La poésie à Châlons-en-Champagne et à Nantes... et le Printemps

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La poésie à Châlons-en-Champagne et à Nantes... et le Printemps
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Echos des adhérents - dossier poésie
La poésie à Châlons-en-Champagne et à Nantes...
et le Printemps des poètes, entretien avec Jean-Pierre Siméon
« … une étoile filante choit
dans la bouteille nocturne
du poète ; il met vivement le
bouchon et dès lors il guette
l’étoile enclose dans le verre,
il guette les constellations qui
naissent sur les parois »
La vie de la poésie
est secrète, rare. Mais toujours
très dense. Malgré son peu de
Robert Desnos (Corps et biens)
visibilité sur la scène médiatique et son obsolescence dans
les pratiques culturelles courantes, elle semble indestructible. D’ailleurs, quel art ne s’en
nourrit pas... chanson, musique, théâtre, littérature, cinéma. La musique mettra des siècles
pour s’en autonomiser et ne cessera, comme depuis orpheline, de
travailler à la rejoindre, de Boulez à Brassens.
Plus modestement, quand de l’enfance on accède aux inquiétudes
indispensables de l’adolescence, c’est bien souvent par l’écriture
poétique que s’exprime l’appel de l’existence – une ‘‘pulsion poétique” galvanisée par Internet et ses communautés de lecteurs. La
petite contrée ‘‘professionnelle’’ de la poésie s’adosse à un infini
continent de pratiques secrètes. Le mot de ‘‘poète’’ qualifie bien
plus que l’écrivain reconnu. Il signifie aussi l’artiste, quelle que
soit son expression. Plus encore il désigne tous ceux dont parfois le regard se teinte de rêverie, d’une sorte de sensation que le
monde déborde son explication. « La poésie n’est pas incompréhensible, elle est inexplicable », écrit Octavio Paz, cité par JeanPierre Siméon, directeur artistique du Printemps des poètes.
Pourtant, la poésie semble plus fragile que jamais dans notre civilisation, ce dont s’inquiétaient récemment deux députés (cf. les
Lettres d’Echanges nos53 et 54). Laconiquement, le site du Printemps des poètes, structure soutenue dès ses débuts par les ministères de la Culture et de l’Education nationale, dresse un très bref
état des lieux bien pessimiste :
FNCC
La Lettre d’Echanges n°60 - mi janvier 2011
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Echos des adhérents. La poésie à Châlons-en-Champagne et à Nantes. Le Printemps des poètes
- « 1 % du lectorat lit régulièrement de la poésie. » On imagine, sachant la baisse continuelle
du nombre des lecteurs, combien peu représente ce petit pourcentage. Selon une étude du
DEPS de 2008, seulement 16% des personnes
lisent au moins un livre par an et, sur 3 641
Fragilité de l’édition lecteurs, 9 ont lu de la poésie dans les douze
derniers mois. Conclusion, 0,24% de 16% de
« Aujourd’hui, quelque
la population française lit de la poésie...
200 000 personnes en
France écrivent des
poèmes. » Si chacune de
ces personnes achetait
une fois par an un recueil
de poésie contemporaine,
les éditeurs hésiteraient
moins à en publier. Ce
n’est pas le cas : un
recueil d’auteur connu
se vend rarement à plus
de 150 exemplaires…
« Alors, beaucoup
d’éditeurs se découragent.
A qui la faute ? Aux
journalistes, aux libraires,
aux bibliothécaires, aux
enseignants (c’est ce
qui est pratique avec les
enseignants, quel que
soit le problème on peut
toujours dire que c’est
de leur faute) ? A l’air du
temps ? Je ne sais pas. »
- « Abordée à l’école (principalement la récitation en cours élémentaire puis l’explication
de textes), on la croise ensuite rarement sans
une démarche volontaire personnelle » ; cette
observation de la nécessité d’une volonté forte
signifie trois choses : la poésie est invisible
dans l’espace public (il faut la vouloir puisqu’elle ne s’offre pas), sa lecture est absente
des habitudes sociales et elle est le fait d’un
choix intime, presque une pratique en amateur – de fait, ce sont le plus souvent les poètes qui lisent les poètes, et vice versa.
