Conjonctivites allergiques
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Conjonctivites allergiques
130 Chapitre 7 Conjonctivites allergiques Dr. Serge DOAN Service d’Ophtalmologie, Hôpital Bichat-Claude Bernard Fondation Ophtalmologique Rotschild, 25 rue Manin Ŕ 75019, Paris [email protected] AFVP Monographie – Maladies allergiques 131 Chapitre 7 Les allergies oculaires (Serge DOAN) Epidemiologie Les conjonctivites allergiques sont une cause très fréquente de consultation en ophtalmologie. Elles représentent en effet près de 20% des consultations spécialisées. En terme de prévalence, 7 à 10% de la population souffrirait de conjonctivite allergique. La fréquence de l’allergie en général est en augmentation croissante depuis plus de 20 ans. La pollution est un facteur causal important, de par l’effet irritant des polluants sur la surface oculaire, facilitant la pénétration des allergènes sous l’épithélium. Les particules de diesel peuvent aussi dénaturer les allergènes comme le pollen et le rendre plus immunogène. Enfin, les vaccinations et l’hygiène peut-être trop importante dans les pays occidentaux pourraient déséquilibrer le système immunitaire vers l’allergie. On sait en effet que les stimulations microbiennes stimulent le système lymphocytaire TH1 qui inhibe le système lymphocytaire TH2, le système de l’allergie. Au niveau oculaire, l’utilisation fréquente de conservateurs comme des ammoniums quaternaires dans les collyres peut également faire le lit de l’allergie, par le conservateur lui même, mais aussi par ses effets directs sur la surface oculaire. Mécanisme des allergies oculaires Le mécanisme des conjonctivites allergiques au niveau oculaire est le même que dans les autres maladies allergiques extra-oculaires à IgE. A noter que certaines formes d’allergie oculaire chronique se caractérisent par une activation importante des polynucléaires éosinophiles qui sont responsables de lésions tissulaires parfois majeures. D’autres comportent des mécanismes non IgE médiés. L’allergie de contact met en jeu les lymphocytes comme dans l’eczéma de contact avec une réponse retardée. Formes cliniques des allergies oculaires Les allergies oculaires se présentent sous plusieurs formes cliniques distinctes dans leur aspect clinique, leur évolution et leur pronostic : - la conjonctivite allergique pollinique - la conjonctivite allergique perannuelle (CAP) - la kératoconjonctivite vernale (ou printanière) (KCV) est une forme de l’enfant qui se complique fréquemment de kératite et qui est très invalidante - la kératoconjonctivite atopique (KCA) est une forme de l’adulte, dans le cadre d’une dermatite atopique - la conjonctivite gigantopapillaire (CGP) est la conjonctivite réactionnelle secondaire au port de lentilles de contact. AFVP Monographie – Maladies allergiques 132 - l’eczéma et la conjonctivite de contact qui sont dus au contact avec un cosmétique ou un collyre. La conjonctivite allergique pollinique Son association quasiment constante avec la rhinite allergique lui vaut son appellation courante de rhinoconjonctivite saisonnière. Les allergènes les plus fréquents étant les pollens d’herbacées. Le mécanisme est IgE médiée. Le diagnostic est clinique et souvent aisé. Un terrain atopique (asthme, eczéma atopique, rhinite, urticaire) est fréquemment retrouvé. Les symptômes sont marqués par un prurit oculaire, démarrant au niveau des canthi internes. S’y associent un larmoiement, une rougeur oculaire, une vision floue intermittente (à cause des sécrétions), et des sécrétions matinales. La photophobie est rare. La rhinite associée est également bruyante avec rhinorrhée, obstruction nasale, éternuements. Les signes cliniques traduisent la vasodilatation et l’œdème secondaire à la libération d’histamine : l’œdème palpébral ; l’œdème de la conjonctive bulbaire, appelé aussi chémosis et prenant parfois un aspect caractéristique en pneu ; l’hyperhémie conjonctivale bulbaire et palpébrale ; les sécrétions qui se collectent aux niveaux des canthi internes. Le bilan allergologique basé sur les tests cutanés (Prick tests) à la recherche de pneumallergènes objectivera l’allergène en cause : pollen d’arbres (palmier), de graminées (Cynodon dactylon ou chiendent digite) ou d’herbacées (armoise) et moisissures estivales (Alternaria). La conjonctivite allergique perannuelle Cette forme