HIJOS DE LUCAS Juan Gutierrez Arenas
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HIJOS DE LUCAS Juan Gutierrez Arenas
HIJOS DE LUCAS La Revolución y las colectividades en Alhama de Granada Juan Gutierrez Arenas HIJOS DE LUCAS La Revolución y las colectividades en Alhama de Granada Juan Gutierrez Arenas Textes choisis. Édition Française. 2012 Copyright © Juan Gutiérrez 2012 Tous droits réservés. Crédits photographiques, droits réservés pour les ayants droits non identifiés. En vertu de la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 portant création du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre du seul droit de sa création, d’un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous (1ère partie, art. L. 111-1), par ailleurs, toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque (art. L. 122-4). 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Juan Gutierrez Arenas Chemin d’Alhama, par les Côtes des moulins de Carmen Las Tajos, vues depuis las Peñas, années 1950 Haut canal d’irrigation, lieux de rafraîchissants bains pour les uns et de durs travaux de lavage pour les Ahlamaniennes Lieux où j’ai passé mon enfance et l’adolescence Un Canto a Alhama La Alhama de los Romances Fue un 22 de enero (1937) el año de la corria Siempre lo recordaremos el crudo frio que hacia Cuando llegó la noticia aquella fria mañana de que las tropas fascistas vienen a tomar Alhama. Sin tiempo a reflexionar todo un pueblo que corría Carril y Puerta Graná la Joya y el Tejar (barrios) Auqnue hacia un crudo invierno lloviendo a no poder más el pueblo salió corriendo buscando la libertad. Del año de la corria muy pocos vamos quedando aunque algunos todavia para poder recordarlo Muchos años se han pasado muchos desde aquel ayer que nunca más he olvidado lo llevo dentro mi ser. Son recuerdos de la infancia hoy ya en edad madura siempre en mi mente perdura en estas tierras de Francia Juan Gutierrez Arenas Histoire d’Espagne Le 14 avril 1931 l’Espagne qui s’était couchée monarchiste se levait « républicaine », nous vivions des jours d’espoir et la majorité des espagnols accueillait la nouvelle république avec satisfaction. Cette nouvelle république faussement qualifiée « république des travailleurs » et proclamée transitoire ne fut pas du goût des partis de droite, et de l’Église, qui bientôt commencèrent à élever des obstacles. Pour commencer, ils donnèrent à tous les métayers la consigne de ne pas semer les terroirs, une manière de faire mourir à petit feu les ouvriers étant donné que dans Alhama, chef-lieu de la province de Grenade, 80% de la population se composait de journaliers et d’ouvriers agricoles, gens sans terre. On rapportait que lorsqu’un père de famille se présentait à la maison d’un cacique (propriétaire terrien) pour solliciter un travail - en ôtant son chapeau pour saluer - et lorsqu’il implorait pour être employé à n’importe quelle besogne car il avait de nombreux enfants à nourrir, la réponse cinglait : « Que la république te donne du travail ! ». En réponse à ces nombreuses attaques de la Droite les syndicats U.G.T et C.N.T. décidèrent de mettre fin aux provocations et créèrent un système qu’ils baptisèrent los topes (les butoirs) procédé consistant pour les ouvriers agricoles à aller eux mêmes exploiter une parcelle. En effet les ouvriers avaient, tout autant que les fermiers euxmêmes, une parfaite connaissance de la région. Lorsqu’un lopin semé de blé, d’orge ou de n’importe quelle autre céréale était à point d’être débarrassé de ses mauvaises herbes, au sein du syndicat se tenait une discussion en assemblée et une équipe de travailleurs, adaptée à la taille du terrain, était mandatée avec un animateur qui endossait la responsabilité. A la nuit, après une journée épuisante, il se présentait à la maison du métayer pour que les journées de chacun soient acquittées. Certains les payaient de bon gré, d’autres en rechignant et quelques-uns, une minorité, refusaient de régler la rétribution. Mon père fut amené à s’impliquer, comme une fois où il démonta une pièce de sa voiture (qui servait de taxi) pour que la garde civile ne puisse pas l’emprunter et ainsi les empêcher d’ennuyer les paysans lorsqu’ils étaient en train de désherber quelque lopin de céréales sans l’autorisation du propriétaire. Conséquence de ces « butoirs » survint une tragédie qui coûta la vie à un fermier et valut de nombreuses années de prison à celui qui le provoqua. Les faits se produisirent de la manière suivante : un groupe de quelques journaliers était allé travailler le champ de blé d’un fermier qui résidait dans la rue el Siso (rue dans laquelle la majorité des habitants étaient des fermiers). Celui qui était désigné comme responsable du groupe était connu sous le surnom de « la Nina » et lorsqu’il se présenta à la maison du fermier celui-ci le reçut de fort mauvaise manière, payant les journées de tous mais lui refusant la sienne. Il alla jusqu’à le provoquer l’invitant à le retrouver dans les champs proches du cimetière. C’est alors apparemment que « la Nina » s’enragea, il le chercha, l’attendit près du cimetière puis l’après midi, à son retour, il le suivit et là il lui décocha les deux coups de son fusil à double canon. L’un partit au cimetière, l’autre à la prison. Il est douloureux que les faits que je rapporte se soient produits avant la guerre, durant la République. Dans ces années de la deuxième république se vivait un véritable déchaînement. De 1934 à 1936 la droite avait gouverné le pays dans la période connue sous le vocable bienio negro (du 19 novembre 1933 au16 février 1936). Le 16 février 1936 se déroulent les élections présidentielles. Pour ces élections les différentes composantes de gauche se présentent sous un front uni baptisé « front populaire ». Les droites, elles aussi, se fédèrent. Il n’y a plus de moyen terme : on ne peut voter qu’à gauche ou à droite. Dans la province de Grenade les deux listes étaient les suivantes : Gauche “Izquierdas” : - PSOE : Fernando de los Rios, Urruti, Ramon Lamoneda Fernandez, Antonio Martin Garcia, Francisco de Toro Cuevas, Erneto Fernandez Jimenez, Francisco Menoyo Banos - Izquierda Republicana : Miguel Rodriguez Molina, José Palancon Romero - Union Republicana : Ricardo Corro Mocho, Emilio Martinez Jerez. Droite “Derechas”: Ramon Ruiz Alonso, Julio Moreno Davila, Manuel Torres Lopez, José Fernandez Arroyo, Francisco Herrera Oria, - Tradicionalistas : José Maria Arauz de Robles - Partido Agrario Español : Francisco Gonzalez casrrascosa, - Centro o Progresistas : Natalio Rivas Santiago, Gonzalo Muñoz, Melchor Almagro Santamartin La campagne électorale pour ces élections fut particulièrement dure, avec de multiples accusations de part et d’autre des parties en conflit. Je vous donne en exemple certains des meetings advenus dans notre province et je commence par ceux de l’Action Populaire et des autres partis de droite : Le 5 février 1936 diverses réunions se réalisèrent dans notre région (information parue dans le journal de droite IDEAL le 6 février) A Alhama ce jour là intervention de Jeronimo Castillo, José Blanes, Angulo Montes, Torres Lopez y Arau de Robles, les mêmes qui interviendront dans une autre réunion à Santa Cruz del Comercio où était aussi présent Antonio Gomez Dias. Poursuivons le même jour, avec la même équipe à Moraleda de Zarfayona où la présentation est assurée par Antonio Gallardo. Dans ce meeting, à Moraleda, une partie de la foule réclamait les socialistes. Mais le 12 février, dans le journal de gauche El defensor de Granada un article exposait que la gauche ne pouvait rien faire tant que les caciques dominaient la région ! Le 7 février à Chimeneas interviennent José Garcels, Jesus Villalobos, Ramos Penalve, Fernandez Arroyo et Moreno Davila. De son côté le Front Populaire lance également une série de meetings. Le 11 Février à Alhama une concentration de républicains et d’ouvriers où se produirent Juan Miguel Peres Larios, Garcia Santiago, José Villoslada Sabaté, León Garré et Fernando de los Rios (El Defensor 12-21936). Le dimanche 9 février à Chimeneas interviennent Francisco Garcia, Eloisa Banites, Antonio Games, Teresa Gomez Juares y Antonio Martin (El Defensor-11-2-36) ; le 12 février à Moraleda de Zarfayona : Eloisa Benites, Martinez Bravo, Gerardo Atance1 y Antonio Martin, (El Defensor 14-2-36) ; le 14 février à Ventas de Zafarraya : Eloisa Benites, Gerardo Atares et Antonio Martin. Ce même jour à Escuzar : Martinez Bravo, Vargas y Antonio Martin. Incidents préélectoraux A Alhama les ouvriers sont fouillés et on les oblige à fermer les locaux du syndicat à minuit (le Défenseur de Grenade du 14 février 1936). Dans ce même journal, en date du 5 février 1936, une chronique signée par Antonio Perez Jimenez (« Camarades ! Prenez garde aux fraudes ! ») dénonce une possibilité de fraude électorale. Cela se produit au vu de l’information émise par la Droite dans une conférence à Cacin où elle affirme «être parfaitement convaincue que le succès des élections ne sera atteint que par le vote de toutes les religieuses et de tous les hospices espagnols ». Résultat des élections2 Sur l’ensemble de l’Espagne le Front Populaire emporta les élections de 1936 de manière irrésistible. Quelques jours après les élections, exactement le 10 mars 1936 1 Geraldo Atance qui intervient à Moraleda et Geraldo Atares qui fait de même à Ventas de Zafarraya doivent être une seule et même personne ; l’erreur provient du livre source de l’information dont la provenance est le journal le Défenseur de Grenade. 2 La majeure partie de l’information provient du livre “Grenade 1936 Election aux Cortes” de Miguel Pertinez Dias édité par l’Université de Grenade. Ce livre est disponible à la bibliothèque d’Alhama. éclata une grève générale en Espagne, quelques villages de notre province s’illustrèrent par des incidents mineurs et parmi eux Alhama. Pourtant, voici les résultats des premières élections en 1936 pour la province de Grenade : Derechas Acula 305 Alhama 777 Fornes 443 Jayena 632 Santa Cruz 241 Izquierdas O 2220 5 13 222 Il ne faut pas s’étonner, au vu de ces résultats, de l’information parue dans le défenseur de Grenade du 22 février 1936, affirmant qu’à Jayena il y avait eu une fraude diabolique, à savoir un changement des votes, intervertis entre Droite et Gauche. Selon ces premiers résultats, où sont les électeurs de gauche de Acula, Fornes et Jayena ? Il y eut des résultats de ce type dans toute la province de Grenade où au total la Droite gagna avec 10 députés face aux 3 députés du Front Populaire. Le 31 mars 1936 les résultats des élections de la province de Grenade furent annulés, de nouvelles consultations furent organisées le 3 mai 1936 au terme desquelles le Front Populaire gagna les 13 sièges en compétition : 10 de la majorité et 3 de la minorité. Peu de temps après, le 18 juillet 1936 se produisit le soulèvement militaire point d’origine de la guerre civile espagnole. Hier, 1931, Accion Popular et Partis de Droite Aujourd’hui, 2007, Partido Popular et extrême droite Entre hier et aujourd’hui il y a une différence de rien moins que 76 ans ! Les mêmes chiens, avec d’autres colliers ! Nous connaissons, sinon toute l’histoire de la deuxième république, du moins une bonne partie. En effet pour son avènement le 14 avril 1931 j’avais 1 an et 2 jours, ma naissance ayant eu lieu le 12 avril 1930. Les événements de ces années-là je les connais d’abord par les nombreux récits que m’en fit ma mère et ensuite parce que je les ai vécus et j’en ai souffert. Je me souviens comme dans un rêve avoir vu la garde civile fouiller notre maison de la Hoya (quartier d’Alhama) et des défilés de Grenade en février 36 dont j’ai peu de souvenirs car je n’avais alors que 6 ans. Cette histoire que j’essaie de traiter ici - et qui reste à écrire ! - je voudrais vraiment me tromper mais je suis sûr que si nous retournions dans les années 36 ces nouveaux groupes fascisants, incluant d’ailleurs l’Église, qui sont bien vivaces et qui remuent encore la queue, referaient les mêmes choses qu’ils ont fait en 1936 ! J’en souffre pour la jeunesse, bien que je sache, par expérience que les gauches ne furent pas intègres en tout (rappelons-nous les massacres de Casas Viejas). Ne nous laissons pas gruger ! La Droite est là et si elle « tient la queue de la poêle » elle ne la lachera pas ! (Les espagnols disent : Adios Madrid, que te queda sin gente ! qu’il ne te reste plus personne !) C’est pour la mettre en garde que j’alerte la jeunesse. Dans ce passage de mes « Mémoires », que j’entends recueillir avant tout pour ma famille, c’est tout à fait par hasard que j’avais inclus ces quelques lignes d’avertissement ; ce n’est qu’en réaction à tout ce que je vois et entends à la télévision et dans les autres medias. Lorsqu’éclata le soulèvement du 18 juillet 1936 (par ceuxlà mêmes qui essayaient par tous les moyens d’abattre la 2ème république depuis sa proclamation) à Alhama se créa un conseil ouvrier paysan présidé par mon père Lucas Gutierrez Lopez. Toutes les terres abandonnées par leurs propriétaires enfuis dans la zona reverde (zone contrôlée par les militaires de Queipo de Llano) furent automatiquement collectivisées et une coopérative fut établie dans la maison d’un fils de propriétaires terriens, Paco Belasco dans la rue San Merones, la deuxième demeure à droite en montant. C’est là que furent entreposés les produits agricoles tant les céréales que les légumes : blé, orge, pois chiches, lentilles, de même que l’huile les salaisons etc. Au moyen d’un simple reçu, que le conseil paysan instaura, les familles pouvaient retirer de la coopérative tout ce qui était collectivisé. En outre tout ce qui se trouvait sur les terres en jachère fut mis en commun, comme le fut un moulin. D’autres terres continuèrent à être cultivées par leurs propriétaires qui n’avaient pas désiré fuir. La distribution était calculée en fonction de la composition de chacune des familles. Les marchandises dont disposait la coopérative d’Alhama n’échappèrent pourtant pas à la « main dure staliniste » ainsi que cela se passa dans d’autres parties de l’Espagne républicaine comme en Aragon ou d’autres coins de la péninsule. À Alhama un certain Montes qui se prétendait « ingénieur agronome » et dont nous savons qu’il essaya par ailleurs de faire la même chose à Iznayòr un autre village de la province de Grenade, voulut démanteler les coopératives que les travailleurs de la terre avaient bâties à force de sacrifices et tenta de les livrer aux exploiteurs. Ce dénommé Montes se présenta un jour à Alhama accompagné d’un groupe de miliciens communistes armés jusqu’aux dents et profitant de la réunion des membres du conseil à la mairie les encercla dans l’intention de tous les fusiller (et ceci est la pure vérité)! Mon père était à l’intérieur comme les autres et s’ils sauvèrent leur peau ce fut grâce à des miliciens de la FAI, cantonnés dans le château, qui empêchèrent le massacre. Alors que les armes manquaient au front pour défendre la République, que le bataillon connu sous le nom de « bataillon Grenade » qui s’organisait à Alhama était à court d’armement quand fut prise Alhama le 22 janvier 1937, cependant les « traîtres communistes » étaient armés jusqu’aux dents pour abattre la coopérative. Pourquoi ? C’est un mystère. Suite au départ précipité du 22 janvier 1937 les terres restèrent semées et les patrons à leur retour n’eurent plus qu’à s’occuper de désherber les blés dans l’attente de récolter aux mois de juillet et d’août. Nous nous demandons d’ailleurs s’ils furent désherbés car il ne restait plus ici que les parasites et autres inutiles ceux qui savaient seulement fréquenter les cercles et les clubs, en un mot les exploiteurs ! Ceux-là se réjouirent quand nous sommes revenus, vaincus, et ils savourèrent leur « revanche » : envoyant les uns au cimetière les autres vers de longues années de prison et comme ils ne pouvaient tous nous tuer, si tu avais l’agrément d’un patron tu avais droit à la liberté (attention liberté « surveillée »). D’autres étaient exilés vers d’autres provinces loin de leurs êtres chers car de toute façon les familles étaient éclatées et pour certains des plus malheureux, comme ce fut notre cas, ils nous arrachèrent notre père quand nous en avions le plus besoin. Quant à quelques uns, ils obtinrent l’agrément des patrons qui rachetaient ainsi leur conscience, ce que l’on appelle “mettre un cierge à Dieu et un autre au diable”. Miliciens de la FAI, cantonnés dans le château (marqué par un C), qui empêchèrent les miliciens communistes de fusiller l es membres du conseil paysan ouvrier. Banat 21 décembre 2006 : au moment où j’écris ces lignes, soit dit en passant, 70 ans se sont écoulés, les politiques espagnols (certains malfaisants et d’autres pires encore) retardent le dossier des Républicains fusillés par ce « salaud de Franco »! Les populares (néo-franquistes du Partido Popular) prétextent ne pas vouloir rouvrir les cicatrices ! Laissez-moi rappeler que parmi tous ceux du village de Alhama qui furent assassinés contre le mur du cimetière de Grenade figure mon père et que nos blessures à nous ne se sont jamais fermées même après tout ce temps passé. Et nous n’avons pas oublié nom plus les noms de ceux qui directement ou indirectement ont commis ces atrocités. Mais comment pourrions-nous oublier ? les Quinqueles, les Benitos, les don Miguel Ramos, les Fernandez (rue Guillen), Guarda l’indésirable garde civil Rivas, les Salvador Peña (juge) les Cristobal Raya, les Cortatelas etc. sans oublier les indicateurs comme ce fut le cas de Duran, un crève la faim qui pour quatre sous se faisait un plaisir d’aller bastonner les prisonniers. Nous ne pûmes voir mon père que deux ou trois fois dans sa cellule à Alhama où ils le gardaient après l’avoir transféré de la centrale de Baza après un an de captivité. Quand ma mère me conduisit à la prison située place des « détenus » à Alhama je le trouvais méconnaissable, la figure très pale, sans ceinture et ma tante Lourdes qui était aussi venue le voir lui dit « Lucas demain je te porte une ceinture pour que tes pantalons ne tombent pas! »ce à quoi mon père répondit « ne me l’apportes pas car c’est interdit, ils me l’enlèveront » Ces maudits gardes civils sortaient fréquemment mon père de la caserne pour le rouer de coups, régulièrement au crépuscule. Ma mère lui portait une boisson chaude dans un récipient en porcelaine lorsqu’il sortait de la caserne mais mon père ne voulait rien prendre ; il semblait que son corps était déjà enflammé par les coups de gourdin. Pourquoi le martyrisaient-ils autant ? C’est vrai qu’il avait été l’un des responsables de la coopérative agricole et bien sûr ils le maltraitaient pour qu’il leur avoue les noms des autres responsables. Et, quand les sbires et les assassins se lassèrent de le torturer ils l’emmenèrent à Grenade et là, d’après les informations que nous avons pu obtenir plusieurs années plus tard, afin qu’il ne puisse s’en sortir, ils ne lui infligèrent pas moins que SEPT peines de mort ! Il est exact que mon père ne voulait rien prendre de ce que lui portait ma mère mais il est vrai aussi que ceux qui l’escortaient ne la laissaient pas s’approcher de tout le trajet entre la caserne et la prison, environ 400 à 500 mètres. Non ! ces fachos criminels ne laissaient pas s’approcher les épouses de leurs maris prisonniers bleuis de coups de bâtons, les empêchant de donner une boisson chaude, un bouillon ou autre chose dont soit dit en passant elles avaient du se priver et l’obtenir au prix de sacrifices et de travail. Cependant les curés ne disaient pas « cette bouche est la mienne »! Ils se taisaient comme des putains de lâches, et ce n’est que pure vérité. Nous fils de fusillés attendons que l’on nous dise où ils ont mis nos êtres chers. Jusqu’à quand devrons-nous attendre ? La révolution à Alhama de Grenade 1 - Le soulèvement des militaires le 18 juillet 1936 et la résistance d’ Alhama, avec tout ce qui arriva concernant les coopératives, les milices fascistes, les bombardements, jusqu’à la prise d’Alhama par les troupes de Queipo de Llano les 22 et 23 janvier 1937. 2 - Deuxième étape, La Corria, ainsi que nous la nommions et que nous tous la connurent, avec toutes les péripéties, les souffrances, le froid, la neige, les chemins harassants, les nuits difficiles, la peur d’être interceptés par les fascistes, les bombardements, les bâtiments mitraillant la population civile depuis les côtes, les pluies redoublées qui tombaient sans cesser et les gens qui se noyaient dans les rivières en crue. Jusqu’à l’arrivée à notre destination, où les habitants nous accueillaient comme des réfugiés de la province de Grenade connue sous le nom de Baza car là résidait le gouvernement de la province. 3 - Troisième étape, le retour des vaincus dans leurs foyers (aïe..). La résistance et le maquis, les mauvais traitements par les phalangistes, la faim, les cantines de l’aide sociale, les bastonnades dans les geôles par la garde civile et les fachas (fascistes), le marché noir au dépens de la population civile, les nouveaux riches etc. Première étape Aux premiers jours de la révolution surgirent à Alhama des inconnus vêtus en miliciens et celui qui les commandait revêtait un uniforme de capitaine républicain. Ils emmenèrent par fourberie le dirigeant des jeunesses socialistes. Il était connu sous le sobriquet de el hijo del señorito (le fils – bâtard – du señorito) et il semble que son nom était Rafael Cacero Arenas. La rumeur qui courrait dans le village laissait entendre que ces individus suspects devaient le conduire à Malaga. Pourquoi passèrent ils la nuit à Zafarraya ? mystère ! Alhama se trouve à 70 km de Malaga et il apparaît qu’ils passèrent la nuit à Ventas de Zafarraya qui se trouve à 10 km d’Alhama, au matin ils assassinèrent le jeune homme dans son sommeil tandis que le chauffeur en entendant les rafales s’enfuit par la fenêtre. On ne sait qui était ce capitaine, ni comment cette guerre pouvait être gagnée si les forces républicaines regorgeaient de traîtres ! Comme tous ceux qui connurent l’intégralité de cette guerre, mal baptisée « civile », nous savons aussi que les bombardements des neuf pavas (bombardiers) républicains qui ont touché Alhama étaient en réalité destinés au front de Loja où se trouvaient les fascistes. La Révolution prit le pouvoir à Alhama en quelques heures car il n’y avait pas de troupe militaire dans la ville, seulement un poste de garde civile peu important et une population de 10.000 âmes dont 80% d’ouvriers. Les quelques fascistes qui ne purent ou ne voulurent pas fuir vers la zone Reverde furent incarcérés par le peuple et parmi eux quelques curés (soit dit en passant tout ce qui brille n’est pas d’or) l’un de ces curés connu sous le sobriquet de el curilla (le petit curé) portait sous sa soutane un pistolet en lieu de crucifix. Le jour où le peuple s’étouffa de colère à l’annonce du soulèvement déclenché par les rebelles, les travailleurs mirent en place le communisme libertaire autogestionnaire. Les ouvriers se partageaient entre la CNT apolitique et l’UGT politique qui servait de courroie de transmission du Parti Socialiste. Ils demeuraient cependant unis. Ils créèrent tout de suite un conseil paysan, présidé par mon père, et organisèrent la collectivisation des terres et d’un moulin. Ils formèrent également un bataillon de miliciens sous le nom de Bataillon Grenade. Son capitaine était le cousin germain de mon père et s’appelait comme lui Lucas Gutierrez Lopez les deux portant le surnom de Aperrutes venant de celui de nos aïeux. Mon père était donc connu sous le nom de « Lucas le chauffeur » dû au fait qu’il possédait un camion puis plus tard une voiture de punto (qui servait de taxi). Le Bataillon Grenade était composé de 950 hommes, tous d’Alhama et de quelques bourgades des environs comme Jatar, Fornes, Arenas del Rey, Cacin, Santa Cruz del Comercio etc. Nous, les enfants, voyions le bataillon faire l’exercice chaque matin sur le Paseo del Signe (au centre d’Alhama). Ils étaient vêtus de la même façon que les paysans, en pantalon de velours, car il n’avaient pas encore d’uniforme et encore moins d’armement. Pendant que les miliciens attendaient impatiemment cet armement pour défendre la République, les communistes se présentaient armés jusqu’aux dents pour détruire la coopérative collectivisée d’Alhama. C’est pour cela que lorsque les forces de Queipo de Llano prirent Alhama ils trouvèrent peu de résistance. Ces troupes se composaient de mercenaires (maures), de militaires, de miliciens phalangistes, de volontaires carlistes et d’autres. Franco avait « promis » aux maures que s’ils mouraient en Espagne, ils ressusciteraient en Afrique ! Certaines milices de la FAI et les jeunesses socialistes étaient trè mal armées. Je me souviens avoir été réveillé un matin très tôt par un convoi de miliciens en provenance de Malaga et se rendant à Grenade (la porte d’entrée de notre maison donnait sur la route de Grenade). Je ne me rappelle pas exactement de la date mais c’était en été et il faisait très beau, nous étions dans les derniers jours de juillet ou les premiers jours d’août 1936. Depuis quelques semaines, en effet, mes parents avaient déménagé dans une maison de riches bourgeois qui était à l’abandon car leurs propriétaires fascistes, n’en pouvant plus, s’étaient enfuis à Grenade qui était aux mains des forces « rebelles ». C’est dans cette maison de la rue Salmerones que le « conseil » d’Alhama avait implanté la coopérative car, d’une part elle était vide et d’autre part c’était, sinon la plus grande, du moins la mieux adaptée à cette fonction. Ainsi pour que mon père, qui avait été désigné pour la distribution des marchandises, soit le plus disponible possible, on lui avait conseillé de s’y installer ; car nous vivions dans le quartier de la Joya, assez éloigné du centre du bourg, dans la maison de notre grand mère maternelle (quant au grand père je n’ai pas eu l’occasion de la connaître car il était décédé depuis longtemps). Le quartier de la Joya avait été construit à la fin du 19ème siècle au temps du roi Bourbon, Alphonse XII. A cette époque en effet une grande partie du vieux village avait été détruite par des tremblements de terre. Il y eut des victimes et de nombreuses provinces espagnoles aidèrent à construire un nouveau village dans les terres basses du village d’Alhama connu sous le nom de « el Hoyo » et de là provient la dénomination du quartier de la Joya. *Maisons du quartier ouvrier de la Joya. Ce fut dans ce faubourg, dans la maison de ma grand-mère Encarnacion, la Juanula, que nous naquîmes mes deux frères et moi (de ce temps-là on ne parlait pas de maternités et encore moins de sages-femmes). Comme je l’ai dit plus haut, une file de camions chargés de miliciens