transactions immobilières et droit des marchés publics
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TRANSACTIONS IMMOBILIÈRES ET DROIT DES MARCHÉS PUBLICS Territoire & Environnement Juillet no 4/12 T&E Transactions immobilières et droit des marchés publics 1.Introduction Pour être en mesure d’accomplir les tâches qui leur incombent, les cantons et les communes doivent disposer des infrastructures, des moyens matériels et des connaissances nécessaires. Si les pouvoirs publics ne peuvent subvenir eux-mêmes à ces besoins, ils doivent commander les biens, services et travaux de construction correspondants aux offreurs – privés – du marché. Le droit des marchés publics définit comment les entités adjudicatrices publiques doivent alors procéder. Il s’agit là d’un domaine juridique d’une grande complexité, dont il est difficile d’avoir une vue d’ensemble et qui soulève nombre de questions que les tribunaux n’ont pas encore tranchées. Le présent article se base sur un avis de droit commandé par Positionnement des villes CH1. La préoccupation sous-jacente concerne l’évolution selon laquelle l’État a de plus en plus tendance, pour couvrir ses besoins en matière immobilière, à confier à des privés la conception et la réalisation des ouvrages servant à l’accomplissement de tâches publiques, pour ensuite les prendre à bail à long terme. De telles opérations s’effectuent, la plupart du temps, hors de toute procédure de mise en concurrence. Les services d’urbanisme des villes concernées souhaitaient dès lors savoir, d’abord, dans quelle mesure le droit des marchés publics s’applique à l’acquisition d’immeubles au sens large; ensuite, si les organismes assumant des tâches publiques mais externes à l’administration centrale «classique» doivent, eux aussi, respecter les règles correspondantes; enfin, comment la qualité architecturale des bâtiments publics peut être assurée dans le cadre des procédures d’adjudication conformes au droit des marchés publics. Ces questions concernent, pour une grande part, le champ d’application matériel 2 et personnel du droit des marchés publics en général et l’assujetissement des transactions immobilières aux règles correspondantes en particulier. Aussi la présente étude se concentre-t-elle sur une présentation dudit champ d’application, avant de passer brièvement en revue les moyens dont dispose une collectivité publique pour influer sur la qualité architecturale des ouvrages dans le cadre des marchés publics. On notera encore, avant d’entrer dans le vif du sujet, que le champ d’application du droit des marchés publics est une problématique aux multiples facettes2, qui demande souvent à être clarifiée et fait souvent l’objet de controverses. La présente étude ne peut donc que s’en tenir à une présentation aussi succincte et claire que possible des traits essentiels de ce champ d’application – au risque de (trop) simplifier et de passer sous silence certains aspects qui pourraient précisément se révéler déterminants dans tel ou tel cas concret. Aussi reste-t-il indispensable de clarifier avec soin, dans chaque cas particulier, si le droit des marchés publics s’applique ou non. 2.Aperçu des bases juridiques en vigueur En matière de droit des marchés publics, les bases légales sont très fragmentées et il se révèle difficile d’en avoir une vue d’ensemble même pour les spécialistes du domaine. Aussi le présent chapitre propose-t-il, pour faciliter la compréhension des développements qui suivent, un aperçu des sources de droit y afférentes (accords internationaux, accord intercantonal et lois). Les champs d’application de ces différents actes juridiques constituent, ensemble, le champ d’application du droit des marchés publics. VLP-ASPAN no 4/12 2.1Accords internationaux Dans le cadre du «cycle d’Uruguay» de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les États impliqués ont notamment décidé de libéraliser les marchés sur la base de la réciprocité («géométrie variable») et adopté, à cet effet, l’Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP)3. Pour la Suisse, cet accord est entré en vigueur le 1er janvier 19964. Les États signataires de l’AMP s’engagent à ouvrir leurs marchés aux entreprises issues des autres États membres et à abolir – du moins jusqu’à un certain point – les restrictions à la concurrence et le protectionnisme d’État. Les soumissionnaires issus des autres pays doivent bénéficier de l’égalité de traitement et les marchés publics être passés de façon non discriminatoire, transparente et équitable5. Afin de garantir la bonne application de ces principes, l’AMP régit les différentes procédures d’adjudication et les voies de contestation y afférentes. S’agissant du champ d’application de l’accord, des annexes détaillées précisent, pour chaque pays, quels sont les adjudicateurs et les marchés assujettis. En Suisse, sont soumises à l’accord les entités adjudicatrices de la Confédération et des cantons, ainsi que les entités publiques ou contrôlées par les pouvoirs publics œuvrant dans les secteurs de l’alimentation en 1 Positionnement des villes CH est un réseau de douze villes qui s’impliquent dans les débats relatifs à l’aménagement du territoire et entretiennent un échange d’expériences régulier. Les villes en question sont Bâle, Berne, Bienne, Coire, Genève, Lausanne, Lucerne, Lugano, Saint-Gall, Soleure, Winterthour et Zurich. 2 Juste après la rédaction du présent article a paru, sur le sujet, une thèse d’habilitation de plus de 1700 pages (Martin Beyeler, Geltungsanspruch des Vergaberechts, thèse d’habilitation BE, Zurich 2012). Cet ouvrage n’a plus pu être pris en compte dans la présente étude. 3 Accord GATT/OMC du 15 avril 1994 sur les marchés publics (RS 0.632.231.422). 4 L’AMP a été révisé dans le cadre du cycle de Doha de l’OMC et adopté en décembre 2011. En Suisse, le processus de ratification de l’accord révisé est en cours. 5 Voir p. ex. Biaggini, pp. 331 ss; Bock, pp. 709 ss. Sommaire 1.Introduction 2 2. Aperçu des bases juridiques en vigueur 2 2.1Accords internationaux 3 2.2Dispositions de droit fédéral 4 2.3Accord intercantonal et législation cantonale 4 3. Champ d’application du droit des marchés publics 5 3.1Champ d’application personnel: adjudicateurs assujettis 5 3.2Champ d’application matériel: marchés assujettis 10 4. Transactions immobilières des pouvoirs publics 14 4.1En principe: pas d’assujettissement 14 4.2Relativisation de l’exception: contournement du droit des marchés publics 15 4.3Traitement des partenariats public-privé dans le droit des marchés publics 19 5. Comment assurer la qualité des projets dans les procédures de mise en concurrence? 