HIJOS DE LUCAS Juan Gutierrez Arenas

Transcription

HIJOS DE LUCAS Juan Gutierrez Arenas
HIJOS DE LUCAS
La Revolución y las colectividades
en Alhama de Granada
Juan Gutierrez Arenas
HIJOS DE LUCAS
La Revolución y las colectividades
en Alhama de Granada
Juan Gutierrez Arenas
Textes choisis.
Édition Française. 2012
Copyright © Juan Gutiérrez 2012
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Dépôt légal : 2012
Canto Alicante sacado de nuestro trigal
Bella ciudad de Alicante
Vella ciudad de Alicante
Te recordalos con pena
y ese rincón de Levante
los tristes años de la guerra.
No tuvimos primavera
ya no canta el ruiseñor.
Tampoco trigo en las eras
la abeja no encuentra flor.
Otros pajaros venian
la maldita aviación
antes que apuntara el dia
matando a la población.
Alicante y su región
el puerto y sus palmeras
un magnifico rincón
de playas con finas arenas.
Fue una triste primavera
por aquello del azar
vivimos en sus palmeras
en granja cerca del mar.
Juan Gutierrez Arenas
Chemin d’Alhama, par les Côtes des moulins de Carmen
Las Tajos, vues depuis las Peñas,
années 1950
Haut canal d’irrigation, lieux de
rafraîchissants bains pour les uns
et de durs travaux de lavage
pour les Ahlamaniennes
Lieux où j’ai passé mon enfance et l’adolescence
Un Canto a Alhama
La Alhama de los Romances
Fue un 22 de enero (1937)
el año de la corria
Siempre lo recordaremos
el crudo frio que hacia
Cuando llegó la noticia
aquella fria mañana
de que las tropas fascistas
vienen a tomar Alhama.
Sin tiempo a reflexionar
todo un pueblo que corría
Carril y Puerta Graná
la Joya y el Tejar (barrios)
Auqnue hacia un crudo invierno
lloviendo a no poder más
el pueblo salió corriendo
buscando la libertad.
Del año de la corria
muy pocos vamos quedando
aunque algunos todavia
para poder recordarlo
Muchos años se han pasado
muchos desde aquel ayer
que nunca más he olvidado
lo llevo dentro mi ser.
Son recuerdos de la infancia
hoy ya en edad madura
siempre en mi mente perdura
en estas tierras de Francia
Juan Gutierrez Arenas
Histoire d’Espagne
Le 14 avril 1931 l’Espagne qui s’était couchée monarchiste
se levait « républicaine », nous vivions des jours d’espoir
et la majorité des espagnols accueillait la nouvelle république avec satisfaction. Cette nouvelle république faussement qualifiée « république des travailleurs » et proclamée
transitoire ne fut pas du goût des partis de droite, et de
l’Église, qui bientôt commencèrent à élever des obstacles.
Pour commencer, ils donnèrent à tous les métayers la
consigne de ne pas semer les terroirs, une manière de
faire mourir à petit feu les ouvriers étant donné que dans
Alhama, chef-lieu de la province de Grenade, 80% de
la population se composait de journaliers et d’ouvriers
agricoles, gens sans terre. On rapportait que lorsqu’un
père de famille se présentait à la maison d’un cacique
(propriétaire terrien) pour solliciter un travail - en ôtant
son chapeau pour saluer - et lorsqu’il implorait pour
être employé à n’importe quelle besogne car il avait de
nombreux enfants à nourrir, la réponse cinglait : « Que la
république te donne du travail ! ».
En réponse à ces nombreuses attaques de la Droite les
syndicats U.G.T et C.N.T. décidèrent de mettre fin aux
provocations et créèrent un système qu’ils baptisèrent los
topes (les butoirs) procédé consistant pour les ouvriers
agricoles à aller eux mêmes exploiter une parcelle. En
effet les ouvriers avaient, tout autant que les fermiers euxmêmes, une parfaite connaissance de la région.
Lorsqu’un lopin semé de blé, d’orge ou de n’importe quelle
autre céréale était à point d’être débarrassé de ses mauvaises
herbes, au sein du syndicat se tenait une discussion en
assemblée et une équipe de travailleurs, adaptée à la taille
du terrain, était mandatée avec un animateur qui endossait
la responsabilité. A la nuit, après une journée épuisante, il
se présentait à la maison du métayer pour que les journées
de chacun soient acquittées. Certains les payaient de bon
gré, d’autres en rechignant et quelques-uns, une minorité,
refusaient de régler la rétribution. Mon père fut amené à
s’impliquer, comme une fois où il démonta une pièce de
sa voiture (qui servait de taxi) pour que la garde civile ne
puisse pas l’emprunter et ainsi les empêcher d’ennuyer les
paysans lorsqu’ils étaient en train de désherber quelque
lopin de céréales sans l’autorisation du propriétaire.
Conséquence de ces « butoirs » survint une tragédie qui
coûta la vie à un fermier et valut de nombreuses années
de prison à celui qui le provoqua. Les faits se produisirent
de la manière suivante : un groupe de quelques journaliers
était allé travailler le champ de blé d’un fermier qui
résidait dans la rue el Siso (rue dans laquelle la majorité
des habitants étaient des fermiers). Celui qui était désigné
comme responsable du groupe était connu sous le surnom
de « la Nina » et lorsqu’il se présenta à la maison du
fermier celui-ci le reçut de fort mauvaise manière, payant
les journées de tous mais lui refusant la sienne. Il alla
jusqu’à le provoquer l’invitant à le retrouver dans les
champs proches du cimetière. C’est alors apparemment
que « la Nina » s’enragea, il le chercha, l’attendit près du
cimetière puis l’après midi, à son retour, il le suivit et là
il lui décocha les deux coups de son fusil à double canon.
L’un partit au cimetière, l’autre à la prison.
Il est douloureux que les faits que je rapporte se soient
produits avant la guerre, durant la République. Dans ces
années de la deuxième république se vivait un véritable
déchaînement. De 1934 à 1936 la droite avait gouverné le
pays dans la période connue sous le vocable bienio negro
(du 19 novembre 1933 au16 février 1936).
Le 16 février 1936 se déroulent les élections présidentielles.
Pour ces élections les différentes composantes de gauche
se présentent sous un front uni baptisé « front populaire ».
Les droites, elles aussi, se fédèrent. Il n’y a plus de moyen
terme : on ne peut voter qu’à gauche ou à droite. Dans la
province de Grenade les deux listes étaient les suivantes :
Gauche “Izquierdas” :
- PSOE : Fernando de los Rios, Urruti, Ramon Lamoneda
Fernandez, Antonio Martin Garcia, Francisco de Toro
Cuevas, Erneto Fernandez Jimenez, Francisco Menoyo
Banos
- Izquierda Republicana : Miguel Rodriguez Molina, José
Palancon Romero
- Union Republicana : Ricardo Corro Mocho, Emilio
Martinez Jerez.
Droite “Derechas”:
Ramon Ruiz Alonso, Julio Moreno Davila, Manuel Torres
Lopez, José Fernandez Arroyo, Francisco Herrera Oria,
- Tradicionalistas : José Maria Arauz de Robles
- Partido Agrario Español : Francisco Gonzalez
casrrascosa,
- Centro o Progresistas : Natalio Rivas Santiago, Gonzalo
Muñoz, Melchor Almagro Santamartin
La campagne électorale pour ces élections fut
particulièrement dure, avec de multiples accusations
de part et d’autre des parties en conflit. Je vous donne
en exemple certains des meetings advenus dans notre
province et je commence par ceux de l’Action Populaire et
des autres partis de droite :
Le 5 février 1936 diverses réunions se réalisèrent dans
notre région (information parue dans le journal de droite
IDEAL le 6 février) A Alhama ce jour là intervention de
Jeronimo Castillo, José Blanes, Angulo Montes, Torres
Lopez y Arau de Robles, les mêmes qui interviendront
dans une autre réunion à Santa Cruz del Comercio où était
aussi présent Antonio Gomez Dias.
Poursuivons le même jour, avec la même équipe à
Moraleda de Zarfayona où la présentation est assurée par
Antonio Gallardo.
Dans ce meeting, à Moraleda, une partie de la foule
réclamait les socialistes. Mais le 12 février, dans le journal
de gauche El defensor de Granada un article exposait
que la gauche ne pouvait rien faire tant que les caciques
dominaient la région !
Le 7 février à Chimeneas interviennent José Garcels, Jesus
Villalobos, Ramos Penalve, Fernandez Arroyo et Moreno
Davila.
De son côté le Front Populaire lance également une série
de meetings. Le 11 Février à Alhama une concentration de
républicains et d’ouvriers où se produirent Juan Miguel
Peres Larios, Garcia Santiago, José Villoslada Sabaté,
León Garré et Fernando de los Rios (El Defensor 12-21936).
Le dimanche 9 février à Chimeneas interviennent Francisco
Garcia, Eloisa Banites, Antonio Games, Teresa Gomez
Juares y Antonio Martin (El Defensor-11-2-36) ; le 12
février à Moraleda de Zarfayona : Eloisa Benites, Martinez
Bravo, Gerardo Atance1 y Antonio Martin, (El Defensor
14-2-36) ; le 14 février à Ventas de Zafarraya : Eloisa
Benites, Gerardo Atares et Antonio Martin. Ce même jour à
Escuzar : Martinez Bravo, Vargas y Antonio Martin.
Incidents préélectoraux
A Alhama les ouvriers sont fouillés et on les oblige à fermer
les locaux du syndicat à minuit (le Défenseur de Grenade du
14 février 1936). Dans ce même journal, en date du 5 février
1936, une chronique signée par Antonio Perez Jimenez
(« Camarades ! Prenez garde aux fraudes ! ») dénonce une
possibilité de fraude électorale. Cela se produit au vu de
l’information émise par la Droite dans une conférence à
Cacin où elle affirme «être parfaitement convaincue que le
succès des élections ne sera atteint que par le vote de toutes
les religieuses et de tous les hospices espagnols ».
Résultat des élections2
Sur l’ensemble de l’Espagne le Front Populaire emporta
les élections de 1936 de manière irrésistible. Quelques
jours après les élections, exactement le 10 mars 1936
1
Geraldo Atance qui intervient à Moraleda et Geraldo Atares
qui fait de même à Ventas de Zafarraya doivent être une seule et même
personne ; l’erreur provient du livre source de l’information dont la
provenance est le journal le Défenseur de Grenade.
2
La majeure partie de l’information provient du livre “Grenade 1936 Election aux Cortes” de Miguel Pertinez Dias édité par
l’Université de Grenade. Ce livre est disponible à la bibliothèque
d’Alhama.
éclata une grève générale en Espagne, quelques villages de
notre province s’illustrèrent par des incidents mineurs et
parmi eux Alhama.
Pourtant, voici les résultats des premières élections en
1936 pour la province de Grenade :
Derechas Acula 305
Alhama
777
Fornes
443
Jayena
632
Santa Cruz 241
Izquierdas
O
2220
5
13
222
Il ne faut pas s’étonner, au vu de ces résultats, de
l’information parue dans le défenseur de Grenade du 22
février 1936, affirmant qu’à Jayena il y avait eu une fraude
diabolique, à savoir un changement des votes, intervertis
entre Droite et Gauche. Selon ces premiers résultats, où
sont les électeurs de gauche de Acula, Fornes et Jayena ?
Il y eut des résultats de ce type dans toute la province de
Grenade où au total la Droite gagna avec 10 députés face
aux 3 députés du Front Populaire.
Le 31 mars 1936 les résultats des élections de la province
de Grenade furent annulés, de nouvelles consultations
furent organisées le 3 mai 1936 au terme desquelles le
Front Populaire gagna les 13 sièges en compétition : 10 de
la majorité et 3 de la minorité.
Peu de temps après, le 18 juillet 1936 se produisit le
soulèvement militaire point d’origine de la guerre civile
espagnole.
Hier, 1931, Accion Popular et Partis de Droite
Aujourd’hui, 2007, Partido Popular et extrême droite
Entre hier et aujourd’hui il y a une différence de rien
moins que 76 ans !
Les mêmes chiens, avec d’autres colliers !
Nous connaissons, sinon toute l’histoire de la deuxième
république, du moins une bonne partie. En effet pour son
avènement le 14 avril 1931 j’avais 1 an et 2 jours, ma
naissance ayant eu lieu le 12 avril 1930.
Les événements de ces années-là je les connais d’abord
par les nombreux récits que m’en fit ma mère et ensuite
parce que je les ai vécus et j’en ai souffert. Je me souviens
comme dans un rêve avoir vu la garde civile fouiller notre
maison de la Hoya (quartier d’Alhama) et des défilés de
Grenade en février 36 dont j’ai peu de souvenirs car je
n’avais alors que 6 ans.
Cette histoire que j’essaie de traiter ici - et qui reste à
écrire ! - je voudrais vraiment me tromper mais je suis sûr
que si nous retournions dans les années 36 ces nouveaux
groupes fascisants, incluant d’ailleurs l’Église, qui sont
bien vivaces et qui remuent encore la queue, referaient les
mêmes choses qu’ils ont fait en 1936 !
J’en souffre pour la jeunesse, bien que je sache, par
expérience que les gauches ne furent pas intègres en tout
(rappelons-nous les massacres de Casas Viejas).
Ne nous laissons pas gruger ! La Droite est là et si elle
« tient la queue de la poêle » elle ne la lachera pas ! (Les
espagnols disent : Adios Madrid, que te queda sin gente ! qu’il ne te reste plus personne !)
C’est pour la mettre en garde que j’alerte la jeunesse.
Dans ce passage de mes « Mémoires », que j’entends
recueillir avant tout pour ma famille, c’est tout à fait
par hasard que j’avais inclus ces quelques lignes
d’avertissement ; ce n’est qu’en réaction à tout ce que je
vois et entends à la télévision et dans les autres medias.
Lorsqu’éclata le soulèvement du 18 juillet 1936 (par ceuxlà mêmes qui essayaient par tous les moyens d’abattre
la 2ème république depuis sa proclamation) à Alhama
se créa un conseil ouvrier paysan présidé par mon père
Lucas Gutierrez Lopez. Toutes les terres abandonnées
par leurs propriétaires enfuis dans la zona reverde (zone
contrôlée par les militaires de Queipo de Llano) furent
automatiquement collectivisées et une coopérative fut
établie dans la maison d’un fils de propriétaires terriens,
Paco Belasco dans la rue San Merones, la deuxième
demeure à droite en montant.
C’est là que furent entreposés les produits agricoles tant
les céréales que les légumes : blé, orge, pois chiches,
lentilles, de même que l’huile les salaisons etc. Au
moyen d’un simple reçu, que le conseil paysan instaura,
les familles pouvaient retirer de la coopérative tout ce
qui était collectivisé. En outre tout ce qui se trouvait sur
les terres en jachère fut mis en commun, comme le fut
un moulin. D’autres terres continuèrent à être cultivées
par leurs propriétaires qui n’avaient pas désiré fuir. La
distribution était calculée en fonction de la composition
de chacune des familles. Les marchandises dont disposait
la coopérative d’Alhama n’échappèrent pourtant pas
à la « main dure staliniste » ainsi que cela se passa dans
d’autres parties de l’Espagne républicaine comme en
Aragon ou d’autres coins de la péninsule.
À Alhama un certain Montes qui se prétendait « ingénieur
agronome » et dont nous savons qu’il essaya par ailleurs
de faire la même chose à Iznayòr un autre village de la
province de Grenade, voulut démanteler les coopératives
que les travailleurs de la terre avaient bâties à force de
sacrifices et tenta de les livrer aux exploiteurs. Ce dénommé
Montes se présenta un jour à Alhama accompagné d’un
groupe de miliciens communistes armés jusqu’aux dents et
profitant de la réunion des membres du conseil à la mairie
les encercla dans l’intention de tous les fusiller (et ceci est
la pure vérité)! Mon père était à l’intérieur comme les autres
et s’ils sauvèrent leur peau ce fut grâce à des miliciens
de la FAI, cantonnés dans le château, qui empêchèrent le
massacre.
Alors que les armes manquaient au front pour défendre
la République, que le bataillon connu sous le nom de
« bataillon Grenade » qui s’organisait à Alhama était à
court d’armement quand fut prise Alhama le 22 janvier
1937, cependant les « traîtres communistes » étaient armés
jusqu’aux dents pour abattre la coopérative. Pourquoi ?
C’est un mystère.
Suite au départ précipité du 22 janvier 1937 les terres
restèrent semées et les patrons à leur retour n’eurent
plus qu’à s’occuper de désherber les blés dans l’attente
de récolter aux mois de juillet et d’août. Nous nous
demandons d’ailleurs s’ils furent désherbés car il ne restait
plus ici que les parasites et autres inutiles ceux qui savaient
seulement fréquenter les cercles et les clubs, en un mot les
exploiteurs ! Ceux-là se réjouirent quand nous sommes
revenus, vaincus, et ils savourèrent leur « revanche » :
envoyant les uns au cimetière les autres vers de longues
années de prison et comme ils ne pouvaient tous nous tuer,
si tu avais l’agrément d’un patron tu avais droit à la liberté
(attention liberté « surveillée »).
D’autres étaient exilés vers d’autres provinces loin de leurs
êtres chers car de toute façon les familles étaient éclatées
et pour certains des plus malheureux, comme ce fut notre
cas, ils nous arrachèrent notre père quand nous en avions
le plus besoin.
Quant à quelques uns, ils obtinrent l’agrément des patrons
qui rachetaient ainsi leur conscience, ce que l’on appelle
“mettre un cierge à Dieu et un autre au diable”.
Miliciens de la FAI, cantonnés dans le château (marqué par un C),
qui empêchèrent les miliciens communistes de fusiller l
es membres du conseil paysan ouvrier.
Banat 21 décembre 2006 : au moment où j’écris ces
lignes, soit dit en passant, 70 ans se sont écoulés, les
politiques espagnols (certains malfaisants et d’autres pires
encore) retardent le dossier des Républicains fusillés par
ce « salaud de Franco »! Les populares (néo-franquistes
du Partido Popular) prétextent ne pas vouloir rouvrir les
cicatrices !
Laissez-moi rappeler que parmi tous ceux du village de
Alhama qui furent assassinés contre le mur du cimetière
de Grenade figure mon père et que nos blessures à nous ne
se sont jamais fermées même après tout ce temps passé.
Et nous n’avons pas oublié nom plus les noms de ceux qui
directement ou indirectement ont commis ces atrocités.
Mais comment pourrions-nous oublier ? les Quinqueles,
les Benitos, les don Miguel Ramos, les Fernandez (rue
Guillen), Guarda l’indésirable garde civil Rivas, les
Salvador Peña (juge) les Cristobal Raya, les Cortatelas
etc. sans oublier les indicateurs comme ce fut le cas de
Duran, un crève la faim qui pour quatre sous se faisait un
plaisir d’aller bastonner les prisonniers.
Nous ne pûmes voir mon père que deux ou trois fois dans sa
cellule à Alhama où ils le gardaient après l’avoir transféré
de la centrale de Baza après un an de captivité. Quand ma
mère me conduisit à la prison située place des « détenus »
à Alhama je le trouvais méconnaissable, la figure très pale,
sans ceinture et ma tante Lourdes qui était aussi venue le
voir lui dit « Lucas demain je te porte une ceinture pour
que tes pantalons ne tombent pas! »ce à quoi mon père
répondit « ne me l’apportes pas car c’est interdit, ils me
l’enlèveront »
Ces maudits gardes civils sortaient fréquemment mon père
de la caserne pour le rouer de coups, régulièrement au
crépuscule. Ma mère lui portait une boisson chaude dans
un récipient en porcelaine lorsqu’il sortait de la caserne
mais mon père ne voulait rien prendre ; il semblait que
son corps était déjà enflammé par les coups de gourdin.
Pourquoi le martyrisaient-ils autant ? C’est vrai qu’il avait
été l’un des responsables de la coopérative agricole et bien
sûr ils le maltraitaient pour qu’il leur avoue les noms des
autres responsables. Et, quand les sbires et les assassins
se lassèrent de le torturer ils l’emmenèrent à Grenade et
là, d’après les informations que nous avons pu obtenir
plusieurs années plus tard, afin qu’il ne puisse s’en sortir,
ils ne lui infligèrent pas moins que SEPT peines de mort !
Il est exact que mon père ne voulait rien prendre de ce
que lui portait ma mère mais il est vrai aussi que ceux
qui l’escortaient ne la laissaient pas s’approcher de tout
le trajet entre la caserne et la prison, environ 400 à 500
mètres.
Non ! ces fachos criminels ne laissaient pas s’approcher
les épouses de leurs maris prisonniers bleuis de coups
de bâtons, les empêchant de donner une boisson chaude,
un bouillon ou autre chose dont soit dit en passant elles
avaient du se priver et l’obtenir au prix de sacrifices et de
travail. Cependant les curés ne disaient pas « cette bouche
est la mienne »! Ils se taisaient comme des putains de
lâches, et ce n’est que pure vérité.
Nous fils de fusillés attendons que l’on nous dise où ils ont
mis nos êtres chers. Jusqu’à quand devrons-nous attendre ?
La révolution à Alhama de Grenade
1 - Le soulèvement des militaires le 18 juillet 1936 et la
résistance d’ Alhama, avec tout ce qui arriva concernant
les coopératives, les milices fascistes, les bombardements,
jusqu’à la prise d’Alhama par les troupes de Queipo de
Llano les 22 et 23 janvier 1937.
2 - Deuxième étape, La Corria, ainsi que nous la nommions
et que nous tous la connurent, avec toutes les péripéties, les
souffrances, le froid, la neige, les chemins harassants, les
nuits difficiles, la peur d’être interceptés par les fascistes,
les bombardements, les bâtiments mitraillant la population
civile depuis les côtes, les pluies redoublées qui tombaient
sans cesser et les gens qui se noyaient dans les rivières en
crue. Jusqu’à l’arrivée à notre destination, où les habitants
nous accueillaient comme des réfugiés de la province de
Grenade connue sous le nom de Baza car là résidait le
gouvernement de la province.
3 - Troisième étape, le retour des vaincus dans leurs foyers
(aïe..). La résistance et le maquis, les mauvais traitements
par les phalangistes, la faim, les cantines de l’aide sociale,
les bastonnades dans les geôles par la garde civile et les
fachas (fascistes), le marché noir au dépens de la population
civile, les nouveaux riches etc.
Première étape
Aux premiers jours de la révolution surgirent à Alhama des
inconnus vêtus en miliciens et celui qui les commandait
revêtait un uniforme de capitaine républicain. Ils
emmenèrent par fourberie le dirigeant des jeunesses
socialistes. Il était connu sous le sobriquet de el hijo del
señorito (le fils – bâtard – du señorito) et il semble que son
nom était Rafael Cacero Arenas. La rumeur qui courrait
dans le village laissait entendre que ces individus suspects
devaient le conduire à Malaga. Pourquoi passèrent ils la
nuit à Zafarraya ? mystère !
Alhama se trouve à 70 km de Malaga et il apparaît qu’ils
passèrent la nuit à Ventas de Zafarraya qui se trouve à 10
km d’Alhama, au matin ils assassinèrent le jeune homme
dans son sommeil tandis que le chauffeur en entendant les
rafales s’enfuit par la fenêtre.
On ne sait qui était ce capitaine, ni comment cette guerre
pouvait être gagnée si les forces républicaines regorgeaient
de traîtres !
Comme tous ceux qui connurent l’intégralité de cette
guerre, mal baptisée « civile », nous savons aussi que les
bombardements des neuf pavas (bombardiers) républicains
qui ont touché Alhama étaient en réalité destinés au front de
Loja où se trouvaient les fascistes.
La Révolution prit le pouvoir à Alhama en quelques heures
car il n’y avait pas de troupe militaire dans la ville, seulement
un poste de garde civile peu important et une population de
10.000 âmes dont 80% d’ouvriers. Les quelques fascistes
qui ne purent ou ne voulurent pas fuir vers la zone Reverde
furent incarcérés par le peuple et parmi eux quelques curés
(soit dit en passant tout ce qui brille n’est pas d’or) l’un de
ces curés connu sous le sobriquet de el curilla (le petit curé)
portait sous sa soutane un pistolet en lieu de crucifix.
Le jour où le peuple s’étouffa de colère à l’annonce du
soulèvement déclenché par les rebelles, les travailleurs
mirent en place le communisme libertaire autogestionnaire.
Les ouvriers se partageaient entre la CNT apolitique et
l’UGT politique qui servait de courroie de transmission du
Parti Socialiste. Ils demeuraient cependant unis.
Ils créèrent tout de suite un conseil paysan, présidé par mon
père, et organisèrent la collectivisation des terres et d’un
moulin. Ils formèrent également un bataillon de miliciens
sous le nom de Bataillon Grenade. Son capitaine était le
cousin germain de mon père et s’appelait comme lui Lucas
Gutierrez Lopez les deux portant le surnom de Aperrutes
venant de celui de nos aïeux. Mon père était donc connu
sous le nom de « Lucas le chauffeur » dû au fait qu’il
possédait un camion puis plus tard une voiture de punto
(qui servait de taxi).
Le Bataillon Grenade était composé de 950 hommes, tous
d’Alhama et de quelques bourgades des environs comme
Jatar, Fornes, Arenas del Rey, Cacin, Santa Cruz del
Comercio etc.
Nous, les enfants, voyions le bataillon faire l’exercice
chaque matin sur le Paseo del Signe (au centre d’Alhama).
Ils étaient vêtus de la même façon que les paysans, en
pantalon de velours, car il n’avaient pas encore d’uniforme
et encore moins d’armement. Pendant que les miliciens
attendaient impatiemment cet armement pour défendre
la République, les communistes se présentaient armés
jusqu’aux dents pour détruire la coopérative collectivisée
d’Alhama. C’est pour cela que lorsque les forces de Queipo
de Llano prirent Alhama ils trouvèrent peu de résistance.
Ces troupes se composaient de mercenaires (maures), de
militaires, de miliciens phalangistes, de volontaires carlistes
et d’autres. Franco avait « promis » aux maures que s’ils
mouraient en Espagne, ils ressusciteraient en Afrique !
Certaines milices de la FAI et les jeunesses socialistes
étaient trè mal armées.
Je me souviens avoir été réveillé un matin très tôt par un
convoi de miliciens en provenance de Malaga et se rendant
à Grenade (la porte d’entrée de notre maison donnait sur
la route de Grenade). Je ne me rappelle pas exactement
de la date mais c’était en été et il faisait très beau, nous
étions dans les derniers jours de juillet ou les premiers jours
d’août 1936.
Depuis quelques semaines, en effet, mes parents avaient
déménagé dans une maison de riches bourgeois qui était
à l’abandon car leurs propriétaires fascistes, n’en pouvant
plus, s’étaient enfuis à Grenade qui était aux mains des
forces « rebelles ». C’est dans cette maison de la rue
Salmerones que le « conseil » d’Alhama avait implanté
la coopérative car, d’une part elle était vide et d’autre part
c’était, sinon la plus grande, du moins la mieux adaptée
à cette fonction. Ainsi pour que mon père, qui avait été
désigné pour la distribution des marchandises, soit le plus
disponible possible, on lui avait conseillé de s’y installer ;
car nous vivions dans le quartier de la Joya, assez éloigné
du centre du bourg, dans la maison de notre grand mère
maternelle (quant au grand père je n’ai pas eu l’occasion de
la connaître car il était décédé depuis longtemps).
Le quartier de la Joya avait été construit à la fin du 19ème
siècle au temps du roi Bourbon, Alphonse XII. A cette
époque en effet une grande partie du vieux village avait été
détruite par des tremblements de terre.
Il y eut des victimes et de nombreuses provinces espagnoles
aidèrent à construire un nouveau village dans les terres
basses du village d’Alhama connu sous le nom de « el
Hoyo » et de là provient la dénomination du quartier de la
Joya.
*Maisons du quartier ouvrier de la Joya.
Ce fut dans ce faubourg, dans la maison de ma grand-mère
Encarnacion, la Juanula, que nous naquîmes mes deux
frères et moi (de ce temps-là on ne parlait pas de maternités
et encore moins de sages-femmes).
