De la Régie Publique à la Société Publique Locale
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De la Régie Publique à la Société Publique Locale
La Gestion des Services Publics Locaux De la Régie Publique à la Société Publique Locale Distribution d’eau, Assainissement, Chauffage urbain, Parkings, Restauration scolaire etc… Historique : En France, pendant près d’un siècle, les services publics des eaux ont vu cohabiter deux modes de gestion qui se partageaient l’activité, sensiblement à égalité: la régie publique et la délégation à des sociétés privées. En 1981, l’entrée en vigueur de la loi sur la décentralisation a eu pour conséquence la fin du contrat type d’affermage imposé par le Ministère de l’Intérieur et surtout un affaiblissement du subventionnement des collectivités locales par l’Etat. Chacun vérifie encore aujourd’hui la réalité de cette tendance. La vacuité de la règlementation a alors permis aux sociétés privées de renforcer leurs positions en proposant de financer ces services et bien d’autres choses. C’était l’époque où « tu me donnes ton services des eaux et en échange je construits la piscine ». Des excès sont apparus ici et là puisque d’une part ces financements privés coutaient fort cher aux usagers mais aussi aux contribuables. On rappellera les célèbres droits d’entrée qui ont permis à ces sociétés privées de s’installer sans justification technique dans des villes comme Saint-Etienne ou Toulouse et bien d’autres encore. En 1992 est intervenue la loi sur l’eau qui a interdit la facturation de l’eau au forfait. Encore une opportunité pour les sociétés privées d’augmenter considérablement leurs recettes en calculant avantageusement un tarif binôme basé sur abonnement fixe et consommation réelle. De là, est née une formidable contestation des usagers qui ont vu bondir leurs factures d’eau. De nombreuses associations locales se sont immédiatement créées pour s’opposer à ces augmentations parfaitement injustifiées et indues. En 1993, avec la loi Sapin de lutte contre la corruption, le législateur a manifesté sa volonté de clarifier le marché de l’eau. Cette volonté a été confirmée par des lois successives tendant à imposer aux entreprises privées de distribution d’eau que sont, Veolia- Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux- Suez, SAUR- PAI Partners- Bouygues- Caisse des DépôtsSéché, de rendre compte de leur activité aux collectivités délégantes. Les droits d’entrée on été interdits, la durée des contrats limitée et une simple procédure de publicité rendue obligatoire. On notera que cette procédure n’a pas mis fin au choix « intuitu personae », du délégataire privé par l’exécutif de la collectivité publique, c'est-à-dire en toute liberté et hors de tout cadre réglementaire. Ce n’est pourtant qu’en 1995 que la loi Mazeaud a imposé la remise « d’un rapport par le délégataire qui doit comporter les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l’exécution de la délégation et une analyse de la qualité du service ». Le décret du 14 mars 2005 énonce les exigences réglementaires de contenu et de forme de la partie financière et surtout impose l’obligation de permanence dans la présentation des comptes. Ce n’est qu’au prix du strict respect de cette obligation que les délégations auraient pu approcher un début de clarification des aspects financiers. 1 Les distributeurs d’eau ont été alors confrontés au problème de satisfaire deux exigences, contradictoires pour quiconque: remettre aux collectivités les comptes de l’affermage des services publics tout en leur dissimulant les énormes profits réalisés. Ils s’en sont très bien accommodés en inventant le compte annuel de résultat d’exploitation, non pas établi en coûts directs, mais par répartition au moyen de clés des charges globalisées de l’entreprise. Les Chambres Régionales des Comptes ont développé ce sujet dans de nombreux rapports d’observations. Cette méthode leur a permis de systématiquement dissimuler des bénéfices à la limite de la légalité. La délégation au privé, exception française : La gestion des services publics locaux par des sociétés privées reste aujourd’hui encore une exception française. A ce constat il faut ajouter les plus grandes facilités accordées par la réglementation aux sociétés privées qui engrangent des bénéfices fabuleux sans aucune limite et dans l’immense majorité des cas sans réel contrôle des élus complaisants. Pourtant, il y aurait bien motif à inquiétude de voir détourner l’argent des usagers vers d’autres fins que la gestion du service. On rappellera opportunément la jurisprudence constante du juge administratif selon laquelle les usagers ne doivent payer que des redevances recevant une contrepartie stricte de service rendu. Que les élus s’accommodent de profits énormes dépassant fréquemment et largement 40% dépasse l’entendement et suscite des questions que le manque de moyens financiers interdit aux associations de poser publiquement. Les usagers savent très bien qu’ils n’ont pas le choix de leur fournisseur d’eau et que la concurrence en la matière relève de l’aimable plaisanterie. Les