L`art de ne rien dire

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L`art de ne rien dire
Que j’aime cette chronique qui dénonce cette tendance à choisir
consciencieusement des mots qui ne veulent rien dire. Un choix non seulement
consciencieux, mais qui s’avère de plus en plus un «choix politique» : je pense ici
à Obama, Trudeau, Couillard (pour ne nommer que ceux-là; mais il y en a bien
d’autres).
Réginald
Le Devoir, le 4 octobre 2016
L’art de ne rien dire
Christian Rioux, chroniqueur
Nous assistons à un étrange phénomène. Je l’appellerai le souci de ne rien dire ou l’art de ne pas
nommer les choses. Plus simplement, on pourrait parler de la peur des mots. Celle, évidemment, des
mots qui fâchent.
S’agissant du terrorisme islamiste, qui fait des milliers de morts un peu partout dans le monde, cet
art de ne rien dire atteint aujourd’hui, dans nos sociétés démocratiques, des sommets inégalés. Sans
le savoir, nous sommes devenus des maîtres ès arts de la circonvolution, des champions olympiques
de la périphrase.
Jugez-en par vous-mêmes. À l’occasion de la conférence internationale organisée par l’UNESCO, à
Québec, sur Internet et la radicalisation, voici comment on présentait un atelier. Celui-ci devait
porter sur «la manière dont la prévention de la radicalisation menant à la violence sur Internet se
doit d’être pensée de façon pluridimensionnelle et mobiliser une diversité de partenaires afin de
favoriser la création de partenariats multisectoriels et d’ainsi couvrir plus largement les multiples
aspects du phénomène». [Remarque de Réginald : avez-vous compris quelque chose à ce charabia?
Pas moi!]
On aura compris qu’il s’agissait surtout… de ne rien dire. De peur, probablement, que quelqu’un ou
quelqu’une, une minorité ou un groupe, une «communauté», comme on dit aujourd’hui, se sente
visée ou, pire, stigmatisée. On pourrait multiplier à satiété les exemples de ce genre, qui visent
d’abord et avant tout à noyer le poisson. Que la chose vienne du monde universitaire passe encore.
On pourra toujours invoquer le langage abscons de certains spécialistes. Mais qu’elle vienne du
monde journalistique, dont la mission est justement de nommer les choses le plus précisément
possible pour le plus grand nombre, dépasse l’entendement. Cela fait parfois penser à la fausse
pudeur avec laquelle nos curés, dans les années 1950, tentaient maladroitement de parler de la
sexualité.
Tout cela pour ne pas nommer un phénomène pourtant parfaitement documenté depuis des
décennies : la montée d’un islamisme totalitaire qui, après avoir semé la guerre civile et fait des
milliers de morts dans le monde arabo-musulman, rejoint aujourd’hui nos contrées, où il bouscule
aussi bien les mœurs, la vie politique que la laïcité. Comme le disait cette semaine, dans nos pages, le
chercheur allemand Günther Jikeli, si nous nous interrogeons aujourd’hui sur la «radicalisation», ce
n’est pas parce que nous assistons à la montée d’un terrorisme vegan, écolo, nazi ou anarchiste. Si
ceux-ci existent, ils demeurent marginaux. C’est plutôt parce que nous sommes devant une forme
d’extrémisme musulman qui prêche les idées les plus rétrogrades et qui a fait pas moins de 250
morts en France seulement depuis un an et demi.
Or, à force de périphrases et de ce que l’islamologue Gilles Kepel qualifie de «cécité criminelle», à
quoi assistons-nous, sinon au renversement de la charge de la preuve? Lui-même s’est d’ailleurs
retrouvé dans ce cas de figure. Interrogé par des journalistes du Bondy blog, un média sur Internet
animé par des jeunes de la banlieue parisienne, il a dû répondre à des accusations permanentes
d’islamophobie, au lieu d’expliquer le résultat de ses recherches.
Un djihadiste écrase 86 hommes, femmes et enfants sur la promenade des Anglais, à Nice, et,
quelques jours plus tard, toute une partie de la presse n’en a que pour la stigmatisation des
musulmans. Un peu comme si, après une série de viols avérés, on s’inquiétait d’abord de la
stigmatisation des mâles au lieu de rechercher les coupables et de dénoncer une idéologie délétère.
C’est le monde à l’envers. Pourquoi ce qui vaut pour le viol ne vaudrait-il pas pour un policier qu’on
assassine devant sa famille et un prêtre qu’on égorge dans son église?
Peut-être parce que certains ne voient dans le terrorisme islamiste qu’un phénomène marginal et
résiduaire. Pourtant, le terrorisme qui ébranle nos sociétés depuis le 11 septembre 2001 n’a rien à
voir avec celui, plus marginal, des Brigades rouges, que nous avons connu dans les années 1960 et
1970. Il est dû à la rencontre d’au moins deux mouvements historiques très profonds. Le premier,
c’est la montée d’un courant islamiste qui se veut une réaction à la mondialisation et à ses méfaits.
Ce mouvement n’a rien d’un épiphénomène. Né au début du XXe siècle, il tire sa force de l’échec des
nationalismes arabes. Le second, c’est l’existence en Europe d’une jeunesse issue de l’immigration de
masse. Une jeunesse qui, en France, par exemple, ne se sent ni française ni arabe. Une jeunesse en
pleine crise identitaire qui ne possède ni les codes de la société d’accueil, qu’elle rejette souvent, ni
ceux de la société de ses parents, qu’elle ignore encore plus. Rien de tel qu’une jeunesse hors sol
pour succomber aux sirènes de cet islam de pacotille et meurtrier que proposent les islamistes.
Qu’on se le dise, c’est au contraire le refus de nommer l’islamisme qui est méprisant à l’égard des
musulmans. C’est ce refus qui livre en pâture aux charlatans une jeunesse qui n’a aucun avenir hors
de la citoyenneté, de la culture et de l’identité de son pays d’accueil.
Mais, pour combattre ce fléau, il faudra d’abord regagner le droit de nommer les choses.

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