l`article synthétisé - Institut de la Gestion Déléguée

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l`article synthétisé - Institut de la Gestion Déléguée
Comité pour la Charte des services essentiels
Un partenariat public-privé pour la collecte des
impôts municipaux
Modalités innovantes de recouvrement
fiscal au Venezuela
Article résumé
Institut de la Gestion Déléguée
30 juin 2009
Sylvain MAIRE
[email protected]
Un partenariat public-privé pour la collecte des impôts municipaux
Modalités innovantes de recouvrement fiscal au Venezuela
L’autonomie financière des institutions locales et leurs capacités d’autofinancement est un
point clef pour garantir l’accès aux services essentiels dans les pays en développement. Or, il
est parfois difficile pour ces états fédéraux, municipalités ou encore départements de
dégager des marges de manœuvre ou de garantir le remboursement d’un emprunt. Les
impôts locaux sont dans ce cadre un pilier important de l’échafaudage financier de ces
institutions. Cependant, dans bien des cas, les pays dans lesquels les administrations locales
ont le plus besoin de ces ressources sont aussi ceux qui ont le plus de mal à récolter des
impôts et à développer une culture du contribuable. L’accès de la population aux
infrastructures de base est dans ce sens lié à la capacité des institutions locales à générer des
revenus fiscaux, mais l’importance de l’évasion fiscale
met un frein aux possibilités de développement
Repères clefs sur le Venezuela
urbain et rural. Pour autant, des solutions existent
afin de contrer ce cercle vicieux et d’améliorer le La République Bolivarienne du
Venezuela s'étend sur une superficie de
rendement des impôts locaux.
L’une de ces solutions a été expérimentée au
Venezuela à travers la délégation du recouvrement
fiscal à une entreprise privée – dont la compétence
revient habituellement exclusivement à l’autorité
locale. En effet, les municipalités de Maturín et de
Ciudad Bolívar ont accordé leur confiance à
l’entreprise Proyectos Integradores pour collecter les
impôts sur le territoire municipal. Cet article a pour
objet de présenter ces modalités innovantes de
recouvrement fiscal mises en œuvre au moyen d’un
partenariat public-privé dans ces deux villes.
912 050 km pour une population de 27
934 783 habitants en 2008. Situé au
nord de l'Amérique Latine, le Venezuela
tire principalement ses richesses de
l'exploitation du pétrole. Le 9ième pays
producteur en 2007 peut se prévaloir de
détenir 79,7 milliards de barils de
ressources prouvées dans ses sous-sols.
La société nationale Petroleos de
Venezuela SA (PDVSA) fournissait en
2001, 55% des recettes fiscales du
gouvernement national et l’activité
pétrolière représentait 30% du Produit
intérieur brut.
Cette manne financière n’a pas été sans
conséquences sur la gestion de la
collecte des impôts locaux, quand des
ressources budgétaires étaient assurées
par les revenus du pétrole, par la taxe
sur les activités économiques ou par les
redistributions de l’Etat.
Depuis le début des opérations, pour l’exemple de la
ville de Maturín qui présente cinq années
d’expérience dans le domaine, les résultats ont révélé
des changements concernant l’évasion fiscale, les
recettes collectées et le rendement de l’impôt. Avec notamment l’utilisation d’un traitement
automatisé de l’information et la mise en œuvre d’une meilleure communication vis-à-vis
des contribuables, l’entreprise a pu changer le rapport des citoyens aux impôts locaux. Il faut
ajouter que la richesse pétrolière du Venezuela, découverte il y a plus d’un siècle, n’a pas
favorisé une culture fiscale. Bien souvent, les citoyens considèrent que c’est à l’Etat de
redistribuer les ressources, plutôt que de payer eux-mêmes des impôts. La réussite d’une
telle expérience donne de nouvelles conceptions et possibilités pour la mise en place d’une
collecte efficace des impôts, dans des contextes similaires.
