du match allé en
Allemagne et entrait dans le match en pleine confiance pour marquer des buts. Mais, une fois
encore, ils furent tenus en échec par le gardien des visiteurs Schumaker, qui réalisa une telle
performance que Tommy Lawrence traversa tout le terrain en courant pour le congratuler à la
fin du match. « Schumaker a eu le jour de gloire de sa carrière lors de ce match, » dit Shankly.
« C’est à cause de lui que nous avons droit à un match de barrage. » Cette partie, disputée sept
jours plus tard, fit subir au manager, joueurs et supporters le choc émotionnel le plus intense
qui soit. Elle entra d’ailleurs dans les manuels d’histoire du football pour une raison des plus
bizarres.
Le match se déroula sur terrain neutre – au Stade de Feyenoord Rotterdam. Liverpool prit
l’avantage 2-0 grâce à des réussites de St John et Hunt. Mais les Allemands, portés par les
20'000 supporters ayant effectué le déplacement, refirent leur retard de brillante manière en
marquant à deux reprises. De sorte qu’à la fin du temps réglementaire et des prolongations de
30 minutes, le score était de parité 2-2.
Nous étions alors au temps glorieux où les tirs de penalties et le « but en or » n’existaient pas
et l’arbitre décida que l’issue de cette partie serait tirée à pile ou face. Une scène, diffusée sur
tous les écrans d’Europe, vit les deux capitaines se diriger vers le rond central. Après que Ron
Yeats ait choisi « pile », l’arbitre jeta la pièce en l’air. Celle-ci retomba sur terre de façon
invraisemblable sur la tranche. « Je crois que j’essayais de souffler dessus dans un sens et le
capitaine de Cologne faisait de même dans l’autre, » dit Yeats. « Mais après quelques
secondes, je dis à l’arbitre : « Je crois que vous devriez la relancer. » Il me regarda et
dit : « Vous avez raison. » »
Pour les fans de Liverpool dans le stade – ainsi que pour les milliers d’autres qui regardaient
le spectacle à domicile – la tension était devenue insupportable. La pièce fut alors jetée une
nouvelle fois dans les airs et tout ce qu’ils pouvaient faire était d’attendre la réaction de Yeats
et de ses coéquipiers.
Ce qu’ils purent voir étaient des sauts de joie du capitaine accompagné par Tommy Smith et
Roger Hunt. La pièce était retombée du côté pile : Liverpool était qualifié pour les demifinales de la Coupe d’Europe et devait maintenant rencontrer les grands de l’Inter Milan.
C’était une perspective qui mettait l’eau à la bouche mais personne ne pouvait être insensible
au sort des Allemands. Même Shankly qui se trouvait au cœur d’une grande liesse fut choqué
par cette règle stupide : « Même si nous sommes sortis chanceusement victorieux cela ne fait
pas de cette façon de procéder une bonne solution. C’était ridicule. »
Course à l’Adrénaline
Les officiels manquèrent leur tentative de persuader l’Association Anglaise de Football de
reporter la demi-finale de Coupe d’Angleterre contre Chelsea – programmée trois jours
seulement après le match harassant de Rotterdam. Shankly était furieux de leur manque de
coopération envers une équipe Anglaise qui était encore en compétition à la fois sur le plan
national et Européen. « Nous avons contacté la Fédération Anglaise mais, autant que je sache,
nous aurions tout aussi bien fait de contacter le YMCA, » fulmina-t-il.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
64
Mais les joueurs furent rétablis pour la rencontre. La victoire dramatique remportée en
Hollande leur avait donné un coup de fouet au moral et, alors qu’ils sortaient des vestiaires
pour affronter la jeune équipe attrayante de Tommy Docherty, l’adrénaline était remontée.
Une foule compacte de 67'000 spectateurs assista à la rencontre ce jour-là dans le stade de
Villa Park pour voir Liverpool affronter les Londoniens avec confiance et passion.
Durant un peu plus d’une heure, le score resta nul et vierge. C’est alors que Peter Thompson
s’échappa sur l’aile gauche, puis coupa sa trajectoire en direction du but avant d’armer une
frappe puissante qui transperça le gardien de Chelsea Peter Bonetti. Quinze minutes plus tard,
St John fut crocheté dans les seize mètres par le rugueux Ron « Chopper » Harris. Comme le
tireur attitré de penalty Gordon Milne était sorti pour blessure, ce fut à Willie Stevenson
qu’incomba la responsabilité d’exécuter la sentence. Il n’en avait jamais tiré auparavant mais
il resta calme et envoya la balle dans les filets juste sous la barre transversale.
Le coup de sifflet final de l’arbitre donna le coup d’envoi aux réjouissances qui étaient
maintenant devenues habituelles pour les fans des Rouges. Des centaines d’entre eux
envahirent le terrain pour congratuler les joueurs et ramener Thompson sur leurs épaules
jusqu’aux couloirs des vestiaires. Les joueurs de Chelsea avaient de la peine à se consoler,
eux qui étaient entrés sur le terrain en tant que favoris. Une équipe de tête en championnat
face à une équipe diminuée par l’accumulation de matches. Mais les honneurs allèrent à
Liverpool qui avait maintenant rendez-vous le 1er mai à Wembley contre Leeds. Ce jour allait
devenir le plus grand moment des 73 ans d’histoire du club.