passèrent devant chez nous. Nous apprîmes après leur passage qu’ils avaient quitté Malaga à l’aube et se préparaient à s’emparer de Grenade. Je les revois, joyeux, entonnant les chansons populaires de l’époque dont les paroles étaient les suivantes : C’est Malaga qui clame Le cri de l’humanité Nous lèverons nos armes Pour la révolution sociale Nous ne voulons pas la guerre Nous luttons pour la paix Tous ensemble chantons La révolution sociale Nous devons établir le communisme Le communisme est notre salut UHP, UHP* révolution * Union Hermanos (frères) Prolétaires Il est à noter que le communisme dont on parlait alors était le communisme libertaire. Le communisme autoritaire dont Franco tira tant de bénéfice vint après, il n’existait pas au début de la révolution et ce furent les « stalinistes » qui l’introduirent pour le plus grand malheur du peuple espagnol. Aujourd’hui, où nous rassemblons nos souvenirs, ici en France où nous résidons depuis tant d’années, ils ont par bonheur disparu. Espérons qu’en Espagne la jeunesse ne se laisse tromper par ces « Carillos » toujours vivants et frétillants. (Santiago Carillo est un leader communiste espagnol). Je me souviens aussi de ces miliciens, foulard rouge et noir noué autour du cou et casquette des mêmes couleurs. Je ne sais combien de chansons ils connaissaient, en tout cas il y en avait beaucoup. Les camions chargés de miliciens formaient une colonne, je ne peux affirmer qu’il s’agissait de la colonne de Maroto mais le fait est que cette colonne s’activait dans ce secteur de la province de Grenade. Le fait est que lorsque les derniers camions finirent de passer on entendit d’énormes vrombissements comme lors des orages qui génèrent des tonnerres excessifs. J’étais en train de jouer dans la rue avec mon frère Francisco moins âgé que moi et d’autres enfants et en entendant ces vrombissements une voisine nous fit rentrer dans sa maison, plus proche que la notre. Les bombes tombèrent entre les cortijillos (quartier de fermettes) et le pont des baignades (el puente des los baños) et on eut l’impression que le toit de la maison dans laquelle notre voisine Juana Jaspes nous avait mis à l’abri s’écroulait. Après la fin des bombardements les voitures chargées de blessés commencèrent à monter et les villageois furent fortement bouleversés car c’était la première fois que des bombes tombaient ici. Bien sûr il n’y avait pas d’hôpital à Alhama, simplement un dispensaire de sœurs (l’hôpital des la reina) où pouvaient se donner les premiers soins, les cas les plus graves devant être transférés à « Grana » (Grenade). Quelques blessés, dont un certain Bocaladea, connurent un destin tragique : au lieu d’être soignés à l’hôpital San Juan de Dios où ils avaient été emmenés, ils furent éliminés (Grenade étant aux mains des fascistes, les médecins qui pouvaient encore exercer étaient complices). On était au courant à Alhama de ces actes barbares et inhumains et de beaucoup d’autres faits perpétrés par les « fachos » dans les zones occupées, comme les viols de jeunes filles par les maures qui ensuite les tondaient et les égorgeaient car Franco leur avait donné carte blanche et ils étaient tant fanatisés qu’ils en arrivaient à croire que s’il leur arrivait de mourir en Espagne ils ressusciteraient au Maroc. Et de toutes ces barbaries les curés ne disaient absolument rien. Comment connaissait-on tout cela à Alhama ? Et bien par l’entremise des nombreuses personnes qui arrivaient chaque jour fuyant la « terre brûlée ». Alhama fut un lieu stratégique qui concentra une forte puissance et si Queipo de Llano fit tout ce qui était possible pour la prendre au plus tôt c’est que les fascistes s’inquiétaient de la sécurité incertaine de Grenade aussi longtemps qu’Alhama restait au pouvoir des Républicains. Alhama accueillit de nombreux Républicains échappés des griffes fascistes, quantité de population civile s’y réfugia dont des familles entières. Et le conseil paysan les installa là où il pouvait, chez nous mes parents reçurent une très jeune fille de Cijuela qui deviendra plus tard notre tante. Cela mérite un aparté, mais nous aurons l’occasion d’en reparler. Lorsque l’on sut que les forces de Queipo de Llano s’approchaient pour envahir Alhama il ne resta plus un chat dans les quartiers ouvriers. Le faubourg de la Joya se vida comme les rues Bajas, el Tejar, el Carril, la porte de Granada, les Cacillas, le Portillo, la Callecilla et bien d’autres. Les quelques caciques qui restaient à Alhama demeurèrent sur place, mais la majorité de la population s’enfuit dès qu’éclata le mouvement. Il faut quand même le dire, il resta aussi les personnes âgées et isolées comme ce fut le cas de mon grand père maternel qui, à cause de son âge avancé et la constitution de sa famille (trois gamines et un jeune homme) déclara « passe ce qui doit se passer ! » et il resta. Restèrent également ce type de personnes qui profitent de toute occasion pour prospérer (à contre courant ...). Nous pourrions les appeler les « Sanchos Panzas » ceux, peu nombreux, qui devinrent ensuite des « nouveaux riches » (car à tout mal succède un bien). Parmi ceux là était Lucas Perrute qui vivait à Santa Cruz del Comercio qui tenait une auberge dans un lieu-dit Los Claveles. Nous savions que cela n’allait pas trop bien pour lui, car il était de la famille de mon père (à Alhama tous les Perrutes étaient alors parents). A notre retour de la zone républicaine ce bon monsieur n’était plus à Los Claveles à Santa Cruz, il s’était installé rien moins qu’en plein centre du village sur la placette où il tenait une taverne. Comment s’était il débrouillé ? Ce qui est sûr c’est que le bonhomme resta avec les Nationaux (c’est à dire les fachos) et que cela marchait bien pour lui : il s’acheta rapidement un camion, puis une ferme et plus tard ses enfants se promenaient en voitures particulières et avaient des ouvriers pour exploiter leurs terres. Voilà pourquoi cette « maudite guerre » fut déclenchée, pour que certains tombent dans la misère pendant que d’autres s’enrichissent. Quand le premier bombardement se produisit au pont des baignades cela entraîna, comme c’est naturel lors de tels événements, une terrible panique particulièrement au sein de la population civile. Quand le bombardement survint la première chose que fit le responsable de la prison fut d’ouvrir les portes qui retenaient quelques caciques et un curé. En apprenant la nouvelle tous les villageois réagirent et partirent à leur recherche ; certains se cachèrent dans la rue Llana, chez des riches bien sûr, et d’autres partirent dans la campagne, dans les Encerraderos. Cela se passa comme à Fuenteovejuna , dans l’oeuvre de Lope de Vega (où c’est tout le village qui est responsable du meurtre du commandant). Tout le village était parti dans les champs à la recherche des prisonniers échappés. Il y eut quelques blessés et le curé fut tué. Pour ce qui est des paysans ils étaient désarmés, quelques uns avaient un vieux fusil à un coup et la majorité n’avait que des bâtons ou ce qui leur était tombé sous la main. Quelque temps après, à une date que je ne peux pas préciser, Alhama fut à nouveau bombardée et, chose curieuse, c’est cette fois l’aviation républicaine qui vint nous jeter quelques bombes. Je me souviens que ce fut en fin d’après-midi vers quatre ou cinq heures et il y eut neuf bombardiers. Mes parents avaient alors déménagé à la rue Salmerones, au centre du village, et j’étais en train de jouer sur la place du Carmen près de l’église éponyme avec mes cousins germains issus de ma tante Sanpedro qui demeuraient là, et au bruit des avions leur mère vint nous chercher et nous nous réfugiâmes dans une pièce souterraine dont cette maison dispose sous la roche jusqu’à la fin de l’alerte. Cette escadrille de neuf bombardiers était commandée par un traître. Son l’objectif était le front de Loja qui était tombé aux mains de Queipo de llano mais le chef ordonna de lancer les bombes sur Alhama. Ils bombardèrent en un lieu dénommé El Cerro Padre Cura assez éloigné du village, ce qui implique qu’il n’y eut aucune victime à déplorer. Les aviateurs durent comprendre la traîtrise, car ils lachèrent leurs bombes sur ces collines. Je continuais à vivre, avec mes parents bien sûr dans la rue Salmeneros dans la maison abandonné par son occupant qui avait fuit Grenade comme beaucoup. Ah qui nous aurait dit que nous allions payer aussi cher les idées libérales de mon père ? Car non seulement il le paya de sa vie, ce qui n’est pas rien, mais ses fils allaient être persécutés par ces caciques aux bras si longs qu’ils les poursuivirent et leur firent tant de mal jusqu’à Valence des années plus tard. Il est à noter que le déménagement ne nous profita pas, mon frère Paco et moi, car nous perdîmes nos amis de la Joya : les enfants du Borrucho, un autre comme moi se prénommant Juan, les enfants d’Orejillas, Jose dont le père était charbonnier, les autres enfants de Claudio, ceux de la Bonita, Juanito, tous ces gosses qui habitions le même quartier de la Joya dans les maisons d’en haut et d’en bas. Quant à notre nouveau domicile au centre du village où vivaient les plus fortunés, comme tous s’en étaient allés sauf ceux qui étaient en prison, il n’y avait pas trace d’enfants. Nous passions donc notre temps dans cette grande maison, dans les étages supérieurs car le bas était utilisé pour entreposer les marchandises, céréales de toutes sortes, huile d’olive, salaisons etc. et comme mon père servait de gardien jour et nuit on ne nous laissait pas sortir. La seule chose qui nous était autorisée était de nous mettre au balcon et d’observer ce qui se passait chaque matin. Sur la promenade nous voyions les hommes faire leur instruction militaire sans l’uniforme de milicien mais avec leur habit paysan et à cette époque ceux qui travaillaient au champ portaient le pantalon classique de toile. Nous regardions depuis le balcon tout ce qui se passait. A peu de distance se trouvait le château, une construction arabe, où s’était installé un bataillon de la FAI et grâce à ces miliciens, les membres du conseil, dont mon père, sauvèrent leur peau lorsqu’un groupe de communistes stalinistes tenta d’éliminer la collectivité. Cela se passa ainsi : un jour mettant à profit la réunion des 18 à 20 membres du conseil paysan à la mairie, une milice communiste venant de Malaga entoura l’hôtel de ville dans le projet de tous les éliminer. A l’heure du déjeuner habituellement vers les deux heures deux heures et demie, ma mère commença à s’inquiéter et mon père revint finalement à la maison au coucher du soleil quand tout fut terminé grâce à l’intervention des miliciens de la FAI qui contrecarrèrent le projet des stalino communistes de briser la coopérative durement mise en place par le peuple du village. Ces communistes commandés par un certain Montes qui se faisait passer pour un membre de la FAI tenta aussi d’utiliser la prison pour y incarcérer tous ceux qui allaient à l’encontre des ses plans. Preuve en est que parmi les rares embastillés se trouvait un jeune frère de mon père, le plus jeune. Car les ordres qu’ils tenaient de Malaga étaient de mettre en détention tous ceux qui s’opposaient à la destruction des collectivités aussi bien agricoles que minotières (car notre moulin était le plus productif depuis la modification de la machinerie par les ouvriers). Mon oncle Paco (Francisco) fut écroué car il refusa de leur donner des jambons de l’épicerie de ma grand-mère dont il s’occupait. Comme je l’ai dit c’était le plus jeune de la fratrie, il était célibataire et s’occupait de la boutique ne s’engageant aucunement et il se peut que ce soit la raison pour laquelle il ait sauvé sa peau car les deux aînés Pepe (Jose) et Lucas mon père furent fusillés. Donc des trois fils de ma grand-mère, les fachos en assassinèrent deux. Cependant nous continuions à loger dans la maison réquisitionnée et du haut des balcons nous observions les nombreux événements qui se déroulaient jour après jour. Par exemple il y avait à Alhama un canon de 15 et demi que nous voyions passer tous les jours dans la rue du Sirso dans la prolongation au dessous de la rue Salmerones tout à fait devant notre porte. Il faisait le trajet quotidiennement vers le milieu de la matinée. Cela nous amusait, nous les enfants, et nous étions toujours sur le balcon pour ce rendez-vous. Certains jours le canon n’était pas obturé et les gens disaient alors que c’était un mauvais signe car cela signifiait qu’il y avait quelque alerte et qu’il convenait d’être prêt. Pour les enfants ce déménagement ne nous plaisait pas trop, bien que la maison soit vaste nous n’avions pas de camarades de jeu, toujours enfermés dans la maison comme dans une prison alors qu’à la Joya nous allions dans la rue jouer avec d’autres gosses. Et pour moi le pire fut d’aller à l’école bien que j’étais déjà allé dans les petites classes de la Joya, ce qui veut dire que nous ne pûmes plus revoir nos copains de la Joya et ensuite quand nous dûmes fuir en débandade tout finit en eau de boudin. Laissez moi vous raconter l’histoire d’un curé issu du village dont le nom était Juan Castillo. Et cela nécessite une digression car comme je l’ai déjà expliqué quatre curés furent tués à Alhama : comme l’on dit « à contre-courant profit des pêcheurs ». Nous vîmes l’un d’eux passer devant notre porte de la Joya cheminant vers le cimetière. Il faut aussi savoir que l’un de ces curés connu sous le sobriquet du « curilla » portait sous la soutane au lieu du crucifix un pistolet 9mm long et, dans les années du Bieno Negro en 1933-34 quand les droitistes commandaient, il menaçait les gens à sa guise. Don Juan Castillo lui, prêtre natif d’Alhama était d’un famille qui avait réussi, ses parents avaient une position aisée et ils voulurent que leur fils devint curé car cependant ils étaient ce que l’on peut définir comme des bons chrétiens à l’ancienne. Il s’occupait de son église et rien de plus mais si quelqu’un le sollicitait pour un service Don Juan Castillo était présent. Pour preuve lorsque éclata la rébellion du 18 juillet 1936 il demeura comme n’importe quel citoyen. Ce furent alors les responsables syndicaux et autres qui lui conseillèrent de s’habiller en paysan avec le classique pantalon de drap, et qu’il se retire au domaine de Cañon propriété de sa famille et personne alors ne vint lui chercher noise. Mon oncle Manuel Espejo Lopez, Mamiso, cousin germain de mon père qui par hasard s’occupa de la coopérative du moulin à grain, me conta une anecdote. Cet oncle Manolo comme nous l’appelions s’occupait d’échanger les marchandises, dans ce cas la farine, avec la zone de Malaga. Entre parenthèses cet homme intelligent et cultivé vivait encore il y a quelques années dans la province de Lerida et je lui dois beaucoup de ce que je connais car j’ai eu l’occasion d’aller le voir depuis ici en Ariège. Mon oncle donc doit la vie au patron des moulins qui en outre était en ce temps-là chef de phalange. Celui-ci malgré tout se porta garant pour lui comme il me le raconta plusieurs fois et il eut vraiment chaud aux fesses. C’est que dans ces moments, la vie des Républicains ne tenait qu’au bon vouloir des fachos : ils pouvaient décider de t’envoyer au cimetière ni plus ni moins, si par contre ils te cautionnaient tu pouvais remercier Dieu et tu restais alors le débiteur esclave de cette personne. Ce fut le cas de mon père et l’un de ses amis Juan de Dios el Espatarrao, mais nous en parlerons en temps voulu. Revenons au prêtre Juan Castillo : il exerçait son sacerdoce dans l’église du Carmen située entre les falaises et le château. Le matin où l’on apprit la nouvelle du soulèvement des militaires (un ministre républicain déclara à ce propos « si les militaires se lèvent je vais me coucher ») Don Juan Castillo se prépara comme tous les jours à célébrer les offices religieux et, quand il arriva en bas de la rue Salmerones, un peu avant d’arriver à l’église du Carmen, un de mes oncles qui travaillait à l’expédition de farine lui demanda après l’avoir salué : « mais Don Juan vous n’êtes pas informé de la nouvelle de ce matin ? » Sur sa réponse négative mon oncle l’invita à prendre un coup de gnole dans une taverne proche dont le patron, Pana, appartenait à la CNT. Il l’avisèrent alors des événements et, comme je l’ai dit auparavant, il partit à sa maison dans la campagne et il n’arriva rien à cette personne qui bien que curé n’en était pas moins un homme très aimé des ouvriers. Alhama à la période républicaine (juillet 1936 à janvier 1937) Dans notre région les formes externes de la REVOLUTION SOCIALE coûtèrent fort cher autant pour ce qui concerne les essais d’organisation collective de la production que pour l’attaque de l’église jusqu’à l’instruction des bataillons de miliciens symboles d’un nouveau mode d’appréhension de l’armée. Il convient cependant de ne pas omettre la présence de volontaires anarchistes « malagueños » dans la zone et le contact permanent avec l’avant-garde ennemie poussèrent à l’extrême certaines conduites contre les personnes considérées comme hostiles à la république. Le comité révolutionnaire d’Alhama fut organisé entre autres par les frères Andres et Antonio Pelaez Navarrete, le dirigeant des Jeunesses Socialistes Rafael Cacero Arenas et celui des Jeunesses Libertaires Juan Ramos Trescastro. Parallèlement un conseil ouvrier paysan fonctionna sous la direction de Francisco Peña Palacios de la UGT-CNT qui mena à bien l’installation de travailleurs sur les terres de propriétaires de droite enfuis ou emprisonnés, ainsi que la saisie de récoltes avec l’assistance du comité de réquisition présidé par un autre UGT-CNT Lucas Gutierrez Lopez. De concert avec eux, le maire Juan Miguel Perez Larios, élu député provincial du PSOE (Partido Socialista Obrero Español) en 1936, s’acquitta de la tâche d’encadrement du Bataillon Grenade dont il fut nommé Commissaire. Le capitaine de ce Bataillon Grenade était Lucas Gutierrez Lopez, cousin germain de mon père, qui vivait dans une ferme plus bas dans la vallée près de Santa Cruz, et détail supplémentaire durant la guerre sur le front de Jaen il fut nommé Commandant. A Alhama la persécution de l’église et l’anticléricalisme iconoclaste fut incontestable. L’église paroissiale fut utilisée comme abri, l’église du Carmen comme siège de la Maison du Peuple et école laïque, le couvent de Saint Jacques quant à lui fut incendié et les ermitages de Remedios, Angustias et Virgen de la Peña servirent de maisons d’habitation. Dans la vaste zone du Sud et Sud-ouest de la province de Grenade qui comprend les districts de Loja, Alhama et Motril et qui demeura tout de suite en zone républicaine grâce à la pénétration des milices de Malaga et Almeria, Alhama se transforma dès la fin de 1936 en une base d’opération de milices malagueñas (FAI) et quartier général de miliciens socialistes Grenadins, en somme un foyer de rayonnement révolutionnaire qui concernera toute la région. L’armée Républicaine dans la région Après le repli des forces de Malaga, par suite du désastre de l’offensive sur Grenade, le dispositif défensif des Républicains était insuffisant et désordonné. Il comprenait deux compagnies, dont une de miliciens, équipées de deux mitrailleuses à Ventas de Zafarraya, deux cent miliciens à cheval (la cavalerie d’Agron), deux cent combattants de la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique), un bataillon de 950 hommes en période d’instruction et sans armement. L’année de la fuite Je me rappelle, malgré les années, de ce 22 janvier 1937, lorsque nous avons appris que les forces rebelles de Queipo de Llano étaient prêtes à nous tomber dessus. Ils arrivaient par deux côtés : la colonne du colonel Antonio Muñoz par Escuzar, Ventas de Huelma et Cacin, et celle du colonel Baturones par Loja et El Salar. Un vent de panique prit toute la population. Les gens n’avaient pas le temps de se retrourner et ils partirent avec le peu qu’ils avaient. La seule issue, était pour nous de rejoindre Almeria. Près de 80% de la population d’Alhama s’enfuit ce jour-là. Depuis le second bombardement sur le village, nous vivions avec ma mère chez ses parents dans la maison qu’ils avaient en fermage, la Peña, un peu à l’extérieur du village, près de la rivière dans l’espoir de mieux se protéger des bombardements. Nous sommes partis à treize personnes, huit adultes et cinq enfants dont j’étais l’aîné du haut de mes six ans et demi. Nous avons quitté la Peña vers trois heures de l’après-midi. Notre groupe comprenait : mes parents et leurs trois enfants, ma grand-mère paternelle, mon oncle et ma tante paternels, le mari de ma tante et leurs deux enfants, le cousin de mon père, Manolo, et une jeune femme, Lourdes, réfugiée de Cijuela près de Grenade, que mes parenst avaient recueillie. Quelques temps plus tard, Lourdes et Manolo se sont mariés à Baza où nous nous étions arrêtés. Nous avions un mulet qui portait le peu de choses que nous avions pu emporter dans la précipitation du départ, c’était une bonne bête. Il était arnaché pour transporter nos affaires, et portait également les plus petits du groupe. Ainsi, toute la famille est partie de la Peña vers l’amont de la rivière par le chemin de los Angeles, la Presa, Huerta primera, Palo de la Hoz, Ventorrillo Bernardo, la Huerta del Angel, toujours en en montant en direction des vignes, Lagar del Espejo, Lagar de Pedro Jenizaro, chemin del Robledal, jusqu’à la Sierra Tejeda. Ce chemin est celui que notre famille a emprunté, je m’en souviens encore, mais c’est aussi celui que la plupart des habitants d’Alhama a suivi. Le temps était déjà gris quand nous sommes partis de la Peña et il a commencé à pleuvoir alors que nous montions le long de la rivière et plus nous montions, plus il pleuvait. La pluie ne s’est pas arrêtée de tomber avant que nous arrivions à l’auberge Palma, juste au pied de la Sierra Tejeda. Nos parents voulaient passer la nuit à l’auberge car ils connaissaient la patronne. C’était Eduarda Friaz, qui avait sympathisé avec ma grand-mère du temps qu’elle tenait un bureau de tabac sur la place Duque de Manda et que ma grand-mère tenait une épicerie. Eduarda Friaz était du côté des fascistes, mais du temps de leur amitié, ma grand-mère était allé jusqu’à lui confier où elle cachait l’argent de son commerce. Or quand nous sommes revenus chez nous, deux ans plus tard, l’épicerie que louait ma grand mère avait été entièrement vidée, y compris l’argent caché ! Mais les choses ne se sont pas présentées comme nous l’avions pensé. Quand nous sommes arrivés, il y avait déjà beaucoup de monde et les gens continuaient d’arriver. Les mauvaises nouvelles arrivaient avec eux : les fascistes étaient près de la Torre de la Gañina, d’autres sur le plateau du Baño... De ce fait, les plus expérimentés, les plus instruits (dans ces moments aussi on en trouve) conseillaient de continuer notre chemin. Il était fort possible que si nous restions pour la nuit, les forces de Queipo de Llano nous cueillent tous au matin comme des lapins. Notre groupe décida alors de prendre le chemin du canyon las Piletas. Le chemin du canyon était un sentier muletier qui permettait de transporter les marchandises à dos de mule ou de cheval entre la côte et notre région. À l’époque, en 1937, ce chemin était très accidenté. Au fur et à mesure que nous prenions de l’altitude, l’eau qui nous tombait continuellement dessus se transformait en neige. Nous, les enfants, ne nous sommes quasiment pas rendus compte de ce qui ce passait. Portés par la mule, nous avons passé la plus grande partie de la nuit à dormir. Les mules, les ânes ou les chevaux sont traditionnellements harnachés avec une toile tressée qui offre une grande poche sur chaque flanc de la bête. On serre par le milieu avec une ceinture, ce qui ménage quatre poches dans lesquelles on transporte par exemple des jarres. Mes cousins et moi étions calés dans ces poches et nous y avons passé la nuit. Les adultes ont marché toute la nuit, y compris ma grandmère paternelle et ma mère qui portait ma petite soeur Encarna qu’elle nourrissait toujours au sein. Elle est sans doute passée de bras en bras pour décharger un peu ma mère. Ce n’est qu’à l’aube que notre groupe passa enfin le col, à quelques 2000m d’altitude. Parmi tous ceux qui passèrent par le canyon la Piletas, il y eut de nombreux morts. Ainsi la femme de Rafael Bonilla qui s’écarta un peu du chemin et couvrit ses trois enfants sous son châle noir pour les protéger du froid et de la neige. On les retrouva le lendemain matin, morts de froid, tous les quatre. Rafael Bonilla était probablement resté pour combattre avec les miliciens, laissant sa famille fuir seule devant ces barbares de légionaires, maures, phalangistes... Ce Rafael, s’est marié quelques années plus tard avec la veuve de mon oncle Pepe, José Gutierrez qui, comme je le raconte par ailleurs fut roué de coups de bâton par les phalangistes d’Alhama. Ils le laissèrent, mort dans la rue du saint du Portal, au pied de la niche du Saint. Canillas de Aceituno Quand nous avons commencé à redescendre après le col, le jour était levé et on pouvait distinguer quelques petits villages blancs. Le premier que nous avons traversé était Canillas de Aceituno. Au fur et à mesure que nous redescendions, la neige cessait de tomber, mais pas la pluie malheureusement. Ainsi, à Canilla ma famille chercha une auberge où s’abriter. C’est là que, par un heureux hasard, mon père rencontra un ami à lui qui avait fait avec lui son service militaire en Afrique en 1921. Cet homme nous emmena chez lui. Cette maison où il nous accueillit (près de quinze personnes !) se trouvait sur une place au milieu de laquelle se dressait une fontaine. Je ne me rappelle plus de la forme de cette fontaine, mais je me souviens qu’elle coulait à grands flots. Mes souvenirs de Canilla sont assez flous, le village me semblait petit comparé à Alhama.Nous y sommes restés une dizaine de jours car les pluies diluviennes ne se décidaient pas à s’arrêter. Notre objectif était de rallier au plus vite Almeria, que nous pensions être le lieu le plus sûr à ce moment là. De Malaga, les nouvelles étaient inquiétantes et effectivement, le 12 février, toute la population quitta la ville en débandade, comme nous l’avions fait le 22 janvier d’Alhama.3 Comme nous étions petits et qu’il pleuvait continuellement, nous ne pouvions quasiment pas sortir de la maison où nous étions réfugiés à Canilla de Aceituno. Nous nous divertissions à observer une jeune fille qui devait avoir 13 ou 14 ans et qui passait plusieurs fois par jour devant la maison, pieds nus, un petit châle sur les épaules, marmonnant des phrases incompréhensibles. Cette pauvre fille était simple d’esprit et souffrait aussi de handicap physique et nous, gamins inconscients, nous amusions à la voir passer