Le faible rendement des impôts nationaux et locaux au Venezuela
Le pourcentage d’évasion fiscale est très important au Venezuela tant au niveau national
que local. Les efforts du SENIAT1 au niveau national,
avec notamment la fermeture des établissements et
commerces ayant été reconnus coupables de fraude
fiscale et la forte campagne de sensibilisation, ont
changé la donne. Le « Plan Nacional Evasión Cero2 »
(Plan national « Evasion zéro »), créé en 2003, a permis
de multiplier par plus de 2,5 les recettes entre 2003 et
2005. Par ailleurs, la volonté de mettre le paiement des
impôts à l’agenda politique a permis de multiplier par près de 6 le rendement des impôts
nationaux entre 1999 et 20053. Cependant, au niveau local, le paiement des impôts
toucherait seulement deux personnes sur dix 4, la coercition étant très faible à l’encontre des
fraudeurs et, parallèlement, les démarches pénibles pour les citoyens qui s’acquittent de
leur dû. Certains vénézuéliens disent qu’il faut être « stupide » pour payer les impôts locaux
et qu’il faut presque réclamer pour s’en acquitter, au regard des démarches administratives
assez longues et fastidieuses.
Cette situation serait aussi due, selon certains, au sentiment d’insatisfaction de la population
face aux actions publiques de l’autorité locale. Pour la municipalité, cette déficience en
services publics est au contraire la conséquence de l’absence de rendement dans le
recouvrement fiscal, nécessaire pour mettre en œuvre des actions publiques. Il s’agit donc
d’opérer un retournement dans cet état de fait : optimiser l’assiette fiscale pour augmenter
les ressources afin de pouvoir répondre aux nécessités de la population de la ville en termes
de service public essentiel.
Une délégation de la collecte et de la gestion des impôts locaux
La délégation du service public de collecte des impôts a lieu depuis fin 2003 à Maturín et a
été inaugurée en septembre 2008 à Ciudad Bolívar, à travers des contrats renouvelables
d’une durée de cinq et quatre ans. Le contrat de délégation prévoit que l’entreprise sera
intéressée à la hauteur de 7% de l’ensemble des impôts collectés. Ainsi, le pari de
l’entreprise était de réussir à augmenter suffisamment les recettes fiscales pour couvrir ses
frais de fonctionnement et dégager du bénéfice, sachant qu’elle emploie une trentaine de
1
Service Intégré d'Administration Douanière et Fiscale (Servicio Integrado de Administración Aduanera y Tributaria)
[http://www.seniat.gob.ve/].
2
BALANCE DEL PLAN EVASIÓN CERO. Aciertos y Desaciertos
[http://www.ideprocop.com/foro_abril/Plan%20Evasi%C3%B3n%20Cero.%20Aciertos%20y%20Desaciertos..pdf]
3
Ces chiffres ne prennent pas en compte les impôts sur les entreprises pétrolières.
4
Selon certaines municipalités.
3
personne. L’intéressement de l’entreprise envers les impôts collectés est le moteur de la
croissance des ressources fiscales, pour la municipalité.
Cette délégation réalisée par Proyectos Integradores C.A., vise à mettre en œuvre une
automatisation de la collecte des impôts locaux et de l’administration fiscale. Mais il ne
s’agit pas d’une délégation complète de la collecte, dans le sens où l’entreprise ne gère pas
directement l’argent public. Il s’agit en fait d’un travail qui se situe au niveau des processus
fiscaux, c'est-à-dire de la gestion du paiement par les contribuables, avec pour but
d’améliorer les recouvrements fiscaux. Les paiements ne se font pas directement à
l’entreprise, mais sur un compte
bancaire appartenant à l’autorité
Une expérience similaire à Sekundi-Takoradi au Ghana
locale. C’est en recevant les
récépissés de paiement que
Un tel partenariat public-privé a été mis en place dès 1998 dans la
municipalité de Sekundi-Takoradi avec l’entreprise Aero Surveys Ltd,
l’entreprise met à jour la base de
pour la gestion des impôts locaux. Cependant les activités déléguées
données des contribuables de la
s’appliquaient à un champ plus large par rapport à l’expérience
vénézuélienne. Dans un premier temps l’entreprise privée –
municipalité.