- « La poésie a peu de place dans les médias,
même si on observe une évolution positive
depuis quelques années. Et quand on parle
et qu’on entend parler de poésie, c’est rarement celle des auteurs vivants. » Le passé
de la poésie écrase son présent, la révérence
Pierre Maubé
étouffe la création.
(extrait du site du
Printemps
poètes) - Ajoutons enfin que, s’il existe 500 éditeurs
des
de poésie et 600 revues, les uns comme les
autres sont d’une grande fragilité car même
un auteur connu (de qui ?, se demande le site)
ne vend que très rarement plus de 150 exemplaires... Un signe indubitable de l’absurdité
de la situation économique réelle du secteur.
Pourtant, « il existe plus de 500 revues de poésie, des centaines de petits éditeurs (Cheyne, Rue
du Monde, le Dé bleu…), des manifestations
poétiques (Les rencontres de Lodève, le Marché
de la poésie…) ». Elle est vive dans sa clandestinité même. Pourtant aussi, l’Etat participe à sa
vitalité, ce dont témoigne le soutien vigoureux
du Centre national du livre à l’édition de poésie
ainsi que l’action du Printemps des poètes – une
structure sur laquelle équipements culturels,
artistes, éditeurs et collectivités peuvent s’appuyer (même si ses crédits sont bien modestes :
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272 000€ du ministère de la Culture, via le Centre national du Livre, 110 000€ de l’Education
nationale). Par ailleurs, les collectivités s’engageant en sa faveur sont nombreuses.
On voit que la poésie a besoin du politique
pour pallier l’étiolement de la ‘‘demande’’ poétique, un besoin qui, d’ailleurs, n’exige pas des
moyens très importants tant la poésie est par
essence un art du dénuement. Mais ne serait-ce
pas l’inverse ? N’est-ce pas le politique qui a
besoin de la poésie ? Car comment imaginer
une politique qui ne se nourrirait pas d’imaginaire, une politique qui bouderait l’inexplicable, elle qui a la charge de conduire la barque
commune au milieu des incertitudes ?
Car la poésie est « un argument de vie », dit
Jean-Pierre Siméon. Par elle, les mots inventent les choses : elle est souvent la source d’un
sens politique puissant, ce dont témoignent les
engagements du poète-soldat Agrippa D’Aubigné, des députés-poètes Hugo et Lamartine,
des poètes-militants et poètes-résistants Eluard,
Aragon, Desnos Char et d’innombrables autres.
Ne faudrait-il d’ailleurs pas inventer une vaste
‘‘politique de l’écriture publique” au lieu de
n’approcher le texte en tant qu’art que sous le
seul prisme de la ‘‘lecture publique” ?
Dernier constat : il y a manifestement une sorte
d’impression de fête rien qu’à prononcer le mot
de poésie. Une fête de la vie, de la cité, de la
résistance, de l’espoir. Voilà pourquoi, peutêtre, le communiqué de la FNCC intitulé ‘‘politique et poésie, un autre regard sur le monde”
(15 octobre 2010) a suscité de très nombreuses réactions. En parler est sans doute l’un des
meilleurs moyens de soutenir la vitalité poétique dont on n’ose même pas imaginer qu’elle
puisse se tarir. Non seulement pour évoquer ses
œuvres, mais pour la voir réellement, voir les
poètes, voir leurs interprètes, voir les soutiens,
les engagements privés ou publics qu’elle suscite. Ce court dossier est une manière d’honorer
l’engagement pris par les élus à la culture de
la FNCC de « promouvoir les concertations et
débats nécessaires pour encourager la pratique
et la diffusion de la poésie en France ».