sous la pluie. La famille qui nous recueillit à Canille de Aceituno fut très généreuse avec nous et partagea le peu qu’elle avait. C’est dans ces moments que l’on peut mesurer la véritable humanité chez certains hommes. Quand notre groupe se décida à continuer son chemin, nous laissâmes la mule de mon oncle Pepe. Nous faisions d’une pierre deux coups : notre mule nous gênait pour la suite du voyage, là, elle serait bien soignée et nous remerciions ainsi un peu cette famille pour son hospitalité. Mais quelques années plus tard, mon oncle sut que les fascistes, qui avaient appris que sa mule était à Canilla, étaient allés la récupérer ! Je précise que je n’ai appris cela que de nombreuses années plus tard. 3 En realidad el episodio tuvo lugar el día 8 de febrero de 1937. Lo que se conoce como la masacre de la carretera MálagaAlmería hace mención a la catatrofe que tuvo lugar tras la entrada en Málaga de las tropas franquistas. La multitud de refugiados que, huyendo de Málaga, abarrotaban la carretera en marcha hacia Almería, fue atacada por mar y aire en la zona bajo control del Ejército Popular Republicano, causando la muerte a varios miles de ellos. Almería Un jour enfin le soleil refit son apparition après le déluge qui avait frappé toute la région. Mon père, qui n’était pas rentré de la nuit arriva au matin avec un taxi et nous nous sommes vite préparés à partir, direction Velez-Málaga et la côte. L’auto nous a emmenés à Nerja où nous avons attendu jusqu’à cinq heures de l’après midi l’autobus « la Alsina » (bus qui faisait la ligne Málaga-Almeria). Pendant que nous attendions à Nerja, des avions de chasse sont passés plusieurs fois pour bombarder le port où se trouvait un bateau à moitié coulé. Nous avons eu très peur. La Alsina est arrivée vers cinq heures et nous y sommes tous montés pour rejoindre Almeria. L’autobus roulait très lentement car il était rempli à raz bord et que les routes étaient mauvaises à l’époque. Nous avons traversé plusieurs villages avant d’arriver à Motril. Là les fascistes avaient fait sauter le pont sur la rivière et les républicains venaient de terminer un pont de fortune fait de troncs de peupliers et de terre. Le bus est passé au pas jusqu’à l’autre rive puis a continué son chemin à travers de nombreux villages jusqu’à Almeria. Nous y sommes arrivés à la nuit tombante et avons cherché une auberge. Je me souviens qu’on nous a servi un potage de pois chiches avec de la morue et moi, qui était habitué à manger les pois chiches avec du lard ou du boudin aux oignons, j’ai trouvé le moyen de faire la grimace à un dîner. Mes souvenirs d’Almeria sont merveilleux. Après le froid dont nous avions souffert pendant notre fuite et même à Canilla je profitai du soleil d’Almeria. Je me rappelle aussi de la place où m’enmenaient ma mère et Lourdes. Lourdes était une jeune femme qui avait fui son village (Cijuela) avec sa famille et qui avait été recueillie par mes parents. Quand elles allaient faire les courses, j’accompagnait ma mère et Lourdes. C’était une place couverte où l’on trouvait de tout : des fruits de saison, des légumes, du raisin, des patates douces, des citrouilles, des choux-fleurs... Nous étions parmi les premiers à arriver à Almeria (le miroir de la mer, comme l’avaient appelée les Arabes), mais quelques semaines plus tard un grand nombre de réfugiés s’entassa dans la ville après la prise de Malaga et quelques mois plus tard on ne trouvait presque plus rien au marché. Mes parents ont décidé de continuer leur chemin et un matin, nous avons pris le train vers Murcia. Le train s’est arrêté à Guadix un assez long moment puis est reparti jusqu’à Baza où nous sommes descendus. Entre notre départ d’Alhama et notre arrivée à Baza il a du se passer près d’un mois et demi. Un mois et demi pendant lesquels nous avons subi le froid, la pluie, la neige et tant de déplacements ! Quand nous sommes arrivés à Baza, il y faisait encore plus froid qu’à Alhama et j’ai attrapé une pneumonie. La rareté des soins et des médicaments a fait que j’en ai gardé des séquelles qui m’ont handicapé toute ma vie. J’en ai souffert autant pour le travail que dans mes relations sociales en particulier dans les milieux où les gens compensent le manque d’instruction et de culture en général avec la force physique, virile. Baza Quand nous sommes arrivés à Baza, les habitants étaient en train de faire de abri pour se protéger des bombes tirées des avions. Au centre de la ville il y avait une butte où les arabes avaient construit une citadelle, la Alcabaza et un peu plus bas, la place centrale de la mairie, de la prison et de l’église. De cette place, la plaza mayor, partait un tunnel qui aboutissait au quartier la Cabarta entre la place Saint Jean et la gare. Beaucoup d’hommes travaillaient au tunnel les habitants de la ville comme les réfugiés, y compris mon père. Dès que la sirène retentissait, tout le monde se précipitait à l’abri. Cela arrivait souvent très tôt le matin alors que nous étions encore couchés. Ma mère nous réveillait terrifiée et nous sortions en courant et ce n’est qu’une fois à l’abri que nous finissions de nous habiller. Mon père n’était pas souvent avec nous mais je me souviens l’avoir vu rester au lit tranquillement pendant les alertes tandis que ma mère nous emmenait aux abris. Baza est un chef-lieu de la province de Grenade4 et elle abritait le gouvernement civil pendant toute la guerre puisque Grenade était aux mains des fascistes dès le début de leur coup d’état. La plaine de Baza était très riche, irriguée avec les eaux abondantes des rivières qui descendaient de la Sierra Nevada. On trouvait de beaux poivrons, des melons, des tomates... Sur les terres pauvres non irriguées, on trouvait beaucoup d’oliviers et d’amandiers. Mes parents m’avaient laissé pour l’été avec une famille de réfugiés de 4 Hace referencia al partido judicial. En España, un partido judicial es una unidad territorial para la administración de justicia, integrada por uno o varios municipios limítrofes y pertenecientes a una misma provincia. De entre los municipios que componen los partidos judiciales, uno de ellos, normalmente el más grande o en el que mayor número de asuntos litigiosos se producen, se denomina cabeza de partido judicial. En dicha cabeza se encuentra la sede de uno o varios juzgados de primera instancia e instrucción. Santa Fe dans une grande ferme appelée ferme d’Olivares. Les syndicats de Baza l’avaient collectivisée et beaucoup d’ouvriers y travaillaient. Dans cette partie de la région de Granada, comme Guadix, Baza, Cullar Baza, Benamaurel, Huescar les collectivités, quand il y en a eu ont duré les 33 mois de la guerre, pas comme dans notre village, Alhama, qui a été près dès le 22 janvier 1937. Il y avait une boulangerie collective pour tous les travailleurs qui vivaient là. Il est probable qu’auparavant ils travaillaient pour un cacique, mais désormais, les terres étaient collectives. Je me demande toujours pourquoi cette ferme s’appelait Olivares car le peu de fois où j’y suis allé, je n’ai jamais vu le moindre olivier. Olivares était peut-être le nom du propriétaire. Pour se rendre à cette ferme il faut prendre la route nationale qui va de Baza à Guadix et à 15 kilomètres de Baza, tourner à droite sur une toute petite route qui descend. Après une paire de lieues5 (11 kilomètres) le chemin devient encore plus petit et mauvais et continue de descendre dans un paysage ocre où l’on ne rencontre guère que quelques chênes verts dans les ravins. Puis tout au fond d’un de ces 5 La legua es una antigua unidad de longitud que expresa la distancia que una persona, a pie, o en cabalgadura, pueden andar durante una hora; es decir, es una medida itineraria (del latín, iter: camino, periodo de marcha). Dado que una persona recorre normalmente a pie una gama de distancias, la legua se mantiene en esa gama, pero según el tipo de terreno predominante en cada país o según la conveniencia estatal, la palabra legua abarca distancias que van de los 4 a los 7 km, siendo las más frecuentes las leguas que se encuentran en la media de tales extremos. ravins, la ferme. Les terres cultivées que j’ai eu l’occasion de voir là-bas étaient plates et de bonne qualité. J’allais avec Pepico, un petit frère de Lourdes, surveiller un champ de melons Je pense qu’il y a bien quelqu’un de la région de Baza qui se sera intéressé à décrire les événements particuliers de la région de Baza, je ne peux que raconter ce dont je me souviens en tant qu’enfant. J’ai malheureusement été témoin que de nombreux enfants sont restés orphelins, comme moi, et certains de père et mère. Je pense que les nouvelles générations pourront peut-être obtenir des informations sur ce qui s’est passé, maintenant qu’il existe des nouvelles technologies comme l’informatique. Ils sauront tout ce dont ont été capable ces déséquilibrés et en particulier l’Eglise catholique qui a joué ses deux cartes : celle pour gagner et celle pour ne pas perdre ! J’ai eu la chance de voir pas mal de choses grâce notamment à mon père, qui comme Juan el Moruno, Renre et d’autres dont je ne me rappelle plus le nom maintenant, était chauffeur. A cette époque il était rare de trouver des gens sachant conduire et dès leur arrivée à Baza, les chauffeurs commencèrent à travailler. S’il y avait peu de véhicules, il y avait encore moins de chauffeurs. Je me souviens d’avoir visité la sucrerie de Caniles avec mon père (comme j’étais l’aîné, c’est moi que mon père emmenait quand c’était possible) et aussi des ateliers où les femmes cassaient les amandes. Dans la région de Baza, on trouve beaucoup d’amandiers car ils poussent bien sur les terres même pauvres). Nous avons passé la plus grande partie de la guerre à Baza, et mon père y a été détenu dès la fin de la guerer. Il n’y avait pas de bombardements et nous, les enfants, passions notre temps entre l’école, les jeux dans la rue et le plus souvent possible, le cinéma. Nous voyions souvent Laurel et Hardy ou des dessins animés qui nous faisaient beaucoup rire. Je me souviens aussi avoir vu plusieurs films russes : Les Marins de Kronstadt et Le courrier du tsar, avec Michel Strogoff. Il y avait deux cinémas à Baza : l’Ideal, dans la rue Lagua et le Degrán, à la sortie de la ville, vers Cullar Baza. Quand nous sommes arrivés à Baza, notre famille a été prise en main par les comités et organismes de la ville qui s’occupaient de loger les réfugiés arrivant des villages occupés par les fascistes. Nous avons été installés dans une maison, place San Juan, dont le propriétaire s’était enfui avec les franquistes. Dans la maison, nous étions six familles de réfugiés en plus d’une famille de Baza. C’était la famille d’un cordonnier, assez âgé qui vivait avec sa femme et ses deux filles (une de 14 ans et une plus jeune, peut-être 8 ans). Ils occupaient deux pièces au rezde-chaussée dont une servait d’atelier. En face, dans une pièce assez grande, d’un seul tenant, vivait une famille de Motril. Le père de famille était menuisier, il avait deux grands fils et une fille déjà mariée, Dolorès. Son mari était dans la marine et la nouvelle de sa mort lui arriva alors que nous étions encore à Baza. Au premier étage, à gauche, il y avait une grande salle, de près de 30 mètres carrés qui avait un balcon donnant sur la cour intérieure et au fond de cette salle, sur les côtés, on trouvait deux pièces de 12 mètre carrés environs. Mes parents s’étaient installés pour dormir dans la pièce de droite et dans celle de gauche, c’était ma tante Angustias avec son mari et ses deux fils. Tous les autres adultes dormaient dans la grande pièce, tirant chacun un matelas au moment de se coucher. Pour manger, les enfants s’asseyaient par terre et les adultes mangeaient debout, autour de la table. Nous n’avions pas de chaise ! Les adultes mangeaient tous dans un grand plat, mais nous, les enfants nous mangions à part, chacun dans un petit bol ou un autre récipient. En Andalousie, c’est comme ça que s’organisaient les repas, même en temps de paix, tout le monde mangeait dans le même plat, mais chacun avec sa cuillère. Quand on partait travailler dans une ferme il fallait emporter deux choses : sa couverture et sa cuillère. Sur le même palier que nous, en face, vivait un couple de Guadix sans enfant qui était engagé dans les comités d’aide aux réfugiés. A l’étage du dessus trois familles d’Alhama étaient installées : les Bonilla, les Rosquillero et les Jopo, qui avaient fui la ville quand elle était tombée aux mains des fascistes. Comme ma famille faisait partie des premiers arrivants à Baza, nous allions souvent à la gare dans l’espoir de voir arriver des proches. Dans la précipitation du départ, beaucoup de familles ont été séparées. Un jour, mon oncle Cantano est arrivé avec ma tante Carmen et leurs fils Manolo, qui marchait à peine. Ils venaient d’un autre village, Cuevas de Almanzora dans la province d’Almeria, qu’ils avaient du quitter car les lignes de feu étaient trop proches. Là bas, ils avaient perdu leur premier fils. Notre famille s’était donc agrandie de 3 personnes, mais bientôt, les hommes sont partis pour la guerre. Mon oncle Manolo est parti le premier, puis mon oncle Paco. Ma grand-mère Encarnacion s’en est allée avec ma tante Angustias à Huescar, un village proche, mais de là, ma tante est partie à Alicante et ma grand-mère est revenue à Baza. Il ne restait donc plus à Baza, dans la maison de la place San Juan, que mes parents ma grand-mère paternelle et Lourdes, même après qu’elle se soit mariée avec mon oncle puisque celui-ci était au front de Jaen. Lourdes et Manolo s’étaient mariés à la mairie de Baza lors d’une permission de celui-ci. Leurs témoins étaient mon père et un de ses neveux qui était commandant du bataillon Granada (bataillon qui, soit dit en passant, avait été créé et organisé à Alhama avec tous les jeunes du chef-lieu). Ils s’étaient mariés dans la zone républicaine, à la mairie, bien entendu. A cette époque, les couples pouvaient choisir de se marier pour une période donnée, puisque la guerre battait son plein, le destin de chacun était plus qu’incertain. Alicante Un jour, mon père a décidé de ramener ma grand-mère chez sa fille à Alicante. Comme il était chauffeur, il a profité d’un voyage où il n’avait qu’un passager et nous a emmenés aussi, ma mère et les enfants. Il devait accompagner un homme que nous ne connaissions pas mais qui avait un rôle important dans le gouvernement civil, jusqu’à la côte, à Alicante. Le voyage s’est passé tranquillement. Nous sommes partis de Baza très tôt un matin par la route de Caniles, nous avons traversé des petits villages comme Seron, Tijola, Olula, Lucar, Albox, vers Murcia en passant par Lorca et Alcantarilla vers Alicante. A Lorca, nous avons eu un accrochage avec une voiture militaire. Elle nous a percuté par le côté à un croisement, mais sans grand dommage. Je me souviens que mon père, qui avait la colère facile, était descendu de la voiture et que ma grand-mère et notre passager ont du l’arrêter. Les militaires n’ont pas réagi et chacun a pu continuer son chemin. Une nuit aussi, un camion en nous croisant nous a embouti l’aile arrière. Mon père s’est arrêté mais pas le camion. Comme il y avait plus de peur que de mal, nous avons continué notre chemin. Quand nous sommes arrivés à Alicante, il était très tard, tout le monde était couché. Ma tante Angustias s’est levée et nous a fait manger des tomates frites et du boudin ou du chorizo. Elle vivait dans une petite ferme, au premier étage, au-dessus des animaux. On y montait par un escalier extérieur en bois assez raide. Nous étions dans un vrai paradis, une maison à la campagne au milieu des palmeraies du pourtour d’Alicante. Nous n’étions pas très loin de la ville car de la maison, nous pouvions en voir les bâtiments les plus hauts et le port. C’était un endroit merveilleux, en pleine nature où nous pouvions écouter le chant des oiseaux, le silence des arbres et les chants des cigales et des grillons. Toutes ces merveilles étaient toutefois perturbées quotidiennement par les maudits avions de guerre qui arrivaient à l’aube et commençaient à lâcher leurs bombes sans arrêt ; quand un était passé, un autre arrivait. Leur objectif était le port et les navires de guerre qui y étaient arrimés. Nous étions assez proches de la côte pour avoir l’impression que les bombes nous tombaient dessus. Fort heureusement, aucune n’est tombée chez nous du temps où nous étions là, mais la peur, elle, ne nous lâchait pas.6 Un frère de ma grand mère, Manuel Lopez, vivait à Alicante. Il a perdu un fils au front au côté des républicains. A la fin du conflit qui a vu malheureusement triompher Franco, mon grand-oncle a été incarcéré dans de nombreuses prisons, même dans la pire d’entre elles, celle de Burgos. Pendant tout le temps que nous avons passé à la grange au milieu des palmeraies, nous, les enfants, n’avions pas le droit de trop nous éloigner. Mais comme nous étions en pleine nature, nous passions nos journées à jouer dehors avec mes deux cousins Juani et Pepe et trois petites filles qui avaient approximativement notre âge. Elles étaient de la région et leur castillan était bien meilleur que le notre. Ce n’est pas tellement que nous prononcions mal le castillan, mais nous parlions un très pur andalou. Nous 6 La población de Alicante sufrió especialmente los bombardeos del ejército franquista durante la guerra. El día 25 de mayo de 1938, alrededor de las 11’15 horas, entre 7 y 9 aviones del bando nacional, tripulados por fascistas italianos y procedentes de Mallorca (España), lanzaron sobre la población de Alicante alrededor de 90 bombas, algunas de las cuales dieron en el Mercado Central, repleto de gente. El bombardeo del Mercado Central, el 25 de mayo de1938, fue uno de los ataques aéreos más sangrientos e indiscriminados ocurridos durante la guerra. Con un balance de víctimas mortales inexacto, se cifra dicha cantidad en más de 300 muertos. Estudios realizados barajan los 275 (aprox.) que figuran en el registro del Cementerio Municipal (100 hombres, 56 mujeres, más de 10 niños y más de 100 personas no identificadas), un número indeterminado de enterrados en localidades próximas de la provincia de Alicante y más de 1000 heridos. étions donc sept enfants à jouer ensemble, deux grands (une fille et moi) et les cinq autres tous plus petits. J’ai gardé de bons souvenirs de ces trois petites filles qui, comme nous et des milliers d’autres subissaient cette maudite guerre engendrée à la fois par le capitalisme, l’Église et l’armée. Mais la terreur que nous inspiraient les avions et leurs bombes nous a laissé des séquelles bien après notre départ d’Alicante. Nous sommes d’ailleurs partis assez précipitamment. Nous étions venus voir la famille et un jour enfin, les parents nous ont dit que nous repartirions le lendemain pour Baza. Nous sommes partis assez tard d’Alicante. Mes parents voulaient passer en ville prendre congé des membres de notre famille et après avoir couru toute la journée de l’un à l’autre, nous avons finalement quitté la ville le soir venu. Comble de malchance, une fois en rase campagne, la voiture que nous avions pris est tombée en panne. Mon père est alors parti à pied pour chercher un téléphone. Quelques temps après, une autre voiture nous a tous ramenés à Baza. C’était, comme la première, une voiture qui appartenait aux autorités républicaines. Au milieu des mauvais souvenirs d’Alicante, je vous livre ici quelques vers que mes souvenirs m’ont inspiré. Canto Alicante sacado de nuestro trigal: Bella ciudad de Alicante Vella ciudad de Alicante Te recordalos con Peña y ese rincón de Levante los tristes años de la guerra. No tuvimos primavera ya no canta el ruiseñor. Tampoco trigo en las eras la abeja no encuentra flor. Otros pajaros venian la maldita aviación antes que apuntara el dia matando a la población. Alicante y su región el puerto y sus palmeras un magnifico rincón de playas con finas arenas. Fue una triste primavera por aquello del azar vivimos en sus palmeras en granja cerca del mar. Juan Gurierrez Arenas Retour à Baza et fin de la guerre Je me rappelle très bien, 70 ans après, de notre dernier séjour à Baza. À ce moment là, la radio des vainqueurs nous matraquait de « Nous vous offrons une paix honnête... », « Tous ceux qui n’ont pas de sang sur les mains ne seront pas poursuivis... » Je ne pourrais jamais oublier tous ces beaux discours. Ma grand-mère paternelle, dès qu’elle a compris que les choses tournaient mal pour les républicains, a pris en mains ses six petits enfants (les trois fils de ma tante Angustias, mon frère, ma sœur et moi). Elle nous a donné rapidement une éducation religieuse minimum (l’Ave Maria, le Notre Père...) pour pouvoir donner le change. Il faut dire que pendant toute la guerre, dans la zone républicaine, les messes n’étaient pas célébrées. Et cela ne nous a pas manqué ! Je me souviens aussi des voyages de mon père. Les chauffeurs n’étaient pas nombreux, et ainsi il avait toujours du travail et des voyages à entreprendre. Ma grand-mère lui disait : « Ecoute, Lucas, si tu vas à Barcelone, ne reviens pas par ici. Il n’y a plus grand chose à espérer. » Effectivement, quand mon père a voulu envisager le départ, la démarcation entre les deux zones était faite à Tortosa et il a renoncé. Nous étions faits comme des rats ! Il ne restait aux républicains - en dehors de la Catalogne - que Madrid, Valence, Murcia, Jaen et Alicante dont je vous ai déjà raconté mes mauvais souvenirs. El corte por Tortosa7. 7 En realidad el corte de la zona republicana y por lo tanto de la posibilidad de alcanzar por tierra la frontera francesa desde el sur de la Peninsula se produjo en Vinaroz, Castellón, el día 15 de abril de 1938. Las tropas franquistas entraron en esa localidad de la costa del Mediterráneo, cortando definitivamente en dos la zona republicana, la cual seguiría así hasta el fin de la guerra. El día 19 los nacionales ya habían ocupado 32 km de la costa mediterránea casi sin hallar resistencia. La serie de victorias que comenzaron con la Batalla de Teruel inspiró gran confianza en los nacionales, quienes tras la llegada al Mediterráneo pensaron que la guerra casi estaba ganada. Quedaba todavía un año más de guerra.16 Quand les fascistes sont entrés à Baza, je me rappelle qu’ils ont organisé un messe dans le parc près de la gare. Ce jour-là, ils ont baptisé un petite fille qu’ils ont appelée Maria de la Paz... La paix ? La paix des cimetières ! Dès qu’elles ont pris le pouvoir, les forces réactionnaires de Franco ont commencé leur «moisson». À Baza même, beaucoup de gens ont été fusillés et de nombreux enfants sont restés orphelins et ont été confiés au service Auxilio Social8. Nous ne savions pas ce qu’ils allaient devenir. Nous qui avons vécu place San Juan tout le temps que nous étions réfugiés à Baza, nous connaissions beaucoup d’enfants du quartier de la Cabarta, de la rue de Zapateria et alentours, plus tard, nous avons appris que beaucoup d’entre eux 8 En realidad el corte de la zona republicana y por lo tanto de la posibilidad de alcanzar por tierra la frontera francesa desde el sur de la Peninsula se produjo en Vinaroz, Castellón, el día 15 de abril de 1938. Las tropas franquistas entraron en esa localidad de la costa del Mediterráneo, cortando definitivamente en dos la zona republicana, la cual seguiría así hasta el fin de la guerra. El día 19 los nacionales ya habían ocupado 32 km de la costa mediterránea casi sin hallar resistencia. La serie de victorias que comenzaron con la Batalla de Teruel inspiró gran confianza en los nacionales, quienes tras la llegada al Mediterráneo pensaron que la guerra casi estaba ganada. Quedaba todavía un año más de guerra.16 Auxilio Social fue una organización de socorro humanitario constituida durante la guerra civil y posteriormente englobada dentro de la Sección Femenina de la Falange Española. La organización, que inicialmente responde al nombre de Auxilio de Invierno, surge siguiendo el modelo de otras organizaciones similares de la Alemania Nazi. Al final de la guerra cubría una red asistencial de guarderías, hogares infantiles para niños huérfanos, hogares residencia y de aprendizaje para adolescentes que cursaban el aprendizaje de un oficio o realizaban estudios de bachillerato. La vida cotidiana de los niños y adolescentes estaba rígidamente reglamentada en torno a unas pautas disciplinares centradas étaient restés orphelins. J’ai retrouvé en France un couple à qui les fascistes avaient fusillé un fils en pleine fleur de l’âge, et gardé l’autre en prison pendant des années. Voilà la paix qu’ils nous annonçaient à la radio franquiste. Et les fascistes, on les trouvait à tous les coins de rue ! À Baza on a fusillé énormément de gens simplement parce que la ville était restée républicaine pendant toute la guerre. Mais pendant tout ce temps, la ville avait aussi abrité des fascistes qui se camouflaient, la « cinquième colonne ». Quand ils se sont révélés, ils étaient comme des chiens enragés. À l’entrée de la rue Zapateria, près de l’église, une femme tenait une boutique. Elle devait avoir dans les 35 ans. Je ne savait rien d’elle, si elle était mariée ou non, mais on ne voyait jamais d’homme à la boutique. Dès le premier jour où les fascistes ont repris Baza, elle saluait chacun de ses clients d’un grand « Vive l’Espagne ! » Inoubliable ! Souvenirs de la prison de Grenade Je me suis toujours demandé pourquoi les fascistes avaient provoqué cette guerre. Pour faire de l’Espagne un champ de ruines ? Pour affamer la moitié de la population ? Est-ce qu’ils espéraient nous envoyer tous manger les pissenlits par la racine ? Il reste peu de témoins de cette époque, et il en meurt chaque jour. Pour les quelques uns qui restent encore en vie, j’aimerais que ceux qui se font appeler « démocrates » nous répondent : OÙ SONT ENTERRÉS NOS PARENTS ? Je me souviens de la dernière fois que j’ai vu mon père à la prison de Grenade. J’avais entre 8 et 9 ans, ma mère m’avait emmené. Nous étions tous derrière une grille, et les prisonniers étaient derrière une autre. Entre les deux, un espace vide où passaient les gardiens. Tout le monde criait pour s’entendre. Mon père était arrivé tard, bien après les autres prisonniers. Il ne m’avait pas vu, d’abord. Et moi, je découvrais avec horreur ce qu’ils avaient fait de lui. Il était devenu fou, transformé par la rage, il interpellait ma mère avec violence, lui reprochant d’être venue. Elle m’a alors suggéré de dire à mon père que c’est moi qui avait voulu venir. Mon père m’a alors regardé un moment et il a simplement dit : «Ah, c’est mon Juan !». Puis il nous a tourné le dos et est reparti par le couloir où il était venu, sans attendre la fin du temps de visite. Ma mère ne m’a pas dit un mot, elle m’a pris la main et nous sommes