L’idée est de
spécialisée dans la photographie aérienne – devait réaliser
modifier les processus de collecte
complètement le registre foncier urbain sur le territoire municipal, et
des impôts afin d’optimiser son
non seulement le numériser puis l’actualiser. A partir de la réalisation
de cette base de contribuables, l’entreprise pouvait entamer son
efficacité.
travail en gérant l’impôt foncier (identification de l’assiette, émission
des rôles, collecte de l’impôt et poursuite en justice des mauvais
payeurs).
Le champ d’action de l’entreprise étant plus étendu, le contrat d’une
durée de cinq années tient compte d’une rétrocession annuelle de
25% des recettes collectées – soit trois fois plus que pour le contrat
de Maturín (7%) – mais ramenée à 10% pour une éventuelle
reconduction de la délégation après cette période. En contrepartie
l’entreprise s’est engagée à multiplier les entrées fiscales par plus de
deux et demi pendant les deux premières années et à financer par
elle-même la réalisation du registre foncier – estimé à 500 000 $US
par l’entreprise, ce qui justifie pour elle une rémunération à la
hauteur de 25%.
Concernant les résultats, l’augmentation des recettes fiscales est le
premier point à relever. Les impôts collectés ont en effet été
multipliés par un et demi de 1998 à la moitié de l’année 2001 en
passant de 1,1 milliard de Cedis à 1,7 milliard de Cedis. Cependant cet
accroissement des entrées fiscales est lié à une réévaluation des
propriétés foncières sur le territoire municipal dès 2001. La valeur des
propriétés ayant été évaluée à la hausse, les entrées fiscales ont
augmenté alors que le taux d'imposition est resté identique. Ce levier,
contrairement au cas vénézuélien, s’appuie sur une augmentation
mécanique et non pas principalement sur une meilleure efficience du
paiement des impôts locaux par les citoyens.
Le système de collecte dans le
cadre public n’était pas automatisé
informatiquement.
Avec
l’entreprise
Proyectos
Integradores, une base de données
numérique a été mise en place et
l’ensemble des processus fiscaux a
été informatisé. Dans ce cadre, la
délégation porte exclusivement sur
la gestion de la base des usagers,
de la communication fiscale et de
l’accueil pour effectuer les
paiements.
De très bons résultats pour
l’entreprise
La croissance de la collecte des
Source : Rapport sur le financement du développement local en Afrique.
impôts de 2000 à 2004 est de 137%
dans le cadre de la collecte
municipale, et de 424% de 2004 à
2008 avec l’entreprise. Ces chiffres mettent en avant une nette amélioration des recettes
4
dans le cadre de la gestion privée par rapport à la gestion municipale, comme on peut le voir
sur le graphique ci-dessous.
Recettes de la collecte des
impôts et croissance
interannuelle, pour les
années 2000 à 2008, en
Bolivar Fuerte. Source :
Proyectos Integradores C.A.,
Informe de control de gestión
tributaria municipal (periodo
Enero-Mayo 2008) et
données recueillies.
La croissance des
recettes
fiscales
présente une nette
accélération à partir
de l’année 2005
correspondant à deux années de gestion par l’entreprise, avec un bond de 110%. Les entrées
fiscales ont été multipliées par plus de cinq de 2004 à 2008. Mais au-delà de ces chiffres,
c’est la nature et les causes de cette augmentation des ressources fiscales, que nous devons
analyser.