persistante de conjonctivite est souvent difficile à diagnostiquer car elle peut être confondue avec plusieurs conjonctivites chroniques non allergiques. Pourtant, un bilan allergologique bien conduit permet de mettre en évidence le pneumallergène responsable, qui est le plus souvent un acarien de la poussière de maison. Il s’agit d’une manifestation allergique d’hypersensibilité à IgE. Les symptômes sont perannuels, ils comprennent souvent un prurit oculaire évocateur, mais également inconstant et pas toujours spécifique. Il existe souvent des sécrétions matinales et une rougeur oculaire, et parfois un larmoiement tenace. Des signes moins spécifiques voire trompeurs peuvent être rapportés par les patients, comme une sensation de sécheresse oculaire, de brûlures, de corps étranger. Des symptômes de rhinite allergique peuvent également être présents. Les signes cliniques sont difficiles à discerner en dehors d’une association avec la rhinite. L’hyperhémie conjonctivale est fréquente, alors que l’œdème conjonctival ou palpébral est beaucoup plus rare. Des sécrétions discrètes peuvent être présentes. L’examen ophtalmologique peut retrouver des signes typiques de conjonctivite allergique (conjonctivite papillaire - fig 1), mais également parfois un tableau trompeur de sécheresse oculaire par anomalie qualitative des larmes, ou encore une blépharite. Le bilan allergique est objectivera la responsabilité d’un acarien comme Dermatophagoides pteronyssinus, d’une moisissure, de poils d’animaux, ou encore de blattes. Des allergènes professionnels comme la farine de boulanger peuvent être recherchés en fonction du contexte. AFVP Monographie – Maladies allergiques 133 La kératoconjonctivite vernale Il s’agit d’une forme rare et très particulière d’allergie oculaire, qui ne doit pas être confondue avec les deux formes décrites plus haut. Il s’agit d’une forme sévère, car très invalidante, se compliquant fréquemment de kératite et pouvant laisser des séquelles visuelles. Le traitement fait appel aux corticoïdes locaux. La maladie survient sur un terrain particulier : le garçon avant 10 ans. Les filles ne représentent en effet que 20% des cas avant la puberté. Après, le sex ratio se rapproche de 1. Dans cette maladie, l’allergie n’est probablement qu’un des nombreux mécanismes aggravants, l’étiologie réelle n’étant pas aujourd’hui connue. En effet, un terrain atopique n’est retrouvé que dans la moitié des cas. De même, le bilan allergologique ne revient positif que dans 50% des cas. La maladie évolue par poussées, le soleil et la chaleur sont probablement des éléments déclenchants majeurs. Les signes fonctionnels sont très bruyants, avec un prurit oculaire très intense, et des douleurs oculaires. De nombreuses sécrétions qui engluent les yeux sont présentes dès le réveil. Une photophobie majeure accompagnée d’un blépharospasme et d’un larmoiement doivent faire redouter la kératite, complication redoutable. Au cours de ces crises, les enfants ont du mal à ouvrir les yeux le matin, et ne vont plus à l’école. Le retentissement psychologique de la maladie est majeur sur toute la famille. Les signes cliniques sont tout aussi impressionnants : un œdème palpébral avec pseudoptosis est fréquent ; l’hyperhémie conjonctivale est majeure, avec sécrétions et larmoiement. La rhinite peut être associée. Chez les mélanodermes, un œdème conjonctival péri-cornéen peut donner un aspect en pneu. Il s’agit de la forme peu fréquente, dite limbique, de la maladie (Fig 2). Dans la forme la plus fréquente, la forme palpébrale, l’éversion des paupières montre la présence de nombreuses excroissances conjonctivales qui réalisent un pavage de la face postérieure de la paupière : ce sont les papilles géantes (fig 3). L’examen ophtalmologique de la cornée recherche une complication cornéenne, la kératite vernale. Celle-ci est d’importance variable, pouvant aller jusqu’à l’ulcère cornéen (fig 4). Mal traité, l’ulcère évoluera vers une cicatrice opaque source de baisse de vision. Avec les années, la maladie s’éteint progressivement pour disparaître à la puberté. La kératoconjonctivite atopique Il s’agit là aussi d’une forme rare et sévère d’allergie oculaire, et également très particulière, qui au cours de son évolution chronique risque de se compliquer de baisse de vision définitive. La maladie ne survient par définition