20 6. Marche à suivre en cas de doute 21 7. Réponses aux questions 22 Références bibliographiques 25 3 T&E eau, de l’électricité, des transports urbains, des aéroports et des ports intérieurs. Les valeurs seuils définies dans l’accord étant assez élevées, l’ouverture des marchés n’est réalisée que pour ceux d’une certaine importance. Parmi les sept accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’Union européenne (UE) figure par ailleurs l’Accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics6, entré en vigueur le 1er juin 20027. Cet accord étend les règles de l’AMP à d’autres adjudicateurs et marchés, notamment aux entités adjudicatrices du niveau des districts et des communes8, ainsi qu’à celles œuvrant dans les secteurs des télécommunications, des transports ferroviaires et de l’approvisionnement en énergie autre qu’électrique. Sont en outre assujettis aux règles des marchés publics, dans ces secteurs et ceux couverts par l’AMP, non seulement les entités publiques, mais aussi les opérateurs privés qui sont au bénéfice d’une concession ou de droits exclusifs ou spéciaux. 2.2Dispositions de droit fédéral En Suisse, la Confédération et les cantons mettent en œuvre les accords internationaux de façon autonome dans leurs domaines de compétence respectifs. La loi fédérale sur les marchés publics et l’ordonnance y afférente9 ne s’appliquent ainsi qu’aux marchés de la Confédération, sans avoir de validité pour les cantons et les communes. Le droit fédéral impose néanmoins aux cantons, en matière de marchés publics, certaines exigences minimales: ainsi la loi fédérale sur le marché intérieur10, qui crée les conditions nécessaires à l’instauration d’un marché intérieur unifié, exige-t-elle que les marchés publics des cantons, des communes et des autres organes assumant des tâches cantonales ou communales soient 4 ouverts aux offreurs issus de toute la Suisse (voir art. 5 al. 1 LMI) et que les cantons prévoient au moins une voie de recours devant une autorité indépendante de l’administration (art. 9 LMI). Les offreurs externes, mais aussi – selon la jurisprudence du Tribunal fédéral11 – les offreurs locaux, ne doivent pas être discriminés et doivent pouvoir accéder aux marchés publics indépendamment de leur origine. Sur le plan matériel, la LMI porte sur tous les marchés de fournitures, de services et de travaux passés par les entités cantonales ou communales, indépendamment de leur montant (pas de seuils). En matière de procédure, l’art. 5 al. 2 LMI précise que les marchés publics «de grande importance» doivent être publiés dans un organe officiel. Conformément à son statut de loi-cadre, la LMI ne contient pas d’autres règles de procédure, les marchés publics étant dès lors régis, pour l’essentiel, par le droit cantonal et intercantonal déterminant12. 2.3Accord intercantonal et législation cantonale Afin d’harmoniser la mise en œuvre des accords internationaux dans le domaine des marchés cantonaux et communaux, la Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement (DTAP) et la Conférence des chefs des départements cantonaux de l’économie publique (CDEP) ont conclu l’Accord intercantonal du 25 novembre 1994 sur les marchés publics (AIMP), dont s’applique aujourd’hui la version révisée du 15 mars 2001. La DTAP et la CDEP ont profité de l’occasion pour harmoniser aussi, jusqu’à un certain point, les règles d’adjudication des marchés publics sortant du champ d’application des accords internationaux, notamment de ceux se trouvant en dessous des seuils – élevés – qui y sont définis. Ainsi l’AIMP établit-il la distinction entre les mar- VLP-ASPAN no 4/12 chés publics qui sont soumis aux accords internationaux et ceux qui ne le sont pas, les dispositions relatives aux deux catégories se complétant de façon symétrique. En application de l’art. 5 LMI, les dispositions de l’AIMP qui portent sur le marché intérieur (non soumis aux accords internationaux) s’appliquent à tous les types de marchés publics. Les seuils définis dans l’AIMP précisent en fin de compte quels sont les marchés qui sont réputés «de grande importance» au sens de l’art. 5 al. 2 LMI et doivent, par conséquent, faire l’objet d’une publication officielle13. L’accord-cadre qu’est l’AIMP laisse aux cantons une certaine marge de manœuvre législative. Afin de promouvoir l’harmonisation des dispositions régissant le marché intérieur et de faciliter la mise en œuvre de l’AIMP au niveau cantonal, les organes intercantonaux ont édicté des directives d’exécution (DEMP) proposant, à titre de recommandations non contraignantes, des dispositions-types à l’intention des autorités cantonales chargées de légiférer (par voie de loi ou d’ordonnance)14. Malgré ces efforts d’harmonisation, cependant, les actes normatifs cantonaux en matière de marchés publics sont très divers. Le domaine dont traite la présente étude étant toutefois dans une large mesure régi par les accords internationaux et l’AIMP, il n’y aura pas lieu de se pencher de plus près sur la législation des différents cantons. 3.Champ d’application du droit des marchés publics 3.1Champ d’application personnel: adjudicateurs assujettis Dans un premier temps, il s’agit d’examiner quels adjudicateurs sont tenus de passer leurs marchés conformément aux règles des marchés publics (champ d’application personnel ou subjectif). 3.1.1Disposition de référence: art. 8 AIMP Les accords internationaux, en particulier l’AMP, contiennent, pour la Suisse comme pour chacun des autres États signataires, des appendices et annexes qui, soit énumèrent explicitement les adjudicateurs assujettis, soit les définissent de façon abstraite15. La manière dont ce système est conçu ne permet – comme cela découle de la «géométrie variable» déjà évoquée de l’AMP (voir point 2.1) – de dégager ni de définition fonctionnelle généralement applicable des entités assujetties, ni de principe général relatif à leur identification, si bien que le champ d’application subjectif de l’accord doit toujours être déterminé au cas par cas16. La transposition des dispositions susmentionnées des accords internationaux dans le droit suisse et la définition autonome des adjudicateurs non soumis aux accords internationaux qui sont, dans le marché intérieur, assujettis aux règles des marchés publics, se font à l’art. 8 AIMP, dont la teneur est la suivante (al. 1 et 2): 6 Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics (RS 0.172.052.68). 7À ce propos, voir p. ex. Biaggini, pp. 308 ss; Zimmerli, p. 162. 8À l’art. 2 de l’accord, la Suisse s’engage à modifier en conséquence l’appendice I annexe 2 de l’AMP. L’amendement en question est entré en vigueur le 7 février 2003. 9 Loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (LMP; RS 172.056.1), ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (OMP; RS 172.056.11). 