Les niveaux d’une amélioration du rendement fiscal
Nous pouvons noter que la base fiscale de la municipalité de Maturín n’a que peu évolué
pendant la dernière décennie, période sur laquelle se fonde notre étude. S’il y a eu des
légères modifications des taux des impôts et de leurs répartitions, cela ne peut expliquer une
telle augmentation des recettes fiscales.
60000
54531
50000
45109
55161
Nombre de contribuables, toutes
catégories confondues, dans la
municipalité de Maturín de 2003 à
2008.
40330
40000
D’un autre côté, le nombre
de
contribuables
a
30000
fortement augmenté dans la
municipalité, comme on
20000
15366
15238
peut le voir sur le graphique
10000
ci-contre. Leur nombre a été
multiplié par plus de 3,5 sur
0
2003
2004
2005
2006
2007
2008
la durée de l’exercice de
l’entreprise, de 2004 à 2008.
Les impôts ont été multipliés par plus de 5 sur cette même période, comme nous l’avons vu
plus haut.
5
Mais cette augmentation peut être rapportée à la croissance urbaine, très importante à
Maturín (croissance annuelle de 5,42% jusqu’en 2008 5), avant d’être mise au crédit du travail
de Proyectos Integradores. Cependant, l’évolution de la population ne représente que 23,5%
de croissance de 2004 à 2008 alors que le nombre de contribuables augmentait de 250% sur
la même période. Si la forte croissance de la population peut expliquer une partie de
l’augmentation du nombre de contribuables, on voit clairement que le travail d’identification
et de mise à jour de la population des contribuables, effectué par l’entreprise, représente la
part du gain la plus importante. Nous pouvons donc dire que le travail de recherche de
nouveaux contribuables par l’entreprise a un réel impact et ne peut être confondu avec celui
de l’accroissement mécanique qui résulte de la croissance urbaine.
Au delà de ces facteurs, il demeure le travail de fond de Proyectos Integradores pour
l’amélioration de l’efficience du paiement de l’impôt. Cela correspond, au-delà de
l’actualisation de la base des contribuables, au travail d’actualisation des biens et de
l’activité économique dans la municipalité. La croissance des recettes ne peut être
seulement mise au crédit de l’augmentation du nombre de contribuables. Ainsi il s’agit d’une
augmentation du rendement fiscal qui aurait eu lieu quand bien même le nombre de
contribuables serait resté le même. Cette augmentation du rendement fiscal doit être mise
en rapport avec les outils de gestion innovants créés par l’entreprise pour l’administration
fiscale. Mais avant de parler de ces outils nous devons nous pencher sur la part des
différents impôts et sur les leviers d’action qu’utilise l’entreprise pour augmenter les
recettes.
La structure des impôts collectés
A partir des requêtes faites sur la base de données de l’entreprise Proyectos Integradores,
pour les années 2004 à 2008, nous pouvons distinguer la structure des différents impôts
collectés par l’entreprise. Il s’agit dès lors de déterminer sur quels impôts l’entreprise
accentue ses efforts pour augmenter les recettes ; en d’autres termes, quels sont les
« leviers » qui permettent d’accroître le produit global fiscal pour la municipalité.
5
Source : INE (Información Estadística Oficial de la República Bolivariana de Venezuela) [http://www.ine.gov.ve/] et
[http://www.ine.gov.ve/sistesisestadistica2008/estados/monagas/documentos/situacionfisica.htm].
6
Ressources en fonction du type d’impôt, avec regroupement des ressources par taxe et des ressources pour sanctions
fiscales, de 2004 à 2008 (en Bolívar Fuerte).