Dieu Sauve Notre Equipe
Si quelque chose pouvait tempérer l’ardeur délirante des fans de Liverpool, c’était bien la
nouvelle que ceux-ci ne recevraient que 15'000 billets pour Wembley. Malgré le fait que cela
était légèrement supérieur au nombre de billets accordés à Leeds, c’était environ 5'000 de
moins que le nombre attribué aux autres clubs de la Ligue – et moins de la moitié de ce que
cette région de l’Association de Football pouvait espérer recevoir. Confrontée à un
amoncellement de lettres de protestations, Liverpool appela la Fédération Anglaise à réviser
ses décisions. Les Officiels de la Ville accompagnés des officiers de Police en activités
soutinrent cet appel afin de combattre un marché noir potentiel considérable. Mais
l’Association de Football refusa d’obtempérer, invoquant le fait que la Finale de la Coupe
d’Angleterre était l’événement phare par excellence sur le plan national, ouvert à d’autres
qu’aux seuls finalistes, soit à ceux qui ont encouragé ce sport depuis le bas de l’échelle
jusqu’au sommet.
C’était une opinion démodée et idéaliste qui n’eut pas le pouvoir de décourager le désir des
supporters d’assister à ce match. C’était un match qui avait de tous temps marqué l’histoire,
quand bien même ni Liverpool ni Leeds n’avaient encore gagné la Coupe d’Angleterre. Et,
comme la police l’avait prédit, une énorme demande laissa le champ libre à la surenchère.
Lors de la semaine qui précéda la rencontre, les revendeurs de billets basés à Londres
demandaient – et obtenaient – plus de 20 fois la somme indiquée sur le précieux sésame.
Personne ne fut plus désolé par les plaintes de supporters que Shankly qui avait promis que
les billets tant désirés allaient bientôt « revenir en direction des gars du Kop ». Mais il avait
aussi ses propres problèmes : une semaine avant le rendez-vous de Wembley, il se battait pour
remettre sur pied trois de ses joueurs.
Les convalescents étaient Milne, Callaghan et St John. Milne avait reçu un choc si violent au
genou qu’il avait dû être remplacé avant la fin du match. La cheville de Callaghan était si
enflée qu’il revint de Londres avec un pied dans un sceau de glace – et nécessitant des
injections d’anti-douleurs.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
65
Craignant d’autres blessures, Shankly décida d’aligner des équipes formées de joueurs moins
connus lors des trois matches du championnat qui précédèrent Wembley. Parmi ceux qui
eurent ainsi l’occasion de s’illustrer se trouvait Geoff Strong, qui avait passé le plus clair de
son temps avec l’équipe réserve depuis son transfert record de £ 40'000 d’Arsenal. Pour un tel
événement, il avait besoin de jouer et, à peine 48 heures avant le grand coup d’envoi, Milne
dû déclarer forfait suite au test d’aptitude physique. Ce fut une terrible déception pour
l’homme qui avait joué un rôle si important sur la route de Wembley mais il savait bien qu’il
n’avait aucune chance d’être aligné. Il ferait le déplacement de Londres avec l’équipe mais
Strong prendrait sa place sur le terrain.
En dépit de ces blessures, l’équipe embarqua pour la capitale en pleine confiance. Callaghan
et St John s’étaient bien remis et Shankly supervisa un entraînement intensif à Melwood
durant la semaine avec le reste de l’équipe. Ils passèrent la soirée précédent la rencontre au
spectacle de Ken Dodd au Palladium de Londres – et reçurent une standing ovation quand le
comique de Liverpool annonça leur présence dans un théâtre plein à craquer. Le matin
suivant, les joueurs se réveillèrent pour entendre leur manager être interviewé à l’émission
radiophonique Desert Island Discs de la BBC – et désigner la nouvelle chanson du Kop
« You’ll Never Walk Alone » comme étant sa favorite.
Ce ne fut qu’une des chansons que l’on put entendre de Wembley cet après-midi là. Des
milliers de supporters de Liverpool pénétrèrent dans le temple à peine les portes furent-elles
ouvertes, colonisant la partie Nord du Stade et entonnant un répertoire de chants et mélodies
jamais entendues en ces lieux précédemment. A 14 heures, quand Shankly pénétra sur la
pelouse et se tint devant eux les bras levés, le toit faillit bien s’envoler. Une heure plus tard,
au moment où l’hymne national retentit, des millions de téléspectateurs purent voir et
entendre à domicile la version Liverpoolienne intitulée « Dieu Sauve Notre Gracieuse
Equipe. »
Le manager avait dit à ses joueurs qu’ils devaient se préparer à « sortir et mourir » pour leurs
fans. A peine dix minutes étaient-elles jouées que l’arrière central Gerry Byrne montra le
genre d’héroïsme que Shankly lui-même n’aurait pu que difficilement imaginer. Le défenseur
s’était élancé pour tacler le capitaine de Leeds Bobby Collins qui s’écroula à terre quand l’exjoueur d’Everton se trouvait sur la balle, ce qui lui déboîta l’épaule. Bob Paisley se précipita
sur le terrain pour toucher la clavicule de Byrne et constater immédiatement que celle-ci était
cassée. Mais, comme les remplacements étaient alors interdits, Byrne choisit de continuer,
disputant le reste de la rencontre avec le bras droit pendillant sur le côté – et de garder secret
de ses coéquipiers l’étendue de ses blessures.
