La Fnac face au défi de la croissance

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La Fnac face au défi de la croissance
Le 03 mai 2012 par JEAN-BAPTISTE DUVAL
Mots clés : FNAC, Commerce, E-commerce, Alexandre Bompard
L'ÉVÉNEMENT DE LA SEMAINE
En difficulté sur ses marchés historiques, la Fnac cherche de nouvelles pistes de croissance.
Elle n'en néglige aucune.
Ce n'est peut-être rien, mais c'est déjà beaucoup. Pour le premier trimestre de l'année, la Fnac a
dévoilé le 25 avril un chiffre d'affaires en recul de 0,7%, à 916 millions d'euros. Une quasi-stagnation
des ventes, elle ne va pas refuser. L'an dernier, son chiffre d'affaires avait enregistré une baisse de
3,2%, à 4,16 milliards d'euros. « Je n'en tire pas d'enseignements particuliers. Mais quand on fait 0,7% sur des marchés orientés à - 10% c'est que l'on gagne massivement des parts de marché. C'est
notre cas depuis plusieurs mois », analyse Alexandre Bompard, directeur général de la Fnac. Une
victoire stratégique qui pourrait s'avérer précieuse dans la reconstruction de l'enseigne.
Premiers pas vers le changement
Car la Fnac n'a plus le choix, elle doit faire sa révolution. Cette enseigne, à peu près unique au monde
avec son positionnement à cheval sur les produits techniques et culturels, a quelque chose d'une
forteresse bâtie sur des sables mouvants. D'après les données de l'institut GfK, la majorité de ses
marchés historiques sont en déconfitures. Pour des raisons structurelles, dans la musique, la vidéo, et
sans doute bientôt le livre, mais aussi conjoncturelles, avec la crise. En 2011, le marché de
l'électronique grand public a chuté de 9,7%... Recruté fin 2010 par François-Henri Pinault, Alexandre
Bompard, l'ancien patron d'Europe 1, doit administrer l'électrochoc salvateur. « Il a pour mission de
trouver une nouvelle histoire de croissance. Dès que des résultats prouveront sa pertinence, PPR
pourra songer à vendre », estime une consultante.
Trouver la trame du nouveau roman de la Fnac... Pour y arriver, Alexandre Bompard n'a pas ménagé
ses efforts, multipliant les initiatives. Partenariat avec allocine.fr dans la billetterie, prise de participation
dans une salle de spectacle à Marseille, sous-traitance des corners téléphonie à SFR, offensive sur le
livre numérique, etc. À ce train d'enfer, plusieurs top managers ont sauté en marche au cours des douze
derniers mois. Trop de pression ? « Alexandre Bompard paie quelque part l'attentisme des
précédentes directions », estime un bon connaisseur de l'enseigne.
Dernière nouveauté en date, l'électroménager. À l'occasion de l'agrandissement de son magasin de
Rosny 2 (Seine-Saint-Denis), la Fnac a inauguré le 30 mars un rayon Maison et Design de 90 m2.
Aspirateur Dyson, robots Kitchen Aid... On y trouve une sélection de petit électroménager design et
haut de gamme. Les critiques n'ont pas toutes été tendres avec cette nouveauté, beaucoup d'experts
craignant la dénaturation du concept. « C'est un non-sujet, la Fnac a toujours fait évoluer son offre
produits, balaye Alexandre Bompard. Nous n'avons presque pas communiqué, et l'offre doit encore
s'affiner. Mais les études et tests que nous avons faits en amont montraient une attente de la part de
nos clients sur ce secteur. Pour entrer sur cet univers, nous avons fait le choix de produits innovants,
high tech, ou tendances. »
Sortir des frontières
Il faudra s'y faire, la Fnac va multiplier les incursions en dehors de ses marchés actuels. « Notre offre
de produits culturels étant attaquée par la dématérialisation et par les nouveaux modes de
consommation, il est indispensable d'élargir notre territoire aux loisirs et aux technologies, et
d'intégrer de nouvelles familles de produits. »
Lorsque Ikea a dévoilé, le 26 avril, sa gamme Uppleva, un meuble multimédia vendu avec télé et
système audio fonctionnant sur une seule télécommande, Alexandre Bompard a découpé les articles
pour les montrer à ses équipes. « On peut très bien imaginer une alliance stratégique avec Conforama
ou But, y compris sur le meuble », estime Delphine Mathez, senior partner chez Roland Berger. Bon
connaisseur du marché du sport - il a été directeur des sports de Canal + de 2005 à 2008 -, le patron
de la Fnac s'intéresse aussi aux montres GPS, plébiscitées par les adeptes du jogging, ou au
partenariat tel celui entre Nike et Apple sur une paire de chaussures équipée d'une puce qui dialogue
avec un iPod. « Quand on voit l'ensemble des nouveaux usages offerts par le numérique, on ne peut
être qu'optimiste sur le bon positionnement de la Fnac », confie-t-il.