Types d'impôts / Années
Impôt sur les Jeux et les Paris Licites
Immeubles urbains
Patente d'industrie et de commerce
Impôts sur les véhicules
Publicité commerciale
Spectacle Public
Ressources liées aux sanctions fiscales
Ressources par taxes
Totaux
2004
272 750
192 174
31 073 320
90 035
214 508
300 415
2 132 981
1 916 386
36 192 569
2005
379 770
232 873
66 618 703
119 989
377 713
379 010
5 980 869
2 554 109
76 643 037
2006
2007
2008
410 738
405 984
802 459
281 957
293 189
289 244
76 267 648 117 628 764 165 446 638
136 716
154 554
194 978
487 595
988 114
1 038 033
468 824
412 111
780 175
7 487 020
7 806 959 14 244 137
3 567 894
3 845 582
7 127 376
89 108 391 131 535 258 189 923 040
La première chose qui apparaît à l’analyse des différentes classes d’impôts est le poids de la
patente d’industrie et de commerce ou impôt sur les activités économiques. En effet, cet
item représente chaque année entre 85% et 90% des recettes fiscales de la municipalité.
Cette proportion très importante vient directement du caractère de l’économie de la
municipalité
de
Maturín,
liée
à
l’exploitation pétrolière et aux industries
Une croissance à partir des impôts fonciers mise en
exergue par une étude Sénégalaise
qui y sont attachées. Cette tendance est
partagée au niveau national : l’impôt sur
Une Etude sur la fiscalité Locale* réalisée au Sénégal a mis
en avant la capacité d’augmentation des recettes fiscales
les activités économiques reste au
locales à partir du levier mécanique. En effet une baisse de
Venezuela le premier poste de ressources
l’exonération des impôts fonciers sur la résidence
principale ou l’élimination d’un abattement de 40% sur les
propres locales, comme c’est le cas de la
propriétés foncières peuvent être le moteur d’une
taxe professionnelle en France. Suivent
augmentation importante des impôts locaux. Cette étude
derrière, les ressources liées aux sanctions
mettait en avant que pour les seules communes de la
région de Dakar, l’élimination des exonérations et de
fiscales puis les ressources par taxes. Le
l’abattement pourraient augmenter les recettes de l’impôt
reste des entrées représentent pour
foncier de 3.4 milliards FCFA par an.
chacune moins de 1% des ressources
* Ministère de l’économie, des finances et du plan, Etude sur la fiscalité
locale, Dakar, 1998, 269 pages, MEFP, ACDI.
globales.
Les leviers du rendement fiscal
Au-delà de l’impôt sur les activités économiques, on peut distinguer la grande importance
des ressources liées aux sanctions fiscales et aux ressources par taxes6. Ce point pourrait
nous indiquer un tournant résultant des efforts de l’entreprise pour imposer le paiement des
impôts locaux.
Sur les 425% d’augmentation des recettes fiscales, les différents postes ne se positionnent
pas de la même façon. La croissance la plus importante est réalisée avec les sanctions
6
Il s’agit des taxes pour copies de document, permis de construire, assainissement, abattoirs, marchés, cimetière, terminal de passagers et
taxes pour retard de paiements.
7
fiscales avec plus de 500% d’augmentation. Ce nombre met en avant une volonté de ne plus
tolérer l’absence de paiement de la part des contribuables.
Croissance des différents types d’impôt, entre 2004 et 2008.
Types d'impôts / Années
Ressources liées aux sanctions
fiscales
Patente d'industrie et de commerce
Publicité commerciale
Ressources par taxes
Impôt sur les Jeux et les Paris Licites
Spectacle Public
Impôts sur les véhicules
Immeubles urbains
Totaux
2004
2 132 981
31 073 320
214 508
1 916 386
272 750
300 415
90 035
192 174
36 192 569
2008
14 244 137
165 446 638
1 038 033
7 127 376
802 459
780 175
194 978
289 244
189 923 040
Pourcentage
d'augmentation de
2004 à 2008
568%
432%
384%
272%
194%
160%
117%
51%
425%
La patente d’industrie et de commerce a quant à elle augmenté de 432% sur les cinq années
d’exercices. Cela semble moindre par rapport aux sanctions fiscales, mais il faut rappeler que
1% d’augmentation sur la base de 2004
équivaut à la somme récoltée pour les
La coercition au service du recouvrement fiscal : le
impôts sur les spectacles publics. On peut
cas de Djougou au Bénin
prendre la mesure de l’importance de cet Face à l’absence ou la non régularité de l’acquittement
impôt pour la municipalité.
