La Politique de l`enfant unique en République Populaire de Chine

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La Politique de l`enfant unique en République Populaire de Chine
La Politique de l’enfant unique en
République Populaire de Chine
Bilan et répercussions sur la société
14/12/2009
SciencesPo Paris, Collège Universitaire du Havre
Babacar Pierre SECK
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
Introduction :
Il y a un proverbe chinois qui dit « élever une fille, c’est arroser le champ de son
voisin ». Aujourd’hui, une des conséquences des politiques malthusiennes de la République
Populaire de Chine (RPC), et plus particulièrement de la Politique de l'enfant unique (PEU)
est un déficit de 30 millions de filles et femmes dans le pays. La PEU appliquée en RPC a
suscité bien des émois, tant dans la société chinoise, qu’au niveau international. Bien que la
croissance démographique de la RPC ait perdu de se vitesse, il est nécessaire de voir
comment cette régulation s’est effectuée et quels en sont les répercussions.
Quels est le bilan de cette politique et quelles sont ses conséquences sur la société
chinoise ?
Afin de répondre à cette question, nous étudierons tout d’abord la genèse de cette
politique, et en quoi elle s’inscrit dans un processus historique, ses résultats. Par la suite,
nous présenterons les effets que cette loi a causés sur le statut de la femme chinoise, mais
aussi sur son bien-être. Enfin, nous discuterons des répercussions de cette loi sur le reste de
la société chinoise aujourd’hui et dans les années à venir.
I-
La PEU en RPC : genèse d’une loi
Depuis sa création le 1er Octobre 1949 par Mao Zédong, le Parti Communiste a imposé
bien des réformes de toutes sortes à la population chinoise. La régulation des naissances est
un des domaines dans lequel les gouvernements de la RPC ont tenté d’influer. Après de
multiples lois et décrets, nous sommes finalement arrivés à l’adoption de la loi de l’enfant
unique par le Parlement chinois lors de sa 25e session en décembre 2001.
Quel est le chemin parcouru pour en arriver là ? Quel a été l’impact de ces multiples
formes de contrôle des naissances par le gouvernement chinois ?
(a) histoire des politiques antinatalistes
De 1956 à 1978 : Vers une politique de plus en plus stricte de contrôle des naissances
En 1953 eut lieu le premier recensement de la population chinoise. Au grand dam des
autorités, il y a non pas 500 millions de chinois comme prévu, mais 600 millions ! 100
millions de trop ! Un certain nombre d’intellectuels, dont Ma Yinchu, le « Malthus
Chinois », tirent la sonnette d’alarme et plaident pour une limitation des naissances. Le Parti
ne réagit pas tout de suite à ces appels ; s’ensuit une période de confusion parmi les
dirigeants.
Puis, en 1956, Mao déclare : « A l’exception des zones habitées par les minorités
territoriales, il est nécessaire de populariser le contrôle de la fécondité et de promouvoir la
limitation des naissances dans les régions densément peuplées », ce même Mao qui
affirmait quelques années auparavant que : « Même avec une population plusieurs fois
multipliée, la RPC est tout à fait capable de trouver une solution ; cette solution, c’est la
production » . Cette directive sera appliquée à travers une production massive de
contraceptifs, et la mise à disposition de l’avortement et de la stérilisation, à condition que
la femme demande la permission à son mari, c’est la Première Campagne. Toutefois, cette
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
propagande, mal expliquée à la population, n’a aucun impact en dehors des villes, et reste
une tentative loupée. C’est le début des politiques de restriction des naissances en RPC.
D’autres mesures de limitation des naissances seront utilisées dans les années
suivantes, telles que l’instauration d’un âge légal de mariage, l’espacement obligatoire entre
les naissances… Cette Première Campagne sera suivie de deux autres, la Seconde Campagne,
lancée en 1962 fera la promotion de l’avortement volontaire. La Troisième Campagne, aussi
appelée wan-xi-shao1. imposera un système de quotas des naissances, réparties par zones
administratives.
Toutefois, ces politiques de limitation des naissances seront interrompues dans leur
continuité par plusieurs revirements, notamment en 1957, après l’échec de la Campagne de
Rectification, et dans la période allant de 1958 à 1961, lors du Grand Bond en Avant.