10 Loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI, RS 943.02). 11 ATF 125 I 406 consid. 2d pp. 410 s.; Cottier/Wagner, p. 1583. 12 Galli/Moser/Lang/Clerc, N. 50. 13 Galli/Lehmann/Rechsteiner, N. 71 ss; Kuonen, pp. 29 ss. 14 Voir Galli/Lehmann/Rechsteiner, N. 75, 96 ss. 15 Voir, pour les cantons, l’appendice I annexe 2 de l’AMP. 16 Voir l’avis de droit du 05.06.2002 de l’Office fédéral de la justice (OFJ), VPB/JAAC 67.4; Stöckli, Geltungsbereich, p. 42. 5 T&E 1 Sont soumis aux dispositions des accords internationaux les pouvoirs adjudicateurs suivants: a.les cantons, les communes, de même que les autres collectivités de droit public cantonales ou communales, dans la mesure où elles n’ont pas un caractère commercial ou industriel; b.(...) c.les autorités, de même que les entreprises publiques et privées opérant au moyen d’un droit exclusif ou particulier dans les domaines de l’approvisionnement en eau, en énergie et dans celui des transports et des télécommunications. Sont seuls soumis au présent accord les marchés en relation avec l’exécution, en Suisse, de leurs tâches dans les domaines précités; d.les autres adjudicateurs selon les traités internationaux en vigueur. 2 Sont en outre soumis aux dispositions relatives aux marchés non soumis aux traités internationaux, lorsqu’ils adjugent d’autres marchés publics: a.les autres collectivités assumant des tâches cantonales ou communales dans la mesure où elles n’ont pas de caractère commercial ou industriel; b.les projets et prestations qui sont subventionnés à plus de 50 pour cent du coût total par des fonds publics. L’art. 8 al. 2 AIMP définit quels sont les adjudicateurs publics qui doivent, en plus de ceux soumis aux accords internationaux, se conformer aux règles des marchés publics (dans le marché intérieur). 3.1.2Autorités cantonales et communales Dans l’annexe concernée de l’AMP, les entités gouvernementales cantonales assujetties aux règles des marchés publics sont désignées par la notion abstraite d’«autorités publiques cantonales» (appendice I annexe 2 ch. 1 AMP). En ap6 plication de l’accord bilatéral conclu avec la Communauté européenne, la Suisse a ensuite complété l’annexe mentionnée de l’AMP par un chiffre 3, selon lequel sont aussi assujettis «les autorités et organismes publics du niveau des districts et des communes». Cette définition du cercle des adjudicateurs publics assujettis – cercle que vise, avec celui des «collectivités de droit public» (voir infra point 3.1.3), l’art. 8 al. 1 let. a AIMP – ne pose en général pas de difficultés d’interprétation. Il s’agit des adjudicateurs publics «classiques», c’est-à-dire des autorités cantonales ou communales telles qu’elles résultent, dans chaque cas, de l’organisation administrative mise en place. Il va de soi que les associations formées de plusieurs collectivités territoriales (p. ex. association de communes assurant le financement et la gestion d’une école ou d’un corps de sapeurs-pompiers communs) sont elles aussi, en tant qu’adjudicatrices publiques, assujetties aux règles des marchés publics. 3.1.3«Collectivités de droit public» En plus des cantons et des communes (collectivités territoriales), l’art. 8 al. 1 let. a AIMP mentionne, de façon générique, les «collectivités de droit public cantonales ou communales». L’AMP parle à cet égard des «organismes de droit public établis au niveau cantonal» et des «organismes publics du niveau des districts et des communes»17. La notion reste relativement indéterminée. Le message type relatif à l’AIMP précise que les corporations, fondations, associations et autres tombent sous cette catégorie si elles assument des tâches publiques18. C’est donc ici une définition fonctionnelle qui prévaut, indépendamment du fait que l’organisme en question soit de droit public ou privé19. Pour le reste, le message renvoie, pour la désignation précise des VLP-ASPAN no 4/12 adjudicateurs assujettis, aux accords internationaux20. La doctrine et la pratique helvétiques recourent, pour concrétiser la notion d’organisme de droit public, aux définitions de l’AMP, au droit européen et à la jurisprudence y relative21. Apporte notamment des précisions utiles l’appendice I annexe 3 AMP, qui, à l’instar du droit européen22, emploie aussi cette notion en lien avec les entreprises sectorielles (voir infra point 3.1.4) et qui – à la différence de l’annexe 2, en l’occurrence déterminante – la définit plus précisément. Dans le contexte qui nous occupe, cette définition peut être employée par analogie ou généralisée23. De ce qui précède, on peut déduire qu’un adjudicateur est fonctionnellement assimilable à un organisme de droit public soumis aux règles des marchés publics lorsqu’il présente les caractéristiques (cumulatives) suivantes24: L’organisme en question – qu’il soit de droit public ou privé – possède une personnalité juridique propre. Il poursuit un but d’intérêt général ou a été créé dans le but spécifique d’accomplir des tâches non commerciales d’intérêt général. Selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), c’est le cas lorsque l’activité en question est étroitement liée à l’ordre public et au fonctionnement institutionnel de l’État et qu’elle sert l’intérêt collectif25. La jurisprudence européenne interprète cette notion de façon très large. Aucun lien étroit avec une tâche publique n’est requis; il suffit que l’activité concernée relève de l’intérêt général et serve les objectifs de l’État en matière de politique sociale ou économique26. En ce qui concerne le champ d’application subjectif du droit des marchés publics, ce critère ne déploie guère d’effet limitatif et ne revêt donc, en fin de compte, pas d’importance déterminante27. On n’a pas affaire à une activité commerciale ou industrielle. Le droit des marchés publics a pour but d’instaurer une certaine concurrence là où il n’y en aurait pas autrement, afin d’assurer l’économie de la commande publique et l’utilisation parcimonieuse des deniers publics28. Or, cela n’est pas nécessaire lorsqu’une «collectivité de droit public» au sens de l’AIMP est soumise à une concurrence efficace et donc de toute manière contrainte d’agir en fonction de critères exclusivement économiques29. Une concurrence efficace existe lorsque d’autres entités sont libres d’offrir les mêmes services dans la même aire géographique à des conditions substantiellement identiques30, et que 17 Voir appendice I annexe 2 ch. 2 et 3 AMP. 18 Message type pour la révision de l’AIMP, juin 2001, Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement, p. 20 s. 19 Voir Stöckli, Geltungsbereich, pp. 51 s. 20 Message type pour la révision de l’AIMP, juin 2001, Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement, p. 20 s. 21 Voir Stöckli, Geltungsbereich, pp. 51 ss; voir aussi arrêt du TAF B-6177/2008 du 25.11.2008 consid. 