Les biographies de Clovis par Godefroid Kurth - e

Transcription

Les biographies de Clovis par Godefroid Kurth - e
Les biographies de Clovis par Godefroid Kurth, Maxime Gorce et Michel
Rouche : approche comparée1
Agnès Graceffa, docteur en histoire (Lille 3 / Hambourg),
Chargée de cours à l’université de Lille 3
Au cours du XIXe siècle, le personnage de Clovis apparaît comme une
source d’inspiration importante pour la production picturale. En témoignent les
œuvres de François Louis Dejuinne, de Jules Rigo, d’Ernest Hébert, de JosephNicolas Robert Fleury, d’Ary Scheffer, de Jean Antoine Laurent ou de Joseph
Paul Blanc2. Ce thème inspire également nombre d’œuvres dramatiques ou
lyriques3. Dans ce contexte prolifique et caractéristique d’une attirance sociétale
forte vis-à-vis de l’histoire, le désintérêt des grands historiens contemporains pour
le premier roi franc étonne : aucune biographie érudite, reconnue comme telle par
la communauté scientifique n’est publiée. Il existe pourtant une demande du
public : le Clovis et son époque, anonyme, édité en 1846 par la Bibliothèque des
Écoles Chrétiennes, connaît sept réimpressions jusqu’en 1865. Dans le dernier
tiers du siècle, trois monographies paraissent, qui procèdent toutes d’une lecture
monarchiste et traditionnelle : Clovis et la fondation de la monarchie française de
François Renard en 1875, Clovis et les origines de la France chrétienne de Victor
Canet en 1888 et Clovis ou le berceau de la France de Firmin de Croze en 1899.
Même si le second est l’œuvre d’un professeur d’histoire à la Faculté catholique
de Lille, la critique historique contemporaine les ignore et semble les assimiler à
des relents d’histoire pieuse.
Le cas du premier roi de France apparaît paradigmatique d’une tendance
majeure de l’historiographie moderne française : le rejet de la biographie
historique. Cette stigmatisation d’un genre plébiscité par le public s’explique par
la volonté des historiens de rompre avec une écriture de l’histoire trop souvent
fondée sur la figure mythique du héros. L’histoire de la France n’est plus celle de
ses rois, mais celle de la nation toute entière, personnifiée et individuée4. La
1
Cette recherche n’aurait pu être menée à bien sans l’aide précieuse de Michel Rouche, qui a
accepté de répondre à mes questions et de revenir sur son expérience de biographe, et de JeanLouis Clément, grâce auquel j’ai mieux compris la complexité du très controversé Maxime Gorce.
Qu’ils en soient remerciés, tout comme le frère Jean-Michel Potin, archiviste-adjoint de la
Province dominicaine de France, qui m’a ouvert les archives Gorce.
2
F.-L. Dejuinne, Clovis, roi de France, Versailles, 1835 ; Id., Baptême de Clovis à Reims,
Versailles, 1837 ; J.-N. R. Fleury, Entrée triomphale de Clovis à Tours en 508, Versailles, 1837 ;
J. Rigo, Le baptême de Clovis, Valenciennes, dépôt de l’État 1874 ; E. Hébert, Série de dessins au
fusain et gouache consacré à Clovis, Paris, sd ; J. Blondel Merry, Médaillon de Clovis, Versailles,
1837 ; A. Scheffer, Bataille de Tolbiac, Versailles, sd ; J.-A. Laurent, Clotilde exhorte Clovis à
embrasser le christianisme, Fontainebleau, sd ; J.-P. Blanc, Le vœu de Clovis, 1875.
3
P. Servan de Sugny, Clovis à Tolbiac, tableau historique en deux parties et en vers, Paris, 1830 ;
A. Lamey, Clovis et Clotilde, scène lyrique, Strasbourg, 1843 ; E. Tourrou, Clovis, ode
symphonique en quatre parties, Bordeaux, 1853 ; G. Bizet, Clovis et Clotilde, cantate, Paris, 1857 ;
A. Burion, Clovis et Clotilde, scène lyrique, Paris, 1863 ; J. Ligeret, La Cloviade, épopée en dix
chants, Paris, 1886 ; A. Thibault, Clovis à Reims, opérette en deux actes, Paris, 1895.
4
P. Petitier, La géographie de Michelet. Territoire et modèles naturels dans les premières œuvres
de Michelet, Paris, 1997.
21
traditionnelle galerie des souverains à la François de Mézeray5 est remplacée par
le récit des mutations du peuple français.
La première biographie érudite consacrée à Clovis qui paraît en 1896 est
ainsi l’œuvre de l’historien belge Godefroid Kurth. Il faut attendre 1935 pour que
soit publiée une monographie française, a priori scientifique, celle du dominicain
Mathieu Maxime Gorce. La fin du XXe siècle, par contre, connait un engouement
pour le roi franc, qui culmine en 1996 et donne lieu à de nombreux ouvrages6. Le
plus notable d’entre eux semble être celui de Michel Rouche, notamment de par la
place centrale prise par son auteur dans les cérémonies de commémoration.
Godefroid Kurth (1847-1916) est professeur de français, puis d'histoire
médiévale et d'histoire de la Belgique à l’Université de Liège à partir de 18727. Il
y développe les premiers séminaires d’histoire, sur le modèle allemand. Il
participe à l’élaboration de la loi de 1890 qui crée en Belgique un doctorat ès
science historique et dote la section d’histoire d’un ensemble complet de cours
pratiques et critiques. En 1906, il est nommé à l'Institut historique belge de Rome.
Sa réputation scientifique est consacrée dès son premier grand ouvrage, Les
Origines de la civilisation moderne (1886). Sa thèse majeure, qui allie civilisation
et christianisme, s’y trouve en germe. Défenseur de l'enseignement catholique et
pionnier de la Démocratie chrétienne, Kurth se présente aux élections législatives
de 1894 et de 1903. Il est également le fondateur du Deutscher Verein (1893),
association des Allemands de Belgique pour la défense de leurs droits
linguistiques dans les arrondissements frontaliers (Verviers, Bastogne, Arlon). Ses
travaux scientifiques s’attachent spécifiquement à la période franque, dont il
devient l’un des spécialistes reconnus. Il propose une vision renouvelée de la
question de la frontière linguistique en s’opposant aux thèses allemandes, alors
dominantes. C’est dans ce contexte qu’il décide dès 1895 d’écrire une biographie
de Clovis, soutenu dans cette démarche par le Cardinal Langénieux. Elle paraît à
l’occasion des cérémonies de commémoration du baptême de 496.
Après des études universitaires de Lettres à Paris, Lyon et ClermontFerrand, et un noviciat au couvent de la Très-Sainte-Trinité de Kain, le frère
Matthieu né Maxime Gorce (1898-1979) devient docteur ès lettres en 1923. Il
enseigne l’histoire puis la philosophie à l'Institut catholique de Toulouse de 1930
à 1935. En 1941, il fonde à Tunis un Institut de philosophie et d’histoire. De
retour à Paris fin 1942, il s’exile en Suisse à la Libération et rejoint l’Église des
5
Pour exemple, F. de Mézeray, Abrégé chronologique de l’histoire de France, Paris, 1608.