Comme je l’ai dit plus haut, une file de camions chargés de
miliciens passèrent devant chez nous. Nous apprîmes après
leur passage qu’ils avaient quitté Malaga à l’aube et se
préparaient à s’emparer de Grenade. Je les revois, joyeux,
entonnant les chansons populaires de l’époque dont les
paroles étaient les suivantes :
C’est Malaga qui clame
Le cri de l’humanité
Nous lèverons nos armes
Pour la révolution sociale
Nous ne voulons pas la guerre
Nous luttons pour la paix
Tous ensemble chantons
La révolution sociale
Nous devons établir le communisme
Le communisme est notre salut
UHP, UHP* révolution
* Union Hermanos (frères) Prolétaires
Il est à noter que le communisme dont on parlait alors était
le communisme libertaire. Le communisme autoritaire
dont Franco tira tant de bénéfice vint après, il n’existait
pas au début de la révolution et ce furent les « stalinistes »
qui l’introduirent pour le plus grand malheur du peuple
espagnol. Aujourd’hui, où nous rassemblons nos souvenirs,
ici en France où nous résidons depuis tant d’années, ils ont
par bonheur disparu. Espérons qu’en Espagne la jeunesse
ne se laisse tromper par ces « Carillos » toujours vivants
et frétillants. (Santiago Carillo est un leader communiste
espagnol).
Je me souviens aussi de ces miliciens, foulard rouge et noir
noué autour du cou et casquette des mêmes couleurs. Je
ne sais combien de chansons ils connaissaient, en tout cas
il y en avait beaucoup. Les camions chargés de miliciens
formaient une colonne, je ne peux affirmer qu’il s’agissait
de la colonne de Maroto mais le fait est que cette colonne
s’activait dans ce secteur de la province de Grenade.
Le fait est que lorsque les derniers camions finirent de
passer on entendit d’énormes vrombissements comme lors
des orages qui génèrent des tonnerres excessifs. J’étais
en train de jouer dans la rue avec mon frère Francisco
moins âgé que moi et d’autres enfants et en entendant ces
vrombissements une voisine nous fit rentrer dans sa maison,
plus proche que la notre. Les bombes tombèrent entre les
cortijillos (quartier de fermettes) et le pont des baignades
(el puente des los baños) et on eut l’impression que le toit
de la maison dans laquelle notre voisine Juana Jaspes nous
avait mis à l’abri s’écroulait.
Après la fin des bombardements les voitures chargées de
blessés commencèrent à monter et les villageois furent
fortement bouleversés car c’était la première fois que des
bombes tombaient ici.
Bien sûr il n’y avait pas d’hôpital à Alhama, simplement
un dispensaire de sœurs (l’hôpital des la reina) où
pouvaient se donner les premiers soins, les cas les plus
graves devant être transférés à « Grana » (Grenade).
Quelques blessés, dont un certain Bocaladea, connurent
un destin tragique : au lieu d’être soignés à l’hôpital
San Juan de Dios où ils avaient été emmenés, ils furent
éliminés (Grenade étant aux mains des fascistes, les
médecins qui pouvaient encore exercer étaient complices).
On était au courant à Alhama de ces actes barbares et
inhumains et de beaucoup d’autres faits perpétrés par les
« fachos » dans les zones occupées, comme les viols de
jeunes filles par les maures qui ensuite les tondaient et les
égorgeaient car Franco leur avait donné carte blanche et ils
étaient tant fanatisés qu’ils en arrivaient à croire que s’il
leur arrivait de mourir en Espagne ils ressusciteraient au
Maroc.
Et de toutes ces barbaries les curés ne disaient absolument
rien. Comment connaissait-on tout cela à Alhama ? Et bien
par l’entremise des nombreuses personnes qui arrivaient
chaque jour fuyant la « terre brûlée ». Alhama fut un lieu
stratégique qui concentra une forte puissance et si Queipo
de Llano fit tout ce qui était possible pour la prendre au
plus tôt c’est que les fascistes s’inquiétaient de la sécurité
incertaine de Grenade aussi longtemps qu’Alhama restait
au pouvoir des Républicains.
Alhama accueillit de nombreux Républicains échappés des
griffes fascistes, quantité de population civile s’y réfugia
dont des familles entières.
Et le conseil paysan les installa là où il pouvait, chez nous
mes parents reçurent une très jeune fille de Cijuela qui
deviendra plus tard notre tante. Cela mérite un aparté, mais
nous aurons l’occasion d’en reparler.
Lorsque l’on sut que les forces de Queipo de Llano
s’approchaient pour envahir Alhama il ne resta plus un
chat dans les quartiers ouvriers. Le faubourg de la Joya
se vida comme les rues Bajas, el Tejar, el Carril, la porte
de Granada, les Cacillas, le Portillo, la Callecilla et bien
d’autres.
Les quelques caciques qui restaient à Alhama demeurèrent
sur place, mais la majorité de la population s’enfuit dès
qu’éclata le mouvement. Il faut quand même le dire, il resta
aussi les personnes âgées et isolées comme ce fut le cas de
mon grand père maternel qui, à cause de son âge avancé
et la constitution de sa famille (trois gamines et un jeune
homme) déclara « passe ce qui doit se passer ! » et il resta.
Restèrent également ce type de personnes qui profitent de
toute occasion pour prospérer (à contre courant ...). Nous
pourrions les appeler les « Sanchos Panzas » ceux, peu
nombreux, qui devinrent ensuite des « nouveaux riches »
(car à tout mal succède un bien). Parmi ceux là était Lucas
Perrute qui vivait à Santa Cruz del Comercio qui tenait une
auberge dans un lieu-dit Los Claveles.
Nous savions que cela n’allait pas trop bien pour lui, car il
était de la famille de mon père (à Alhama tous les Perrutes
étaient alors parents).
A notre retour de la zone républicaine ce bon monsieur
n’était plus à Los Claveles à Santa Cruz, il s’était installé
rien moins qu’en plein centre du village sur la placette où
il tenait une taverne. Comment s’était il débrouillé ? Ce
qui est sûr c’est que le bonhomme resta avec les Nationaux
(c’est à dire les fachos) et que cela marchait bien pour lui :
il s’acheta rapidement un camion, puis une ferme et plus
tard ses enfants se promenaient en voitures particulières et
avaient des ouvriers pour exploiter leurs terres.
Voilà pourquoi cette « maudite guerre » fut déclenchée, pour
que certains tombent dans la misère pendant que d’autres
s’enrichissent.
Quand le premier bombardement se produisit au pont des
baignades cela entraîna, comme c’est naturel lors de tels
événements, une terrible panique particulièrement au sein
de la population civile. Quand le bombardement survint
la première chose que fit le responsable de la prison fut
d’ouvrir les portes qui retenaient quelques caciques et un
curé.
En apprenant la nouvelle tous les villageois réagirent et
partirent à leur recherche ; certains se cachèrent dans la rue
Llana, chez des riches bien sûr, et d’autres partirent dans la
campagne, dans les Encerraderos.
Cela se passa comme à Fuenteovejuna , dans l’oeuvre de
Lope de Vega (où c’est tout le village qui est responsable
du meurtre du commandant). Tout le village était parti dans
les champs à la recherche des prisonniers échappés. Il y
eut quelques blessés et le curé fut tué. Pour ce qui est des
paysans ils étaient désarmés, quelques uns avaient un vieux
fusil à un coup et la majorité n’avait que des bâtons ou ce
qui leur était tombé sous la main.
Quelque temps après, à une date que je ne peux pas
préciser, Alhama fut à nouveau bombardée et, chose
curieuse, c’est cette fois l’aviation républicaine qui vint
nous jeter quelques bombes. Je me souviens que ce fut en
fin d’après-midi vers quatre ou cinq heures et il y eut neuf
bombardiers.
Mes parents avaient alors déménagé à la rue Salmerones,
au centre du village, et j’étais en train de jouer sur la place
du Carmen près de l’église éponyme avec mes cousins
germains issus de ma tante Sanpedro qui demeuraient là,
et au bruit des avions leur mère vint nous chercher et nous
nous réfugiâmes dans une pièce souterraine dont cette
maison dispose sous la roche jusqu’à la fin de l’alerte. Cette
escadrille de neuf bombardiers était commandée par un
traître. Son l’objectif était le front de Loja qui était tombé
aux mains de Queipo de llano mais le chef ordonna de
lancer les bombes sur Alhama. Ils bombardèrent en un lieu
dénommé El Cerro Padre Cura assez éloigné du village, ce
qui implique qu’il n’y eut aucune victime à déplorer.
Les aviateurs durent comprendre la traîtrise, car ils lachèrent
leurs bombes sur ces collines.
Je continuais à vivre, avec mes parents bien sûr dans la rue
Salmeneros dans la maison abandonné par son occupant
qui avait fuit Grenade comme beaucoup. Ah qui nous aurait
dit que nous allions payer aussi cher les idées libérales de
mon père ? Car non seulement il le paya de sa vie, ce qui
n’est pas rien, mais ses fils allaient être persécutés par ces
caciques aux bras si longs qu’ils les poursuivirent et leur
firent tant de mal jusqu’à Valence des années plus tard.
Il est à noter que le déménagement ne nous profita pas,
mon frère Paco et moi, car nous perdîmes nos amis de la
Joya : les enfants du Borrucho, un autre comme moi se
prénommant Juan, les enfants d’Orejillas, Jose dont le père
était charbonnier, les autres enfants de Claudio, ceux de
la Bonita, Juanito, tous ces gosses qui habitions le même
quartier de la Joya dans les maisons d’en haut et d’en bas.
Quant à notre nouveau domicile au centre du village où
vivaient les plus fortunés, comme tous s’en étaient allés
sauf ceux qui étaient en prison, il n’y avait pas trace
d’enfants. Nous passions donc notre temps dans cette
grande maison, dans les étages supérieurs car le bas était
utilisé pour entreposer les marchandises, céréales de toutes
sortes, huile d’olive, salaisons etc. et comme mon père
servait de gardien jour et nuit on ne nous laissait pas sortir.
La seule chose qui nous était autorisée était de nous mettre
au balcon et d’observer ce qui se passait chaque matin.
Sur la promenade nous voyions les hommes faire leur
instruction militaire sans l’uniforme de milicien mais avec
leur habit paysan et à cette époque ceux qui travaillaient
au champ portaient le pantalon classique de toile. Nous
regardions depuis le balcon tout ce qui se passait.
A peu de distance se trouvait le château, une construction
arabe, où s’était installé un bataillon de la FAI et grâce à ces
miliciens, les membres du conseil, dont mon père, sauvèrent
leur peau lorsqu’un groupe de communistes stalinistes
tenta d’éliminer la collectivité. Cela se passa ainsi : un jour
mettant à profit la réunion des 18 à 20 membres du conseil
paysan à la mairie, une milice communiste venant de Malaga
entoura l’hôtel de ville dans le projet de tous les éliminer.
A l’heure du déjeuner habituellement vers les deux heures
deux heures et demie, ma mère commença à s’inquiéter et
mon père revint finalement à la maison au coucher du soleil
quand tout fut terminé grâce à l’intervention des miliciens de
la FAI qui contrecarrèrent le projet des stalino communistes
de briser la coopérative durement mise en place par le
peuple du village. Ces communistes commandés par un
certain Montes qui se faisait passer pour un membre de la
FAI tenta aussi d’utiliser la prison pour y incarcérer tous
ceux qui allaient à l’encontre des ses plans.
Preuve en est que parmi les rares embastillés se trouvait
un jeune frère de mon père, le plus jeune. Car les ordres
qu’ils tenaient de Malaga étaient de mettre en détention
tous ceux qui s’opposaient à la destruction des collectivités
aussi bien agricoles que minotières (car notre moulin était
le plus productif depuis la modification de la machinerie
par les ouvriers).
Mon oncle Paco (Francisco) fut écroué car il refusa de leur
donner des jambons de l’épicerie de ma grand-mère dont
il s’occupait. Comme je l’ai dit c’était le plus jeune de la
fratrie, il était célibataire et s’occupait de la boutique ne
s’engageant aucunement et il se peut que ce soit la raison
pour laquelle il ait sauvé sa peau car les deux aînés Pepe
(Jose) et Lucas mon père furent fusillés. Donc des trois fils
de ma grand-mère, les fachos en assassinèrent deux.
Cependant nous continuions à loger dans la maison
réquisitionnée et du haut des balcons nous observions les
nombreux événements qui se déroulaient jour après jour.
Par exemple il y avait à Alhama un canon de 15 et demi que
nous voyions passer tous les jours dans la rue du Sirso dans
la prolongation au dessous de la rue Salmerones tout à fait
devant notre porte. Il faisait le trajet quotidiennement vers
le milieu de la matinée. Cela nous amusait, nous les enfants,
et nous étions toujours sur le balcon pour ce rendez-vous.
Certains jours le canon n’était pas obturé et les gens disaient
alors que c’était un mauvais signe car cela signifiait qu’il y
avait quelque alerte et qu’il convenait d’être prêt.
Pour les enfants ce déménagement ne nous plaisait pas
trop, bien que la maison soit vaste nous n’avions pas de
camarades de jeu, toujours enfermés dans la maison comme
dans une prison alors qu’à la Joya nous allions dans la rue
jouer avec d’autres gosses. Et pour moi le pire fut d’aller
à l’école bien que j’étais déjà allé dans les petites classes
de la Joya, ce qui veut dire que nous ne pûmes plus revoir
nos copains de la Joya et ensuite quand nous dûmes fuir en
débandade tout finit en eau de boudin.
Laissez moi vous raconter l’histoire d’un curé issu du
village dont le nom était Juan Castillo. Et cela nécessite
une digression car comme je l’ai déjà expliqué quatre curés
furent tués à Alhama : comme l’on dit « à contre-courant
profit des pêcheurs ». Nous vîmes l’un d’eux passer devant
notre porte de la Joya cheminant vers le cimetière. Il faut
aussi savoir que l’un de ces curés connu sous le sobriquet
du « curilla » portait sous la soutane au lieu du crucifix un
pistolet 9mm long et, dans les années du Bieno Negro en
1933-34 quand les droitistes commandaient, il menaçait les
gens à sa guise.
Don Juan Castillo lui, prêtre natif d’Alhama était d’un
famille qui avait réussi, ses parents avaient une position
aisée et ils voulurent que leur fils devint curé car cependant
ils étaient ce que l’on peut définir comme des bons chrétiens
à l’ancienne. Il s’occupait de son église et rien de plus mais
si quelqu’un le sollicitait pour un service Don Juan Castillo
était présent. Pour preuve lorsque éclata la rébellion du
18 juillet 1936 il demeura comme n’importe quel citoyen.
Ce furent alors les responsables syndicaux et autres qui
lui conseillèrent de s’habiller en paysan avec le classique
pantalon de drap, et qu’il se retire au domaine de Cañon
propriété de sa famille et personne alors ne vint lui chercher
noise.
Mon oncle Manuel Espejo Lopez, Mamiso, cousin germain
de mon père qui par hasard s’occupa de la coopérative
du moulin à grain, me conta une anecdote. Cet oncle
Manolo comme nous l’appelions s’occupait d’échanger
les marchandises, dans ce cas la farine, avec la zone de
Malaga. Entre parenthèses cet homme intelligent et cultivé
vivait encore il y a quelques années dans la province de
Lerida et je lui dois beaucoup de ce que je connais car j’ai
eu l’occasion d’aller le voir depuis ici en Ariège.
Mon oncle donc doit la vie au patron des moulins qui en
outre était en ce temps-là chef de phalange. Celui-ci malgré
tout se porta garant pour lui comme il me le raconta plusieurs
fois et il eut vraiment chaud aux fesses.
C’est que dans ces moments, la vie des Républicains ne
tenait qu’au bon vouloir des fachos : ils pouvaient décider
de t’envoyer au cimetière ni plus ni moins, si par contre ils
te cautionnaient tu pouvais remercier Dieu et tu restais alors
le débiteur esclave de cette personne.
Ce fut le cas de mon père et l’un de ses amis Juan de Dios el
Espatarrao, mais nous en parlerons en temps voulu.
Revenons au prêtre Juan Castillo : il exerçait son sacerdoce
dans l’église du Carmen située entre les falaises et le
château. Le matin où l’on apprit la nouvelle du soulèvement
des militaires (un ministre républicain déclara à ce propos
« si les militaires se lèvent je vais me coucher ») Don Juan
Castillo se prépara comme tous les jours à célébrer les offices
religieux et, quand il arriva en bas de la rue Salmerones, un
peu avant d’arriver à l’église du Carmen, un de mes oncles
qui travaillait à l’expédition de farine lui demanda après
l’avoir salué : « mais Don Juan vous n’êtes pas informé de
la nouvelle de ce matin ? »
Sur sa réponse négative mon oncle l’invita à prendre un
coup de gnole dans une taverne proche dont le patron, Pana,
appartenait à la CNT.
Il l’avisèrent alors des événements et, comme je l’ai dit
auparavant, il partit à sa maison dans la campagne et il
n’arriva rien à cette personne qui bien que curé n’en était
pas moins un homme très aimé des ouvriers.
Alhama à la période républicaine (juillet 1936 à janvier
1937)
Dans notre région les formes externes de la REVOLUTION
SOCIALE coûtèrent fort cher autant pour ce qui concerne
les essais d’organisation collective de la production que
pour l’attaque de l’église jusqu’à l’instruction des bataillons
de miliciens symboles d’un nouveau mode d’appréhension
de l’armée.
Il convient cependant de ne pas omettre la présence de
volontaires anarchistes « malagueños » dans la zone et le
contact permanent avec l’avant-garde ennemie poussèrent
à l’extrême certaines conduites contre les personnes
considérées comme hostiles à la république.
Le comité révolutionnaire d’Alhama fut organisé entre
autres par les frères Andres et Antonio Pelaez Navarrete,
le dirigeant des Jeunesses Socialistes Rafael Cacero Arenas
et celui des Jeunesses Libertaires Juan Ramos Trescastro.
Parallèlement un conseil ouvrier paysan fonctionna sous la
direction de Francisco Peña Palacios de la UGT-CNT qui
mena à bien l’installation de travailleurs sur les terres de
propriétaires de droite enfuis ou emprisonnés, ainsi que la
saisie de récoltes avec l’assistance du comité de réquisition
présidé par un autre UGT-CNT Lucas Gutierrez Lopez.
De concert avec eux, le maire Juan Miguel Perez Larios,
élu député provincial du PSOE (Partido Socialista Obrero
Español) en 1936, s’acquitta de la tâche d’encadrement
du Bataillon Grenade dont il fut nommé Commissaire. Le
capitaine de ce Bataillon Grenade était Lucas Gutierrez
Lopez, cousin germain de mon père, qui vivait dans une
ferme plus bas dans la vallée près de Santa Cruz, et détail
supplémentaire durant la guerre sur le front de Jaen il fut
nommé Commandant.
A Alhama la persécution de l’église et l’anticléricalisme
iconoclaste fut incontestable. L’église paroissiale fut
utilisée comme abri, l’église du Carmen comme siège
de la Maison du Peuple et école laïque, le couvent de
Saint Jacques quant à lui fut incendié et les ermitages de
Remedios, Angustias et Virgen de la Peña servirent de
maisons d’habitation.
Dans la vaste zone du Sud et Sud-ouest de la province de
Grenade qui comprend les districts de Loja, Alhama et
Motril et qui demeura tout de suite en zone républicaine
grâce à la pénétration des milices de Malaga et Almeria,
Alhama se transforma dès la fin de 1936 en une base
d’opération de milices malagueñas (FAI) et quartier
général de miliciens socialistes Grenadins, en somme un
foyer de rayonnement révolutionnaire qui concernera toute
la région.
L’armée Républicaine dans la région
Après le repli des forces de Malaga, par suite du désastre
de l’offensive sur Grenade, le dispositif défensif des
Républicains était insuffisant et désordonné. Il comprenait
deux compagnies, dont une de miliciens, équipées de deux
mitrailleuses à Ventas de Zafarraya, deux cent miliciens à
cheval (la cavalerie d’Agron), deux cent combattants de la
FAI (Fédération Anarchiste Ibérique), un bataillon de 950
hommes en période d’instruction et sans armement.
L’année de la fuite
Je me rappelle, malgré les années, de ce 22 janvier 1937,
lorsque nous avons appris que les forces rebelles de
Queipo de Llano étaient prêtes à nous tomber dessus. Ils
arrivaient par deux côtés : la colonne du colonel Antonio
Muñoz par Escuzar, Ventas de Huelma et Cacin, et celle du
colonel Baturones par Loja et El Salar. Un vent de panique
prit toute la population. Les gens n’avaient pas le temps de
se retrourner et ils partirent avec le peu qu’ils avaient. La
seule issue, était pour nous de rejoindre Almeria. Près de
80% de la population d’Alhama s’enfuit ce jour-là.
Depuis le second bombardement sur le village, nous
vivions avec ma mère chez ses parents dans la maison
qu’ils avaient en fermage, la Peña, un peu à l’extérieur
du village, près de la rivière dans l’espoir de mieux se
protéger des bombardements. Nous sommes partis à treize
personnes, huit adultes et cinq enfants dont j’étais l’aîné du
haut de mes six ans et demi. Nous avons quitté la Peña vers
trois heures de l’après-midi. Notre groupe comprenait : mes
parents et leurs trois enfants, ma grand-mère paternelle,
mon oncle et ma tante paternels, le mari de ma tante et leurs
deux enfants, le cousin de mon père, Manolo, et une jeune
femme, Lourdes, réfugiée de Cijuela près de Grenade, que
mes parenst avaient recueillie. Quelques temps plus tard,
Lourdes et Manolo se sont mariés à Baza où nous nous
étions arrêtés.
Nous avions un mulet qui portait le peu de choses que
nous avions pu emporter dans la précipitation du départ,
c’était une bonne bête. Il était arnaché pour transporter
nos affaires, et portait également les plus petits du groupe.
Ainsi, toute la famille est partie de la Peña vers l’amont de
la rivière par le chemin de los Angeles, la Presa, Huerta
primera, Palo de la Hoz, Ventorrillo Bernardo, la Huerta
del Angel, toujours en en montant en direction des vignes,
Lagar del Espejo, Lagar de Pedro Jenizaro, chemin del
Robledal, jusqu’à la Sierra Tejeda. Ce chemin est celui que
notre famille a emprunté, je m’en souviens encore, mais
c’est aussi celui que la plupart des habitants d’Alhama a
suivi. Le temps était déjà gris quand nous sommes partis
de la Peña et il a commencé à pleuvoir alors que nous
montions le long de la rivière et plus nous montions, plus il
pleuvait. La pluie ne s’est pas arrêtée de tomber avant que
nous arrivions à l’auberge Palma, juste au pied de la Sierra
Tejeda. Nos parents voulaient passer la nuit à l’auberge car
ils connaissaient la patronne. C’était Eduarda Friaz, qui
avait sympathisé avec ma grand-mère du temps qu’elle
tenait un bureau de tabac sur la place Duque de Manda
et que ma grand-mère tenait une épicerie. Eduarda Friaz
était du côté des fascistes, mais du temps de leur amitié,
ma grand-mère était allé jusqu’à lui confier où elle cachait
l’argent de son commerce. Or quand nous sommes revenus
chez nous, deux ans plus tard, l’épicerie que louait ma
grand mère avait été entièrement vidée, y compris l’argent
caché !
Mais les choses ne se sont pas présentées comme nous
l’avions pensé. Quand nous sommes arrivés, il y avait déjà
beaucoup de monde et les gens continuaient d’arriver. Les
mauvaises nouvelles arrivaient avec eux : les fascistes
étaient près de la Torre de la Gañina, d’autres sur le plateau
du Baño... De ce fait, les plus expérimentés, les plus instruits
(dans ces moments aussi on en trouve) conseillaient de
continuer notre chemin. Il était fort possible que si nous
restions pour la nuit, les forces de Queipo de Llano nous
cueillent tous au matin comme des lapins.
Notre groupe décida alors de prendre le chemin du canyon
las Piletas. Le chemin du canyon était un sentier muletier
qui permettait de transporter les marchandises à dos de
mule ou de cheval entre la côte et notre région. À l’époque,
en 1937, ce chemin était très accidenté.
Au fur et à mesure que nous prenions de l’altitude, l’eau
qui nous tombait continuellement dessus se transformait en
neige. Nous, les enfants, ne nous sommes quasiment pas
rendus compte de ce qui ce passait. Portés par la mule, nous
avons passé la plus grande partie de la nuit à dormir. Les
mules, les ânes ou les chevaux sont traditionnellements
harnachés avec une toile tressée qui offre une grande poche
sur chaque flanc de la bête. On serre par le milieu avec
une ceinture, ce qui ménage quatre poches dans lesquelles
on transporte par exemple des jarres. Mes cousins et moi
étions calés dans ces poches et nous y avons passé la nuit.
Les adultes ont marché toute la nuit, y compris ma grandmère paternelle et ma mère qui portait ma petite soeur
Encarna qu’elle nourrissait toujours au sein. Elle est sans
doute passée de bras en bras pour décharger un peu ma
mère. Ce n’est qu’à l’aube que notre groupe passa enfin le
col, à quelques 2000m d’altitude.
Parmi tous ceux qui passèrent par le canyon la Piletas, il y
eut de nombreux morts. Ainsi la femme de Rafael Bonilla
qui s’écarta un peu du chemin et couvrit ses trois enfants
sous son châle noir pour les protéger du froid et de la neige.
On les retrouva le lendemain matin, morts de froid, tous
les quatre. Rafael Bonilla était probablement resté pour
combattre avec les miliciens, laissant sa famille fuir seule
devant ces barbares de légionaires, maures, phalangistes...
Ce Rafael, s’est marié quelques années plus tard avec la
veuve de mon oncle Pepe, José Gutierrez qui, comme je
le raconte par ailleurs fut roué de coups de bâton par les
phalangistes d’Alhama. Ils le laissèrent, mort dans la rue du
saint du Portal, au pied de la niche du Saint.
Canillas de Aceituno
Quand nous avons commencé à redescendre après le col,
le jour était levé et on pouvait distinguer quelques petits
villages blancs. Le premier que nous avons traversé
était Canillas de Aceituno. Au fur et à mesure que nous
redescendions, la neige cessait de tomber, mais pas la pluie
malheureusement. Ainsi, à Canilla ma famille chercha une
auberge où s’abriter. C’est là que, par un heureux hasard,
mon père rencontra un ami à lui qui avait fait avec lui son
service militaire en Afrique en 1921. Cet homme nous
emmena chez lui.
Cette maison où il nous accueillit (près de quinze
personnes !) se trouvait sur une place au milieu de laquelle
se dressait une fontaine. Je ne me rappelle plus de la forme
de cette fontaine, mais je me souviens qu’elle coulait à
grands flots. Mes souvenirs de Canilla sont assez flous, le
village me semblait petit comparé à Alhama.Nous y sommes
restés une dizaine de jours car les pluies diluviennes ne se
décidaient pas à s’arrêter. Notre objectif était de rallier au
plus vite Almeria, que nous pensions être le lieu le plus sûr à
ce moment là. De Malaga, les nouvelles étaient inquiétantes
et effectivement, le 12 février, toute la population quitta la
ville en débandade, comme nous l’avions fait le 22 janvier
d’Alhama.3
Comme nous étions petits et qu’il pleuvait continuellement,
nous ne pouvions quasiment pas sortir de la maison où
nous étions réfugiés à Canilla de Aceituno. Nous nous
divertissions à observer une jeune fille qui devait avoir 13 ou
14 ans et qui passait plusieurs fois par jour devant la maison,
pieds nus, un petit châle sur les épaules, marmonnant des
phrases incompréhensibles. Cette pauvre fille était simple
d’esprit et souffrait aussi de handicap physique et nous,
gamins inconscients, nous amusions à la voir passer sous
la pluie.
La famille qui nous recueillit à Canille de Aceituno fut
très généreuse avec nous et partagea le peu qu’elle avait.