être qu'optimiste sur le bon positionnement de la Fnac », confie-t-il.
En attendant, le distributeur s'est activé sur sa carte de fidélité, un dossier moins spectaculaire, mais
tout aussi stratégique. Avec 3 millions de porteurs, il a fallu des investissements lourds tout au long de
l'année pour parvenir à unifier la base de données, et construire des outils de mesure de la satisfaction
des clients. Le B.A-BA ? Sans doute, mais l'enseigne n'en disposait pas encore. Sur les douze
prochains mois, la priorité sera à la refonte du programme d'adhésion. Plus de simplicité, plus
d'exclusivité... Il faut en faciliter la compréhension. « Ce levier n'est pas très réactif, mais très puissant
à moyen terme, analyse Yves Marin, senior manager chez Kurt Salmon. Surtout, cette carte de fidélité
est un élément important de sa politique cross canal. C'est un bon moyen pour assurer la cohésion
entre le site web et les magasins, et c'est un avantage sur son concurrent Amazon, qui n'en a pas. »
Amazon, la menace
S'il y a bien une menace qu'Alexandre Bompard prend au sérieux, c'est celle d'Amazon. « Amazon est
un acteur particulièrement performant sur le e-commerce, reconnaît-il. Notre singularité est de
posséder deux canaux de distribution puissants : nos magasins et fnac.com. Un des enjeux de Fnac
2015 est de tirer profit de cet avantage concurrentiel. En attendant, il y a une vraie nécessité à
prendre en compte l'impact de l'e-commerce en France, il en va de l'avenir des industries culturelles.
Je continuerai de faire entendre la voix des distributeurs culturels dont le rôle est trop souvent oublié.
» En mars 2011, le patron de la Fnac s'est ainsi lancé, avec succès, dans une campagne de lobbying
afin d'obtenir l'extension du prix unique aux livres numériques, et surtout aux acteurs étrangers comme
Amazon, Google et Apple.
Car « l'agitateur culturel » croit toujours au potentiel de son réseau. Dans le cadre du plan Fnac 2015,
l'enseigne veut doubler son parc, pour atteindre 160 magasins, dont 30 en périphérie et 50 formats de
proximité. « Deux ouvertures sur 300 m2 sont programmées pour la rentrée », dévoile Enrique
Martinez, directeur général pour la France. Seul problème, cette expansion doit se faire massivement
par la franchise, par souci d'économie. Mais recruter des candidats dans un secteur en crise ne devrait
pas être évident... « La franchise est un mode d'exploitation nouveau pour la Fnac, assure Alexandre
Bompard. Nous avons déjà des marques d'intérêt de nombreux franchisés potentiels. Nous sommes
en train de finaliser le modèle. » Le dossier a été confié à Manuel Biota, un spécialiste de la franchise
débauché chez Carrefour. Il devrait aussi plancher sur les magasins de gares, d'aéroport, y compris en
zone duty free.