La Lettre d’Echanges n°60 - mi janvier 2011
Vincent Rouillon
FNCC
A la suite de ‘‘questions écrites” sur le soutien public à la poésie adressées au ministre de
la Culture par deux députés, la FNCC a publié
un communiqué (le 15 octobre 2010) appelant
à une forte prise en compte de la poésie par les
pouvoirs publics locaux. Nous reproduisons ici les
courriers que les villes de Châlons-en-Champagne
et de Nantes ont envoyés à la FNCC à la suite de
son communiqué.
A Châlons-en-Champagne, l’un des axes majeurs
est le soutien au slam, une forme d’expression à
laquelle est particulièrement sensible le députémaire Bruno Bourg-Broc, également président
de la Fédération des maires des villes moyennes
(FMVM) et signataire de ce courrier.
A Nantes, la longue liste des initiatives de la municipalité en faveur de la poésie présentées par
Jean-Louis Jossic, maire adjoint à la culture de la
ville et membre du CA de la FNCC, montre l’importance du rôle des Maisons de la poésie.
Ces deux témoignages de l’engagement des
adhérents de la FNCC en faveur de la poésie sont
riches de significations, notamment en ce qu’ils
font apparaître la variété des actions qui peuvent
être menées sur ce secteur mais aussi parce qu’ils
confortent un net frémissement de la mobilisation
des acteurs de la poésie : les politiques, les poètes
mais aussi les bibliothèques, les établissements
scolaires et les milieux du spectacle vivant,
notamment du théâtre et de la musique.
Madame la Présidente,
Suite à votre communiqué du 15 octobre 2010
qui a retenu toute mon attention, je tenais à
vous indiquer que la Ville de Châlons-enChampagne contribuait à favoriser l’audience
de la poésie auprès des publics les plus variés.
La bibliothèque municipale de Châlons-enChampagne la met à l’honneur chaque fois
qu’elle le peut. Parmi les événements les plus
prestigieux, en 1983, nous recevions déjà Yves
Bonnefoy, l’un des plus grands, mais d’autres
sont passés chez nous comme Guy Goffette,
aujourd’hui directeur de collection chez Gallimard. Nous encourageons des expositions
d’éditeurs de poésie : Editions Dumerchez ou
Le Chêne. Nous avons construit deux années
de résidence d’écriture de l’auteur Hubert
Haddad, dont l’une sur le thème du cirque en
partenariat avec le Centre National des Arts
du Cirque, au cours de laquelle il invita dix
auteurs (Rachid Boudjedra, Nedim Gürsel…
Georges-Olivier Chateaureynaud, prix Renaudot, mais surtout le grand Henri Meschonnic,
à qui le Monde 2 a consacré sa Une la même
année). Naturellement invitations de poètes,
lectures publiques (Dominique Cagnard),
ateliers d’écriture poétique, expositions des
œuvres de ZanZucchi, (Le papillon a blanchi
d’avoir si peu volé), performance itinérante
sous forme de parcours de déclamation poétique (Cie Odyliade), lectures musicales, spectacles divers… ont ponctué nos saisons culturelles.
Plus récemment : des ateliers de création typographique autour de la parole poétique mise
en scène chez les adolescents (Typoésies, avec
Anne Mulpas, auteure et Nicole Pérignon,
typographe), des ateliers de Slam pour adolescents, adultes et scolaires avec le célèbre collectif rémois Slam Tribu et le chanteur slameur
non moins célèbre Barcella, l’accueil de la Nuit
régionale du Slam, dans le cadre de la Semaine
de la langue française ont enrichi le quotidien
de nos concitoyens. Pour la troisième année
consécutive, nous présentons l’exposition des
‘‘dix mots’’ de la Délégation ministérielle à la
langue française. Nous composons également
régulièrement des tables thématiques.
FNCC
La Lettre d’Echanges n°60 - mi janvier 2011
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Echos des adhérents. La poésie à Châlons-en-Champagne et à Nantes. Le Printemps des poètes
Ces poètes, considérés par les uns, parfois
décriés par les autres, sont à la mesure de
leur culot littéraire, aux couleurs de leurs
idées… Classiques revisités ou marginaux de
la création littéraire, provocateurs, slameurs
aujourd’hui, ils pérennisent leur message en
bibliothèque, de coups d’éclat stylistiques en
proses délicates… C’est ce qui me pousse
aujourd’hui encore à les défendre et à encourager la diffusion de leurs œuvres poétiques.
