Variations ethniques dans l`expérience du veuvage
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Variations ethniques dans l`expérience du veuvage
Variations ethniques dans l’expérience du veuvage : Étude exploratoire des veuves chinoises Présentation d’un groupe d’experts sur les immigrants âgés au Canada Carolyn J. Rosenthal, Anne Martin-Matthews, Lynn McDonald et Mary Chiu Justification Le veuvage fait partie des événements de la vie et des expériences de transition les plus angoissants. Peu de recherches ont été menées sur la façon dont l’ethnicité, la culture et les conséquences de l’immigration influent sur l’expérience du veuvage. Pourquoi les veuves chinoises? La population chinoise constitue la minorité visible la plus importante du Canada, représentant 10 % de la population âgée de 65 ans et plus. Méthodologie Étude exploratoire fondée sur une approche à deux méthodes, qui sont les suivantes : → une analyse secondaire de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR) menée en 2003 et en 2006; → une étude qualitative menée auprès de dix veuves chinoises âgées ayant pour but d’examiner leur expérience de veuvage. Méthodologie L’analyse secondaire a permis de comparer des veuves chinoises avec trois autres groupes de veuves ayant immigré au Canada : un en provenance de l’Asie du Sud-Est, l’un des Caraïbes et de l’Afrique et le dernier, constitué d’immigrantes européennes ne faisant pas partie de groupes de minorités visibles. L’objectif consistait à fournir une toile de fond pour l’examen des entrevues qualitatives approfondies menées auprès des veuves chinoises. Résultats de l’analyse secondaire Les veuves chinoises sont âgées d’environ 80 ans – il s’agit du groupe le plus âgé parmi les minorités visibles. Les veuves les plus âgées (80 ans et plus) ne font pas partie de groupes de minorités visibles. Tandis que les veuves ne faisant pas partie de groupes de minorités visibles habitent au Canada depuis plus de 50 ans, les veuves chinoises ne sont au pays que depuis 20 ans, en moyenne, c’est-à-dire depuis le même temps que les Noires, mais depuis moins longtemps que les Asiatiques du Sud-Est. Travail et instruction Parmi les groupes de minorités visibles, ce sont les veuves chinoises qui ont le niveau d’instruction le plus élevé (niveau universitaire). En 2006, les veuves de ces quatre groupes se considéraient comme retraitées. Santé et revenu Selon les veuves chinoises, leur santé est « bonne » ou « très bonne » (en comparaison avec « passable » ou « mauvaise »), en proportion plus élevée que les Asiatiques du Sud-Est et les Noires, mais moins élevée que les veuves ne faisant pas partie de groupes de minorités visibles. Ce sont les veuves chinoises qui bénéficient du revenu le plus élevé (19 415 $) parmi les groupes de minorités visibles, suivies des Asiatiques du Sud-Est (19 069 $) et des Noires (15 133 $). Ce sont les veuves ne faisant pas partie de groupes de minorités visibles qui bénéficient du revenu le plus élevé (25 844 $). Situation de ménage En moyenne, le ménage des veuves chinoises est constitué de trois personnes, comparativement à cinq personnes dans le cas des Noires et des Asiatiques du Sud-Est. Dans le groupe non issu de minorités visibles, le nombre moyen de personnes par ménage est moins élevé (1,4). Les veuves habitant avec leurs enfants sont deux fois plus nombreuses chez les Chinoises et les Asiatiques du Sud-Est. Les veuves habitant seules sont six fois plus nombreuses dans le groupe non issu de minorités visibles. Analyse secondaire — Conclusion Selon les données de l’analyse, bien que les veuves chinoises bénéficient du niveau de vie le plus élevé parmi les minorités visibles défavorisées, elles arrivent loin derrière la population âgée en général au Canada pour la plupart des avantages mesurés. Étude qualitative Méthodologie Dix participantes ont été recrutées par l’entremise de la Carefirst Seniors and Community Services Association de Toronto. Critères d’inclusion : femme née en Chine, vivant dans la communauté, âgée de 65 ans et plus, veuve depuis au moins deux ans. Entrevue menée en mandarin (n = 6) ou en cantonais (n = 4). Points abordés : familles, amis, vie en général, y compris le récit de l’immigration, le veuvage, la religion, le soutien social et financier. Caractéristiques de l’échantillon (n = 10) Âge : de 70 à 88 ans (âge médian de 81,5 ans) Âge à l’immigration : de 50 à 70 ans (âge médian de 62,5 ans) Années vécues au Canada : de 10 à 30 ans (nombre médian de 15,5 ans) Âge à la mort du mari : de 43 à 80 ans (âge médian de 67,5 ans) Années écoulées depuis la mort du mari : de 7 à 38 ans (nombre médian :13 ans) Trois femmes ont perdu leur mari avant d’immigrer, tandis que sept sont devenues veuves après avoir immigré. Proximité des parents A des enfants dans la même ville : Oui 6 Non 4 A des frères et sœurs dans la même ville : Oui Non 4 6 Répercussions immédiates du veuvage Problèmes de santé mentale, troubles du sommeil, problèmes pratiques « Après le décès de mon mari, j’ai eu des troubles du sommeil pendant un an… J’ai reçu un diagnostic de dépression. J’avais l’impression de n’avoir rien à faire. Je ne voyais pas quoi faire de mon avenir. » (Femme de 72 ans, veuve depuis 14 ans) « J’étais très dépendante de lui. Je ne me préoccupais pas du tout des questions de finances et de transport. Puis, tout à coup il est mort… Ça a été la période la plus difficile de ma vie. » (Femme de 85 ans, veuve depuis 10 ans) Répercussions à long terme du veuvage Solitude « On a toujours le sentiment de n’avoir personne à qui parler. Mon fils et sa conjointe… doivent travailler. Je me sens très seule parce qu’ils sont tous très occupés. » (Femme de 85 ans, veuve depuis neuf ans) « À l’heure actuelle, je me sens très seule. Je vis seule. Je pense parfois que personne ne s’en apercevra si je meurs ici. » (Femme de 73 ans, veuve depuis 12 ans) Répercussions à long terme du veuvage Indépendance – « Liberté. Il n’y a plus personne pour m’empêcher de faire quoi que ce soit. » (Femme de 72 ans, veuve depuis 14 ans) Libération d’une union malsaine – « Mon mari avait une autre femme. Il venait rarement à la maison… pourquoi devrais-je m’attrister de sa mort? C’était une mauvaise période de ma vie. Je n’ai pas besoin de me souvenir de quelque chose d’aussi néfaste. » (Femme de 82 ans, veuve depuis 12 ans) Situation de ménage – questions complexes Seulement quatre femmes sur dix vivent avec un de leurs enfants. De ces quatre femmes, une prend soin d’un enfant souffrant d’une incapacité. En général, les veuves semblent préférer vivre seules. Éthique d’indépendance : « Ma fille m’a demandé de déménager avec elle et sa famille, mais je ne veux pas. Je suis habituée de vivre seule. Je cuisine. Je me sens libre. » (Femme de 88 ans, veuve depuis huit ans) La cohabitation intergénérationnelle peut causer la solitude et l’isolement : « Ils vont tous au travail, alors je reste seule à la maison. Je n’ai pas beaucoup à faire. » (Femme de 72 ans, veuve depuis 14 ans) Soutien social – Enfants Rôle important au début du veuvage et par la suite. La veuve cohabite souvent avec un enfant pendant une certaine période suivant le décès de son époux. Rien n’indique que les fils jouent un rôle plus important que les filles. Soutien social – Enfants (suite) Certaines femmes ont affirmé que leurs enfants les avaient aidées financièrement avant qu’elles soient admissibles aux prestations de la Sécurité de la vieillesse. « Ma fille était la seule qui gagnait de l’argent. Je n’avais pas d’argent… comment pouvais-je lui en demander? J’ai fait la cuisine, le lavage, tous les travaux ménagers. Ma fille pourvoyait à mes besoins quotidiens. » (Femme de 73 ans, veuve depuis 12 ans) Certaines ont indiqué que leurs enfants leur offraient toujours un appui financier en supplément à leur revenu, en subvenant à leurs besoins particuliers. Soutien social – Frères et sœurs Contrairement aux recherches sur le veuvage traditionnelles, les frères et sœurs n’ont pas été mentionnés comme une source d’appui ou de compagnie. Soutien social – Amis Huit femmes sur dix ont affirmé avoir des amis. Les liens d’amitié semblent être superficiels. « Je classerais les amis en trois catégories. Le