distributeurs d’eau français ont bien tenté, avec le soutien très actif de la représentation parlementaire (loi Oudin- Santini), d’exporter le modèle français. Les tentatives en Argentine, aux Etats unis et en Angleterre, en particulier, ont piteusement échoué. Par contre, en France, nos parlementaires, qu’ils soient de droite ou de gauche, s’acharnent à renforcer les facilités pourtant substantielles accordées à la gestion en délégation par des sociétés privées. Nos parlementaires justifient- ils cet acharnement ? Leur argumentation se distingue par son vide sidéral et se limite à des propos péremptoires sans même l’embryon d’une démonstration comme on peut le relever dans l’exposé des motifs de la loi : « Il est évident que la gestion d’un service public sous la forme d’une société anonyme détenue par les collectivités territoriales offrira à celles-ci des avantages indéniables en termes d’efficacité , de réactivité et de sécurité, avantages dont les solutions juridiques disponibles, établissement public ou association loi 1901 sont dépourvus. » Comme l’a souligné Gérard Borvon de « SEAUS Bretagne » : le « il est évident tient lieu de démonstration ». La fin du dogme de la délégation au privé comme seul mode de gestion performant ? : Comme rappelé dans le premier paragraphe, l’augmentation des tarifs, consécutive à la suppression du barème au forfait, imposée par la loi sur l’eau de 1992, a provoqué la révolte des usagers et leur regroupement en associations. Ces associations se sont très rapidement 2 retrouvées fédérées en coordinations ce qui a renforcé leurs moyens et en fin de compte leur influence. De nombreux recours devant les tribunaux administratifs ont permis de lever le voile sur les nombreuses entorses à la réglementation présentes dans les contrats de délégation. Comme on l’a vu plus haut au cours des années 1990, la loi a tenté d’imposer un peu de clarté dans les relations délégant- délégataire, sans grand succès. Les Chambres Régionales des Comptes ont relevé de nombreuses anomalies dans les contrats de délégation et dans les relations entre les sociétés délégataires privées et les collectivités concédantes. Pourtant, on peut s’interroger sur l’absence de suites judiciaires données à ces pertinentes observations. Les associations locales de consommateurs d’eau l’ont souvent déploré. Il en va ainsi de notre monde moderne. Malgré tout, certains estiment que le progrès fait rage ! Il faut reconnaitre que le lobby des distributeurs d’eau n’est pas resté inactif et, on pourrait le dire, a mis en place des parades efficaces, en particulier: Le compte annuel de résultat d’exploitation pour faire croire à la clarté des dispositions financières des contrats alors que ce compte travestit officiellement la réalité. Les frais d’accès au service qui ont suivi l’interdiction du dépôt de garantie. Le dépôt de garantie était réputé remboursable, pas les frais d’accès au service acquis définitivement. La garantie de renouvellement pour donner une justification au non remboursement des redevances encaissées par les sociétés privées et non dépensées. Le paiement d’une facture comme accusé de réception du règlement du service. L’absence toujours remarquable de clauses résolutoires dans les contrats. Mais ces innovations, autorisées par la disparition du cahier des charges type du Ministère de l’Intérieur, au seul profit des sociétés privées, n’ont pas suffi à empêcher l’inversion de la tendance à la privatisation. A la contestation des délégations de services au privé ont succédé les retours en régie : Châtellerault, Cherbourg, Grenoble, Tournon sur Rhône, Neufchâteau, Paris, Annonay, Digne les Bains, Castres, Rouen Agglomération, Syndicat des Eaux de Tursan, Venelles et bien d’autres villes ont suivi cette voie. On a même observé ici ou là des combats fratricides entre sociétés jusque là amies. Pour les VEOILA, SUEZ OU SAUR, cette situation ne pouvait pas durer. Une diminution des profits, qu’elle soit due à l’émergence d’une concurrence jusque là évitée ou plus encore à des retours en régie publique était devenue insupportable, il fallait donc réagir : d’où, peut être, la loi de juin 2010 sur l’extension de la loi sur les sociétés publiques locales à la gestion des services publics locaux. La possibilité de déléguer la gestion de l’eau à une Société Publique Locale : On doit reconnaitre que c’est une idée géniale, c‘est pourquoi il est difficile de croire qu’elle n’a pas été suggérée par le lobby des distributeurs d’eau. Qu’ensuite elle apparaisse comme une initiative socialiste ajoute encore au machiavélisme de la manœuvre. Car c’est bien connu, les socialistes ne peuvent être soupçonnés d’œuvrer au profit des actionnaires des multinationales de l’eau, contre l’intérêt général de la population. Prenons l’exemple d’un candidat maire qui a fait figurer le retour en régie du service des eaux de sa commune dans sa profession de foi. Une fois élu, il voudrait bien donner l’illusion de tenir sa promesse sans évincer la sociétaire privée délégataire du service depuis des décennies. Il sait que le choix de la régie publique devrait mettre un terme à des relations qu’il voudrait voire perdurer et que la mise en œuvre de la procédure de DSP risque d’amener une société « inconnue ». 