Bilan des PLN de 1950 à 1978
Evolution de la fécondité en RPC, 1950-2000
Figure reprise de : Peng X., La fécondité chinoise : constats et perspectives, cf. Attané
I. (éd.), 2002, p 61
Nous allons maintenant brièvement présenter les résultats de la première vague de
politiques de limitation des naissances, c’est-à-dire celle qui va de 1956 à 1978.
Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus, la fécondité des femmes chinoises
est assez stable de 1962 à 1970, ce qui montre le peu d’impact des deux premières
Campagnes. Inversement, la Troisième Campagne semble avoir eu beaucoup plus
d’influence sur la fécondité « chinoise », car le nombre d’enfant par femme passe de 5,5 à
2,7 sur la période 1971-1978. Le taux de renouvellement des générations étant à 2,3 enfants
par femme, ce taux de 2,7 semble montrer un contrôle de la situation. Nonobstant cette
affirmation, le chercheur Pascal Rocha da Silva estime que l’on ne peut entièrement
attribuer cette baisse du taux de fécondité à la politique de limitation des naissances, car la
transition démographique de la RPC a requis un nombre d’années similaire, et a été
d’intensité comparable, à celles d’autres pays de la région comme la Thaïlande Taiwan ou
Singapour (voir tableau suivant).
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Littéralement « tard (mariage et mise au monde) ; espacées (naissances) et peu (nombre moyen
d’enfants par femme) ».
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
Tableau tiré de : Jiang L., 2000, op cit., p 23
Cette première période de réformes malthusiennes en RPC a posé les bases pour
l’instauration de la PEU à la fin des années 1970, Particulièrement parce qu’elle a instauré un
contexte législatif favorable à son apparition, et car elle a permis au pouvoir de renforcer
graduellement son contrôle sur l’intimité de sa population, à travers les lois sur le mariage,
les naissances, la stérilisation…
De 1978 à nos jours : la PEU
En 1978 commence la PEU, qui nous intéresse plus particulièrement. La politique des
quotas devenant plus rigoureuse, l’âge du mariage, le calendrier et le nombre d’enfants par
couple sont régulés et la plupart des couples ne devra avoir qu’un seul enfant. Ces règles
sont toutefois plus souples dans les zones rurales, où deux enfants sont autorisés, et chez les
minorités, qui ne sont pas encore concernées par cette politique.
En janvier 1979 est instauré le « certificat de l’enfant unique », mesure incitative qui
récompense les parents qui s’engagent à n’avoir qu’un seul enfant : primes mensuelles,
gratuité des soins médicaux et de l’école, facilité de logement en ville et attribution d’un
lopin de terre supplémentaire à la campagne. Ceux qui signent le certificat et ne le
respectent pas sont sanctionnés : remboursement des primes, retenue sur salaire,
licenciement, maison saccagée !2
La loi sur le mariage de septembre 1980 arrive à la suite de la publication de résultats
de recherches par un groupe de scientifiques dirigé par Song Jian dans Le Quotidien du
Peuple, en mars 1980, et sont approuvés par le Parti. Song préconise une politique
drastique : passer de « conseiller un enfant » à « n’en autoriser qu’un ».
Cette loi rend obligatoire la pratique de la limitation des naissances. La volonté du
Parti de renforcer le contrôle légal des naissances s’exprimera à nouveau deux ans plus tard,
dans la nouvelle Constitution de la RPC qui stipule, dans son article 49 : « Le mari comme la
femme ont le devoir de pratiquer le Planning familial ».
Beaucoup de questions furent posées sur les résultats de ces travaux, qui ont amené
le « péril démographique » dans l’esprit des autorités. Quelle fiabilité accorder à ces
résultats ? Sur quels éléments s’est basé le groupe de Song ? Pourquoi le gouvernement a-til soudainement cru à l’existence d’un péril démographique ? N’y avait-il pas d’autres
alternatives ?
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Qiang Zhang-Françoise Chabert, Naître en RPC, des résistances à la PEU
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
En 1991, constatant que la politique des quotas était très peu observée dans les
zones rurales, le Parti décide que les cadres administratifs locaux seront tenus pour
responsables de la réussite ou non de la PEU, et seront punis dans le cas d’un échec.