En vous remerciant pour cette initiative originale et louable,
Bruno Bourg-Broc, député-maire
Madame la Présidente,
J’ai pris connaissance avec intérêt du communiqué transmis par votre organisation à
l’ensemble des collectivités territoriales afin
d’attirer notre attention sur la nécessité de promouvoir les arts poétiques.
La Ville de Nantes a, pour sa part, contribué
depuis plus de vingt ans au développement
constant de la promotion de l’écriture et de la
parole poétique dans la ville en accueillant en
1986 la création d’une Maison de la poésie. Elle
a, par la suite, soutenu de manière constante son
développement. Une convention triennale permet à cette association de recevoir une subvention de fonctionnement de plus de 60000€.
Depuis 2005, la Ville a tenu à afficher plus
fortement encore son engagement auprès de
cette institution culturelle en lui attribuant des
locaux situés dans la Maison du Change, en
plein centre-ville de Nantes. Cette mise à disposition de locaux de plus de 100m² lui permet
de développer l’accueil du public au sein de
son centre de documentation riche de plus de
8000 documents.
Lors de cette même
année, la Ville de
la Maison de la poésie
Nantes a soutenu la
de la ville de Nantes
création de la Fédération nationale des
Maisons de poésie en
accueillant à l’Hôtel
de Ville les ateliers
de travail de l’ensemble des représentants des structures adhérentes lors
de leur assemblée
fondatrice.
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Par ailleurs, la programmation ‘‘Poèmes en
cavale” de la Maison de la Poésie est accueillie
depuis sa création au sein d’une salle gérée par
la Ville, le Pannonica. Cela représente une
douzaine de représentations par an avec mise à
disposition du lieu et des techniciens afin d’assurer la soirée.
La manifestation ‘‘Midi Minuit”, programmée
par l’association depuis 10 ans, a développé en
2008 une formule Biennale ‘‘Débordements”
qui dure quatre jours. La Ville l’accompagne
en assurant un soutien financier ainsi que des
moyens logistiques, techniques et humains sur
l’espace public.
De plus, actuellement, une coopération politique est mise en place entre l’agglomération de Nantes et celle de Rennes portant sur
plusieurs champs de développement, dont la
Culture. Les Maisons de la poésie des deux
collectivités ayant déjà une grande habitude de
travail en commun, un renforcement de cette
collaboration a été souhaité par l’intermédiaire
d’un projet construit en commun par ces deux
acteurs culturels. Il fait l’objet actuellement
d’une réflexion, devrait prendre effet à l’horizon 2011 et sera aidé par la Ville.
Enfin, une autre structure culturelle, la Salle
Vasse, soutenue par la Ville et gérée par la
Compagnie Sciences 89, programme très
régulièrement des lectures poétiques avec les
Editions du Petit Véhicule. Leur bon déroulement est assuré grâce aux professionnels et
moyens techniques que la collectivité met à
disposition.
Jean-Louis Jossic,
l’adjoint délégué, pour le député-maire
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FNCC
Entretien avec Jean-Pierre Siméon,
directeur artistique du Printemps des poètes
Comment expliquer le déclin de la poésie
en France ?
Un préjugé tenace nuit à la poésie. Ce serait
un art pour un petit nombre. Cela fait des
années que nous nous battons contre cette idée
fausse, car les gens aspirent à la poésie. Ils
nous le disent. Mais les décideurs, notamment
les médias et leurs critiques littéraires, malgré
l’évident respect que leur inspire la poésie,
persistent à la considérer comme un art élitiste
et lui ferment leurs pages.