partis. Il s’est passé quelques semaines et un jour, j’ai trouvé ma mère au lavoir avec ma tante, elle était habillée tout en noir. Il n’y avait plus rien à dire. Ils ont rendu mon père fou en le torturant avant de le fusiller. Ils lui ont asséné 7 condamnations à mort. Tout ça parce qu’il était de gauche, parce qu’il a été responsable du conseil ouvrier et paysan des collectivités d’Alhama. Ils ne pouvaient pas lui pardonner, les caciques - parasites et criminels ! Mais moi non plus, je ne leur pardonnerai pas. Mon père était devenu fou, mon frère avait perdu une jambe... Il n’a pas fallu un an pour que ma mère perde la tête à son tour. Elle a quand même vécu jusqu’à un âge avancé, auprès de ses enfants puis entourée de ses petitsenfants, toujours à nos côtés. Quant à mes blessures, elles sont restées ouvertes jusqu’à aujourd’hui... Jusqu’à quand ? Retour à la Peña Nous avions quitté Alhama depuis plus de deux ans et étions sans nouvelles de la famille qui était restée. Quand nous sommes revenus en zone républicaine, nous nous sommes installés à la Peña, chez les parents de ma mère. Vous pouvez imaginer le bonheur de nos retrouvailles. Dans la petite ferme, il n’y avait pas vraiment assez de place pour nous tous, mais nous nous sommes arrangés comme nous avons pu en attendant de trouver une meilleure solution. Mes grands-parents vivaient déjà avec trois jeunes filles et un adolescent quand ma mère est arrivée avec nous. La maison avait deux chambres à l’étage, une cuisine en bas, une écurie pour la mule et c’est tout. J’étais dans un piètre état : j’avais attrapé une pneumonie et aussi la gale ! J’avais les cuisses couvertes de boutons et de croutes. Les démangeaisons me prenaient surtout la nuit, c’était tellement insupportable que je ne pouvais pas m’empêcher de me gratter jusqu’au sang. La douleur me faisait pleurer et ma mère tentait de me consoler pour éviter que je ne réveille les autres, car nous dormions tous les quatre ensemble : ma mère et ma sœur à la tête du lit et mon frère et moi au pied. Je souffrais tellement que j’ai même demandé à ma mère de m’attacher les mains, mais en vain. Je trouvais toujours un moyen de me gratter. Vous vous demandez peut-être comment on me soignait la gale : une bassine d’eau – tiède l’hiver et fraîche l’été – et une éponge savoneuse pour me frotter. Chaque jour, ma mère préparait la bassine d’eau, je me mettais debout à côté d’elle et remontait mes pantalons. Elle me frictionnait alors avec un écheveau d’herbes sèches en guise d’éponge. L’été, j’allais me baigner à la rivière, dans un trou d’eau en contrebas de la maison ; et comme j’étais trop petit pour y aller seul, ma tante Josefa – la plus jeune – m’accompagnait. Mais je craignais d’être vu, en particulier par d’autres enfants qui se seraient moqués de moi. Si par hasard, j’entendais arriver quelqu’un, je me cachais comme je pouvais sous l’eau. Les gorges de la Peña. Au centre, la maison de mes grands-parents. La photo est prise depuis le côté d'Alhama. L’autre maladie que j’avais à l’époque m’a suivi toute ma vie. C’est pendant la fuite devant les fascistes, en passant par les gorges de La Piletas dans la montagne Tejeda que j’ai attrapé une pneumonie. La guerre nous a envoyé sur les routes en plein hiver et nous avons fui d’un lieu à l’autre sans aucune chance de me soigner correctement. Le 22 janvier 1937, quand nous sommes passés par les gorges, il faisait un froid terrible, il neigeait et nous ne pouvions pas nous abriter. Le froid m’est tombé sur la poitrine. Depuis ce jour, au moindre coup de froid, ma respiration se mettait à siffler et les crises d’asthme suivaient. Alors que j’écris ces mémoires, j’ai toujours de l’asthme, bien que les progrès de la médecine me permettent d’en souffrir moins. Mon grand-père était très travailleur. Il connaissait aussi bien la terre et le travail des champs et du jardin qu’il était habile de ses mains pour fabriquer toutes sortes d’objets et d’outils. Il faisait particulièrement des merveilles avec l’alfa. Il tressait des paniers comme ceux des ouvriers agricoles pour emporter leur repas au champ, des paniers plus grands destinés à être portés par les mules, des nattes, des hottes à raisin... Il couvrait aussi les dames-jeannes, ces grandes jarres dans lesquelles on garde le vin. Mon grand-père s’est trouvé bien encombré avec notre arrivée. Trois jeunes enfants, dont mon frère qui avait une jambe paralysée ! À l’époque les personnes de plus de 65 ans recevaient une pension de 23 duros (115 pesetas). Il ne travaillait déjà plus en dehors de la maison mais cultivait son jardin avec mon oncle, son seul fils. Des filles, seule travaillait Maria Jimenez. Elle servait une femme riche, qui s’appelait Amalia. Je ne sais pas si elle était veuve ou célibataire mais elle vivait seule dans une très grande maison, alors ma tante restait auprès d’elle. Je suis allé quelquefois voir ma tante chez Amalia et la vue de cette grande maison pour une femme seule alors que nous devions dormir tous ensemble dans une seule chambre me révoltait. Pourquoi une telle inégalité ? Mais j’étais encore trop jeune pour trouver une réponse claire. Les autres tantes travaillaient à la maison. Mes grandsparents avaient un cochon, des lapins, des poules et un élevage de chèvres pour le lait. C’est ma tante Josefa qui s’occupait de la truie. Quand nous sommes venus grossir la maisonnée, mon grand-père a cherché à rendre utile le plus grand d’entre nous – moi. Mon frère Paco ne pouvait pas faire grand chose avec sa jambe paralysée et ma sœur était bien trop petite. Il n’a pas tenue compte du fait que je n’étais pas en très bonne santé, d’ailleurs personne ne voulait le reconnaître, et c’est moi qui me suis désormais occupé de la truie. Cela a duré quelques mois, j’étais presque guéri de la gale. Un jour, alors que j’étais dans le jardin, j’ai vu arriver sur le chemin des moulins un homme très grand avec un bâton à la main C’était Pepico Casasola, qui venait me chercher pour m’emmener dans sa ferme. Il avait près de 80 cochons et il avait été conclu que j’allais m’en occuper. Bien entendu, on ne m’avait rien demandé. Ma mère était de mèche, bien entendu, mais il n’y avait rien à dire. Nous étions orphelins. Alors, le lendemain, ils m’ont donné une mauvaise couverture – il n’y en avait pas d’autre de toutes façons – et je suis parti. J’avais 11 ans. El Cortijo Potrilla J’ai quitté Alhama tôt le matin avec mon nouveau (et premier) maître. On m’avait monté sur une vieille mule pour parcourir les sept ou huit kilomètres jusqu’à la ferme. Je n’ai pas ouvert la bouche de tout le trajet. Si quelquefois mon patron me posait une question, je répondais par oui ou non, c’est tout. Je me souviens d’une chanson qu’il a chanté, comme chantaient alors souvent tous les villageois. Elle disait : Cuando veo a mi serrana con ella me quiero ir, lleva el cántaro en la mano y la jarra en el cubrí. Quand nous sommes arrivés à la ferme, les patronnes m’ont donné à manger. Elles étaient les trois femmes des fils du maître des lieux. Pepico m’a ensuite emmené voir les cochons et quand j’ai vu le nombre qu’ils étaient, j’ai perdu tous mes moyens. Je ne voyais pas comment j’allais m’en sortir ! J’ai passé tout le reste de la journée avec le garçon qui s’occupait des porcs en attendant ma venue (car le précédent porcher était parti). Il m’a montré où il fallait emmener les cochons et ce que j’aurai à faire. Nous étions dans les premiers jours de mai et la journée m’a paru interminable. Au crépuscule, nous sommes revenus à la ferme et avons rentré les cochons à la porcherie. Quand je me suis retrouvé là-bas à la nuit tombante, avec tous ces gens que je ne connaissait pas, le monde s’est écroulé autour de moi. Moi qui avait toujours été timide, qui n’avait jamais quitté mes parents ! Je me trouvais bien loin maintenant ! Le contrat prévoyait que je rentre chez moi tous les dix jours pour changer mes vêtements. La nuit, je dormais dans le foin, près des écuries qui étaient très grandes et me faisaient peur. Les ouvriers dormaient dans la cuisine, très grande elle aussi. Il y avait des plates-formes des deux côtés et les deux garçons dormaient là. Comme la bouilloire était allumée toute la journée il faisait chaud là- bas. Les ouvriers jetaient un matelas sur leur plate-forme pour dormir, tandis que mon lit était une botte de foin. Les premiers temps ont été difficiles, mais il a bien fallu que je m’habitue. Cela faisait plusieurs mois que je travaillais à la ferme Potrilla quand lors d’un de mes retours à la maison, je j’ai trouvé ni ma mère ni mon frère Paco. Ils avaient du partir précipitamment à l’hôpital San Juan de Dios de Grenade, car l’état de la jambe de mon frère s’était aggravé. Il est resté là-bas plusieurs mois et quand il est rentré, il avait une jambe en moins et il marchait avec une béquille. Pendant ce temps, ce sont mes tantes qui se sont occupées de mes vêtements. Moi, je continuais de travailler à la ferme. Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Au moins, là-bas, je mangeais bien, je ne pouvais pas me plaindre. J’étais payé trois duros par mois (quinze pesetas), une petite truie chaque année au mois de mars et c’est tout. J’ai passé trois ans là-bas, le compte est facile à faire. Pendant ces années, je me suis familiarisé avec les maîtres des lieux, et surtout avec les femmes. Comme elles avaient des enfants en bas âge, je m’occupais d’eux le soir et comme je n’était pas bien grand, moi-même, je me suis attaché à eux. Cette situation m’a valu la protection des femmes. Si jamais j’avais fait une bêtise avec les animaux dans la journée, elles m’évitaient les réprimandes trop sévères. L’école de l’instituteur Clarín La situation de la famille était plus que précaire. Mon frère est alors parti chez ma grand-mère paternelle qui vivait dans le quartier de la Joya. Elle l’a inscrit dans l’école privée de M. Clarín. Comme il était républicain, il n’avait plus le droit d’exercer, comme beaucoup d’autres professeurs, avocats, médecins... Il avait alors monté une école dans sa propre maison. Bien entendu, elle était très mal vue, surtout par les curés, car les enfants n’y apprenaient rien de la religion. Il enseignait des choses utiles aux enfants des agriculteurs qui venaient chez lui, rue de la Cruz. Seuls les agriculteurs pouvaient payer ce genre d’école à leurs enfants. Les ouvriers agricoles eux, à la place d’un livre, une plume ou une ardoise, ils donnaient à leurs enfants un fouet ou un caillou pour les envoyer travailler dans les fermes des grands métayers, comme ils ont fait pour moi. Un fouet pour garder des porcs et un caillou pour garder les moutons ou les chèvres ! Mon frère Paco et ma sœur à Sagunto. A l’arrière plan, le bus qui reliait Sagunto à Valence. L’instituteur était aussi un ami de notre père, et il partageait ses idées, libertaires. Seulement Clarín a eu la chance d’échapper au peloton d’exécution, ce qui n’a pas été le cas de notre père, et de beaucoup d’autres. Tout cela pour dire qu’il a employé tous ses efforts pour que mon frère progresse et comme il était loin d’être idiot, il a pu le préparer rapidement à suivre des études supérieures. L’instituteur est alors allé voir ma grand-mère pour lui expliquer qu’il lui avait enseigné tout ce qu’il pouvait et que Paco était maintenant prêt à poursuivre ses études, mais il fallait pour cela l’envoyer à Grenade. Malheureusement, ma grand-mère n’avait pas les moyens de payer pour les études à la ville, et mon frère a dû rester au village. Paco a quand même bénéficié de l’instruction de Clarín, et cela lui a servi, plus tard, à enseigner à son tour pour les enfants qui se trouvaient isolés dans les petits villages aux alentours de Valence. La maladie de ma mère Une des fois où je suis rentré à la Peña comme tous les dix jours, j’ai trouvé ma mère dans un état bizarre. Quand elle m’a vu arriver, elle s’est écriée : « Ah, mon fils, je ne pensais plus jamais te revoir ! » J’étais bouleversé et me demandais de qui avait bien pu lui arriver, et pourquoi on ne me disait rien. Effectivement, ma mère commençait à perdre la tête. Cela peut se comprendre, après tout ce que nous avions subi ces dernières années ! Il m’a quand même fallu repartir à la ferme, mais j’avais le cœur gros, je craignais le pire. S’il arrivait quelque chose à ma mère, qu’est-ce que nous allions devenir. Et mon frère Paco, avec une seule jambe ! Comme j’étais à la ferme la plupart du temps, on me cachait beaucoup de choses, pour me protéger. Mais avec le temps, je finissait par comprendre des allusions. Ainsi j’ai su qu’un jour, mes tantes avaient trouvé ma mère sur le point de se pendre à un amandier du jardin. J’ai appris aussi que ma mère avait pris l’habitude d’aller chaque matin au dispensaire. Mes les docteurs, quand ils la voyaient, la renvoyaient chez elle en lui disant : « Rentre chez toi, tu vas très bien ! » Elle les croyait et s’en retournait tranquillisée. Je vous rappelle en passant que tous les docteurs en exercice à l’époque, étaient complices du pouvoir. Ces fascistes dans l’âme, savaient bien qui était ma mère, et pour quelles raisons elle commençait à perdre la tête ! C’étaient des charlatans. C’est à cause de l’un d’eux en particulier que mon frère a du être amputé. Ce médecin, originaire d’Alhama, s’appelait Don Miguel Ramos. Les autres médecins étaient des étrangers puisque les bons médecins depuis la guerre avaient été enlevés, emprisonnés ou bannis. À Santa Cruz del Comercio, une petite ville près d’Alhama, un médecin avait été banni. Je ne me souviens pas de son nom, mais bien de sa physionomie, c’est l’homme qui a guéri ma mère. Comme la rumeur s’était répandue qu’il était très bon docteur, les gens des villages alentour allaient le consulter, car en plus d’être un bon médecin était aussi très humain. Ma mère a retrouvé la santé et a recommencé à vivre pour ses enfants. Elle avait une santé de fer et si son état mental a été dérangé dans ces circonstances particulièrement dures, elle n’a plus jamais été malade. Plus tard nous sommes partis pour Valence, toujours ensemble, comme les doigts de la main, mais quatre, ma mère et ses trois enfants: Incarnation, François et Jean. Ma mère, veuve à trente ans, a porté le deuil sans que nous ne puissions plus jamais la convaincre de quitter le noir. Quand elle n’a plus pu travailler, comme elle n’avait aucune pension, nous l’avons fait venir en France. Nous y habitions depuis de nombreuses années déjà, bien contents d’y avoir trouvé refuge après tout ce qui c’était passé dans notre pays natal ! Notre mère a toujours vécu avec nous, entourée de ses trois enfants et six petits-enfants : nos trois filles et les deux garçons et la fille de ma sœur. Quant à mon frère Paco, il ne s’est jamais marié, mais il a vécu auprès de nous pendant de nombreuses années. Les classes sociales en Alhama de Granada Le village d’Alhama de Granada se trouve à 52 kilomètres de la ville de Grenade. Il est situé au sud-ouest de la province, dans les contreforts de la Sierra Tejeda et au sud se trouve la province de Malaga. Dans les années d’aprèsguerre était d’environ 9.000 habitants. Je dis « un village », mais en fait il y en avait deux. Celui des riches, les moins nombreux et celui des pauvres, l’immense majorité, ceux qu’après la guerre on a appelé les « rouges ». Les riches pouvaient se diviser en deux classes: les nobles, également connus sous le nom de caciques, les parasites, les exploiteurs, les paresseux ... en bref les plus méchants et brutaux, qui passaient leurs journées au casino, ou à faire la bringue et maltraitaient les servantes. L’autre catégorie était celle des paysans riches. Ils travaillaient sur les terres dont ils étaient propriétaires et quand ils avaient besoin de main d’œuvre, ils embauchaient des ouvriers agricoles qu’ils faisaient trimer du lever au coucher du soleil pour un salaire de misère. Dans ces années-là, les nobles se faisaient servir par une foule de bonnes : femmes de ménage, gouvernantes, cuisinières, blanchisseuses, nourrices... Comme ça, leurs épouses ne se fatiguaient pas et restaient jeunes bien plus longtemps. Certains avaient fait des études, mais aucun ne travaillait. À quoi bon, puisqu’ils pouvaient vivre de leurs rentes ! Les riches se remplissaient la panse de bon pain de blé et de galettes à l’huile d’olive. Pendant ce temps, la majorité des habitants du village se nourrissait avec des cartes de rationnement, et la farine de blé était rare. Nous avions de la farine d’orge, mal dégrossie et on passait un mauvais moment quand les morceaux de barbe d’orge nous passaient dans la gorge ! Pour l’huile d’olive, nous avions droit l’huile trouble, pleine de dépôts, car la plus claire était exportée pour trois ou quatre fois sa valeur. Le bracero, c’est à dire l’ouvrier que n’a que ses bras pour travailler – ce qui représentait la majorité des villageois – gagnait 14 ou 15 pesetas pour une journée épuisante. Avec ça il pouvait acheter un peu de pain, une paire de harengs et c’est tout. La commune d’Alhama était alors et reste aujourd’hui une région agricole, et produit particulièrement des céréales. Trop de céréales. Car à qui profite l’abondance de céréales et d’olives ? Certainement pas aux braceros ! Je m’en suis rendu compte de moi-même à la ferme de Potrilla, avec la famille Casasolas, je n’ai pas eu besoin qu’on me l’explique. J’ai participé à tous ces travaux agricoles dans le village, à partir de 11 ans, j’ai travaillé dans la ferme de Potrilla de 1941 à 1943. En 44 je suis allé à la ferme des Morales et j’y ai gardé les chèvres. Au bout d’un an et demi je suis parti pour commencer à travailler dans les champs de céréales jusqu’à ce que j’émigre en 1952 à Valence. Dans les fermes, comme aux champs, j’ai été bien traité. De la famille des Taratas, comme on les appelle au village, j’ai de très bons souvenirs des parents comme de leurs enfants. Après tout ce temps, j’avais pu économiser un peu pour partir vers Valence. La résistance et les guérillas les mauvais traitements de la part des phalangistes, la faim, les réfectoires de l’aide sociale, les passages à tabac dans les garnisons de la part des garde-civils, la spéculation (marché noir, contrebande) etc. Ces expériences, beaucoup d’entre nous les avons vécues. Á Alhama, à la fin de la guerre, mal nommée « guerre civile » a commencé la chasse envers ceux qui avaient fui et s’étaient réfugiés dans les montagnes qui entourent Alhama pour sauver leur vie. Bien entendu la garde civile commença son travail de recherche des « rouges ». Pour le faire, le régime décida d’un décret qui stipulait que tous ceux qui souhaitaient intégrer le corps de la gendarmerie pouvaient en faire la demande ; il suffisait simplement de savoir signer. Sans commentaire. On pu voir à l’œuvre la brutalité qu’employaient les nouveaux comme les anciens garde civils. Comme si cela ne suffisait pas, on nous amena une compagnie de maures avec son quartier général qui furent installés dans la place centrale en un lieu nommé : Place des Prisonniers. Le grenier communal une ancienne synagogue du XIII siècle. Cinq individus furent amenés de l’extérieur, ce qui complétait toutes ces autorités destinées à nous contrôler et dénoncer les « rouges », les vaincus de la République. Mais eux, qui les contrôlaient ? Le chef de ces individus, connu sous le nom de « El Cavillo » fut le complice d’un meurtre avec vol. Cet individu que les fascistes amenèrent on ne sait où en compagnie des quatre autres, étant protégés, commit un crime inhumain. Il tua pour le voler le père de Maria Castro, propriétaire du moulin Mochon, non éloigné du Pont des Bains. Les faits se produisirent de nuit et au matin suivant on trouva le cadavre attaché avec une pierre issue de la rivière, de la grosseur d’un poing. Bien que l’assassin essaya de nier le meurtre et tenta de culpabiliser un de la Montagne9 cela ne suffit pas à le déculpabiliser. Heureusement pour tous les voisins d’Alhama en général et pour les gens de la Montagne en particulier, on sut rapidement que le coupable c’était lui. Je veux aussi signaler que sous le couvert des gens de la Montagne, on commit beaucoup d’irrégularités, mais ceci mérite que l’on s’y arrête et j’y reviendrai plus loin. Pourquoi les gens partirent-ils dans la Montagne ? Je veux préciser que je me réfère à la population d’Alhama et de sa région car c’est là que je vivais et souffrais à cette époque. Et bien les gens partirent à cause de la peur qu’ils éprouvaient et pour sauver leurs vies. Ces montagnes et surtout la Montagne de Loja était remplie de fugitifs, non seulement d’Alhama mais aussi d’autres villages limitrophes. Nous avons en mémoire les noms de certains d’entre eux : El Cornudo, Espartillo, Los Tericias, Los Guisaos, etc… Egalement, je souhaite préciser que beaucoup furent fusillés 9 Ce nom populaire fut donné aux maquis, guérilleros, antifranquistes et fugitifs du régime durant les premiers moments, au fur et à mesure qu’ils arrivaient de la zone républicaine. S’ils avaient réfléchi et pu prévoir les intentions perverses qu’avaient les vainqueurs, si on ne les avait pas chassés comme des lapins en les trompant sur les fins qui leur étaient destinées, s’ils s’étaient échappés et avaient fuit vers les Montagnes, ils auraient sauvé leurs vies même s’ils étaient morts plus tard en se défendant comme cela se produisit pour la majorité d’entre eux car, peu à peu tous tombèrent sous les balles ennemies. Lorsque je dis qu’ils ont été trompés je me réfère à ce qui était diffusé par la radio franquiste qui matraquait tous les jours car ils se comportaient en vainqueurs fiers de leur gloire. Les émissions de radio franquiste diffusaient des mensonges à toute heure disant : « Tous ceux qui ne se sont pas sali les mains de sang peuvent revenir vers leurs foyers, car on ne leur fera rien ». Ceci fut la cause que beaucoup d’hommes, la majorité, « mordirent à l’hameçon » car qui avaient les mains pleines de sang sinon ceux que sortirent dans la rue en tuant le peuple civil et tous ceux qui se trouvait sur leur passage ? Ils firent tout cela et pire encore à l’aide des mensonges que nous venons de mentionner ainsi que d’autres. Nous avons comme preuve ce qui s’est passé à Grenade, la capitale. Au nom de « Vive la République » es militaires sortirent dans la rue et, selon les témoignages dignes de foi, durant les premiers moments les morts allaient du cimetière juqu’à la promenade de Tristes, Place Larga et autres10Pour se faire une idée de la façon dont se manifestaient les « gens de la Montagne », il faut tenir compte qu’ils étaient totalement libres et que les gardes civils n’avaient rien à faire. Alors, la tactique de ceux de la Montagne était de ne jamais rester au même endroit. Quant à la population, elle les protégeait car qui n’avait pas un fiancé, un frère, un oncle ou un père assassiné ? Les orphelins étaient déjà nombreux. . La vie des ouvriers agricoles Le village d’Alhama était et demeure un village agricole. Mais actuellement, s’il a fait des progrès en quoi que ce soit c’est dans le nombre de tavernes, malheureusement pour la santé des jeunes. A part quelques artisans, plus de 80% de la population travaillait dans l’agriculture, dans les champs en tant que journaliers avec les paysans et les propriétaires qui avaient déjà récupéré leurs terres. Nous étions en 1939 et non seulement ils avaient récupéré leurs terres mais aussi leurs esclaves. Pour un misérable salaire, on nous appelait pour travailler du lever au coucher du soleil lorsqu’ils avaient besoin de nous aussi bien pour les moissons, si c’était en été et pour 20 pésètes, qu’en 10 Le soulèvement militaire se produisit dans la ville de Grenade l’après-midi du 20 juillet 1936. Après être indécis sur l’attitude à adopter, les troupes sortirent dans la rue et avec l’appui du reste des corps armés et des civils phalangistes, ils avancèrent jusqu’au centre de la ville criant « Vive la République » trompant ainsi la population. A part la résistance qu’ils rencontrèrent dans le quartier de Albaicin, le reste de la ville fut contrôlé facilement et la répression commença. hiver, pour la récolte des olives et pour 15 pésètes. Le reste du temps, nous devions nous débrouiller comme nous pouvions, cherchant dans les champs n’importe quoi : des glands, des épis, de l’alfa etc… Pour travailler, nous devions aller jusqu’à la place du village chaque matin. Là, venait le contremaitre pour nous chercher et nous contracter pour la journée. Sur cette place, se rendait tout le village chaque jour, les ouvriers qui travaillaient dans les champs. Alhama était une bourgade de 9 000 habitants11 Le fait de devoir nous rendre tous les jours sur la place nous permettait de nous voir, de travailler ensemble, un jour avec les uns, le lendemain avec les autres et ainsi nous donner la possibilité de mieux nous connaitre et d’être solidaires. Il vient à ma mémoire, grâce aux nombreux livres que j’ai lu, comment les choses se passaient en URSS avec les communistes. Il était très difficile à trois personnes de se réunir car il était possible qu’un espion soit une de ces personnes. En ce qui nous concernait, à Alhama, le ou les propriétaires des fermes cherchaient pour leurs travaux des champs un homme de confiance protégeant ses intérêts économiques. Ce travailleur était ouvrier agricole comme le reste des ouvriers sans terre. C’était celui qui s’entendait avec l’équipe qui le reconnaissait comme chef d’équipe. C’était lui qui nous payait tous les jours, à la fin de la journée toujours au coucher du soleil, c’est-à-dire après une terrible journée de travail, du lever au coucher du soleil si c’était les moissons, ou ramassant les olives ou sarclant les oliviers 11 En 2010, la population d’Alhama de Grenade comprenait 6 097 personnes si c’était l’hiver. En rentrant à la maison, on se lavait et se changeait puis on allait jusqu’à la place toucher les 15 ou 18 pésètes en hiver ou 20 à 25 pésètes en été. Lorsque le chef d’équipe te payait, s’il restait du travail, il disait : « A demain » sinon il disait : « Demain il n’y a rien ». Alors, nous savions ce qui nous restait à faire, chercher ailleurs. Nous retrouvions les amis qui pouvaient quelque fois te dire : « Demain, si tu veux, tu peux venir avec nous à la ferme Polilla ou Cordoba, ou Quejigal » Je donne cet exemple pour expliquer comment se déroulait la recherche du travail des déshérités de la terre, en Andalousie. Selon un dicton andalou : l’ouvrier andalou n’a même pas un lieu pour mourir. En raison des changements de travaux continuels auxquels j’étais obligé, j’avais l’avantage de connaître la géographie de tout le canton. Et ce qui était très important pour nous, adolescents, nous avions l’opportunité de rencontrer beaucoup d’hommes qui avaient défendu la République et