des dettes fiscales, la commune de Djougou au Bénin a
Les données que nous avons présentées mise en place des « brigades civiles » qui ont pour but de
faire respecter ces obligations civiques. Ce sont au total
sont sans ambiguïté et révèlent une 170 brigadiers qui parcourent les douze arrondissements
amélioration du rendement de l’impôt. de la commune, régis par une charte et payés par
Reste à déterminer les mécanismes utilisés intéressement et primes en fonction de leur efficacité.
Après cinq années, cette expérience a fait ses preuves au
pour parvenir à une telle augmentation des niveau de l’augmentation des entrées fiscales et de la
régularisation du paiement des taxes locales par la
revenus fiscaux.
population.
Des outils de gestion innovants dans
l’administration fiscale
Source : Echos des communes, numéro spécial 2008, Bénin, ANCB.
L’idée motrice de l’entreprise est de proposer un renversement conceptuel au niveau fiscal :
le contribuable n’est pas tant considéré comme un redevable que comme un client qui
s’acquitte de ses prestations aux différents services publics municipaux. La deuxième idée
est d’automatiser les processus en informatisant la base de données des contribuables et les
procédures de paiements. Enfin, l’actualisation et la vérification permanente de la réalité du
contexte municipal par rapport à la base de données est un outil qui permet d’augmenter le
nombre de contribuables, mais aussi d’ajuster au mieux les impôts à payer.
8
Une entreprise de communication
« Tú contribuyes a hacer la ciudad 7 » peut-on lire sur
la devanture de l’entreprise Proyecto Integradores, à
côté d’un ensemble d’image représentant les différents
services publics : asphaltage de voirie, table d’opération,
maintenance des réseaux d’électricité, éducation,
habitat, etc. Ces slogans sont conçus comme ceux
d’une marque commerciale, mais ils ont pour but de
« vendre » une conscience citoyenne sur le plan fiscal.
L’un des outils de Proyectos Integradores pour améliorer
les rendements fiscaux est donc de sensibiliser le citoyen
à cette « conscience publique ». On pourrait dire que
l’entreprise est autant spécialisée dans l’administration
fiscale que dans les technologies de l’information et de la
communication.
Affiche de bienvenue dans les locaux de Proyectos Integradores à
Maturín. (« Bienvenue, Centre d’attention au contribuable,
premier étage. Nous vous garantissons la facilité et la sécurité pour payer vos impôts municipaux, plus…
Attention personnelle, Rapidité, Excellent service. Ensemble construisons une ville meilleure »).
L’entreprise fait d’ailleurs recours à de véritables campagnes de publicité, non pour vendre un
produit mais pour promouvoir le paiement des impôts locaux par les contribuables. Ces
publicités sont affichées dans la ville et publiées dans les journaux locaux. Elles insistent encore
une fois sur le caractère « citoyen » du paiement des impôts locaux, pour le développement de
la ville. Une affiche interpelle les contribuables : « N’attends pas de payer au dernier moment tes
impôts municipaux, évite d’être sanctionné. Payer à temps c’est payer moins ».
Des contribuables considérés comme des « clients »
D’autre part, la pierre de touche de l’entreprise dans l’administration fiscale est de considérer les
contribuables comme des clients. Tout est fait ici – aspect des locaux, formation du personnel,
accueil des citoyens – comme s’il s’agissait d’un service commercial. Or cet aspect de
communication est, selon l’entreprise, très important pour lutter contre l’évasion fiscale. La
lourdeur bureaucratique de l’ancien service municipal des impôts et le sentiment d’inefficacité
de l’autorité publique, n’aidaient pas à lutter contre ces évasions.