3.5.2. 22 Art. 2 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31.03.2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (D 2004/17/ CE, Journal officiel de l’Union européenne, L 134/1 ss) et art. 1 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31.03.2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (D 2004/18/CE, Journal officiel de l’Union européenne, L 134/114 ss). 23 Voir Stöckli, Geltungsbereich, p. 52; CR Concurrence-Clerc, art. 5 LMI N. 69. 24 À ce propos, voir Stöckli, Geltungsbereich, pp. 52 ss. 25 CJUE arrêt C-44/96 du 15.01.1998 N. 24, Mannesmann Anlagenbau. 26 Voir p. ex. CJUE arrêt C-360/96 du 10.11.1998, N. 51-53, Gemeente Arnhem ou CJUE arrêt C-18/01 du 22.03.2003 N. 45/62, Korhonen. 27 Stöckli, Geltungsbereich, p. 53. 28 Voir Jäger, Beschaffungsrecht, N. 58 et 59 ss. 29 Voir à ce propos CJUE arrêt C-18/01 du 22.03.2003 N. 45/62, Korhonen; Stöckli, Geltungsbereich, pp. 53 s. 30 Selon la définition donnée à l’art. 3 al. 5 de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics (accord bilatéral sur les marchés publics; RS 0.172.052.68); voir Jäger, Vorbefassung, pp. 124 ss et Stöckli, Geltungsbereich, pp. 53 s. 7 T&E l’organisme en question est exposé à des risques de pertes31. Il faut enfin, pour que l’assujettissement au droit des marchés publics se justifie, que l’organisme en question présente un lien particulier avec l’État32. Un tel lien existe lorsque la collectivité publique, en l’occurrence un canton ou une commune, finance (majoritairement) l’organisme concerné par des fonds publics ou le contrôle, c’est-à-dire peut exercer une influence déterminante sur sa gestion, soit parce qu’elle en détient la majeure partie du capital ou dispose de la majorité des voix attachées aux parts émises, soit parce qu’elle désigne la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance33. Selon les directives européennes, il devrait même suffire, pour que le lien avec l’État soit réputé suffisant, que les prestations de l’organisme en question soient placées sous la surveillance de l’État34. Cette manière de voir, qui va très loin, doit à notre sens être rejetée dans le cadre de l’art. 8 al. 1 let. a AIMP. Du fait de l’interprétation très large dont ils font l’objet, les trois premiers critères, qui se résument au but d’intérêt général, n’ont guère d’effet limitatif35. Le critère déterminant est celui du lien avec l’État. C’est sur la base de ces éléments de définition qu’il s’agit de déterminer, dans chaque cas, si une entité donnée, quelle que soit sa forme juridique, est assimilable à un adjudicateur public et doit, par conséquent, se conformer aux règles des marchés publics. On pense par exemple, à cet égard, aux prestataires ou entreprises actifs dans les domaines de la culture ou de la santé. Le statut économique mixte d’une entreprise privée, c’est-à-dire le fait que l’État participe à son financement ou qu’elle soit co-fondée par l’État et des privés, ne suffit pas pour qu’elle soit soumise au droit des marchés publics: il faut encore que les pouvoirs publics aient la possibilité de la contrôler36. 8 3.1.4Entreprises sectorielles (à titre indicatif) Les entreprises sectorielles (art. 8 al. 1 let. c AIMP et appendice I annexe 3 AMP), c’est-à-dire les entités et entreprises actives dans les secteurs économiques visés par l’AMP et l’accord bilatéral sur les marchés publics, ne sont pas directement concernées par le présent avis de droit, raison pour laquelle nous ne nous pencherons pas plus en détail sur le sujet37. De telles entreprises peuvent toutefois aussi soulever de difficiles questions de distinction, d’autant qu’elles ne sont pas intégralement assujetties aux règles des marchés publics, mais seulement pour les marchés qu’elles passent afin d’accomplir leurs activités dans les domaines correspondants. Soit les sujets actifs dans ces secteurs – dans le champ d’application de l’AMP: seulement les entités et entreprises publiques, dans celui de l’accord bilatéral sur les marchés publics: aussi les entreprises privées – doivent être eux-mêmes qualifiés de publics, soit les pouvoirs publics leur octroient des droits exclusifs ou spéciaux pour réaliser et exploiter les réseaux ou infrastructures correspondantes – raison pour laquelle leurs marchés doivent aussi être passés conformément aux règles des marchés publics38. 3.1.5«Autres collectivités assumant des tâches cantonales ou communales» Au sein du marché intérieur, c’est-à-dire hors du champ d’application des accords internationaux, ce ne sont pas seulement les adjudicateurs précités qui doivent passer leurs marchés conformément aux règles des marchés publics, mais aussi les «autres collectivités assumant des tâches cantonales ou communales» (pour autant, ici encore, que leurs activités ne soient pas de nature commerciale ou industrielle; voir art. 8 al. 2 let. a AIMP). VLP-ASPAN no 4/12 Cette disposition vise à mettre en œuvre l’obligation imposée par le droit fédéral (art. 5 al. 2 LMI) aux autres organes assumant des tâches cantonales et communales de publier officiellement les projets de marchés publics de grande importance portant sur des fournitures, des services ou des travaux, et d’appliquer des procédures transparentes et équitables. Quant à savoir qui est concrètement concerné par cette disposition, la question reste ouverte, en particulier par rapport aux «autres collectivités de droit public» au sens de l’art. 8 al. 1 let. a AIMP. Il paraît logique d’interpréter la notion d’«autres collectivités assumant des tâches cantonales ou communales» au sens de l’art. 8 al. 2 let. a AIMP à l’aune des critères énoncés ci-dessus pour les «collectivités de droit public»39. Il s’agit donc d’organisations ou d’institutions qui – quelle que soit leur forme juridique – accomplissent des tâches d’intérêt général que l’État souhaite, pour des raisons d’intérêt général, exécuter lui-même, ou sur lesquelles il entend garder une influence déterminante40. Il convient toutefois, comme l’estime à juste titre la doctrine – et contrairement à ce que préconise le message type relatif à l’AIMP41 – de renoncer ici au critère du lien avec l’État, c’est-à-dire au contrôle de l’organe concerné par la collectivité publique42. Sinon, il ne subsisterait plus aucune distinction par rapport aux «autres collectivités de droit public» soumises aux accords internationaux, et l’art. 5 al. 2 LMI s’en trouverait violé. Sont dès lors, en vertu de l’AIMP, aussi soumis aux règles des marchés publics – au-delà des obligations découlant des accords internationaux – les privés qui assument des tâches cantonales ou communales. 