Entre autres, I. Gobry, Clovis le Grand, Paris, 1995 ; P.-M. Couteaux, Clovis. Une histoire de la
France, Paris, 1996 ; F. Dallais, Clovis ou le combat de la gloire, Paris, 1996 ; D. Jamet, Clovis ou
le baptême de l’ère, Paris, 1996 ; M. Laforest, Clovis, un roi de légende, Paris, 1996 ; M. Rouche,
Clovis, Paris, 1996 ; L. Theis, Clovis, de l’histoire au mythe, Paris, 1996 ; R. Mussot-Goulard,
Clovis, Paris, 1997 ; La Bibliographie annuelle de l’histoire de France recense 9 publications
françaises (ouvrages et articles) en 1995 consacrées aux invasions barbares et aux Mérovingiens,
ce qui correspond à un chiffre moyen, puis 47 en 1996 et 37 en 1997 ; les années suivantes, les
chiffres avoisinent à nouveau la dizaine.
7
H. Leclercq, Godefroid Kurth dans le Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, VIII,
F. Cabrol et H. Leclercq (dir.), Paris, 1928, col. 879-908. L’article comprend la bibliographie de
l’auteur et les références des principales notices nécrologiques qui lui furent consacrées.
6
22
Vieux Catholiques de la Chaux de Fonds. Il quitte alors l’Ordre dominicain et
appartient durant quelques mois à une loge maçonnique8. Spécialiste de
philosophie médiévale, il acquiert, grâce à une thèse sur Saint Vincent Ferrier,
puis à son ouvrage intitulé Science moderne et philosophie médiévale, le respect
de la communauté scientifique9. Son intérêt pour le monde franc, qui s’exprime
pour la première fois dans l’ouvrage La France au-dessus des races (1934),
trouve dans le Clovis, paru en 1935, son plein aboutissement.
Tout autre est le parcours de l’historien Michel Rouche, né en 1934.
Altimédiéviste reconnu, il appartient pourtant à une génération où l’intérêt pour le
début du Moyen Âge fait figure d’exception : après la mort de Louis Halphen en
1950 et de Ferdinand Lot en 1952, rares sont ceux qui, à l’instar de Pierre Riché
ou de Jean Devisse, s’attachent à l’étude de la période franque. Son attention pour
l’espace aquitain du Ve au VIIIe siècle résulte d’un double constat : d’une part,
cette région apparaît comme un lieu de résistance majeur à l’envahisseur franc ;
de l’autre elle semble au cœur du conflit ariano-catholique et son étude permet
donc d’en appréhender les tenants et les aboutissants. Cet intérêt original aboutit
en 1976 à une thèse qui fait date dans l’historiographie moderne du haut Moyen
Âge, intitulée L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes. Longtemps enseignant à
l'Université Charles-de-Gaulle - Lille III, il rejoint en 1989 l'Université de Paris
IV - Sorbonne, dont il reste professeur émérite. En 1996, lors de la
commémoration du XVe centenaire du baptême de Clovis, il prend une part active
à l’organisation et à la tenue des manifestations qui lui sont consacrées10. Le
colloque international qui se tient à Reims sous son égide, pour cette occasion, fait
date dans la réflexion historique et historiographique de l’événement11. Outre la
biographie de Clovis qu’il publie alors, il participe à la rédaction du film Clovis et
son temps réalisé par Jacques Barsac, donne un grand nombre de conférences ou
d’interviews et apparaît à maintes reprises dans les médias radiophoniques ou
télévisuels. Intervenant comme historien, sa posture d’expert n’est pas remise en
question. Parallèlement, il n’hésite pas à affirmer une fervente foi catholique, que
confirme son rôle d’animation de l'Institut de la Famille, qui relève de l'École
cathédrale, émanation du diocèse de Paris12.
8
Notice M. Gorce, dans J. Balteau et alii (dir.), Dictionnaire de biographie française, Paris, 1933-,
XVI, col. 612-613 ; M. Gaudart de Soulages et alii (dir.), Dictionnaire des Francs-maçons
français, Paris, 1995 ; M. Gorce, La vérité avant tout, Paris, 1959.
9
Sur la réception de ces travaux, le bulletin bibliographique de la Bibliothèque de l’École des
Chartes de 1910, LXXXV, p. 350-351 et 1934, XCV, p.192. Cette bienveillance est confirmée par
les quelques coupures de presse conservées dans son dossier à la Bibliothèque du Saulchoir (V, 4è
série, M. Gorce, non classé), par exemple l’article M. Henri Bergson et la philosophie
chrétienne paru dans La Croix du 21.09.1935 sur la controverse amicale qui l’oppose à Bergson.
10
J.-F. Boulanger, L’Église et les usages politiques de Clovis du traité de Maastricht au XV e
centenaire du baptême du roi des Francs, dans C. Andrieu, M.-C. Lavabre et D. Tartakowsky
(éd.), Politiques du passé : usages politiques du passé dans la France contemporaine, II, Aix-enProvence, 2006.
11
M. Rouche (éd.), Clovis : Histoire et mémoire, 2 vol., Paris, 1997.
12
Comme en témoigne par exemple l’article Le couple, quelle aventure. Une Église qui conjugue
couple et famille, dans La Croix, du 18.05.2001.
23
En 1896, en 1935 puis en 1996, ces trois auteurs offrent au public
spécialiste et lettré une biographie de Clovis13. Le contexte de publication de
chacune d’entre elles, leurs problématiques spécifiques et leur réception par la
communauté scientifique éclairent l’historien sur l’évolution de la science
historique, sur les mutations de ses enjeux épistémologiques, enfin sur
l’importance des interactions du présent et de l’ego historien dans le travail
biographique.
1896
L’ouvrage de Godefroid Kurth paraît en 1896 dans le cadre de la
commémoration du XIVe centenaire du baptême de Clovis. Pour l’ensemble de la
communauté scientifique, il s’agit de la première biographie érudite donnée en
français par un spécialiste reconnu. L’entreprise constitue un acte courageux de la
part de son auteur, et ceci pour deux raisons : premièrement il ose braver le tabou
que constitue en soi, pour un historien universitaire, le fait de publier une
biographie du roi franc ; deuxièmement il se positionne contre le diktat de la
science allemande qui domine alors l’historiographie européenne.
Cette opposition s’attache d’abord à la chronologie. Kurth soutient la thèse d’un
baptême en décembre 496, contre les arguments avancés par Friedrich Vogel,
Bruno Krusch et Friedrich Stein, qui proposent respectivement les dates de 506 et
de 497 ou 498, suivant une datation différenciée de la bataille entre Francs et
Alamans dite de Tolbiac-Zülpich14. La controverse reprend d’ailleurs rapidement,
et Wilhelm Levison valide la date de 496/7 pour la bataille, rapidement suivie par
le baptême15. Les divergences de Kurth concernent en outre le crédit à donner au
récit de Grégoire de Tours, que l’hypercritique allemande a largement remis en
question, notamment par les travaux de Wilhelm Junghans16. Par contre, l’auteur
n’ose contredire ses collègues d’outre-Rhin sur un point tout aussi crucial, celui
de l’authenticité de plusieurs textes essentiels : celle de la Vie de Sainte
Geneviève mise en doute lors de son édition par les MGH, et celle du testament de
Saint Rémi, considéré par Bruno Krusch comme apocryphe. Sa crédulité vis-à-vis
de la littérature hagiographique lui sera néanmoins reprochée.