Une liste des « contribuables spéciaux », que sont les grandes entreprises qui doivent
s’acquitter de sommes importantes, a de plus été créée pour leur offrir un service
spécifique. Dans cet esprit, un accueil hors de la salle publique leur est réservé et des
facilités de paiement leur sont proposées. Tout va dans le sens de la valorisation de
7
« Tu contribues à faire la ville ».
9
l’investissement plus important des entreprises et des commerces de la ville, afin
d’améliorer le rendement de l’impôt sur les activités économiques.
Diminution des démarches administratives
L’un des points importants pour l’amélioration du rendement fiscal de la municipalité est de
faciliter au maximum les démarches des contribuables pour le paiement de l’impôt, par
rapport à l’ancien système long et fastidieux. Avec l’entreprise, le contribuable ne doit se
rendre qu’une seule fois dans les locaux. Le temps d’attente est diminué par les quinze
guichets qui reçoivent simultanément des clients et par l’élargissement de l’amplitude
d’ouverture (de 8h à 18h en continu). Les impôts sont calculés automatiquement par la base
de données, en fonction d’informations actualisées. L’entreprise soumet ces informations au
contribuable qui les valide puis elle crée une feuille de paiement (« planilla ») avec un
numéro unique. Une fois que le client s’est acquitté du montant dans la banque de son
choix, c’est cette dernière qui crédite le compte avec comme libellé le numéro de la feuille
de paiement. L’entreprise valide ensuite le paiement avec le relevé de compte fiscal de la
municipalité. Le contribuable, une fois son paiement effectué, n’a donc plus à revenir dans
l’entreprise8.
L’informatisation et l’automatisation des processus fiscaux
L’informatisation et l’automatisation des processus fiscaux permettent d’améliorer les
démarches fiscales et ainsi l’augmenter du rendement de l’impôt. Les informations
nécessaires pour l’administration fiscale sont nombreuses et de natures diverses : base des
contribuables et des entreprises, biens possédés, cartographie urbaine et adressage, etc.
L’informatisation de ces données permet une gestion beaucoup plus rapide et plus fine des
processus fiscaux. L’arbitraire est notablement réduit du fait de cette automatisation. La
corruption devient plus difficile à mettre en place et le sentiment de traitement différencié
peut tendre à s’effacer.
Le système qu’utilise l’entreprise pour la gestion des données est le progiciel SAP (Systems,
Applications, and Products for data processing). Il est utilisé dans le cadre de la collecte des
impôts pour gérer l’ensemble de la base de données des contribuables et des impôts dus.
Cette solution, qui requiert d’importantes compétences techniques, permet d’adapter
exactement le progiciel aux nécessités de l’entreprise. Elle permet également d’avoir une
grande finesse dans le traitement de la base de données, pour une adéquation compète
avec la tâche de la gestion des impôts.
L’utilisation des nouvelles technologies dans la gestion urbaine, par l’informatisation et
l’automatisation des processus fiscaux, est une source de meilleurs rendements car
l’acquittement des dettes fiscales devient moins fastidieux, nécessaire et plus proportionné
8
Dans le cadre public le fonctionnement était le suivant : après une longue attente, le contribuable, qui devait avoir r emplie sa feuille
d’impôts locaux, devait la faire valider par l’autorité publique. Une feuille de paiement lui était remise afin de lui permet tre de faire le
paiement par virement ou par dépôt dans la banque de son choix. Il devait ensuite revenir au guichet pour valider son paiement avec le
justificatif venant de la banque.
10
à la situation de chacun. Mais c’est avant tout le temps gagné par l’automatisation des
processus qui permet d’investir dans de nouvelles actions, laissées de côté jusqu’alors,
comme la communication ou l’actualisation des données municipales.