Reconnue pour le savoir-faire de son site internet, qui pèse pour près de 15% de son chiffre d'affaires,
la Fnac compte aussi se servir de son réseau pour l'alimenter. Grands magasins de centre-ville, petits
formats de proximité... Le but étant que chaque client bénéficie de l'ensemble de l'offre, quel que soit
son point de contact. D'ici à la fin de l'année, des bornes d'accès au site fnac.com seront ainsi
installées en magasins. La Fnac est bien décidée à ne négliger aucune piste pour s'en sortir.
Le secteur des produits techniques est
fortement touché par la crise. Aux
États-Unis, Best Buy a fermé 50
magasins et lancé un plan d'économie de
800 millions de dollars. En France, Saturn
a déjà disparu, et d'autres acteurs
souffrent.
Alexandre Bompard, directeur général de la Fnac
Il est indispensable d'élargir notre
territoire aux loisirs et aux technologies,
et d'intégrer de nouvelles familles de
produits.
Alexandre Bompard
La carte fidélité est un sujet majeur. Nous
allons retravailler le lien client, avec un
discours plus simple, plus exclusif.
Alexandre Bompard
L'industrie culturelle souffrirait si la Fnac
se retirait de certains marchés. Je
regrette que ce rôle de distributeur ne soit
pas suffisamment pris en compte par les
pouvoirs publics.
Alexandre Bompard
Le plan d'économie est nécessaire. On
ne peut pas ne pas le mener à bien.
Alexandre Bompard
C'est un non-sujet, la Fnac a toujours fait
évoluer son offre produits. L'offre
électroménager doit encore s'affiner. Mais
les études et tests que nous avons faits
en amont montraient une attente de la
part de nos clients sur ce secteur.
Alexandre Bompard
Des marchés historiques en difficulté
TOTAL ÉLECTRONIQUE GRAND PUBLIC - 9,7% à 6,72 Mrds €
TV - 9,6% à 3,5 Mrds €
VIDÉO - 9,2% à 1,25 Mrd €
APN- 6,8% à 949 M €
JEUX VIDÉO- 6% à 1,31 Mrd €
MUSIQUE- 6% à 678,1 M €
LIVRE- 0,2% à 4,27 Mrds €
LES DIFFÉRENTS LEVIERS D'ACTION
Développer de nouvelles gammes de produits Dans sa quête de marchés de croissance, la Fnac a lancé un
rayon électroménager au centre commercial de Rosny 2 (Seine-Saint-Denis).
Renforcer les liens entre les magasins et le site internet La Fnac veut que ses clients bénéficient de l'ensemble
de son offre où qu'ils soient. Des bornes d'accès à fnac.com seront installées en magasins d'ici à la fin de
l'année.
Poursuivre la modernisation de la carte de fidélité Après de lourds investissements pour unifier sa base de
données clients et mesurer leur taux de satisfaction, la refonte du programme d'adhésion est le gros chantier
des douze prochains mois.
Développer le réseau Avec son portefeuille de 80 magasins de centres-villes et centres commerciaux, Alexandre
Bompard croit au potentiel de nouveaux formats : gares, aéroports, zones duty free, périphérie, proximité...
LES RISQUES QUI PÈSENT SUR L'ENSEIGNE
La menace Amazon Le rouleau compresseur de Jeff Bezos met une pression inédite sur les distributeurs de
produits techniques et culturels.
Le contexte politique Prix unique du livre, délai entre la sortie des films en salles et leur disponibilité en VOD...
L'e-commerce remet en cause de nombreux équilibres du secteur.
La dilution du concept La Fnac est-elle légitime en dehors de la culture ? Certains experts en doutent, et
craignent que les consommateurs ne soient déroutés par des nouveaux produits, comme l'électroménager.
Le climat social Entre la manifestation à Paris pour les NAO, et les tentatives pour faire annuler le plan social, le
climat reste tendu entre la Fnac et les syndicats.
Les chiffres
4,16 Mrds € de chiffre d'affaires en 2011
85 magasins en France
17 000 salariés au niveau du groupe, dont 11 000 en France
510 suppressions de postes prévues dans le cadre du plan social