3.1.6Privés subventionnés Est enfin soumise aux règles des marchés publics, en vertu de l’art. 8 al. 2 let. b AIMP, toute personne juridique réalisant des projets ou fournis- sant des prestations subventionnés à plus de 50 pour cent du coût total par des fonds publics. Cette disposition vise, d’une part, à assurer que les fonds publics soient utilisés le plus efficacement possible et, d’autre part, à empêcher qu’un adjudicateur public ne puisse contourner les règles des marchés publics en ne confiant certes pas de manière formelle des tâches à un privé non assujetti, mais en exerçant néanmoins, par le biais du subventionnement, une influence matérielle déterminante sur l’adjudication des marchés43. 3.1.7Exception: activité commerciale ou industrielle Lorsque leurs activités sont de nature commerciale ou industrielle, les adjudicateurs publics sont exemptés des règles des marchés publics (voir art. 8 al. 1 let. a et al. 2 let. a AIMP). 31 Selon CJUE arrêt C-283/00 du 06.10.2003 N. 88 ss, Commission/Espagne. 32���������������������������������������������������������� Stöckli, Geltungsbereich, p. 52, parle de «Staatsgebundenheit». 33 Voir appendice I annexe 3 n.b.p. 1 AMP; Stöckli, Geltungsbereich, pp. 56 s. C’est aussi dans ce sens que l’art. 2a al. 1 let. a OMP définit l’influence dominante de la Confédération sur les entreprises sectorielles. 34 Voir p. ex. art. 1 ch. 9 let. c D 2004/18/CE. 35 Voir aussi Stöckli, Geltungsbereich, p. 53. 36 Voir Stöckli, Geltungsbereich, p. 56. 37 À ce propos, voir Stöckli, Geltungsbereich, pp. 59 ss. 38 C’est p. ex. ce que retient la directive sectorielle D 2004/17/ CE. 39 Ainsi que le retient, du moins en conclusion, Stöckli, Geltungsbereich, p. 58. 40 Voir arrêt du TA-SG B 2006/184, cité d’après Stöckli, Geltungsbereich, p. 58. 41 Message type pour la révision de l’AIMP, juin 2001, Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement, p. 21. 42������������������������������������������������������������� CR Concurrence-Clerc, art. 5 LMI, N. 82; Stöckli, Geltungsbereich, p. 58. 43 Voir Stöckli, Geltungsbereich, p. 57. 9 T&E Cette exception est sous-tendue par l’idée que, s’il convient de générer une certaine concurrence et d’assurer une utilisation efficace des fonds publics dans tous les cas où une telle concurrence n’existerait pas spontanément, cela se révèle superflu dans les domaines d’activité où règne de toute manière une concurrence efficace (voir supra point 3.1.3)44. du fait des différences prévalant en matière de droit administratif, de terminologie et de tradition juridique, aucun résultat directement transposable. Aussi les conditions d’assujettissement restent-elles floues en ce qui concerne les privés ou organes non rattachés à l’administration auxquels sont confiées des tâches publiques. Il se peut cependant qu’une unité administrative ou un organe assumant des tâches cantonales ou communales exercent aussi bien des activités «de puissance publique» que des activités commerciales et industrielles. On peut déduire du libellé de l’art. 8 al. 1 let. a et al. 2 let. a AIMP que de telles entités ne sont – à l’instar des entreprises sectorielles – soumises aux règles des marchés publics que pour leurs activités de nature non commerciale et industrielle45 – à la différence de ce que retient la jurisprudence plus sévère de la CJUE (selon laquelle un adjudicateur est assujetti même pour ses activités commerciales et industrielles)46. 3.2Champ d’application matériel: marchés assujettis 3.1.8Conclusions Le champ d’application personnel du droit des marchés publics est clair lorsqu’on est en présence d’entités adjudicatrices ou d’unités administratives cantonales ou communales «classiques». Dès que des tâches publiques sont en revanche assumées par des organisations, institutions ou privés extérieurs à de telles entités administratives, la question de savoir si ceux-ci sont assujettis aux règles des marchés publics doit être examinée au cas par cas, sans qu’on puisse y répondre de façon générale et abstraite. Les conditions d’assujettissement définies dans les accords internationaux et l’AIMP sont sujettes à interprétation, et les critères applicables – notamment du fait de l’absence de précédents tranchés par les autorités judiciaires suprêmes – peu contraignants. Pour les concrétiser, la doctrine se réfère, faute de mieux, à la législation et à la jurisprudence européennes, ce qui n’apporte toutefois, 10 3.2.1Notion de référence: marché public Pour que le droit des marchés publics s’applique, il faut (implicitement) que l’on ait affaire à un marché public. Cette notion est, elle aussi, sujette à interprétation et doit être distinguée d’autres activités étatiques pouvant se révéler similaires. a. Définition Les marchés publics relèvent des activités administratives dites auxiliaires, dans le cadre desquelles la collectivité publique se dote des ouvrages, fournitures et services nécessaires à l’accomplissement de ses tâches47. Pour ce faire, elle a en principe deux possibilités: soit elle produit ou fournit elle-même les biens et prestations en question, soit elle les acquiert sur le marché libre. Dans le second cas de figure, les dispositions du droit des marchés publics précisent comment les entités adjudicatrices publiques doivent procéder. Dans un précédent déjà ancien, mais toujours valable, le Tribunal fédéral a défini la notion de marché public de façon assez restrictive48. En vertu de cette définition, trois critères doivent être remplis: L’entité adjudicatrice publique intervient sur le marché libre en tant que demandeuse (ou «consommatrice»). Une entreprise en général privée propose, en VLP-ASPAN no 4/12 tant qu’offreuse, la prestation caractéristique du contrat. La collectivité publique acquiert auprès de l’offreuse, moyennant le paiement d’un prix, les moyens dont elle a besoin pour exécuter ses tâches (échange synallagmatique de prestations). b. Distinctions En vertu de cette définition (restrictive), il existe toute une série d’activités et opérations étatiques qui ne représentent pas des marchés publics parce qu’elles ne remplissent pas, ou pas complètement, les critères susmentionnés. Il s’agit souvent d’opérations où l’échange de prestations se fait dans l’autre sens, c’est-à-dire où c’est un privé qui verse un montant à l’État pour obtenir ou pouvoir exercer un droit – à moins que le privé ne bénéficie de prestations de l’État sans devoir s’acquitter d’aucune contrepartie directe49. Il peut notamment s’agir – en vertu de la définition du Tribunal fédéral et sous réserve d’un examen approfondi au cas par cas – des opérations suivantes: Octroi de concessions ou de concessions d’usage privatif: ici, l’État intervient en général