qui avaient souffert de mauvais traitements dans les prisons ce qui avait ébranlé leur santé. Toute cette période me servit d’expérience que je nommerai pédagogique. Elle alla de 1939 jusqu’en 1951 année où j’atteignis l’âge du service militaire. Ces 11 ans furent, pour moi, plus qu’une école, car durant ces années, dans les écoles de Franco, on apprenait seulement le catéchisme et tout ce qui avait une relation avec la religion catholique apostolique et romaine. La peur régnait aussi et notre famille ne s’exprimait pas. Ainsi, ce fut dans la rue où j’appris beaucoup de choses. Lorsque je dis : la rue, je me réfère aux rues du village malgré le danger car nous étions entourés de tous ces phalangistes, « requetes » curés et toutes classes de dévots, militaires au service de l’Etat. Alors, j’insiste sur le fait que durant toutes ces années qui suivirent la fin de la guerre, si je travaillais en plein champ, dans des travaux très durs, en revanche, nous étions libres comme le vent. Ceci me permit d’apprendre beaucoup des autres travailleurs des champs d’Alhama de Grenade, car, même si la majorité était analphabète ne sachant ni lire ni écrire, il n’en est pas moins vrai que ces hommes possédaient une culture extraordinaire dont ils me firent bénéficier Ils me racontèrent beaucoup de choses sur ce que fut la guerre, ce qu’ils avaient vécu dans les tranchées et, plus tard, dans les prisons. Les mauvais traitements que chacun d’eux avaient soufferts. Certains d’entre eux s’étaient trouvés avec mon père, dans les mêmes cellules ; je ne sais par quel hasard ils purent sauver leur peau. J’appris aussi, que mon père avait perdu la raison, car on la perdrait à moins. Ils me dirent aussi que mon père fut sorti de sa geôle pour aller « faire une promenade » en compagnie de quelques autres. Il criait que l’on allait en tuer quatre. Il était facile d’imaginer de quels quatre il s’agissait. Je construisais la fin de vie de mon père, par recoupements. Au sujet de mon père, je me souviens du contenu d’une lettre qu’il envoya à ma mère à la veille de Noël dans laquelle il disait, entre autre, que cette année là, ce serait une petite fille qui naîtrait et non un garçon se référant à l’enfant Jésus. J’appris aussi de nombreuses années plus tard, que mon père avait écopé de sept condamnations à mort. Mon oncle Pepe, frère de mon père, les phalangistes d’Alhama, Benito, Don Miguel, Ramos le médecin, Cristobal Raya le garde civil etc. après l’avoir battu et insulté tout un jour, le ramenèrent en prison et le mirent dans un cachot où il dormit. Il y a de nombreux faits que je relaterai au fur et à mesure de mes souvenirs. Durant la guerre, le peuple d’Alhama fit justice envers un propriétaire d’une ferme de Linan. Toute la population s’y rendit, comme Fuenteovejuna. Les fascistes battirent mon oncle Pepe pour qu’il dise quels étaient ceux qui étaient là-bas. Il répondit que c’étaient des chrétiens et on ne put lui tirer un mot de plus. J’appris tout cela et plus encore des hommes des champs. . La guerre contre ceux de la montagne Quelles furent les précautions que prirent les phalangistes pour exterminer les hommes de la montagne ? La première chose, en plus des maures, c’est qu’ils amenèrent un commandant de la garde civile. Jusque là, à Alhama, nous n’avions connu qu’un sergent et un lieutenant de la garde civile. La première chose que fit ce commandant fut de faire afficher, pour que tout le village le sache les phrases suivantes : Je dois faire que ce village s’habille de deuil ». Ils pouvaient toujours nous dire que la garde civile avait changé ! Comme je viens de le préciser, ce commandant arrivait avec ses plans qui furent les suivants : les gardes civils étaient vêtus d’un uniforme vert, coiffés du tricorne, mais certains s’habillaient comme nous, ouvriers des champs : pantalon de velours marron et veste grise ou marron. Ces derniers se mêlaient à nous, surtout dans les fermes et ainsi en même temps qu’ils protégeaient les propriétaires, ils étaient aux aguets pour dénicher quelque rouge. A cause de ces tactiques, les choses empirèrent. Les propriétaires des fermes partirent au village et ne venaient à la ferme que de temps à autre, surtout pendant la journée, car la nuit ils avaient peur d’y rester. Je parle des gros propriétaires, car ceux qui possédaient de petites fermes qui leur donnaient tout juste de quoi vivre, les guérilleros ne les attaquaient pas ; ceux-ci ne possédaient pas de maisons au village. Pour survivre, les gens de la montagne avaient résolu le problème de l’approvisionnement. Pour cela, ils allaient jusqu’à une ferme, s’emparaient du propriétaire et l’emmenaient avec eux, en général, en fin de journée. Ils profitaient qu’à ce moment-là, tous les travailleurs n’étaient plus là, les ouvriers agricoles, les bergers et les domestiques. Ils encerclaient la ferme, demandaient après le patron, lui disait ce qu’ils voulaient et partaient avec lui, après l’avoir assis sur une de ses charrettes, non sans avoir donné leurs consignes à sa famille sur ce qu’elle devait faire. Le domestique le mieux placé s’occupait de préparer ce qu’ils exigeaient. Ce pouvait être 30, 40 ou 50 000 « duros ». A ce moment là on parlait en « duros ». Ils leur indiquaient le lieu où ils devaient déposer l’argent Ce pouvait être à coté de quelque chêne vert, une fontaine ou un olivier. Une fois, je travaillais à la ferme Caramel qui se situait à l’entrée de la route de Jatar. J’y ai passé un été, employé aux moissons du blé, orge et autres céréales. Dans cette ferme, les hommes de la montagne emportèrent le fils du patron connu sous le sobriquet de Casquera. Il avait environ 14 ans . Ce qui fut exigé du père, je ne m’en souviens plus. Cela pourrait être 20 ou 30 000 « duros ». Ces choses n’étaient pas connues exactement. Seules étaient connus les commentaires et anecdotes. En ce qui se réfère à l’enlèvement de Casquera, on sut qu’il fut envoyé par la « Cuesta Rayo » vers le vallon Eguila en passant par la Fontaine de l’Aragonais en direction de la Montagne Tejeda. Il devait y aller seul et en chantant une chanson très connue dans cette région. Il s’agissait d’une chanson de Grenade qui disait : Vive Grenade qui est ma terre Vive le pont du Genil La Vierge des Angoisses L’Alhambra et le Albaicin C’était la consigne. Ensuite, lorsque le garçon fut ramené à son père, une fois payée la quantité exigée par les hommes de la montagne, il expliqua à son père son odyssée. Il lui dit surtout qu’il avait été bien traité, ce à quoi le père répondit que ces bons traitements lui avaient coûté très cher ! Je veux dire bien haut que dans cette région dans laquelle nous vivions, les gens de la montagne n’ont eu d’autre solution que de se défendre des civils et des maures, mais jamais ils ne se vengèrent sur leurs victimes. S’ils raptaient quelques fermiers c’était pour se procurer un peu d’argent pour se sustenter car les seuls qui auraient pu les aider, c’était le peuple, mais celui-ci mourrait de faim. Les gens étaient obligés d’aller dans les champs pour ramasser des plantes comme du carnillet, cardons et d’autres encore. Ils allaient dans les fermes pour qu’on leur donne du petit lait, ce qui reste du lait des chèvres car il n’y avait pas de vache après avoir extrait la pressure pour faire le fromage. C’est pour cela que les hommes qui partirent dans la montagne pour faire la guérilla devaient aller chercher de l’argent où il était, dans les maisons des propriétaires fermiers. . La spéculation (marché noir, contrebande) Dans ces zones rurales, nous ne savions rien sur les banques. En raison de la pénurie et de la faim, tous ceux qui avaient des produits en abondances se lancèrent dans la spéculation ; ils vendaient les marchandises trois ou quatre fois leur prix. Une fanègue de blé se vendait : 500 ou 600 pésètes, 120 duros alors que son prix fixé par le service de rationnement était de 20 à 25 duros, 100 à 125 pésètes. Durant ces années, il y eut, non seulement des riches qui s’enrichirent encore plus, mais des nouveaux riches car, « a rivière tumultueuse, profit des pêcheurs ». . La guerre contre ceux de la montagne Les morts de Venta Palma Comme je l’ai précisé, avec le nouveau commandant de la Garde Civile, commença la chasse aux hommes de la montagne. Lorsque dans quelque embuscade avec la Garde Civile ou les maures, tombaient des guérilleros, on les promenait, morts, dans le village, chargés sur une charrette ou montés sur des mules ou des chevaux. Ils choisissaient les quartiers ouvriers d’Alhama dans lesquels pouvaient les voir une épouse, une mère, fiancée ou leurs amis. En général, ceux qui les voyaient surtout étaient les enfants car c’étaient eux qui se trouvaient dans la rue en train de jouer, comme tous les jeunes enfants. Une fois, il se produisit un fait qui devenait de plus en plus fréquent. Dans la région de Tejeda, il y avait cinq jeunes des guérillas qui avaient besoin de certaines choses. Ils rencontrèrent un berger qui conduisait un troupeau de chèvres et lui demandèrent s’il pouvait les secourir ; ils le paieraient avec intérêt. Le chevrier était jeune, lui aussi mais au lieu de faire ce qu’il leur avait promis, il alla les dénoncer au propriétaire de la ferme qui avisa la Garde Civile. Celleci monta, accompagnée de maures, ils les encerclèrent et les chassèrent comme des rats. Le groupe se composait de six hommes, mais cinq seulement furent tués. Le sixième, blessé, se cacha en montant sur un arbre où il resta tout le jour. La nuit, il regagna la montagne. Cette fois, les hommes furent chargés sur une charrette et emmenés au village. Ils furent « promenés » dans tous les quartiers du bas du village où vivait la classe ouvrière. Ces hommes n’étaient pas originaires d’Alhama et personne de les connaissait. Si je le raconte avec ces détails, c’est parce que mon frère Paco les a vu. Il était plus jeune que moi et blessé à une jambe. Comme il ne pouvait rien faire, il passait son temps à jouer avec une muleta avec d’autres enfants. Lorsqu’il vit ce triste spectacle, il vint le raconter à ma mère en pleurant, car personne ne peut se réjouir de voir cela. . Les charbonniers Alhama a toujours été un village agricole, son économie dépendait de l’agriculture. Beaucoup de gens se sont décidés à fabriquer du charbon de bois. Ces personnes vivaient dans les montagnes avec leurs familles. Dans les taillis mêmes, ils se construisaient des cabanes avec les branches des arbres des alentours et de la terre. Ils s’y installaient tout le temps que durait le travail auquel participait toute la famille. Le père taillait les arbres ce qui était le plus dur, la mère en plus des soins apportés à sa famille, aidait à approcher les branches, la terre et tout ce qu’il fallait pour la préparation d’une sorte de fourneau qui était nécessaire à la réalisation du charbon de bois. Les enfants, eux-mêmes aidaient autant qu’ils le pouvaient. Beaucoup de ces charbonniers, en même temps qu’ils s’occupaient de ce travail, ce qui, soit dit en passant, ne leur donnait que le strict nécessaire pour ne pas mourir de faim, étaient en contact avec les hommes de la montagne. Certains de ces charbonniers durent s’échapper vers la montagne par peur d’être dénoncés. Franco avait fait savoir que tous ceux qui dénonceraient quelque rouge recevrait 7500 pésètes mais également l’habit de garde s’il le souhaitait. La conséquence de cela, et comme l’argent est un mauvais conseiller fut la démonstration du revers de la médaille. Je reviens sur les cinq jeunes qui furent assassinés par la Garde Civile à cause de la dénonciation du chevrier. Nous nous souvenons que les évènements se produisirent sur les pentes de la Sierre Tejeda. Le chevrier en question était complice du propriétaire de La Venta Palma où se trouvait un grand chêne. Les cinq jeunes qu’assassinèrent les maures et la Garde Civile en laissèrent un de vivant mais blessé, ce que l’on sut plus tard. Il réussit à grimper au sommet d’un arbre, sorte de genévrier, qui pique beaucoup Cet arbuste est de couleur vert foncé, comme le pin, mais beaucoup plus touffu, un peu comme les cipres. L’homme réussit à rester accroché au sommet de l’arbre tout le jour, sous son couvert. Le soir, il marcha comme il put et se sauva. Il ne s’était pas écoulé plus d’une semaine lorsque à la tombée du jour descendirent une centaine de maquisards cherchant le chevrier. Mais celui-ci n’était plus là. Ces sortes d’hommes appréciaient beaucoup les ordres de la Garde Civile. Lorsqu’il se produisait un fait similaire, on translatait le « confident » vers d’autres lieux où il n’était pas connu. Donc, le chevrier n’était plus là, mais le propriétaire de la ferme qui était aussi ou plus coupable que son employé était bien là. Décidés à faire justice, les maquisards s’en saisirent et le pendirent devant la porte de sa maison où on le trouva le lendemain matin. La nouvelle se répandit dans toute la région au moyen du « téléphone arabe » comme toutes celles que nous apprenions journellement. . Le cas de El Cornudo En 1945 ou 1946 si mes souvenirs sont exacts, je travaillais dans la ferme El Porton située à l’entrée de la route de Jatar, en face du moulin à huile Lazarico. Un après-midi, vers 4 ou 5 heures, nous entendîmes des tirs pas très éloignés de l’endroit où nous travaillions avec la famille de l’Anglais. Parmi les ouvriers se trouvaient mon oncle Juan Arenas, un cousin à lui, Morillo, Antonio, deux fils du propriétaire Juan et Ignacio, un autre ouvrier et moi. Lorsque nous arrivâmes à la ferme, il y avait à la porte une jument pommelée attachée sur laquelle se trouvait un homme mort, recouvert d’une couverture. La nouvelle se répandit comme un éclair. Il s’agissait d’un homme connu sous le sobriquet de El Cornudo. Cet homme avait une femme mais pas d’enfants. Comme il était recherché, il partit vers la montagne. Au lieu de resté en groupe, comme le faisait les autres il marchait aux alentours du village et probablement il rentrait certains soirs chez lui. Le problème était que cet homme devait vivre et se sustenter même si sa compagne l’aidait. Mais nous avions tous tellement faim qu’elle gagnait à peine de quoi se nourrir elle-même. Alors il devait recourir à d’autres méthodes. Il allait dans les maisons riches et demandait de la nourriture par des moyens pacifiques ou par la force. Le temps passait et il espérait toujours que les choses changent mais rien de cela ne se produisait. Franco était de plus en plus fort. Nous étions en 1945 ou 1946 et tous ces espagnols étaient obligés de parcourir la montagne depuis 6 ou 7 ans déjà d’un coté à l’autre surtout la nuit. Pour revenir à cet homme, El Cornudo, il rencontra un jour un autre homme un laboureur, surnommé El Casasola. Ils se connaissaient. El Cornudo demanda à l’autre qu’il envoie son domestique chercher de l’argent pendant qu’il le détenait en attendant, c’est-à-dire qu’il le prit comme otage. On ne sut jamais comment cela se produisit, mais ce furent les gardes civils qui arrivèrent, 6 ou 7. El Cornudo aurait pu tuer El Casasola, mais il préféra s’échapper et le laisser libre. Le terrain était à découvert. Il partit vers un vallon mais les gardes civils tirèrent et le tuèrent. Ce fait se reproduisit à diverses reprises ; les gardes civils faisaient en sorte de ne jamais s’affronter avec les maquisards et encore moins dans la montagne. Lorsqu’ils arrivèrent vers la ferme, ils ne savaient pas combien d’hommes s’y trouvaient. Ils ne pouvaient s’imaginer qu’ils n’en trouveraient qu’un seul. La première idée qu’ils eurent fut de demander à des ouvriers agricoles qui travaillaient dans un champ de blé s’ils avaient fait leur service militaire pour pouvoir les armer et qu’ils les aident à se battre contre ceux de la montagne. Nous avons eu connaissance de ces faits, plus tard. Ainsi, El Cornudo eut une fin tragique. Il avait un lien de parenté avec ma mère car il était de la famille de Los Chozas. . La répression de la Garde Civile Tous les ouvriers qui travaillaient dans les champs étaient exposés à rencontrer les gens de la Montagne à un moment ou à un autre. Si nous ne les dénoncions pas, et s’ils l’apprenaient ou s’ils découvraient que nous les avions aidés, nous savions ce qui nous attendait. Dans la Sierra de Loja, il y avait beaucoup de bergers car, en raison de son climat, c’est un endroit idéal pour les brebis, particulièrement en hiver. En été, comme l’eau n’était pas très abondante, et en raison des chaleurs et des pluies rares, les bergers étaient obligés de venir aux alentours du village où il y avait les rivières Alhama et Rastrojos. Dans cette partie là, on tua un berger qui était un oncle à moi du coté de mon père. Je crois qu’il s’appelait Cielos. Cet homme était toujours à cet endroit pour garder ses moutons. Il était analphabète. Certainement, quelqu’un le dénonça et on le retrouva dans cette partie de la montagne, mort. En 1949, un autre travailleur fut assassiné. Il était connu de tout le village et il travaillait avec tous les autres dans les champs. Il vivait dans le Tejar, un quartier situé dans la hauteur du village. J’avais travaillé avec lui car il était chef d’équipe, il travaillait dans les terres de Jurtiga ; en haut du village. Ces terres étaient plantées de vignes, car elles étaient plus molles et convenaient bien au vignoble. Il y avait divers pressoirs, celui de Espejo, celui de Pedro Jenizaro. Dans les terres plus hautes, étaient les petites fermes de Los Morunos et d’autres fermettes où vivaient « Los Parraos », deux frères avec leurs familles. On retrouva les deux frères morts en dehors de leur maison à une distance de 400 ou 600 mètres, dans la montagne. On mit le feu à leur ferme. Un de Los Morunos subit le même sort. Après ces crimes, la rumeur courrait que c’était ceux de la montagne qui avaient fait cela et la Garde Civile s’en lavait les mains; mais le peuple savait très bien quels étaient les coupables. La tactique qu’avaient adoptée les gardes civils étaient de s’habiller comme des paysans, puis ils allaient dans ces petites fermes où vivaient des familles dans la misère car les fermes étaient trop petites et les terres mauvaises comme le sont les terres qui se trouvent sur les coteaux de ces montagnes. Les gardes civils essayaient de se vêtir de la même manière que ceux de la montagne et, comme eux, allaient au crépuscule jusqu’aux petites fermes. La première chose qu’ils demandaient était si les paysans avaient vu des gardes civils. Ces pauvres gens leur offraient ce qu’ils pouvaient, car ils ne pouvaient donner davantage, mais de bon cœur. Il ne leur venait pas à l’idée que ce pouvait être des gardes civils déguisés. Ils ne pouvaient pas non plus leur refuser ce qu’ils demandaient, de peur que… Ils ne savaient pas comment réagir. Après quelques jours, les hommes qui s’étaient déguisés revenaient avec leurs habits de gardes coiffés du tricorne. Au contraire, ils leur demandaient s’ils avaient vu des hommes de la montagne. Si les paysans répondaient par la négative, les gardes insistaient puis finissaient par se découvrir en leur révélant qu’ils étaient venus auparavant, leur précisant le jour, l’heure et jusqu’aux moindre détail de leur visite, ce qu’ils avaient mangé, de quoi ils avaient parlé etc.. Cette situation devint à tel point dangereuse, que ces pauvres gens partirent se réfugier au village, mais comme la misère continuait, certains partaient à Barcelone d’autres ailleurs. Nous ne pouvions plus aller à la montagne pour ramasser du bois car partout nous rencontrions des gardes civils. Il leur paraissait que puisque nous étions dans les parages, nous étions des gens de la montagne. Un ami à moi, bucheron comme moi, fut attrapé par les Gardes Civils dans la Sierra Tejeda lieu où il avait l’habitude d’aller avec son âne tous les jours. Il fut maltraité physiquement et moralement. Il prit peur et n’osait plus s’aventurer en ces lieux. Il vendit son âne et avec cet argent il partit à Barcelone, lui aussi, comme beaucoup d’autres du village. Peu de temps après, nous avons reçu la mauvaise nouvelle qu’il était mort, on l’avait retrouvé sur un banc de la place de Catalogne. Ce jeune, célibataire, sans aucune expérience de la vie dans les grandes villes et sans argent, déambulait avec un autre homme d’un côté à l’autre cherchant du travail. En attendant, il dormait et mangeait où il pouvait ; il eut une fin bien triste. Ces expériences, beaucoup d’entre nous les avons vécues. En ce qui me concerne, il m’arriva aussi une aventure au Jorales, au pied de la Sierre Tejeda. Nous avions l’habitude d’aller là-bas pour ramasser du bois, ceux d’Alhama et également, ceux d’autres villages limitrophes car ce bois était de bonne qualité, de ciste, résistant, surtout le ciste noir. J’allais par un chemin lorsque, depuis une hauteur, des gardes civiles me donnèrent l’ordre de venir jusqu’à eux. Ils étaient cinq. Lorsque j’arrivais, ils m’interrogèrent, me demandant si je connaissais les bucherons qui se trouvaient en face de nous sur une colline. Il y avait un vallon au milieu, ces bucherons se trouvaient à environ 400 mètres, à vol d’oiseau, de nous. Selon les ânes qu’ils conduisaient, ils devaient être cinq ou six. Les gardes civils voulaient que je leur dise qui étaient ces bucherons. Ma réponse fut négative car je ne reconnaissais ni les ânes, ni les bucherons car à cette distance, on voit la couleur de la chemise ou du pantalon, mais pas les visages. Lorsqu’ils se fatiguèrent de poser des questions, ils voulurent connaître mon âge. Lorsque je leur dit que je venais d’avoir 18 ans, ils me demandèrent si j’avais une carte d’identité. A ce moment là, je ne savais pas ce que c’était qu’une carte d’identité, car dans le village, la seule chose que nous avions était une carte de rationnement pour l’alimentation. Et comme nous ne sortions pas du village pour aller dans d’autres lieux, nous ne parlions même pas de cela. Ils finirent par me laisser partir non sans me menacer de me mettre en prison s’ils me retrouvaient une autre fois sans carte d’identité. Il paraissait plus facile à ces gardes, pourtant bien armés, d’interroger et de menacer un jeune homme seul que de se diriger vers ces six bucherons. Mais qui pouvait les assurer que c’était bien des bucherons ? Ils pouvaient être des gens de la montagne. De toute façon, depuis un certain temps, il est vrai que les gardes sévissaient beaucoup mais il leur arrivait aussi de tomber dans des traquenards. C’est pour cela qu’ils étaient aux aguets et voyaient partout des gens de la montagne. A partir de 1947, les choses empirèrent pour ceux qui étaient dans la montagne. En premier lieu parce que la population avait peur d’eux, à cause des représailles, et ensuite parce qu’il y avait eu beaucoup de pertes et ils se retrouvaient très isolés. Beaucoup se retiraient et se calfeutraient dans leurs maisons car ils avaient une femme, une fiancée. Une fois dans la maison, ils se logeaient dans un trou, dans l’écurie de l’âne ou de la vache, d’autres se construisaient des doubles parois. Nous avons un livre qui confirme ce que je raconte ; il fut publié lorsque la démocratie arriva il s’intitule « Les taupes ».12 . La mort de Tio Ballarta Il se produisit un fait proche du lieu où nous travaillions, connu sous le nom de El Cerro, dans la ferme Sanelias. Au pied du coteau se trouvait la petite ferme Salero. Ce coteau est assez élevé et depuis le haut il est possible de voir Alhama ainsi que les rivières et jusqu’à Santa Cruz, un village pas très 12 Le livre écrit par Manuel Leguineche et Jésus Torbado et publié en 1978 grand qui est distant d’Alhama de 7 ou 8 kilomètres. Sur ce coteau s’étaient réfugiés des hommes de la montagne. L’un d’eux était connu avec le surnom d’El Chato, on appelait un autre Felipe lequel, selon les rumeurs était le cerveau du groupe. Ils n’étaient pas originaires d’Alhama mais d’un autre village El Salar situé entre Alhama et Loja. Selon les bruits, ils se dirigeaient vers Grenade en se cachant. De jour, ils restaient tranquille là où ils se trouvaient, lorsque la nuit arrivait, ils marchaient autant qu’ils pouvaient. Leur méthode était de s’arrêter dans des points en hauteur. Le lieu où les faits se produisirent, se trouve à un endroit d’où partent deux routes, les deux allaient en direction de Grenade ; l’une passe par Santa Cruz y Buenavista, qui était une bourgade, puis Moraleda de Zafayona puis de là, on prend la route principale qui va à Grenade. L’autre passe par Cacin, Ventas de Huelma, La Mala, Armilla et Grenade. Je dirai que cette dernière est ancienne, plus courte mais aussi plus accidentée. Ces deux jeunes gens, fugitifs, avaient probablement l’intention d’arriver jusqu’à la capitale car ils étaient recherchés à cause de dénonciations. Selon ce que nous savions, il y avait des groupes à Grenade qui mettaient en échec la police. Les plus connus étaient les frères Quero et certainement d’autres aussi. Ce qui se produisit en ce qui concerne nos deux hommes fut ceci : ils s’étaient arrêtés sur un coteau pour se reposer, attendre la nuit et continuer leur chemin. Il y avait de nombreux oliviers et, par hasard le propriétaire et son fils passèrent par là Il est très probable que les deux hommes ne les connaissaient pas mais comme ils avaient besoin de beaucoup de choses et en particulier de chaussures et de nourriture, ils leur demandèrent s’ils pouvaient leur en fournir et leur proposèrent de l’argent. Pour ne pas être dénoncés, ils envoyèrent le fils et gardèrent le père. Jamais ils n’auraient pu s’imaginer qui étaient ces personnes en réalité. Le fils était militaire de carrière et en permission. Il alla jusqu’au poste de la Garde Civile et les dénonça. Ce fut un camion chargé de gardes civils couchés pour éviter les soupçons qui arriva et les prit par surprise. Lorsque les deux hommes se virent entourés, ils ne doutèrent pas de ce qui allait arriver et leurs premiers coups de feu furent pour l’homme qu’ils avaient gardé comme otage. Savaient-ils que c’était le père de leur dénonciateur ? Qui peut le dire. Le premier mort fut Tio Ballarta connu sous ce nom car il était le propriétaire de la ferme Ballarta. Le père éliminé, ils se défendirent tant qu’ils eurent des munitions mais, à la fin, ils furent tués. Ces évènements donnèrent à parler dans les milieux ouvriers. Tio Ballarta eut ce qu’il méritait. Il fut un de ces fascistes qui se gobergèrent lorsque les franquistes gagnèrent. Dès les premiers jours de la guerre, les rouges tuèrent un de ses frères et lui s’échappa par miracle. La mort de son frère fut imputée à une famille qui habitait La Joya et connue sous le surnom de Rose de Mai. La mère du supposé coupable perdit un fils dans la guerre et par conséquent ne pouvait se venger. Mais, on se vengea tout de même sur la mère de la façon suivante. Un peu plus haut de