C’est dans ces moments que l’on peut mesurer la véritable
humanité chez certains hommes. Quand notre groupe se
décida à continuer son chemin, nous laissâmes la mule de
mon oncle Pepe. Nous faisions d’une pierre deux coups
: notre mule nous gênait pour la suite du voyage, là, elle
serait bien soignée et nous remerciions ainsi un peu cette
famille pour son hospitalité. Mais quelques années plus
tard, mon oncle sut que les fascistes, qui avaient appris que
sa mule était à Canilla, étaient allés la récupérer ! Je précise
que je n’ai appris cela que de nombreuses années plus tard.
3
En realidad el episodio tuvo lugar el día 8 de febrero de
1937. Lo que se conoce como la masacre de la carretera MálagaAlmería hace mención a la catatrofe que tuvo lugar tras la entrada
en Málaga de las tropas franquistas. La multitud de refugiados que,
huyendo de Málaga, abarrotaban la carretera en marcha hacia Almería,
fue atacada por mar y aire en la zona bajo control del Ejército Popular
Republicano, causando la muerte a varios miles de ellos.
Almería
Un jour enfin le soleil refit son apparition après le déluge
qui avait frappé toute la région. Mon père, qui n’était pas
rentré de la nuit arriva au matin avec un taxi et nous nous
sommes vite préparés à partir, direction Velez-Málaga et la
côte. L’auto nous a emmenés à Nerja où nous avons attendu
jusqu’à cinq heures de l’après midi l’autobus « la Alsina »
(bus qui faisait la ligne Málaga-Almeria). Pendant que
nous attendions à Nerja, des avions de chasse sont passés
plusieurs fois pour bombarder le port où se trouvait un
bateau à moitié coulé. Nous avons eu très peur.
La Alsina est arrivée vers cinq heures et nous y sommes
tous montés pour rejoindre Almeria. L’autobus roulait très
lentement car il était rempli à raz bord et que les routes
étaient mauvaises à l’époque. Nous avons traversé plusieurs
villages avant d’arriver à Motril. Là les fascistes avaient fait
sauter le pont sur la rivière et les républicains venaient de
terminer un pont de fortune fait de troncs de peupliers et
de terre. Le bus est passé au pas jusqu’à l’autre rive puis a
continué son chemin à travers de nombreux villages jusqu’à
Almeria. Nous y sommes arrivés à la nuit tombante et avons
cherché une auberge. Je me souviens qu’on nous a servi un
potage de pois chiches avec de la morue et moi, qui était
habitué à manger les pois chiches avec du lard ou du boudin
aux oignons, j’ai trouvé le moyen de faire la grimace à un
dîner.
Mes souvenirs d’Almeria sont merveilleux. Après le froid
dont nous avions souffert pendant notre fuite et même à
Canilla je profitai du soleil d’Almeria. Je me rappelle aussi
de la place où m’enmenaient ma mère et Lourdes. Lourdes
était une jeune femme qui avait fui son village (Cijuela)
avec sa famille et qui avait été recueillie par mes parents.
Quand elles allaient faire les courses, j’accompagnait ma
mère et Lourdes. C’était une place couverte où l’on trouvait
de tout : des fruits de saison, des légumes, du raisin, des
patates douces, des citrouilles, des choux-fleurs... Nous
étions parmi les premiers à arriver à Almeria (le miroir de
la mer, comme l’avaient appelée les Arabes), mais quelques
semaines plus tard un grand nombre de réfugiés s’entassa
dans la ville après la prise de Malaga et quelques mois plus
tard on ne trouvait presque plus rien au marché. Mes parents
ont décidé de continuer leur chemin et un matin, nous avons
pris le train vers Murcia. Le train s’est arrêté à Guadix un
assez long moment puis est reparti jusqu’à Baza où nous
sommes descendus.
Entre notre départ d’Alhama et notre arrivée à Baza il a du
se passer près d’un mois et demi. Un mois et demi pendant
lesquels nous avons subi le froid, la pluie, la neige et tant
de déplacements ! Quand nous sommes arrivés à Baza, il
y faisait encore plus froid qu’à Alhama et j’ai attrapé une
pneumonie. La rareté des soins et des médicaments a fait
que j’en ai gardé des séquelles qui m’ont handicapé toute
ma vie. J’en ai souffert autant pour le travail que dans mes
relations sociales en particulier dans les milieux où les
gens compensent le manque d’instruction et de culture en
général avec la force physique, virile.
Baza
Quand nous sommes arrivés à Baza, les habitants étaient
en train de faire de abri pour se protéger des bombes tirées
des avions. Au centre de la ville il y avait une butte où les
arabes avaient construit une citadelle, la Alcabaza et un
peu plus bas, la place centrale de la mairie, de la prison
et de l’église. De cette place, la plaza mayor, partait un
tunnel qui aboutissait au quartier la Cabarta entre la place
Saint Jean et la gare. Beaucoup d’hommes travaillaient
au tunnel les habitants de la ville comme les réfugiés, y
compris mon père. Dès que la sirène retentissait, tout le
monde se précipitait à l’abri. Cela arrivait souvent très tôt
le matin alors que nous étions encore couchés. Ma mère
nous réveillait terrifiée et nous sortions en courant et
ce n’est qu’une fois à l’abri que nous finissions de nous
habiller. Mon père n’était pas souvent avec nous mais je me
souviens l’avoir vu rester au lit tranquillement pendant les
alertes tandis que ma mère nous emmenait aux abris. Baza
est un chef-lieu de la province de Grenade4 et elle abritait
le gouvernement civil pendant toute la guerre puisque
Grenade était aux mains des fascistes dès le début de leur
coup d’état. La plaine de Baza était très riche, irriguée avec
les eaux abondantes des rivières qui descendaient de la
Sierra Nevada. On trouvait de beaux poivrons, des melons,
des tomates... Sur les terres pauvres non irriguées, on
trouvait beaucoup d’oliviers et d’amandiers. Mes parents
m’avaient laissé pour l’été avec une famille de réfugiés de
4
Hace referencia al partido judicial. En España, un partido
judicial es una unidad territorial para la administración de justicia, integrada por uno o varios municipios limítrofes y pertenecientes a una
misma provincia. De entre los municipios que componen los partidos
judiciales, uno de ellos, normalmente el más grande o en el que mayor
número de asuntos litigiosos se producen, se denomina cabeza de
partido judicial. En dicha cabeza se encuentra la sede de uno o varios
juzgados de primera instancia e instrucción.
Santa Fe dans une grande ferme appelée ferme d’Olivares.
Les syndicats de Baza l’avaient collectivisée et beaucoup
d’ouvriers y travaillaient.
Dans cette partie de la région de Granada, comme Guadix,
Baza, Cullar Baza, Benamaurel, Huescar les collectivités,
quand il y en a eu ont duré les 33 mois de la guerre, pas
comme dans notre village, Alhama, qui a été près dès le 22
janvier 1937.
Il y avait une boulangerie collective pour tous les
travailleurs qui vivaient là. Il est probable qu’auparavant
ils travaillaient pour un cacique, mais désormais, les terres
étaient collectives. Je me demande toujours pourquoi cette
ferme s’appelait Olivares car le peu de fois où j’y suis allé,
je n’ai jamais vu le moindre olivier. Olivares était peut-être
le nom du propriétaire.
Pour se rendre à cette ferme il faut prendre la route nationale
qui va de Baza à Guadix et à 15 kilomètres de Baza, tourner
à droite sur une toute petite route qui descend. Après une
paire de lieues5 (11 kilomètres) le chemin devient encore
plus petit et mauvais et continue de descendre dans un
paysage ocre où l’on ne rencontre guère que quelques
chênes verts dans les ravins. Puis tout au fond d’un de ces
5
La legua es una antigua unidad de longitud que expresa la
distancia que una persona, a pie, o en cabalgadura, pueden andar
durante una hora; es decir, es una medida itineraria (del latín, iter: camino, periodo de marcha). Dado que una persona recorre normalmente
a pie una gama de distancias, la legua se mantiene en esa gama, pero
según el tipo de terreno predominante en cada país o según la conveniencia estatal, la palabra legua abarca distancias que van de los 4 a
los 7 km, siendo las más frecuentes las leguas que se encuentran en la
media de tales extremos.
ravins, la ferme. Les terres cultivées que j’ai eu l’occasion
de voir là-bas étaient plates et de bonne qualité. J’allais
avec Pepico, un petit frère de Lourdes, surveiller un champ
de melons
Je pense qu’il y a bien quelqu’un de la région de Baza
qui se sera intéressé à décrire les événements particuliers
de la région de Baza, je ne peux que raconter ce dont je
me souviens en tant qu’enfant. J’ai malheureusement été
témoin que de nombreux enfants sont restés orphelins,
comme moi, et certains de père et mère. Je pense que
les nouvelles générations pourront peut-être obtenir des
informations sur ce qui s’est passé, maintenant qu’il existe
des nouvelles technologies comme l’informatique. Ils
sauront tout ce dont ont été capable ces déséquilibrés et en
particulier l’Eglise catholique qui a joué ses deux cartes :
celle pour gagner et celle pour ne pas perdre !
J’ai eu la chance de voir pas mal de choses grâce notamment
à mon père, qui comme Juan el Moruno, Renre et d’autres
dont je ne me rappelle plus le nom maintenant, était
chauffeur. A cette époque il était rare de trouver des gens
sachant conduire et dès leur arrivée à Baza, les chauffeurs
commencèrent à travailler. S’il y avait peu de véhicules, il y
avait encore moins de chauffeurs.
Je me souviens d’avoir visité la sucrerie de Caniles avec
mon père (comme j’étais l’aîné, c’est moi que mon père
emmenait quand c’était possible) et aussi des ateliers où les
femmes cassaient les amandes. Dans la région de Baza, on
trouve beaucoup d’amandiers car ils poussent bien sur les
terres même pauvres).
Nous avons passé la plus grande partie de la guerre à Baza,
et mon père y a été détenu dès la fin de la guerer. Il n’y avait
pas de bombardements et nous, les enfants, passions notre
temps entre l’école, les jeux dans la rue et le plus souvent
possible, le cinéma. Nous voyions souvent Laurel et Hardy
ou des dessins animés qui nous faisaient beaucoup rire.
Je me souviens aussi avoir vu plusieurs films russes : Les
Marins de Kronstadt et Le courrier du tsar, avec Michel
Strogoff. Il y avait deux cinémas à Baza : l’Ideal, dans la
rue Lagua et le Degrán, à la sortie de la ville, vers Cullar
Baza.
Quand nous sommes arrivés à Baza, notre famille a été
prise en main par les comités et organismes de la ville qui
s’occupaient de loger les réfugiés arrivant des villages
occupés par les fascistes. Nous avons été installés dans
une maison, place San Juan, dont le propriétaire s’était
enfui avec les franquistes. Dans la maison, nous étions
six familles de réfugiés en plus d’une famille de Baza.
C’était la famille d’un cordonnier, assez âgé qui vivait
avec sa femme et ses deux filles (une de 14 ans et une plus
jeune, peut-être 8 ans). Ils occupaient deux pièces au rezde-chaussée dont une servait d’atelier. En face, dans une
pièce assez grande, d’un seul tenant, vivait une famille de
Motril. Le père de famille était menuisier, il avait deux
grands fils et une fille déjà mariée, Dolorès. Son mari
était dans la marine et la nouvelle de sa mort lui arriva
alors que nous étions encore à Baza. Au premier étage, à
gauche, il y avait une grande salle, de près de 30 mètres
carrés qui avait un balcon donnant sur la cour intérieure
et au fond de cette salle, sur les côtés, on trouvait deux
pièces de 12 mètre carrés environs. Mes parents s’étaient
installés pour dormir dans la pièce de droite et dans celle
de gauche, c’était ma tante Angustias avec son mari et
ses deux fils. Tous les autres adultes dormaient dans la
grande pièce, tirant chacun un matelas au moment de se
coucher. Pour manger, les enfants s’asseyaient par terre
et les adultes mangeaient debout, autour de la table. Nous
n’avions pas de chaise ! Les adultes mangeaient tous
dans un grand plat, mais nous, les enfants nous mangions
à part, chacun dans un petit bol ou un autre récipient. En
Andalousie, c’est comme ça que s’organisaient les repas,
même en temps de paix, tout le monde mangeait dans le
même plat, mais chacun avec sa cuillère. Quand on partait
travailler dans une ferme il fallait emporter deux choses :
sa couverture et sa cuillère. Sur le même palier que nous,
en face, vivait un couple de Guadix sans enfant qui était
engagé dans les comités d’aide aux réfugiés. A l’étage
du dessus trois familles d’Alhama étaient installées : les
Bonilla, les Rosquillero et les Jopo, qui avaient fui la ville
quand elle était tombée aux mains des fascistes.
Comme ma famille faisait partie des premiers arrivants
à Baza, nous allions souvent à la gare dans l’espoir de
voir arriver des proches. Dans la précipitation du départ,
beaucoup de familles ont été séparées. Un jour, mon
oncle Cantano est arrivé avec ma tante Carmen et leurs
fils Manolo, qui marchait à peine. Ils venaient d’un autre
village, Cuevas de Almanzora dans la province d’Almeria,
qu’ils avaient du quitter car les lignes de feu étaient trop
proches. Là bas, ils avaient perdu leur premier fils.
Notre famille s’était donc agrandie de 3 personnes, mais
bientôt, les hommes sont partis pour la guerre. Mon
oncle Manolo est parti le premier, puis mon oncle Paco.
Ma grand-mère Encarnacion s’en est allée avec ma tante
Angustias à Huescar, un village proche, mais de là, ma
tante est partie à Alicante et ma grand-mère est revenue à
Baza. Il ne restait donc plus à Baza, dans la maison de la
place San Juan, que mes parents ma grand-mère paternelle
et Lourdes, même après qu’elle se soit mariée avec mon
oncle puisque celui-ci était au front de Jaen.
Lourdes et Manolo s’étaient mariés à la mairie de Baza
lors d’une permission de celui-ci. Leurs témoins étaient
mon père et un de ses neveux qui était commandant du
bataillon Granada (bataillon qui, soit dit en passant, avait
été créé et organisé à Alhama avec tous les jeunes du
chef-lieu). Ils s’étaient mariés dans la zone républicaine,
à la mairie, bien entendu. A cette époque, les couples
pouvaient choisir de se marier pour une période donnée,
puisque la guerre battait son plein, le destin de chacun
était plus qu’incertain.
Alicante
Un jour, mon père a décidé de ramener ma grand-mère
chez sa fille à Alicante. Comme il était chauffeur, il
a profité d’un voyage où il n’avait qu’un passager et
nous a emmenés aussi, ma mère et les enfants. Il devait
accompagner un homme que nous ne connaissions pas
mais qui avait un rôle important dans le gouvernement
civil, jusqu’à la côte, à Alicante. Le voyage s’est passé
tranquillement. Nous sommes partis de Baza très tôt un
matin par la route de Caniles, nous avons traversé des
petits villages comme Seron, Tijola, Olula, Lucar, Albox,
vers Murcia en passant par Lorca et Alcantarilla vers
Alicante. A Lorca, nous avons eu un accrochage avec
une voiture militaire. Elle nous a percuté par le côté à un
croisement, mais sans grand dommage. Je me souviens
que mon père, qui avait la colère facile, était descendu
de la voiture et que ma grand-mère et notre passager ont
du l’arrêter. Les militaires n’ont pas réagi et chacun a pu
continuer son chemin. Une nuit aussi, un camion en nous
croisant nous a embouti l’aile arrière. Mon père s’est
arrêté mais pas le camion. Comme il y avait plus de peur
que de mal, nous avons continué notre chemin.
Quand nous sommes arrivés à Alicante, il était très tard,
tout le monde était couché. Ma tante Angustias s’est levée
et nous a fait manger des tomates frites et du boudin ou
du chorizo. Elle vivait dans une petite ferme, au premier
étage, au-dessus des animaux. On y montait par un
escalier extérieur en bois assez raide. Nous étions dans
un vrai paradis, une maison à la campagne au milieu des
palmeraies du pourtour d’Alicante. Nous n’étions pas très
loin de la ville car de la maison, nous pouvions en voir
les bâtiments les plus hauts et le port. C’était un endroit
merveilleux, en pleine nature où nous pouvions écouter
le chant des oiseaux, le silence des arbres et les chants
des cigales et des grillons. Toutes ces merveilles étaient
toutefois perturbées quotidiennement par les maudits
avions de guerre qui arrivaient à l’aube et commençaient
à lâcher leurs bombes sans arrêt ; quand un était passé, un
autre arrivait. Leur objectif était le port et les navires de
guerre qui y étaient arrimés. Nous étions assez proches
de la côte pour avoir l’impression que les bombes nous
tombaient dessus. Fort heureusement, aucune n’est tombée
chez nous du temps où nous étions là, mais la peur, elle, ne
nous lâchait pas.6
Un frère de ma grand mère, Manuel Lopez, vivait
à Alicante. Il a perdu un fils au front au côté des
républicains. A la fin du conflit qui a vu malheureusement
triompher Franco, mon grand-oncle a été incarcéré dans de
nombreuses prisons, même dans la pire d’entre elles, celle
de Burgos.
Pendant tout le temps que nous avons passé à la grange
au milieu des palmeraies, nous, les enfants, n’avions pas
le droit de trop nous éloigner. Mais comme nous étions en
pleine nature, nous passions nos journées à jouer dehors
avec mes deux cousins Juani et Pepe et trois petites filles
qui avaient approximativement notre âge. Elles étaient
de la région et leur castillan était bien meilleur que le
notre. Ce n’est pas tellement que nous prononcions mal
le castillan, mais nous parlions un très pur andalou. Nous
6
La población de Alicante sufrió especialmente los bombardeos del ejército franquista durante la guerra. El día 25 de mayo
de 1938, alrededor de las 11’15 horas, entre 7 y 9 aviones del bando
nacional, tripulados por fascistas italianos y procedentes de Mallorca
(España), lanzaron sobre la población de Alicante alrededor de 90
bombas, algunas de las cuales dieron en el Mercado Central, repleto
de gente. El bombardeo del Mercado Central, el 25 de mayo de1938,
fue uno de los ataques aéreos más sangrientos e indiscriminados ocurridos durante la guerra. Con un balance de víctimas mortales inexacto,
se cifra dicha cantidad en más de 300 muertos. Estudios realizados
barajan los 275 (aprox.) que figuran en el registro del Cementerio
Municipal (100 hombres, 56 mujeres, más de 10 niños y más de 100
personas no identificadas), un número indeterminado de enterrados
en localidades próximas de la provincia de Alicante y más de 1000
heridos.
étions donc sept enfants à jouer ensemble, deux grands
(une fille et moi) et les cinq autres tous plus petits. J’ai
gardé de bons souvenirs de ces trois petites filles qui,
comme nous et des milliers d’autres subissaient cette
maudite guerre engendrée à la fois par le capitalisme,
l’Église et l’armée. Mais la terreur que nous inspiraient
les avions et leurs bombes nous a laissé des séquelles bien
après notre départ d’Alicante. Nous sommes d’ailleurs
partis assez précipitamment. Nous étions venus voir la
famille et un jour enfin, les parents nous ont dit que nous
repartirions le lendemain pour Baza.
Nous sommes partis assez tard d’Alicante. Mes parents
voulaient passer en ville prendre congé des membres
de notre famille et après avoir couru toute la journée de
l’un à l’autre, nous avons finalement quitté la ville le soir
venu. Comble de malchance, une fois en rase campagne,
la voiture que nous avions pris est tombée en panne. Mon
père est alors parti à pied pour chercher un téléphone.
Quelques temps après, une autre voiture nous a tous
ramenés à Baza. C’était, comme la première, une voiture
qui appartenait aux autorités républicaines.
Au milieu des mauvais souvenirs d’Alicante, je vous livre
ici quelques vers que mes souvenirs m’ont inspiré.
Canto Alicante sacado de nuestro trigal:
Bella ciudad de Alicante
Vella ciudad de Alicante
Te recordalos con Peña
y ese rincón de Levante
los tristes años de la guerra.
No tuvimos primavera
ya no canta el ruiseñor.
Tampoco trigo en las eras
la abeja no encuentra flor.
Otros pajaros venian
la maldita aviación
antes que apuntara el dia
matando a la población.
Alicante y su región
el puerto y sus palmeras
un magnifico rincón
de playas con finas arenas.
Fue una triste primavera
por aquello del azar
vivimos en sus palmeras
en granja cerca del mar.
Juan Gurierrez Arenas
Retour à Baza et fin de la guerre
Je me rappelle très bien, 70 ans après, de notre dernier
séjour à Baza. À ce moment là, la radio des vainqueurs
nous matraquait de « Nous vous offrons une paix
honnête... », « Tous ceux qui n’ont pas de sang sur les
mains ne seront pas poursuivis... » Je ne pourrais jamais
oublier tous ces beaux discours.
Ma grand-mère paternelle, dès qu’elle a compris que
les choses tournaient mal pour les républicains, a pris
en mains ses six petits enfants (les trois fils de ma tante
Angustias, mon frère, ma sœur et moi). Elle nous a donné
rapidement une éducation religieuse minimum (l’Ave
Maria, le Notre Père...) pour pouvoir donner le change.
Il faut dire que pendant toute la guerre, dans la zone
républicaine, les messes n’étaient pas célébrées. Et cela ne
nous a pas manqué !
Je me souviens aussi des voyages de mon père. Les
chauffeurs n’étaient pas nombreux, et ainsi il avait
toujours du travail et des voyages à entreprendre. Ma
grand-mère lui disait : « Ecoute, Lucas, si tu vas à
Barcelone, ne reviens pas par ici. Il n’y a plus grand
chose à espérer. » Effectivement, quand mon père a
voulu envisager le départ, la démarcation entre les deux
zones était faite à Tortosa et il a renoncé. Nous étions
faits comme des rats ! Il ne restait aux républicains - en
dehors de la Catalogne - que Madrid, Valence, Murcia,
Jaen et Alicante dont je vous ai déjà raconté mes mauvais
souvenirs.
El corte por Tortosa7.
7 En realidad el corte de la zona republicana y por lo tanto de la
posibilidad de alcanzar por tierra la frontera francesa desde el sur de la
Peninsula se produjo en Vinaroz, Castellón, el día 15 de abril de 1938.
Las tropas franquistas entraron en esa localidad de la costa del Mediterráneo, cortando definitivamente en dos la zona republicana, la cual
seguiría así hasta el fin de la guerra. El día 19 los nacionales ya habían
ocupado 32 km de la costa mediterránea casi sin hallar resistencia.
La serie de victorias que comenzaron con la Batalla de Teruel inspiró
gran confianza en los nacionales, quienes tras la llegada al Mediterráneo pensaron que la guerra casi estaba ganada. Quedaba todavía un
año más de guerra.16
Quand les fascistes sont entrés à Baza, je me rappelle
qu’ils ont organisé un messe dans le parc près de la
gare. Ce jour-là, ils ont baptisé un petite fille qu’ils
ont appelée Maria de la Paz... La paix ? La paix
des cimetières ! Dès qu’elles ont pris le pouvoir,
les forces réactionnaires de Franco ont commencé
leur «moisson». À Baza même, beaucoup de gens
ont été fusillés et de nombreux enfants sont restés
orphelins et ont été confiés au service Auxilio Social8.
Nous ne savions pas ce qu’ils allaient devenir. Nous qui
avons vécu place San Juan tout le temps que nous étions
réfugiés à Baza, nous connaissions beaucoup d’enfants du
quartier de la Cabarta, de la rue de Zapateria et alentours,
plus tard, nous avons appris que beaucoup d’entre eux
8
En realidad el corte de la zona republicana y por lo tanto de
la posibilidad de alcanzar por tierra la frontera francesa desde el sur
de la Peninsula se produjo en Vinaroz, Castellón, el día 15 de abril de
1938. Las tropas franquistas entraron en esa localidad de la costa del
Mediterráneo, cortando definitivamente en dos la zona republicana,
la cual seguiría así hasta el fin de la guerra. El día 19 los nacionales
ya habían ocupado 32 km de la costa mediterránea casi sin hallar
resistencia. La serie de victorias que comenzaron con la Batalla de
Teruel inspiró gran confianza en los nacionales, quienes tras la llegada
al Mediterráneo pensaron que la guerra casi estaba ganada. Quedaba
todavía un año más de guerra.16
Auxilio Social fue una organización de socorro humanitario constituida durante la guerra civil y posteriormente englobada dentro de la
Sección Femenina de la Falange Española. La organización, que inicialmente responde al nombre de Auxilio de Invierno, surge siguiendo
el modelo de otras organizaciones similares de la Alemania Nazi. Al
final de la guerra cubría una red asistencial de guarderías, hogares infantiles para niños huérfanos, hogares residencia y de aprendizaje para
adolescentes que cursaban el aprendizaje de un oficio o realizaban
estudios de bachillerato. La vida cotidiana de los niños y adolescentes
estaba rígidamente reglamentada en torno a unas pautas disciplinares
centradas
étaient restés orphelins. J’ai retrouvé en France un couple
à qui les fascistes avaient fusillé un fils en pleine fleur de
l’âge, et gardé l’autre en prison pendant des années. Voilà
la paix qu’ils nous annonçaient à la radio franquiste. Et les
fascistes, on les trouvait à tous les coins de rue ! À Baza
on a fusillé énormément de gens simplement parce que
la ville était restée républicaine pendant toute la guerre.
Mais pendant tout ce temps, la ville avait aussi abrité des
fascistes qui se camouflaient, la « cinquième colonne ».
Quand ils se sont révélés, ils étaient comme des chiens
enragés. À l’entrée de la rue Zapateria, près de l’église,
une femme tenait une boutique. Elle devait avoir dans les
35 ans. Je ne savait rien d’elle, si elle était mariée ou non,
mais on ne voyait jamais d’homme à la boutique. Dès le
premier jour où les fascistes ont repris Baza, elle saluait
chacun de ses clients d’un grand « Vive l’Espagne ! »
Inoubliable !
Souvenirs de la prison de Grenade
Je me suis toujours demandé pourquoi les fascistes avaient
provoqué cette guerre. Pour faire de l’Espagne un champ
de ruines ? Pour affamer la moitié de la population ?
Est-ce qu’ils espéraient nous envoyer tous manger les
pissenlits par la racine ? Il reste peu de témoins de cette
époque, et il en meurt chaque jour. Pour les quelques
uns qui restent encore en vie, j’aimerais que ceux qui se
font appeler « démocrates » nous répondent : OÙ SONT
ENTERRÉS NOS PARENTS ?
Je me souviens de la dernière fois que j’ai vu mon père
à la prison de Grenade. J’avais entre 8 et 9 ans, ma mère
m’avait emmené. Nous étions tous derrière une grille, et
les prisonniers étaient derrière une autre. Entre les deux,
un espace vide où passaient les gardiens. Tout le monde
criait pour s’entendre. Mon père était arrivé tard, bien
après les autres prisonniers. Il ne m’avait pas vu, d’abord.
Et moi, je découvrais avec horreur ce qu’ils avaient
fait de lui. Il était devenu fou, transformé par la rage, il
interpellait ma mère avec violence, lui reprochant d’être
venue. Elle m’a alors suggéré de dire à mon père que c’est
moi qui avait voulu venir. Mon père m’a alors regardé un
moment et il a simplement dit : «Ah, c’est mon Juan !».
Puis il nous a tourné le dos et est reparti par le couloir où
il était venu, sans attendre la fin du temps de visite. Ma
mère ne m’a pas dit un mot, elle m’a pris la main et nous
sommes partis. Il s’est passé quelques semaines et un jour,
j’ai trouvé ma mère au lavoir avec ma tante, elle était
habillée tout en noir. Il n’y avait plus rien à dire.
Ils ont rendu mon père fou en le torturant avant de le
fusiller. Ils lui ont asséné 7 condamnations à mort. Tout ça
parce qu’il était de gauche, parce qu’il a été responsable
du conseil ouvrier et paysan des collectivités d’Alhama.