en tant que régulateur, en octroyant un droit pour l’utilisation du domaine public. Le privé (et non l’État) s’acquitte, pour obtenir et pouvoir exercer ce droit, d’une contrepartie financière. Sont des exemples typiques de ce cas de figure les concessions d’affichage. Si l’octroi de la concession implique cependant un échange synallagmatique de prestations, ou que le concessionnaire reçoit une contrepartie de tiers, il n’est pas exclu que le droit des marchés publics s’applique50. Cela vaut aussi pour ce qu’on appelle, surtout dans l’Union européenne, les concessions de travaux et de services, où il s’agit bel et bien, lorsqu’on y regarde de près, de l’attribution de marchés de travaux et de services51. Même l’octroi unilatéral de concessions à visée régulatrice est soumis, en matière de procédure, à certaines exigences minimales, lesquelles ne relèvent cependant pas du droit des marchés publics (voir art. 2 al. 7 LMI). Délégation de tâches publiques à des privés: ici, un privé (prestataire) est chargé d’une tâche publique en faveur d’autres privés (bénéficiaires), la rétribution des prestations fournies étant versée au prestataire privé, et non à l’État. Dans l’exemple typique des prestations Spitex, qui sont fournies par une organisation privée, le Tribunal administratif zurichois a estimé qu’on n’avait pas affaire à un marché public52. Cette interprétation est toutefois controversée, car si l’État remplissait lui-même cette tâche, il devrait clairement, lors de l’acquisition des fournitures et services nécessaires, se conformer aux règles des marchés publics53. Octroi de subventions: il n’y a pas ici d’échange de prestations, l’argent étant versé unilatéralement par l’État au bénéficiaire54. Marchés «in house»: les marchés que l’une des unités administratives d’une collectivité publique confie à une autre, ne représentent pas des marchés publics. Le critère fondamental de l’acquisition sur le marché libre n’est en effet pas rempli. Si cette distinction paraît évidente sur le principe, elle peut se révéler délicate à établir dans la pratique, surtout lorsque le marché en question n’est pas passé entre des unités administratives «classiques», mais entre une collectivité publique et une 44 Stöckli, Geltungsbereich, p. 54. 45 Stöckli, Geltungsbereich, p. 55. 46 Voir Stöckli, Geltungsbereich, p. 55. 47 Voir Tschannen/Zimmerli/Müller, § 4 N. 11. 48 Voir ATF 125 I 209 consid. 6b pp. 212 s. = Pra 2000 n° 149 p. 884. 49 À propos de ce dernier cas de figure, voir Fetz, N. 72. 50 Voir Fetz, N. 75. 51 À ce propos, voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 108, pp. 131 ss. 52 Voir arrêt du TA-ZH VB.2000.00126 consid. 2b, cité d’après Galli/Moser/Lang/Clerc, N. 113. 53 Voir Fetz, N. 73 s. 54 Galli/Moser/Lang/Clerc, N. 121, p. 788; Beyeler, Geltungsbereich, N. 47 pp. 98 s. 11 T&E personne de droit privé ou une société mixte qu’elle contrôle (marchés «quasi in house»). c. Réserve: examen économique global et contournement du droit Dans la doctrine relative aux marchés publics, la définition restrictive donnée par le Tribunal fédéral de la notion de marché public est critiquée, notamment du fait qu’elle exclut, de manière générale, l’octroi de concessions et la délégation de tâches à des privés. La majorité des auteurs considère aujourd’hui cette définition très générale comme dépassée55. En postulant en effet qu’il faille systématiquement un échange synallagmatique de prestations, lors duquel l’État verse à l’offreur la contrepartie (pécuniaire) des prestations que celui-ci fournit, on ne tient pas compte de la complexité de certaines opérations, et on ouvre grand la porte aux mécanismes destinés à contourner le droit. En Suisse, toutefois, il n’existe encore aucune jurisprudence stabilisée quant à une définition élargie de la notion de marché public, le Tribunal fédéral n’ayant rendu aucun arrêt dans ce sens. Dans ce contexte, la doctrine dominante préconise – à juste titre – que, dans le cas d’opérations d’une certaine complexité, dans le cadre desquelles l’État sélectionne un privé et le charge de fournir certaines prestations, l’examen de l’applicabilité du droit des marchés publics ne se limite pas à déterminer si les trois critères énoncés par le Tribunal fédéral sont remplis, mais que toute l’opération soit soumise à un examen économique global, qui prenne en compte l’ensemble des flux de prestations56. S’il apparaît, à l’issue d’un tel examen, que c’est la partie de la transaction soumise aux marchés publics qui est prépondérante et que ladite transaction ne répond pas seulement, pour l’État, à des motifs purement fiscaux, alors la sélection du partenaire devrait se faire dans le cadre d’une procédure conforme aux règles des marchés publics57. Il convient donc toujours de tenir compte de l’interdiction de contourner le droit: on ne saurait saper les dispo12 sitions du droit des marchés publics en modifiant simplement la structuration formelle d’une relation d’affaire. Il convient enfin de relever que, même si le droit des marchés publics ne s’applique pas, l’État reste tenu, lorsqu’il doit sélectionner une personne parmi plusieurs privés intéressés à faire affaire avec lui, de respecter les principes de l’égalité de traitement, de la bonne foi, de l’interdiction de l’arbitraire et de la neutralité concurrentielle. La sélection doit donc s’opérer dans le cadre d’une procédure équitable et conforme aux principes de l’État de droit. À cet égard, on parle souvent de procédure «analogue» à celles que prévoit le droit des marchés publics58. Pour l’octroi de concessions monopolistiques, l’art. 2 al. 7 LMI exige un appel d’offres public, sans régir toutefois la procédure plus en détail. 3.2.2Détermination du champ d’application matériel: type et valeur du marché L’AMP définit son champ d’application matériel comme suit (art. I ch. 2 AMP): «Le présent accord s’applique aux marchés passés par tout moyen contractuel, y compris sous forme d’achat ou sous forme de crédit-bail, location ou locationvente, avec ou sans option d’achat, comprenant toute combinaison, quelle qu’elle soit, de produits et de services.» Cette description générale est concrétisée dans des annexes qui énumèrent ou définissent plus précisément les marchés de travaux, de fournitures ou de services assujettis. L’accord bilatéral sur les marchés publics reprend, sur le principe, ce champ d’application matériel (voir supra point 2.1). En application des accords internationaux, l’art. 6 al. 1 AIMP reprend lui aussi cette conception. Ainsi les dispositions de l’AIMP relatives aux marchés soumis aux accords internationaux s’appliquent-elles, en particulier, aux marchés suivants: VLP-ASPAN no 4/12 Les marchés de construction (réalisation