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synthèse
Prise en charge de la candidose
œsophagienne en médecine de
premier recours
La candidose œsophagienne est l’une des infections opportunistes les plus fréquentes chez les patients infectés par le VIH.
Ce diagnostic se rencontre également chez des patients sans
immunodéficience manifeste. Certains facteurs de risque sont
également associés à cette pathologie, tels que les traitements corticoïdes systémiques et inhalés ou les traitements
par inhibiteurs de la pompe à protons et les antihistaminiques
H2. En l’absence de facteur de risque identifié, un déficit
immunitaire primaire devrait être recherché. La prévention
de la candidose œsophagienne est basée en premier lieu sur
l’identification des facteurs de risque, ainsi qu’un meilleur
contrôle de ceux-ci. Cet article présente en détail la physiopathologie, la clinique et la prise en charge par le médecin de
premier recours de la candidose œsophagienne. Nous aborderons également les moyens de prévention de la candidose
œsophagienne quand il y a lieu.
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 1072-8
G. Behrens*
A. Bocherens*
N. Senn
Drs Garance Behrens, Astrid Bocherens
et Nicolas Senn
PMU, 1011 Lausanne
[email protected]
[email protected]
[email protected]
Management of the esophageal candidiasis
by the primary care physician
Esophageal candidiasis is one of the most
common opportunistic infections in patients
infected by human immunodeficiency virus
(HIV). This pathology is also found in patients
without overt immunodeficiency. Other risk
factors are known to be associated with this
disease like inhaled or systemic corticosteroid treatment or proton-pump inhibitors
and H2 receptor antagonists. In the absence
of identified risk factors, a primary immune
deficiency should be sought. Prevention of
esophageal candidiasis is based primarily on
the identification of risk factors, and a better
control of them. This article presents a review
of the physiopathology, clinical presentation
and management of esophageal candidiasis by
primary care physicians. We will also discuss
ways of preventing esophageal candidiasis
when necessary.
*
1072
Ces auteurs ont contribué de manière égale à la
rédaction de cet article.
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INTRODUCTION
Langenbeck décrit le premier cas de candidose œsophagienne en 1839 lors d’une autopsie d’un patient décédé d’une probable fièvre typhoïde. Il met en évidence des pseudo-membranes au niveau de l’œsophage et l’examen microscopique
évoque une infection fongique.1 La candidose œsophagienne est l’une des infections opportunistes les plus fréquentes chez les patients infectés par le VIH.2
Toutefois, cette pathologie se trouve parfois chez des patients VIH négatifs. Dans
ce cas, d’autres facteurs de risque devraient alors être recherchés.
VIGNETTE N°
1
Patient congolais de 40 ans, sans antécédents médico-chirurgicaux ni traitement médicamenteux, vivant en Suisse depuis 2002, qui consulte en raison
d’une dysphagie aux solides et aux liquides depuis un mois. L’anamnèse révèle que depuis plusieurs mois il souffre d’épigastralgies postprandiales, sans
perte pondérale, de modification du transit, d’hématochézie ni de méléna.
Le status est normal hormis des discrètes douleurs à la palpation de la région
épigastrique.
Dans un premier temps, le diagnostic de reflux gastro-œsophagien (RGO) est
retenu et un traitement d’épreuve par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP)
est prescrit pour une durée de quatre semaines. Au vu de la persistance de la
symptomatologie, un bilan biologique est effectué qui met en évidence une
leucopénie modérée à 3,3 G/l (neutropénie absolue à 1,2 G/l) ainsi qu’une
anémie normocytaire normochrome (Hb 123g/l, MCV 85 fl). La ferritinémie est
dans la norme (ferritine 138 +g/l).
Une œsogastroduodénoscopie (OGD) est réalisée et montre la présence de
pseudo-membranes adhérentes au niveau des tiers moyen et inférieur de
l’œsophage évoquant une candidose œsophagienne. L’examen histopathologi-
que des biopsies de l’œsophage montre des signes
d’inflammation avec présence de Candida albicans. Le
patient est traité par du fluconazole pendant dix jours.
Un test VIH, réalisé par la suite, est négatif.