que chez l’adulte à partir de 30 ans, ayant dans ses antécédents une dermatite atopique ou un asthme. Le bilan allergologique peut être négatif. L’évolution se fait par poussées sur un fond chronique d’intensité variable. Les signes fonctionnels au cours des crises sont dominé par le prurit avec sensation de corps étranger, de brûlure oculaire, larmoiement, et sécrétions. La photophobie doit faire redouter la présence d’une kératite. Les signes cliniques sont ceux d’une conjonctivite chronique importante : hyperhémie conjonctivale, œdème conjonctival, larmoiement, sécrétions. Il existe presque toujours un eczéma chronique des paupières, avec des squames géantes et une peau cartonnée, caractéristiques de la maladie (fig 5). L’examen ophtalmologique à la lampe à fente montre souvent une atteinte cornéenne à type de kératite ponctuée. Des ulcères peuvent survenir, se compliquant de surinfection, cicatrice opaque et baisse de vision. Une fibrose conjonctivale avec brides palpébro-oculaires peut être présente. Les surinfections staphylococciques, herpétiques ou fungiques sont fréquentes dans cette maladie. De même, la maladie nécessitant souvent une AFVP Monographie – Maladies allergiques 134 corticothérapie locale au long cours, des complications iatrogènes telles que la cataracte ou le glaucome cortisonique sont hélas fréquentes. Ce sont là des causes majeures de baisse de vision dans l’évolution de cette maladie. La conjonctivite gigantopapillaire Elle se rencontre le plus souvent dans le cadre d’un port de lentilles de contact, mais peut aussi survenir en cas de prothèse oculaire, fil de suture oculaire mal enfoui, etc… Cette conjonctivite n’est pas allergique. En effet, l’effet mécanique du « corps étranger » oculaire est responsable de la maladie. Elle se révèle par une intolérance progressive aux lentilles, avec des sécrétions matinales et des lentilles qui s’encrassent vite. Une rougeur oculaire peut être présente, accompagnée de sensations de brûlure ou de grain de sable oculaire. L’examen montre une hyperhémie conjonctivale (fig 6), et l’éversion de la paupière supérieure révèle la présence de papilles géantes comme dans la kératoconjonctivite vernale (fig 7). L’eczéma et la conjonctivite de contact Il se traduit par un eczéma des paupières plus ou moins associé à une conjonctivite prurigineuse avec sécrétions. Les agents en cause sont les cosmétiques, les métaux, les collyres (dont les conservateurs des collyres comme les ammoniums quaternaires), et des produits chimiques à usage professionnel. Le bilan repose sur les tests épicutanés à lecture retardée (48 et 72 heures).. Traitements des conjonctivites allergiques Principes généraux Le traitement d’une conjonctivite allergique dépend de la forme clinique. En effet, le pronostic des différentes formes cliniques est très différent et appelle des traitements plus ou moins agressifs. L’éviction de l’allergène est bien sûr fondamentale, et justifie à elle seule la réalisation du bilan allergologique. La lubrification oculaire fréquente par du sérum physiologique sans conservateur représente le traitement de fond. Il permet de rincer la surface oculaire, de diminuer le temps de contact des allergènes sur la conjonctive et dilue les allergènes et les médiateurs. L’utilisation de collyres sans conservateurs est une priorité dans les pathologies allergiques oculaires. En effet, si les dérivés mercuriels, sont peu utilisés aujourd’hui, les ammoniums quaternaires et en particulier le chlorure de benzalkonium qui est le conservateur de nombreux collyres, sont de grands pourvoyeurs d’allergie oculaire de contact. Par ailleurs, le benzalkonium altère la physiologie des larmes et induit une inflammation de la surface oculaire. Autant de raisons pour éviter cette molécule dans les conjonctivites allergiques. Le traitement de fond pharmacologique peut faire appel aux antidégranulants mastocytaires en collyre oculaire si la lubrification au sérum physiologique ne suffit pas. Ils ont un rôle préventif de la réaction allergique en inhibant la dégranulation des mastocytes au contact des allergènes. Les formes sans conservateurs sont à favoriser, d’autant qu’elles sont souvent disponibles. Ils peuvent être prescrits toute l’année et sont en général parfaitement bien tolérés. AFVP Monographie – Maladies allergiques 135 Les antihistaminiques