Mis à part la bravoure de Byrne, il y eut de nombreux événements mémorables. Leeds jouait
de manière négative, heureux de se sortir indemne de longues périodes de pression imposées
par Liverpool et vivant dans l’espoir de marquer sur contre-attaque. Aucune équipe ne
semblait capable de briser la solide défense adverse et, alors qu’il ne restait que quelques
minutes dans le temps réglementaire, Shankly se pencha en passant devant le boss de Leeds
Don Revie, ce qui laissait les observateurs imaginer que c’était comme « regarder une partie
d’échecs très serrée : une impasse. »
Le match en était maintenant arrivé aux prolongations – les premières dans une finale à
Wembley depuis 1947 – et la suppériorité athlétique des Rouges commençait à payer. En
moins de trois minutes, ils prirent l’avantage. Le goal tomba après que l’homme du match
Willie Stevenson eut effacé deux joueurs de Leeds avant d’offrir une balle de débordement à
Byrne. Le courageux défenseur ignora la douleur pour courir jusqu’à la ligne de fond avant
d’adresser un centre tendu en retrait.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
66
Hunt simula l’exécution d’une volée avant de s’arrêter net pour frapper le ballon de la tête.
Celui-ci prit la direction des filets provoquant l’hystérie tant sur le terrain que dans les
tribunes. « Ca y est, on l’a fait, » cria le buteur à ses coéquipiers qui l’assiégeaient. Personne
n’imaginait alors que l’équipe de Leeds pouvait réaliser l’impossible exploit de revenir à la
marque. Huit minutes plus tard, c’était fait grâce à un tir imparable de Billy Bremner.
Comme les joueurs changeaient de camp, Shankly donnait ses instructions, essayant de
motiver ses troupes une dernière fois : « Ils ont tiré leurs dernières cartouches. Ils ont tout
donné. Portez-leur le coup de grâce. » Ses propres joueurs étaient visiblement fatigués,
certains souffraient de crampes et portaient leurs chaussettes à hauteur des chevilles. Mais,
alors que la pluie s’abattait maintenant sur la pelouse de Wembley, St John fournit un ultime
et suprême effort, plongeant pour reprendre de la tête un centre de Callaghan et battre le
gardien Gary Sprake.
Cette fois, cela y était vraiment. Les têtes des joueurs de Leeds s’abaissèrent et seuls quelques
brillantes parades de Sprake empêchèrent Liverpool de creuser encore l’écart. Après 120
minutes de jeu, les fans de Liverpool entonnèrent « Ee-Ay-Addio, nous avons gagné la
Coupe. » Quelques secondes plus tard vint le coup de sifflet libérateur de l’arbitre – personne
n’avait encore vu foule aussi euphorique.
Cette fête si intense semblait vouloir durer à tout jamais. Le tour d’honneur fut interminable,
des milliers de fans refusèrent de s’en aller et ceux qui se trouvaient à l’extrémité ouest du
stade continuèrent leurs célébrations. A peine un jour plus tard, ceux-ci furent de retour sur les
bords de la Mersey. Ils ne représentaient qu’une infime partie de la foule d’un demi-million
de personnes – bien plus que tout ce qui avait pu être vu jusqu’alors dans la région y compris
le jour de l’armistice. Pour ceux qui étaient présents, ce fut un jour d’une émotion
inoubliable : un jour ou les joueurs luttèrent pour retenir leurs larmes pendant qu’ils
paradaient en brandissant leur trophée du haut d’un bus à ciel ouvert, un jour enfin où les fans
les plus âgés purent dire à leurs familles « Maintenant je peux mourir heureux. »
Pour l’équipe, la saison n’était pas terminée. Une demi-finale aller-retour en Coupe d’Europe
contre Inter Milan (voir page 75) allait générer autant de drame, d’excitation et de controverse
que la majeure partie des autres joueurs de ce monde ne connaîtraient jamais durant toute leur
carrière. Pour les supporters, le match de Wembley tirait un trait sur le passé. Cela avait
provoqué le plus grand moment de fierté de Bill Shankly : « Ca a pris 73 ans, et je pense que
cela aurait provoqué une immense disgrâce pour les gens de Liverpool s’ils avaient eu à
supporter les provocations des autres qui auraient dit alors : « Vous n’avez pas gagné la
Coupe cette fois non plus. » Ils en auraient eu honte. »
« Mais maintenant nous avons remporté la Coupe et c’était le plus grand moment de ma vie –
parce que nous l’avons fait pour le peuple de Liverpool. »
1966 et Tout Cela
La condition physique était la chose primordiale pour Shankly. Cela permit à son équipe
d’accéder de la Deuxième à la Première Division. Ils avaient pu grâce à elle gagner le
championnat et la Coupe d’Angleterre et survivre au contact des meilleures formations
d’Europe. Dans un monde idéal pour Shankly ses hommes ne seraient jamais blessés, jamais
fatigués ni n’auraient besoin de repos. Lors de la saison qui suivit le triomphe en Coupe, il
atteint presque cet idéal – n’utilisant que 14 joueurs de toute la campagne.