Ils ne pouvaient pas lui pardonner, les caciques - parasites
et criminels ! Mais moi non plus, je ne leur pardonnerai
pas.
Mon père était devenu fou, mon frère avait perdu une
jambe... Il n’a pas fallu un an pour que ma mère perde la
tête à son tour. Elle a quand même vécu jusqu’à un âge
avancé, auprès de ses enfants puis entourée de ses petitsenfants, toujours à nos côtés. Quant à mes blessures,
elles sont restées ouvertes jusqu’à aujourd’hui... Jusqu’à
quand ?
Retour à la Peña
Nous avions quitté Alhama depuis plus de deux ans et
étions sans nouvelles de la famille qui était restée. Quand
nous sommes revenus en zone républicaine, nous nous
sommes installés à la Peña, chez les parents de ma mère.
Vous pouvez imaginer le bonheur de nos retrouvailles.
Dans la petite ferme, il n’y avait pas vraiment assez de
place pour nous tous, mais nous nous sommes arrangés
comme nous avons pu en attendant de trouver une
meilleure solution. Mes grands-parents vivaient déjà
avec trois jeunes filles et un adolescent quand ma mère
est arrivée avec nous. La maison avait deux chambres à
l’étage, une cuisine en bas, une écurie pour la mule et c’est
tout.
J’étais dans un piètre état : j’avais attrapé une pneumonie
et aussi la gale ! J’avais les cuisses couvertes de boutons
et de croutes. Les démangeaisons me prenaient surtout
la nuit, c’était tellement insupportable que je ne pouvais
pas m’empêcher de me gratter jusqu’au sang. La douleur
me faisait pleurer et ma mère tentait de me consoler pour
éviter que je ne réveille les autres, car nous dormions tous
les quatre ensemble : ma mère et ma sœur à la tête du lit
et mon frère et moi au pied. Je souffrais tellement que
j’ai même demandé à ma mère de m’attacher les mains,
mais en vain. Je trouvais toujours un moyen de me gratter.
Vous vous demandez peut-être comment on me soignait
la gale : une bassine d’eau – tiède l’hiver et fraîche
l’été – et une éponge savoneuse pour me frotter. Chaque
jour, ma mère préparait la bassine d’eau, je me mettais
debout à côté d’elle et remontait mes pantalons. Elle me
frictionnait alors avec un écheveau d’herbes sèches en
guise d’éponge. L’été, j’allais me baigner à la rivière,
dans un trou d’eau en contrebas de la maison ; et comme
j’étais trop petit pour y aller seul, ma tante Josefa – la plus
jeune – m’accompagnait. Mais je craignais d’être vu, en
particulier par d’autres enfants qui se seraient moqués de
moi. Si par hasard, j’entendais arriver quelqu’un, je me
cachais comme je pouvais sous l’eau.
Les gorges de la Peña. Au centre, la maison de mes grands-parents.
La photo est prise depuis le côté d'Alhama.
L’autre maladie que j’avais à l’époque m’a suivi toute ma
vie. C’est pendant la fuite devant les fascistes, en passant
par les gorges de La Piletas dans la montagne Tejeda que
j’ai attrapé une pneumonie. La guerre nous a envoyé sur
les routes en plein hiver et nous avons fui d’un lieu à
l’autre sans aucune chance de me soigner correctement.
Le 22 janvier 1937, quand nous sommes passés par les
gorges, il faisait un froid terrible, il neigeait et nous ne
pouvions pas nous abriter. Le froid m’est tombé sur
la poitrine. Depuis ce jour, au moindre coup de froid,
ma respiration se mettait à siffler et les crises d’asthme
suivaient. Alors que j’écris ces mémoires, j’ai toujours
de l’asthme, bien que les progrès de la médecine me
permettent d’en souffrir moins.
Mon grand-père était très travailleur. Il connaissait aussi
bien la terre et le travail des champs et du jardin qu’il était
habile de ses mains pour fabriquer toutes sortes d’objets
et d’outils. Il faisait particulièrement des merveilles avec
l’alfa. Il tressait des paniers comme ceux des ouvriers
agricoles pour emporter leur repas au champ, des paniers
plus grands destinés à être portés par les mules, des nattes,
des hottes à raisin... Il couvrait aussi les dames-jeannes,
ces grandes jarres dans lesquelles on garde le vin.
Mon grand-père s’est trouvé bien encombré avec notre
arrivée. Trois jeunes enfants, dont mon frère qui avait une
jambe paralysée ! À l’époque les personnes de plus de 65
ans recevaient une pension de 23 duros (115 pesetas). Il ne
travaillait déjà plus en dehors de la maison mais cultivait
son jardin avec mon oncle, son seul fils. Des filles, seule
travaillait Maria Jimenez. Elle servait une femme riche,
qui s’appelait Amalia. Je ne sais pas si elle était veuve
ou célibataire mais elle vivait seule dans une très grande
maison, alors ma tante restait auprès d’elle. Je suis allé
quelquefois voir ma tante chez Amalia et la vue de cette
grande maison pour une femme seule alors que nous
devions dormir tous ensemble dans une seule chambre me
révoltait. Pourquoi une telle inégalité ? Mais j’étais encore
trop jeune pour trouver une réponse claire.
Les autres tantes travaillaient à la maison. Mes grandsparents avaient un cochon, des lapins, des poules et un
élevage de chèvres pour le lait. C’est ma tante Josefa qui
s’occupait de la truie. Quand nous sommes venus grossir
la maisonnée, mon grand-père a cherché à rendre utile le
plus grand d’entre nous – moi. Mon frère Paco ne pouvait
pas faire grand chose avec sa jambe paralysée et ma sœur
était bien trop petite. Il n’a pas tenue compte du fait que
je n’étais pas en très bonne santé, d’ailleurs personne ne
voulait le reconnaître, et c’est moi qui me suis désormais
occupé de la truie.
Cela a duré quelques mois, j’étais presque guéri de la gale.
Un jour, alors que j’étais dans le jardin, j’ai vu arriver sur
le chemin des moulins un homme très grand avec un bâton
à la main
C’était Pepico Casasola, qui venait me chercher pour
m’emmener dans sa ferme. Il avait près de 80 cochons
et il avait été conclu que j’allais m’en occuper. Bien
entendu, on ne m’avait rien demandé. Ma mère était de
mèche, bien entendu, mais il n’y avait rien à dire. Nous
étions orphelins. Alors, le lendemain, ils m’ont donné une
mauvaise couverture – il n’y en avait pas d’autre de toutes
façons – et je suis parti. J’avais 11 ans.
El Cortijo Potrilla
J’ai quitté Alhama tôt le matin avec mon nouveau (et
premier) maître. On m’avait monté sur une vieille mule
pour parcourir les sept ou huit kilomètres jusqu’à la
ferme. Je n’ai pas ouvert la bouche de tout le trajet.
Si quelquefois mon patron me posait une question, je
répondais par oui ou non, c’est tout. Je me souviens d’une
chanson qu’il a chanté, comme chantaient alors souvent
tous les villageois. Elle disait :
Cuando veo a mi serrana
con ella me quiero ir,
lleva el cántaro en la mano
y la jarra en el cubrí.
Quand nous sommes arrivés à la ferme, les patronnes
m’ont donné à manger. Elles étaient les trois femmes des
fils du maître des lieux. Pepico m’a ensuite emmené voir
les cochons et quand j’ai vu le nombre qu’ils étaient, j’ai
perdu tous mes moyens. Je ne voyais pas comment j’allais
m’en sortir ! J’ai passé tout le reste de la journée avec le
garçon qui s’occupait des porcs en attendant ma venue
(car le précédent porcher était parti). Il m’a montré où il
fallait emmener les cochons et ce que j’aurai à faire. Nous
étions dans les premiers jours de mai et la journée m’a
paru interminable. Au crépuscule, nous sommes revenus à
la ferme et avons rentré les cochons à la porcherie. Quand
je me suis retrouvé là-bas à la nuit tombante, avec tous
ces gens que je ne connaissait pas, le monde s’est écroulé
autour de moi. Moi qui avait toujours été timide, qui
n’avait jamais quitté mes parents ! Je me trouvais bien loin
maintenant !
Le contrat prévoyait que je rentre chez moi tous les dix
jours pour changer mes vêtements. La nuit, je dormais
dans le foin, près des écuries qui étaient très grandes et
me faisaient peur. Les ouvriers dormaient dans la cuisine,
très grande elle aussi. Il y avait des plates-formes des
deux côtés et les deux garçons dormaient là. Comme la
bouilloire était allumée toute la journée il faisait chaud là-
bas. Les ouvriers jetaient un matelas sur leur plate-forme
pour dormir, tandis que mon lit était une botte de foin. Les
premiers temps ont été difficiles, mais il a bien fallu que je
m’habitue.
Cela faisait plusieurs mois que je travaillais à la ferme
Potrilla quand lors d’un de mes retours à la maison, je j’ai
trouvé ni ma mère ni mon frère Paco. Ils avaient du partir
précipitamment à l’hôpital San Juan de Dios de Grenade,
car l’état de la jambe de mon frère s’était aggravé. Il est
resté là-bas plusieurs mois et quand il est rentré, il avait
une jambe en moins et il marchait avec une béquille.
Pendant ce temps, ce sont mes tantes qui se sont occupées
de mes vêtements. Moi, je continuais de travailler à la
ferme. Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Au moins,
là-bas, je mangeais bien, je ne pouvais pas me plaindre.
J’étais payé trois duros par mois (quinze pesetas), une
petite truie chaque année au mois de mars et c’est tout. J’ai
passé trois ans là-bas, le compte est facile à faire.
Pendant ces années, je me suis familiarisé avec les maîtres
des lieux, et surtout avec les femmes. Comme elles avaient
des enfants en bas âge, je m’occupais d’eux le soir et
comme je n’était pas bien grand, moi-même, je me suis
attaché à eux. Cette situation m’a valu la protection des
femmes. Si jamais j’avais fait une bêtise avec les animaux
dans la journée, elles m’évitaient les réprimandes trop
sévères.
L’école de l’instituteur Clarín
La situation de la famille était plus que précaire. Mon
frère est alors parti chez ma grand-mère paternelle qui
vivait dans le quartier de la Joya. Elle l’a inscrit dans
l’école privée de M. Clarín. Comme il était républicain, il
n’avait plus le droit d’exercer, comme beaucoup d’autres
professeurs, avocats, médecins... Il avait alors monté
une école dans sa propre maison. Bien entendu, elle était
très mal vue, surtout par les curés, car les enfants n’y
apprenaient rien de la religion. Il enseignait des choses
utiles aux enfants des agriculteurs qui venaient chez lui,
rue de la Cruz. Seuls les agriculteurs pouvaient payer
ce genre d’école à leurs enfants. Les ouvriers agricoles
eux, à la place d’un livre, une plume ou une ardoise, ils
donnaient à leurs enfants un fouet ou un caillou pour les
envoyer travailler dans les fermes des grands métayers,
comme ils ont fait pour moi. Un fouet pour garder
des porcs et un caillou pour garder les moutons ou les
chèvres !
Mon frère Paco et ma sœur à Sagunto.
A l’arrière plan, le bus qui reliait Sagunto à Valence.
L’instituteur était aussi un ami de notre père, et il
partageait ses idées, libertaires. Seulement Clarín a eu
la chance d’échapper au peloton d’exécution, ce qui
n’a pas été le cas de notre père, et de beaucoup d’autres.
Tout cela pour dire qu’il a employé tous ses efforts pour
que mon frère progresse et comme il était loin d’être
idiot, il a pu le préparer rapidement à suivre des études
supérieures. L’instituteur est alors allé voir ma grand-mère
pour lui expliquer qu’il lui avait enseigné tout ce qu’il
pouvait et que Paco était maintenant prêt à poursuivre
ses études, mais il fallait pour cela l’envoyer à Grenade.
Malheureusement, ma grand-mère n’avait pas les moyens
de payer pour les études à la ville, et mon frère a dû rester
au village. Paco a quand même bénéficié de l’instruction
de Clarín, et cela lui a servi, plus tard, à enseigner à son
tour pour les enfants qui se trouvaient isolés dans les petits
villages aux alentours de Valence.
La maladie de ma mère
Une des fois où je suis rentré à la Peña comme tous les
dix jours, j’ai trouvé ma mère dans un état bizarre. Quand
elle m’a vu arriver, elle s’est écriée : « Ah, mon fils, je ne
pensais plus jamais te revoir ! » J’étais bouleversé et me
demandais de qui avait bien pu lui arriver, et pourquoi on
ne me disait rien. Effectivement, ma mère commençait
à perdre la tête. Cela peut se comprendre, après tout ce
que nous avions subi ces dernières années ! Il m’a quand
même fallu repartir à la ferme, mais j’avais le cœur gros,
je craignais le pire. S’il arrivait quelque chose à ma
mère, qu’est-ce que nous allions devenir. Et mon frère
Paco, avec une seule jambe ! Comme j’étais à la ferme
la plupart du temps, on me cachait beaucoup de choses,
pour me protéger. Mais avec le temps, je finissait par
comprendre des allusions. Ainsi j’ai su qu’un jour, mes
tantes avaient trouvé ma mère sur le point de se pendre à
un amandier du jardin. J’ai appris aussi que ma mère avait
pris l’habitude d’aller chaque matin au dispensaire. Mes
les docteurs, quand ils la voyaient, la renvoyaient chez elle
en lui disant : « Rentre chez toi, tu vas très bien ! » Elle
les croyait et s’en retournait tranquillisée. Je vous rappelle
en passant que tous les docteurs en exercice à l’époque,
étaient complices du pouvoir. Ces fascistes dans l’âme,
savaient bien qui était ma mère, et pour quelles raisons
elle commençait à perdre la tête ! C’étaient des charlatans.
C’est à cause de l’un d’eux en particulier que mon frère a
du être amputé.
Ce médecin, originaire d’Alhama, s’appelait Don Miguel
Ramos. Les autres médecins étaient des étrangers puisque
les bons médecins depuis la guerre avaient été enlevés,
emprisonnés ou bannis. À Santa Cruz del Comercio, une
petite ville près d’Alhama, un médecin avait été banni.
Je ne me souviens pas de son nom, mais bien de sa
physionomie, c’est l’homme qui a guéri ma mère. Comme
la rumeur s’était répandue qu’il était très bon docteur, les
gens des villages alentour allaient le consulter, car en plus
d’être un bon médecin était aussi très humain.
Ma mère a retrouvé la santé et a recommencé à vivre pour
ses enfants. Elle avait une santé de fer et si son état mental
a été dérangé dans ces circonstances particulièrement
dures, elle n’a plus jamais été malade. Plus tard nous
sommes partis pour Valence, toujours ensemble, comme
les doigts de la main, mais quatre, ma mère et ses trois
enfants: Incarnation, François et Jean.
Ma mère, veuve à trente ans, a porté le deuil sans que
nous ne puissions plus jamais la convaincre de quitter le
noir. Quand elle n’a plus pu travailler, comme elle n’avait
aucune pension, nous l’avons fait venir en France. Nous y
habitions depuis de nombreuses années déjà, bien contents
d’y avoir trouvé refuge après tout ce qui c’était passé dans
notre pays natal ! Notre mère a toujours vécu avec nous,
entourée de ses trois enfants et six petits-enfants : nos trois
filles et les deux garçons et la fille de ma sœur. Quant à
mon frère Paco, il ne s’est jamais marié, mais il a vécu
auprès de nous pendant de nombreuses années.
Les classes sociales en Alhama de Granada
Le village d’Alhama de Granada se trouve à 52 kilomètres
de la ville de Grenade. Il est situé au sud-ouest de la
province, dans les contreforts de la Sierra Tejeda et au sud
se trouve la province de Malaga. Dans les années d’aprèsguerre était d’environ 9.000 habitants. Je dis « un village
», mais en fait il y en avait deux. Celui des riches, les
moins nombreux et celui des pauvres, l’immense majorité,
ceux qu’après la guerre on a appelé les « rouges ». Les
riches pouvaient se diviser en deux classes: les nobles,
également connus sous le nom de caciques, les parasites,
les exploiteurs, les paresseux ... en bref les plus méchants
et brutaux, qui passaient leurs journées au casino, ou à
faire la bringue et maltraitaient les servantes. L’autre
catégorie était celle des paysans riches. Ils travaillaient sur
les terres dont ils étaient propriétaires et quand ils avaient
besoin de main d’œuvre, ils embauchaient des ouvriers
agricoles qu’ils faisaient trimer du lever au coucher du
soleil pour un salaire de misère.
Dans ces années-là, les nobles se faisaient servir par une
foule de bonnes : femmes de ménage, gouvernantes,
cuisinières, blanchisseuses, nourrices... Comme ça, leurs
épouses ne se fatiguaient pas et restaient jeunes bien plus
longtemps. Certains avaient fait des études, mais aucun ne
travaillait. À quoi bon, puisqu’ils pouvaient vivre de leurs
rentes ! Les riches se remplissaient la panse de bon pain
de blé et de galettes à l’huile d’olive. Pendant ce temps,
la majorité des habitants du village se nourrissait avec des
cartes de rationnement, et la farine de blé était rare. Nous
avions de la farine d’orge, mal dégrossie et on passait un
mauvais moment quand les morceaux de barbe d’orge
nous passaient dans la gorge ! Pour l’huile d’olive, nous
avions droit l’huile trouble, pleine de dépôts, car la plus
claire était exportée pour trois ou quatre fois sa valeur. Le
bracero, c’est à dire l’ouvrier que n’a que ses bras pour
travailler – ce qui représentait la majorité des villageois –
gagnait 14 ou 15 pesetas pour une journée épuisante. Avec
ça il pouvait acheter un peu de pain, une paire de harengs
et c’est tout.
La commune d’Alhama était alors et reste aujourd’hui une
région agricole, et produit particulièrement des céréales.
Trop de céréales. Car à qui profite l’abondance de céréales
et d’olives ? Certainement pas aux braceros !
Je m’en suis rendu compte de moi-même à la ferme de
Potrilla, avec la famille Casasolas, je n’ai pas eu besoin
qu’on me l’explique. J’ai participé à tous ces travaux
agricoles dans le village, à partir de 11 ans, j’ai travaillé
dans la ferme de Potrilla de 1941 à 1943. En 44 je suis allé
à la ferme des Morales et j’y ai gardé les chèvres. Au bout
d’un an et demi je suis parti pour commencer à travailler
dans les champs de céréales jusqu’à ce que j’émigre en
1952 à Valence. Dans les fermes, comme aux champs, j’ai
été bien traité. De la famille des Taratas, comme on les
appelle au village, j’ai de très bons souvenirs des parents
comme de leurs enfants. Après tout ce temps, j’avais pu
économiser un peu pour partir vers Valence.
La résistance et les guérillas
les mauvais traitements de la part des phalangistes,
la faim, les réfectoires de l’aide sociale,
les passages à tabac dans les garnisons de la part des
garde-civils,
la spéculation (marché noir, contrebande) etc.
Ces expériences, beaucoup d’entre nous les avons vécues.
Á Alhama, à la fin de la guerre, mal nommée « guerre
civile » a commencé la chasse envers ceux qui avaient
fui et s’étaient réfugiés dans les montagnes qui entourent
Alhama pour sauver leur vie. Bien entendu la garde civile
commença son travail de recherche des « rouges ». Pour
le faire, le régime décida d’un décret qui stipulait que tous
ceux qui souhaitaient intégrer le corps de la gendarmerie
pouvaient en faire la demande ; il suffisait simplement de
savoir signer. Sans commentaire. On pu voir à l’œuvre la
brutalité qu’employaient les nouveaux comme les anciens
garde civils. Comme si cela ne suffisait pas, on nous amena
une compagnie de maures avec son quartier général qui
furent installés dans la place centrale en un lieu nommé :
Place des Prisonniers. Le grenier communal une ancienne
synagogue du XIII siècle.
Cinq individus furent amenés de l’extérieur, ce qui
complétait toutes ces autorités destinées à nous contrôler et
dénoncer les « rouges », les vaincus de la République. Mais
eux, qui les contrôlaient ? Le chef de ces individus, connu
sous le nom de « El Cavillo » fut le complice d’un meurtre
avec vol. Cet individu que les fascistes amenèrent on ne sait
où en compagnie des quatre autres, étant protégés, commit
un crime inhumain. Il tua pour le voler le père de Maria
Castro, propriétaire du moulin Mochon, non éloigné du
Pont des Bains. Les faits se produisirent de nuit et au matin
suivant on trouva le cadavre attaché avec une pierre issue
de la rivière, de la grosseur d’un poing.
Bien que l’assassin essaya de nier le meurtre et tenta
de culpabiliser un de la Montagne9 cela ne suffit pas à
le déculpabiliser. Heureusement pour tous les voisins
d’Alhama en général et pour les gens de la Montagne en
particulier, on sut rapidement que le coupable c’était lui.
Je veux aussi signaler que sous le couvert des gens de la
Montagne, on commit beaucoup d’irrégularités, mais ceci
mérite que l’on s’y arrête et j’y reviendrai plus loin.
Pourquoi les gens partirent-ils dans la Montagne ? Je veux
préciser que je me réfère à la population d’Alhama et de sa
région car c’est là que je vivais et souffrais à cette époque.
Et bien les gens partirent à cause de la peur qu’ils éprouvaient
et pour sauver leurs vies. Ces montagnes et surtout la
Montagne de Loja était remplie de fugitifs, non seulement
d’Alhama mais aussi d’autres villages limitrophes.
Nous avons en mémoire les noms de certains d’entre eux
: El Cornudo, Espartillo, Los Tericias, Los Guisaos, etc…
Egalement, je souhaite préciser que beaucoup furent fusillés
9
Ce nom populaire fut donné aux maquis, guérilleros, antifranquistes et fugitifs du régime
durant les premiers moments, au fur et à mesure qu’ils
arrivaient de la zone républicaine.
S’ils avaient réfléchi et pu prévoir les intentions perverses
qu’avaient les vainqueurs, si on ne les avait pas chassés
comme des lapins en les trompant sur les fins qui leur étaient
destinées, s’ils s’étaient échappés et avaient fuit vers les
Montagnes, ils auraient sauvé leurs vies même s’ils étaient
morts plus tard en se défendant comme cela se produisit
pour la majorité d’entre eux car, peu à peu tous tombèrent
sous les balles ennemies.
Lorsque je dis qu’ils ont été trompés je me réfère à ce qui
était diffusé par la radio franquiste qui matraquait tous les
jours car ils se comportaient en vainqueurs fiers de leur
gloire. Les émissions de radio franquiste diffusaient des
mensonges à toute heure disant : « Tous ceux qui ne se sont
pas sali les mains de sang peuvent revenir vers leurs foyers,
car on ne leur fera rien ». Ceci fut la cause que beaucoup
d’hommes, la majorité, « mordirent à l’hameçon » car qui
avaient les mains pleines de sang sinon ceux que sortirent
dans la rue en tuant le peuple civil et tous ceux qui se
trouvait sur leur passage ? Ils firent tout cela et pire encore à
l’aide des mensonges que nous venons de mentionner ainsi
que d’autres.
Nous avons comme preuve ce qui s’est passé à Grenade,
la capitale. Au nom de « Vive la République » es militaires
sortirent dans la rue et, selon les témoignages dignes de foi,
durant les premiers moments les morts allaient du cimetière
juqu’à la promenade de Tristes, Place Larga et autres10Pour
se faire une idée de la façon dont se manifestaient les
« gens de la Montagne », il faut tenir compte qu’ils étaient
totalement libres et que les gardes civils n’avaient rien à
faire. Alors, la tactique de ceux de la Montagne était de
ne jamais rester au même endroit. Quant à la population,
elle les protégeait car qui n’avait pas un fiancé, un frère,
un oncle ou un père assassiné ? Les orphelins étaient déjà
nombreux.
. La vie des ouvriers agricoles
Le village d’Alhama était et demeure un village agricole.
Mais actuellement, s’il a fait des progrès en quoi que ce
soit c’est dans le nombre de tavernes, malheureusement
pour la santé des jeunes. A part quelques artisans, plus de
80% de la population travaillait dans l’agriculture, dans
les champs en tant que journaliers avec les paysans et les
propriétaires qui avaient déjà récupéré leurs terres. Nous
étions en 1939 et non seulement ils avaient récupéré leurs
terres mais aussi leurs esclaves. Pour un misérable salaire,
on nous appelait pour travailler du lever au coucher du
soleil lorsqu’ils avaient besoin de nous aussi bien pour
les moissons, si c’était en été et pour 20 pésètes, qu’en
10
Le soulèvement militaire se produisit dans la ville de
Grenade l’après-midi du 20 juillet 1936. Après être indécis sur
l’attitude à adopter, les troupes sortirent dans la rue et avec
l’appui du reste des corps armés et des civils phalangistes, ils
avancèrent jusqu’au centre de la ville criant « Vive la République » trompant ainsi la population. A part la résistance qu’ils
rencontrèrent dans le quartier de Albaicin, le reste de la ville fut
contrôlé facilement et la répression commença.
hiver, pour la récolte des olives et pour 15 pésètes. Le
reste du temps, nous devions nous débrouiller comme nous
pouvions, cherchant dans les champs n’importe quoi : des
glands, des épis, de l’alfa etc…
Pour travailler, nous devions aller jusqu’à la place du
village chaque matin. Là, venait le contremaitre pour nous
chercher et nous contracter pour la journée. Sur cette
place, se rendait tout le village chaque jour, les ouvriers qui
travaillaient dans les champs. Alhama était une bourgade
de 9 000 habitants11 Le fait de devoir nous rendre tous les
jours sur la place nous permettait de nous voir, de travailler
ensemble, un jour avec les uns, le lendemain avec les autres
et ainsi nous donner la possibilité de mieux nous connaitre
et d’être solidaires.
Il vient à ma mémoire, grâce aux nombreux livres que
j’ai lu, comment les choses se passaient en URSS avec
les communistes. Il était très difficile à trois personnes de
se réunir car il était possible qu’un espion soit une de ces
personnes. En ce qui nous concernait, à Alhama, le ou les
propriétaires des fermes cherchaient pour leurs travaux des
champs un homme de confiance protégeant ses intérêts
économiques. Ce travailleur était ouvrier agricole comme
le reste des ouvriers sans terre. C’était celui qui s’entendait
avec l’équipe qui le reconnaissait comme chef d’équipe.
C’était lui qui nous payait tous les jours, à la fin de la journée
toujours au coucher du soleil, c’est-à-dire après une terrible
journée de travail, du lever au coucher du soleil si c’était les
moissons, ou ramassant les olives ou sarclant les oliviers
11
En 2010, la population d’Alhama de Grenade comprenait 6
097 personnes
si c’était l’hiver. En rentrant à la maison, on se lavait et
se changeait puis on allait jusqu’à la place toucher les 15
ou 18 pésètes en hiver ou 20 à 25 pésètes en été. Lorsque
le chef d’équipe te payait, s’il restait du travail, il disait :
« A demain » sinon il disait : « Demain il n’y a rien ».
Alors, nous savions ce qui nous restait à faire, chercher
ailleurs. Nous retrouvions les amis qui pouvaient quelque
fois te dire : « Demain, si tu veux, tu peux venir avec nous
à la ferme Polilla ou Cordoba, ou Quejigal » Je donne cet
exemple pour expliquer comment se déroulait la recherche
du travail des déshérités de la terre, en Andalousie. Selon
un dicton andalou : l’ouvrier andalou n’a même pas un lieu
pour mourir.