13
G. Kurth, Clovis, Tours : Mame, 1896, 630 p. ; M. Gorce, Clovis 465-511, Paris : Payot, 1935,
367 p. ; M. Rouche, Clovis, suivi de vingt-et-un documents traduits et commentés, Paris : Fayard,
1996, 611 p.
14
F. Vogel, Chlodwig’s Sieg über die Alamannen und seine Taufe, dans Historische Zeitschrift 56,
1886, p. 384-402 ; B. Krusch, Chlodovechs Sieg über die Alamannen, dans Neues Archiv, XII,
1886, p. 289-301 ; Id., Die ältere Vita Vedastis und die Taufe Chlodovechs, dans Mitteilungen des
Instituts für österreichische Geschichtsforschung, XIV, 1893, p. 427-448 ; F. Stein, « Die
Urgeschichte der Franken und die Gründung des Frankenreiches durch Chlodwig, dans Archiv
des Historischen Vereins von Unterfranken und Aschaffenburg, XXXIX, 1897, p. 1-200.
15
W. Levison, Zur Geschichte des Frankenkönigs Chlodowech, dans Bonner Jahrbücher, CIII
1898, p. 42-67, rééd. in Aus Rheinischer und fränkischer Frühzeit, Bonn, 1948, p. 202-229,
agrémenté d’un rappel historiographique p. 203-205.
16
W. Junghans, Die Geschichte der fränkische Könige Childerich und Chlodovechs kritisch
untersucht (1857), trad. de G. Monod, Histoire critique des règnes de Childerich et de
Chlodovech, Paris, 1879.
24
Pour asseoir la légitimité scientifique de son livre, Godefroid Kurth procède
d’une manière très prudente, qui ne peut que recevoir l’aval de la communauté
historienne : d’abord il publie plusieurs articles dans lesquels il évalue la part de
crédit à accorder aux écrits de Grégoire de Tours, du pseudo-Frédégaire, et à la
Vie de Sainte Geneviève17 ; ensuite il agrémente son texte d’annexes fournies qui
précisent l’ensemble des sources utilisées – y compris de tradition orale- et en cite
plusieurs passages.
Le contexte de la parution de cette première biographie scientifique – et plus
largement, de la commémoration de 1896 – est compliquée par l’irruption de deux
conflits, non plus érudits cette fois, mais religieux et politique18. Le catholicisme
se divise alors entre deux courants opposés, respectivement qualifiés d’hyper et
d’hypo-critique : le premier, représenté par Mgr Louis Duchesne, suit sur
plusieurs points les remises en question initiées par la critique allemande, alors
que le second condamne fermement celles-ci, et les considère comme hostiles au
dogme : ses tenants défendent une approche conservatrice du baptême de Clovis,
selon laquelle ce moment symbolise la conversion de la France, et par là sa
naissance. Un conflit politique oppose en outre les anticléricaux, hostiles au rôle
de l’Église dans l’histoire de France, aux cléricaux, qui tentent de justifier son
action. Pour les premiers, le baptême de Clovis relève de l’anecdote, les
Mérovingiens sont de mauvais rois, et leur origine germanique, qui les assimile
aux Allemands modernes, joue en leur défaveur. L’histoire de France ne
commence plus avec Clovis, mais avec Vercingétorix. La défaite contre la Prusse,
l’avènement de la Troisième République, la célébration du centenaire de la
Révolution française en 1889, et enfin l’affaire Boulanger concourent
progressivement au nouveau positionnement nationaliste d’une droite catholique
et royaliste, que l’affaire Dreyfus renforce bientôt19. Il stimule le réinvestissement
du symbole du baptême comme naissance de la France. La menace de voir la
commémoration de 496 devenir une manifestation antirépublicaine incite l’État
français à interdire à ses évêques de se rendre à Reims pour les cérémonies de
commémoration. Dans ce cadre complexe, les responsables des célébrations
semblent jouer l’apaisement20, comme en témoigne le choix des contributeurs à
l’ouvrage officiel publié à l’occasion de ces journées sous le haut patronage du
Cardinal Langénieux, et sous la direction du R. P. Baudrillart, La France
chrétienne dans l’histoire : les noms de Louis Duchesne, Godefroid Kurth et
Pierre Imbart de la Tour, pour la première partie de l’ouvrage, valident une
ambition scientifique avérée et le sérieux de l’entreprise21.
17
Articles réédités dans G. Kurth, Études franques, Paris, 1919.
Y.-M. Hilaire, Les célébrations du XIVe centenaire en 1896, dans M. Rouche (éd.), Clovis
Histoire et Mémoire, op. cit., II, p. 683-694.
19
O. Dumoulin, Le partage des eaux : le baptême de Clovis au regard de l’Action française, dans
M. Rouche (éd.), Clovis. Histoire et mémoire, II, op. cit., p. 709-728 ; Ch. Amalvi, Le baptême de
Clovis : heurs et malheurs d’un mythe fondateur de la France contemporaine, 1814-1914, dans
Bibliothèque de l’École des Chartes, 147, 1989, p. 583-614.
20
J.-O. Boudon, Le cardinal Langénieux, l’épiscopat français et le XIVe centenaire du baptême de
Clovis, dans M. Rouche (éd.), Clovis. Histoire et mémoire, II, op. cit., p. 695-708.
21
L. Duchesne, La Gaule chrétienne sous l’empire romain, p. 3-17 ; G. Kurth, Le baptême de
Clovis. Ses conséquences pour les Francs et pour l’Église, p. 18-27 ; P. Imbart de la Tour, La vie
18
25
La structure du Clovis de Kurth apparait néanmoins assez étonnante : elle
s’apparente moins au genre biographique traditionnel qu’à la tradition épique.
Avant de débuter le récit de la vie du roi franc proprement dit, l’historien consacre
deux longues parties à la description de la Belgique romaine, à l’installation
franque, à l’histoire de l’Église des Gaules et aux ancêtres de Clovis. Ce choix lui
sera reproché par la critique, tout comme la part trop importante laissée à
l’hypothèse et à l’imagination22. La problématique de l’ouvrage tient en deux
propositions essentielles : Kurth réaffirme d’une part la réalité d’un lien intime
entre civilisation et christianisme. La religion chrétienne et sa diffusion produit à
la fois un impact moral et spirituel (comme foi), et social et économique (en tant
qu’institution). D’autre part, selon lui, Clovis est « le créateur de la société
politique moderne ». Sa réussite n’est pas le fruit d’un miracle historique, ni
l’œuvre des évêques ; elle ne procède pas non plus d’une implantation large et
violente sur le territoire gaulois, ainsi que le sous-entend le terme d’invasion que
l’historien rejette. Au contraire, ce succès résulte d’un pacte entre son armée,
implantée dans l’espace septentrional, et l’épiscopat gaulois, qui s’impose comme
principal acteur politique face à une autorité impériale en déclin. Cet accord
négocié permet à Clovis d’investir cette autorité à son propre compte, et de mener
une action légitime et respectée dans l’ensemble du territoire gaulois qu’il
contrôle. Cette présentation d’une conquête pacifique conforte une approche
romaniste de la question franque. Elle s’oppose à l’optique germaniste alors
dominante, non seulement en Allemagne, mais également en France, puisqu’elle a
les faveurs de la jeune République et de l’École méthodique23. La présentation de
la conversion et du baptême remporte au contraire l’assentiment de la
communauté historienne catholique, qui salue également la réhabilitation du rôle
de Clotilde24. Sa démonstration du caractère anecdotique et légendaire de la
bataille de Tolbiac constitue en outre une analyse pertinente, que la critique la
plus récente semble désormais valider25.