genre d’amis à qui on fait un signe de tête, le genre d’amis avec qui on fait des activités, et les amis qu’on a depuis toujours et à qui on peut se confier. Je n’ai aucun ami faisant partie de cette dernière catégorie. Je serais incapable de partager mes sentiments les plus profonds. » (Femme de 70 ans, veuve depuis 10 ans) Soutien social – Amis (suite) Obstacles à l’amitié et aux interactions avec des amis : vieillesse, immigration à un âge avancé, cohabitation avec un enfant, distance des amis, manque de moyens de transport. « Je vis maintenant ici [avec un enfant]. Ce n’est pas très pratique. Normalement, je ne fais que parler au téléphone avec mes amis. Nous devenons vieux. Nous nous voyions plus souvent avant. » (Femme de 81 ans, veuve depuis 38 ans) Éthique d’indépendance Quatre veuves ont clairement exprimé leur désir d’être indépendantes et de ne pas représenter un fardeau pour leurs enfants. Elles préfèrent éviter de leur demander de l’aide. « Ce qui est le plus important, c’est de ne pas trop en demander à ses enfants… Ils ont leur propre famille et leur vie. » (Femme de 87 ans, veuve depuis 16 ans) Église et religion L’église constitue une importante source d’amis (pour quatre femmes) et de soutien (contrairement aux constatations de Lopata). Moyen d’intégration sociale. « Le dimanche, nous allons à la messe, toute la famille. » (Femme de 81 ans, veuve depuis 38 ans) Donne un sens à la vie, source de satisfaction à l’égard de la vie. « Je suis satisfaite. Nous remercions toujours Dieu pour tout. Il prend toujours les meilleures décisions. Toute ma vie, j’ai suivi ses décisions. J’estime avoir eu une très bonne vie. » (Femme de 85 ans, veuve depuis neuf ans) Satisfaction financière Malgré leur revenu limité, les veuves se sont déclarées généralement satisfaites de leur situation financière. « Le gouvernement me donne plus de 1 000 $ par mois, ce qui est bien suffisant pour moi. Je n’ai pas besoin de demander de l’aide à mes enfants. » (Femme de 88 ans, veuve depuis sept ans) Les veuves estiment qu’elles sont mieux au Canada qu’elles le seraient en Chine. Elles sont reconnaissantes au Canada. « Le gouvernement canadien traite très bien les personnes âgées, très bien. » (Femme de 80 ans, veuve depuis neuf ans) La famille au centre de la vie Beaucoup de veuves parlent des réalisations de leurs enfants et petits-enfants avec une grande fierté. La famille donne un sens à la vie. « Tout ce que je veux, c’est que mes enfants et mes petits-enfants soient en santé et en sécurité. C’est ce qui me rend heureuse. S’ils sont en santé et en sécurité, rien ne me préoccupe. » (Femme de 81 ans, veuve depuis 38 ans) Conclusions (provisoires) Les veuves ayant fait l’objet de l’étude disposent d’un réseau de soutien informel plus restreint que les autres veuves. Les frères et sœurs prennent une moins grande place dans leur vie. Elles ont moins d’interactions avec des amis. L’église peut jouer un rôle de soutien plus important. Le rôle de soutien est assumé autant par les filles que par les fils. Elles se disent satisfaites de leur situation financière et reconnaissantes au Canada pour leurs prestations de la Sécurité de la vieillesse. Conclusions – suite Les sentiments de solitude et d’isolement sont fréquents. Elles montrent une préférence à vivre seules – la cohabitation peut causer un sentiment de solitude. Leur vie est centrée sur la famille (enfants et petits-enfants). Elles tirent une fierté des réalisations de leurs enfants et petits-enfants. Limites de l’étude Échantillon petit et non représentatif Absence d’un groupe de référence Déformation possible des propos par suite de la traduction Méconnaissance du contexte culturel – trois auteurs sur quatre ne sont pas Chinois Remerciements SEDAP II – Canada in the 21st Century: Moving Towards an Older Society, financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) dans le cadre des Grands travaux de recherche concertée (GTRC) Centre for Life Course and Aging, Université de Toronto Carefirst Seniors and Community Services Association, Toronto Intervieweurs : Mary Chiu, Yu-Chen Lu Participants