C’est une statistique étonnante en considération des systèmes de rotation pratiqués de nos
jours et le fait que tant de joueurs peuvent entrer en jeu durant une seule partie. Et, même
placé dans le contexte des années 60, aucun autre club ne pouvait se targuer d’avoir une
consistance aussi solide que celle de la composition de l’équipe de Liverpool. Semaine après
semaine, les joueurs se sélectionnaient virtuellement eux-mêmes.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
67
Seul le poste de titulaire demi-gauche donnait lieu à une rivalité entre Milne et Strong pour
savoir quel nom figurerait sur la feuille de match. L’équipe de Shankly avait évolué et était
devenue mature à l’intérieur d’une famille qui fonctionnait en tant qu’unité de jeu à part
entière. Chaque membre de celle-ci connaissait par cœur les caractéristiques de l’autre. Ils
s’entraînaient en groupe, travaillaient pour le coéquipier et se socialisaient même ensemble.
Fitness, habileté, force et travail d’équipe : tous ces points avaient atteint leur apogée lors de
la saison 1965-66 – et personne en Angleterre ne pouvait le contester.
La bataille pour l’obtention du titre de champion avait commencé de façon assez ordinaire,
avec trois victoires lors des trois premiers matches, une défaite et un match nul. Mais
rapidement les Rouges devinrent compétitifs, remportant 13 de leurs 18 rencontres suivantes –
inscrivant cinq buts contre West Ham, Everton, Northampton et Blackburn. En novembre, ils
étaient en tête ; à Pâques, ils avaient fait le trou derrière eux. Quand Chelsea vint à Anfield à
la fin avril, Liverpool n’avait déjà plus besoin que d’un nul pour remporter un nouveau titre.
Avant le match, les joueurs de Tommy Docherty formèrent une haie d’honneur et
applaudirent l’équipe locale qui entrait sur le terrain. A la fin de la rencontre, Ron Yates
disparu derrière la même haie d’honneur avec deux points supplémentaires – et le trophée de
vainqueur du championnat.
Liverpool avait maintenant égalé le record d’Arsenal avec sept titres, et leur héro de la saison
fut – une nouvelle fois – Roger Hunt. Il augmenta son quota phénoménal de buts marqués en
inscrivant 30 goals sur 37 matches disputés. Le genre de forme qui suffit à convaincre Alf
Ramsey de le choisir en lieu et place de Jimmy Greaves pour la campagne de Coupe du
Monde de 1966. La défense de Liverpool fut elle-aussi particulièrement inspirée durant toute
la saison, avec Byrne, Smith et Yeats, toujours présents, ainsi que Lawler sélectionné à 40
reprises. Avec Tommy Lawrence, qui joua tous les matches de Ligue, la ligne arrière ne
concéda que 34 buts.
En dépit de leur invincibilité en Ligue, la défense fournit une cruelle contre-performance en
Coupe d’Angleterre. Une rencontre à domicile contre Chelsea qui attira 54'000 spectateurs à
Anfield, dont la majeure partie revinrent déçus par le fait que les Londoniens prirent leur
revanche de leur défaite en demi-finale de l’année précédente. Hunt, qui ouvrit le score après
à peine deux minutes de jeu, fut rapidement imité par Peter Osgood d’une reprise de la tête.
Alors que la deuxième mi-temps était déjà bien engagée, une nouvelle reprise de la tête de
Bobby Tambling cette fois, donna la victoire à Chelsea et indiqua la porte de sortie à
Liverpool après seulement trois tours disputés.
Bien que l’échec en Coupe d’Angleterre ne fut pas si pénible à digérer du fait de la victoire de
1965, ce fut malgré tout une amère déception. Maintenant, les fans de Liverpool s’étaient
habitués à l’excitation provoquée par les grandes compétitions disputées selon le système de
l’élimination directe et beaucoup redoutaient les symptômes d’une chute d’adrénaline. Mais
ils n’avaient pas à s’inquiéter, une nouvelle aventure Européenne allait commencer.
Emprunter la Route Principale
Cette fois l’autoroute Européenne mena jusqu’au Hampden Park de Glasgow, site choisi pour
accueillir la finale de la Coupe des Vainqueurs de Coupe de 1966. C’était une compétition à
laquelle il manquait la fascination et le prestige des autres Coupes Européennes mais qui
permettait quand même à l’équipe de Shankly de se mesurer à certaines des meilleures
formations du Continent. Lors du tour préliminaire, ils enregistrèrent un nul contre Juventus –
une manche qui leur permit d’avoir la chance de prendre une revanche contre une équipe
Italienne.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
68
Les joueurs étaient peut-être les mêmes mais ils sortirent des vestiaires dans d’autres
dispositions lors de la première manche à Turin que lorsqu’ils avaient perdu pied à l’époque
au stade San Siro. Liverpool était maintenant bien mieux organisé, mettant au point un
système discipliné afin de museler les attaquants de la Juventus. Après exactement neuf
minutes de jeu, l’équipe locale prit l’avantage grâce à une longue action collective – mais ils
devaient maintenant faire le voyage du côté de la Mersey avec le plus maigre avantage au
score.
Bien que les supporters n’eurent pas l’espoir de recréer la même atmosphère que lors du
match contre Milan, les 51'000 spectateurs qui assistèrent au match à Anfield firent de leur
mieux. Le Kop était très en voix dès le début, portant Liverpool face à une équipe déterminée
à conserver ses 11 joueurs en défense. Hunt, St John et Thompson attaquèrent avec passion et
brio mais ce fut le défenseur Chris Lawler qui, après 20 minutes de jeu, eut le privilège de
transpercer la défense adverse d’un coup de tête à bout portant suite à un coup-franc botté par
Willie Stevenson.