Godefroid Kurth livre ainsi un ouvrage inspiré, qui séduit le lectorat mais
laisse divisés ses collègues français, bien que son imagination s’appuie toujours
sur des indices scrupuleusement vérifiés26. L’attrait du livre est accru par la
présence d’une iconographie soignée. L’histoire de Clovis s’assimile finalement à
une épopée, qui trouve ses racines tant dans la tradition antique classique que dans
monastique dans la Gaule au VIe siècle, p. 28-60, dans La France chrétienne dans l’histoire.
Ouvrage publié à l’occasion du XVe centenaire du baptême de Clovis sous le haut patronage de S.
E. le Cardinal Langénieux et sous la direction du R.P. Baudrillart, Paris, 1896.
22
H. Leclercq, Godefroid Kurth, op. cit., col. 897.
23
G. Monod, Bulletin historique, dans Revue historique, LX, 1896, p. 385-386 : le défaut souligné
est, encore et toujours, celui d’une trop grande crédulité accordée aux écrits de Grégoire de Tours
que Monod nomme les « légendes ecclésiastiques ».
24
Recension élogieuse de M. Sepet, Clovis d’après l’ouvrage de M. Godefroid Kurth, dans Revue
des Questions historiques, LIX, 1896, p. 243-258.
25
D. Geuenich (éd.), Die Franken und die Alemannen bis zum Schlacht Zülpich, Vienne, 1998.
26
Recension mitigée d’E. de Rozière, dans le Journal des Savants, 1896, p. 560-568. H. Leclercq,
Godefroid Kurth, op. cit., col. 896, résume ainsi la situation : « Le bruit même que fit le livre à son
apparition, l’actualité que donnaient à sa publication les fêtes célébrées à Reims en mémoire du
baptême de Clovis, les polémiques qu’il souleva, les rancunes qu’il ranima, eurent pour résultat de
créer une sorte de prévention que l’examen de l’ouvrage a en partie détruite ».
26
celle, moins connue car orale, des peuples barbares. L’historien approfondit ici la
thèse ébauchée dans son Histoire poétique des Mérovingiens, selon laquelle les
traces épiques conservées par la littérature historiographique altimédiévale sont
les indices tangibles d’une tradition de chants héroïques alors bien vivace. Et c’est
cette idée que, par le choix d’un style très fluide et souvent lyrique, Godefroid
Kurth réussit à faire passer. L’alliance de ces qualités explique en outre la très
grande postérité de l’ouvrage, qui reste, malgré l’évolution du savoir historique,
une œuvre de référence tant littéraire que scientifique27.
1935
Dans un contexte de montée du fascisme, la parution du Clovis de Maxime
Gorce correspond à la fois à une stratégie personnelle et à une volonté politique,
sous couvert d’un dessein scientifique et didactique. Selon son avant-propos,
l’historien souhaite réhabiliter une figure majeure, injustement oubliée du public,
combler la lacune que constitue l’absence de biographie érudite française du
premier roi franc, et exercer une lecture critique qui permette enfin, sur ce sujet,
de séparer la fable de la vérité. Il rend hommage au travail de Kurth, duquel il
s’inspire partiellement, mais également de Camille Jullian : de ses dernières
leçons au Collège de France consacrées à Clovis devait sortir un livre, que la mort
a empêché. Il s’oppose par contre à l’hypercritique d’un Langlois ou d’un Monod,
trop soumis selon lui à l’influence de la science allemande. Suivant l’exemple de
Kurth, Gorce annexe des pièces justificatives (quatre lettres de Cassiodore et
plusieurs extraits non traduits de Grégoire de Tours), mais également un tableau
chronologique, une bibliographie fournie (française, belge et allemande, intégrant
archéologie, numismatique, histoire de l’art, raciologie), des illustrations, des
croquis et un index. Mais contrairement à la biographie offerte par l’historien
belge, l’ouvrage, composé de quinze chapitres, est tout entier consacré au seul
Clovis. Seul le premier d’entre eux explique la formation du peuple franc et son
arrivée en Gaule. 496 reste la date de baptême, mais Gorce place en 509 la
victoire dite de Tolbiac28. Il propose ainsi une chronologie renouvelée de
l’ensemble du règne, qui laisse perplexe la communauté scientifique29.
Le choix de la période mérovingienne lui parait pertinent car elle est celle de
la « formation de la nation française », et Clovis le « fondateur de la France30 ». Se
référant à Louis Bréhier (son professeur à Clermont) et à Henri Berr, Gorce
propose une histoire de la « cohérence nationale » dont l’essence n’est ni la race,
la langue ou l’histoire, mais « une volonté », selon la définition de Renan. Cet
27
Rééditions françaises en 1901, 1923, 1978, 1983, 1996, 2001, 2004, 2005. Celle de 2004,
bénéficie d’une mise à jour bibliographique par Pierre Riché.
28
Il se réfère là à l’analyse déjà ancienne de B. Krusch, Chlodovechs Sieg über die Alamanen, op.
cit., et méconnait par contre l’historiographie la plus récente, notamment W. von den Steinen,
Chlodwigs Taufe : Tours 507 ?, dans Historisches Jahrbuch, LIII, 1933, p. 51-66.
29
À titre d’exemple, l’article de L. Levillain, La conversion et le baptême de Clovis, dans Revue
d’Histoire de l’Église de France, LCII, 1935, p. 161-192, soutient un baptême à Reims en 498, à
la suite de la bataille de Tolbiac.
30
M. Gorce, Clovis, op. cit., p. 3.
27
argument lui paraît essentiel face à ce qu’il nomme « l’histoire racisante », qui
« appauvrit » l’idée patriotique, car la valeur humaine d’une grande patrie dépasse
les éléments ethniques qui la composent. L’auteur rejoint là la conception
michelétienne d’une nation dont l’individuation transcende les composants31. Mais
ce postulat lui permet surtout de mettre en valeur sa propre thèse : « une patrie vit
d’un esprit ». Celle des temps mérovingiens ne ressemble donc en aucune manière
à celle du XXe siècle. Elle est le produit d’un « subconscient psychologique », et
se compose des éléments suivants : l’âme, la culture, la religion32. De ceux-ci
provient une mystique nationale33, qui, pour les Mérovingiens, s’incarne dans la
vie même des Saints. La France débutante est « l’empire de Saint Martin de
Tours ». Les Germains sont des « barbares » que les évêques vont civiliser ; une
fois chrétiens, ils sont tout simplement « français34 ». Représentation
philosophique et morale, la religion est une Weltanschauung, c’est-à-dire une
vision du monde et un projet. Elle fonde la nouvelle nation35. Ce postulat rend
délicat une évaluation scientifique des apports respectifs gallo-romains et barbares
à la société mérovingienne. Selon l’auteur d’ailleurs, l’historiographie laïque fait
l’erreur de séparer christianisme et société pour mieux minimiser l’importance du
premier. Suivant sa lecture, le baptême, nouvelle naissance, prend toute sa valeur
symbolique. La dissolution de l’Empire romain d’Occident s’explique « par
défaut de cohésion spirituelle », ce dont va bénéficier le royaume franc grâce à
une Église qui forme barrage contre les démembrements territoriaux issus des
partages dynastiques36. La figure de l’évêque mérovingien symbolise l’imbrication
totale entre religion et cité37. La conversion de Clovis a permis l’acquisition d’une
unité spirituelle bientôt transformée en unité nationale. Malgré ses propres
dénégations, le récit de Gorce suit fidèlement celui de Grégoire de Tours,
notamment dans la défense d’une Clotilde toujours profondément bonne, même
quand elle décide l’assassinat de ses petits fils38.