la ferme Ballarta, il y en d’autres et en particulier la ferme Potrilla à trois ou quatre kilomètres plus haut. Pour ce rendre là haut, il fallait passer par la ferme Ballarta car la route passe sous le porche même. La dame de la Rose de Mai ne pouvait pas passer par là car on la menaçait chaque fois qu’elle passait par le porche. Elle dû prendre l’habitude d’aller jusqu’à la ferme Palomino qui appartenait à la famille Chiscates, par un chemin dangereux, en pente et beaucoup plus long à cause des montées et descentes. Ces faits ne m’ont pas été racontés par quelqu’un, je les ai vécus car lorsqu’en 1940 mon père a été fusillé contre le mur du cimetière de Grenade, ma mère, veuve avec trois enfants en bas âge m’envoya comme commis à la ferme Potrilla.13 J’y suis resté trois ans. Il y avait une jeune fille, domestique, qui s’appelait Carmela qui était la fille de la dame Rose de Mai. De temps en temps, cette dame venait voir sa fille et c’est pour cela que j’étais au courant de tous ces évènements. Cette dame avait déjà un certain âge . Lorsqu’elle arrivait et était passée par la ferme Ballarta, elle était congestionnée et suffocante car elle avait dû allonger son chemin de peur d’être attrapée. On peut supposer de quelle façon fut accueillie, dans les milieux ouvriers, la nouvelle de la mort de Tio Ballarta. En vivant dans cette région durant les trois ans que je travaillai dans la ferme Potrilla, j’eus l’occasion de rencontrer d’autres commis de ferme comme moi. Les fermes n’étaient pas très éloignées les unes des autres et nous avions l’occasion de nous retrouver quelques fois pour jouer car nous avions davantage l’âge de jouer que d’être domestiques. Les circonstances en décidèrent ainsi. Les jeunes que je retrouvais travaillaient à la ferme Ballarta, San Elias, et Humeen. En vérité, je dois dire que j’étais celui qui 13 On envoyait, à ce moment là les enfants dans les fermes pour qu’ils gardent les troupeaux que ce soit des porcs, chèvres ou brebis et ils vivaient avec les gens de la ferme. se portait le mieux, bien nourri et estimé. La preuve en est que j’y suis resté trois ans, ce qui est vite dit, mais pour un enfant de seulement 11 ans cela semble un temps très long. Une preuve que j’étais bien traité est que durant le temps où je restai à la ferme Potrilla, de nombreux autres garçons défilèrent à la ferme Ballarta. Quelquefois, ils ne restaient même pas un mois tellement ils étaient « bien traités » que ce soit les enfants ou les domestiques le traitement était le même. C’est par manque de réflexion et d’observation que le fils de Tio Ballarta tua son propre père. Les migrations Les évènements se succédaient les uns après les autres. La Garde Civile attrapa un homme vivant. Je précise vivant, car, en général, quand ceux de la montagne tombaient dans un traquenard ou s’affrontaient avec les gardes, il n’était pas rare que quelque victime tombe aussi bien d’un côté comme de l’autre ; les guérilléros qui le pouvaient s’échappaient et se réfugiaient à nouveau dans la montagne. Mais cette fois, ils attrapèrent un jeune connu sous le nom de Espartillo. On raconta beaucoup de chose : qu’à force d’être mal traité, il dénonça beaucoup de gens. Nous ne savons rien des méthodes employés à son encontre, mais ce qui est vrai c’est que l’on commença à emprisonner des ouvriers. Les uns un jour, d’autres le lendemain et cela provoqua un grand trouble dans la population et les gens commencèrent à partir. Certains en Catalogne, d’autres au Pays Basque et c’est ainsi que je partis à Valence car j’y avais un oncle qui, à la fin de la guerre, préféra s’y installer. On arrêta un cousin de ma mère Paco Arenas qui était fossoyeur. Ils lui reprochèrent de permettre aux hommes des maquis de se cacher dans le cimetière, la nuit. Ce fut le motif qui leur permit de l’emmener à la prison de Grenade. Ils emmenèrent aussi deux frères d’un ami nommés Los Tremendos. Ceci se passa en 1949, 1950 et ensuite. Un autre fait que je tiens à raconter, et qui concerne Antonio Navas. Il avait un camion et un jour, le bruit courut qu’il avait disparu. Antonio avait des frères. Ils étaient d’une famille fortunée qui vivait à l’aise. Lorsque se produisit le soulèvement militaire par les forces qui trahirent la république, chacun des frères choisit son camp. Antonio et Paco se mirent du coté de la république et, bien sûr, lorsque la guerre se termina, ils furent détenus dans des prisons. Ils y restèrent plusieurs années à en supporter les mauvais traitements. Grâce à l’influence des parents et à leur position de propriétaires fortunés, ils purent sortir libres. Cela n’évita pas que Paco sortit malade et ne put reprendre sa profession d’avocat. Quant à Antonio qui était chauffeur de métier, sa famille l’aida à acheter un camion et pour vivre, il transportait ce qu’il pouvait. Il existait à ce moment là, la spéculation, le marché noir, la contrebande.14 Grâce à cela, certains gagnaient beaucoup d’argent et personne ne leur disait rien. Mais les plus pauvres pouvaient à peine respirer. Antonio qui se déplaçait avec son camion d’un côté à l’autre rencontra certainement, à un moment ou à un autre, des hommes de la montagne 14 C’était un commerce illégal de biens soumis à des impôts ou taxes par l’État franquiste et sujets à des rationnements qui demeurèrent en vigueur de 1939 à 1952 comme cela nous arrivait à tous dans les champs, mais cela ne nous réjouissait pas car il régnait un tel climat de peur que nous préférons ne pas les croiser. Je dois dire que ces hommes évitaient de se trouver en présence de jeunes enfants. Je parle d’enfants, car il y en avait beaucoup qui avaient de 9 à 13 ans et qui travaillaient à garder les bêtes. Pour ma part, jamais je n’en rencontrai. Antonio disparut du jour au lendemain, ce qui donna lieu à des supputations sur un éventuel départ vers le Portugal. Qui l’aida ? Mystère. Je pense qu’il se rendit compte qu’il y avait beaucoup d’hommes détenus et, avant qu’ils ne l’attrape à son tour, il préféra disparaître. Le cousin de ma mère, Paco Arenas, ne put s’échapper et les deux frères de mon ami El Trémendo non plus. Ils furent emmenés en prison où ils restèrent un certain temps. . La contrebande En ce qui concerne les hommes de la montagne, il arrivait fréquemment qu’il y ait des incidents entre eux, les contrebandiers et les camionneurs. C’était bien naturel que les maquisards aillent sur les routes et en rase campagne pour attaquer les contrebandiers car d’une façon ou d’une autre, ils fallait bien qu’ils vivent. Comme les contrebandiers savaient qu’ils risquaient d’être attaqués, ils cachaient leur argent le mieux qu’ils pouvaient. Si c’était des juments ou des mules qui transportaient les marchandises, ils cachaient leur argent dans quelque coin du paquetage. D’autres fois c’était dans les souliers Mais si les contrebandiers usaient d’ingéniosité pour cacher leur argent, ceux qui le cherchaient savaient où le trouver. Une fois, un des contrebandiers avait caché dans ses bottes. Cet individu se mit à faire des commentaires dans une taverne, disant qu’à lui, on ne pouvait lui voler car il cachait son argent dans ses souliers. Dès qu’il sortit à l’extérieur, un homme de la montagne se dirigea vers lui et lui demanda d’enlever ses chaussures pour les essayer car elles étaient plus neuves que les siennes, toutes trouées. C’est l’une des nombreuses histoires qui se racontaient. Ceux qui se consacraient à la contrebande usaient des camions de l’époque avec des caisses en bois. Les gens se logeaient aussi dans la caisse ou accrochés à la carrosserie car dans la cabine, il ne pouvait y avoir que le chauffeur et son aide. Ils avaient inventé un langage à part sous le prétexte de ne pas être dévoilés par les gardes civils lesquels, comme je l’ai mentionné, se déguisaient pour ne pas être reconnus. Donc, pour parler de fanègue de blé ils parlaient de citrouilles. C’était une sorte de dialecte, comme la langue des gitans De cette façon lorsqu’ils se retrouvaient dans des tavernes ou dans d’autres lieux publics, ils pouvaient discuter tranquillement sans être découverts. Ces tristes évènements n’empêchaient pas la population de se divertir et d’inventer quelques moments d’humour même si nous n’avions pas la radio ni même la lumière électrique. Je me réfère aux fermes. Il arriva donc que nous allâmes faucher du blé à l’entrée du vallon de Dona, près d’une ferme appelé la ferme Marquez. J’étais là-bas avec don Justo Topos et cinq autres jeunes garçons. De nuit, nous allions dormir près de l’aire à blé car dans ces lieux il y a toujours de la paille et c’était l’endroit idéal les mois de juillet et d’août. Tous les gosses qui travaillaient y venaient dormir. Dans cette ferme, il y avait aussi un gitan qui devait garder les juments d’un monsieur bien connu du village, Carlillos, un fasciste endurci comme ils l’étaient tous. Pour vous donner une idée des coutumes de la campagne andalouse, tous les animaux comme les chevaux, brebis, cochons, sauf les chèvres, étaient sortis de nuit pour paître les mois de fortes chaleurs, car de jour, les animaux ne mangent pas. Pepe, le gitan, était très peureux et n’aimait pas sortir de nuit dans les champs. Que faisait-il ? Il amenait les juments près du lieu où nous nous trouvions et restait avec elles, sans dormir, bien sûr, pour ne pas les perdre et pour ne pas qu’elles entrent manger les moissons récoltées. Révolution Grenade et collectivités dans Alhama de La collectivisation aussi bien des terres que celle des moulins dura en Alhama depuis le mois de Juillet 1936 jusqu’à Janvier 1937. Tous les moulins à farine qui se trouvaient dans le creux du vallon de la Pena appartenaient aux Perez qui étaient quatre frères, sauf un dont le propriétaire était Manolo Castro. Lorsque Alhama fut occupée par les forces de Queipo de Llano, on donna des noms nouveaux aux moulins, noms de saints comme aux rues : Sainte Thérèse, Saint François etc… Les moulins eurent deux époques prospères : la première le jour suivant le soulèvement militaire du 18 juillet 1936 et la seconde à la fin de la guerre en 1939. La première époque bien que relativement courte, a bénéficié à tout un peuple d’une façon égalitaire. Tous les produits d’Alhama en ce qui concerne l’alimentation furent mis en collectivité et à partir de ce jour, nous n’eûmes plus faim. Cette faim dont parlait Lorca lorsqu’il disait que le jour où l’humanité sera rassasiée, ce jour là se produira la révolution la plus grande au monde ! A partir de ce momentlà, tout le peuple fut riche, car il mangeait et travaillait en même temps. Depuis la collectivité, on distribuait à chaque famille les produits qui s’élaboraient dans toute la zone, toutes classes de céréales et légumes, pois-chiches, lentilles, haricots, pommes-de-terre, huile l’olive (on n’en connaissait pas d’autre) et surtout, ce qui touche à la viande de porc ainsi que les produits qui arrivaient de l’extérieur comme le riz, le sucre, la morue, les sardines les harengs, le poisson frais comme le anchois, clovisses, sardines, et toute classe de fruits secs comme des raisins secs, figues… sans oublier les bons vins de Malaga et l’eau de vie de Rute et autres. C’est ce que nous avons appelé la première époque qui fut, bien que courte, très opulente pour la population déshéritée. Nous voulons que tout ceci soit clair, surtout pour les jeunes générations non seulement parce qu’elles ne l’ont pas vécu, mais surtout parce que nous sommes les seuls à pouvoir le dire ! Quant à la seconde époque elle se situe lorsque nous avons perdu la guerre en avril 1939. Alors, les choses se produisirent à l’envers, les propriétaires « prirent la poêle par le manche » et oublièrent les déshérités qu’étaient et furent de toujours les pauvres travailleurs. La pénurie régna mais pas pour tous ! L’Espagne manquait de tout, on venait de terminer une guerre qui dura 33 mois et les vainqueurs entamèrent toute une série de représailles contre les vaincus. Ainsi commença la contrebande et l’enrichissement de certains. Sur le dos de qui ? Des déshérités. Comme si cela ne suffisait pas, arriva une période où il ne pleuvait pas, les années 43, 44 et 45. A cause de cela, les produits de première nécessité manquaient. Ceux qui s’en sortaient le mieux furent les propriétaires des moulins. Le moulin de Mochon, près des jardins maraichers de Santa Maria et du pont de Banos, le moulin Pajaro en bas des côtes de Carmen ou Juan Guerra, le moulin de Manolo Castro et les moulins des Perez, Juan Perillas, Mariano Quijamuerta, Perequi et Carlos, bien que ce dernier s’occupait de troupeaux, juments, mules et autres. Les années qui allèrent de la fin de la guerre jusqu’aux années 48 et 49 furent très longues pour ceux qui avaient faim. Les propriétaires de ces moulins s’en sortirent très bien avec la contrebande ! Les Perez achetèrent diverses fermes comme ceux de Humeen, Potrilla, Sanelias, etc. En un mot, durant ces années auxquelles je me réfère, beaucoup de ces messieurs se consacrèrent à la contrebande et firent fortune. Il y a aussi une troisième époque à laquelle je souhaite faire référence. A partir de 1945, les gens d’Alhama commencèrent à émigrer vers la Catalogne et au Pays Basque. Cette émigration commença à une petite échelle mais allait en augmentant doucement. De ce fait, Alhama commença à se vider de ses jeunes particulièrement. Les jeunes filles préféraient servir à Barcelone où elles gagnaient trois fois plus et les jeunes gens partaient aussi fuyant le chômage. En ce qui nous concerne, nous sommes partis en 1951 et ne sommes pas revenus avant 1974 pour la première fois. Nous avons retrouvé un village complètement vide par rapport à ce que nous l’avions laissé mais il s’était écoulé 24 ans. Alors nous avons pu constater comment les « Messieurs d’Alhama » s’étaient effondrés comme un château de cartes. Il n’y avait plus de riches et parmi ceux que nous avions connus, beaucoup d’entre eux, ceux qui n’étaient pas morts, étaient devenus des mendiants malades et presque dans la misère. Nous eûmes l’occasion de rencontrer Mariano Perez par l’intermédiaire de mon oncle Juan Arenas, de la Pena parce qu’il travaillait dans les potagers des moulins. Mariano Perez était malade et lorsqu’il montait des côtes, il s’étouffait. Je ne sais pas s’il nous reconnut mais nous, nous ne lui avons pas adressé la parole. En fait, cela nous fit de la peine de voir que maintenant s’en était fini de son orgueil. Pourquoi ? Car tous ces propriétaires qui s’étaient enrichis sur le dos de ceux qu’ils affamaient et en faisant de la contrebande, maintenant n’avaient plus de domestiques pour travailler leurs terres. Comme ils étaient des parasites et des fainéants, leurs terres ne produisaient rien et ils devaient les vendre peu à peu. Et qui pouvait les acheter ? Et bien certains des ouvriers qui partirent en Catalogne ou au Pays Basque et qui avaient réussit à économiser en travaillant beaucoup. A leur retour, ces personnes achetèrent quelques parcelles abandonnées. Car comme le dit la sagesse populaire : les richesses mal acquises ne profitent jamais. En ce qui concerne les moulins, nous les retrouvâmes dans un état désolant. Lorsque nous sommes partis en 1951 nous avons laissé les moulins habités par Carlos Perez, sa femme Teresita et leurs enfants encore jeunes ainsi que leurs domestiques, nurses, cuisinières, lavandières etc. Derrière le moulin de San Francisco à coté des jardins, il y a un moulin qui produit de l’électricité pour tous les autres. Là vivait un homme qui s’appelait Barco avec sa femme La Aguililla et une petite fille. Nous vivions près de là et les nuits, quand ma mère revenait de la Botica où elle avait travaillé tout le jour comme domestique, elle allait jusqu’à ce moulin voir La Aguililla. Nous nous entendions bien avec eux et elle permettait à ma mère de coudre des vêtements car il y avait de l’électricité. Nous n’avons pas vécu dans les jardins de la Pena qui était très proches, à une distance de trois cents mètres des moulins. Dans ces jardins vivait mon grand père maternel puis ce fut mon oncle Juan lorsqu’il se maria qui y demeura lorsque mon grand père mourut. Durant ces années, ces moulins moudraient le blé durant la nuit et le jour. Il y avait beaucoup d’hommes qui y travaillaient comme les Boticos père et fils, les Serratos, les Chipis, les Serrano qui vivaient dans la ferme de Manolo et d’autres dont je ne me souviens pas du nom. Dans le lavoir du haut il y avait beaucoup de lavandières qui venaient laver les vêtements des « dames ». Nous en connaissions quelques unes par leurs surnoms comme « la Blonde du Tejar ». Son mari était Grajo et ils avaient de nombreux enfants. La Sojita était la mère de Ligero du Tejar et sœur de la blonde. Il y avait aussi une veuve qui boitait. D’autres femmes venaient individuellement laver leur propre linge. Au total, une trentaine de femmes se réunissaient journellement et comme c’était notre passage pour nous rendre au village, nous nous étions familiarisés avec elles. Il nous arriva même d’aider à sortir l’une d’entre elle qui était tombée dans un lavoir : Ruilla. Cette femme, déjà un peu âgée était la mère d’une jeune fille que je courtisais. A Alhama régnait à peu près la même ambiance que celle qui existait lorsque nous sommes partis. Cela ne veut pas dire que les travailleurs vivaient bien car les travailleurs avaient toujours les mêmes problèmes. Les gens peu à peu partaient et lorsque nous sommes revenus la population avait diminué de plus de la moitié et nous sommes repartis aussitôt. Juanito Gomez, le fils de Pepe Gomez fut nommé maire lorsque les franquistes commandaient. A cette époque, les maires étaient élus par la classe riche. Ils profitaient de leur situation sans avoir de comptes à rendre à personne. Durant son mandat, comme la contrebande s’était terminée il fallait trouver autre chose pour avoir de l’argent. Le maire vendit, pour cela, une partie des eaux qui s’écoulent de la rivière Marchan de Alhama venant des sources de la Sierra Tejeda et destinée au barrage de Bermejales. Selon des sources dignes de foi, il les vendit à Madrid et une fois payé s’en fut vivre à Palma de Majorque sans aucun remord. Ce furent les échos que nous avons reçus des habitants de Alhama durant nos visites familiales. A part cela, je possède une photographie du père de cet homme en compagnie des autorités municipales et religieuses car ces dernières allaient toujours de pair avec les autorités municipales, et celles de la Garde Civile, les trois piliers du régime. En revenant au village, nous avons été surpris par la jeunesse. Les riches l’étaient beaucoup moins. Les jeunes gens pauvres s’étaient mariés avec les jeunes filles de bonne famille. En ce qui concerne les cafés, ce fut la même chose. Les casinos n’étaient plus « chasse gardée » comme de notre temps. La vie réserve bien des surprises ! Tout cela était très bien, mais les fascistes étaient morts les uns après les autres, dans leur lit sans qu’on les ait jugés ni molestés en raison des crimes qu’ils avaient commis. Les seuls qui restaient encore, et qui étaient très peu, vivaient tranquillement. Ainsi s’écrit l’histoire de la Guerre Civile espagnole. ANNEXE Constitution et première session de la première commission gestionnaire après l’occupation de Alhama par les troupes nationales qui se produisit le 22 janvier 1937 Etant donné la grande valeur documentaire que possède l’acte de cette première session de la nouvelle municipalité désignée, nous pensons opportun de la transcrire intégralement pour nos lecteurs, insistant sur le fait qu’elle doit être comprise et analysée en fonction de la période et des circonstances historiques de ces années. « En la noble et loyale cité d’Alhama de Grenade, à 12 heures du premier février mille neuf cent trente sept, se sont réunis dans le salon avec l’intention de célébrer session sous la présidence de Don Miguel Ramos Maestre, maire désigné par Don Manuel Baturone, chef de la colonne d’occupation de cette cité, Messieurs les gestionnaire nommés par la même autorité militaire : Don Luiz Ruiz Lopez, Don Cristobal Raya Velasco, Don Francisco Garcer Guerrero et Don Miguel Morales Palazon. La session s’est ouverte, et monsieur le maire désigna leurs charges aux autres gestionnaires municipaux sus nommés et déclara constituée la Commission Gestionnaire de la municipalité. La première manifestation de la nouvelle équipe de la mairie fut de rendre hommage aux forces libératrices en un témoignage d’adhésion inébranlables au glorieux Mouvement et spécialement à l’insigne Caudillo, âme et esprit du dit Mouvement l’excellentissime général Franco. Les présents gestionnaires acceptent avec enthousiasme la proposition et effacent jusqu’au limites du possible, les traces du passage du marxisme dans la mairie, affront d’ignominie et de honte pour l’Espagne et pour Alhama » Que de mensonges ! Ensuite, au cours de cette même session, ils s’accordèrent pour changer les noms de presque toutes les rues pour imposer d’autres noms, plus « fascistes, plus catholiques, plus saints. » Sans commentaires. En un autre point de cet acte, la nouvelle équipe composée par cinq éléments aujourd’hui décédés, se référant aux dates allant du 18 juillet 1936 au 23 janvier 1937 affirmèrent que, pour s’être libérés de la domination rouge durant cette période, on ne donnera aucune validité « à cet organisme factieux et déloyal au Mouvement car il avait travaillé avec un plan révolutionnaire sans respecter les normes légales avec le seul souci de prendre le pouvoir ». On nomma le chef des gardes, ce fut Don Salvador Fernandez Raya ce qui fut soumis à discussion mais tous les gestionnaires présents reconnurent qu’il était le seul postulant. Mi mars 1937, le Gouverneur Civil de la province, désigna une nouvelle commission gestionnaire présidée également par Miguel Ramos Maestre avec de nouveaux membres comme José Gomez Parejo, Cristobal Raya Velasco, Francisco Fernandes Gordon, Francisco Garces Guerrero, Antonio Fernandez Raya, Fernando Castro Becerra, Francisco Munoz Martinez, Anastasio Benito Perez Castillo, Cristobal Ramos Espejo et Ricardo Castillo Quesada. Fut également nommé un membre qui devait se charger d’aider les familles : José Maria Molina Maldonado. Ces notes auxquelles nous nous référons, malgré le temps écoulé qui est de plus de soixante dix ans, sont très nettes en nos mémoires. Les personnes dont nous parlons, sont décédés depuis longtemps ayant transmis leurs âmes à dieu ou au diable, ce qui nous est indifférent puisque nous ne croyons ni en l’un ni en l’autre mais je tiens à les transcrire car ils firent tant de mal à notre village que nous voulons que les jeunes le sachant pour que jamais plus il ne leur arrive ce que nous avons vécu. Avant d’aller plus loin, je veux aussi signaler les décisions qui furent prises par les nouvelles autorités, qui furent les suivantes : - Destituer tous les employés de l’ancienne mairie « car ils avaient méconnu leur lieu d’habitation » selon les paroles du maire imposé par Manuel Baturone, un militaire fasciste envoyé par Queipo de Llano. Quant aux employés municipaux qui durent partir en courant, c’était : José Perez Martinez, médecin, Blas Moya Ruiz garde champêtre, Gonzalo Aguila Perez, concierge du cimetière , José Ramos Martinez, deuxième secrétaire, Francisco Navas Ruiz, troisième secrétaire, Manuel Santander Gomez, chef de surveillance, José Hinojosa Valenzuela, Francisco Martin Vega, Tomas Molina Aranda et José Gutierrez Lopez, gardes municipaux et Lucas Martin Moya et Miguel Montilla Moya fossoyeurs. Ces « destitutions furent annoncées par le Bulletin Officiel de la Province, à la place de la notification individuelle, car les adresses de ces hommes n’étaient pas connues ». Comme on peut le constater par les noms de chacun d’eux, ils étaient douze employés de la mairie lorsqu’arrivèrent les forces de Queipo de Llano qui envahirent Alhama. Qu’auraient-ils fait d’eux s’ils étaient restés ? On sait maintenant que lorsque la guerre se termina et que ces employés revinrent au village, beaucoup d’entre eux furent tués. Ce fut le cas de José Gutierrez Lopez, notre oncle, frère de mon père qui fut tué à coups de bâtons que lui administrèrent le garde civil Rivas ainsi que Anastasio Benito Perez Castillo et Salvador Fernandez Raya. Ce trio rencontra mon oncle et se mirent à le frapper sans s’arrêter avant de le laisser mort au milieu de la rue. Ces assassins moururent dans leur lit sans que personne ne leur demande de comptes. Cela se produisit à l’entrée de la rue du Seigneur du Portal, en venant de la caserne des gardes civils, à côté de la Mairie. A l’entrée de cette rue, il y a une niche encastrée avec un christ qui ne fit rien pour sauver mon oncle qui était bon comme le bon pain. Il n’y eut aucun miracle comme beaucoup croient qu’il en existe. On emporta mon oncle au cimetière mais nous n’avons jamais su où ces assassins l’enterrèrent. . Don Miguel Ramos Maestre, médecin Cet homme fut le premier maire sous l’occupation des fascistes. Qui était-il et comment se comporta-t-il ? La première fois que nous le connûmes il avait déjà un âge avancé. Ce fut en 1941. C’était un médecin natif du village, le seul car les autres n’étaient pas d’Alhama. Auparavant, il y en avait eu d’autres qui avaient été emprisonnés ou fusillés comme les autres hommes de gauche qu’ils fussent avocat comme Paco Navas, ou maitre d’école comme Clarin. Don Miguel Ramos continua d’exercer son métier de médecin à la fin de la guerre mais il n’était plus maire. Qui était-il ? Un fasciste invétéré ce que tout le village savait. Nous n’avions pas d’autre solution et nous devions le supporter et l’appeler chaque fois que nous étions malades. Il rendit visite à mon grand père maternel alors qu’il était déjà près de mourir. Il intervint auprès de mon frère qui perdit sa jambe par sa négligence, très jeune à huit ans. Je dus aller le consulter à cause de mon asthme à de nombreuses reprises. Tout ceci veut dire que nous le connaissions très bien. Même mon père le connut très bien car il était préposé à porter du bois à la prison. Physiquement, il était, malgré son âge avancé, grand et droit. Il n’inspirait pas confiance. Lorsque nous l’avons connu, il avait besoin de prendre des médicaments en raison de son âge surtout des injections. Les gens commentaient le fait qu’il ne voulait pas qu’on le pique et il grondait les deux vieilles filles ses domestiques parce qu’elles n’avaient pas appris à le faire. Il n’avait pas confiance en d’autres praticiens pour lui injecter les produits. Probablement sa conscience ne devait pas être très tranquille. Il avait un fils qui étudiait à Grenade pour devenir médecin mais nous ne le connaissions pas. En ce qui concerne mon petit frère, il eut une paralysie infantile alors