de travaux de construction de bâtiments ou de génie civil): seuls sont visés les travaux énumérés dans la liste de l’appendice I annexe 5 AMP, qui définit les marchés assujettis sur la base de la Classification centrale de produits (liste CPC, dans sa version provisoire). Les différentes catégories de travaux relevant de la division 51 de la CPC sont toutefois tellement vastes qu’elles englobent pratiquement tous les travaux de construction59. Les marchés de fournitures (acquisition de biens mobiliers, notamment sous forme d’achat, de crédit-bail/leasing, de bail à loyer, de bail à ferme ou de location-vente): en principe, toutes les fournitures - à l’exception d’une qui ne nous intéresse pas ici - sont soumises aux accords internatoniaux et à l’AIMP. Les marchés de services, qui ne sont assujettis – comme les marchés de construction – que s’ils figurent sur la liste correspondante (appendice I annexe 4 AMP). Si un marché public relève d’une des catégories susmentionnées, il faut encore, pour qu’il soit assujetti à l’AIMP au titre de marché soumis aux accords internationaux, que sa valeur atteigne le seuil (élevé) défini dans ces derniers. Si tel n’est pas le cas, le marché devra être attribué conformément aux dispositions de l’AIMP qui s’appliquent au marché intérieur. En principe, tous les marchés cantonaux et communaux non soumis aux accords internationaux (c’est-à-dire relevant du marché intérieur) sont assujettis aux règles correspondantes des marchés publics. Ce champ d’application très large correspond aux exigences de l’art. 5 al. 1 LMI60. L’AIMP établit toutefois, ici aussi, la distinction entre les trois types de marchés susmentionnés – distinction sur la base de laquelle se détermine le seuil et, partant, la procédure applicables (procédure ouverte ou sélective, procédure sur invitation, procédure de gré à gré)61. En ce qui concerne le champ d’application maté- riel du droit des marchés publics et les dispositions et procédures applicables, des questions de distinction peuvent se poser lorsqu’une même commande combine plusieurs types de marchés, que la valeur du marché ne peut être déterminée avec précision ou que plusieurs adjudicateurs (p. ex. une entité fédérale et une cantonale, ou une entité publique et un privé) passent commande ensemble62. 3.2.3Exceptions du champ d’application matériel En vertu de différentes exceptions générales (inhérentes au système) ou spécifiques, certains marchés publics ne sont pas soumis aux règles des marchés publics63. Pour des raisons inhérentes au système, une exception doit porter sur les transactions que la collectivité publique effectue dans le domaine de son patrimoine financier. Font notamment partie de ce patrimoine les objets que la collectivité possède en raison de leur valeur pécuniaire, et dont elle n’a pas directement besoin pour accomplir ses tâches administratives. Ces objets sont destinés à assurer, en tant qu’investissements, un rendement approprié, et ne servent donc qu’indirectement à l’accomplissement des tâches 55 À ce propos, voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 15 p. 73 et N. 53 ss pp. 102 ss; Fetz, N. 73. 56 Beyeler, Geltungsbereich, N. 58 p. 105. 57 Beyeler, Geltungsbereich, N. 58 p. 105 n.b.p. 100. 58 Voir p. ex. Schneider Heusi/Jost, p. 30. 59 Fetz, N. 69; Beyeler, Geltungsbereich, N. 7 p. 69. 60 Voir Schneider Heusi/Jost, p. 29. 61 À ce propos, voir Jäger, Beschaffungsrecht, N. 40 et N. 46. 62 Voir Fetz, N. 70; Jäger, Beschaffungsrecht, N. 44 et N. 51 ss. 63 À ce propos, voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 18 ss; Fetz, N. 77 ss. 13 T&E publiques64. Les transactions relatives au patrimoine financier visent dès lors des objectifs purement fiscaux, raison pour laquelle la collectivité publique doit pouvoir les effectuer dans les mêmes conditions que les privés, c’est-à-dire sans être entravée par le droit des marchés publics, sans quoi elle se trouverait désavantagée, avec toutes les conséquences – y compris financières – que cela impliquerait65. Ne sont pas non plus assujetties au droit des marchés publics les acquisitions pour lesquelles toute concurrence est par nature impossible, parce que l’offreur dispose d’un bien unique que la collectivité publique ne peut se procurer qu’auprès de lui (p. ex. un bien-fonds; voir à ce propos infra point 4.1). Sont en outre explicitement exclus des accords internationaux, en raison de leurs particularités, l’engagement de personnel et les contrats portant sur l’achat d’eau ou la livraison d’énergie ou d’agents énergétiques66. Une autre exception porte, comme nous l’avons déjà vu, sur les marchés liés aux activités commerciales que mène la collectivité publique dans les domaines où règne déjà une concurrence efficace (voir supra point 3.1.3). Enfin, l’art. 10 AIMP promulgue – conformément à l’AMP – certaines exceptions spécifiques, portant par exemple sur les marchés passés avec des institutions pour handicapés, des œuvres de bienfaisance ou des établissements pénitentiaires, ou sur les marchés dont l’adjudication selon les règles des marchés publics risquerait de mettre en péril l’ordre ou la sécurité publics, ou la santé et la vie de personnes, d’animaux ou de plantes67. 14 4.Transactions immobilières des pouvoirs publics 4.1En principe: pas d’assujettissement L’AMP et l’accord bilatéral sur les marchés publics précisent tous deux qu’ils ne s’appliquent pas «aux marchés de services qui ont pour objet l’acquisition ou la location, quelles qu’en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles ou qui concernent des droits sur ces biens»68. Les marchés de fournitures concernés par ces accords se limitent d’ailleurs expressément à ceux qui portent sur des biens mobiliers (voir supra point 3.2.2). L’exception susmentionnée ne concerne pas que le champ d’application des accords internationaux, mais présente une validité générale: les transactions immobilières ne tombent pas sous le coup du droit des marchés publics. Cette exception est, en fait, inhérente au système, les transactions immobilières n’admettant par nature pas de concurrence, ou que dans une mesure très limitée: un bien-fonds donné ne peut être offert que par le propriétaire concerné69. Le mode d’acquisition des droits sur l’immeuble (achat, location, location-vente, droit de superficie) ne revêt à cet égard aucune importance. Cette exception trouve toutefois ses limites dans l’interdiction de contourner le droit (voir aussi supra point 3.2.1.c), eu égard, notamment, aux règles relatives à l’adjudication de marchés publics de construction70. Se révèlent ici délicates les opérations qui combinent transactions immobilières et adjudication de travaux de construction (voir infra