Juventus avait la réputation d’avoir la défense la plus hermétique du championnat le plus
hermétique. Mais, cinq minutes après l’ouverture du score de Lawler, ils furent menés 2-0
grâce à un missile de Strong d’une distance de 18 yards. Forcés de se découvrir et d’attaquer,
les Italiens montrèrent enfin certaines de leurs qualités pour lesquelles ils étaient célèbres,
toutefois comme ils peinaient à égaliser, ils délivrèrent alors un répertoire de plongeons et de
fautes qui consterna la foule et fit se lever tout le banc de Liverpool. Les Rouges conservèrent
leur avantage et Juventus quitta le terrain sous les sifflets du public.
Ce fut le même scénario lorsque le Standard de Liège, vainqueur de la Coupe de Belgique, se
rendit à Anfield pour le match allé du tour suivant. Suite à une succession de fautes en début
de rencontre, on retiendra surtout le crachat de l’avant-centre Claessens au visage de Ron
Yeats – qui boîta bientôt bas quand le capitaine des Rouges lui redonna la monnaie de sa
pièce suite à un tacle appuyé. Après une victoire 3-1 sur les Belges, les joueurs durent faire
face à la foule la plus chauvine depuis celle rencontrée à Milan. En dépit de l’hostilité
manifestée – et d’encore plus de tactique crasse de la part de l’équipe locale – ils revinrent
avec une fameuse victoire 2-1.
Au tour suivant, Liverpool prit facilement la mesure de l’équipe Hongroise de Honved,
enregistrant un match nul 0-0 à Budapest et une victoire 2-0 à Anfield grâce à des buts de
Lawler et St John. Liverpool n’était plus qu’à une longueur de la finale, mais pour y parvenir,
ils devaient maintenant terrasser la grande équipe Ecossaise du Celtic. Ce match fut baptisé
« La Bataille de Grande-Bretagne ».
Et elle tint ses promesses. Renforcé par sa victoire 1-0 à domicile devant 80'000 spectateurs,
le Celtic débarqua à Anfield en pleine confiance. Liverpool eut passablement de peine en
première mi-temps et, sans Hunt blessé, c’était presque mission impossible que de briser
l’équipe de Jock Stein, futur vainqueur de la Coupe d’Europe. Ils installèrent une pression
constante dès le début, obligeant le gardien du Celtic Ronnie Simpson à effectuer une série de
brillantes parades. Après exactement une heure de jeu, Tommy Smith rétablit la parité d’un
coup-franc ras-terre de 25 yards.
L’atmosphère devint très chargée. De la vapeur se dégageait du Kop où 25'000 fans mouillés
par un mélange de pluie et de chaleur, oscillaient à l’unisson. Du côté d’Anfield Road, des
hordes de supporters du Celtic étaient en compétition pour la suprématie vocale. Des milliers
d’entre eux avaient effectué le déplacement, sûrs de leur victoire qu’ils avaient déjà
commencé de célébrer durant l’après-midi dans les pubs du centre-ville. Certains de ceux-ci
continuèrent leurs célébrations durant le match – introduisant clandestinement des bouteilles
de Whisky par les tourniquets du stade.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
69
Mais ils allaient au devant d’une grande déception. Affichant un courage rappelant celui de
Gerry Byrne en finale de Coupe d’Angleterre, Geoff Strong disputa la majorité de la rencontre
en dépit d’atroces douleurs à un genou blessé. Après 67 minutes de jeu, il utilisa sa jambe
valide comme rampe de lancement – et réussit à reprendre le ballon de la tête sur un centre de
Ian Callaghan.
Alors que le Kop explosait, la mauvaise humeur du camp opposé s’accentua sérieusement. Et
quand Celtic se vit refuser un but juste avant la fin du match, un torrent de bouteilles de bière
et d’alcool se déversa sur le but de Tommy Lawrence. Comme le gardien s’était enfui pour
conserver son intégrité, la police intervint et l’arbitre fut forcé d’interrompre le match. Il y eut
une série d’arrestations et une cinquantaine de personnes, placées devant les barrières, durent
être soignées pour des coupures de verre provoquées par le jet de bouteilles. Quand l’ordre fut
rétabli, le jeu pu reprendre – et Liverpool remporta une victoire méritée.
Une autre saison, une autre finale. Malheureusement, la gloire récoltée à Wembley ne se
répéta pas à Hampden. Lors d’une étrange et silencieuse rencontre contre le Borussia
Dortmund, les Rouges ne purent jamais emballer la rencontre. Une pluie torrentielle et la
tentation de suivre le match à la télévision avaient atténué la densité de la foule : seulement
41'000 spectateurs dans un stade qui pouvait en contenir plus du double. Les Rouges qui
effectuèrent le voyage essayèrent de générer une certaine ambiance mais ils se trouvaient en
face d’une cohorte Allemande renforcée par des Ecossais prétendus « neutres ». Ce fut un
triste spectacle ponctué d’une sortie démoralisante quand Borussia l’emporta 2-1 – et souleva
la Coupe.