L’auteur rejette l’analyse sociologique qui donne aux structures une trop
grande importance par rapport aux hommes. Il souhaite au contraire réhabiliter le
rôle du personnage historique, qu’il soit roi, saint ou évêque, ces « conquérants
mystiques de l’ordre social39 ». Le peuple mérovingien correspond à « l’extension
31
Id., La France au-dessus des races, Paris, 1934, p. 7-8.
Ibid., p. 13 : « À propos de la nation il va falloir employer des mots comme âme, culture,
religion ».
33
H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion ; concernant Martin de Tours, Gorce
s’appuie sur la récente étude de P. Monceaux sur Sulpice Sévère et plus largement sur les travaux
de Jean Guitton.
34
M. Gorce, La France, op. cit., p. 21.
35
Id., Clovis, op. cit., p. 87. Il se réfère à R. Dussaud, Introduction à l’histoire des religions, Paris,
1914.
36
Id., Clovis, op. cit., p. 131.
37
Ibid., p. 64-65.
38
Ibid., p. 321-322. Et cette « fatalité » s’explique : « la sainteté sur la Francia était venue par
Clotilde. Le gout du sang, du crime utilitaire était venu par Clovis (…) La famille des
Mérovingiens portera jusqu’au bout, jusqu’à son avilissement final au VIII e siècle, cette hérédité
criminelle, ce stigmate honteux, cette tare germanique raciale, cette barbarie pas encore baptisée ».
39
Ibid., p. 88. De nombreuses attaques contre la sociologie, à laquelle Fustel de Coulanges se
trouve étonnement associé, ponctuent le livre (p. 11, p. 94-95, p. 169, p. 184).
32
28
de leur mentalité » : « un idéal vivant, mystique de compénétration sociale des
races ». Contrairement à ceux qui pensent que « le seul agent des phénomènes
sociaux, c’est la foule40 », Gorce fait du héros chrétien le moteur de l’histoire, à
travers lequel vit et évolue la masse du peuple41. Son analyse s’apparente alors à la
dialectique de l'autorité selon Georges Valois42, qui associe la glorification d’un
homme fort, providentiel, à l’éloge de la force brutale. La loi salique est celle
d’une « noblesse, (…) la caste des Francs », d’essence militaire, ce que confirme
l’inhumation avec armes. Mais ce postulat ultra-germaniste est détourné : pour
Gorce, « la brute franque est sanguinaire. » et Clovis qualifié « d’ogre
catholique » du fait de sa manière « d’avaler les roitelets francs43 ». Le terme de
race est systématiquement utilisé pour parler des Francs et permet –contre les
déclarations d’intention de l’auteur lui-même–, l’affirmation d’une fatalité raciale,
symbolisée par le sang, qui fait des Germains de sauvages barbares, grossiers,
féroces, sanguinaires et semi-nomades. Les Francs sont ainsi assimilés à des
Apaches dont l’« état primitif » se manifeste dans la longue chevelure. La reprise
de la métaphore michelétienne des « grands enfants44 » sert un éloge paradoxal de
la force brute, primitive, sauvage. Cet élément se double d’une fervente
conviction nationaliste qui ne craint pas l’anachronisme : les Gallo-romains sont
qualifiés de « français et patriotes français45 ». Derrière le discours nationaliste et
faussement antiraciste pointe un raisonnement germanophobe et antisémite :
l’idée selon laquelle « la race, c’est la horde » lui permet de distinguer « les
peuples ouverts complexes de personnalités » (comme les Français), des « peuples
simples clos dans la race », tels les Juifs et les Allemands46.
Cette analyse s’avère très éloignée de l’approche de Godefroid Kurth,
validée et préconisée en 1896 par l’épiscopat français : celle de Maxime Gorce
apparaît de fait en phase avec une pensée plus radicale, celle, contemporaine, de
l’Action française47. Reprenant l’analyse d’un Salvien sur les conséquences de la
décadence morale, Charles Maurras estime lui aussi « qu’au Ve siècle, le Français
était né48 ». Les écrits de Bertrand de Jouvenel exaltent le modèle de l’homme
primitif, conquérant originel de l’Europe, le Franc, qui était un « animal
militaire » : grâce à une « gymnastique spirituelle », celui-ci avait exploité ses
40
Référence explicite à G. Tarde, L’opinion et la foule, Paris, 1901.
M. Gorce, La France, op. cit., p. 98-99.
42
G. Valois, L'Homme qui vient, Paris, 1908. Sur cette doctrine, J.-L. Clément, Les assises
intellectuelles de la République 1880-1914, Paris, 2006, p. 134-135.
43
M. Gorce, Clovis, op. cit., p. 208, 210, 219. Notons que l’anthropophagie est, pour la pensée
classique, le critère de sauvagerie ultime.
44
Ibid., p. 12-14 et 23.
45
Ibid., p. 311.
46
Ibid., p. 265-269, notamment p. 267 : « Comme les Juifs, les Allemands peuvent vouloir devenir
une race ».
47
O. Dumoulin, Le partage des eaux, op. cit., p. 709 : « Godefroid Kurth n’inspire pas sa vision de
Clovis » (ie celle de l’AF). Plus largement, sur la conception historiographique prônée par ce
mouvement, J. Prévotat, Remarques sur la notion de civilisation catholique dans la revue
l’ « Action française », dans J.-R. Derré, J. Gadille, X. de Montclos, B. Plongeron (éd.),
Civilisation chrétienne, Paris, 1975, p. 349-365.
48
Ch. Maurras, Devant l’Allemagne éternelle. Gaulois, Germains, latins. Chronique d’une
résistance, Paris, 1937, p. 11.
41
29
ressources physiques et développé sa force, jusqu’à la victoire barbare49. Pierre
Drieu La Rochelle tente quant à lui de légitimer une fascination mystique pour la
brutalité guerrière : « La vie est toujours la déesse de la guerre, couverte
d’ornements barbares et brandissant sa lance ensanglantée50 ». L’ouvrage de
Gorce, sous couvert de vulgarisation scientifique, présente un double discours
caractéristique du fascisme français qui se développe alors, prône une doctrine de
l’autorité et de la force brutale, s’affiche antidémocratique et oscille entre attrait et
détestation pour l’Allemagne51. Son provincial s’en inquiète d’ailleurs et tente à
plusieurs reprises de limiter ses agissements et de contrôler ses écrits52. Le but de
l’ouvrage s’inscrivait clairement dans une stratégie de promotion : par le choix
d’un thème susceptible de plaire à la hiérarchie ecclésiastique53, Gorce espère
accéder à une illustre place parisienne54. Mais si l’ouvrage rencontre relativement
bien son public, il apparaît pour l’auteur comme un semi-échec, puisqu’il le
49
B. de Jouvenel, Le Réveil de l’Europe, Paris, 1938 : suit un éloge des « barons brutaux » du
Moyen Âge, toujours prêt à prendre les armes pour sauver leur famille et défendre les vertus
viriles : « force, courage, fierté, magnanimité, indépendance, loyauté ».