Pourtant, cela est insuffisant pour contrer les résistances de la population rurale, qui va
alors, avec le soutien tacite des autorités locales, déclarer un nombre de naissances inférieur
au vrai nombre de naissances, créant ainsi une nouvelle catégorie de population, les
« enfants au noir » (han feizi), qui du fait de leur absence de statut légal, ne pourront ni aller
à l’école, ni se faire soigner dans les hôpitaux publics. Heureusement, les administrations
locales, voyant l’ampleur du phénomène, ont parfois accepté de régulariser la situation des
enfants tout en accordant l’impunité aux parents fautifs (e.g. : dans les années 1990, plus de
70,000 enfants ont été enregistrés, lors d’une gigantesque amnistie3).
Le 1er Janvier 1999 est mise en place la réglementation sur les mingong, la population
flottante, celle-ci a pour but de raffermir le contrôle de la Planification de la limitation des
naissances (PLN). Toute une série de régulations incluses dans la précédente visent entre
autres à inciter les mingong à adhérer à la PLN, afin d’avoir une meilleure emprise sur la
situation des migrants à l’arrivée ou au départ. Malheureusement, elle ne sera que peu
respectée.
Finalement, le premier janvier 2002 sera mis en force le texte validant la loi de
l’enfant unique sur le territoire chinois, qui asserte aussi que : «la pratique de la planification
des naissances est la politique fondamentale du pays ».
Depuis, la tendance est à l’assouplissement des règles sur l’enfant unique, à travers
l’augmentation du nombre d’enfants autorisés à la campagne, les ruraux représentant 80%
de la population, et la possibilité pour les couples en ville dont les deux membres sont des
enfants uniques d’avoir deux enfants.
Maintenant que nous avons vu comment cette politique s’inscrit dans la (presque ?)
continuité des PLN de la RPC, il reste tout de même deux questions ; quelle a été
l’application de cette politique, et quels ont été ses résultats ?
Bilan de la PEU de 1978 à nos jours
Son application :
En ville, la PEU se répand assez rapidement à travers la plupart des couches de
population. En effet, les technologies sont souvent utilisées pour gérer les données à propos
des femmes travailleuses : le calendrier du cycle menstruel des femmes est informatisé, et
celles-ci subissent des examens réguliers, pour vérifier qu’elles ne sont pas tombées
enceintes. Cependant, il suffit de changer d’employeur et de lieu pour que les grossesses ne
soient plus contrôlées : le développement et la réorganisation de l’économie chinoise ont
fait perdre du poids aux unités de travail, et il devient de plus en plus facile de trouver un
nouvel emploi. Néanmoins, la dureté de la vie causée par les salaires très bas et les
logements « en boîte à sardines » facilite l’application de la PEU.
A la campagne, la PEU ne fut quasiment pas appliquée, et ne l’est toujours pas. Les
travaux des champs nécessitent de la main-d’œuvre, et cette limitation n’est pas acceptable
par les paysans, qui verraient là disparaître leur principal soutien. De plus, si elle était
appliquée, cette politique créerait un déficit de plus pour les agriculteurs, qui sont déjà
privés d’une partie de leur progéniture, émigrée en zone urbaine (principalement les filles)
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Pascal Rocha da Silva, La PEU en RPC
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
afin de trouver un emploi mieux rémunéré. Les habitants des zones rurales, déjà privés d’un
soutien moral, psychologique et financier ne peuvent pas se permettre,-il en dépendrait de
leur survie-, de respecter cette politique, quitte à enfreindre la loi.
Les 55 minorités ethniques reconnues ne sont généralement pas souvent contrôlées,
celles qui sont nomades ou paysannes peuvent avoir 3 enfants ; au Tibet, il n’y a aucun
contrôle, bien que les mêmes règles soient applicables.
Des résultats mitigés…
L’état chinois annonçait en 2005 que la PLN avait permis d’empêcher plus de 400
millions de naissances.4 Toutefois, le chiffre réel semblerait sensiblement inférieur, à cause
de la négation de l’impact du développement socio-économique, et des millions de
naissances non déclarées. Mais à quel prix s’est faite cette limitation des naissances ?
Quelles ont été les répercussions de cette politique sur la femme, première touchée par les
mesures de prévention ? Quel a été l’impact sur la société chinoise ?
II-Les conséquences de l’application de cette loi
Au-delà de ses premiers objectifs, la PEU en RPC a eu bien d’autres impacts sur la société.