Mais, alors que le printemps 1966 s’avançait peu à peu vers l’été, il y eut plein de nouvelles
choses à savourer pour les Liverpooliens. Leur équipe avait conforté sa position dominante
dans ce sport sur le territoire Anglais. Le Chevalier du Kop, « Sir » Roger Hunt, avait aidé
l’Angleterre à conquérir le monde lors d’une autre après-midi inoubliable à Wembley. Et Bill
Shankly – l’homme qui avait effectivement transformé Anfield en un bastion d’invincibilité –
s’engagea pour le futur de son club en signant une nouveau contrat de cinq ans. Son coût ?
£ 4'000 par année.
TOP 10
BUTEURS EN LIGUE
1. Roger Hunt
2. Ian St John
3. Kevin Lewis
4. Jimmy Melia
5. Dave Hickson
6. Alan A’Court
7. Ian Callaghan
8. Alf Arrowsmith
9. Gordon Milne
10. Peter Thompson
1960-1966
COUPS DU CHAPEAU
186
72
39
38
37
25
22
17
16
16
1. Roger Hunt
2. Ian St John
3. Jimmy Harrower
4. Alf Arrowsmith
5. Bobby Graham
6. Dave Hickson
7. --8. --9. --10. ---
NOMBRE DE MATCHES EN LIGUE
10
2
1
1
1
1
1. Roger Hunt
2. Gerry Byrne
3. Gordon Milne
4. Ron Yeats
5. Ian Callaghan
6. Ian St John
7. Jimmy Melia
8. Tommy Lawrence
9. Ronnie Moran
10. Willie Stevenson
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
70
269
233
203
192
188
188
165
152
152
146
JOUEUR
ROGER HUNT
« Les habitués de Liverpool virent d’eux-même dimanche qu’ils tenaient une nouvelle
star en devenir … ce ne fut pas seulement le but de Roger Hunt, qu’il inscrivit en
champion avec beaucoup de panache suite à une chevauchée de plus de 20 yards, qui
créa cette heureuse impression, mais également la façon dont il jouait au ballon, comme
il se battait pour en avoir la possession – et souvent en restait maître – qui en faisaient
un extraordinaire jeune talent. »
Liverpool Daily Post, Septembre 1959
Roger Hunt avait 21 ans quand il fit sa première apparition sous les couleurs de Liverpool.
Quand il quitta Anfield, une décade plus tard, il avait battu la plupart des records de buts
marqués figurant dans les manuels.
Il atteint les cents buts inscrits en seulement 144 rencontres disputées, remporta le classement
des buteurs durant huit années successives, marquant à chaque fois qu’il effectuait ses débuts
en Ligue, en Coupe d’Angleterre, en Coupe d’Europe et en Equipe d’Angleterre. Il trouva les
filets adverses à 41 reprises lors de la saison victorieuse de 1961-62 qui vit les Rouges obtenir
leur promotion. Son compteur en Ligue atteint le total final de 245 buts ce qui devint le record
du club.
Ce fut Bill Jones, le défenseur formé à Liverpool, qui remarqua Hunt alors qu’il jouait pour le
club amateur de Stockton Heath dans le Chesshire. Il recommanda le jeune prodige à son
manager Phil Taylor.
Il ne disputa que cinq matches avec l’équipe réserve avant que Taylor ne lui donne sa chance
en première équipe. Une fois qu’il en fit partie, il fut impossible de l’en déloger. Il apporta sa
contribution en inscrivant 21 buts lors de sa première saison et persuada le nouveau boss Bill
Shankly de l’inclure dans ses plans de révolution à Anfield.
Hunt repaya la confiance accordée. Il forma une paire tranchante avec la nouvelle acquisition
du club Ian St John et, ensemble, les deux jeunes footballeurs menèrent Liverpool à la
promotion. Il inscrivit 31 buts lors de l’obtention du titre de champion en 1964 et 30 autres
quand ils remportèrent à nouveau le trophée deux années plus tard. Entre-temps, il marqua le
premier goal de Liverpool dans une finale de Coupe d’Angleterre – aidant ainsi son équipe à
remporter la légendaire victoire de Wembley contre Leeds.
Il était peut-être adulé sur les bords de la Mersey mais la presse basée à Londres faisait de lui
la cible principale de constantes critiques. Les journalistes mettaient constamment en cause sa
sélection en équipe d’Angleterre et trouvaient insensé qu’Alf Ramsey préfère son style de
gentleman au fantasque Jimmy Greaves. Le choix d’inclure Hunt dans la sélection pour la
Coupe du Monde 1966 fut particulièrement mal reçu à Fleet Street. Et les critiques fusèrent.
« Il a inscrit plus de buts pour l’Angleterre que quiconque par le passé. Il était le principal
atout pour gagner un match, » écrivit plus tard Hunt. « Moi ? j’ai disputé les cinq matches,
inscrit trois goals, joué du mieux que je pouvais. Mais, pour les scribouillards, je n’étais qu’un
travailleur. Ils voulaient un génie. Ils voulaient Greaves. »
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
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Mais ce fut Hunt qui fut aligné contre l’Allemagne à Wembley – le seul représentant de
Liverpool au plus beau jour du football Anglais. Il reçut un accueil digne d’un héros à son
retour à Anfield. Et alors que Ramsey obtint son titre de Chevalier, le Kop demanda que les
honneurs soient partagés. Dès cet instant, ils le baptisèrent pour l’éternité « Sir » Roger Hunt.