Une veille territoriale pour l’actualisation des données
Afin d’améliorer l’adéquation entre la réalité de la municipalité et la base de données qui
permet de dresser les impôts dus, Proyectos Integradores utilise des outils de veille
territoriale et de vérification. En effet, l’une des tâches importantes de l’entreprise est
l’actualisation de la base des contribuables sur le territoire de la municipalité, relativement à
la croissance démographique. Cette actualisation permet de faire rentrer dans le cadre fiscal,
des habitants qui en étaient – volontairement ou non – exclus. De plus, deux recensements
sont organisés chaque année par des employés de l’entreprise pour mettre à jour la base des
contribuables, entreprises et commerces en tête, présents dans la municipalité. Le but de
ces recensements est de déterminer le nombre d’entreprises dans la municipalité,
d’actualiser le registre d’informations du contribuable, de capter de nouveaux contribuables,
de diminuer le taux d’évasion fiscale et d’établir une planification fiscale. Ce recensement
est un facteur très important dans l’augmentation du nombre de contribuables, donc dans
l’augmentation des ressources fiscales.
Une recette simple et efficace, qui peut inspirer des expériences similaires
Ces mécanismes, mis en place de façon conjointe, permettent de changer la culture fiscale et
la notion commune d’intérêt public pour les habitants, de rendre le processus de paiement
des impôts locaux le plus facile et le plus « indolore » possible et enfin de compter sur des
informations fiables et actualisées. Ce qui reste important à retenir, à partir de cette étude
sur la délégation de la collecte des impôts, est que même dans un contexte d’absence de
culture du contribuable et d’évasion fiscale élevée, des solutions sont possibles pour
améliorer les recettes et le rendement de l’impôt et permettre une autonomie financière des
institutions locales. L’analyse des mécanismes utilisés par Proyectos Integradores a révélé
que les moyens à mettre en place ne sont pas hors de portée des municipalités ou des
entreprises qui souhaiteraient proposer une telle délégation. Les idées motrices de la
réussite d’un tel projet se portent en effet sur trois axes : la valorisation des contribuables,
par la communication et la simplification des démarches, l’informatisation des données et
l’automatisation des procédures, pour augmenter l’efficacité du processus fiscal, et enfin la
veille territoriale pour une plus grande adéquation avec la réalité.
La forte implication des équipes municipales reste avant tout un point clef de la réussite d’un
tel projet. Proyectos Integradores ne peut appliquer elle-même une coercition sur les
contribuables et la coopération avec l’autorité locale est indispensable. De plus, l’entente, la
collaboration et le sentiment de transparence sont nécessaires pour la réussite de cette
délégation. Le poids du service municipal des impôts, comme « organisme régulateur »,
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même s’il n’est pas neutre et dégagé des intérêts de l’une des parties, est très important
dans la mise en place des objectifs et dans le sentiment de transparence qu’en ont les
contribuables.
Les éléments mis à jour sur cette gestion innovante de la collecte des impôts locaux pour des
municipalités sont donc, si ce n’est transposables, pour le moins réutilisables dans d’autres
contextes ou d’autres situations. Les perspectives d’autonomie financière pour les
institutions locales, et par conséquent les possibilités d’investissement dans les
infrastructures de base et les services essentiels, sont donc l’horizon de telles innovations
dans le cadre particulier des pays en développement.
Cet article a été réalisé à partir de l’étude « Un partenariat public-privé pour la
collecte des impôts municipaux, Modalités innovantes de recouvrement fiscal au
Venezuela »9, réalisé pour l’Institut de la Gestion Déléguée (http://www.fondationigd.org/) de Paris. Cette étude a pu être réalisée grâce au soutient de Proyectos
Integradores (http://www.proyinteg.net/), l’entreprise à laquelle a été déléguée la
collecte des impôts à Ciudad Bolívar et Maturín.
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MAIRE Sylvain, Un partenariat public-privé pour la collecte des impôts municipaux, Modalités innovantes de recouvrement fiscal au
Venezuela, Institut de la Gestion Déléguée, Paris, 15 mars 2009, 52p.
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