qu’il ne marchait pas encore. C’était avant la guerre, mes parents avaient une situation aisée et mon père emmena mon frère plusieurs fois à l’hôpital San Juan de Dios à Grenade. Je me rappelle qu’on lui mit des bottes avec des fers et qu’il marchait avec sa jambe la plus apte. Mais, lorsqu’il eut huit ans, il tomba et se fit mal. Don Miguel, le médecin, prescrivit à ma mère simplement des pansements d’eau chaude jusqu’à ce que la gangrène se déclare. Alors, ce médecin l’envoya à l’hôpital de Grenade mais on ne put sauver sa jambe et on dut l’amputer. Lorsque nous sommes partis en 1951, cet homme vivait encore mais selon ce que disait les gens, il n’était pas bien portant et il finit par passer l’arme à gauche. Ce que je peux dire, c’est qu’il n’était pas aimé à cause de la façon dont il se comporta vis-à-vis des vaincus, des républicains. Cet individu fut un des principaux coupables parmi ceux qui assassinèrent tant d’ouvriers à Alhama. Nous joignons en annexe des coupures de journaux de cette époque dans lesquels son nom apparait parmi d’autres fascistes. . Cijuela J’ai eu la chance de connaître le petit village de Cijuela parce que ma tante Lourdes s’était élevée là-bas. Lorsque mon père fut mis en prison, à Grenade, par les fascistes, quelquefois, quand ma mère allait le voir, elle restait dans la maison de sa mère que ma tante possédait dans ce village. C’était la raison pour laquelle ma mère m’emmenait dans ce village et aussi comme j’étais l’ainé, chaque fois que je le pouvais, je l’accompagnais car mes deux frères étaient plus jeunes que moi. Je me souviens aussi des processions que les curés organisaient surtout les après-midi avec beaucoup d’éclats et de tapages. Ces curés attiraient les jeunes et d’autres moins jeunes en chantant leurs litanies. Ceux qui étaient moins jeunes, y participaient par peur car nous étions en 1939 et cette maudite guerre qu’euxmêmes avaient provoquée venait de se terminer. A cette époque, les moyens de transport n’étaient pas très bons et économiquement, nos moyens étaient des plus restreints car l’argent de la république n’avait plus aucune valeur, les fascistes y avaient veillé. Je me souviens que quelquefois, ce furent des camions qui amenaient le bois de Alhama à Grenade qui nous transportèrent. Un des chauffeurs était ami de mon père, Clarin et nous transporta souvent sans payer. Je me souviens aussi d’une sœur de ma tante Lourdes, Ascension, qui avait aussi son mari en prison et lorsqu’elle portait à manger à son mari, elle en portait aussi à mon père. Je veux porter témoignage pour dire comment se déroulèrent tous ces évènements. Lorsque le soulèvement fasciste se produisit, Ascension qui était l’ainée des sœurs était mariée avec Luciano qui était boulanger et vivait à Santa Fe. Ils s’échappèrent par miracle et purent arriver à Alhama avec deux fillettes qui avaient entre 6 et 8 ans. En tant que boulanger, il s’installa à Alhama dans une boulangerie qui appartenait à Porrina. Lorsque Alhama tomba aux mains des fascistes avec les troupes de Queipo de Llano le 22 Janvier 1937, dans le village se fut la débandade et nous partîmes à Baza. Nous nous sommes retrouvés tous comme si nous faisions partie d’une même famille. Le boulanger reprit son métier dans la ferme Olivares. Cette ferme se trouve sur la route qui va de Baza à Guadix. La route était tortueuse, elle virait vers la droite descendant vers une route plus étroite. Ensuite on prend un chemin pierreux qui mène à la ferme, vers le bas. Si je donne ces détails, c’est pour la simple raison que mes parents m’emmenèrent souvent voir cette famille et comme ils avaient deux petites filles à peu près de mon âge, nous étions heureux de jouer ensemble. Comme c’était la campagne, nous étions tranquilles au sujet d’éventuels bombardements car à Baza, nous devions souvent courir vers les refuges. Je veux préciser que cette ferme Olivares était collectivisée et que de nombreux hommes y travaillaient. Dans la collectivité de Baza vivait une de mes tantes, Carmen Espejo avec un enfant plus jeune que moi, Manolo. Quant à son mari, Cantano, il était au front de Jaen. Il se produisit un fait alors que je m’y trouvait. Un jour, deux hommes discutaient et l’un d’eux donna un coup de couteau à l’autre et le tua sur le coup. Nous, les gosses avons vu le mort alors qu’on le ramenait des champs où il travaillait. Lorsque nous sommes revenus à Alhama, une fois la guerre terminée, le boulanger Luciane de Santa Fe fut mis en prison à Grenade. Il s’y trouva en même temps que mon père.. Peu de temps après, il fut libéré mais ne profita pas de sa liberté car il mourut peu de temps après s’être retrouvé avec sa famille. Pepito Labi se retrouva lui aussi dans la prison modèle de Grenade ; il était le mari de Paquita « celle de la truite ». Bien qu’ils fusses d’Alhama et même nos voisins de la Pena, à ce moment là ils vivaient dans la capitale. Lorsque Paquita portait le déjeuner à son mari la pauvre en portait aussi à mon père, ce qu’elle pouvait. Ce fut elle qui me dit, de nombreuses années plus tard au cours d’un voyage que je fis de France où je réside actuellement alors qu’elle était déjà assez âgée, que mon père avait été condamné à sept fois la peine de mort. Je dois signaler que ni mes frères ni moi-même ne le savions et probablement ma mère non plus ne le sut jamais ni personne de ma famille. Paquita nous raconta beaucoup de choses sur notre père. . Les bucherons d’Alhama 1939 – 1951 Dans ce village, il est de tradition de porter le bois pour les fourneaux à pain et pour les potiers. Au cours de ces années, lorsque cette maudite guerre venait de se terminer, nous nous sommes tournées vers ce métier pour des motifs que j’expliquerai plus loin. En 1939 nous étions plutôt petits pour faire seuls ce travail et pour commencer, j’allais avec mon oncle Juan et avec l’ânesse qui se trouvait dans la maison de mon grand père maternel. Les endroits où nous devions ramasser le bois étaient la colline des Roaeros où abondaient les romarins et ainsi que d’autres arbustes qui poussaient en ces lieux.. Il y avait vers Navazo des chênes en plus des romarins. C’était cette sorte de bois qu’utilisaient les boulangers. Il était toléré d’aller les chercher. Sur les coteaux de la montagne Tejeda, on trouvait beaucoup de ciste aussi bien noire que blanche et également du genêt. Je commençai à aller dans la montagne avec mon oncle et lorsque je fus un peu plus grand, j’y aller tout seul ou avec d’autres bucherons plus expérimentés et plus âgés que moi. La première fois que l’on me demanda de partir seul avec l’ânesse de mon grand père, j’y allai avec deux frères que l’on surnommait Les Perroquets . C’était des voisins qui vivaient dans La Pena, dans la côte des moulins. Nous sommes partis sur les coteaux de la montagne Tejeda chercher du bois sec non pas pour les fourneaux, mais pour notre consommation personnelle. Cette fois-là, l’ainé, Curro me chargea sur l’ânesse le peu de bois que j’avais ramassé car je n’était pas habitué à ce travail pénible et encore moins à charger le bois. A mesure que le temps passait, je me suis aguerri à ce travail et n’eut plus besoin d’aide. Celui qui avait les moyens d’acquérir une bête de somme, même si elle n’était pas très bonne, avait la possibilité de gagner sa journée même si elle était presque misérable. Lorsque je dis une bête, je veux dire un âne ou une ânesse car c’était tout ce qu’un ouvrier pouvait s’offrir et tous ne le pouvaient pas, comme ce fut mon cas. Je fus toujours obligé de me servir de celle qui était à la Pena, dans la maison de mon grand père et sous la condition de donner la moitié de mon grain pour l’ânesse. Nous nous connaissions tous surtout à cause de nos surnoms. Dans le quartier de la Joya il y avait trois « montagnes » père et fils qui avaient une mule ; celui de la mule vivait place del Rey ; « Orejillas » qui avait différentes bourriques pas très bonnes. « Remendao » qui eut une mauvaise fin ce dont nous parlerons plus loin ; « Costuras » un autre bucheron de la Joya ; dans les rues d’en bas il y avait les « Espatarraos », fils de Juan de Dios, deux frères chacun avec une bourrique ; les fils de Luis « Espatarrao », deux frères qui avaient une mule ; « Panales » ; « Pavon » qui se dédiait au charbon de bois ; un autre « Pavon » qui travaillait aussi bien le bois que le charbon de bois et avait un âne noir et petit, nous avons travaillé un certain temps ensemble. Il était déjà marié. Dans le Tejar était « Guisao » ; dans la rue Haute, mon ami Coque qui avait une sale bourrique et beaucoup d’autres que j’ai oubliés. Notre travail de chaque jour consistait en préparer la bête, lui mettre les lanières, prendre la faucille pour couper les joncs, un morceau de pain et quelques sardines ou harengs et au travail ! Le chemin longeait la rivière en passant par les jardins en commençant par celle de Bernardo, puis celui du curé, les Chovas. Ensuite le chemin déviait vers la droite pour entrer dans le vallon. Là il y avait une fontaine d’eau bien fraiche que nous apprécions beaucoup lorsque nous y arrivions avec l’âne bien chargé et après avoir mangé les sardines qui assoiffent beaucoup surtout s’il faisait chaud. Nous pouvions ainsi étancher notre soif. D’autres fois, nous passions par le vallon et traversions le potager de Pepe Lopez, celui d’Angel, les vignes d’en haut des Roaeros. Dans cette partie, il n’y avait pas d’eau et il fallait attendre de revenir vers la rivière et pouvoir se pencher et boire à même l’eau que nous trouvions très bonne. Si nous allions chercher du bois sec vers la montagne alors nous prenions la route de Jatar, Alambique, la Tana, la cote du Rayo. A la fin de cette cote se trouver la fontaine de l’Aragonais dont nous voyions jaillir l’eau comme si elle bouillait. Nous nous régalions lorsque nous avions soif ; dans toute cette route, l’eau ne manquait pas. Le travail de bucheron est pénible et sain mais nous étions libres et en pleine nature toute la journée depuis le lever du jour jusqu’à la fin de l’après-midi. Ceci était très important pour moi à cause de mon état de santé car, comme je l’ai relaté déjà à plusieurs occasions au cours de mon récit, je souffrais d’asthme depuis mon enfance. Cette maladie m’a toujours fait souffrir tout au long de ma vie. J’ai essayé de travailler à l’air libre et, lorsque c’était possible, dans les champs. J’ai toujours été un amoureux de la nature et je le suis toujours. J’aime particulièrement la montagne, les forêts, l’eau qui court dans les ruisseaux, les cascades, les gazouillis des oiseaux, l’aube, avant que le soleil paraisse, observer le coucher du soleil, écouter le silence de la nuit… tout cela m’enchante. Cela m’a servi d’avoir passé plus de cinq ans, étant enfant, gardant des cochons, puis des chèvres dans les fermes d’Andalousie. Revenant aux bucherons d’Alhama : nous sortions tous les jours chercher du bois dans les collines pour les fourneaux. Ceux qui étaient des vétérans de cette profession avaient déjà une clientèle c’est-à-dire un fourneau attitré où ils livraient le bois tous les jours, ceci de père en fils. Les uns portait le bois rue Salmerones au four du Pastor rue Haute, mon ami Coque le portait à Portales également rue Haute. Comme moi j’était un bucheron « d’occasion » je ne pouvais pas avoir un boulanger attitré car je n’avais pas de bête à moi et le bois que je ramassais, je ne pouvais le porter que lorsque j’arrivais à obtenir l’ânesse de mon grand père aux moulins des Perez, installés en bas des cotes des moulins. Je pouvais toujours porter mon bois à cet endroit car comme il était payé moins cher, personne ne voulait les livrer. Je n’avais aucun autre lieu où livrer mon bois puisque tous les autres avaient déjà leurs bucherons attitrés et si je voulais gagner quelques pésètes, il me fallait porter mon bois chez les Perez. Combien était payée une charge de bois ? 12 pésètes pour 20 fagots du bois des collines. Dans les autres maisons, la charge était payée 15 pésètes pour 19 fagots. On chargeait avec 19 fagots pour équilibrer la charge, je m’explique. On charge la bête avec six fagots de chaque coté, cela fait douze, on croise les deux et on y met trois fagots de plus, un de chaque coté et un au milieu, en travers. On amarre le tout avec des cordes pour que le tout tienne bien. Ensuite on croise la corde et on pose un fagot de plus de chaque coté et deux au milieu, on serre bien et tout est chargé, ce qui fait 19 fagots. C’était la façon de charger la bête traditionnellement mais les messieurs Perez en voulait 20 et les payaient moins cher. Sur le chemin qui allait vers le coteau des Roaeros, à mesure que tu avances, le terrain prend de la hauteur et s’éloigne du village mais sans le perdre de vue. En général, on passe la majorité du temps monté sur la bête surtout lorsque les cotes arrivent pour ne pas se fatiguer. Quelquefois on allait en chantant quelques chansons populaires andalouses. Cela faisait passer le temps plus agréablement. Il y avait les « Tunico » qui vivaient dans la rue des Parras et avait deux ou trois bourriques. C’était le père et deux fils. Le père était déjà un peu âgé et c’était les deux fils déjà grands qui faisaient travailler les bêtes. Lorsque nous passions dans les coteaux de la montagne Tejeda, en passant par la chainerai, l’eau abondait de tous côtés. Malgré tout les gens qui vivaient en ce lieu étaient misérables. C’était des années où nous souffrions d’un manque en tout. De plus, cette zone était très contrôlée par les gardes civiles en raison de sa proximité avec la montagne et ceux qui s’y étaient réfugiés et pour n’importe quelle raison, ils étaient capable de tirer et de tuer quelqu’un. Pour les bucherons, la vie devint compliquée ainsi que pour les rouges qui vivaient dans la montagne ; c’est ainsi que les dénommaient les gardes civils. Ceux qui devaient se rendre dans les vallons et surtout sur les coteaux des montagnes pour porter du bois aux fourneaux étaient beaucoup plus exposés. Les bergers aussi. La chose empira à partir du moment où arriva au village un maudit commandant de la Garde Civile, en 1946. Les premières paroles qu’il prononça en arrivant furent « Ce village, je vais l’habiller de deuil », paroles qui se répercutèrent dans tout le village. Ce que nous expliquons là, nous sommes certains qu’aucun des historiens qui abondent en ce moment, ne le dira. Heureusement, nous restons encore nombreux à le savoir et à vouloir le dire pour que les nouvelles générations sachent ce qui s’est passé dans le village d’Alhama de Grenade après le triomphe des fascistes, quoique nous ne soyons pas des écrivains. Enfin, les choses empirèrent pour les bucherons. Lorsque nous rencontrions les gardes, ils nous molestaient et allaient jusqu’à nous battre, car ils pouvaient tout se permettre. Leur nouveau commandant leur avait donné carte blanche. Mon ami Curro fut molesté et battu, un jour. Alors, il vendit son ânesse avec laquelle il gagnait sa vie et de quoi manger une paire de sardines ou de harengs avec un morceau de mauvais pain car le bon était vendu en contrebande et valait très cher. Avec le peu d’argent qu’il récolta, il partit à Barcelone. Peu de temps après, sa sœur Carmen nous annonça que son frère avait été retrouvé mort sur un banc d’une place de Barcelone. Ceux qui demeuraient au village rencontraient toujours les mêmes problèmes. Mais il est vrai que commença un exode au village car les gens partaient surtout vers Barcelone ou le Pays Basque et il n’était pas un jour que quelqu’un ne monte dans le bus Alsina pour partir au loin. Nous, nous restions au village et continuions à travailler. Bien que l’envie de partir me tenait aussi, j’étais confronté au problème de ma famille. J’étais le seul qui pouvait apporter un peu d’argent et j’ai déjà expliqué à quel point ma santé était fragile. Que faire ? Très souvent je devais aller voir le médecin quoique ensuite cela ne me servit pas à grand-chose car s’il me prescrivait un médicament, je ne pouvait pas l’acheter. Je pense avoir dit que ma mère bénéficia d’un carnet d’aide qui lui permettait d’aller chez le médecin sans payer mais quelques temps plus tard on le lui retira sans lui donner aucune explication. Cela se passait ainsi sous la nouvelle Espagne des franquistes. En fait de nouveauté, moi je n’avais qu’une seule chemise et tous les dix jours, je venais à la ferme voir ma mère qui me mettait au lit tout nu pendant qu’elle lavait ce que j’avais dessus en arrivant. Elle faisait sécher le linge devant la feu de cheminée et le repassait ensuite. Donc, elle veillait presque toute la nuit pour que son fils puisse, le jour suivant, retourner à la ferme garder plus de 80 porcs chez son maître. C’était ainsi sous le joug de Franco. Que sont donc ces politiques qui nous disent qu’il ne faut pas rouvrir les plaies ? Mais est-ce qu’elles se sont refermées ? Lorsqu’on a fusillé mon père Lorsque la nouvelle arriva que mon père avait été fusillé, notre mère nous le cachât. Mais elle ne put garder le secret bien longtemps, à peine quelques heures car, comme il est de tradition en Andalousie, les gens s’habillent en deuil immédiatement surtout les femmes qui se vêtissent en noir des pieds à la tête. Un matin, alors que je gardais les cochons de mon grand père paternel avec lequel nous étions allés vivre à la fin de la guerre dans les moulins des Perez, près du canal en haut d’Alhama, j’aperçus ma mère vêtue de noir qui parlait avec une de nos tantes ; les deux étaient pensives debout devant l’entrée d’une cave. Elles s’étaient éloignées du reste des autres femmes car cette partie du canal du haut était un lavoir public. Lorsque je les vis, je n’eus pas besoin qu’on me dise autre chose, car j’avais compris que nous avions perdus à jamais notre père. Ma mère s’habilla de noir des pieds à la tête et nous ne pûmes jamais, nous ses fils, la convaincre de quitter le deuil. Ma mère devint veuve à 30 ans. Combien de femmes, comme elles, perdirent leurs maris, jeunes, par la faute de ces maudits fascistes. C’est une question qui probablement restera sans réponse. Pourquoi tant de femmes veuves ? Pourquoi tant d’enfants orphelins ? A Alhama, en plus de ceux qui tombèrent au front, il y eut beaucoup d’autres enfants orphelins à cause des caprices des fascistes qui se le permettaient au nom de leur dieu. Beaucoup d’enfants qui devinrent orphelins, comme nous étaient nos amis : les Claudios de la Joya, les Orejillas cousins de ceux de la Joya qui vivaient tout proches car les maisons étaient mitoyennes, les Sabucos de la rue Haute, les Rompetechos des rue d’en bas, les Jeromos de la Trucha, les Tajaillas dans la Joya les Andres également de la Joya, les Rayas de la rue Llana, les Cielos dans le Tejar les Guisaos du Tejar aussi, les « Remendaos » dans la Joya… et beaucoup d’autres dont je ne me souviens plus du nom. Et sans compter ceux qui n’avaient pas de famille comme le Moruno un grand ami de mon père que je connus à Baza et que j’eux de nombreuses occasions de voir car il venait souvent chez nous. Voila ce que fut les conséquences du « glorieux mouvement ». Ils nous avaient préparé une autre surprise et ce fut que l’argent que nous rapportions de la zone républicaine n’avait plus aucune valeur et nous ne pouvions plus rien acheter avec. Je me rappelle que ma mère avait un porte feuille rempli de billets de toutes valeurs : 25, 50, cent, cinq cents, mil et je crois aussi 10 000 pésètes. Cela ne valait plus rien, ma mère les conservait malgré tout au cas où les choses changent, mais en vain. Ce porte feuille appartenait à mon père et était, comme je viens de l’indiquer, bien rempli des billets de la République, papier de l’Etat espagnol légal et reconnu par toutes les nations. Ma mère le portait lorsque nous sommes revenus de la zone républicaine et probablement le remit à mon père en cas de besoin. Mon père ne l’emporta pas lorsqu’il fut détenu, c’est la raison pour laquelle ma mère la garda. Mon père fut parmi les réfugiés au village d’Alhama qui furent mis en la prison de Baza par Jeronimo Castillo. Ce porte feuille nous fut dérobé. Il contenait exactement la même somme qu’à notre arrivée. Le feu Un jour, je me souviens que nous étions en été, et il était trois ou quatre heures de l’après-midi. Le feu prit dans notre cave, là où notre grand père mettait la paille pour son ânesse. Le feu était vif et nous avons commencé à apporter de l’eau du canal avec des seaux mais nous n’avons pu faire grand-chose et le feu s’éteignit de luimême lorsqu’il n’y eut plus rien à bruler mais le feu avait gagné la toiture, les voliges, tout le bois qui la composait et l’ensemble brula. Nous sommes restés à la belle étoile, c’est-à-dire que le soleil rentrait comme la pluie dans notre lieu d’habitation. Le lavoir du canal d’en haut se trouvait à quelques 200 mètres de là et quotidiennement, il y avait 20 ou 30 femmes qui lavaient le linge. Pour beaucoup d’entre elles, c’était leur métier, d’autres ne venaient que pour laver leur propre linge, mais toutes étaient des travailleuses. Je ne sais pas comment on a su que le feu avait pris chez nous, mais instantanément de nombreuses personnes se présentèrent, la plupart des femmes, pour nous aider à l’éteindre. On voit dans des cas comme celui-là ce que veut dire la solidarité. Tous et toutes firent leur possible pour nous aider et si le feu ne put s’éteindre rapidement, ce ne fut pas par manque de participants à vouloir l’éteindre. Les « journalistes » d’Alhama Ces journalistes étaient deux soeurs qui tenaient un établissement situé dans le centre d’Alhama, dans la promenade. On y vendait des journaux et diverses autres choses. Cet établissement se situait entre la pharmacie de Villa Especia et le magasin de crustacés d’Emilio de la Valverda. Ces deux sœurs étaient vieilles filles et plus très fraîches ! Pour cette raison et aussi parce qu’elles étaient méchantes et « grenouilles de bénitier » elles ne s’étaient pas mariées. Un dicton populaire du village disait : « tu es plus médisant que les journalistes ». Si nous nous occupons de ces femmes c’est qu’elles étaient, en plus des autres défauts, fascisantes et au village, beaucoup de républicains partirent en prison ou au cimetière, par leur faute. Dans notre famille, nous avions une tante Maria Jimenez, aujourd’hui décédée, dont le fiancé fut tué Juan Villegas, par leur faute. Il en fut de même de beaucoup d’autres. Notre oncle Manuel Espejo qui était ami avec Juan Villegas se sauva par miracle. A cette époque, il y eut beaucoup de gens qui dénoncèrent des innocents, des personnes qui n’avaient jamais fait de mal à quiconque mais par le seul fait d’avoir des idées libérales ou différentes des fascistes, simplement, par exemple d’être athées. Ce qui ne sont pas avec moi sont contre moi ! Cette devise était aussi celle des deux sœurs. Elles recevaient des journaux de Grenade comme Idéal. Nous c’était Tierra, et Sol, journaux de Madrid qui arrivaient chez nous et qui ne se vendaient pas à Alhama. Mon père y était abonné. Cristobal Raya Velasco En continuant l’étude des « gestionnaires » nous nous occuperons de Cristobal Raya Velasco. Nous le connaissions bien physiquement. Il était grand, mince et possédait une ferme dans la plaine au dessus de Santa Cruz, village limitrophe avec Alhama. Cette ferme s’appelait Sidrillo. Il paraissait être un peu vantard. Lorsque nous étions dans la ferme Potrilla, étant encore enfants, nous avions entendu parler par un de mes maîtres Juanico Casasola de cet individu comme quelqu’un qui faisait croire volontiers à tout ce qu’il racontait en se vantant beaucoup. Mon père avait déjà été fusillé, ma mère m’avait placé comme je l’ai dit pour garder des cochons. Cristobal Raya allait tous les jours à sa ferme et passait souvent par la ferme de Potrilla car le chemin était plus court. Je me rappelle l’avoir aperçu, monté sur son cheval arabe andalou avec son chapeau, très fier. Il allait simplement voir les ouvriers car il était un parasite comme beaucoup de ceux qui nous entouraient. Il avait un fils qui passait son temps à chasser les oiseaux et qui portait des lunettes. Lui non plus ne travaillait pas comme tous les autres fils de propriétaires en ces temps là. Avec le temps, j’ai appris par des hommes qui avaient été amis de mon père et qui étaient restés en vie que ce monsieur si fanfaron avait reçu deux paires de claques sonnantes de la part de mon père. Il est possible que pour cette raison et d’autres aussi, ces propriétaires paresseux, parasites, prennent leur revanche lorsqu’ils gagnèrent la guerre et se donnèrent à fusiller tant et tant de personnes d’Alhama parmi les vaincus. . Don Miguel Morales Palazon Cet homme appartenait à la même espèce que le précédent. Il fut maire après le docteur Miguel Ramos. Palazon avait un magasin de tissus dans une petite place du centre du village. Il avait un fils un peu chétif, avec des lunettes qui s’occupait dans le magasin. Entre lui et un employé nommé Ramon Lamoneda ils accueillaient les clients. Le père, déjà un peu âgé et fatigué ne venait que pour faire acte de présence. Les gens disaient qu’il avait de l’asthme. A la fin de la guerre, grâce aux vainqueurs, il mit à disposition deux voitures de voyageurs qui faisaient le service d’Alhama à Grenade et retour. Il avait un chauffeur, Fernando qui n’avait aucune compétence en la matière. Comme les « rouges » n’existaient plus, les autres chauffeurs qui travaillaient avant la guerre à Alhama comme Canales qui possédait son propre véhicule et qui probablement fut fusillé, Frasquito Maria qui se réfugia en France et ne revient pas avant plusieurs années et mon père qui, comme je l’ai dit écopa de sept condamnations à mort et fut fusillé, ce Monsieur avait la voie libre pour que ses propres voitures puissent fonctionner. Combien de temps Palazon fut maire, je ne le sais plus mais à nous, les travailleurs, il nous était bien égal que ce soit les uns ou les autres car ils étaient tous du même acabit. De toute façon, quel que soit le maire, c’étaient eux-mêmes qui le choisissaient, le peuple n’avait rien à y voir. Lorsqu’il se retira de lui-même de ses fonctions de maire, c’était parce qu’il ne gagnait rien ! Un beau matin, nous sûmes que nous avions un nouveau maire. Il s’agissait de Géronimo Castillo, un avocat qui n’exerça jamais son métier comme beaucoup d’autres de sa trempe qui ne vivait que grâce à la sueur des travailleurs. Nous nous occuperons de lui dans un chapitre à part. Lorsqu’il mourut, la colonie d’Alhama en Sagunto fit une fête dans tout le quartier, car tous avaient, soit un bras en moins perdu à la guerre, soit le souvenir d’un séjour en prison, soit, comme c’était notre cas, étaient restés orphelins. La plaine de Séville Au début du mois de juin 1952, nous avons été deux groupes d’ouvriers à partir