VIGNETTE N°
2
Patient de 70 ans connu pour des troubles psychiatriques, une BPCO de degré moyen et un œsophage de
Barrett sans dysplasie. Traitement habituel : oméprazole,
salmétérol et fluticasone inhalés, halopéridol, calciumvitamine D3 et simvastatine.
Il présente depuis quelques temps une dysphonie
mise sur le compte d’un RGO. Malgré une amélioration
transitoire de sa symptomatologie avec un traitement
par IPP pendant quelques semaines, la dysphonie récidive, raison pour laquelle il est adressé pour une évaluation ORL. Cet examen met en évidence la présence
d’une importante mycose pharyngo-laryngée. Un traitement par un antimycotique oral et topique permet
d’améliorer les symptômes.
Deux ans plus tard, une OGD de contrôle effectuée
dans le contexte de l’œsophage de Barrett révèle la
présence de lésions caractéristiques d’une candidose
œsophagienne. L’examen cytopathologique revient positif pour un Candida albicans. Le patient est traité par du
fluconazole. Le traitement habituel par IPP est poursuivi.
La sérologie VIH effectuée est négative.
Dans les mois qui suivent, on diagnostique chez le patient un carcinome hépatocellulaire dans le contexte
d’une cirrhose éthylique probable (Child-Pugh A).
PHYSIOPATHOLOGIE
La famille des Candida species sont des organismes commensaux du tractus digestif chez l’homme. L’œsophage est
colonisé chez environ 20% des adultes sains.3,4 On entend,
par colonisation, la présence de Candida species sans lésions
macroscopiques ni microscopiques.
Le développement d’une candidose œsophagienne se
déroule en deux étapes : 1) la colonisation, habituellement
limitée par l’effet immunoprotecteur de la salive, la vidange
régulière du contenu œsophagien, la présence d’une muqueuse intacte et un état d’équilibre entre les flores bactérienne et fongique 4 et 2) l’invasion de la muqueuse, facilitée
par la présence d’un déficit de l’immunité cellulaire.5
FACTEURS DE RISQUE
De nombreux facteurs prédisposants ont été suspectés
ou identifiés. Environ 80% des patients chez qui une candidose œsophagienne est diagnostiquée présentent au moins
un facteur prédisposant, dont le VIH.6
Déficits immunitaires
VIH
Bien que les infections opportunistes aient diminué de
façon importante depuis l’introduction des HAART (highly
active antiretroviral therapy), l’infection à VIH reste le principal facteur prédisposant au développement d’une candidose œsophagienne. La seule grande étude disponible est
une étude prospective européenne, portant sur presque
10 000 patients VIH sans candidose œsophagienne au moment de l’inclusion, qui a montré une diminution de 95%
de l’incidence de candidose œsophagienne entre 1994 et
2004. Au total, 15,8% des patients ont développé une candidose œsophagienne lors du suivi.7 Le risque d’infection
augmente de façon significative chez les patients présentant des CD4 쏝 200 cellules/mm3.8
La sévérité de la candidose œsophagienne semble également moindre en présence d’un taux de lymphocytes CD4
plus haut.9
Traitements immunosuppresseurs
L’administration de corticostéroïdes systémiques à long terme
induit : 1) une suppression de la fonction lymphocytaire,
prédisposant aux infections à Candida des muqueuses et 2)
une suppression de la fonction granulocytaire, favorisant
une infection invasive de la muqueuse, ainsi qu’une éventuelle dissémination.5 Les études à disposition ne permettent pas de savoir s’il existe une relation dose-dépendante.
Les corticostéroïdes administrés par inhalation ont également été
reconnus comme étant un facteur de risque chez des patients sans autre immunosuppression.10-12 Par ailleurs, le
risque est fortement augmenté chez les patients sous hautes doses de corticostéroïdes inhalés ainsi que chez les
patients diabétiques sous traitement de corticostéroïdes
inhalés.11
L’administration de traitements immunosuppresseurs,
en particulier chez les patients transplantés, est également
un facteur de risque, même si la prophylaxie administrée
depuis quelques années a rendu rares les cas de candidoses œsophagiennes dans ces situations.
