Stéphane FOURNIER, Delphine MARIE

Transcription

Stéphane FOURNIER, Delphine MARIE
Quelsapportsdelathéoriedes
communspourl’analysedes
indicationsGéographiques?
Stéphane FOURNIER – Maître de conférences Montpellier –Supagro /IRC, UMR Innovation.
Montpellier-Supagro-IRC, 1101 avenue Agropolis. BP 5098, 34093 MONTPELLIER Cedex 05.
[email protected]
DelphineMARIE-VIVIEN–Juriste,CIRAD–UMRInnovation,Hanoi(Vietnam)
EstelleBIENABE–Economiste,CIRAD–Directionscientifique,Montpellier
ClaireCERDAN–Géographe,CIRAD–UMRInnovation,Montpellier
DenisSAUTIER–Economiste,CIRAD–UMRInnovation,Montpellier
Cettecommunicationseproposedemobiliserl’apportdelathéoriedescommunspouranalyser
lesconditionsdemiseenœuvreetdesuccèsdesindicationsgéographiques,avecunaccentparticulier
sur les enseignements à tirer pour le développement des pays du Sud et pour la mobilisation de ce
cadred’analysepourdéfinirlesapprochesd’interventionIG(Ostrom,1990;Ostrom,2005).
Les Indications Géographiques (IG) sont des indications « qui servent à identifier un produit
commeétantoriginaireduterritoire[…],oud’unerégionoulocalitédeceterritoire,danslescasoùune
qualité,réputationouautrecaractéristiquedéterminéeduproduitpeutêtreattribuéeessentiellement
à cette origine géographique». Par cette définition adoptée en 2004, l’Organisation Mondiale du
Commerce étend à tous ses membres la qualification de droit de propriété intellectuelle (DPI) à ces
dénominationsdeproduitsréputésdufaitdeleuroriginegéographique,danslaquellesecombinent
defaçonparticulièredesfacteursnaturelsethumains.ParcontrasteaveclesautresDPI,l’IGprésente
unetripleparticularité:ellenereposepassurl’inventionmaissurl’antérioritéoulatradition;ellene
portepassurunnomdistinctifmaissurunnompartagé,descriptifdel’origine;ellen’estpasundroit
de propriété individuelle mais un droit d’usage ouvert à tout le collectif des producteurs (Hermitte,
2001). En effet, les Indications Géographiques reposent sur l’association entre une ressource –la
réputation d’un produit local-, une communauté –celle des producteurs et transformateurs localisés
ayantconstituéunsavoir-faireintellectueloudeproductioncollectifàl’originedelaréputation-,et
uncorpsderèglesdeproductionettransformation–traduitesdansuncahierdescharges.
LesIGontparfoisétéassimiléesàdesbiensdeclub(Thiedig&Sylvander,2000;Torre,2002).En
effet, elles construisent ou protègent la réputation d’un produit local, ressource immatérielle
accessibleàtouslesproducteurslocauxmaisavecpossibilitéd’exclusiondeceuxnerespectantpasle
cahier des charges. Les membres du «club IG» peuvent utiliser cette ressource selon les règles
définies(lecahierdescharges)sansquecelaneportepréjudiceauxautresmembres.
1
Selond’autresauteurs,lesindicationsgéographiquespeuventplutôtêtreconsidéréescommeun
communpourlespartiesprenantesauxIGenquestionetlesrésidentsdelarégionvisée (Allaire&
Thévenod,2011).Cecisevérified’abordpourlesproducteursdirectementconcernés.Eneffetlaclef
de la pérennité d’un commun tient dans sa gestion collective et démocratique. Certains communs
peuvent être assortis de limitations, l’usage d’un nom d’IG sur un produit doit être limité à certains
utilisateurs légitimes ou habilités, et le produit doit respecter un certain nombre de caractéristiques
convenuespubliquement(Giovanuccietal.,2009).L’accèsàlaressource(usagedunomréputé)reste
ouvert à tout opérateur produisant dans la zone reconnue et respectant le cahier des charges. Les
indications géographiques et la réputation qu’elles protègent sont alors considérées comme un
«communterritorial»,dontpourrontbénéficierenpremierlieulesutilisateursdirects,producteurs
ettransformateurs,maiségalementendeuxièmelieuletissuéconomiqueetsocialqu’ellesirriguent
(Belletti et al., 2015). La réputation du produit IG crée des opportunités économiques pour la
populationlocale,enparticulierledéveloppementdutourisme,desactivitésdeloisirs,etdel’artisanat
(Pecqueuretal.,2008).LaréputationduproduitIGdevientalorsuneressourceactivéepouraffirmer
l’identité de la localité, générant des effets internes sur sa cohésion sociale et externes sur son
attractivité.