Nous allons maintenant examiner ses conséquences sur la femme chinoise, puis les dommages
causés au reste de la société.
(a) : Conséquences pour la femme Chinoise
Statut de la femme avant la politique en RPC
Dans la tradition chinoise, la société est organisée selon le système patrilinéaire. Ce système prend
son origine dans la montée en puissance du Confucianisme, qui sous la dynastie des Han (-206 avant
JC/220 JC) est devenu la doctrine d’Etat. Cela a renforcé la pratique du culte des ancêtres, le devoir
de piété filiale et le patrilignage. Le statut de l’homme s’en trouve renforcé, car il est le seul à pouvoir
effectuer le culte des ancêtres. En effet, « le sang des ancêtres ne coule que dans les veines du fils ».
Ces pratiques sont restées « doctrines d’état » jusqu’en 1912.
Par ailleurs, la famille chinoise est organisée selon le modèle du feedback, selon lequel les fils vont en
quelque sorte servir d’assurance vieillesse à leurs parents. La fille n’y Participe pas, car elle n’est que
de passage, effectivement, à la suite de son mariage, elle rejoindra la famille de son époux. En outre,
le fils apporte à la famille : « la bru, la descendance et la terre »5, alors que la fille est considérée
comme un investissement perdu : « éduquer une fille, cela revient à arroser le champ de son
voisin »6.
D’ailleurs, on retrouve cette inégalité des sexes dans la manière dont on écrit les caractères homme
et femme. Le caractère homme (男 : nan) représente le champ et la force, symbole de prospérité
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ATTANE Isabelle, 2002 ; La RPC au Seuil du XXIe Siècle : Questions de Population , Questions de
Société ; Paris ; INED
6
ATTANE Isabelle ; 2005 ; Une RPC sans femmes ? ; Paris ; Perrin
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
dans le monde paysan7, alors que le caractère femme (女 : nu) est un idéogramme dérivé d’une
femme à genoux8.
La RPC Maoïste, elle, prône l’égalité des sexes, non pas par la reconnaissance de l’égalité des deux
genres, mais en demandant aux femmes de renier leur féminité afin de ressembler aux hommes.
Néanmoins, de grands efforts sont faits, et de 1950 à 1980, le taux des mortalités maternelles et
infantiles baisse de 90%9.
Le statut des femmes s’était donc amélioré grâce aux communistes, pour permettre qu’elles puissent
prendre part au développement socialiste du pays, mais comment répond-t-il à l’application parfois
rude de la PEU.
Conséquence de cette politique sur le statut/bien-être de la femme Chinoise
Les réformes Dengistes renforcent la tradition du patrilignage, à cause de la
résurgence des gouvernements traditionnels à l’échelle du village, malgré les lois
encourageant le matrilocalisme. Avec l’annonce du péril démographique, la PLN devient la
priorité nationale.
Bien que parce qu’elles leur permettent d’avoir plus de temps, les PLN aident les
femmes, elles sont plus affectées par elles qu’aidées dans leur lutte pour l’égalité.
Malheureusement pour les femmes Chinoises, le Parti pense que la reproduction
n’est pas principalement une affaire d’homme. Ainsi, le sentiment d’urgence pousse l’état à
justifier la coercition et à négliger la santé des femmes, qui passe au second plan dans la
mise en œuvre de la PLN. En effet, les avortements forcés se font par milliers, comme le dit
Isabelle Attané dans son livre Une RPC sans femmes. Un nombre important de ces
avortements fut effectué sur des femmes en état de grossesse avancée, au-delà de 6 mois,
dans des conditions d’empressement, dues à la pression du Parti sur les cadres, durant les
campagnes d’avortements de masse, dans les années 80, durant lesquelles plusieurs millions
d’avortement eurent lieu. Les stérilisations touchent surtout les femmes : les hommes sont
assez réticents, du fait de la perte de force vitale et de libido, ce qui explique que 90% des
stérilisations concernent uniquement les femmes, alors que la vasosectomie, stérilisation
des hommes, est beaucoup moins dangereuse que la ligature des trompes.