Autres déficits immunitaires
Les déficits immunitaires primaires, de par leur nature,
sont à l’origine de nombreuses infections et devraient être
considérés comme un facteur de risque de développer une
candidose œsophagienne. Il n’existe cependant pas d’études à ce sujet.
Diabète
Le risque augmente particulièrement en cas de diabète
non contrôlé. En effet, l’hyperglycémie persistante est associée à une dysfonction des granulocytes et par conséquent une diminution de l’immunité cellulaire.13,14
Modification de la flore microbienne
Les traitements antibiotiques modifient la flore et de ce
fait peuvent permettre une prolifération de Candida albicans
et induire une colonisation de l’œsophage.4,5 Cela est décrit
dans de nombreux case reports ainsi que dans une étude
réalisée par Yakoob et coll.14 qui, dans une analyse rétrospective, confirme qu’un traitement antibiotique prédispose
au développement d’une candidose œsophagienne. Ce
phénomène est par ailleurs bien connu dans la candidose
vaginale.
De même, l’hypochlorydie, secondaire à une vagotomie,
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lement la survenue d’œsophagite à Candida.17
Les antécédents de chirurgie gastrique (fundoplication
selon Nissen, gastrectomie partielle, œsophagogastrectomie)
sont également des facteurs de risque.4 Il n’existe pas d’études démontrant un risque augmenté de candidose œsophagienne chez les patients porteurs d’anneau gastrique.
à l’utilisation d’antihistaminiques H2 ou à un traitement par
IPP, est également associée à un risque accru d’œsophagite à Candida.14,15 Le risque semble plus important avec
les IPP qu’avec les antihistaminiques H2, ces derniers modifiant moins le pH gastrique. Il existe plusieurs publications
de cas ainsi qu’une étude rétrospective qui démontrent
l’association d’un traitement d’IPP avec le développement
d’une candidose œsophagienne.16 Trois mécanismes participent au développement de candidose œsophagienne
en cas de traitement par oméprazole : l’augmentation du
pH, l’inhibition de l’activité cytotoxique des lymphocytes
in vivo et la diminution de la salivation (qui permet une
augmentation de la quantité de Candida dans la cavité buccale). Il est intéressant de noter que certains patients avec
une candidose œsophagienne présentent une symptomatologie similaire à la gastrite érosive et bénéficent souvent
d’un traitement d’épreuve d’IPP, ce qui a potentiellement
pour conséquence d’aggraver les symptômes.
Age et candidose œsophagienne
La prévalence de candidose œsophagienne augmente
avec l’âge.18 Un âge supérieur à 65 ans n’est cependant pas
un facteur de risque indépendant, c’est en réalité l’augmentation du nombre de facteurs de risque chez ces patients
qui en est la cause. On retrouve les mêmes facteurs de
risque chez les patients âgés de plus de 65 ans que dans
la population générale.19,20
CLINIQUE
Les symptômes les plus souvent retrouvés sont une
odynophagie avec ou sans dysphagie dans 63% des cas,
des nausées et vomissements dans 5%, des douleurs abdominales dans 5%, de la fièvre dans 2% et une perte pondérale dans 1% des cas. Plus rarement, les patients peuvent
présenter une gêne rétrosternale, des épigastralgies ou
encore des saignements digestifs hauts (tableau 1).
Selon les études, 20 à 40% des patients qui présentent
une candidose œsophagienne (lésions visualisées à l’OGD
et confirmées histologiquement) sont asymptomatiques. Il
s’agit le plus souvent des patients ne présentant pas de
facteurs favorisants.5,18
Environ un tiers des patients avec une candidose œsophagienne ont également une candidose oropharyngée, 2,14
et des études prospectives ont montré que la majorité (71
à 100%) des patients VIH présentant à la fois un muguet oral
et une odynophagie avaient une candidose œsophagienne
à l’endoscopie.5
Chez les patients âgés, la symptomatologie habituelle
est rarement présente. En fait, la plupart des OGD à l’origine d’un diagnostic de candidose œsophagienne (confirmé
Anomalies structurelles ou fonctionnelles
de l’œsophage
La présence d’un carcinome de l’œsophage, avec ou sans
obstruction, est associée à un risque augmenté de développer une candidose œsophagienne.5,14 Il n’est pas possible sur la base des études disponibles de dire s’il s’agit
d’un facteur de risque indépendant ou d’un facteur confondant, la plupart des patients souffrant de néoplasies ayant
reçu précédemment un traitement d’IPP et/ou un traitement
altérant l’immunité cellulaire (corticostéroïdes, chimiothérapie).