En raison des changements de travaux continuels auxquels
j’étais obligé, j’avais l’avantage de connaître la géographie
de tout le canton. Et ce qui était très important pour nous,
adolescents, nous avions l’opportunité de rencontrer
beaucoup d’hommes qui avaient défendu la République et
qui avaient souffert de mauvais traitements dans les prisons
ce qui avait ébranlé leur santé. Toute cette période me servit
d’expérience que je nommerai pédagogique. Elle alla de
1939 jusqu’en 1951 année où j’atteignis l’âge du service
militaire. Ces 11 ans furent, pour moi, plus qu’une école, car
durant ces années, dans les écoles de Franco, on apprenait
seulement le catéchisme et tout ce qui avait une relation
avec la religion catholique apostolique et romaine. La peur
régnait aussi et notre famille ne s’exprimait pas. Ainsi, ce
fut dans la rue où j’appris beaucoup de choses. Lorsque
je dis : la rue, je me réfère aux rues du village malgré le
danger car nous étions entourés de tous ces phalangistes,
« requetes » curés et toutes classes de dévots, militaires au
service de l’Etat. Alors, j’insiste sur le fait que durant toutes
ces années qui suivirent la fin de la guerre, si je travaillais en
plein champ, dans des travaux très durs, en revanche, nous
étions libres comme le vent. Ceci me permit d’apprendre
beaucoup des autres travailleurs des champs d’Alhama
de Grenade, car, même si la majorité était analphabète ne
sachant ni lire ni écrire, il n’en est pas moins vrai que ces
hommes possédaient une culture extraordinaire dont ils me
firent bénéficier
Ils me racontèrent beaucoup de choses sur ce que fut la
guerre, ce qu’ils avaient vécu dans les tranchées et, plus tard,
dans les prisons. Les mauvais traitements que chacun d’eux
avaient soufferts. Certains d’entre eux s’étaient trouvés
avec mon père, dans les mêmes cellules ; je ne sais par
quel hasard ils purent sauver leur peau. J’appris aussi, que
mon père avait perdu la raison, car on la perdrait à moins.
Ils me dirent aussi que mon père fut sorti de sa geôle pour
aller « faire une promenade » en compagnie de quelques
autres. Il criait que l’on allait en tuer quatre. Il était facile
d’imaginer de quels quatre il s’agissait. Je construisais la fin
de vie de mon père, par recoupements.
Au sujet de mon père, je me souviens du contenu d’une
lettre qu’il envoya à ma mère à la veille de Noël dans
laquelle il disait, entre autre, que cette année là, ce serait une
petite fille qui naîtrait et non un garçon se référant à l’enfant
Jésus. J’appris aussi de nombreuses années plus tard, que
mon père avait écopé de sept condamnations à mort. Mon
oncle Pepe, frère de mon père, les phalangistes d’Alhama,
Benito, Don Miguel, Ramos le médecin, Cristobal Raya le
garde civil etc. après l’avoir battu et insulté tout un jour,
le ramenèrent en prison et le mirent dans un cachot où il
dormit. Il y a de nombreux faits que je relaterai au fur et à
mesure de mes souvenirs.
Durant la guerre, le peuple d’Alhama fit justice
envers un propriétaire d’une ferme de Linan. Toute la
population s’y rendit, comme Fuenteovejuna. Les fascistes
battirent mon oncle Pepe pour qu’il dise quels étaient ceux
qui étaient là-bas. Il répondit que c’étaient des chrétiens et
on ne put lui tirer un mot de plus. J’appris tout cela et plus
encore des hommes des champs.
. La guerre contre ceux de la montagne
Quelles furent les précautions que prirent les phalangistes
pour exterminer les hommes de la montagne ? La première
chose, en plus des maures, c’est qu’ils amenèrent un
commandant de la garde civile. Jusque là, à Alhama, nous
n’avions connu qu’un sergent et un lieutenant de la garde
civile. La première chose que fit ce commandant fut de
faire afficher, pour que tout le village le sache les phrases
suivantes : Je dois faire que ce village s’habille de deuil ».
Ils pouvaient toujours nous dire que la garde civile avait
changé !
Comme je viens de le préciser, ce commandant arrivait avec
ses plans qui furent les suivants : les gardes civils étaient
vêtus d’un uniforme vert, coiffés du tricorne, mais certains
s’habillaient comme nous, ouvriers des champs : pantalon
de velours marron et veste grise ou marron. Ces derniers se
mêlaient à nous, surtout dans les fermes et ainsi en même
temps qu’ils protégeaient les propriétaires, ils étaient aux
aguets pour dénicher quelque rouge.
A cause de ces tactiques, les choses empirèrent. Les
propriétaires des fermes partirent au village et ne venaient
à la ferme que de temps à autre, surtout pendant la journée,
car la nuit ils avaient peur d’y rester. Je parle des gros
propriétaires, car ceux qui possédaient de petites fermes qui
leur donnaient tout juste de quoi vivre, les guérilleros ne les
attaquaient pas ; ceux-ci ne possédaient pas de maisons au
village.
Pour survivre, les gens de la montagne avaient résolu le
problème de l’approvisionnement. Pour cela, ils allaient
jusqu’à une ferme, s’emparaient du propriétaire et
l’emmenaient avec eux, en général, en fin de journée. Ils
profitaient qu’à ce moment-là, tous les travailleurs n’étaient
plus là, les ouvriers agricoles, les bergers et les domestiques.
Ils encerclaient la ferme, demandaient après le patron,
lui disait ce qu’ils voulaient et partaient avec lui, après
l’avoir assis sur une de ses charrettes, non sans avoir donné
leurs consignes à sa famille sur ce qu’elle devait faire. Le
domestique le mieux placé s’occupait de préparer ce qu’ils
exigeaient. Ce pouvait être 30, 40 ou 50 000 « duros ». A
ce moment là on parlait en « duros ». Ils leur indiquaient le
lieu où ils devaient déposer l’argent Ce pouvait être à coté
de quelque chêne vert, une fontaine ou un olivier.
Une fois, je travaillais à la ferme Caramel qui se situait à
l’entrée de la route de Jatar. J’y ai passé un été, employé
aux moissons du blé, orge et autres céréales. Dans cette
ferme, les hommes de la montagne emportèrent le fils
du patron connu sous le sobriquet de Casquera. Il avait
environ 14 ans . Ce qui fut exigé du père, je ne m’en
souviens plus. Cela pourrait être 20 ou 30 000 « duros ».
Ces choses n’étaient pas connues exactement. Seules
étaient connus les commentaires et anecdotes. En ce qui se
réfère à l’enlèvement de Casquera, on sut qu’il fut envoyé
par la « Cuesta Rayo » vers le vallon Eguila en passant par
la Fontaine de l’Aragonais en direction de la Montagne
Tejeda. Il devait y aller seul et en chantant une chanson très
connue dans cette région. Il s’agissait d’une chanson de
Grenade qui disait :
Vive Grenade qui est ma terre
Vive le pont du Genil
La Vierge des Angoisses
L’Alhambra et le Albaicin
C’était la consigne. Ensuite, lorsque le garçon fut ramené à
son père, une fois payée la quantité exigée par les hommes
de la montagne, il expliqua à son père son odyssée. Il lui dit
surtout qu’il avait été bien traité, ce à quoi le père répondit
que ces bons traitements lui avaient coûté très cher !
Je veux dire bien haut que dans cette région dans laquelle
nous vivions, les gens de la montagne n’ont eu d’autre
solution que de se défendre des civils et des maures, mais
jamais ils ne se vengèrent sur leurs victimes. S’ils raptaient
quelques fermiers c’était pour se procurer un peu d’argent
pour se sustenter car les seuls qui auraient pu les aider,
c’était le peuple, mais celui-ci mourrait de faim. Les gens
étaient obligés d’aller dans les champs pour ramasser des
plantes comme du carnillet, cardons et d’autres encore. Ils
allaient dans les fermes pour qu’on leur donne du petit lait,
ce qui reste du lait des chèvres car il n’y avait pas de vache
après avoir extrait la pressure pour faire le fromage. C’est
pour cela que les hommes qui partirent dans la montagne
pour faire la guérilla devaient aller chercher de l’argent où
il était, dans les maisons des propriétaires fermiers.
. La spéculation (marché noir, contrebande)
Dans ces zones rurales, nous ne savions rien sur les banques.
En raison de la pénurie et de la faim, tous ceux qui avaient
des produits en abondances se lancèrent dans la spéculation
; ils vendaient les marchandises trois ou quatre fois leur prix.
Une fanègue de blé se vendait : 500 ou 600 pésètes, 120
duros alors que son prix fixé par le service de rationnement
était de 20 à 25 duros, 100 à 125 pésètes. Durant ces années,
il y eut, non seulement des riches qui s’enrichirent encore
plus, mais des nouveaux riches car, « a rivière tumultueuse,
profit des pêcheurs ».
. La guerre contre ceux de la montagne
Les morts de Venta Palma
Comme je l’ai précisé, avec le nouveau commandant de
la Garde Civile, commença la chasse aux hommes de la
montagne. Lorsque dans quelque embuscade avec la Garde
Civile ou les maures, tombaient des guérilleros, on les
promenait, morts, dans le village, chargés sur une charrette
ou montés sur des mules ou des chevaux. Ils choisissaient
les quartiers ouvriers d’Alhama dans lesquels pouvaient les
voir une épouse, une mère, fiancée ou leurs amis.
En général, ceux qui les voyaient surtout étaient les
enfants car c’étaient eux qui se trouvaient dans la rue en
train de jouer, comme tous les jeunes enfants. Une fois, il
se produisit un fait qui devenait de plus en plus fréquent.
Dans la région de Tejeda, il y avait cinq jeunes des guérillas
qui avaient besoin de certaines choses. Ils rencontrèrent
un berger qui conduisait un troupeau de chèvres et lui
demandèrent s’il pouvait les secourir ; ils le paieraient
avec intérêt. Le chevrier était jeune, lui aussi mais au lieu
de faire ce qu’il leur avait promis, il alla les dénoncer au
propriétaire de la ferme qui avisa la Garde Civile. Celleci monta, accompagnée de maures, ils les encerclèrent et
les chassèrent comme des rats. Le groupe se composait de
six hommes, mais cinq seulement furent tués. Le sixième,
blessé, se cacha en montant sur un arbre où il resta tout le
jour. La nuit, il regagna la montagne.
Cette fois, les hommes furent chargés sur une charrette et
emmenés au village. Ils furent « promenés » dans tous les
quartiers du bas du village où vivait la classe ouvrière. Ces
hommes n’étaient pas originaires d’Alhama et personne de
les connaissait. Si je le raconte avec ces détails, c’est parce
que mon frère Paco les a vu. Il était plus jeune que moi
et blessé à une jambe. Comme il ne pouvait rien faire, il
passait son temps à jouer avec une muleta avec d’autres
enfants. Lorsqu’il vit ce triste spectacle, il vint le raconter
à ma mère en pleurant, car personne ne peut se réjouir de
voir cela.
. Les charbonniers
Alhama a toujours été un village agricole, son économie
dépendait de l’agriculture. Beaucoup de gens se sont décidés
à fabriquer du charbon de bois. Ces personnes vivaient dans
les montagnes avec leurs familles. Dans les taillis mêmes,
ils se construisaient des cabanes avec les branches des arbres
des alentours et de la terre. Ils s’y installaient tout le temps
que durait le travail auquel participait toute la famille. Le
père taillait les arbres ce qui était le plus dur, la mère en
plus des soins apportés à sa famille, aidait à approcher les
branches, la terre et tout ce qu’il fallait pour la préparation
d’une sorte de fourneau qui était nécessaire à la réalisation
du charbon de bois. Les enfants, eux-mêmes aidaient autant
qu’ils le pouvaient.
Beaucoup de ces charbonniers, en même temps qu’ils
s’occupaient de ce travail, ce qui, soit dit en passant, ne leur
donnait que le strict nécessaire pour ne pas mourir de faim,
étaient en contact avec les hommes de la montagne. Certains
de ces charbonniers durent s’échapper vers la montagne
par peur d’être dénoncés. Franco avait fait savoir que
tous ceux qui dénonceraient quelque rouge recevrait 7500
pésètes mais également l’habit de garde s’il le souhaitait.
La conséquence de cela, et comme l’argent est un mauvais
conseiller fut la démonstration du revers de la médaille.
Je reviens sur les cinq jeunes qui furent assassinés par la
Garde Civile à cause de la dénonciation du chevrier. Nous
nous souvenons que les évènements se produisirent sur les
pentes de la Sierre Tejeda. Le chevrier en question était
complice du propriétaire de La Venta Palma où se trouvait
un grand chêne. Les cinq jeunes qu’assassinèrent les maures
et la Garde Civile en laissèrent un de vivant mais blessé, ce
que l’on sut plus tard. Il réussit à grimper au sommet d’un
arbre, sorte de genévrier, qui pique beaucoup Cet arbuste
est de couleur vert foncé, comme le pin, mais beaucoup
plus touffu, un peu comme les cipres. L’homme réussit à
rester accroché au sommet de l’arbre tout le jour, sous son
couvert. Le soir, il marcha comme il put et se sauva. Il ne
s’était pas écoulé plus d’une semaine lorsque à la tombée du
jour descendirent une centaine de maquisards cherchant le
chevrier. Mais celui-ci n’était plus là. Ces sortes d’hommes
appréciaient beaucoup les ordres de la Garde Civile.
Lorsqu’il se produisait un fait similaire, on translatait le
« confident » vers d’autres lieux où il n’était pas connu.
Donc, le chevrier n’était plus là, mais le propriétaire de la
ferme qui était aussi ou plus coupable que son employé était
bien là. Décidés à faire justice, les maquisards s’en saisirent
et le pendirent devant la porte de sa maison où on le trouva
le lendemain matin. La nouvelle se répandit dans toute la
région au moyen du « téléphone arabe » comme toutes
celles que nous apprenions journellement.
. Le cas de El Cornudo
En 1945 ou 1946 si mes souvenirs sont exacts, je travaillais
dans la ferme El Porton située à l’entrée de la route de Jatar,
en face du moulin à huile Lazarico. Un après-midi, vers 4
ou 5 heures, nous entendîmes des tirs pas très éloignés de
l’endroit où nous travaillions avec la famille de l’Anglais.
Parmi les ouvriers se trouvaient mon oncle Juan Arenas, un
cousin à lui, Morillo, Antonio, deux fils du propriétaire Juan
et Ignacio, un autre ouvrier et moi. Lorsque nous arrivâmes
à la ferme, il y avait à la porte une jument pommelée
attachée sur laquelle se trouvait un homme mort, recouvert
d’une couverture. La nouvelle se répandit comme un éclair.
Il s’agissait d’un homme connu sous le sobriquet de El
Cornudo. Cet homme avait une femme mais pas d’enfants.
Comme il était recherché, il partit vers la montagne. Au lieu
de resté en groupe, comme le faisait les autres il marchait
aux alentours du village et probablement il rentrait certains
soirs chez lui. Le problème était que cet homme devait
vivre et se sustenter même si sa compagne l’aidait. Mais
nous avions tous tellement faim qu’elle gagnait à peine de
quoi se nourrir elle-même. Alors il devait recourir à d’autres
méthodes. Il allait dans les maisons riches et demandait de
la nourriture par des moyens pacifiques ou par la force. Le
temps passait et il espérait toujours que les choses changent
mais rien de cela ne se produisait. Franco était de plus en
plus fort. Nous étions en 1945 ou 1946 et tous ces espagnols
étaient obligés de parcourir la montagne depuis 6 ou 7 ans
déjà d’un coté à l’autre surtout la nuit.
Pour revenir à cet homme, El Cornudo, il rencontra un
jour un autre homme un laboureur, surnommé El Casasola.
Ils se connaissaient. El Cornudo demanda à l’autre qu’il
envoie son domestique chercher de l’argent pendant qu’il
le détenait en attendant, c’est-à-dire qu’il le prit comme
otage. On ne sut jamais comment cela se produisit, mais ce
furent les gardes civils qui arrivèrent, 6 ou 7. El Cornudo
aurait pu tuer El Casasola, mais il préféra s’échapper et le
laisser libre. Le terrain était à découvert. Il partit vers un
vallon mais les gardes civils tirèrent et le tuèrent. Ce fait se
reproduisit à diverses reprises ; les gardes civils faisaient en
sorte de ne jamais s’affronter avec les maquisards et encore
moins dans la montagne. Lorsqu’ils arrivèrent vers la ferme,
ils ne savaient pas combien d’hommes s’y trouvaient. Ils ne
pouvaient s’imaginer qu’ils n’en trouveraient qu’un seul. La
première idée qu’ils eurent fut de demander à des ouvriers
agricoles qui travaillaient dans un champ de blé s’ils avaient
fait leur service militaire pour pouvoir les armer et qu’ils les
aident à se battre contre ceux de la montagne. Nous avons
eu connaissance de ces faits, plus tard. Ainsi, El Cornudo
eut une fin tragique. Il avait un lien de parenté avec ma
mère car il était de la famille de Los Chozas.
. La répression de la Garde Civile
Tous les ouvriers qui travaillaient dans les champs étaient
exposés à rencontrer les gens de la Montagne à un moment
ou à un autre. Si nous ne les dénoncions pas, et s’ils
l’apprenaient ou s’ils découvraient que nous les avions aidés,
nous savions ce qui nous attendait. Dans la Sierra de Loja,
il y avait beaucoup de bergers car, en raison de son climat,
c’est un endroit idéal pour les brebis, particulièrement en
hiver. En été, comme l’eau n’était pas très abondante, et en
raison des chaleurs et des pluies rares, les bergers étaient
obligés de venir aux alentours du village où il y avait les
rivières Alhama et Rastrojos.
Dans cette partie là, on tua un berger qui était un oncle à moi
du coté de mon père. Je crois qu’il s’appelait Cielos. Cet
homme était toujours à cet endroit pour garder ses moutons.
Il était analphabète. Certainement, quelqu’un le dénonça et
on le retrouva dans cette partie de la montagne, mort.
En 1949, un autre travailleur fut assassiné. Il était connu
de tout le village et il travaillait avec tous les autres dans
les champs. Il vivait dans le Tejar, un quartier situé dans la
hauteur du village. J’avais travaillé avec lui car il était chef
d’équipe, il travaillait dans les terres de Jurtiga ; en haut
du village. Ces terres étaient plantées de vignes, car elles
étaient plus molles et convenaient bien au vignoble. Il y avait
divers pressoirs, celui de Espejo, celui de Pedro Jenizaro.
Dans les terres plus hautes, étaient les petites fermes de Los
Morunos et d’autres fermettes où vivaient « Los Parraos »,
deux frères avec leurs familles. On retrouva les deux frères
morts en dehors de leur maison à une distance de 400 ou
600 mètres, dans la montagne. On mit le feu à leur ferme.
Un de Los Morunos subit le même sort.
Après ces crimes, la rumeur courrait que c’était ceux de
la montagne qui avaient fait cela et la Garde Civile s’en
lavait les mains; mais le peuple savait très bien quels
étaient les coupables. La tactique qu’avaient adoptée les
gardes civils étaient de s’habiller comme des paysans, puis
ils allaient dans ces petites fermes où vivaient des familles
dans la misère car les fermes étaient trop petites et les terres
mauvaises comme le sont les terres qui se trouvent sur les
coteaux de ces montagnes. Les gardes civils essayaient de
se vêtir de la même manière que ceux de la montagne et,
comme eux, allaient au crépuscule jusqu’aux petites fermes.
La première chose qu’ils demandaient était si les paysans
avaient vu des gardes civils. Ces pauvres gens leur offraient
ce qu’ils pouvaient, car ils ne pouvaient donner davantage,
mais de bon cœur. Il ne leur venait pas à l’idée que ce
pouvait être des gardes civils déguisés. Ils ne pouvaient
pas non plus leur refuser ce qu’ils demandaient, de peur
que… Ils ne savaient pas comment réagir. Après quelques
jours, les hommes qui s’étaient déguisés revenaient avec
leurs habits de gardes coiffés du tricorne. Au contraire,
ils leur demandaient s’ils avaient vu des hommes de la
montagne. Si les paysans répondaient par la négative, les
gardes insistaient puis finissaient par se découvrir en leur
révélant qu’ils étaient venus auparavant, leur précisant le
jour, l’heure et jusqu’aux moindre détail de leur visite, ce
qu’ils avaient mangé, de quoi ils avaient parlé etc.. Cette
situation devint à tel point dangereuse, que ces pauvres
gens partirent se réfugier au village, mais comme la misère
continuait, certains partaient à Barcelone d’autres ailleurs.
Nous ne pouvions plus aller à la montagne pour ramasser
du bois car partout nous rencontrions des gardes civils. Il
leur paraissait que puisque nous étions dans les parages,
nous étions des gens de la montagne.
Un ami à moi, bucheron comme moi, fut attrapé par
les Gardes Civils dans la Sierra Tejeda lieu où il avait
l’habitude d’aller avec son âne tous les jours. Il fut maltraité
physiquement et moralement. Il prit peur et n’osait plus
s’aventurer en ces lieux. Il vendit son âne et avec cet
argent il partit à Barcelone, lui aussi, comme beaucoup
d’autres du village. Peu de temps après, nous avons reçu la
mauvaise nouvelle qu’il était mort, on l’avait retrouvé sur
un banc de la place de Catalogne. Ce jeune, célibataire, sans
aucune expérience de la vie dans les grandes villes et sans
argent, déambulait avec un autre homme d’un côté à l’autre
cherchant du travail. En attendant, il dormait et mangeait
où il pouvait ; il eut une fin bien triste. Ces expériences,
beaucoup d’entre nous les avons vécues.
En ce qui me concerne, il m’arriva aussi une aventure au
Jorales, au pied de la Sierre Tejeda. Nous avions l’habitude
d’aller là-bas pour ramasser du bois, ceux d’Alhama et
également, ceux d’autres villages limitrophes car ce bois
était de bonne qualité, de ciste, résistant, surtout le ciste
noir. J’allais par un chemin lorsque, depuis une hauteur, des
gardes civiles me donnèrent l’ordre de venir jusqu’à eux.
Ils étaient cinq. Lorsque j’arrivais, ils m’interrogèrent, me
demandant si je connaissais les bucherons qui se trouvaient
en face de nous sur une colline. Il y avait un vallon au
milieu, ces bucherons se trouvaient à environ 400 mètres,
à vol d’oiseau, de nous. Selon les ânes qu’ils conduisaient,
ils devaient être cinq ou six. Les gardes civils voulaient
que je leur dise qui étaient ces bucherons. Ma réponse fut
négative car je ne reconnaissais ni les ânes, ni les bucherons
car à cette distance, on voit la couleur de la chemise ou
du pantalon, mais pas les visages. Lorsqu’ils se fatiguèrent
de poser des questions, ils voulurent connaître mon âge.
Lorsque je leur dit que je venais d’avoir 18 ans, ils me
demandèrent si j’avais une carte d’identité. A ce moment
là, je ne savais pas ce que c’était qu’une carte d’identité,
car dans le village, la seule chose que nous avions était une
carte de rationnement pour l’alimentation. Et comme nous
ne sortions pas du village pour aller dans d’autres lieux,
nous ne parlions même pas de cela. Ils finirent par me laisser
partir non sans me menacer de me mettre en prison s’ils me
retrouvaient une autre fois sans carte d’identité. Il paraissait
plus facile à ces gardes, pourtant bien armés, d’interroger et
de menacer un jeune homme seul que de se diriger vers ces
six bucherons. Mais qui pouvait les assurer que c’était bien
des bucherons ? Ils pouvaient être des gens de la montagne.
De toute façon, depuis un certain temps, il est vrai que les
gardes sévissaient beaucoup mais il leur arrivait aussi de
tomber dans des traquenards. C’est pour cela qu’ils étaient
aux aguets et voyaient partout des gens de la montagne.
A partir de 1947, les choses empirèrent pour ceux qui étaient
dans la montagne. En premier lieu parce que la population
avait peur d’eux, à cause des représailles, et ensuite parce
qu’il y avait eu beaucoup de pertes et ils se retrouvaient
très isolés. Beaucoup se retiraient et se calfeutraient dans
leurs maisons car ils avaient une femme, une fiancée. Une
fois dans la maison, ils se logeaient dans un trou, dans
l’écurie de l’âne ou de la vache, d’autres se construisaient
des doubles parois. Nous avons un livre qui confirme ce
que je raconte ; il fut publié lorsque la démocratie arriva il
s’intitule « Les taupes ».12
. La mort de Tio Ballarta
Il se produisit un fait proche du lieu où nous travaillions,
connu sous le nom de El Cerro, dans la ferme Sanelias. Au
pied du coteau se trouvait la petite ferme Salero. Ce coteau
est assez élevé et depuis le haut il est possible de voir Alhama
ainsi que les rivières et jusqu’à Santa Cruz, un village pas très
12
Le livre écrit par Manuel Leguineche et Jésus Torbado et
publié en 1978
grand qui est distant d’Alhama de 7 ou 8 kilomètres. Sur ce
coteau s’étaient réfugiés des hommes de la montagne. L’un
d’eux était connu avec le surnom d’El Chato, on appelait
un autre Felipe lequel, selon les rumeurs était le cerveau du
groupe. Ils n’étaient pas originaires d’Alhama mais d’un
autre village El Salar situé entre Alhama et Loja. Selon les
bruits, ils se dirigeaient vers Grenade en se cachant. De
jour, ils restaient tranquille là où ils se trouvaient, lorsque
la nuit arrivait, ils marchaient autant qu’ils pouvaient.
Leur méthode était de s’arrêter dans des points en hauteur.
Le lieu où les faits se produisirent, se trouve à un endroit
d’où partent deux routes, les deux allaient en direction de
Grenade ; l’une passe par Santa Cruz y Buenavista, qui était
une bourgade, puis Moraleda de Zafayona puis de là, on
prend la route principale qui va à Grenade. L’autre passe par
Cacin, Ventas de Huelma, La Mala, Armilla et Grenade. Je
dirai que cette dernière est ancienne, plus courte mais aussi
plus accidentée. Ces deux jeunes gens, fugitifs, avaient
probablement l’intention d’arriver jusqu’à la capitale car ils
étaient recherchés à cause de dénonciations. Selon ce que
nous savions, il y avait des groupes à Grenade qui mettaient
en échec la police. Les plus connus étaient les frères Quero
et certainement d’autres aussi.
Ce qui se produisit en ce qui concerne nos deux hommes
fut ceci : ils s’étaient arrêtés sur un coteau pour se reposer,
attendre la nuit et continuer leur chemin. Il y avait de
nombreux oliviers et, par hasard le propriétaire et son fils
passèrent par là Il est très probable que les deux hommes
ne les connaissaient pas mais comme ils avaient besoin
de beaucoup de choses et en particulier de chaussures et
de nourriture, ils leur demandèrent s’ils pouvaient leur en
fournir et leur proposèrent de l’argent. Pour ne pas être
dénoncés, ils envoyèrent le fils et gardèrent le père. Jamais
ils n’auraient pu s’imaginer qui étaient ces personnes en
réalité. Le fils était militaire de carrière et en permission. Il
alla jusqu’au poste de la Garde Civile et les dénonça. Ce fut
un camion chargé de gardes civils couchés pour éviter les
soupçons qui arriva et les prit par surprise.
Lorsque les deux hommes se virent entourés, ils ne doutèrent
pas de ce qui allait arriver et leurs premiers coups de feu
furent pour l’homme qu’ils avaient gardé comme otage.
Savaient-ils que c’était le père de leur dénonciateur ? Qui
peut le dire. Le premier mort fut Tio Ballarta connu sous ce
nom car il était le propriétaire de la ferme Ballarta. Le père
éliminé, ils se défendirent tant qu’ils eurent des munitions
mais, à la fin, ils furent tués.
Ces évènements donnèrent à parler dans les milieux ouvriers.