NoussoutiendronsdanscettecommunicationquelaconceptiondesIGcommebiensdeclubou
comme «communs territoriaux» n’est pas seulement une question théorique. Elle a aussi des
traductions éminemment pratiques en termes de politiques publiques et de développement rural,
dans le contexte actuel post-accord ADPIC, marqué par une forte diffusion et réinterprétation
internationale de la notion d’IG. En effet si la reconnaissance internationale des IG par les accords
ADPIC a permis leur rapide diffusion mondiale, elle donne aussi lieu à une diversité croissante des
formesdeleurinstitutionnalisation–c’est-à-direleurdéfinitionetleursmodesd’enregistrementetde
gestion-, compte tenu de la liberté pour chaque pays de transcrire dans son droit national les
dispositionsfortflexiblesdesaccordsADPIC(Bramleyetal.,2013).
Après avoir discuté et réaffirmé la conception des IG comme des communs et mieux cerné le
potentiel de mobilisation de la théorie des communs sur la base de la littérature, nous analyserons
dans la deuxième partie de cette communication différentes expériences d’IG en Asie du sud-est
(Indonésie,Vietnam),enAfrique,enIndeetauBrésil.NousnousinterrogeronssurlacapacitédesIG
danslespaysduSudà«faireressource»pourdesacteurséconomiqueslocauxet,àlalumièredela
théorie des communs et de l’action collective, sur la capacité de différents systèmes
d’institutionnalisationdesIGàassurerunegestioncommunedecetteressource.L’hypothèsegénérale
estquecettecapacitédépenddelapréexistenced’uneréputationcommuneet,defaçoncombinée,
de la nature plus ou moins endogène de la construction de l’IG (Biénabe et al., 2013). Cette
constructionpeutêtreendogèneausystèmed’acteursquiutiliseral’IG,ouaucontrairetrèsexogène,
c’est-à-dire impulsée par des acteurs extérieurs au produit local (Kebir, 2006; Requier-Desjardins,
2004). Nous questionnerons alors la capacité des parties prenantes à gérer la ressource-réputation
éventuellementconstruiteautourdel’IG.Cetteanalyseprendraencomptelesdifférentesvariablesdu
cadre théorique construit par Ostrom (1990, 2005), et notamment celles concernant la nature des
collectifs:taille,homogénéitédesmembres,autonomieetexpérience…Cecadreconstitueunegrille
delectureefficacepourl’analysedesfacteursdesuccèsoud’échecdesIG,quecetteanalysesefasse
expostouexante(Fournier,2015).
Pourtesterl’hypothèseprésentéeci-dessus,deuxtypesdesituationscontrastéesorganiserontla
discussiondesrésultats.Unpremiertypeestcaractérisépar(i)unecommunautédeproducteursqui
jouit d’une réputation établie de son produit, et (ii) des usurpations ou contrefaçon qui menacent
l’efficience de la ressource «réputation». Ces conditions produisent une incitation forte à l’action
collective et à la coordination d’acteurs pour gérer et défendre cette ressource. Si les acteurs
économiques du produit local voient dans l’IG le meilleur moyen de protection de la réputation de
leur produit de terroir, la dimension nécessairement collective de la gestion de cette ressource,
2
inscrite dans la plupart des législations nationales, les pousse à construire ou à renforcer leur
coopérationetàinvestircollectivementdanslaconstructiondel’IG.
Dansledeuxièmetypedecas,laréputationdel’IGestàétablirouencorelargementàconsolider,
etlesacteursquicherchentàdifférencierleurproduitconstruisentl’IGparlasélectionetlamiseen
valeurdecertainescaractéristiquesouqualitésduproduit.L’enjeumajeurn’estpasalorsdeprotéger
le nom du produit d’usurpations car la réputation du produit peut être faible lorsque débute. Les
acteurs qui se mobilisent peuvent être endogènes (acteurs de la filière) ou exogènes (agences de
l’Etat,institutstechniques…).Danscetypedecas,assurerlaconstructiondel’IGimpliqued’apporter
une attention particulière aux facteurs permettant aux acteurs de développer les actions collectives.
LesuccèsdecesIGdépenddelacapacitédesopérateursimpliquésàinvestircollectivementdansla
différenciation de leur produit via l’IG. Ces investissements qui peuvent être importantsconcernent
l’évolutiondespratiquesversunproduitpermettantd’assoiruneréputationdequalitéliéeàl’origine
géographique en lien avec l’expérimentation du cahier des charges, la recherche de nouveaux
débouchéscommerciaux,oulaformalisationdelareconnaissancesurlesmarchés.Commelereflètent
lescasanalysés,lesstratégiesindividualistesmènentàunattentismesouventforthandicapantpour
ces IG, qui peuvent rester peu, ou pas, utilisées. Une plus forte coordination et capacité d’action
collectiveetuninvestissementplusmassifdelapartdesopérateurslocauxsontcependantàmêmede
produirecettedifférenciationetd’améliorerlavalorisationduproduitdanslesterritoires.