Je suis cependant optimiste. La vie poétique
manifeste un dynamisme sans cesse accru au
travers d’initiatives de toutes sortes et par la
diversité de ses expressions. Comme si s’était
opérée une inversion : la poésie a transformé
les menaces pesant sur sa survie en atouts…
En effet, quand, dans les années 70, les grands
éditeurs ont marginalisé la poésie, au lieu de
l’étouffer, cela a entraîné l’apparition de dizaines de petites éditions dont bon nombre sont
toujours actives aujourd’hui, principalement
en région. Et si leurs tirages sont faibles, les
livres circulent beaucoup. Autre preuve de
dynamisme : le fort mouvement de lecture
orale qui n’a cessé de se développer depuis ces
vingt ou trente dernières années. Grâce à cela,
le réseau de la poésie avec lequel le Printemps
des poètes travaille est aujourd’hui extrêmement dense.
Quand a été créée cette structure et quel est
son rôle ?
Le Printemps des poètes a été fondé sous l’impulsion de Jack Lang et Emmanuel Hoog en
1999. Au départ, il s’agissait d’une manifestation ponctuelle, qui a connu un succès d’estime
malgré un manque de réelle direction artistique. Quand on m’a proposé de la diriger, voilà
dix ans, j’ai souhaité qu’elle devienne une
structure permanente. Il faut préciser qu’alors,
la poésie connaissait une sorte d’exclusion du
FNCC
champ culturel public et ses acteurs n’avaient
aucun interlocuteur commun à l’échelle nationale. Il s’avérait donc capital que le Printemps
des poètes ne fonctionne pas comme un alibi
de conscience, une sorte de journée de la pauvreté. L’idée d’un moment de fête était bonne,
mais il fallait l’adosser à un travail sérieux
et continu. De surcroît, une sorte de myopie
régnait. On ne voyait pas les nombreux outils
sur lesquels la poésie pouvait compter : les
bibliothèques, les enseignants, les libraires, les
éditeurs, les milieux de la chanson, du théâtre,
de la musique, des arts plastiques aussi. Certes, cette hétérogénéité des acteurs rend les
initiatives compliquées, mais elle est à l’image
de la poésie elle-même. La poésie, c’est le
livre, mais aussi la performance, la chanson
ou encore parfois le slam… Cette complexité
constitue une part de sa force. Désormais, à
l’instar de toutes les autres formes d’expression artistique, la poésie a son Centre national
de ressources : le Printemps des poètes.
La vogue du slam, très direct et populaire, ne
représente-t-elle pas un danger pour le soutien à la poésie dans sa diversité ?
Le débat est complexe. Le slam est un avatar
parmi bien d’autres de la création poétique
et il mérite à ce titre d’être reconnu. Il y a de
bons textes, avec une intuition juste et ce réel
soubassement culturel sans lequel aucun art
n’existe. Mais beaucoup d’autres sont faibles et
indigents du point de vue de la langue. Tout est
une question de discernement quant à la qualité de l’écriture. Il est vrai que le côté jeune,
banlieusard du slam séduit. Certains disent
même qu’il s’agirait de la nouvelle forme de
l’art poétique. Ce qui est faux, ne serait-ce
que parce que la ‘‘poésie des cafés” remonte
au moins au 19e siècle, la poésie d’intervention politique au moins à Maïakovski... Pour
ma part, je m’attache à promouvoir l’ensemble de la poésie, ancienne ou contemporaine,
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Echos des adhérents. La poésie à Châlons-en-Champagne et à Nantes. Le Printemps des poètes
savante ou populaire, écrite ou orale. J’ajoute
que, quelle que soit la forme envisagée, il n’y
a aucune fatalité à ne pas toucher le plus grand
nombre.
La lecture de la poésie exige beaucoup de
concentration, un rapport au temps très particulier, fait de retrait, de méditation…Une
telle disponibilité n’est-elle pas incompatible
avec les modes de vie d’aujourd’hui ?
Vous avez raison. La poésie exige un mode
de lecture que rien d’autre ne demande, une
attitude faite de patience, de retrait, d’écoute
intérieure, de plaisir de ruminer – il faut entrer
dans un temps comme dilaté. En effet, cela
contrevient fondamentalement aux manières
d’être dominantes actuelles, lesquelles privilégient la vitesse et la suractivité. Et du point
de vue artistique aussi, la poésie contredit violemment le culte de l’efficacité et du spectaculaire, car son point d’appui consiste à créer
de la profondeur en toutes choses. Là réside
l’explication de fond du malheur de la poésie.