Tio Ballarta eut ce qu’il méritait. Il fut un de ces fascistes
qui se gobergèrent lorsque les franquistes gagnèrent. Dès
les premiers jours de la guerre, les rouges tuèrent un de ses
frères et lui s’échappa par miracle. La mort de son frère fut
imputée à une famille qui habitait La Joya et connue sous
le surnom de Rose de Mai. La mère du supposé coupable
perdit un fils dans la guerre et par conséquent ne pouvait
se venger. Mais, on se vengea tout de même sur la mère de
la façon suivante. Un peu plus haut de la ferme Ballarta,
il y en d’autres et en particulier la ferme Potrilla à trois ou
quatre kilomètres plus haut. Pour ce rendre là haut, il fallait
passer par la ferme Ballarta car la route passe sous le porche
même. La dame de la Rose de Mai ne pouvait pas passer
par là car on la menaçait chaque fois qu’elle passait par le
porche. Elle dû prendre l’habitude d’aller jusqu’à la ferme
Palomino qui appartenait à la famille Chiscates, par un
chemin dangereux, en pente et beaucoup plus long à cause
des montées et descentes. Ces faits ne m’ont pas été racontés
par quelqu’un, je les ai vécus car lorsqu’en 1940 mon père
a été fusillé contre le mur du cimetière de Grenade, ma
mère, veuve avec trois enfants en bas âge m’envoya comme
commis à la ferme Potrilla.13 J’y suis resté trois ans. Il y
avait une jeune fille, domestique, qui s’appelait Carmela
qui était la fille de la dame Rose de Mai. De temps en
temps, cette dame venait voir sa fille et c’est pour cela que
j’étais au courant de tous ces évènements. Cette dame avait
déjà un certain âge . Lorsqu’elle arrivait et était passée par
la ferme Ballarta, elle était congestionnée et suffocante car
elle avait dû allonger son chemin de peur d’être attrapée.
On peut supposer de quelle façon fut accueillie, dans les
milieux ouvriers, la nouvelle de la mort de Tio Ballarta.
En vivant dans cette région durant les trois ans que je
travaillai dans la ferme Potrilla, j’eus l’occasion de
rencontrer d’autres commis de ferme comme moi. Les
fermes n’étaient pas très éloignées les unes des autres et
nous avions l’occasion de nous retrouver quelques fois pour
jouer car nous avions davantage l’âge de jouer que d’être
domestiques. Les circonstances en décidèrent ainsi. Les
jeunes que je retrouvais travaillaient à la ferme Ballarta, San
Elias, et Humeen. En vérité, je dois dire que j’étais celui qui
13
On envoyait, à ce moment là les enfants dans les fermes pour
qu’ils gardent les troupeaux que ce soit des porcs, chèvres ou brebis et
ils vivaient avec les gens de la ferme.
se portait le mieux, bien nourri et estimé. La preuve en est
que j’y suis resté trois ans, ce qui est vite dit, mais pour un
enfant de seulement 11 ans cela semble un temps très long.
Une preuve que j’étais bien traité est que durant le temps
où je restai à la ferme Potrilla, de nombreux autres garçons
défilèrent à la ferme Ballarta. Quelquefois, ils ne restaient
même pas un mois tellement ils étaient « bien traités » que
ce soit les enfants ou les domestiques le traitement était le
même. C’est par manque de réflexion et d’observation que
le fils de Tio Ballarta tua son propre père.
Les migrations
Les évènements se succédaient les uns après les autres. La
Garde Civile attrapa un homme vivant. Je précise vivant,
car, en général, quand ceux de la montagne tombaient dans
un traquenard ou s’affrontaient avec les gardes, il n’était pas
rare que quelque victime tombe aussi bien d’un côté comme
de l’autre ; les guérilléros qui le pouvaient s’échappaient et
se réfugiaient à nouveau dans la montagne. Mais cette fois,
ils attrapèrent un jeune connu sous le nom de Espartillo.
On raconta beaucoup de chose : qu’à force d’être mal
traité, il dénonça beaucoup de gens. Nous ne savons rien
des méthodes employés à son encontre, mais ce qui est
vrai c’est que l’on commença à emprisonner des ouvriers.
Les uns un jour, d’autres le lendemain et cela provoqua un
grand trouble dans la population et les gens commencèrent
à partir. Certains en Catalogne, d’autres au Pays Basque et
c’est ainsi que je partis à Valence car j’y avais un oncle qui,
à la fin de la guerre, préféra s’y installer.
On arrêta un cousin de ma mère Paco Arenas qui était
fossoyeur. Ils lui reprochèrent de permettre aux hommes
des maquis de se cacher dans le cimetière, la nuit. Ce fut le
motif qui leur permit de l’emmener à la prison de Grenade.
Ils emmenèrent aussi deux frères d’un ami nommés Los
Tremendos. Ceci se passa en 1949, 1950 et ensuite.
Un autre fait que je tiens à raconter, et qui concerne Antonio
Navas. Il avait un camion et un jour, le bruit courut qu’il
avait disparu. Antonio avait des frères. Ils étaient d’une
famille fortunée qui vivait à l’aise. Lorsque se produisit
le soulèvement militaire par les forces qui trahirent la
république, chacun des frères choisit son camp. Antonio et
Paco se mirent du coté de la république et, bien sûr, lorsque
la guerre se termina, ils furent détenus dans des prisons.
Ils y restèrent plusieurs années à en supporter les mauvais
traitements. Grâce à l’influence des parents et à leur position
de propriétaires fortunés, ils purent sortir libres. Cela
n’évita pas que Paco sortit malade et ne put reprendre sa
profession d’avocat. Quant à Antonio qui était chauffeur de
métier, sa famille l’aida à acheter un camion et pour vivre,
il transportait ce qu’il pouvait.
Il existait à ce moment là, la spéculation, le marché noir, la
contrebande.14 Grâce à cela, certains gagnaient beaucoup
d’argent et personne ne leur disait rien. Mais les plus
pauvres pouvaient à peine respirer. Antonio qui se déplaçait
avec son camion d’un côté à l’autre rencontra certainement,
à un moment ou à un autre, des hommes de la montagne
14
C’était un commerce illégal de biens soumis à des impôts ou
taxes par l’État franquiste et sujets à des rationnements qui demeurèrent en vigueur de 1939 à 1952
comme cela nous arrivait à tous dans les champs, mais
cela ne nous réjouissait pas car il régnait un tel climat de
peur que nous préférons ne pas les croiser. Je dois dire que
ces hommes évitaient de se trouver en présence de jeunes
enfants. Je parle d’enfants, car il y en avait beaucoup qui
avaient de 9 à 13 ans et qui travaillaient à garder les bêtes.
Pour ma part, jamais je n’en rencontrai.
Antonio disparut du jour au lendemain, ce qui donna lieu
à des supputations sur un éventuel départ vers le Portugal.
Qui l’aida ? Mystère. Je pense qu’il se rendit compte
qu’il y avait beaucoup d’hommes détenus et, avant qu’ils
ne l’attrape à son tour, il préféra disparaître. Le cousin de
ma mère, Paco Arenas, ne put s’échapper et les deux frères
de mon ami El Trémendo non plus. Ils furent emmenés en
prison où ils restèrent un certain temps.
. La contrebande
En ce qui concerne les hommes de la montagne, il arrivait
fréquemment qu’il y ait des incidents entre eux, les
contrebandiers et les camionneurs. C’était bien naturel que
les maquisards aillent sur les routes et en rase campagne pour
attaquer les contrebandiers car d’une façon ou d’une autre,
ils fallait bien qu’ils vivent. Comme les contrebandiers
savaient qu’ils risquaient d’être attaqués, ils cachaient leur
argent le mieux qu’ils pouvaient. Si c’était des juments ou
des mules qui transportaient les marchandises, ils cachaient
leur argent dans quelque coin du paquetage. D’autres
fois c’était dans les souliers Mais si les contrebandiers
usaient d’ingéniosité pour cacher leur argent, ceux qui le
cherchaient savaient où le trouver.
Une fois, un des contrebandiers avait caché dans ses bottes.
Cet individu se mit à faire des commentaires dans une
taverne, disant qu’à lui, on ne pouvait lui voler car il cachait
son argent dans ses souliers. Dès qu’il sortit à l’extérieur, un
homme de la montagne se dirigea vers lui et lui demanda
d’enlever ses chaussures pour les essayer car elles étaient
plus neuves que les siennes, toutes trouées. C’est l’une des
nombreuses histoires qui se racontaient.
Ceux qui se consacraient à la contrebande usaient des
camions de l’époque avec des caisses en bois. Les gens se
logeaient aussi dans la caisse ou accrochés à la carrosserie
car dans la cabine, il ne pouvait y avoir que le chauffeur
et son aide. Ils avaient inventé un langage à part sous le
prétexte de ne pas être dévoilés par les gardes civils lesquels,
comme je l’ai mentionné, se déguisaient pour ne pas être
reconnus. Donc, pour parler de fanègue de blé ils parlaient
de citrouilles. C’était une sorte de dialecte, comme la langue
des gitans De cette façon lorsqu’ils se retrouvaient dans
des tavernes ou dans d’autres lieux publics, ils pouvaient
discuter tranquillement sans être découverts.
Ces tristes évènements n’empêchaient pas la population de
se divertir et d’inventer quelques moments d’humour même
si nous n’avions pas la radio ni même la lumière électrique.
Je me réfère aux fermes. Il arriva donc que nous allâmes
faucher du blé à l’entrée du vallon de Dona, près d’une
ferme appelé la ferme Marquez. J’étais là-bas avec don Justo
Topos et cinq autres jeunes garçons. De nuit, nous allions
dormir près de l’aire à blé car dans ces lieux il y a toujours
de la paille et c’était l’endroit idéal les mois de juillet et
d’août. Tous les gosses qui travaillaient y venaient dormir.
Dans cette ferme, il y avait aussi un gitan qui devait garder
les juments d’un monsieur bien connu du village, Carlillos,
un fasciste endurci comme ils l’étaient tous. Pour vous
donner une idée des coutumes de la campagne andalouse,
tous les animaux comme les chevaux, brebis, cochons, sauf
les chèvres, étaient sortis de nuit pour paître les mois de
fortes chaleurs, car de jour, les animaux ne mangent pas.
Pepe, le gitan, était très peureux et n’aimait pas sortir de
nuit dans les champs. Que faisait-il ? Il amenait les juments
près du lieu où nous nous trouvions et restait avec elles,
sans dormir, bien sûr, pour ne pas les perdre et pour ne pas
qu’elles entrent manger les moissons récoltées.
Révolution
Grenade
et collectivités dans
Alhama
de
La collectivisation aussi bien des terres que celle des moulins
dura en Alhama depuis le mois de Juillet 1936 jusqu’à
Janvier 1937. Tous les moulins à farine qui se trouvaient
dans le creux du vallon de la Pena appartenaient aux Perez
qui étaient quatre frères, sauf un dont le propriétaire était
Manolo Castro. Lorsque Alhama fut occupée par les forces
de Queipo de Llano, on donna des noms nouveaux aux
moulins, noms de saints comme aux rues : Sainte Thérèse,
Saint François etc… Les moulins eurent deux époques
prospères : la première le jour suivant le soulèvement
militaire du 18 juillet 1936 et la seconde à la fin de la guerre
en 1939. La première époque bien que relativement courte,
a bénéficié à tout un peuple d’une façon égalitaire. Tous les
produits d’Alhama en ce qui concerne l’alimentation furent
mis en collectivité et à partir de ce jour, nous n’eûmes plus
faim. Cette faim dont parlait Lorca lorsqu’il disait que le
jour où l’humanité sera rassasiée, ce jour là se produira la
révolution la plus grande au monde ! A partir de ce momentlà, tout le peuple fut riche, car il mangeait et travaillait
en même temps. Depuis la collectivité, on distribuait à
chaque famille les produits qui s’élaboraient dans toute la
zone, toutes classes de céréales et légumes, pois-chiches,
lentilles, haricots, pommes-de-terre, huile l’olive (on n’en
connaissait pas d’autre) et surtout, ce qui touche à la viande
de porc ainsi que les produits qui arrivaient de l’extérieur
comme le riz, le sucre, la morue, les sardines les harengs, le
poisson frais comme le anchois, clovisses, sardines, et toute
classe de fruits secs comme des raisins secs, figues… sans
oublier les bons vins de Malaga et l’eau de vie de Rute et
autres.
C’est ce que nous avons appelé la première époque qui fut,
bien que courte, très opulente pour la population déshéritée.
Nous voulons que tout ceci soit clair, surtout pour les jeunes
générations non seulement parce qu’elles ne l’ont pas vécu,
mais surtout parce que nous sommes les seuls à pouvoir le
dire !
Quant à la seconde époque elle se situe lorsque nous
avons perdu la guerre en avril 1939. Alors, les choses se
produisirent à l’envers, les propriétaires « prirent la poêle
par le manche » et oublièrent les déshérités qu’étaient et
furent de toujours les pauvres travailleurs. La pénurie régna
mais pas pour tous ! L’Espagne manquait de tout, on venait
de terminer une guerre qui dura 33 mois et les vainqueurs
entamèrent toute une série de représailles contre les vaincus.
Ainsi commença la contrebande et l’enrichissement de
certains. Sur le dos de qui ? Des déshérités. Comme si cela
ne suffisait pas, arriva une période où il ne pleuvait pas,
les années 43, 44 et 45. A cause de cela, les produits de
première nécessité manquaient. Ceux qui s’en sortaient le
mieux furent les propriétaires des moulins. Le moulin de
Mochon, près des jardins maraichers de Santa Maria et du
pont de Banos, le moulin Pajaro en bas des côtes de Carmen
ou Juan Guerra, le moulin de Manolo Castro et les moulins
des Perez, Juan Perillas, Mariano Quijamuerta, Perequi
et Carlos, bien que ce dernier s’occupait de troupeaux,
juments, mules et autres. Les années qui allèrent de la fin de
la guerre jusqu’aux années 48 et 49 furent très longues pour
ceux qui avaient faim. Les propriétaires de ces moulins s’en
sortirent très bien avec la contrebande ! Les Perez achetèrent
diverses fermes comme ceux de Humeen, Potrilla, Sanelias,
etc. En un mot, durant ces années auxquelles je me réfère,
beaucoup de ces messieurs se consacrèrent à la contrebande
et firent fortune.
Il y a aussi une troisième époque à laquelle je souhaite
faire référence. A partir de 1945, les gens d’Alhama
commencèrent à émigrer vers la Catalogne et au Pays
Basque. Cette émigration commença à une petite échelle
mais allait en augmentant doucement. De ce fait, Alhama
commença à se vider de ses jeunes particulièrement.
Les jeunes filles préféraient servir à Barcelone où elles
gagnaient trois fois plus et les jeunes gens partaient aussi
fuyant le chômage. En ce qui nous concerne, nous sommes
partis en 1951 et ne sommes pas revenus avant 1974 pour la
première fois. Nous avons retrouvé un village complètement
vide par rapport à ce que nous l’avions laissé mais il s’était
écoulé 24 ans. Alors nous avons pu constater comment les
« Messieurs d’Alhama » s’étaient effondrés comme un
château de cartes. Il n’y avait plus de riches et parmi ceux
que nous avions connus, beaucoup d’entre eux, ceux qui
n’étaient pas morts, étaient devenus des mendiants malades
et presque dans la misère.
Nous eûmes l’occasion de rencontrer Mariano Perez par
l’intermédiaire de mon oncle Juan Arenas, de la Pena parce
qu’il travaillait dans les potagers des moulins. Mariano Perez
était malade et lorsqu’il montait des côtes, il s’étouffait. Je
ne sais pas s’il nous reconnut mais nous, nous ne lui avons
pas adressé la parole. En fait, cela nous fit de la peine de
voir que maintenant s’en était fini de son orgueil. Pourquoi ?
Car tous ces propriétaires qui s’étaient enrichis sur le dos
de ceux qu’ils affamaient et en faisant de la contrebande,
maintenant n’avaient plus de domestiques pour travailler
leurs terres. Comme ils étaient des parasites et des fainéants,
leurs terres ne produisaient rien et ils devaient les vendre
peu à peu. Et qui pouvait les acheter ? Et bien certains des
ouvriers qui partirent en Catalogne ou au Pays Basque et
qui avaient réussit à économiser en travaillant beaucoup.
A leur retour, ces personnes achetèrent quelques parcelles
abandonnées. Car comme le dit la sagesse populaire : les
richesses mal acquises ne profitent jamais.
En ce qui concerne les moulins, nous les retrouvâmes dans
un état désolant. Lorsque nous sommes partis en 1951 nous
avons laissé les moulins habités par Carlos Perez, sa femme
Teresita et leurs enfants encore jeunes ainsi que leurs
domestiques, nurses, cuisinières, lavandières etc. Derrière le
moulin de San Francisco à coté des jardins, il y a un moulin
qui produit de l’électricité pour tous les autres. Là vivait un
homme qui s’appelait Barco avec sa femme La Aguililla et
une petite fille. Nous vivions près de là et les nuits, quand
ma mère revenait de la Botica où elle avait travaillé tout le
jour comme domestique, elle allait jusqu’à ce moulin voir
La Aguililla. Nous nous entendions bien avec eux et elle
permettait à ma mère de coudre des vêtements car il y avait
de l’électricité. Nous n’avons pas vécu dans les jardins de
la Pena qui était très proches, à une distance de trois cents
mètres des moulins. Dans ces jardins vivait mon grand père
maternel puis ce fut mon oncle Juan lorsqu’il se maria qui y
demeura lorsque mon grand père mourut.
Durant ces années, ces moulins moudraient le blé durant
la nuit et le jour. Il y avait beaucoup d’hommes qui y
travaillaient comme les Boticos père et fils, les Serratos, les
Chipis, les Serrano qui vivaient dans la ferme de Manolo et
d’autres dont je ne me souviens pas du nom. Dans le lavoir
du haut il y avait beaucoup de lavandières qui venaient
laver les vêtements des « dames ». Nous en connaissions
quelques unes par leurs surnoms comme « la Blonde du
Tejar ». Son mari était Grajo et ils avaient de nombreux
enfants. La Sojita était la mère de Ligero du Tejar et sœur
de la blonde. Il y avait aussi une veuve qui boitait. D’autres
femmes venaient individuellement laver leur propre
linge. Au total, une trentaine de femmes se réunissaient
journellement et comme c’était notre passage pour nous
rendre au village, nous nous étions familiarisés avec elles.
Il nous arriva même d’aider à sortir l’une d’entre elle qui
était tombée dans un lavoir : Ruilla. Cette femme, déjà un
peu âgée était la mère d’une jeune fille que je courtisais.
A Alhama régnait à peu près la même ambiance que celle
qui existait lorsque nous sommes partis. Cela ne veut pas
dire que les travailleurs vivaient bien car les travailleurs
avaient toujours les mêmes problèmes. Les gens peu à peu
partaient et lorsque nous sommes revenus la population
avait diminué de plus de la moitié et nous sommes repartis
aussitôt.
Juanito Gomez, le fils de Pepe Gomez fut nommé maire
lorsque les franquistes commandaient. A cette époque, les
maires étaient élus par la classe riche. Ils profitaient de leur
situation sans avoir de comptes à rendre à personne. Durant
son mandat, comme la contrebande s’était terminée il fallait
trouver autre chose pour avoir de l’argent. Le maire vendit,
pour cela, une partie des eaux qui s’écoulent de la rivière
Marchan de Alhama venant des sources de la Sierra Tejeda
et destinée au barrage de Bermejales. Selon des sources
dignes de foi, il les vendit à Madrid et une fois payé s’en fut
vivre à Palma de Majorque sans aucun remord. Ce furent
les échos que nous avons reçus des habitants de Alhama
durant nos visites familiales. A part cela, je possède une
photographie du père de cet homme en compagnie des
autorités municipales et religieuses car ces dernières allaient
toujours de pair avec les autorités municipales, et celles de
la Garde Civile, les trois piliers du régime.
En revenant au village, nous avons été surpris par la
jeunesse. Les riches l’étaient beaucoup moins. Les jeunes
gens pauvres s’étaient mariés avec les jeunes filles de
bonne famille. En ce qui concerne les cafés, ce fut la même
chose. Les casinos n’étaient plus « chasse gardée » comme
de notre temps. La vie réserve bien des surprises ! Tout
cela était très bien, mais les fascistes étaient morts les uns
après les autres, dans leur lit sans qu’on les ait jugés ni
molestés en raison des crimes qu’ils avaient commis. Les
seuls qui restaient encore, et qui étaient très peu, vivaient
tranquillement. Ainsi s’écrit l’histoire de la Guerre Civile
espagnole.
ANNEXE
Constitution et première session de la première
commission gestionnaire après l’occupation
de Alhama par les troupes nationales qui se
produisit le 22 janvier 1937
Etant donné la grande valeur documentaire que possède
l’acte de cette première session de la nouvelle municipalité
désignée, nous pensons opportun de la transcrire
intégralement pour nos lecteurs, insistant sur le fait qu’elle
doit être comprise et analysée en fonction de la période et
des circonstances historiques de ces années.
« En la noble et loyale cité d’Alhama de Grenade, à 12
heures du premier février mille neuf cent trente sept, se sont
réunis dans le salon avec l’intention de célébrer session
sous la présidence de Don Miguel Ramos Maestre, maire
désigné par Don Manuel Baturone, chef de la colonne
d’occupation de cette cité, Messieurs les gestionnaire
nommés par la même autorité militaire : Don Luiz Ruiz
Lopez, Don Cristobal Raya Velasco, Don Francisco Garcer
Guerrero et Don Miguel Morales Palazon.
La session s’est ouverte, et monsieur le maire désigna leurs
charges aux autres gestionnaires municipaux sus nommés
et déclara constituée la Commission Gestionnaire de la
municipalité.
La première manifestation de la nouvelle équipe de la
mairie fut de rendre hommage aux forces libératrices en
un témoignage d’adhésion inébranlables au glorieux
Mouvement et spécialement à l’insigne Caudillo, âme et
esprit du dit Mouvement l’excellentissime général Franco.
Les présents gestionnaires acceptent avec enthousiasme
la proposition et effacent jusqu’au limites du possible, les
traces du passage du marxisme dans la mairie, affront
d’ignominie et de honte pour l’Espagne et pour Alhama »
Que de mensonges ! Ensuite, au cours de cette même
session, ils s’accordèrent pour changer les noms de presque
toutes les rues pour imposer d’autres noms, plus « fascistes,
plus catholiques, plus saints. » Sans commentaires.
En un autre point de cet acte, la nouvelle équipe composée
par cinq éléments aujourd’hui décédés, se référant aux dates
allant du 18 juillet 1936 au 23 janvier 1937 affirmèrent
que, pour s’être libérés de la domination rouge durant cette
période, on ne donnera aucune validité « à cet organisme
factieux et déloyal au Mouvement car il avait travaillé avec
un plan révolutionnaire sans respecter les normes légales
avec le seul souci de prendre le pouvoir ».
On nomma le chef des gardes, ce fut Don Salvador
Fernandez Raya ce qui fut soumis à discussion mais tous
les gestionnaires présents reconnurent qu’il était le seul
postulant.
Mi mars 1937, le Gouverneur Civil de la province, désigna
une nouvelle commission gestionnaire présidée également
par Miguel Ramos Maestre avec de nouveaux membres
comme José Gomez Parejo, Cristobal Raya Velasco,
Francisco Fernandes Gordon, Francisco Garces Guerrero,
Antonio Fernandez Raya, Fernando Castro Becerra,
Francisco Munoz Martinez, Anastasio Benito Perez Castillo,
Cristobal Ramos Espejo et Ricardo Castillo Quesada. Fut
également nommé un membre qui devait se charger d’aider
les familles : José Maria Molina Maldonado.
Ces notes auxquelles nous nous référons, malgré le temps
écoulé qui est de plus de soixante dix ans, sont très nettes
en nos mémoires. Les personnes dont nous parlons, sont
décédés depuis longtemps ayant transmis leurs âmes à dieu
ou au diable, ce qui nous est indifférent puisque nous ne
croyons ni en l’un ni en l’autre mais je tiens à les transcrire
car ils firent tant de mal à notre village que nous voulons
que les jeunes le sachant pour que jamais plus il ne leur
arrive ce que nous avons vécu.
Avant d’aller plus loin, je veux aussi signaler les décisions
qui furent prises par les nouvelles autorités, qui furent les
suivantes :
- Destituer tous les employés de l’ancienne mairie « car
ils avaient méconnu leur lieu d’habitation » selon les
paroles du maire imposé par Manuel Baturone, un militaire
fasciste envoyé par Queipo de Llano. Quant aux employés
municipaux qui durent partir en courant, c’était : José Perez
Martinez, médecin, Blas Moya Ruiz garde champêtre,
Gonzalo Aguila Perez, concierge du cimetière , José Ramos
Martinez, deuxième secrétaire, Francisco Navas Ruiz,
troisième secrétaire, Manuel Santander Gomez, chef de
surveillance, José Hinojosa Valenzuela, Francisco Martin
Vega, Tomas Molina Aranda et José Gutierrez Lopez, gardes
municipaux et Lucas Martin Moya et Miguel Montilla
Moya fossoyeurs. Ces « destitutions furent annoncées par le
Bulletin Officiel de la Province, à la place de la notification
individuelle, car les adresses de ces hommes n’étaient pas
connues ».
Comme on peut le constater par les noms de chacun d’eux,
ils étaient douze employés de la mairie lorsqu’arrivèrent
les forces de Queipo de Llano qui envahirent Alhama.
Qu’auraient-ils fait d’eux s’ils étaient restés ? On sait
maintenant que lorsque la guerre se termina et que ces
employés revinrent au village, beaucoup d’entre eux furent
tués. Ce fut le cas de José Gutierrez Lopez, notre oncle,
frère de mon père qui fut tué à coups de bâtons que lui
administrèrent le garde civil Rivas ainsi que Anastasio
Benito Perez Castillo et Salvador Fernandez Raya. Ce
trio rencontra mon oncle et se mirent à le frapper sans
s’arrêter avant de le laisser mort au milieu de la rue. Ces
assassins moururent dans leur lit sans que personne ne
leur demande de comptes. Cela se produisit à l’entrée
de la rue du Seigneur du Portal, en venant de la caserne
des gardes civils, à côté de la Mairie. A l’entrée de cette
rue, il y a une niche encastrée avec un christ qui ne fit
rien pour sauver mon oncle qui était bon comme le bon
pain. Il n’y eut aucun miracle comme beaucoup croient
qu’il en existe. On emporta mon oncle au cimetière mais
nous n’avons jamais su où ces assassins l’enterrèrent.
. Don Miguel Ramos Maestre, médecin
Cet homme fut le premier maire sous l’occupation des
fascistes. Qui était-il et comment se comporta-t-il ? La
première fois que nous le connûmes il avait déjà un âge
avancé. Ce fut en 1941. C’était un médecin natif du village,
le seul car les autres n’étaient pas d’Alhama. Auparavant, il
y en avait eu d’autres qui avaient été emprisonnés ou fusillés
comme les autres hommes de gauche qu’ils fussent avocat
comme Paco Navas, ou maitre d’école comme Clarin.
Don Miguel Ramos continua d’exercer son métier de
médecin à la fin de la guerre mais il n’était plus maire. Qui
était-il ? Un fasciste invétéré ce que tout le village savait.
Nous n’avions pas d’autre solution et nous devions le
supporter et l’appeler chaque fois que nous étions malades.
Il rendit visite à mon grand père maternel alors qu’il était
déjà près de mourir. Il intervint auprès de mon frère qui
perdit sa jambe par sa négligence, très jeune à huit ans. Je
dus aller le consulter à cause de mon asthme à de nombreuses
reprises. Tout ceci veut dire que nous le connaissions
très bien. Même mon père le connut très bien car il était
préposé à porter du bois à la prison. Physiquement, il était,
malgré son âge avancé, grand et droit. Il n’inspirait pas
confiance. Lorsque nous l’avons connu, il avait besoin de
prendre des médicaments en raison de son âge surtout des
injections. Les gens commentaient le fait qu’il ne voulait
pas qu’on le pique et il grondait les deux vieilles filles ses
domestiques parce qu’elles n’avaient pas appris à le faire. Il
n’avait pas confiance en d’autres praticiens pour lui injecter
les produits. Probablement sa conscience ne devait pas
être très tranquille. Il avait un fils qui étudiait à Grenade
pour devenir médecin mais nous ne le connaissions pas.
En ce qui concerne mon petit frère, il eut une paralysie
infantile alors qu’il ne marchait pas encore. C’était avant
la guerre, mes parents avaient une situation aisée et mon
père emmena mon frère plusieurs fois à l’hôpital San Juan
de Dios à Grenade. Je me rappelle qu’on lui mit des bottes
avec des fers et qu’il marchait avec sa jambe la plus apte.