Durant toute sa carrière, il marqua 18 fois en 34 apparitions en équipe d’Angleterre, inscrivant
également 286 goals en 492 matches sous les couleurs de Liverpool. Il quitta le club pour
Bolton en 1969 mais demeura l’idole de beaucoup. Son immense popularité ne s’estompa
jamais. Trois ans plus tard, 56'000 fans défiaient le pluie et le vent pour assister à son jubilée
qui eut lieu à Anfield.
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MANAGER
BILL SHANKLY
Il hérita d’une équipe de Deuxième Division, d’un stade en ruine et de supporters
désenchantés. Il repartit en laissant un stade moderne, une équipe mondialement connue
et une relation inébranlable entre un club et ses fans. Bill Shankly n’a peut-être pas été
le manager le plus titré de l’histoire du club mais il restera comme étant le plus vénéré.
Il restaura la foi, injecta la passion et construisit les fondations d’une future domination
en Europe.
Shankly était opiniâtre, amusant, excessif – et dévoué jusqu’à l’obsession. Il était le moteur
suprême qui insuffla en ses joueurs une grande confiance en eux. Il inspira une loyauté sans
précédent à sa ville d’adoption.
Son caractère fut forgé à Glenbuck, un village minier du Ayrshire qui est maintenant rayé de
la carte au même titre que le minerai qui lui permettait alors d’exister. Déterminé à fuir une
existence sous-terre, lui et ses quatre frères dédièrent leur temps libre au football. Du temps
où ils étaient adolescents, chacun d’eux devint professionnel. Ce fut Bill qui démontra le plus
de talent. Sa carrière à Preston lui rapporta une médaille de vainqueur de la Coupe
d’Angleterre et 12 sélections internationales. Sa volonté de gagner impressionnait son
légendaire coéquipier Tom Finney : « Il ne sait réellement pas ce que le mot « défaite » veut
dire. »
Finney observa également que son coéquipier n’avait qu’une seule pensée vouée au football –
une caractéristique qu’il développa dès son premier emploi en tant que manager, se souvient
l’ancien footballeur des Rouges, Albert Stubbins : « Ma femme et moi étions dans un train à
la gare de Carlisle quand il y eut ce bruit contre la fenêtre du wagon. C’était Bill Shankly qui
me faisait signe qu’il désirait que je sorte en vitesse du train. Je dis « Excuse-moi » à mon
épouse et sortit. Bill ne perdait jamais de temps en préambules du genre « Comment va la
famille ? » ou « Comment vas-tu ? » ou autres politesses. « Albert, » dit-il, « quand tu
t’échappes sur l’aile, est-ce que tu aimes que le demi-centre de l’autre équipe te poursuive ? »
Je répondis : « Oh oui, je peux ainsi provoquer une brèche pour qu’un coéquipier puisse
s’engouffrer au centre. » Il ajouta : « Excellent, c’est ce que je voulais entendre. J’ai essayé
depuis des semaines de les faire jouer comme cela, mais je leur communiquerai certainement
tes conseilles la semaine prochaine. » Il me serra la main et je ne le revis plus pendant quatre
ans. »
Après Carlisle, il devint un manager au pouvoir limité à Grimsby, Workington et
Huddersfield – avant de débarquer à Liverpool où ses grandes ambitions purent se concrétiser.
Il obtint la promotion, remporta deux fois le championnat et ramena la Coupe d’Angleterre
pour la première fois de l’histoire du club. Il bâtit alors une deuxième équipe assez forte pour
gagner d’autres titres en Angleterre – et également un trophée Européen.
Il était d’un naturel blagueur mais pouvait être féroce dans les vestiaires. Tommy Smith
décrivit comme il terrorisait ses joueurs en leur montrant des images d’anciens gangsters
Américains : « Tu crois que tu vas avoir de la peine à t’imposer cet après-midi ? Alors
regarde-les. Ces mecs, quand ils se trompent, ils se font descendre. »
Toutefois, il inspirait également une profonde loyauté à ses joueurs, les instruisant à faire
partie des meilleurs du monde – et démolissant l’opposition sans autre forme de procès.
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Kevin Keegan se souvient comment Shankly observa un jour le capitaine de l’équipe
d’Angleterre Bobby Moore sortir du car de l’équipe de West Ham dans le parking d’Anfield :
« Il me dit « N’aie pas peur de lui – il est de nouveau allé au nightclub. Il est mou, il a des
valises sous les yeux et il a des pellicules. » Ce fut un Keegan conquérant qui sortit alors des
vestiaires et contribua fortement à la victoire de Liverpool 1-0. Après le match, d’autres mots
du boss résonnèrent à ses oreilles : « Aah, ce Bobby Moore, quel joueur n’est-ce-pas fils ? Tu
ne trouveras jamais plus de meilleur défenseur en face de toi de toute ta vie ! » »
Comme il était adoré de ses joueurs, il conquit également l’adoration du public. Phil
Thompson se rappelle qu’il leur rendit la monnaie de leur pièce par une loyauté indestructible.
« Nous venions de remporter le titre et nous effectuions un tour d’honneur à Anfield. Shanks
sortit pour recevoir les acclamations du public et tout le stade devint comme fou – il y eut
quantité d’écharpes, de chapeaux et de bannières jetées sur le terrain. Alors, un policier shoota
dans une écharpe qui se trouvait sur son chemin et l’envoya dans la boue. Shanks devint fou.