Voilà donc sa faiblesse, mais une faiblesse qui,
là encore, lui donne toute sa force. Aujourd’hui,
la poésie est une objection par cela même
qu’elle est. Une objection au consumérisme.
Cette objection est au cœur du projet du Printemps des poètes. Nous ne cherchons aucunement à affubler la poésie de spectaculaire mais,
tout au contraire, à respecter sa dissonance par
rapport à lui et au monde contemporain. La
poésie – parole intense et nue – donne ce que
le spectaculaire n’offre pas. On a besoin de son
objection à la profusion du bavardage ambiant.
Plus le temps passe, plus le besoin de poésie
grandit.
Sa pureté n’intimide-t-elle pas ?
Si. Mon travail consiste à combattre les idées
toutes faites sur la poésie, notamment les tendances à la mettre sur un piédestal, à la sacraliser, à l’étouffer sous la révérence pour les
grands noms… Tout cela, de fait, intimide. Il
faut œuvrer en deux sens et affirmer que si la
poésie est intense et complexe, elle est accessible à tous. Regardez Mahmoud Darwich : dans
le monde arabe, des millions de gens aiment
sa poésie, pourtant exigeante. Ils ne sont pas
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intimidés. Certes Mallarmé est difficile, mais
il n’est pas besoin d’être capable d’en faire
l’exégèse savante pour le comprendre.
L’école prône la révérence et l’exégèse. N’y
a-t-il pas un risque à trop appuyer la défense
de la poésie sur l’école ?
Il faut le dire : malgré la meilleure volonté du
monde, l’école a longtemps desservi la poésie. J’ai rédigé un article dont le titre était le
suivant : ‘‘Il y a une vie avant l’explication
de texte”… Trop souvent, on commence par
l’exégèse, sans prendre le temps d’éprouver le
poème, d’en faire l’expérience. Pour ma part, et
sans rejeter une approche par la connaissance,
je milite pour qu’on multiplie les scénarios de
rencontre des textes et qu’on ne privilégie pas
l’analyse. Le savoir ne conduit pas à l’amour
– c’est l’inverse. De ce point de vue, d’ailleurs,
les choses ont beaucoup bougé depuis les
années 70. Mais dans la mesure où la mission
de l’école est de transmettre un savoir, cela
reste difficile. La poésie ne peut être principalement l’objet d’un savoir. La poésie, c’est un
argument de vie. Paul Celan disait qu’il n’y a
pas de différence de principe entre un poème
et une poignée de main…
Quel est le lien entre le Printemps des poètes
et les collectivités territoriales ?
Le Printemps des poètes n’existerait pas sans
le relais des collectivités territoriales, essentiellement celui des municipalités. Et même
si, comme tout le monde, les élus locaux ont
parfois des préjugés vis-à-vis de la poésie, rien
ne se ferait sans l’engagement d’un certain
nombre d’entre eux, même si on pourrait sans
aucun doute faire beaucoup plus. Quoi qu’il
en soit, nous avons envers les collectivités une
grande dette de reconnaissance. Certes, l’Etat
nous soutient (quoique modestement), et c’est
grâce à lui que le Printemps de poètes a pu
exister. Mais nous avons besoin des collectivités. En prenant la direction artistique de cette
structure, la première chose que j’ai faite a
été de prendre contact avec l’Association des
maires de France, avec celle des petites villes,
avec l’Association des régions de France…
Malheureusement alors, la FNCC n’a pas été
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FNCC
La poésie – parole
intense et nue – donne
ce que le spectaculaire
n’offre pas. On a besoin
de son objection à la
profusion du bavardage
ambiant. Plus le temps
passe, plus le besoin de
poésie grandit.
identifiée par nous. Il importe de corriger cet
oubli et je suis très heureux de ce contact avec
la FNCC, qui aurait dû être établi depuis bien
longtemps. Car pour moi, le Printemps des
poètes est une affaire politique, une affaire
qui relève de la cité, une initiative d’éducation
populaire.