La théorie des communs constituera le cadre conceptuel pour analyser la nature des
investissementsdanslesdifférentscasétudiésetcomprendrelesdéterminantsdescapacitésdesIGà
assurer une gestion commune de la réputation du produit et à faire en tant que tel ressource.
L’analyse produite permettra ainsi d’éclairer les conditions favorisant l’appropriation et
l’investissement des acteurs économiques locaux dans cet outil collectif qu’est l’IG. Elle permettra
également de discuter, à partir de l’évaluation des capacités de différents systèmes
d’institutionnalisationdel’IG,durôledel’Etatetdesesinstancesdécentraliséesdanslaconstruction
decescommuns.
Une des conclusions portera sur l’intérêt et le potentiel associés à la mobilisation de l’approche
descommunspourconstruiredescadrespartagésd’interventionaveclesopérateursetdécideursde
politiquespubliquesimpliquésdansledéveloppementdesindicationsgéographiquesdanslespaysdu
Sud.
Références
ADPIC,1994.Accordsurlesaspectsdesdroitsdepropriétéintellectuellequitouchentaucommerce.
In: Annexe 1C de l’Accord de Marrakech. Genève, Organisation Mondiale du Commerce. DOI:
https://www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/t_agm0_f.htm
ALLAIRE G., THEVENOD-MOTTET E., 2011. Geographical origin: a complex feature of agri-food
products. In: Barham E, Sylvander B (eds): Labels of origin for food: Local development, Global
recognition.CABIBooks:1-12.
BELLETTI G., MARESCOTTI A, and TOUZARD JM, 2015. Geographical indications, public goods and
Sustainable development. Actors’ strategies and Public Policies. World Development. DOI:
http://dx.doi.org/10.1016/j.worlddev.2015.05.004
BIENABEE.,KIRSTENJ.ANDC.BRAMLEY,2013.CollectiveActionDynamicsandProductReputation.In
Bramley,BiénabeandKirsten,DevelopingGeographicalIndicationsintheSouth;TheSouthernAfrican
Experience.Springer.pp51-72.
BRAMLEYC.,MARIE–VIVIENANDE.BIENABE,2013.ConsiderationsinDesigninganAppropriateLegal
Framework for GIs in Southern Countries. In Bramley, Biénabe and Kirsten, Developing Geographical
IndicationsintheSouth;TheSouthernAfricanExperience.Springer.pp15-50.
3
BOWEN S., 2010. Embedding local places in global spaces: geographical indications as a territorial
developmentstrategy.RuralSociology,75(2),209-243.
FOURNIER S., 2015. Evaluer ex ante l’impact d’une Indication Géographique? De la difficulté
d’appréhender des processus d’action collective et d’innovation au sein de systèmes complexes.
EconomiesetSociétés,Série«Systèmesagroalimentaires»,AG,37(8),1167-1184.
GIOVANNUCCI, D., JOSLING, T. E., KERR, W., O’CONNOR, B., & YEUNG, M. T. (2009). Guide to
geographicalindications:Linkingproductsandtheirorigins.Geneva:InternationalTradeCenter.
KEBIRL.,2006.Ressourceetdéveloppementrégional,quelsenjeux?,Revued’ÉconomieRégionale&
Urbaine,(5),701-723.
MARIE-VIVIEND.,2012.Laprotectiondesindicationsgéographiques:France,Europe,Inde.Versailles,
editionsQuae,239p.
HERMITTE M.A., 2001. Les appellations d'origine dans la genèse des droits de la propriété
intellectuelle.Systèmesagroalimentaireslocalisées.Terroirs,savoir-faire,innovations.P.Moity-Maïzy,
Etud.Rech.Syst.AgrairesDév.32:195-206.
OSTROM E., 1990. Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action. New
York:CambridgeUniversityPress.
OSTROM E. (2005), Understanding Institutional Diversity, Princeton, Oxford, Princeton University
Press.
PECQUEUR, B., HIRCZAK, M., MOALLA, M., MOLLARD, A., RAMBOLINAZA, T., & VOLLET, D. (2008).
Fromthebasketofgoodstoamoregeneralmodelofterritorializedcomplexgoods:Concepts,analysis
gridandquestions.CanadianJournalofRegionalScience,31(2),241–259.
REQUIER-DESJARDINS,D.,2004.ProducedCommonPoolResources,CollectiveActionandsustainable
local developement: the case of food-processing clusters. Communication présentée à la 30ème
conférencedel'InternationalAssociationfortheStudyofCommonProperty:“TheCommonsinanage
ofglobaltransition”,22p.
THIEDIG F, SYLVANDER B., 2000. Welcome to the Club ? An economical approach to geographical
indicationsintheEuropeanUnion.GermanJournalofAgriculturalEconomics,(49):428-437.
TORRE A., 2002. Les AOC sont-elles des clubs? Réflexions sur les conditions de l’action collective
localisée,entrecoopérationetrèglesformelles.Revued’EconomieIndustrielle,100,39-62.
4