Mais, lorsqu’il eut huit ans, il tomba et se fit mal. Don
Miguel, le médecin, prescrivit à ma mère simplement des
pansements d’eau chaude jusqu’à ce que la gangrène se
déclare. Alors, ce médecin l’envoya à l’hôpital de Grenade
mais on ne put sauver sa jambe et on dut l’amputer. Lorsque
nous sommes partis en 1951, cet homme vivait encore mais
selon ce que disait les gens, il n’était pas bien portant et
il finit par passer l’arme à gauche. Ce que je peux dire,
c’est qu’il n’était pas aimé à cause de la façon dont il se
comporta vis-à-vis des vaincus, des républicains. Cet
individu fut un des principaux coupables parmi ceux qui
assassinèrent tant d’ouvriers à Alhama. Nous joignons
en annexe des coupures de journaux de cette époque
dans lesquels son nom apparait parmi d’autres fascistes.
. Cijuela
J’ai eu la chance de connaître le petit village de Cijuela
parce que ma tante Lourdes s’était élevée là-bas. Lorsque
mon père fut mis en prison, à Grenade, par les fascistes,
quelquefois, quand ma mère allait le voir, elle restait dans
la maison de sa mère que ma tante possédait dans ce village.
C’était la raison pour laquelle ma mère m’emmenait dans
ce village et aussi comme j’étais l’ainé, chaque fois que je
le pouvais, je l’accompagnais car mes deux frères étaient
plus jeunes que moi. Je me souviens aussi des processions
que les curés organisaient surtout les après-midi avec
beaucoup d’éclats et de tapages. Ces curés attiraient les
jeunes et d’autres moins jeunes en chantant leurs litanies.
Ceux qui étaient moins jeunes, y participaient par peur
car nous étions en 1939 et cette maudite guerre qu’euxmêmes avaient provoquée venait de se terminer. A cette
époque, les moyens de transport n’étaient pas très bons et
économiquement, nos moyens étaient des plus restreints
car l’argent de la république n’avait plus aucune valeur, les
fascistes y avaient veillé. Je me souviens que quelquefois,
ce furent des camions qui amenaient le bois de Alhama à
Grenade qui nous transportèrent. Un des chauffeurs était
ami de mon père, Clarin et nous transporta souvent sans
payer. Je me souviens aussi d’une sœur de ma tante Lourdes,
Ascension, qui avait aussi son mari en prison et lorsqu’elle
portait à manger à son mari, elle en portait aussi à mon père.
Je veux porter témoignage pour dire comment se déroulèrent
tous ces évènements. Lorsque le soulèvement fasciste
se produisit, Ascension qui était l’ainée des sœurs était
mariée avec Luciano qui était boulanger et vivait à Santa
Fe. Ils s’échappèrent par miracle et purent arriver à Alhama
avec deux fillettes qui avaient entre 6 et 8 ans. En tant que
boulanger, il s’installa à Alhama dans une boulangerie qui
appartenait à Porrina. Lorsque Alhama tomba aux mains
des fascistes avec les troupes de Queipo de Llano le 22
Janvier 1937, dans le village se fut la débandade et nous
partîmes à Baza. Nous nous sommes retrouvés tous comme
si nous faisions partie d’une même famille. Le boulanger
reprit son métier dans la ferme Olivares. Cette ferme se
trouve sur la route qui va de Baza à Guadix. La route était
tortueuse, elle virait vers la droite descendant vers une
route plus étroite. Ensuite on prend un chemin pierreux
qui mène à la ferme, vers le bas. Si je donne ces détails,
c’est pour la simple raison que mes parents m’emmenèrent
souvent voir cette famille et comme ils avaient deux
petites filles à peu près de mon âge, nous étions heureux
de jouer ensemble. Comme c’était la campagne, nous
étions tranquilles au sujet d’éventuels bombardements
car à Baza, nous devions souvent courir vers les refuges.
Je veux préciser que cette ferme Olivares était collectivisée
et que de nombreux hommes y travaillaient. Dans la
collectivité de Baza vivait une de mes tantes, Carmen
Espejo avec un enfant plus jeune que moi, Manolo. Quant
à son mari, Cantano, il était au front de Jaen. Il se produisit
un fait alors que je m’y trouvait. Un jour, deux hommes
discutaient et l’un d’eux donna un coup de couteau à
l’autre et le tua sur le coup. Nous, les gosses avons vu le
mort alors qu’on le ramenait des champs où il travaillait.
Lorsque nous sommes revenus à Alhama, une fois la guerre
terminée, le boulanger Luciane de Santa Fe fut mis en
prison à Grenade. Il s’y trouva en même temps que mon
père.. Peu de temps après, il fut libéré mais ne profita pas de
sa liberté car il mourut peu de temps après s’être retrouvé
avec sa famille. Pepito Labi se retrouva lui aussi dans la
prison modèle de Grenade ; il était le mari de Paquita «
celle de la truite ». Bien qu’ils fusses d’Alhama et même
nos voisins de la Pena, à ce moment là ils vivaient dans la
capitale. Lorsque Paquita portait le déjeuner à son mari la
pauvre en portait aussi à mon père, ce qu’elle pouvait. Ce
fut elle qui me dit, de nombreuses années plus tard au cours
d’un voyage que je fis de France où je réside actuellement
alors qu’elle était déjà assez âgée, que mon père avait été
condamné à sept fois la peine de mort. Je dois signaler que
ni mes frères ni moi-même ne le savions et probablement
ma mère non plus ne le sut jamais ni personne de ma famille.
Paquita nous raconta beaucoup de choses sur notre père.
. Les bucherons d’Alhama 1939 – 1951
Dans ce village, il est de tradition de porter le bois
pour les fourneaux à pain et pour les potiers. Au cours
de ces années, lorsque cette maudite guerre venait
de se terminer, nous nous sommes tournées vers ce
métier pour des motifs que j’expliquerai plus loin.
En 1939 nous étions plutôt petits pour faire seuls ce travail
et pour commencer, j’allais avec mon oncle Juan et avec
l’ânesse qui se trouvait dans la maison de mon grand
père maternel. Les endroits où nous devions ramasser
le bois étaient la colline des Roaeros où abondaient les
romarins et ainsi que d’autres arbustes qui poussaient
en ces lieux.. Il y avait vers Navazo des chênes en plus
des romarins. C’était cette sorte de bois qu’utilisaient
les boulangers. Il était toléré d’aller les chercher. Sur les
coteaux de la montagne Tejeda, on trouvait beaucoup de
ciste aussi bien noire que blanche et également du genêt.
Je commençai à aller dans la montagne avec mon oncle et
lorsque je fus un peu plus grand, j’y aller tout seul ou avec
d’autres bucherons plus expérimentés et plus âgés que moi.
La première fois que l’on me demanda de partir seul avec
l’ânesse de mon grand père, j’y allai avec deux frères que
l’on surnommait Les Perroquets . C’était des voisins qui
vivaient dans La Pena, dans la côte des moulins. Nous
sommes partis sur les coteaux de la montagne Tejeda
chercher du bois sec non pas pour les fourneaux, mais pour
notre consommation personnelle. Cette fois-là, l’ainé, Curro
me chargea sur l’ânesse le peu de bois que j’avais ramassé
car je n’était pas habitué à ce travail pénible et encore
moins à charger le bois. A mesure que le temps passait,
je me suis aguerri à ce travail et n’eut plus besoin d’aide.
Celui qui avait les moyens d’acquérir une bête de
somme, même si elle n’était pas très bonne, avait la
possibilité de gagner sa journée même si elle était presque
misérable. Lorsque je dis une bête, je veux dire un âne
ou une ânesse car c’était tout ce qu’un ouvrier pouvait
s’offrir et tous ne le pouvaient pas, comme ce fut mon
cas. Je fus toujours obligé de me servir de celle qui était
à la Pena, dans la maison de mon grand père et sous la
condition de donner la moitié de mon grain pour l’ânesse.
Nous nous connaissions tous surtout à cause de nos surnoms.
Dans le quartier de la Joya il y avait trois « montagnes »
père et fils qui avaient une mule ; celui de la mule vivait
place del Rey ; « Orejillas » qui avait différentes bourriques
pas très bonnes. « Remendao » qui eut une mauvaise fin
ce dont nous parlerons plus loin ; « Costuras » un autre
bucheron de la Joya ; dans les rues d’en bas il y avait les
« Espatarraos », fils de Juan de Dios, deux frères chacun
avec une bourrique ; les fils de Luis « Espatarrao », deux
frères qui avaient une mule ; « Panales » ; « Pavon »
qui se dédiait au charbon de bois ; un autre « Pavon »
qui travaillait aussi bien le bois que le charbon de bois et
avait un âne noir et petit, nous avons travaillé un certain
temps ensemble. Il était déjà marié. Dans le Tejar était
« Guisao » ; dans la rue Haute, mon ami Coque qui avait
une sale bourrique et beaucoup d’autres que j’ai oubliés.
Notre travail de chaque jour consistait en préparer la bête,
lui mettre les lanières, prendre la faucille pour couper les
joncs, un morceau de pain et quelques sardines ou harengs
et au travail ! Le chemin longeait la rivière en passant
par les jardins en commençant par celle de Bernardo,
puis celui du curé, les Chovas. Ensuite le chemin déviait
vers la droite pour entrer dans le vallon. Là il y avait une
fontaine d’eau bien fraiche que nous apprécions beaucoup
lorsque nous y arrivions avec l’âne bien chargé et après
avoir mangé les sardines qui assoiffent beaucoup surtout
s’il faisait chaud. Nous pouvions ainsi étancher notre soif.
D’autres fois, nous passions par le vallon et traversions
le potager de Pepe Lopez, celui d’Angel, les vignes d’en
haut des Roaeros. Dans cette partie, il n’y avait pas d’eau
et il fallait attendre de revenir vers la rivière et pouvoir
se pencher et boire à même l’eau que nous trouvions
très bonne. Si nous allions chercher du bois sec vers la
montagne alors nous prenions la route de Jatar, Alambique,
la Tana, la cote du Rayo. A la fin de cette cote se trouver
la fontaine de l’Aragonais dont nous voyions jaillir l’eau
comme si elle bouillait. Nous nous régalions lorsque nous
avions soif ; dans toute cette route, l’eau ne manquait pas.
Le travail de bucheron est pénible et sain mais nous
étions libres et en pleine nature toute la journée depuis
le lever du jour jusqu’à la fin de l’après-midi. Ceci était
très important pour moi à cause de mon état de santé car,
comme je l’ai relaté déjà à plusieurs occasions au cours
de mon récit, je souffrais d’asthme depuis mon enfance.
Cette maladie m’a toujours fait souffrir tout au long de ma
vie. J’ai essayé de travailler à l’air libre et, lorsque c’était
possible, dans les champs. J’ai toujours été un amoureux
de la nature et je le suis toujours. J’aime particulièrement
la montagne, les forêts, l’eau qui court dans les ruisseaux,
les cascades, les gazouillis des oiseaux, l’aube, avant que
le soleil paraisse, observer le coucher du soleil, écouter le
silence de la nuit… tout cela m’enchante. Cela m’a servi
d’avoir passé plus de cinq ans, étant enfant, gardant des
cochons, puis des chèvres dans les fermes d’Andalousie.
Revenant aux bucherons d’Alhama : nous sortions tous les
jours chercher du bois dans les collines pour les fourneaux.
Ceux qui étaient des vétérans de cette profession avaient
déjà une clientèle c’est-à-dire un fourneau attitré où ils
livraient le bois tous les jours, ceci de père en fils. Les uns
portait le bois rue Salmerones au four du Pastor rue Haute,
mon ami Coque le portait à Portales également rue Haute.
Comme moi j’était un bucheron « d’occasion » je ne
pouvais pas avoir un boulanger attitré car je n’avais pas
de bête à moi et le bois que je ramassais, je ne pouvais le
porter que lorsque j’arrivais à obtenir l’ânesse de mon grand
père aux moulins des Perez, installés en bas des cotes des
moulins. Je pouvais toujours porter mon bois à cet endroit
car comme il était payé moins cher, personne ne voulait
les livrer. Je n’avais aucun autre lieu où livrer mon bois
puisque tous les autres avaient déjà leurs bucherons attitrés
et si je voulais gagner quelques pésètes, il me fallait porter
mon bois chez les Perez. Combien était payée une charge de
bois ? 12 pésètes pour 20 fagots du bois des collines. Dans
les autres maisons, la charge était payée 15 pésètes pour
19 fagots. On chargeait avec 19 fagots pour équilibrer la
charge, je m’explique. On charge la bête avec six fagots de
chaque coté, cela fait douze, on croise les deux
et
on y met trois fagots de plus, un de chaque coté et un au
milieu, en travers. On amarre le tout avec des cordes pour
que le tout tienne bien. Ensuite on croise la corde et on
pose un fagot de plus de chaque coté et deux au milieu, on
serre bien et tout est chargé, ce qui fait 19 fagots. C’était
la façon de charger la bête traditionnellement mais les
messieurs Perez en voulait 20 et les payaient moins cher.
Sur le chemin qui allait vers le coteau des Roaeros, à
mesure que tu avances, le terrain prend de la hauteur
et s’éloigne du village mais sans le perdre de vue. En
général, on passe la majorité du temps monté sur la bête
surtout lorsque les cotes arrivent pour ne pas se fatiguer.
Quelquefois on allait en chantant quelques chansons
populaires andalouses. Cela faisait passer le temps plus
agréablement. Il y avait les « Tunico » qui vivaient dans
la rue des Parras et avait deux ou trois bourriques. C’était
le père et deux fils. Le père était déjà un peu âgé et c’était
les deux fils déjà grands qui faisaient travailler les bêtes.
Lorsque nous passions dans les coteaux de la montagne
Tejeda, en passant par la chainerai, l’eau abondait de tous
côtés. Malgré tout les gens qui vivaient en ce lieu étaient
misérables. C’était des années où nous souffrions d’un
manque en tout. De plus, cette zone était très contrôlée par
les gardes civiles en raison de sa proximité avec la montagne
et ceux qui s’y étaient réfugiés et pour n’importe quelle
raison, ils étaient capable de tirer et de tuer quelqu’un.
Pour les bucherons, la vie devint compliquée ainsi que pour
les rouges qui vivaient dans la montagne ; c’est ainsi que les
dénommaient les gardes civils. Ceux qui devaient se rendre
dans les vallons et surtout sur les coteaux des montagnes
pour porter du bois aux fourneaux étaient beaucoup plus
exposés. Les bergers aussi. La chose empira à partir du
moment où arriva au village un maudit commandant
de la Garde Civile, en 1946. Les premières paroles qu’il
prononça en arrivant furent « Ce village, je vais l’habiller
de deuil », paroles qui se répercutèrent dans tout le village.
Ce que nous expliquons là, nous sommes certains
qu’aucun des historiens qui abondent en ce moment,
ne le dira. Heureusement, nous restons encore
nombreux à le savoir et à vouloir le dire pour que les
nouvelles générations sachent ce qui s’est passé dans
le village d’Alhama de Grenade après le triomphe des
fascistes, quoique nous ne soyons pas des écrivains.
Enfin, les choses empirèrent pour les bucherons. Lorsque
nous rencontrions les gardes, ils nous molestaient et allaient
jusqu’à nous battre, car ils pouvaient tout se permettre. Leur
nouveau commandant leur avait donné carte blanche. Mon
ami Curro fut molesté et battu, un jour. Alors, il vendit son
ânesse avec laquelle il gagnait sa vie et de quoi manger une
paire de sardines ou de harengs avec un morceau de mauvais
pain car le bon était vendu en contrebande et valait très cher.
Avec le peu d’argent qu’il récolta, il partit à Barcelone. Peu
de temps après, sa sœur Carmen nous annonça que son frère
avait été retrouvé mort sur un banc d’une place de Barcelone.
Ceux qui demeuraient au village rencontraient toujours les
mêmes problèmes. Mais il est vrai que commença un exode
au village car les gens partaient surtout vers Barcelone ou le
Pays Basque et il n’était pas un jour que quelqu’un ne monte
dans le bus Alsina pour partir au loin. Nous, nous restions au
village et continuions à travailler. Bien que l’envie de partir
me tenait aussi, j’étais confronté au problème de ma famille.
J’étais le seul qui pouvait apporter un peu d’argent et j’ai
déjà expliqué à quel point ma santé était fragile. Que faire ?
Très souvent je devais aller voir le médecin quoique ensuite
cela ne me servit pas à grand-chose car s’il me prescrivait
un médicament, je ne pouvait pas l’acheter. Je pense
avoir dit que ma mère bénéficia d’un carnet d’aide qui lui
permettait d’aller chez le médecin sans payer mais quelques
temps plus tard on le lui retira sans lui donner aucune
explication. Cela se passait ainsi sous la nouvelle Espagne
des franquistes. En fait de nouveauté, moi je n’avais qu’une
seule chemise et tous les dix jours, je venais à la ferme voir
ma mère qui me mettait au lit tout nu pendant qu’elle lavait
ce que j’avais dessus en arrivant. Elle faisait sécher le linge
devant la feu de cheminée et le repassait ensuite. Donc,
elle veillait presque toute la nuit pour que son fils puisse,
le jour suivant, retourner à la ferme garder plus de 80 porcs
chez son maître. C’était ainsi sous le joug de Franco. Que
sont donc ces politiques qui nous disent qu’il ne faut pas
rouvrir les plaies ? Mais est-ce qu’elles se sont refermées ?
Lorsqu’on a fusillé mon père
Lorsque la nouvelle arriva que mon père avait été fusillé,
notre mère nous le cachât. Mais elle ne put garder le secret
bien longtemps, à peine quelques heures car, comme il
est de tradition en Andalousie, les gens s’habillent en
deuil immédiatement surtout les femmes qui se vêtissent
en noir des pieds à la tête. Un matin, alors que je gardais
les cochons de mon grand père paternel avec lequel nous
étions allés vivre à la fin de la guerre dans les moulins des
Perez, près du canal en haut d’Alhama, j’aperçus ma mère
vêtue de noir qui parlait avec une de nos tantes ; les deux
étaient pensives debout devant l’entrée d’une cave. Elles
s’étaient éloignées du reste des autres femmes car cette
partie du canal du haut était un lavoir public. Lorsque je
les vis, je n’eus pas besoin qu’on me dise autre chose, car
j’avais compris que nous avions perdus à jamais notre père.
Ma mère s’habilla de noir des pieds à la tête et nous ne
pûmes jamais, nous ses fils, la convaincre de quitter le
deuil. Ma mère devint veuve à 30 ans. Combien de femmes,
comme elles, perdirent leurs maris, jeunes, par la faute de
ces maudits fascistes. C’est une question qui probablement
restera sans réponse. Pourquoi tant de femmes veuves ?
Pourquoi tant d’enfants orphelins ? A Alhama, en plus de
ceux qui tombèrent au front, il y eut beaucoup d’autres
enfants orphelins à cause des caprices des fascistes qui se
le permettaient au nom de leur dieu. Beaucoup d’enfants
qui devinrent orphelins, comme nous étaient nos amis :
les Claudios de la Joya, les Orejillas cousins de ceux de
la Joya qui vivaient tout proches car les maisons étaient
mitoyennes, les Sabucos de la rue Haute, les Rompetechos
des rue d’en bas, les Jeromos de la Trucha, les Tajaillas dans
la Joya les Andres également de la Joya, les Rayas de la rue
Llana, les Cielos dans le Tejar les Guisaos du Tejar aussi,
les « Remendaos » dans la Joya… et beaucoup d’autres dont
je ne me souviens plus du nom. Et sans compter ceux qui
n’avaient pas de famille comme le Moruno un grand ami de
mon père que je connus à Baza et que j’eux de nombreuses
occasions de voir car il venait souvent chez nous. Voila
ce que fut les conséquences du « glorieux mouvement ».
Ils nous avaient préparé une autre surprise et ce fut que
l’argent que nous rapportions de la zone républicaine
n’avait plus aucune valeur et nous ne pouvions plus rien
acheter avec. Je me rappelle que ma mère avait un porte
feuille rempli de billets de toutes valeurs : 25, 50, cent, cinq
cents, mil et je crois aussi 10 000 pésètes. Cela ne valait
plus rien, ma mère les conservait malgré tout au cas où les
choses changent, mais en vain. Ce porte feuille appartenait à
mon père et était, comme je viens de l’indiquer, bien rempli
des billets de la République, papier de l’Etat espagnol
légal et reconnu par toutes les nations. Ma mère le portait
lorsque nous sommes revenus de la zone républicaine et
probablement le remit à mon père en cas de besoin. Mon
père ne l’emporta pas lorsqu’il fut détenu, c’est la raison
pour laquelle ma mère la garda. Mon père fut parmi les
réfugiés au village d’Alhama qui furent mis en la prison de
Baza par Jeronimo Castillo. Ce porte feuille nous fut dérobé.
Il contenait exactement la même somme qu’à notre arrivée.
Le feu
Un jour, je me souviens que nous étions en été, et il était
trois ou quatre heures de l’après-midi. Le feu prit dans
notre cave, là où notre grand père mettait la paille pour
son ânesse. Le feu était vif et nous avons commencé
à apporter de l’eau du canal avec des seaux mais nous
n’avons pu faire grand-chose et le feu s’éteignit de luimême lorsqu’il n’y eut plus rien à bruler mais le feu avait
gagné la toiture, les voliges, tout le bois qui la composait
et l’ensemble brula. Nous sommes restés à la belle étoile,
c’est-à-dire que le soleil rentrait comme la pluie dans notre
lieu d’habitation. Le lavoir du canal d’en haut se trouvait à
quelques 200 mètres de là et quotidiennement, il y avait 20
ou 30 femmes qui lavaient le linge. Pour beaucoup d’entre
elles, c’était leur métier, d’autres ne venaient que pour laver
leur propre linge, mais toutes étaient des travailleuses. Je
ne sais pas comment on a su que le feu avait pris chez
nous, mais instantanément de nombreuses personnes se
présentèrent, la plupart des femmes, pour nous aider à
l’éteindre. On voit dans des cas comme celui-là ce que veut
dire la solidarité. Tous et toutes firent leur possible pour
nous aider et si le feu ne put s’éteindre rapidement, ce ne
fut pas par manque de participants à vouloir l’éteindre.
Les « journalistes » d’Alhama
Ces journalistes étaient deux soeurs qui tenaient un
établissement situé dans le centre d’Alhama, dans la
promenade. On y vendait des journaux et diverses autres
choses. Cet établissement se situait entre la pharmacie
de Villa Especia et le magasin de crustacés d’Emilio de
la Valverda. Ces deux sœurs étaient vieilles filles et plus
très fraîches ! Pour cette raison et aussi parce qu’elles
étaient méchantes et « grenouilles de bénitier » elles ne
s’étaient pas mariées. Un dicton populaire du village
disait : « tu es plus médisant que les journalistes ».
Si nous nous occupons de ces femmes c’est qu’elles
étaient, en plus des autres défauts, fascisantes et au
village, beaucoup de républicains partirent en prison
ou au cimetière, par leur faute. Dans notre famille, nous
avions une tante Maria Jimenez, aujourd’hui décédée, dont
le fiancé fut tué Juan Villegas, par leur faute. Il en fut de
même de beaucoup d’autres. Notre oncle Manuel Espejo
qui était ami avec Juan Villegas se sauva par miracle. A
cette époque, il y eut beaucoup de gens qui dénoncèrent des
innocents, des personnes qui n’avaient jamais fait de mal à
quiconque mais par le seul fait d’avoir des idées libérales
ou différentes des fascistes, simplement, par exemple d’être
athées. Ce qui ne sont pas avec moi sont contre moi ! Cette
devise était aussi celle des deux sœurs. Elles recevaient des
journaux de Grenade comme Idéal. Nous c’était Tierra, et
Sol, journaux de Madrid qui arrivaient chez nous et qui
ne se vendaient pas à Alhama. Mon père y était abonné.
Cristobal Raya Velasco
En continuant l’étude des « gestionnaires » nous nous
occuperons de Cristobal Raya Velasco. Nous le connaissions
bien physiquement. Il était grand, mince et possédait une
ferme dans la plaine au dessus de Santa Cruz, village
limitrophe avec Alhama. Cette ferme s’appelait Sidrillo. Il
paraissait être un peu vantard. Lorsque nous étions dans la
ferme Potrilla, étant encore enfants, nous avions entendu
parler par un de mes maîtres Juanico Casasola de cet individu
comme quelqu’un qui faisait croire volontiers à tout ce qu’il
racontait en se vantant beaucoup. Mon père avait déjà été
fusillé, ma mère m’avait placé comme je l’ai dit pour garder
des cochons. Cristobal Raya allait tous les jours à sa ferme
et passait souvent par la ferme de Potrilla car le chemin
était plus court. Je me rappelle l’avoir aperçu, monté sur
son cheval arabe andalou avec son chapeau, très fier. Il
allait simplement voir les ouvriers car il était un parasite
comme beaucoup de ceux qui nous entouraient. Il avait un
fils qui passait son temps à chasser les oiseaux et qui portait
des lunettes. Lui non plus ne travaillait pas comme tous les
autres fils de propriétaires en ces temps là. Avec le temps,
j’ai appris par des hommes qui avaient été amis de mon
père et qui étaient restés en vie que ce monsieur si fanfaron
avait reçu deux paires de claques sonnantes de la part de
mon père. Il est possible que pour cette raison et d’autres
aussi, ces propriétaires paresseux, parasites, prennent leur
revanche lorsqu’ils gagnèrent la guerre et se donnèrent à
fusiller tant et tant de personnes d’Alhama parmi les vaincus.
. Don Miguel Morales Palazon
Cet homme appartenait à la même espèce que le précédent.
Il fut maire après le docteur Miguel Ramos. Palazon avait
un magasin de tissus dans une petite place du centre du
village. Il avait un fils un peu chétif, avec des lunettes qui
s’occupait dans le magasin. Entre lui et un employé nommé
Ramon Lamoneda ils accueillaient les clients. Le père,
déjà un peu âgé et fatigué ne venait que pour faire acte de
présence. Les gens disaient qu’il avait de l’asthme. A la fin
de la guerre, grâce aux vainqueurs, il mit à disposition deux
voitures de voyageurs qui faisaient le service d’Alhama
à Grenade et retour. Il avait un chauffeur, Fernando qui
n’avait aucune compétence en la matière. Comme les
« rouges » n’existaient plus, les autres chauffeurs qui
travaillaient avant la guerre à Alhama comme Canales
qui possédait son propre véhicule et qui probablement
fut fusillé, Frasquito Maria qui se réfugia en France et
ne revient pas avant plusieurs années et mon père qui,
comme je l’ai dit écopa de sept condamnations à mort et fut
fusillé, ce Monsieur avait la voie libre pour que ses propres
voitures puissent fonctionner. Combien de temps Palazon
fut maire, je ne le sais plus mais à nous, les travailleurs, il
nous était bien égal que ce soit les uns ou les autres car ils
étaient tous du même acabit. De toute façon, quel que soit le
maire, c’étaient eux-mêmes qui le choisissaient, le peuple
n’avait rien à y voir. Lorsqu’il se retira de lui-même de
ses fonctions de maire, c’était parce qu’il ne gagnait rien !
Un beau matin, nous sûmes que nous avions un nouveau
maire. Il s’agissait de Géronimo Castillo, un avocat qui
n’exerça jamais son métier comme beaucoup d’autres de
sa trempe qui ne vivait que grâce à la sueur des travailleurs.
Nous nous occuperons de lui dans un chapitre à part.
Lorsqu’il mourut, la colonie d’Alhama en Sagunto fit une
fête dans tout le quartier, car tous avaient, soit un bras en
moins perdu à la guerre, soit le souvenir d’un séjour en
prison, soit, comme c’était notre cas, étaient restés orphelins.