Politiquement, l’action en faveur de la poésie
relève de ce qu’on appelle ‘‘la lecture publique”. Ne faudrait-il pas envisager une politique de ‘‘l’écriture publique”, professionnelle
et non professionnelle, dans l’esprit de l’éducation populaire ?
Sans conteste. Lecture et écriture sont les deux
pieds, et l’on boîte souvent d’un pied ou de
l’autre... Ecrire est par nature un effort d’objectivation – de soi et du monde, écrire le réel
c’est forcément mettre en question la perception qu’on en a, donner sens et valeur à sa propre relation aux êtres, aux choses, aux événements. Or, si pour écrire hors du stéréotype, il
faut lire (car toute écriture est un palimpseste),
il est vrai qu’écrire c’est aussi apprendre à lire.
A mieux lire les écrivains mais aussi à se mieux
lire soi-même, à mieux lire le monde. Je parle
ici d’écriture créatrice ou artistique : celle qui
échappe à l’injonction pragmatique et qui est
donc toujours, en son principe, même maladroite et naïve, une émancipation. De ce point
de vue, la poésie est un atout : son exigence
même, je veux dire l’effort de concentration
qu’elle exige dans la langue, la subversion
des représentations convenues qu’elle implique, contribue à arracher celui qui l’éprouve à
sa propre banalité. Quand on écrit un poème,
même si on ne réussit pas le poème, on aura
vécu une chose essentielle : le sentiment d’une
issue, la sensation d’une libération. N’est-ce
pas l’enjeu, qui n’a pas pris une ride, de l’éducation populaire ?
Le Printemps des poètes a pour
objectif essentiel de lutter contre l’image d’élitisme qui pèse sur la poésie et induit une approche
révérencieuse néfaste pour son audience. Fondé
à un moment de quasi effacement de la poésie
dans les pratiques culturelles en France, le Printemps des poètes a su identifier, mettre en réseau et soutenir activement, malgré ses modestes
moyens financiers, une ‘‘nébuleuse” des divers
acteurs de la poésie aussi complexe que dense
– aussi dense parce que complexe – et ainsi accompagner un renouveau.
Le Printemps des poètes recense, sur toute la
France, les acteurs et les lieux où se déploie le travail de la poésie. Par le moteur de recherche ‘‘la
poéthèque”, on accède à tous les poètes vivants
publiés, quel que soit le genre esthétique de leur
production. Sont également répertoriés, département par département, les poètes y résidant,
l’ensemble des événements poétiques, des lieux
et manifestations les mettant en valeur et les librairies possédant un fonds poétique significatif.
Un des enseignements principaux de cette remarquable base de données est la multiplicité des éditeurs de poésie en région.
Le site du Printemps des poètes recense également
l’ensemble de ses très nombreuses actions en direction du milieu scolaire, son travail avec les bibliothèques ainsi que les formations mises en place : Poésie, chanson et musique, Poésie et jeune
public, Poésie et peinture, Poésie, image, espace,
Valorisation de la poésie, La poésie amoureuse, La
petite édition, La transmission orale du poème…
La 13e édition du Printemps des poètes se
déroulera du 7 au 21 mars 2011 sur le thème :
‘‘D’infinis paysages”. L’actrice Juliette Binoche est
marraine de cette édition dont le lancement sera
également celui des manifestations littéraires de
l’Année des outre-mer français. A cette occasion,
Juliette Binoche, Hugues Quester, Jacques Martial, Jacques Bonnaffé, Robin Renucci et plusieurs
centaines de comédiens sillonneront l’espace public parisien pour des lectures de poèmes venus
des infinis paysages des régions d’Outre-mer (Caraïbes, Océan indien, Pacifique).
pour inscrire une manifestation au 13e Printemps des poètes
Propos recueillis par Vincent Rouillon
FNCC
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