Les dysfonctions de la motilité œsophagienne prédisposent également à une colonisation, et par conséquent à
un risque augmenté d’infection à Candida. Environ 35% des
patients souffrant d’une sclérodermie avec dyspepsie présentent un ou plusieurs épisodes de candidose œsophagienne. La prévalence monte à 89% en cas de thérapie antiacide (ranitidine, oméprazole).5,17
Les autres maladies œsophagiennes telles que les
œsophagites non infectieuses et l’achalasie favorisent éga-
Tableau 1. Prévalence des signes et symptômes selon l’étiologie infectieuse de l’œsophagite
(D’après réf.5).
HSV : herpès simplex virus ; CMV : cytomégalovirus ; TB : tuberculose.
Signes et symptômes (%)
Candida
HSV
CMV
VIH
TB
Odynophagie
63
79
59
95
64
Lésions cavité buccale
37
29
0
27
6
Nausées/vomissements
5
15
42
2
1
Douleurs abdominales
5
2
19
5
2
Perte pondérale
1
2
25
27
35
Fièvre
2
4
20
12
20
Toux
0
0
0
0
22
Diarrhées
0
2
20
20
0
Rash
1
0
0
49
0
23
0
0
0
0
Asymptomatique
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macroscopiquement et histologiquement) ont été réalisées
dans le cadre d’investigations d’une perte de poids.
DIAGNOSTIC DE LA CANDIDOSE
ŒSOPHAGIENNE
Œsogastroduodénoscopie
Seule l’OGD permet de confirmer le diagnostic et, dans
le même temps, d’exclure une co-infection, par exemple à
herpès virus (HSV) ou cytomégalovirus (CMV). Ces co-infections sont toutefois rares et sont retrouvées dans la majorité des cas chez les patients infectés par le VIH.
Le diagnostic est posé sur l’aspect macroscopique de
l’œsophage (figure 1), examen qui présente une sensibilité
de 100% et une spécificité de 83 à 92%.21 Dans une étude
rétrospective d’Underwood et coll., publiée en 2003, sur
plus de 2500 patients ayant bénéficié d’une OGD motivée
par des symptômes digestifs, sur une période d’un an, environ 1% d’entre eux présentaient une candidose œsophagienne (lésions présentes à l’OGD et confirmées histologiquement).4
On différencie quatre degrés d’atteinte œsophagienne :5,22,23
• grade 1 : présence de quelques plaques blanchâtres de
moins de 2 mm sans ulcération.
• Grade 2 : multiples plaques blanchâtres de plus de 2 mm
sans ulcération.
• Grade 3 : ulcérations confluentes, linéaires avec des plaques nodulaires et ulcérées.
• Grade 4 : grade 3 avec sténose de la lumière.
Le diagnostic endoscopique doit être confirmé par un
examen pathologique consistant soit en un examen cytologique par brossage qui montre des mycelia sur le frottis
direct, soit par une biopsie qui montre une invasion de la
Figure 1. Cliché de l’œsogastroduodénoscopie
muqueuse. Cependant, la biopsie est moins sensible que
le brossage, car les mycelia superficiels peuvent être «nettoyés» lors de la fixation du matériel.4 La mise en culture
des prélèvements œsophagiens n’est pas utile car elle ne
permet pas de différencier entre la flore normale, une colonisation ou une infection.5
Les lésions découvertes lors de l’endoscopie doivent
être biopsiées et envoyées pour un examen histologique.