faucher à Osunas (une ville de la province de Séville). Nous étions neuf dans notre groupe avec mon ami José Angelino. Il y avait aussi un responsable, un homme d’une cinquantaine d’années, qui s’appelait Rolan, un homme bon, les deux frères Cánovas des bas quartiers d’Alhama, dont un avait été fossoyeur, Vicente « pajarillo » et son fils, Daniel, le mari de ma cousine Dolores, un des fils de Neo, qui vivait dans le quartier du pont des « sept yeux », José Angelino et moi. Rolan avait fait la guerre, comme tous les ouvriers des deux groupes hormis les plus jeunes. Il souffrait énormément de l’estomac, en particulier avec le régime des travailleurs : des pommes de terres frites deux fois par jour, des pois chiche le soir, et surtout l’eau de la plaine, de mauvaise qualité. On pouvait le voir à chaque pose sortir sa petite boîte de bicarbonate de soude et en prendre un peu avec de l’eau. Nous sommes partis un matin très tôt, vers trois heures du matin. Un des frères Cánovas avait un âne, sur lequel nous avions chargé toutes nos affaires. Nous étions partis tôt car nous avions plus de trente kilomètre à parcourir jusqu’à Loja. Là-bas nous prendrions le train pour Séville qui passait à midi. Nous avions calculé qu’il nous faudrait six bonnes heures pour faire le chemin et comme au mois de juin le soleil se lève tôt, il était déjà haut dans le ciel quand nous sommes arrivés à Loja mais nous avions encore largement le temps d’attraper le train. Quand nous sommes arrivés à Osunas, dans la soirée, nous sommes allés à l’auberge relai, qui est l’endroit le plus approprié (et le plus économique) pour le repos des ouvriers. Dans notre milieu, nous ne connaissions pas les hôtels et auberges... Nous nous sommes installés dans la pozada comme nous avons pu. Les plus âgés ont commencé à aller chercher du travail de fauchage, ce qui était notre objectif, et les jeunes, nos sommes allés visiter la ville, qui nous semblait bien grande à côté de la notre. Nous avons vite remarqué que l’eau était mauvaise à côté de celle des sources de nos montagnes. Dès le lendemain, le responsables et les autres pères de famille, avaient trouvé une propriété à faucher et nous nous sommes mis en chemin l’après-midi, nous avions huit ou neuf kilomètres à faire pour arriver à la ferme. Nous sommes arrivés le soir et nous sommes installés dans la grange à paille, à côté de la porcherie. Il y avait là plus de cent jeunes cochons qu’on engraissait. L’odeur des porcs était insoutenable et nous empêchait de dormir. Le travail était payé à la tâche, une fois la surface fauchée on nous donnait le salaire convenu. Nous étions nourris d’un kilo de pain par jour et par personne, de pommes de terre et d’huile. Le matin nous faisions une gamelle de pommes de terre frites, le midi nous faisions frire les pommes de terre et le soir, à la ferme, nous mangions le traditionnel plat de pois chiches andalou : la olla. La cuisinière préparait les pois chiches à l’huile d’olive sur grande plaque de fonte, sous laquelle le feu brûlait tout l’après-midi, dans des casseroles individuelles pour chaque travailleur. Alors qu’il y avait à la ferme plus de 200 cochons, nous ne voyions pas le moindre bout de lard ni de boudin dans nos assiettes. Le régime était le même pour tous les : bergers, laboureurs, gardiens de chevaux et de taureaux, ainsi que les gardiens qui surveillaient les ouvriers, à cheval, et la cuisinière. A Alhama, c’était l’usage d’organiser des groupes de travail qui descendaient dans les plaines aux mois de mai et juin. Autour de Séville, le climat plus doux permettait que le fauchage se fasse plus tôt. Nous étions partis à deux groupes d’Alhama. Les responsables s’étaient mis d’accord pour que le premier groupe à avoir terminé le travail, vienne en renfort au second pour que tout le monde puisse être rentré au village pour les fêtes de la Saint Jean car c’est là que se faisaient les embauches. Si par malheur on ne trouvait pas de travail à la Saint Jean, on restait désœuvré tout l’été, alors que ces deux mois étaient indispensables aux travailleurs pour faire quelques économies ou tout du moins leur permettre de rembourser les dettes que tout le monde avait. Ce voyage a été une expérience intéressante, mais aussi une grande désillusion. Nous étions partis en deux groupes d’Alhama : tous des enfants du village, qui se connaissaient bien, tous des travailleurs exploités, mais l’esprit de parti nous a fait penser que nous étions différents les uns des autres. Comme dit le refrain biblique : « Divise pour mieux régner ». Avec le temps, j’ai compris que le travailleur qui se fie aux partis n’a rien à gagner, et beaucoup à perdre ; c’est d’union dont on a besoin, pas de partis ! De ce premier et dernier voyage pour faucher à la plaine, j’ai aussi gardé de bons souvenirs avec mon ami Jose Angelino et le fils de Pajarillo. Nous avons découvert les villes d’Osuna, de Bobadilla (où se croisent à midi plusieurs trains qui viennent de Malaga, de Cordoue, de Séville et de Grenade), de Loja où au retour d’Osuna j’ai acheté une paire de chaussures à la manufacture pour ma sœur - et peut-être quelques babioles, mais je n’en suis pas sûr, la paye n’étant pas mirobolante. D’après les ouvriers, le propriétaire de la ferme d’Osuna, où nous avons travaillé, possédait rien moins que neuf fermes. Le gardien de chevaux nous a raconté que ce pauvre maître avait beaucoup de peine de ne pouvoir léguer une ferme à chacun de ses héritiers, en effet sa petite famille comptait dix enfants ! (sans commentaire) Pendant ce temps-là, nous, les ouvriers, nous n’étions nourris que de patates, d’huile, de pois chiches et de pain, sans jamais voir un bout de lard ni rien qui vienne des élevages. Tout cela leur était réservé, à eux, les privilégiés de Dieu – si c’est bien ce que disaient les curés, que Dieu reconnaîtrait les siens... En réalité, et ça personne ne pourra me le faire oublier, à cette époque-là, une moitié de l’Espagne continuait à maltraiter, fusiller, enjôler et laisser mourir de faim l’autre moitié. Et à ces bourreaux, le Pape, toute la hiérarchie religieuse, jusqu’aux curés des plus petits hameaux, ont donné carte blanche ! Plus tard, on a vu débarquer les prêtres ouvriers qui ont tant fait parler d’eux. Mais moi qui ai vu tant de tromperie et d’hypocrisie dans mes jeunes années, on ne me convaincra pas : comment pourrait-on faire un bon ouvrier d’un mauvais curé ? Impossible. Une fois notre travail terminé, nous sommes retournés à Osunas et nous sommes installés à l’auberge. Les responsables se sont chargé de faire les comptes et de donner à chacun son salaire. Nous sommes restés un jour ou deux et nous, les jeunes, en avons profité pour visiter la ville. C’était un gros village où l’on trouvait, comme chez nous, des bourgeois – parasites, et beaucoup de misère. Aux fontaines, on pouvait voir les femmes, avec leurs jarres, attendant leur tour pour les remplir, puis rapporter l’eau, une jarre sur la hanche, un seau plein dans l’autre main. La plupart d’entre elles étaient des domestiques, bonnes à tout faire, esclaves de l’Espagne du pouvoir. Je ne saurais dire si l’eau manquait parfois, mais elle était particulièrement mauvaise ! Au passage à Osunas, certains d’entre nous en ont profité pour se payer quelques petits verres de vin, pour alléger leur esprit et oublier leurs peines, qui soit dit en passant n’étaient pas des moindres. C’est l’usage en Andalousie qu’à la fin d’une saison de travail les hommes s’offrent quelques verres ; ce sont surtout hommes mûrs, les pères de famille, les jeunes sont moins nombreux à boire. Comme je disais, mon ami José Angelino et moi visitions la ville. Nous ne sommes allés au café que pour y boire de l’eau gazeuse et étancher un peu notre soif car il faisait très chaud en cette fin juin. Nous ne buvions pas de vin. Je ne veux pas dire que nous étions des saints. Comme tous les jeunes nous avons fait des bêtises, puisque c’est à cet âge là que l’on est exposé à toutes sortes de tentations. Un proverbe dit que l’homme passe la première partie de sa vie à se détruire la santé et la seconde à tenter de la récupérer. Nous nous avions vite compris que l’alcool est surtout bon pour celui qui le vend. Un matin, nous avons pris le train qui venait de Séville vers Grenade. Nous avons passé le trajet à regarder les paysages des plaines (comme dit Machado, à regarder les arbres passer). De temps en temps, il fallait fermer les fenêtres pour éviter que la fumée de la locomotive ne rentre dans les voitures quand le train passait dans un tunnel. Enfin, le soir, nous sommes arrivés à Loja. Nous sommes allés à l’auberge Là nous avons fait quelques petits achats pour les familles et puis les responsables ont donné le signal du départ pour Alhama. Nous avons repris le chemin que nous avions pris à l’aller, mais cette fois, nous avons marché toute la nuit. Quand les petites étoiles autour de l’étoile du berger se sont mises à briller (les cabrillas – petites chèvres), on redescendait de la côte de Loja sur Alhama. Je suis allé directement à la grotte de la Peña, où nous vivions depuis la fin de la guerre et comme il était très tôt, la seule qui était levée était ma mère. Ma sœur a été ravie de me revoir, surtout que je lui avais acheté des chaussures ! C’était le seul achat que j’avais fait, le reste de mon salaire, même si ce n’était pas énorme, je l’avais rapporté pour ma mère (qui soit dit en passant l’attendait « comme l’eau au mois de mai »). Je ne me rappelle plus si j’ai gardé quelques sous pour moi, mais je n’en avais pas besoin, ayant échappé aux diverses tentations de la jeunesse. Sur la droite, derrière le chien, la grotte de la Peña ou nous avons vécu, ma mère, mon frère, ma sœur et moi. Tandis que j’écris ces lignes, depuis un coin du sud de la France, j’ai une famille de trois filles et quatre petits enfants très unie. J’en suis très fier, et l’appelle ma famille Idéale. Mes filles ne fument ni ne boivent, leurs enfants non plus et même pas leurs « copines ». Il est vrai qu’ils ont été habitués à nous voir vivre une vie saine, et cela leur aura sûrement servi d’exemple. C’est pour eux que j’écris ces mémoires, pour eux qui, par hasard, sont tous nés en France. Je veux leur raconter l’histoire de leurs parents et grands parents, leur parler de notre culture, et qu’ils connaissent à la fois leur racines et les raisons pour lesquelles nous avons quitté l’Espagne. La Peña Ces moulins de farine qui marchaient au moyen de la force de l’eau de la rivière Alhama sont les moulins en question. L’un d’eux que nous marquons avec un (M) fut collectivisé su 19 juillet 1936 au 22 janvier 1937 Arcs et une réception au gouverneur civil, année 1950 Ce qui reste du théâtre Cervantes (T) après l’incendie qui l’a détruit en janvier 1937, près de la «Pila de la Carrera», à la fin des années 1940 sur la promenade (Paseo). L’auberge de Tarata Nous sommes rentrés à Alhama la veille des fêtes de la Saint Jean. J’ai alors reçu une proposition pour travailler deux mois sur une aire de battage. C’était par le fiancé d’Angustias, la sœur d’Antonio Morillo, le cousin de mon oncle Juan. Une fois que les fagots de céréales avaient été liés dans les champs, il fallait aller les ramasser et les charger sur une charrette ou un animal pour les emporter sur l’aire. Là, une fois déliés les fagots étaient piétinés par les bêtes (des juments ou des mulets – les chevaux étant le plus souvent réservés comme monture aux bourgeois) qui tiraient un petit chariot aux roues cerclées de fer. C’était toujours un enfant qui conduisait le chariot et il devait chanter à tuetête pour encourager les bêtes. Pour séparer le grain de la paille, on utilisait le vent d’ouest, l’après-midi, qui était à la fois le plus frais et le plus régulier. On jetait la paille en l’air à l’aide d’une fourche aux dents de bois, le grain retombait à la verticale et la paille plus loin. Ensuite, avec un balai de joncs, on enlevait les morceaux de paille les plus gros qui restaient mélangés aux grains. Nous finissions par transporter la paille et les grains jusqu’aux greniers. Dans la région, on trouvait du blé, de l’orge, des pois chiches, des lentilles, etc. Quelques années plus tôt, sur une aire de battage, j’ai vu un homme, qui avait perdu un bras en combattant, balayer les grains avec le bras qui lui restait ! Pour survivre, il faisait un travail d’habitude réservé aux enfants, il gardait les cochons. Et comme il les faisait manger dans les champs après le fauchage, il travaillait gratuitement sur l’aire de battage en contrepartie. A cette époque, à Alhama de Granada, la population était 100% liée à l’agriculture (je ne sais si c’est toujours le cas aujourd’hui). Il y avait également quelques artisans dont le travail était en relation avec l’agriculture et l’élevage, comme le forgeron et le maréchal ferrant, ainsi que des barbiers, des charpentiers, des rétameur, des potiers, qui faisaient toutes sortes de pots, jarres et des tuiles, des tailleurs... L’exploitation où je suis allé travailler était une ancienne auberge et en avait gardé le nom, mais chacune des deux familles qui y vivaient lui donnait un nom différent : l’auberge de Tarata ou l’auberge du coq (del gallito). Je ne connaissais pas la famille qui m’a embauché, mais c’étaient des gens très correct. Les parents, déjà âgés, étaient droits et de bon cœur, leurs enfants également. La famille de Tarata comprenait quatre garçons et une fille, Emilio, Antonio, Paco et les autres dont j’ai oublié le nom. Ce que je peux en dire c’est qu’ils se sont toujours très bien comportés avec moi. Si je l’écris ici, c’est que ce n’était pas très courant de la part des patrons et de leur famille ! La Demoiselle avait déjà un fiancé qui était un parent éloigné du côté de ma mère, Pepe Ortiz. Son père commandait un groupe de cinq gardes civils, on le surnommait le « civil escamao » (le garde méfiant). J’avais connu Pepe à la ferme de Potrilla où il venait voir sa sœur Luisa qui était mariée à un fils de Pepico Casasola, Antonio. Il était un peu plus âgé que moi, et plus grand, mais quand nous rapportions les jarres pleines d’eau à Luisa, il se plaignait toujours de l’effort que cela lui demandait, alors que je serrai les dents en silence. Sa sœur le houspillait en me donnant en exemple. Il faut dire que, fils de garde civil, il n’avait pas l’habitude de travailler dur ! Nous étions deux garçons du même âge (et du même prénom !) à être employés chez Tarata pour l’aire de battage et les mules. Cet autre Juan, fils des « Oregillas », était très grand et voûté. Il connaissait mieux les travaux de l’aire de battage que moi, pour l’avoir déjà fait auparavant, mais je m’en suis bien tiré, surtout que je savais aussi faucher en cas de besoin. Pendant les grosses chaleurs de l’été, il est agréable de dormir à la belle étoile. Les faucheurs installaient un petit muret rectangulaire de gerbes de blé, et comme matelas, ils en déliaient quelques unes qu’ils étendaient par terre. Les employés de l’aire de battage dormaient directement sur l’aire, dans la paille écrasée. Tout le monde dormait avec plaisir en plein air, et pour le froid du petit matin, chacun se protégeait avec sa couverture. Quant à moi, étant donnée ma situation économique particulièrement difficile, je n’avais qu’une vieille couverture, pleine d’accrocs, qui semblait avoir été attaquée par les corbeaux ! Quand l’aube arrivait, et qu’il fallait que je me couvre avec la dite couverture, je grelottait de froid et la bronchite asthmatique me faisait siffler à chaque respiration. A chaque fois que je le pouvais, j’allais dormir dans le fenil, il y faisait plus chaud et moins humide. Mais quand il fallait monter la garde sur l’aire de battage, je m’arrangeais pour dormir un peu à l’écart, de façon à ce que l’on n’entende pas mes sifflements. J’avais peur de perdre mon travail si on me découvrait malade. Je n’étais pas seul en jeu, je gagnais l’argent pour toute la famille puisque depuis que nous étions orphelins de père, c’était moi le chef de famille. Le travail le plus dur, pour moi, a été de rentrer la paille dans les greniers à cause de la poussière qu’elle dégageait. Mais je n’avais pas le choix. Un jour, alors que nous étions en train d’engranger la paille, ma fameuse couverture a été découverte – elle n’en n’avait plus que le nom ! J’avais l’habitude de la cacher dans un coin du fenil chaque matin en me levant de peur que quelqu’un ne la trouve. J’avais honte. C’est malheureusement un des fils du propriétaire qui l’a trouvée, c’était un grand blagueur. Quand il a fallu que j’avoue que c’était ma couverture, il s’est écrié : « Ah, je comprends mieux pourquoi Juan va se cacher toutes les nuits dans le fenil ! » C’était une boutade, mais je ne pouvais pas en rire, j’étais blessé. Je me demandais pourquoi je ne pouvais pas avoir au moins une couverture correcte comme les autres ouvriers. Parmi les familles touchées par la guerre qui a fait tant de veuves et d’orphelins, notre situation était particulièrement critique. Après la mort de mon père je me retrouvais responsable de nourrir, avec ma mère, mon jeune frère handicapé et ma petite sœur qui n’était pas en âge de travailler. Nous gagnions uniquement de quoi survivre, il était impossible de dégager de quoi acheter une nouvelle couverture. Quelques jours avant la fin du contrat, je suis tombé malade. Un soir en allant me coucher, une douleur au côté droit du ventre s’est déclarée et ne m’a pas quitté de la nuit. Au petit matin, je suis allé voir le maître, qui m’a proposé de me payer ce qu’il me devait afin que je puisse rentrer au village me soigner. Au moment de partir, Tarata m’a dit : « J’espère que ce n’est pas grave, que tu n’auras pas besoin de gâcher chez les médecins cet argent qui t’a couté tant de sueur et de douleur. » Je rappelle qu’à cette époque, les travailleurs n’avaient pas de sécurité sociale. La mairie donnait aux plus pauvres une carte qui permettait d’aller chez le médecin sans payer, mais il fallait quand même payer les médicaments ! Nous avions eu cette carte, mais un jour, sans raison, on nous l’a retirée. Heureusement, ma mère avait une cousine dont les enfants avaient le même âge que nous, deux garçons et une fille. Ainsi, nous avons pu consulter le médecin qui a fermé les yeux sur la supercherie. J’ai fait la route petit à petit, comme j’ai pu et j’ai fini par arriver à Alhama. Je suis allé à la pharmacie de Francisco Muñoz, où travaillait ma mère. Elle m’a accompagné chez le docteur Don Federico qui m’a reconnu et m’a dit que je n’avais rien de grave puisque la douleur était déjà passée. Effectivement, j’avais très mal en partant de l’auberge de Tarata mais une fois arrivé à Alhama, quelques huit ou dix kilomètres plus tard la douleur était calmée. Je me rappelle aussi de ce que j’avais gagné : 20 pesetas par jour (ce qui fait à peu près 1 200 pesetas en tout), j’étais nourri et on me donnait aussi 45 kg de blé (une « fanega »), que j’ai vendue à un négociant de céréales pour 30 duros, c’est à dire 150 pesetas que j’ai utilisées pour me payer une partie du billet de train pour Valence. J’ai de bons souvenirs des moments passés à l’auberge de Tarata, et en particulier de l’amitié que j’avais pour une fillette des bas quartiers d’Alhama. Je ne me souviens pas de son prénom ni du nom de sa famille, mais je me rappelle que ses parents vendaient des churros en face de l’Église du Carmen, contre le mur du château. Nous avons passé l’été ensemble, Juan Orejillas, cette fille et moi. Nous étions pauvres, vaincus, et nous servions de domestiques aux vainqueurs ! J’ai revu la fillette à la foire de septembre. Nous avons fait du manège à balançoire et avons probablement mangé des churros de ses parents. Plus tard, j’ai levé les voiles vers l’inconnu et elle a sûrement fait la même chose, puisque comme la plupart des habitants d’Alhama, il nous a fallu partir pour échapper à la misère ! Note : L’ouvrier agricole travaille toute l’année pour des propriétaires. Pour chaque travail, le salaire varie selon l’offre et la demande, mais le plus important est celui de l’été, des récoltes. C’est à cette période que les ouvriers obtiennent un contrat – verbal – de deux mois ! Cette période est alors appelée les « deux mois d’août » ! Canto Alicante (poème) p. 4 Un canto a Alhama (poème) p. 6 Histoire d’Espagne p. 8 La révolution à Alhama de Grenade p. 20 L’année de la fuite p. 38 Retour à la Peña p. 60 La résistance et les guérillas p. 71 La plaine de Séville p. 126 L’auberge de Tarata p. 135 Aristocratie et lr prêtre bénissant la première pierre du futur Marché Municipal (ancien théâtre Cervantès) Pose de la première pierre du Marché Municipal, années 1950 LA FINALITÉ ANARCHISTE Amoureux de l’homme intégral, c’est à dire de l’homme ouvrier, Floréal voulait que ses enfants soient à la fois poètes, savants et producteurs. Il commença par entourer Sol, Vida, Placer et Amor d’autant d’éléments poétiques, scientifiques et manuels que lui permettaient ses moyens économiques. Bien qu’ils ne soient pas extraordinaires, ils suffisaient amplement pour faciliter l’épanouissement naturel de ces enfants de l’amour. « Mes chers enfants, je veux que vous soyez bons, savants et forts. Je me charge de votre éducation physique et morale. Pour les sciences, vous aurez les professeurs les plus réputés de Paris. Mais, cependant, n’ayez pas en la science une confiance aveugle, croyez surtout en la vie. Prenez la science non comme une fin mais comme un moyen pour extirper de l’esprit d’autrui toutes les préoccupations qu’il y a en lui, et pour éviter que se forment dans le votre les idées, les religions entre autres, qui sont à l’origine du malheur des hommes. Ayez confiance en la force, car la raison est également force : la force en vous même pour lutter et résister, la force en vous même pour vaincre avec les poings et avec la certitude que l’amour est également force. Enfin, tout sur la terrese réduit à un problème physiologique parce que tout problème provient de notre être. Nous pensons à partir des choses et nous voyons les choses selon la matière qui forme notre esprit. La conception du monde est le reflet de notre constitution cellulaire. Ainsi sont le monde, les personnes, la vie, les choses selon notre esprit. Tout dépend de la force physiologique. Et je le répète, soyez forts et je tiens compte de la manière grâce à laquelle vous en deviendrez. La végétation est créatrice de l’oxygène, l’oxygène est à la base de la vie. Il est donc nécessaire de protéger l’arbre comme s’il s’agissait de vos poumons, de cultiver la terre car cela affermit les muscles et appelle les bienfaits de l’atmoshère. Un arbre dans la rue, le long de la promenade dans les champs est un ami pour chacun de vous, un ami qui ne trompe pas, un ami qui vous enverra la santé et le bonheur permanent. Voici vos terres, là est le paradis. Cultivez le tous ensemble, comme de bons communistes ou bien séparés comme de bons individualistes, cela m’est égal. Ce que je veux, c’est que chacun fasse sur cette terre ce qu’il désire dans le respect de soi et des autres. Plantez des fleurs, plantez des arbres, aménagez le jardin en potager ou le potager en jardin, cela m’est égal car je veux que vous soyez maitre de vous-même. Je ferai ce que j’ai toujours fait : accomplir aussi bien l’utile que le poétique, travailler consciencieusement quelle que soit la besogne, travailler aujourd’hui avec les bras et les jambes et demain avec l’esprit. Je creuserai un trou et j’écrirai une pensée. Je planterai un champ de pommes de terre et j’écrirai cette oeuvre d’art. Le résultat sera la preuve de l’équilibre entre mon corps et mon esprit : l’harmonie pour moi et en moi. Voilà ce que j’ai toujours fait. Ainsi, en travaillant la terre, vous enrichirez votre corps de vie, car plus de végétation rendra l’atmosphère plus pure, l’atmosphère étant plus pure, les poumons absorberont plus d’oxygène car les poumons absorbant plus d’oxygène, le sang n’en sera que plus pur et les substances vitales nécessaires aux cellules, que plus nutritives. Ainsi, votre existence sera plus longue, votre amour plus puissant, vos actes plus rapides et votre esprit plus gai et le monde plus beau. Vous serez la masse qui s’écrase sur toutes les injustices et les actions indignes. Vous serez le juge sage et énergique qui combattra l’ennemi de l’homme autant de fois que son bonheur sera menacé ». De la novela «SEMBRANDO FLORES» de Federico URALES (1906) Padre de la FédericaMONTSENY, escrito para la «ESCUELA MODERNA» de FRANCISCOFERRER GUARDIA (nacido en ALLELA - CATALUNYA). Paella de l’association Franco-Espagnole le 27 mars 2011 « ZAPATERO, ¿ QUÉ DIRÁ TU ABUELO ? » (ZAPATERO, que dirait ton grand-père ?) C’est ce slogan qu’au mois de juillet 2010 des manifestants scandaient à Madrid devant la prison Carabanchel, vouée à la démolition. Carabanchel, symbole de la répression franquiste où tant de militants ou simples citoyens furent torturés et assassinés. C’est ce lieu historique de la barbarie franquiste durant 40 ans que les autorités sont en train de détruire. Comme si le moindre espace où la mémoire pouait encore s’incarner était de trop dans l’Espagne de ce débur XXI° siècle. Il est permis de s’interroger. Raser la prison de Carabanchel relève-t-il de banales considérations esthétiques ? Ou bien - plus politique - de la volonté toute oecuménique de forcer une réconciliation entre victimes et bourreaux que pourraient symboliser les gravats de cette prison rasée. Comme s’il suffisait de faire disparaître la preuve pour que le crime s’évapore et le cadavre reprenne vie. Nous craignons fort qu’il s’agisse de la part du gouvernement espaagnol de bien plus que cela. Certains de ceux qui ont officié dans ce bagne à la gloire du franquisme sont toujours là, bien au chaud au coeur des institutions «démocratiques». Des ibnstitutions judiciaires qui sévissent encore aujourd’hui ont condamné et envoyé à la mort - dans l’enceinte même de la prison - des milliers de républicains anti-fascistes. Et paraît-il que les bourreaux d’hier doivent être protégés aujourd’hui. Alors, on détruit Carabanchel au cas où les murs se mettent à témoigner. Les bourreaux ne peuvent être protégés, ils ne doivent pas l’être. La prison de Carabanchel n’aurait pas du être livrée aux promoteurs immobiliers, mais bien trouver sa place comme lieu de mémoire et de témoignage « Sí! desde luego ¿ qué dirá el abuelo de Zapatero ? » article tiré de la XCTDEE bulletin N°5 d’avril 2011 Une des plus belles vues d'Alhama, au début des années 1960 Le drapeau républicain Juan Gutierrez Arenas Signature numérique de Juan Gutierrez Arenas DN : cn=Juan Gutierrez Arenas, o, ou, email=juan.gutierrez1930@ora nge.fr, c=FR Date : 2012.08.06 07:21:03 +02'00' « La niña bonita » La jolie petite fille