50
P. Drieu La Rochelle, Avec Doriot, Paris, 1937, p. 471.
51
R. Soucy, Fascismes français ? 1933-1939. Mouvements antidémocratiques, Paris, 2004, p. 124125 sur l’ouvrage de J. Renaud, La Solidarité française contre attaque, Paris, 1935 : selon Renaud,
la France n’est pas le produit d’une race mais de plusieurs. La notion de caractère français ne se
fonde pas sur une pureté raciale ; l’esprit d’une race émane de sa culture et non de son sang. Mais
ce constat lui permet paradoxalement de justifier ensuite ses positions xénophobes et antisémites
(l’objectif de tout internationalisme est la destruction de la culture française) ; en même temps il
affirme qu’il n’est pas antisémite et qu’il respecte toutes les religions (p. 97-99).
52
Archives administratives M. Gorce, Bibliothèque du Saulchoir, Enveloppe (dossier 2)
correspondance de 1924 à la guerre, non classées : plusieurs lettres de sa hiérarchie, notamment
de Prétaudoux à Gillet, qui évoquent les agissements de Gorce de 1931 à 1935 : il néglige de
demander l’imprimatur de son provincial avant de publier des articles dans la presse locale et
participe à des réunions politiques d’extrême gauche tout en se reconnaissant compagnon de
l’Action française.
53
On pense notamment aux conférences de Carême prononcées en 1928 à la cathédrale NotreDame de Paris par Mgr A. Baudrillart, intitulées La vocation catholique de la France et sa fidélité
au Saint-Siège à travers les âges (Paris, 1928). La première de ces six conférences traite des
premiers siècles de la Cité chrétienne en Gaule, des origines à Charlemagne, et la conversion de
Clovis apparait comme « une étape essentielle de la formation de la France chrétienne (p. 660).
Son but est bien de démontrer « la pérennité de la vocation chrétienne de la France » (p. 666). Sur
ces conférences, G. Sicard, Dieu et la France dans les enseignements de trois ‘Princes de l’Église’
du XXe siècle, Baudrillart, Pacelli et Saliège, dans M. Rouche (éd.), Clovis Histoire et Mémoire,
op. cit., II, p. 659-670.
54
Ibid., Lettre de février 1931 de Gorce à son provincial : « Sachant parfaitement que les
professeurs du Saulchoir auront toujours pour moi la plus grande méchanceté… » ; Lettre du
11.12.1933 sur une « conspiration morale » ourdie contre lui au couvent de Toulouse ; Gorce
séjourne alors le moins possible à Toulouse et tente d’avoir une place à Paris en se faisant bien
voir de Mgr Baudrillart (Lettre du 10.01.1934).
30
discrédite à la fois auprès de la communauté scientifique55 et des acteurs
contemporains les plus éminents de l’Église56.
1996
Le contexte de la parution du Clovis de Michel Rouche est celui de la
commémoration du XVe centenaire du baptême. Sa rédaction est motivée par la
nécessité d’intégrer les avancées les plus récentes de la recherche historique, et en
premier lieu la réhabilitation de l’authenticité de la Vie de Sainte Geneviève par
Martin Heinzelmann et Jean-Claude Poulin et du Testament de Saint Rémi57. Elle
permet de justifier une chronologie du règne du roi franc et de la constitution du
royaume mérovingien désormais relativement consensuelle58, et de présenter une
appréhension nouvelle du processus de conversion59. Le contexte scientifique
parait alors apaisé, et depuis le début des années 1980 ont d’ailleurs paru une série
d’ouvrages consacrés au roi franc, dont certains destinés à la jeunesse. Ces
publications, qui se multiplient entre 1995 et 1997, semblent indiquer que les
enjeux religieux et politiques antérieurs sont désormais dépassés. Pourtant la
décision du chef de l’État de déclarer l’anniversaire commémoration nationale et
la venue du Pape pour l’événement, engendrent une polémique qui touche
l’ensemble des médias, sous couvert de menace de cléricalisation de l’histoire et
de l’État.
De par sa facture, le Clovis de Michel Rouche se veut être, comme les
précédents, à la fois une biographie érudite et un ouvrage de vulgarisation. Lui
aussi contient des annexes fournies, notamment composées de sources, cette fois
55
G. de Lorris, Bulletin historique, dans Revue historique, CLXXVII, 1936, p. 377-379, refuse à
voir dans cette « fable au service de la vérité » -il reprend les termes de M. Gorce- une véritable
histoire critique de Clovis ; Joseph Calmette alors professeur à Toulouse lors de la parution de
Clovis, critique la datation tardive de la bataille de Tolbiac (M. Gorce, La vérité, op. cit., p. 22) ;
G. Bardy, Bulletin critique, dans Revue d’Histoire de l’Église de France, XCII, p. 392-394, reste
bienveillant à l’égard de Gorce, mais souligne quand même les faiblesses de son ouvrage.
56
A. Baudrillart note le 17.02.1938 : « le père Gorse [sic] qui a voulu entrer à l’Institut catholique
et que j’ai rejeté énergiquement va jusqu’à admettre dans le dictionnaire qu’il dirige deux articles
sur Jésus-Christ, l’un pour sa divinité, l’autre contre ». P. Christophe (éd.), Les carnets du
Cardinal Alfred Baudrillart, II, Paris, 1996, p. 760.
57
M. Heinzelmann, J.-Cl. Poulin, Vies anciennes de sainte Geneviève de Paris, études critiques,
Paris, 1986.
58
Voir à ce sujet les rectificatifs proposés par les contributeurs du premier volume du M. Rouche
(éd.), Clovis, Histoire et mémoire, op. cit., I, et les nouvelles perspectives initiées par D. Geuenich,
(éd.), Die Franken und die Alemannen…op. cit., et notamment dans son article Chlodwigs
Alemannenschlacht(en) und Taufe, p. 423-437, quant aux interrogations au sujet de l’existence
d’un peuple alaman.
59
Parmi les éléments essentiels, désormais validés par l’ensemble de la communauté scientifique,
la traduction du « Courbe-toi, fier Sicambre », réévalué par Jean Hoyoux, Le collier de Clovis,
dans Revue belge de philologie et d’histoire, XXI, 1942, p. 169-174. Le depone colla de Grégoire
de Tours signifie plutôt « Retire tes colliers », ce que l’historiographie valide progressivement. Sur
cette traduction, P. Bourgain et M. Heinzelmann, « Courbe-toi, fier Sicambre, adore ce que tu as
brûlé ». À propos de Grégoire de Tours, Hist., II, 31, dans Bibliothèque de l’École des Chartes,
154, 1996, p. 591-606.
31
en édition bilingue et agrémentées de notes critiques. À l’image de celui de Kurth,
seule une partie du livre se consacre véritablement à l’homme (cinq chapitres sur
treize), mais ce choix semble désormais valide pour la communauté scientifique.