La plaine de Séville
Au début du mois de juin 1952, nous avons été deux groupes
d’ouvriers à partir faucher à Osunas (une ville de la province
de Séville). Nous étions neuf dans notre groupe avec mon
ami José Angelino. Il y avait aussi un responsable, un
homme d’une cinquantaine d’années, qui s’appelait Rolan,
un homme bon, les deux frères Cánovas des bas quartiers
d’Alhama, dont un avait été fossoyeur, Vicente « pajarillo »
et son fils, Daniel, le mari de ma cousine Dolores, un des
fils de Neo, qui vivait dans le quartier du pont des « sept
yeux », José Angelino et moi. Rolan avait fait la guerre,
comme tous les ouvriers des deux groupes hormis les plus
jeunes. Il souffrait énormément de l’estomac, en particulier
avec le régime des travailleurs : des pommes de terres frites
deux fois par jour, des pois chiche le soir, et surtout l’eau de
la plaine, de mauvaise qualité. On pouvait le voir à chaque
pose sortir sa petite boîte de bicarbonate de soude et en
prendre un peu avec de l’eau.
Nous sommes partis un matin très tôt, vers trois heures
du matin. Un des frères Cánovas avait un âne, sur lequel
nous avions chargé toutes nos affaires. Nous étions partis
tôt car nous avions plus de trente kilomètre à parcourir
jusqu’à Loja. Là-bas nous prendrions le train pour Séville
qui passait à midi. Nous avions calculé qu’il nous faudrait
six bonnes heures pour faire le chemin et comme au mois
de juin le soleil se lève tôt, il était déjà haut dans le ciel
quand nous sommes arrivés à Loja mais nous avions encore
largement le temps d’attraper le train.
Quand nous sommes arrivés à Osunas, dans la soirée,
nous sommes allés à l’auberge relai, qui est l’endroit le
plus approprié (et le plus économique) pour le repos des
ouvriers. Dans notre milieu, nous ne connaissions pas les
hôtels et auberges... Nous nous sommes installés dans la
pozada comme nous avons pu. Les plus âgés ont commencé
à aller chercher du travail de fauchage, ce qui était notre
objectif, et les jeunes, nos sommes allés visiter la ville, qui
nous semblait bien grande à côté de la notre. Nous avons
vite remarqué que l’eau était mauvaise à côté de celle des
sources de nos montagnes.
Dès le lendemain, le responsables et les autres pères de
famille, avaient trouvé une propriété à faucher et nous
nous sommes mis en chemin l’après-midi, nous avions huit
ou neuf kilomètres à faire pour arriver à la ferme. Nous
sommes arrivés le soir et nous sommes installés dans la
grange à paille, à côté de la porcherie. Il y avait là plus de
cent jeunes cochons qu’on engraissait. L’odeur des porcs
était insoutenable et nous empêchait de dormir.
Le travail était payé à la tâche, une fois la surface fauchée on
nous donnait le salaire convenu. Nous étions nourris d’un
kilo de pain par jour et par personne, de pommes de terre et
d’huile. Le matin nous faisions une gamelle de pommes de
terre frites, le midi nous faisions frire les pommes de terre
et le soir, à la ferme, nous mangions le traditionnel plat de
pois chiches andalou : la olla. La cuisinière préparait les
pois chiches à l’huile d’olive sur grande plaque de fonte,
sous laquelle le feu brûlait tout l’après-midi, dans des
casseroles individuelles pour chaque travailleur. Alors qu’il
y avait à la ferme plus de 200 cochons, nous ne voyions pas
le moindre bout de lard ni de boudin dans nos assiettes. Le
régime était le même pour tous les : bergers, laboureurs,
gardiens de chevaux et de taureaux, ainsi que les gardiens
qui surveillaient les ouvriers, à cheval, et la cuisinière.
A Alhama, c’était l’usage d’organiser des groupes de travail
qui descendaient dans les plaines aux mois de mai et juin.
Autour de Séville, le climat plus doux permettait que le
fauchage se fasse plus tôt. Nous étions partis à deux groupes
d’Alhama. Les responsables s’étaient mis d’accord pour
que le premier groupe à avoir terminé le travail, vienne en
renfort au second pour que tout le monde puisse être rentré
au village pour les fêtes de la Saint Jean car c’est là que se
faisaient les embauches. Si par malheur on ne trouvait pas
de travail à la Saint Jean, on restait désœuvré tout l’été, alors
que ces deux mois étaient indispensables aux travailleurs
pour faire quelques économies ou tout du moins leur
permettre de rembourser les dettes que tout le monde avait.
Ce voyage a été une expérience intéressante, mais aussi
une grande désillusion. Nous étions partis en deux groupes
d’Alhama : tous des enfants du village, qui se connaissaient
bien, tous des travailleurs exploités, mais l’esprit de parti
nous a fait penser que nous étions différents les uns des
autres. Comme dit le refrain biblique : « Divise pour mieux
régner ». Avec le temps, j’ai compris que le travailleur qui
se fie aux partis n’a rien à gagner, et beaucoup à perdre ;
c’est d’union dont on a besoin, pas de partis !
De ce premier et dernier voyage pour faucher à la plaine,
j’ai aussi gardé de bons souvenirs avec mon ami Jose
Angelino et le fils de Pajarillo. Nous avons découvert les
villes d’Osuna, de Bobadilla (où se croisent à midi plusieurs
trains qui viennent de Malaga, de Cordoue, de Séville et
de Grenade), de Loja où au retour d’Osuna j’ai acheté une
paire de chaussures à la manufacture pour ma sœur - et
peut-être quelques babioles, mais je n’en suis pas sûr, la
paye n’étant pas mirobolante.
D’après les ouvriers, le propriétaire de la ferme d’Osuna, où
nous avons travaillé, possédait rien moins que neuf fermes.
Le gardien de chevaux nous a raconté que ce pauvre maître
avait beaucoup de peine de ne pouvoir léguer une ferme à
chacun de ses héritiers, en effet sa petite famille comptait
dix enfants ! (sans commentaire) Pendant ce temps-là, nous,
les ouvriers, nous n’étions nourris que de patates, d’huile,
de pois chiches et de pain, sans jamais voir un bout de lard
ni rien qui vienne des élevages. Tout cela leur était réservé,
à eux, les privilégiés de Dieu – si c’est bien ce que disaient
les curés, que Dieu reconnaîtrait les siens...
En réalité, et ça personne ne pourra me le faire oublier, à cette
époque-là, une moitié de l’Espagne continuait à maltraiter,
fusiller, enjôler et laisser mourir de faim l’autre moitié.
Et à ces bourreaux, le Pape, toute la hiérarchie religieuse,
jusqu’aux curés des plus petits hameaux, ont donné carte
blanche ! Plus tard, on a vu débarquer les prêtres ouvriers
qui ont tant fait parler d’eux. Mais moi qui ai vu tant de
tromperie et d’hypocrisie dans mes jeunes années, on ne me
convaincra pas : comment pourrait-on faire un bon ouvrier
d’un mauvais curé ? Impossible.
Une fois notre travail terminé, nous sommes retournés
à Osunas et nous sommes installés à l’auberge. Les
responsables se sont chargé de faire les comptes et de
donner à chacun son salaire. Nous sommes restés un jour
ou deux et nous, les jeunes, en avons profité pour visiter la
ville. C’était un gros village où l’on trouvait, comme chez
nous, des bourgeois – parasites, et beaucoup de misère. Aux
fontaines, on pouvait voir les femmes, avec leurs jarres,
attendant leur tour pour les remplir, puis rapporter l’eau,
une jarre sur la hanche, un seau plein dans l’autre main. La
plupart d’entre elles étaient des domestiques, bonnes à tout
faire, esclaves de l’Espagne du pouvoir. Je ne saurais dire
si l’eau manquait parfois, mais elle était particulièrement
mauvaise !
Au passage à Osunas, certains d’entre nous en ont profité
pour se payer quelques petits verres de vin, pour alléger
leur esprit et oublier leurs peines, qui soit dit en passant
n’étaient pas des moindres. C’est l’usage en Andalousie
qu’à la fin d’une saison de travail les hommes s’offrent
quelques verres ; ce sont surtout hommes mûrs, les pères de
famille, les jeunes sont moins nombreux à boire. Comme
je disais, mon ami José Angelino et moi visitions la ville.
Nous ne sommes allés au café que pour y boire de l’eau
gazeuse et étancher un peu notre soif car il faisait très chaud
en cette fin juin. Nous ne buvions pas de vin. Je ne veux
pas dire que nous étions des saints. Comme tous les jeunes
nous avons fait des bêtises, puisque c’est à cet âge là que
l’on est exposé à toutes sortes de tentations. Un proverbe dit
que l’homme passe la première partie de sa vie à se détruire
la santé et la seconde à tenter de la récupérer. Nous nous
avions vite compris que l’alcool est surtout bon pour celui
qui le vend.
Un matin, nous avons pris le train qui venait de Séville vers
Grenade. Nous avons passé le trajet à regarder les paysages
des plaines (comme dit Machado, à regarder les arbres
passer). De temps en temps, il fallait fermer les fenêtres
pour éviter que la fumée de la locomotive ne rentre dans
les voitures quand le train passait dans un tunnel. Enfin,
le soir, nous sommes arrivés à Loja. Nous sommes allés à
l’auberge
Là nous avons fait quelques petits achats pour les familles
et puis les responsables ont donné le signal du départ pour
Alhama. Nous avons repris le chemin que nous avions
pris à l’aller, mais cette fois, nous avons marché toute la
nuit. Quand les petites étoiles autour de l’étoile du berger
se sont mises à briller (les cabrillas – petites chèvres), on
redescendait de la côte de Loja sur Alhama.
Je suis allé directement à la grotte de la Peña, où nous
vivions depuis la fin de la guerre et comme il était très tôt,
la seule qui était levée était ma mère.
Ma sœur a été ravie de me revoir, surtout que je lui avais
acheté des chaussures ! C’était le seul achat que j’avais
fait, le reste de mon salaire, même si ce n’était pas énorme,
je l’avais rapporté pour ma mère (qui soit dit en passant
l’attendait « comme l’eau au mois de mai »). Je ne me
rappelle plus si j’ai gardé quelques sous pour moi, mais je
n’en avais pas besoin, ayant échappé aux diverses tentations
de la jeunesse.
Sur la droite, derrière le chien, la grotte de la Peña ou nous avons
vécu, ma mère, mon frère, ma sœur et moi.
Tandis que j’écris ces lignes, depuis un coin du sud de
la France, j’ai une famille de trois filles et quatre petits
enfants très unie. J’en suis très fier, et l’appelle ma famille
Idéale. Mes filles ne fument ni ne boivent, leurs enfants
non plus et même pas leurs « copines ». Il est vrai qu’ils
ont été habitués à nous voir vivre une vie saine, et cela
leur aura sûrement servi d’exemple. C’est pour eux que
j’écris ces mémoires, pour eux qui, par hasard, sont tous
nés en France. Je veux leur raconter l’histoire de leurs
parents et grands parents, leur parler de notre culture, et
qu’ils connaissent à la fois leur racines et les raisons pour
lesquelles nous avons quitté l’Espagne.
La Peña
Ces moulins de farine qui marchaient au moyen de la force de l’eau de
la rivière Alhama sont les moulins en question. L’un d’eux que nous
marquons avec un (M) fut collectivisé su 19 juillet 1936 au 22 janvier
1937
Arcs et une réception au gouverneur civil, année 1950
Ce qui reste du théâtre Cervantes (T) après l’incendie
qui l’a détruit en janvier 1937, près de la «Pila de la
Carrera», à la fin des années 1940 sur la promenade
(Paseo).
L’auberge de Tarata
Nous sommes rentrés à Alhama la veille des fêtes de la
Saint Jean. J’ai alors reçu une proposition pour travailler
deux mois sur une aire de battage. C’était par le fiancé
d’Angustias, la sœur d’Antonio Morillo, le cousin de mon
oncle Juan.
Une fois que les fagots de céréales avaient été liés dans
les champs, il fallait aller les ramasser et les charger sur
une charrette ou un animal pour les emporter sur l’aire. Là,
une fois déliés les fagots étaient piétinés par les bêtes (des
juments ou des mulets – les chevaux étant le plus souvent
réservés comme monture aux bourgeois) qui tiraient un
petit chariot aux roues cerclées de fer. C’était toujours un
enfant qui conduisait le chariot et il devait chanter à tuetête pour encourager les bêtes. Pour séparer le grain de la
paille, on utilisait le vent d’ouest, l’après-midi, qui était à la
fois le plus frais et le plus régulier. On jetait la paille en l’air
à l’aide d’une fourche aux dents de bois, le grain retombait
à la verticale et la paille plus loin. Ensuite, avec un balai
de joncs, on enlevait les morceaux de paille les plus gros
qui restaient mélangés aux grains. Nous finissions par
transporter la paille et les grains jusqu’aux greniers. Dans
la région, on trouvait du blé, de l’orge, des pois chiches, des
lentilles, etc.
Quelques années plus tôt, sur une aire de battage, j’ai vu un
homme, qui avait perdu un bras en combattant, balayer les
grains avec le bras qui lui restait ! Pour survivre, il faisait
un travail d’habitude réservé aux enfants, il gardait les
cochons. Et comme il les faisait manger dans les champs
après le fauchage, il travaillait gratuitement sur l’aire de
battage en contrepartie.
A cette époque, à Alhama de Granada, la population était
100% liée à l’agriculture (je ne sais si c’est toujours le cas
aujourd’hui). Il y avait également quelques artisans dont
le travail était en relation avec l’agriculture et l’élevage,
comme le forgeron et le maréchal ferrant, ainsi que des
barbiers, des charpentiers, des rétameur, des potiers, qui
faisaient toutes sortes de pots, jarres et des tuiles, des
tailleurs...
L’exploitation où je suis allé travailler était une ancienne
auberge et en avait gardé le nom, mais chacune des deux
familles qui y vivaient lui donnait un nom différent :
l’auberge de Tarata ou l’auberge du coq (del gallito). Je ne
connaissais pas la famille qui m’a embauché, mais c’étaient
des gens très correct. Les parents, déjà âgés, étaient droits
et de bon cœur, leurs enfants également. La famille de Tarata comprenait quatre garçons et une fille,
Emilio, Antonio, Paco et les autres dont j’ai oublié le nom.
Ce que je peux en dire c’est qu’ils se sont toujours très bien
comportés avec moi. Si je l’écris ici, c’est que ce n’était
pas très courant de la part des patrons et de leur famille ! La
Demoiselle avait déjà un fiancé qui était un parent éloigné
du côté de ma mère, Pepe Ortiz. Son père commandait un
groupe de cinq gardes civils, on le surnommait le « civil
escamao » (le garde méfiant). J’avais connu Pepe à la ferme
de Potrilla où il venait voir sa sœur Luisa qui était mariée
à un fils de Pepico Casasola, Antonio. Il était un peu plus
âgé que moi, et plus grand, mais quand nous rapportions
les jarres pleines d’eau à Luisa, il se plaignait toujours
de l’effort que cela lui demandait, alors que je serrai les
dents en silence. Sa sœur le houspillait en me donnant en
exemple. Il faut dire que, fils de garde civil, il n’avait pas
l’habitude de travailler dur !
Nous étions deux garçons du même âge (et du même
prénom !) à être employés chez Tarata pour l’aire de
battage et les mules. Cet autre Juan, fils des « Oregillas »,
était très grand et voûté. Il connaissait mieux les travaux de
l’aire de battage que moi, pour l’avoir déjà fait auparavant,
mais je m’en suis bien tiré, surtout que je savais aussi
faucher en cas de besoin. Pendant les grosses chaleurs
de l’été, il est agréable de dormir à la belle étoile. Les
faucheurs installaient un petit muret rectangulaire de
gerbes de blé, et comme matelas, ils en déliaient quelques
unes qu’ils étendaient par terre. Les employés de l’aire
de battage dormaient directement sur l’aire, dans la paille
écrasée. Tout le monde dormait avec plaisir en plein air,
et pour le froid du petit matin, chacun se protégeait avec
sa couverture. Quant à moi, étant donnée ma situation
économique particulièrement difficile, je n’avais qu’une
vieille couverture, pleine d’accrocs, qui semblait avoir
été attaquée par les corbeaux ! Quand l’aube arrivait, et
qu’il fallait que je me couvre avec la dite couverture, je
grelottait de froid et la bronchite asthmatique me faisait
siffler à chaque respiration. A chaque fois que je le pouvais,
j’allais dormir dans le fenil, il y faisait plus chaud et moins
humide. Mais quand il fallait monter la garde sur l’aire de
battage, je m’arrangeais pour dormir un peu à l’écart, de
façon à ce que l’on n’entende pas mes sifflements. J’avais
peur de perdre mon travail si on me découvrait malade.
Je n’étais pas seul en jeu, je gagnais l’argent pour toute la
famille puisque depuis que nous étions orphelins de père,
c’était moi le chef de famille.
Le travail le plus dur, pour moi, a été de rentrer la paille
dans les greniers à cause de la poussière qu’elle dégageait.
Mais je n’avais pas le choix. Un jour, alors que nous étions
en train d’engranger la paille, ma fameuse couverture a été
découverte – elle n’en n’avait plus que le nom ! J’avais
l’habitude de la cacher dans un coin du fenil chaque matin
en me levant de peur que quelqu’un ne la trouve. J’avais
honte. C’est malheureusement un des fils du propriétaire
qui l’a trouvée, c’était un grand blagueur. Quand il a fallu
que j’avoue que c’était ma couverture, il s’est écrié : « Ah,
je comprends mieux pourquoi Juan va se cacher toutes les
nuits dans le fenil ! » C’était une boutade, mais je ne pouvais
pas en rire, j’étais blessé. Je me demandais pourquoi je
ne pouvais pas avoir au moins une couverture correcte
comme les autres ouvriers. Parmi les familles touchées
par la guerre qui a fait tant de veuves et d’orphelins, notre
situation était particulièrement critique. Après la mort de
mon père je me retrouvais responsable de nourrir, avec
ma mère, mon jeune frère handicapé et ma petite sœur qui
n’était pas en âge de travailler. Nous gagnions uniquement
de quoi survivre, il était impossible de dégager de quoi
acheter une nouvelle couverture.
Quelques jours avant la fin du contrat, je suis tombé
malade. Un soir en allant me coucher, une douleur au côté
droit du ventre s’est déclarée et ne m’a pas quitté de la nuit.
Au petit matin, je suis allé voir le maître, qui m’a proposé
de me payer ce qu’il me devait afin que je puisse rentrer au
village me soigner. Au moment de partir, Tarata m’a dit :
« J’espère que ce n’est pas grave, que tu n’auras pas besoin
de gâcher chez les médecins cet argent qui t’a couté tant de
sueur et de douleur. »
Je rappelle qu’à cette époque, les travailleurs n’avaient pas
de sécurité sociale. La mairie donnait aux plus pauvres une
carte qui permettait d’aller chez le médecin sans payer,
mais il fallait quand même payer les médicaments ! Nous
avions eu cette carte, mais un jour, sans raison, on nous l’a
retirée. Heureusement, ma mère avait une cousine dont les
enfants avaient le même âge que nous, deux garçons et une
fille. Ainsi, nous avons pu consulter le médecin qui a fermé
les yeux sur la supercherie.
J’ai fait la route petit à petit, comme j’ai pu et j’ai fini par
arriver à Alhama. Je suis allé à la pharmacie de Francisco
Muñoz, où travaillait ma mère. Elle m’a accompagné chez
le docteur Don Federico qui m’a reconnu et m’a dit que je
n’avais rien de grave puisque la douleur était déjà passée.
Effectivement, j’avais très mal en partant de l’auberge de
Tarata mais une fois arrivé à Alhama, quelques huit ou dix
kilomètres plus tard la douleur était calmée. Je me rappelle aussi de ce que j’avais gagné : 20 pesetas
par jour (ce qui fait à peu près 1 200 pesetas en tout), j’étais
nourri et on me donnait aussi 45 kg de blé (une « fanega »),
que j’ai vendue à un négociant de céréales pour 30 duros,
c’est à dire 150 pesetas que j’ai utilisées pour me payer une
partie du billet de train pour Valence.
J’ai de bons souvenirs des moments passés à l’auberge de
Tarata, et en particulier de l’amitié que j’avais pour une
fillette des bas quartiers d’Alhama. Je ne me souviens
pas de son prénom ni du nom de sa famille, mais je me
rappelle que ses parents vendaient des churros en face
de l’Église du Carmen, contre le mur du château. Nous
avons passé l’été ensemble, Juan Orejillas, cette fille et
moi. Nous étions pauvres, vaincus, et nous servions de
domestiques aux vainqueurs ! J’ai revu la fillette à la foire
de septembre. Nous avons fait du manège à balançoire et
avons probablement mangé des churros de ses parents.
Plus tard, j’ai levé les voiles vers l’inconnu et elle a sûrement
fait la même chose, puisque comme la plupart des habitants
d’Alhama, il nous a fallu partir pour échapper à la misère !
Note : L’ouvrier agricole travaille toute l’année pour des
propriétaires. Pour chaque travail, le salaire varie selon
l’offre et la demande, mais le plus important est celui de
l’été, des récoltes. C’est à cette période que les ouvriers
obtiennent un contrat – verbal – de deux mois ! Cette
période est alors appelée les « deux mois d’août » !
Canto Alicante (poème)
p.
4
Un canto a Alhama (poème)
p.
6
Histoire d’Espagne
p.
8
La révolution à Alhama de Grenade p. 20
L’année de la fuite
p. 38
Retour à la Peña
p. 60
La résistance et les guérillas
p. 71
La plaine de Séville
p. 126
L’auberge de Tarata
p. 135
Aristocratie et lr prêtre bénissant la première pierre du futur Marché
Municipal (ancien théâtre Cervantès)
Pose de la première pierre du Marché Municipal, années 1950
LA FINALITÉ ANARCHISTE
Amoureux de l’homme intégral, c’est à dire de l’homme
ouvrier, Floréal voulait que ses enfants soient à la fois
poètes, savants et producteurs.
Il commença par entourer Sol, Vida, Placer et Amor
d’autant d’éléments poétiques, scientifiques et manuels que
lui permettaient ses moyens économiques. Bien qu’ils ne
soient pas extraordinaires, ils suffisaient amplement pour
faciliter l’épanouissement naturel de ces enfants de l’amour.
« Mes chers enfants, je veux que vous soyez bons, savants
et forts. Je me charge de votre éducation physique et morale.
Pour les sciences, vous aurez les professeurs les plus
réputés de Paris. Mais, cependant, n’ayez pas en la science
une confiance aveugle, croyez surtout en la vie. Prenez la
science non comme une fin mais comme un moyen pour
extirper de l’esprit d’autrui toutes les préoccupations qu’il y
a en lui, et pour éviter que se forment dans le votre les idées,
les religions entre autres, qui sont à l’origine du malheur
des hommes. Ayez confiance en la force, car la raison est
également force : la force en vous même pour lutter et
résister, la force en vous même pour vaincre avec les poings
et avec la certitude que l’amour est également force.
Enfin, tout sur la terrese réduit à un problème physiologique
parce que tout problème provient de notre être. Nous
pensons à partir des choses et nous voyons les choses selon
la matière qui forme notre esprit. La conception du monde
est le reflet de notre constitution cellulaire.
Ainsi sont le monde, les personnes, la vie, les choses selon
notre esprit. Tout dépend de la force physiologique.
Et je le répète, soyez forts et je tiens compte de la manière
grâce à laquelle vous en deviendrez.
La végétation est créatrice de l’oxygène, l’oxygène est à
la base de la vie. Il est donc nécessaire de protéger l’arbre
comme s’il s’agissait de vos poumons, de cultiver la terre
car cela affermit les muscles et appelle les bienfaits de
l’atmoshère. Un arbre dans la rue, le long de la promenade
dans les champs est un ami pour chacun de vous, un ami
qui ne trompe pas, un ami qui vous enverra la santé et le
bonheur permanent.
Voici vos terres, là est le paradis. Cultivez le tous ensemble,
comme de bons communistes ou bien séparés comme de
bons individualistes, cela m’est égal. Ce que je veux, c’est
que chacun fasse sur cette terre ce qu’il désire dans le
respect de soi et des autres.
Plantez des fleurs, plantez des arbres, aménagez le jardin en
potager ou le potager en jardin, cela m’est égal car je veux
que vous soyez maitre de vous-même.
Je ferai ce que j’ai toujours fait : accomplir aussi bien
l’utile que le poétique, travailler consciencieusement quelle
que soit la besogne, travailler aujourd’hui avec les bras et
les jambes et demain avec l’esprit. Je creuserai un trou et
j’écrirai une pensée. Je planterai un champ de pommes de
terre et j’écrirai cette oeuvre d’art. Le résultat sera la preuve
de l’équilibre entre mon corps et mon esprit : l’harmonie
pour moi et en moi. Voilà ce que j’ai toujours fait.
Ainsi, en travaillant la terre, vous enrichirez votre corps de
vie, car plus de végétation rendra l’atmosphère plus pure,
l’atmosphère étant plus pure, les poumons absorberont
plus d’oxygène car les poumons absorbant plus d’oxygène,
le sang n’en sera que plus pur et les substances vitales
nécessaires aux cellules, que plus nutritives.
Ainsi, votre existence sera plus longue, votre amour plus
puissant, vos actes plus rapides et votre esprit plus gai et
le monde plus beau. Vous serez la masse qui s’écrase sur
toutes les injustices et les actions indignes. Vous serez le
juge sage et énergique qui combattra l’ennemi de l’homme
autant de fois que son bonheur sera menacé ».
De la novela «SEMBRANDO FLORES»
de Federico URALES (1906) Padre de la FédericaMONTSENY,
escrito para la «ESCUELA MODERNA»
de FRANCISCOFERRER GUARDIA
(nacido en ALLELA - CATALUNYA).
Paella de l’association Franco-Espagnole le 27 mars 2011
« ZAPATERO, ¿ QUÉ DIRÁ TU ABUELO ? »
(ZAPATERO, que dirait ton grand-père ?)
C’est ce slogan qu’au mois de juillet 2010 des manifestants
scandaient à Madrid devant la prison Carabanchel, vouée à la
démolition.
Carabanchel, symbole de la répression franquiste où tant de
militants ou simples citoyens furent torturés et assassinés.
C’est ce lieu historique de la barbarie franquiste durant 40 ans
que les autorités sont en train de détruire. Comme si le moindre
espace où la mémoire pouait encore s’incarner était de trop dans
l’Espagne de ce débur XXI° siècle.
Il est permis de s’interroger. Raser la prison de Carabanchel
relève-t-il de banales considérations esthétiques ? Ou bien
- plus politique - de la volonté toute oecuménique de forcer
une réconciliation entre victimes et bourreaux que pourraient
symboliser les gravats de cette prison rasée.
Comme s’il suffisait de faire disparaître la preuve pour que le
crime s’évapore et le cadavre reprenne vie.
Nous craignons fort qu’il s’agisse de la part du gouvernement
espaagnol de bien plus que cela. Certains de ceux qui ont
officié dans ce bagne à la gloire du franquisme sont toujours là,
bien au chaud au coeur des institutions «démocratiques». Des
ibnstitutions judiciaires qui sévissent encore aujourd’hui ont
condamné et envoyé à la mort - dans l’enceinte même de la
prison - des milliers de républicains anti-fascistes. Et paraît-il que
les bourreaux d’hier doivent être protégés aujourd’hui. Alors, on
détruit Carabanchel au cas où les murs se mettent à témoigner.
Les bourreaux ne peuvent être
protégés, ils ne doivent pas l’être.
La prison de Carabanchel
n’aurait pas du être livrée
aux promoteurs immobiliers,
mais bien trouver sa place
comme lieu de mémoire
et de témoignage
« Sí! desde luego ¿ qué dirá el abuelo de Zapatero ? »
article tiré de la XCTDEE bulletin N°5 d’avril 2011
Une des plus belles vues d'Alhama, au début des années 1960
Le drapeau républicain
Juan
Gutierrez
Arenas
Signature numérique de Juan
Gutierrez Arenas
DN : cn=Juan Gutierrez Arenas,
o, ou,
email=juan.gutierrez1930@ora
nge.fr, c=FR
Date : 2012.08.06 07:21:03
+02'00'
« La niña bonita »
La jolie petite fille

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