Il explosa : « Eh, quelqu’un a payé de son argent pour avoir cela, ne l’expédiez pas comme
ça ». Il ramassa l’écharpe, l’enroula autour de son propre cou et continua son chemin. Tout à
coup, il se retourna pour faire face au policier : « Vous ne réaliser pas ce que vous venez de
faire ? » Dit-il. « Cette écharpe, c’est la raison de vivre de quelqu’un. » »
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MATCH
LIVERPOOL CONTRE INTER MILAN
DEMI-FINALE COUPE D’EUROPE 1965
Si le jour le plus mémorable eut lieu à Wembley, la plus grande soirée appartint à
Anfield. A peine 72 heures après que Ron Yeats eut brandi la Coupe d’Angleterre, lui et
ses coéquipiers se préparaient à affronter l’Inter Milan devant le public le plus sauvage
et bruyant jamais vu jusqu’alors dans un stade Britannique. Les entrées avaient été
fermées à 17h30. Les 25'000 supporters du Kop chantèrent et bougèrent pendant deux
heures. Personne ne pouvait prétendre avoir déjà rencontré atmosphère plus électrique.
A part Bill Shankly. Quelques secondes après que les Italiens firent face au Kop pour
effectuer leur échauffement, le boss envoya Gerry Byrne et Gordon Milne dans le tunnel
des vestiaires pour accueillir le seul trophée qu’il fallut attendre 73 ans avant de
l’apercevoir à Anfield. Cela provoqua une véritable éruption volcanique dans les
tribunes.
Ce qui arriva alors sera à jamais gravé dans le folklore du LFC : un match lors duquel
Liverpool démontra une passion débordante, mêlant force et habileté ; une rencontre dans
laquelle les stars Rouges de ce coin de pays affrontaient humblement certains des
internationaux les plus célèbres du monde. Près de quatre décades plus tard, les joueurs
formés au club en ont encore des palpitations. « C’était la nuit de toutes les nuits », dit Ian St
John. « La soirée où nous et le club lui-même devinrent grands. »
Roger Hunt donna le ton après quatre minutes de jeu, d’une reprise de volée dans les filets
suite à un centre de Callaghan. Inter égalisa rapidement mais Liverpool donna alors une leçon
de football aux Italiens. « Nous les avons massacrés, » dit Tommy Smith. « Nous leur avons
donné la pâtée, » dit Shankly. « Avec notre forme de l’instant nous aurions battu n’importe
quelle équipe du monde, » dit Yeats. Callaghan ajouta un second but – parachevant un coupfranc éblouissant élaboré à Melwood : Alors qu’il ne restait qu’un quart d’heure à jouer, St
John suivit un tir de Hunt et marquait. La petite poignée de supporters Milanais qui avait fait
le déplacement n’avait jamais vu leur équipe être pareillement dominée. Alors, le Kop leur
chanta une sérénade sur le thème de Santa Lucia :
« Oh Inter, un-deux-trois
Retourne en Italie ! »
Si Anfield se distinguait par son humour, San Siro à Milan se trouvait être le stade le plus
inhospitalier d’Europe. Face à 90'000 personnes frénétiques et haineuses, sous des nuées de
fumigènes et une pluie de fusées éclairantes provenant des tribunes, les joueurs furent insultés
et bombardés de pièces de monnaie. « C’était comme à la guerre, » dit Shankly. La
controverse passa rapidement des tribunes au terrain. Après huit minutes de jeu, l’arbitre
accorda un coup-franc en faveur de l’Inter à l’orée des seize mètres en indiquant que celui-ci
devait être tiré de façon indirecte. Toutefois, quand le tir brossé par Corson rentra directement
dans le but, il accorda le goal.
Quelques minutes plus tard Tommy Lawrence, qui avait bloqué la balle dans sa surface de
réparation, vit Piero la shooter alors qu’elle était dans ses mains, celui-ci n’eut alors plus qu’à
la pousser dans le but vide. Les protestations de Liverpool furent ignorées et l’Inter se
retrouvait ainsi à égalité sur l’ensemble des deux matches.
CINQUIEME CHAPITRE 1960-1966 CONSTRUIRE LE BASTION
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L’injustice de ces décisions combinée au stress d’une saison sans fin eurent finalement raison
des Rouges et, alors que l’Inter inscrivait un troisième but et qu’un feu d’artifice illuminait le
ciel de Milan, ils surent qu’il n’y avait plus d’espoir de retour au score. Shankly et Paisley
tirèrent toutefois de précieuses leçons à propos de tactique et de ce qui attendait les équipes
Anglaises à l’avenir. Leçons qui allaient mener un jour leur club au sommet du football
Européen. Mais, en cette soirée Milanaise, les joueurs et l’équipe des entraîneurs furent
dépités. Tommy Smith admit plus tard avoir donné un coup de pied à l’arbitre quand il
emprunta le tunnel pour rejoindre les vestiaires. Et, alors qu’on l’interviewait à propos de ce
match quelques 15 années plus tard, Shankly n’avait toujours pas pardonné à l’arbitre : « De
toutes les personnes que j’ai pu croiser jusqu’à ce jour, il est le seul homme qui hante encore
mes pensées aujourd’hui. »
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