Les femmes souffrent donc physiquement, mais aussi psychologiquement. En effet, si
le premier enfant qui naît, et qui restera donc le seul si la PEU est respectée est une fille, elle
risque d’être discriminée ou isolée, parfois même agressée verbalement par sa belle-famille,
alors privée de progéniture mâle, et donc privée aussi du culte des ancêtres. Par ailleurs,
beaucoup de petites filles ont souffert de la PEU. Isabelle Attané remarque que la mortalité
infantile féminine est très supérieure à celle des garçons chez l’ethnie Han, où le
Confucianisme et donc la nécessité du culte des ancêtres font loi. Selon elle, celle-ci est la
conséquence d’une négligence, volontaire ou non, de la santé des petites filles. Certaines
sont parfois même appelées « pourvu qu’un garçon suive » !
L’eugénisme fut aussi ouvertement prôné par le Parti, mettant encore plus de
pression sur les mères d’enfants handicapés ou « déficients ». On retiendra le cas d’une
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Wenlin, software for learning RPCse, 2006
RPCse writing and culture, site de la Hong Kong university of science and technology.
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mère dont la fille, née avec un bec-de-lièvre, lui fut enlevée avant même qu’elle ne la voie,
sa peau utilisée pour soigner les blessures d’un brûlé.
Enfin, les Chinoises rurales sont 66% de plus à se suicider que les hommes, ce qui
reflète bien leur mal-être; elles possèdent un des taux de suicide les plus élevés de la
planète.
Mais les effets néfastes de cette politique ne s’arrêtent pas à la femme, et touchent
aussi les petites filles, les hommes ainsi que la famille.
Conséquences de la PEU sur le reste de la société
Conséquence 1 : « un garçon ou une fille, c’est pareil, mais un garçon c’est mieux »
En RPC, la mortalité infantile féminine est très élevée par rapport à celle des garçons.
En effet, dans un contexte de basse fécondité, les petites filles ne sont pas forcément les
bienvenues, surtout dans une société qui donne plus d’importance aux garçons plutôt
qu’aux filles.
La principale raison de cette forte mortalité est généralement une négligence des
parents vis-à-vis de leur petite fille, principalement à la campagne. Les mères ont parfois
même tendance à allaiter moins longtemps leurs filles que leurs garçons. Mais pire encore,
l’abandon de bébés filles. Cet abandon, très répandu, est en fait un infanticide différé : si le
bébé a la chance de survivre jusqu’à être trouvé, il se retrouvera probablement dans un
orphelinat, où ses chances de survie sont minimes : 90% des enfants y meurent.
Pour finir, il ne faut pas oublier les avortements sélectifs, qui favorisent grandement
la naissance de garçons, et qui expliquent le ratio garçons/filles très élevé que l’on peut
constater en RPC : 117 garçons pour 100 filles.
Les petites filles sont donc très mal loties, par rapport aux garçons, c’est pourquoi la
RPC se masculinise. Actuellement, le déficit est de 30 millions de femmes, et tend à
s’agrandir dans les années qui viennent.
Conséquence 2 : L’augmentation dangereuse du nombre de Guang guan
Le manque de femmes sur le marché matrimonial a créé une nouvelle catégorie de
population, les guang guan, ‘branches nues’ ; ce sont des hommes condamnés à ne pas
prendre femme. En général, ceux-ci viennent des catégories sociales pauvres, car les
femmes, qui ont maintenant la possibilité de choisir, ne s’en privent pas, et ont tendance à
moins se marier avec les hommes moins riches qu’elles. Les chercheurs estiment que 12 à
20% des hommes nés avant le 21e siècle sont dans cette situation. D’après les recherches de
Andrea den Boer et Valérie Hudson, ces hommes seuls, étant insatisfaits et désavantagés
dans la compétition socio-économique, trouveraient satisfaction dans le crime, le vice, la
violence. Ces activités leur permettraient d’acquérir les ressources qui leur permettraient de
rentrer dans une compétition plus égalitaire.
Quand on sait que la dernière pénurie de femmes provoqua une rébellion : celle de
Nian, causée par 100,000 guang guan, sous la dynastie Qing, qui causa une dévastation
économique considérable et affaiblit sérieusement le pouvoir, on se doit d’être effrayé par
les possibles conséquences d’une même situation aujourd’hui, avec environ 23 millions de
guang guan.