Par contre, en cas d’aspect normal de la muqueuse œsophagienne à l’endoscopie, il n’est pas nécessaire de réaliser des biopsies, la probabilité de trouver dans ce cas une
infection à Candida étant extrêmement faible.9
Il n’y a pas de corrélation entre la sévérité de la symptomatologie et l’aspect endoscopique.14
Tableau 2. Résumé des traitements pour la candidose œsophagienne
Classes médicamenteuses
Triazoles
• Interactions médicamenteuses (inhibition
cytochrome P450)
• Tératogènes (autorisés durant l’allaitement)
Médicaments
Posologies
1er choix
PO ou IV
Coût modéré
Bien toléré
PO 200-400 mg 1 x/jour pendant 14-21
jours IV 6 mg/kg/jour
Fluconazole
•
•
•
•
Itraconazole
• 2e choix
• PO
200 mg 1 x/jour pendant 14-21 jours
Posaconazole
• 2e choix
• PO
400 mg 2 x/jour pendant 14-21 jours
Voriconazole
• 2e choix
• PO ou IV
• Taux d’effets secondaires plus élevé
PO 200 mg 2 x/jour
• IV
• Néphrotoxicité
• Marge thérapeutique étroite
0,3-0,7 mg/kg/jour pendant 14-21 jours
Caspofungine
• IV
Dose de charge 70 mg puis 50 mg
1 x/jour pendant 14-21 jours
Anidulafungine
• IV
Dose de charge 200 mg puis 100 mg
1 x/jour pendant 14-21 jours
Micafungine
• IV
100 mg 1 x/jour pendant 14-21 jours
Amphotéricine B
• Autorisé pendant la grossesse
Echinochandines
• Pas de données concernant la grossesse
et l’allaitement
• Bien tolérées
Caractéristiques
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DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Le diagnostic différentiel inclut : maladie de reflux, œsophagites infectieuses (CMV et HSV principalement), œsophagite à éosinophiles, œsophagites dans le cadre de maladies
systémiques (sclérodermie, etc.), œsophagite médicamenteuse ulcérative, etc.24 Le tableau 1 rapporte la présentation
clinique des œsophagites en fonction de l’étiologie infectieuse.
A l’endoscopie, la candidose œsophagienne peut avoir
une présentation atypique la rendant difficile à distinguer
d’une pathologie de reflux sévère, d’une œsophagite médicamenteuse ulcérative ou d’une œsophagite à HSV ou CMV.
Symptômes faisant suspecter une candidose
œsophagienne
• Odynophagie, candidose oropharyngée, nausées,
vomissements, douleurs abdominales, perte
pondérale, fièvre
• Non-réponse à un traitement d’épreuve par IPP
lors d’épigastralgies
Œsogastroduodénoscopie
Autre diagnostic :
traitement spécifique
Diagnostic de candidose œsophagienne confirmé
INVESTIGATIONS COMPLÉMENTAIRES
Une fois le diagnostic de candidose œsophagienne posé,
il s’agit d’identifier les éventuels facteurs de risque. En
premier lieu, il est important d’exclure une infection par le
VIH (figure 2). Ensuite, on recherchera la présence des autres
facteurs de risque mentionnés ci-dessus. En leur absence,
nous proposons de réaliser des examens immunologiques
spécifiques, afin d’identifier une éventuelle immunodéficience primaire (en particulier un déficit immunitaire humoral, cellulaire ou combiné). Le médecin de premier recours peut demander un premier bilan comprenant une
formule sanguine complète, le dosage quantitatif des IgA,
IgM et IgG (y compris les sous-classes IgG1, IgG2, IgG3 et
IgG4).25 En cas de résultats anormaux, le patient sera
adressé à l’immunologue afin de préciser le diagnostic et
la prise en charge.
TRAITEMENT
En cas de candidose œsophagienne, un traitement systémique est d’emblée requis, contrairement à la candidose oropharyngée pour laquelle on propose en premier
lieu un traitement local.26 Le tableau 2 résume les différentes alternatives thérapeutiques et la figure 2 un algorithme
de prise en charge.