La date de Noël 499 est privilégiée, pour un baptême postérieur à la bataille de
Tolbiac. Il se déroule à Reims, et donne lieu à des préparatifs conséquents : ceuxci témoignent de la conscience des élites contemporaines quant à la dimension
symbolique et politique de l’événement60. La problématique du livre se résume en
deux points : le royaume franc n’est pas la France ; la conversion est un acte
individuel, sincère et réfléchi. Clovis s’inscrit « dans la plus pure continuité
romaine ». Il choisit, sciemment, la romanité. La présentation des Barbares
s’inspire de la recherche germaniste (rappel de la thèse de l’ethnogenèse). Elle
sert néanmoins une approche romaniste du roi franc, suivant laquelle son succès
repose sur un choix raisonné de reprise de l’héritage impérial. La société
traditionnelle dite germanique se compose de « groupes de familles larges dotées
d’un ancêtre commun (et conservant) précieusement dans la mémoire les noms
des fondateurs et de leurs descendants », « dirigés par un chef de guerre », des
« communautés » soudées par « le sang versé au combat61 », caractérisées par des
« noyaux de tradition tribale (autour desquels) s’agglutinent les adoptés ».
L’absence d’État est compensée par la prégnance politique et sociale d’une
structure familiale large et d’une institution guerrière qui repose sur le système du
compagnonnage militaire. L’ascendance généalogique, associée à des croyances
religieuses, fonde la légitimité hiérarchique et sociale du chef62. Des éléments
physiques renforcent ce tableau63. L’apport démographique des Barbares semble
pourtant restreint dans le nombre et l’espace, et la géographie ethnique de ces
déplacements de populations apparaît dominée par la pluralité et la division64.
Michel Rouche développe ainsi une approche fondamentalement romaniste
de la question franque. Selon lui, il n’y a pas véritable invasion, et la prise du
pouvoir par Clovis ne s’apparente pas à une conquête barbare puisque le roi franc
choisit volontairement et sciemment d’inscrire son autorité dans une tradition
impériale. La thèse de l’absence d’État chez les Germains permet d’expliquer leur
incapacité à réfléchir le politique hors des cadres romain et chrétien, qui, l’un
comme l’autre, pensent leur ordre comme celui du monde entier (orbis romanus
ou Cité de Dieu)65. La réaffirmation du lien culturel identitaire romain-chrétien
justifie la réalité de son opposé, c’est-à-dire une équivalence culturelle entre
barbare et païen66. Cette approche refonde l’idée d’une opposition de civilisation
entre Gallo-romains et Germains, illustrée par de nombreuses marques
d’incompréhension culturelle (par rapport au droit de succession royal, au système
60
M. Rouche, Clovis, op. cit., p. 272-280.
Ibid.., p. 39-41.
62
Id., Le sens du baptême de Clovis, dans M. Long et F. Monnier (éd.), La France, l’Eglise,
quinze siècles déjà, 1996, p. 59-69.
63
Id., Clovis, op. cit., p. 47 : « ces grands dolichocéphales mesurent un mètre quatre-vingt ».
64
Ibid., p. 45 et s.
65
Ibid., p. 376 et précise p. 377 : « les Germaniques (…) entrèrent dans l’Empire romain pour s’y
créer une patria ».
66
Ibid., p. 153.
61
32
matrimonial, au panthéon païen par exemple67). Clovis, à l’image d’Auguste,
« fonde l’État de droit68 ». Il fait triompher « la notion juridique romaine du
contrat » et la conception chrétienne de l’alliance conjugale. Par ce choix il
favorise le mélange des « ethnies, populations et civilisations » et permet le retour
à une « stabilité politique et sociale ». La constitution du Royaume franc ne
constitue pas une rupture, mais s’inscrit au contraire dans une large continuité,
puisque la « fusion des Germaniques et des Romains » ne s’achève qu’au VIIIe
siècle69. Le baptême de Clovis ne signifie pas la naissance d’une France
catholique dès le Ve siècle : il n’y a pas de nation unifiée. Clovis est un général de
l’armée romaine, le petit roi des francs saliens, politiquement habile et réaliste,
qui s’allie avec les Gallo-romains pour « fusionner les coutumes barbares et le
droit romain (…) et permettre l’intégration à égalité des nouveaux venus » Mais
l’action de Clovis, inachevée à sa mort, est décisive à long terme pour la
construction politique ultérieure de l’Europe moderne. La science historique
montre clairement le caractère erroné de thèse classique et conservatrice d’une
fondation de la France au Ve siècle : elle relève d’une approche anachronique et
légendaire de l’histoire nationale, que la dimension symbolique du baptême a
favorisée. Par contre, selon l’historien, l’importance historique, politique, sociale
et culturelle des racines chrétiennes de l’Europe ne peut être niée. L’explication
du dogme de la Sainte Trinité permet en outre de revenir sur les conséquences
individuelles et collectives de la conversion. Contrairement aux panthéons païens,
le Dieu chrétien n’est pas une force castratrice et dominatrice mais un Dieu de
relation. En se convertissant, Clovis valide implicitement une théologie de
l’histoire. La royauté franque se crée en acceptant l’axe de la liberté, du fait même
de la dimension volontaire et personnelle de la conversion individuelle. Il faut
souligner que cette approche stimule en retour des problématiques novatrices
autour du processus de christianisation70.
L’ouvrage de Michel Rouche respecte une exigence érudite, et ce souci lui
est reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique71. Il développe de
manière assumée une approche romaniste et catholique, alors commune à
plusieurs éminents chercheurs72. L’honnêteté scientifique de sa biographie est
confortée par la parution, l’année suivante, des actes du colloque de Reims qui
avait accompagné, à l’image du Livre du Centenaire en 1896, la commémoration
67
Respectivement p. 233, p. 237 et p. 261.
Ibid., p. 380 : l’auteur s’en explique ainsi : « Le droit salique, le droit romain et le droit canon
fondent l’égalité politique entre les ethnies germaniques et les provinciales, entre les laïcs et les
clercs ».
69
Ibid., p. 383.
70
B. Dumézil, Les racines chrétiennes de l’Europe : conversion et liberté dans les royaumes
barbares, Paris, 2005 ; Ch. Mériaux, Gallia irradiata : saints et sanctuaires dans le nord de la
Gaule du haut Moyen Âge, Stuttgart, 2006.
71
J. Heuclin, 1996. L’année Clovis, dans Revue d’Histoire de l’Église, 43, 1998, p. 442-450
72
Une approche similaire s’observe notamment dans O. Guyot-Jeannin (dir.), Clovis chez les
historiens, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, 1996 : la prise de pouvoir de Clovis est
légitime, elle n’est pas le produit d’une invasion. Le triple topos traditionnel de Clovis guerrier
barbare, élu de Dieu et/ou unificateur des Gaule se trouve battu en brèche. L’importance des
femmes et du processus de conversion dans un contexte complexe et politiquement troublé est
soulignée.
68
33
de 1996 : son envergure internationale et son sérieux lui donne la place d’un
ouvrage de référence73. L’historien y explicite à nouveau l’importance du
renoncement au mythe de la fondation de la France, et défend les deux postulats
énoncés antérieurement : d’une part la place culturelle des racines chrétiennes
dans la construction politique européenne, et de l’autre l’importance du processus
de conversion individuelle. Même si l’avancée des recherches « rend déjà
périmées certaines pages de (son) Clovis, un an après sa parution chez Fayard74 »,
le cœur du débat reste cette question, celle du « phénomène imprévisible de la
liberté humaine et du secret du cœur. Dieu n’a pas répondu sur le champ de
Tolbiac. C’est Clovis qui a interprété sa réponse75 ».