H1 en collyre représentent le traitement d’attaque de première intention. Ils bloquent l’effet de l’histamine sur ses récepteurs spécifiques H1. Ils agissent ainsi même lorsque la crise a commencé. Leur efficacité et leur rapidité d’action est telle que les corticoïdes en collyre ne sont plus nécessaires dans la plupart des cas. Même si leur efficacité est remarquable, il faut garder à l’esprit que les corticoïdes sont de grands pourvoyeurs de complications iatrogènes oculaires comme le glaucome, la cataracte et les infections. Ils sont donc réservés aux formes sévères rebelles aux antihistaminiques, et justifient une surveillance par un ophtalmologiste. Les antihistaminiques H1 oraux ont souvent une efficacité plus importante au niveau nasal qu’au niveau oculaire, et c’est pourquoi ils sont prescrits surtout en cas de rhinite associée. L’immunothérapie spécifique ou désensibilisation peut être envisagée si un allergène pertinent a été mis en évidence par le bilan allergologique. Dans les cas douteux, un test de provocation conjonctival à l’allergène incriminé peut confirmer sa responsabilité dans la survenue des crises oculaires. Cas particulier de la kératoconjonctivite vernale Les poussées inflammatoires peuvent répondre aux traitements antiallergiques classiques. Cependant, dans bon nombre de cas, les corticoïdes locaux seront nécessaires pour diminuer les signes et symptômes d’inflammation. Ils seront surtout utilisés en cas de kératite importante. La prescription doit être courte et surveillée par l’ophtalmologiste. La corticodépendance n’est pas rare, et peut alors justifier la prescription d’antileucotriènes oraux, d’aspirine orale à forte doses, de ciclosporine en collyre oculaire, voire de corticoïdes oraux. Un traitement chirurgical est parfois nécessaire dans certains cas de kératite. Une éducation et une prise en charge psychologique de l’enfant et des parents est souvent nécessaire, car la sévérité de la maladie peut être source d’anxiété, d’automédication et d’échec scolaire. Cas particulier de la kératoconjonctivite atopique Le traitement de fond fera appel aux antiallergiques classiques. Mais l’usage des corticoïdes en collyres est souvent nécessaire pendant les crises, avec une corticodépendance fréquente qui explique les nombreux cas de complications iatrogènes. La ciclosporine en collyre, ou le tacrolimus en pommade cutanée appliqué sur les paupières, soulageront alors souvent les patients. Dans les cas les plus sévères, la prescription de corticoïdes oraux voire d’immunosuppresseurs systémiques sera nécessaire pour éviter une évolution vers la cécité. Cas particulier de la conjonctivite gigantopapillaire C’est souvent une réadaptation avec de nouvelles lentilles de contact et un nouveau produit d’entretien qui apporteront la solution, après un arrêt de port transitoire. Cas particulier de l’eczéma de contact Le traitement repose sur l’éviction de l’allergène en cause et sur l’hydratation cutanée et oculaire. Dans les cas plus sévères, les corticoïdes oculaires et cutanés peuvent être utilisés sous surveillance ophtalmologique (en cas de corticoïdes oculaires) et sur une courte durée. AFVP Monographie – Maladies allergiques 136 Conclusion Les conjonctivites oculaires peuvent se présenter sous plusieurs formes cliniques très différentes les unes des autres. Une bonne connaissance des diverses entités, et surtout la capacité de dépister les formes sévères avec complication cornéenne nécessitant un avis ophtalmologique spécialisé, permettra de gérer au mieux ces pathologies très fréquentes. Pour en savoir plus : Hannouche D, Hoang-xuan T. Les conjonctivites allergiques. In: Hoang-xuan T, ed. Pathologies chroniques de la conjonctive. Marseille: Lamy; 1998:93-123. AFVP Monographie – Maladies allergiques 137 Fig 1 : conjonctivite perannuelle : conjonctive palpébrale supérieure Fig 2 : kératoconjonctivite vernale : bourrelet d’inflammation limbique AFVP Monographie – Maladies allergiques 138 Fig 3 : kératoconjonctivite vernale : papilles géantes Fig 4 : kératoconjonctivite vernale : ulcère cornéen AFVP Monographie – Maladies allergiques 139 Fig 5 : kératoconjonctivite atopique : eczéma palpébral Fig 6 : conjonctivite gigantopapillaire : œil rouge sous lentille AFVP Fig 7 : conjonctivite gigantopapillaire : papilles géantes Monographie – Maladies allergiques