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
Conséquence 3 : répercussions sur la famille
Le phénomène 4-2-1 et les dangers du vieillissement de la population
Ces dernières 60 années, les Chinois ont gagné en moyenne 30 ans d’espérance de
vie, ce qui est énorme. Combinée à une baisse de la natalité, cette augmentation de
l’espérance de vie risque d’entraîner un fort vieillissement de la population, qui pourrait
avoir des conséquences désastreuses sur la société chinoise.
Figure 15. - Projection de la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus (1990-2050)
Figure tirée de : Li J., La population de la RPC à l’horizon 2050
En effet, actuellement, la prise en charge des personnes âgées à la campagne, mais
aussi ponctuellement en ville, est pour la plupart effectuée par la famille, et surtout les
enfants. Mais avec une augmentation des migrations des jeunes vers la ville, d’une perte de
vitesse du principe confucéen de piété filiale, ceux-ci risquent de voir leurs revenus
fortement baisser. Par ailleurs, la démocratisation du système 4-2-1 : 4 grands-parents-2
parents-1 enfant, à cause de la PEU, diminue le montant de « l’assurance vieillesse que les
‘’précédents‘’ peuvent attendre de leurs descendants.
100 millions d’empereurs !
Cette contraction de la famille a aussi un autre effet pervers, situé géographiquement
en ville, cette fois, qui est de créer ce que les Chinois appellent les « petits empereurs ». Ces
enfants uniques, gâtés par leurs parents et leurs grands-parents, qui veulent être sûrs que
l’enfant sentira l’obligation d’accomplir sa « piété filiale », le gâtent, et cèdent à une grande
Partie de ses demandes. Ils deviennent alors égoïstes et irrespectueux de leurs parents.
Selon Pascal Rocha da Silva, ils seraient plus de 100 millions à l’heure actuelle ! Dans les
grandes villes, on assiste de plus en plus au développement de l’obésité chez ces enfants
uniques. Si les auteurs s’accordent sur l’existence de ce changement des comportements des
enfants, ils divergent sur la cause. Certains l’attribuent à la PEU, alors que d’autres pensent
qu’il résulte de l’influence occidentale.
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La Politique de l’enfant unique en République Populaire de Chine
Les enfants uniques, parce que tous les espoirs de leurs parents sont portés sur eux,
subissent une très forte pression : ils doivent réussir. Ils ont souvent un très grand nombre
d’heures de cours par jour, avec des cours supplémentaires tous les jours. L’exemple
extrême de cette pression est l’histoire célèbre de Liu Yiting, une fille qui a été
« scientifiquement préparée » pour rentrer à Harvard. Ses parents ont par la suite écrit un
livre sur leur méthode, qui est devenu un best-seller, et à fait bien des émules.
Conclusion :
Finalement, cette PEU en RPC aura causé bien plus de maux qu’elle n’en aura soignés. Bien
que les taux de fécondité aient été réduits partout en RPC, il reste que le bien-être des femmes a été
de prix à payer pour arriver à de tels résultats qui de surcroît sont largement contestés. Il est par
exemple impossible de pondérer l’impact des changements socio-économiques ont concouru à cette
réduction des naissances. Certains auteurs affirment même que plus de 20% des naissances n’ont pas
été comptabilisées du fait des résistances de la population et de la corruption des fonctionnaires.
En outre, nous assistons aujourd’hui à toutes ces conséquences de la PEU, qui s’est parfois
transformée en politique du fils unique, comme le dit Isabelle Attané. L’augmentation annuelle du
nombre de guang guan, signifiant une prochaine pénurie probable de femmes sur le marché
matrimonial chinois, combiné à l’expansion du phénomène 4-2-1, et à son impact sur la société et
l’économie, sans oublier l’apparition d’une génération de « petits empereurs » sont la confirmation
de l’échec de la PEU.
Pour quelques années encore, la RPC va continuer sa croissance économique folle, sortant
des millions de personnes de la pauvreté. Toutefois, la question reste de savoir non pas combien de
temps encore va durer cette ascension folle de la RPC à l’échelle mondiale, mais plutôt combien de
temps les dirigeants Chinois vont-ils attendre avant de remettre en cause les décisions de leurs
prédécesseurs, avant d’oublier le cynisme et la langue de bois tant caractéristiques des régimes
communistes, avant de penser sérieusement à ces défis qui se dressent comme un mur, de plus en
plus haut face au développement de leur pays.