Le traitement s’administre généralement après un diagnostic endoscopique. Toutefois, en cas de présence concomitante de muguet oropharyngé et de symptômes d’œsophagite, un traitement empirique systémique est envisageable. En cas de non-amélioration des symptômes après
quelques jours, une endoscopie sera alors effectuée.26-28
L’antifongique de premier choix est le fluconazole (de la
famille des triazoles) à des doses de 200-400 mg (3-6 mg/kg)
une fois par jour pour une durée de 14-21 jours selon les
guidelines cliniques établies par l’Infectious Diseases Society of America en 2009.26 C’est un traitement bien toléré,
avec une bonne absorption gastro-intestinale (prix total
approximatif : 190-280 CHF) et efficace contre la plupart des
espèces de Candida (à l’exception de C. krusei et C. glabrata).
Par rapport aux autres antifongiques, le fluconazole a peu
de contre-indications. Les triazoles inhibent tous le cytochrome P450. Le fluconazole présente des interactions médicamenteuses avec notamment la rifampicine (baisse de
l’efficacité du fluconazole), la rifabutine, la ciclosporine, les
antidiabétiques oraux de type sulfonylurées, la phénytoïne
et la warfarine (augmentation de l’effet de ces médicaments).
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Traitement per os de fluconazole 14-21 jours
Sérologie VIH si status non connu
VIH confirmé : prise
en charge du VIH
et traitement de la
candidose œsophagienne
Identification de facteurs de risque courants
• Diabète
• Corticoïdes inhalés ou systémiques
• Autre immunosuppression médicamenteuse
• IPP
• Antibiothérapie
• Néoplasie
• Anomalie structurelle/fonctionnelle de
l’œsophage
• Suppression ou
contrôle optimal des
facteurs de risque
• Discuter prophylaxie
selon facteurs de
risque
Absence de facteur de risque courant
• Considérer la recherche d’une immunodéficience primaire
Immunodéficience
primaire confirmée :
prise en charge immunologique
Figure 2. Prise en charge d’une candidose
œsophagienne
IPP : inhibiteur de la pompe à protons.
Les effets secondaires sont principalement des troubles
gastro-intestinaux (nausées, vomissements, flatulences,
dysgueusie).28
Les alternatives au fluconazole, notamment en cas de
résistance, sont en premier lieu l’itraconazole en solution
(réponse dans 80% des cas), le posaconazole PO ou le voriconazole, PO ou IV (taux d’effets secondaires plus élevé).
En cas d’impossibilité d’administrer un traitement oral, un
traitement intraveineux par fluconazole, amphotéricine B
ou échinocandines (caspofungine, anidulafungine ou micafungine pendant 14-21 jours) peut être envisagé.26
En cas de grossesse, les antifongiques de type triazole
sont contre-indiqués car ils sont tératogènes.29 Ils ne sont
pas contre-indiqués en cas d’allaitement. Il n’y a pas de
données concernant les échinocandines et on recommande
dès lors la prescription d’amphotéricine B.27
Enfin, dans des cas de candidoses orales réfractaires chez
des patients immunosupprimés, les guidelines cliniques
établies par l’Infectious Diseases Society of America en
2009 ont parfois relevé l’utilisation de traitements immunomodulateurs par GM-CSF (granulocyte-macrophage colony-stimulating factor) ou par interféron gamma.
PROPHYLAXIE
De manière générale, chez les patients immunosupprimés et particulièrement chez les patients VIH, les infections
récurrentes sont fréquentes. Un traitement prophylactique
au long cours par fluconazole montre une meilleure efficacité comparé à un traitement intermittent mais induit une
augmentation de la résistance fongique.26
La plupart des spécialistes ne recommandent pas une
prophylaxie primaire ou secondaire chez les patients VIH
en raison d’un traitement qui demeure efficace lors d’infection symptomatique, du risque modéré de complications
associé aux candidoses oro-pharyngées et œsophagiennes,
du potentiel de résistance accrue, des interactions médicamenteuses non négligeables et des coûts associés à un
tel type de traitement.27,30
Cependant, certains experts suggèrent de considérer
une prophylaxie de manière individuelle en cas d’infections sévères et fréquentes. Les patients qui présentent
un ou plusieurs antécédents de candidose œsophagienne
et qui ne parviennent pas à une reconstitution immunitaire
malgré un traitement par HAART pourraient bénéficier d’une
prophylaxie secondaire. On recommande dès lors un traitement de fluconazole aux doses de 100 à 200 mg 3 x/semaine.26,27,31
Dans les autres cas d’immunosuppression, notamment
chez les patients sous chimiothérapie, une prophylaxie peut
également être envisagée durant la période à risque.