3 L’idée de génie consiste à faire le choix de la régie tout en conservant la multinationale, en d’autres termes c’est ménager la chèvre et le chou. Des exemples de ce type de choix, alors que la loi de juin 2010 sur les SPL n’avait pas encore été votée, ont surgi. Ils n’ont donné satisfaction ni à la collectivité, ni à la société privée, ni aux usagers. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est difficile pour une commission des travaux de dominer totalement un appel d’offres, qu’il s’agisse de marchés de services ou de travaux. Par ailleurs, on a pu observer des collectivités qui procèdent de telle sorte que seul le délégataire sortant soit en mesure de présenter une offre. Que faire alors pour pérenniser ce cher délégataire sortant dont la présence commerciale locale est si puissante ? Présenter ce choix comme le plus favorable aux usagers. Pour cela : Réunir les conditions pour confier l’exploitation à une entreprise privée en s’affranchissant des contraintes de la loi Sapin de lutte contre la corruption et du code des marchés publics. C’est la gageure qu’offre désormais la loi du 28 mai 2006 : 1. Les collectivités en charge de services publics pourront en confier l’exploitation à une SPL sans être tenues à une quelconque mise en concurrence. 2. C’est l’officialisation de la marchandisation de l’eau, bien commun de l’humanité. 3. Les SPL pourront à leur tour sous-traiter tout ou partie de leur mission à une société privée amie et pourquoi pas au délégataire sortant car les marchés échapperont également aux procédures de mise en concurrence imposées par le code des marchés public. Pour autant, il reste à démontrer que la SPL est un pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics, ce qui semble-t-il ne résulte pas de la loi. Mais là ne s’arrêteront pas les avantages offerts par cette loi aux exécutifs des collectivités et aux multinationales françaises de l’eau. En autorisant (sous la réserve énoncée ci-dessus) la privatisation des services publics locaux par le moyen de contrats passés de gré à gré, la loi donnera l’opportunité à nos élus eux-mêmes de mettre un terme à la lutte fratricide intervenue entre les sociétés privées après un siècle de statut quo. En effet, il était devenu compliqué pour eux de choisir lorsque deux candidats avaient présenté des offres et que celle du délégataire sortant n’était pas la mieux disant. De plus, les associations de consommateurs se verront privées de représentants comme elles en bénéficient aux sein des régies publiques, que ce soit dans les conseils d’exploitation des régies à simple autonomie financière ou dans les conseils d’administration des régies à personnalité morale. Les petites affaires se concluront dorénavant à l’abri des regards indiscrets . Enfin, la création des sociétés publiques locales offrira l’opportunité de sièges rémunérateurs aux amis du pouvoir local. Conclusion : Les collectivités qui souhaitent gérer directement leurs services publics locaux disposent déjà de puissants outils que sont les régies publiques : A simple autonomie financière s’ils voulaient conserver la maîtrise totale du service. A autonomie financière et responsabilité morale dans le cas contraire. 4 Ces deux régies, outre le constat jamais démenti sauf par des études prospectives « bidon », qu’elles appliquent des tarifs toujours inférieurs à ceux des sociétés privés délégataires, garantissent le bon emploi des redevances payées par les usagers : C’est le simple respect de l’équilibre en recettes et dépenses des budgets de fonctionnement et d’investissement des services industriels et commerciaux que sont par exemple les services des eaux. Cette disposition du droit qui s’impose au public comme au privé est largement bafouée par le privé quand il réalise des marges somptueuses, ce qu’il dissimule par des comptes en majeure partie virtuels. Le choix de la création d’une société publique locale, revêtue de la forme de société anonyme régie par le code du commerce permettra aux élus de s’affranchir des règles strictes et des contrôles de la fonction publique tout en évitant la mise en concurrence. Ils pourront également contourner les règles d’appels d’offres des marchés publics. Les consommateurs-usagers peuvent donc légitimement s’inquiéter de la marchandisation de l’eau qu’instaure la loi sur les SPL. De plus, les associations locales de défense des usagers des services de distribution font constamment le constat que la gestion par le privé n’offre pas de meilleures garanties techniques que les régies. Des cas d’exploitation notoirement insuffisante par des délégataires privés sont régulièrement constatés, ce qui ne peut surprendre car la recherche du profit maximum est l’objectif prioritaire et légitime de toute société privée. Ces constats mettent à bas le dogme de la supériorité du privé sur le public. Mais ce dogme et le choix de la SPL ne cachent-t-il pas d’autres objectifs non présentables ? 5