Dans le cas de cette troisième biographie donc, les controverses proviennent
moins de la communauté scientifique que de la société globale, et concernent
essentiellement les cérémonies de commémoration76. Dominique Jamet et Pierre
Bergé prennent la parole dans les médias pour dénoncer une falsification de
l'histoire, le crime parfait contre la laïcité77. L’un comme l’autre explicitent leurs
propos dans des essais polémiques78. Ils dénoncent notamment le financement
« de multiples cérémonies » par l’État. Cette collusion d’intérêts traduit selon eux
une nouvelle confusion entre pouvoir public et Église, antagoniste aux valeurs
républicaines et laïques françaises, et compliquée par une dimension néoultramontaine (du fait de la présence papale). La rationalité du discours des deux
auteurs pâtit néanmoins de leur crispation sur un référentiel historique dépassé :
une ignorance des acquis majeurs de la science historique (la figure archétypale
d’un Clovis foncièrement barbare est à nouveau brandie)79, un oubli volontaire de
certaines réalités (la Gaule mérovingienne n’est pas la France), un raisonnement
anticlérical d’arrière-garde (parallèle avec le vote de la Loi Falloux ou celle de
1905), doublée d’une germanophobie peu méritoire dans le contexte
contemporain80. Leur discours apparaît finalement peu efficient, dans la mesure où
ils saluent d’un côté le travail des historiens universitaires, notamment celui de
Michel Rouche, et reconnaissent leur qualité d’experts81, et dénoncent de l’autre
les œuvres menées par le Comité, auxquels plusieurs de ces mêmes historiens
participent. Dans le cas de la période mérovingienne, largement ignorée du grand
public, le bénéfice apporté par l’effort commémoratif et ses corollaires
médiatiques est pourtant indéniablement positif.
73
M. Rouche (éd.), Clovis, Histoire et mémoire, I (histoire) et II (historiographie), op.
cit., rassemble plus de cent communications –dont quarante par des étrangers– données au
colloque de Reims co-organisé par le Comité des origines de la Gaule à la France, présidé par
Marceau Long, alors vice-président honoraire du Conseil d’État, et l’Association Mémoire du
baptême de Clovis.
74
M. Rouche, Introduction, dans Clovis, Histoire et mémoire, op. cit., I, p. XVIII.
75
Ibid., p. XIX.
76
M. Long, Préface, dans M. Rouche (éd.), Clovis, Histoire et mémoire, op. cit., I, p. V.
77
H. Tincq, La France de Valmy contre celle de Clovis, dans Le Monde daté du 13.09.1996.
78
D. Jamet, Clovis ou le baptême de l’ère, Paris, 1996 ; P. Bergé, L’affaire Clovis, Paris, 1996.
79
P. Bergé, L’affaire Clovis, op. cit., p. 44-46 : Clovis apparait sans envergure, pervers et brutal.
80
D. Jamet, Clovis ou le baptême de l’ère, op. cit., p. 134-151, « Nous l’avons eu, notre roi
allemand ».
81
Bergé, op. cit., p.27 : « Quant à l’auteur de la meilleure biographie du roi franc, Michel
Rouche… ».
34
Pour conclure : convergences et mutations
Ces trois biographies de Clovis sont l’œuvre d’historiens profondément
catholiques. De manière évidente pour Godefroid Kurth et pour Michel Rouche,
ils apparaissent comme des unionistes ou des rassembleurs : cette dimension
existe également chez Maxime Gorce, même si elle est limitée par le double
discours qu’il met en œuvre. Tous trois insistent sur la qualité du royaume
mérovingien comme creuset politique, ethnique et culturel, qui impulse ce qui
deviendra la civilisation médiévale. Ils choisissent, chacun à leur manière, de
défendre une position critique vis-à-vis de l’Allemagne. Ils privilégient une
certaine confiance dans les sources contemporaines, et défendent cette position de
manière érudite. Leurs ouvrages sont tous illustrés et dotés d’un appareil critique.
Ils insistent sur la valeur historique et morale de la vie de Clovis, mais la placent,
pour Kurth et pour Rouche, à l’intérieur d’une description large de la période qui
l’explicite et qui induit une impression de continuité entre Antiquité et Moyen
Âge.
Face à un accueil souvent excellent du grand public82, la réception des trois
œuvres s’avère à chaque fois délicate. Les reproches que doivent affronter leurs
auteurs divergent, et dépendent intimement du contexte particulier de publication.
L’effort d’historicisation est toujours salué par la communauté scientifique, et son
défaut explique, dans le cas de Gorce, les critiques qu’elle lui réserve. Mais le
genre biographique semble rendre particulièrement difficile la distinction, pour le
lectorat, entre le Clovis mythique et le Clovis historique. Le contexte de
commémoration pourrait d’ailleurs favoriser cette confusion entre mythe,
mémoire et histoire. Le paradoxe de ce constat réside en ce que c’est hors du
cadre commémoratif (en 1935), que la biographie proposée mélange le plus les
genres et acquiert une dimension politique. En 1896 et 1996, les préventions des
historiens sont telles que l’interrogation historiographique autour des cérémonies
de commémoration devient une occasion d’éviter le piège identitaire et de
réfléchir à la construction de l’unité nationale à travers les figures majeures de
l’histoire83.
Du fait du poids de la tradition historiographique, écrire la biographie d’un
roi de France reste délicat pour un historien, et cette difficulté apparaît
proportionnelle à l’investissement du personnage par une symbolique particulière
comme l’est la figure de Clovis. Premier roi barbare chrétien, fondateur de la
monarchie sur le sol gaulois, ancêtre revendiqué de tous ses successeurs et de
plusieurs dynasties royales européennes, il fut longtemps le symbole de la France
chrétienne et par là de l’union de l’Église et de l’État. La plupart des ouvrages qui
lui sont consacrés filent la métaphore d’un baptême-naissance de la nation
82
P. Bergé, L’Affaire Clovis, op. cit., évoque la manne lucrative représentée par ce « marché » et
avance fin 1996, 50 000 exemplaires du Clovis de M. Rouche déjà vendus.
83
É. Mension-Rigau, Regards sur Clovis, dans Cahiers de recherches médiévales, II, 1996, p. 7-8
sur la polémique autour de la commémoration et du Clovis présenté par là au public, Plus
largement, P. Chaunu et É. Mension-Rigau (éd.), Baptême de Clovis, baptême de la France, Paris,
1996.
35
française, et valident un discours où se mêlent les thèmes de l’origine et du sacré.
On ne peut que constater, en latence, dans les œuvres de Godefroid Kurth et de
Maxime Gorce, la présence de cette rhétorique, même si elle est tempérée pour le
premier par une solide critique historique, déficiente chez le second. Par contre,
elle apparait clairement expulsée de l’ouvrage de Michel Rouche, au profit d’une
nouvelle : un impact à long terme sur la construction européenne. La progression
du savoir historique rend nécessaire la réécriture régulière de telles œuvres, selon
un processus d’actualisation. Chaque historien propose une vision forcément datée
et dépendante de sa formation, de l’optique qu’il a choisie et de sa lecture –
forcément particulière – des sources. Ce qui fait des Clovis de 1896, et
probablement de 1996, des classiques hors du temps, réside sans doute finalement
dans l’importance des qualités littéraires, alliées à une probité scientifique validée
par une utilisation raisonnée du corpus.
36