Concernant les patients utilisant des corticoïdes inhalés,
on recommande l’utilisation d’espaceurs, de se rincer la
bouche après leur usage et d’éviter l’inhalation juste avant
le coucher, ce qui suffit en général à prévenir la candidose
oro-pharyngienne et œsophagienne.20
COMPLICATIONS
biothérapie, IPP, anomalie fonctionnelle ou structurelle de
l’œsophage). Les IPP, en particulier l’oméprazole, devraient
être utilisés avec précaution chez les patients immunosupprimés. Plus généralement, le diagnostic de candidose
œsophagienne devrait être suspecté chez un patient présentant une symptomatologie de gastrite ne cédant pas
sous un traitement d’IPP. Occasionnellement, il arrive que
l’infection survienne chez des patients sans facteur de risque
ni immunosuppression reconnus. Selon les cas, il convient
alors de rechercher un déficit immunitaire primaire.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec
cet article.
Remerciements
Nous remercions le Pr François Spertini, Service d’immunologie et
d’allergie au CHUV ainsi que le Dr Vanessa de Bosset-Sulzer et le
Dr Mirco Ceppi, pour leur relecture attentive.
Nous remercions également le Pr Darius Moradpour, Service de gastroentérologie et hépatologie au CHUV, pour l’image d’endoscopie.
Stratégie de recherche
Les données utilisées pour cette revue ont été identifiées en
novembre 2010 par une recherche Medline des articles publiés en anglais ou en français depuis 1976. Les deux motsclés utilisés simultanément pour la recherche étaient «candidiasis» et «esophageal diseases». Les articles ont été
inclus dans la liste de références s’ils couvraient de façon
pertinente un ou plusieurs des sujets suivants : clinique, facteurs de risque, diagnostic et prise en charge de la candidose œsophagienne.
La candidose œsophagienne induit très rarement des
complications sévères.
En effet, les infections à Candida albicans touchent en
principe uniquement la muqueuse superficielle de l’œsophage et atteignent rarement les couches plus profondes
de la paroi œsophagienne. On retrouve dans la littérature
de très rares cas de nécroses, perforations œsophagiennes
et fistules œsophago-bronchiques, œsophago-pulmonaires
ou encore œsophago-aortiques. On les retrouve principalement chez des patients immunosupprimés, présentant
des comorbidités telles qu’un cancer, une insuffisance rénale, un diabète mais également dans quelques cas chez
des patients considérés comme immunocompétents.32
Il a été postulé que la candidose muco-cutanée chronique (maladie autosomale dominante) puisse favoriser la
survenue de cancers œsophagiens (production de nitrosamine par le Candida qui est un composé cancérigène).33
> La candidose œsophagienne est un diagnostic auquel il faut
CONCLUSION
> Chez les utilisateurs de corticoïdes inhalés, l’utilisation d’es-
La candidose œsophagienne survient essentiellement
lors d’immunosuppression (VIH, traitements immunosuppresseurs, corticostéroïdes inhalés ou systémiques, diabète et néoplasie) ou en présence de facteurs de risque
chez des patients apparemment immunocompétents (anti-
Implications pratiques
penser également chez les patients immunocompétents
> En présence d’une candidose œsophagienne, une sérologie
VIH doit être effectuée
> En cas de sérologie VIH négative et de l’absence de facteur
de risque courant, la recherche d’une immunodéficience
primaire devrait être considérée
> Le traitement de premier choix de la candidose œsophagienne est le fluconazole, à raison de 200 à 400 mg/jour en
une prise, pour une durée de 14 à 21 jours
paceurs et le rinçage de la bouche après inhalation sont
recommandés comme mesures de prévention
> Une prophylaxie n’est pas indiquée de routine mais est à
discuter dans certaines situations (infections sévères et récidivantes, chimiothérapie)
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