point 4.2). VLP-ASPAN no 4/12 4.2Relativisation de l’exception: contournement du droit des marchés publics 4.2.1Transaction immobilière effectuée à des fins de contournement Selon la doctrine relative aux marchés publics, l’exception susmentionnée ne s’applique pas lorsque la collectivité publique cherche, à travers une transaction immobilière (acquisition ou prise à bail d’un bien-fonds ou d’un bâtiment existant), à contourner les règles applicables aux marchés publics de construction, de fournitures ou de services, et que la transaction immobilière ne représente donc pour elle qu’un moyen de ne pas être soumise au droit des marchés publics71. Si la collectivité publique ne veut donc pas «simplement» acquérir un bien-fonds, un droit de superficie ou un bâtiment existant pour, ensuite, adjuger d’éventuels travaux de construction ou de transformation selon la procédure prescrite par le droit des marchés publics, il convient alors d’examiner de plus près la question d’un éventuel contournement de ce droit. Il s’agit à cet égard de soumettre la transaction en question à une analyse économique globale, en examinant en particulier si les risques que doit usuellement supporter le vendeur ou bailleur – risques liés à l’amortissement et à la location en cas de construction et vente ou mise à bail d’un bâtiment – sont transférés à la collectivité publique, de sorte que l’aliénateur puisse être sûr que ses investissements seront dans tous les cas amortis. Une telle situation peut être garantie par un contrat de bail à long terme et/ou une clause d’indemnités de retour, éventuellement assortie d’une peine conventionnelle en cas de résiliation anticipée du contrat72. Si une transaction immobilière (achat ou prise à bail) se révèle contourner le droit des marchés publics, elle doit alors être effectuée conformément à ce droit73. S’il existe toutefois déjà des contrats de droit privé passés dans les formes, il règne encore, eu égard à la situation juridique actuelle, de grandes incertitudes sur les conséquences que peut avoir la violation des règles des marchés publics sur ces contrats. 4.2.2Cas de contournement possibles Les paragraphes suivants décrivent brièvement quelques catégories de transactions immobilières qui posent de toute évidence la question d’un contournement du droit des marchés publics et se révèlent dès lors, à tout le moins, sujettes à caution. Il s’agit toujours de transactions qui portent aussi, au-delà de la simple acquisition d’un bien-fonds ou d’un immeuble, sur certaines prestations à fournir par le vendeur ou bailleur. a. Acquisition d’un bien-fonds avec clause d’entrepreneur Dans les transactions de cette catégorie, la collectivité publique achète un bien-fonds non bâti, avec ceci de particulier que le contrat de vente lui impose de confier la conception ou la réalisation 64 Tschannen/Zimmerli/Müller, § 48 N. 12. Le patrimoine administratif comporte, par opposition, les objets qui, du fait de leur valeur d’usage, servent directement à l’accomplissement des tâches de la collectivité publique, tels qu’écoles, centres d’entretien, etc. (voir Tschannen/Zimmerli/Müller, § 48 N. 13). 65 C’est dans ce sens que semble aller Beyeler, Geltungsbereich, N. 93; voir aussi N. 58, p. 105, n.b.p. 100. 66 Voir à ce propos, en lien avec l’AMP, Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, pp. 79 s. (personnel) et N. 8, p. 69 (énergie). 67 A ce propos, voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 18 s., p. 83 s.; Fetz, N. 81 ss. 68 Voir Accord bilatéral sur les marchés publics, annexe VI, note n° 3; AMP, appendice I annexe 4, note n° 3. 69 Voir p. ex. Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, pp. 78 s.; Galli/ Moser/Lang/Clerc, N. 120. 70 Zufferey/Le Fort, p. 102. 71 Voir Zufferey/Le Fort, p. 102; Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33 et références citées, p. 78. 72 Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, pp. 78 s. 73 Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, p. 79. 15 T&E des constructions prévues au vendeur ou à un tiers, c’est-à-dire à un architecte ou à un entrepreneur déterminé («clause d’entrepreneur»)74. Ce qui se révèle ici problématique du point de vue du droit des marchés publics, c’est que l’offreur des prestations de conception ou de construction est choisi en dehors de toute procédure de mise en concurrence, de sorte que les autres offreurs potentiels n’ont pas accès au marché. Le mandat d’étude ou les travaux devraient clairement être attribués conformément aux règles applicables à l’adjudication des marchés de services ou de construction, et ce, indépendamment de l’achat du bien-fonds. Une adjudication de gré à gré, sans appel d’offres, n’est autorisée qu’exceptionnellement75. L’adjudication directe d’un marché public sur la base d’une clause d’entrepreneur n’est admissible que dans des situations exceptionnelles. Selon la doctrine, des travaux ou un mandat d’étude ne peuvent être attribués de gré à gré dans le cadre de l’acquisition d’un bien-fonds que si la collectivité publique est tributaire, eu égard à la fonction du projet de construction, du terrain grevé par la clause d’entrepreneur76. En d’autres termes: il faut que le bâtiment public prévu ne puisse remplir la fonction qui lui incombe qu’à l’endroit en question. S’il est exclu que la collectivité publique puisse acquérir le bien-fonds sans accepter la clause d’entrepreneur, l’adjudication directe du marché d’étude ou de travaux doit alors être admise, sans quoi la collectivité ne pourrait entrer en possession du terrain que par voie d’expropriation (à supposer même que cela soit possible)77. Une telle manière de faire peut s’appuyer sur l’exception que prévoient la plupart des actes normatifs cantonaux en matière de marchés publics, selon laquelle une adjudication de gré à gré est possible si un seul soumissionnaire entre en considération en raison des particularités techniques ou artistiques du marché ou pour des motifs relevant du droit de la propriété intellectuelle, et qu’il n’existe pas de solution de rechange adéquate78. 16 On peut imaginer, à titre d’exemple, la situation suivante: une commune souhaite doter son complexe scolaire d’une nouvelle salle de gymnastique triple. S’y prêterait une parcelle encore non bâtie jouxtant l’école, mais appartenant à l’entrepreneur local. Celui-ci serait prêt à vendre son bien-fonds, à condition toutefois que les futurs travaux lui soient confiés. Aucun autre terrain non bâti n’est disponible à une distance raisonnable – du moins pas dans les délais où la salle de gymnastique doit, selon la planification scolaire, être réalisée. Construire le nouvel équipement sur une parcelle plus éloignée entraînerait des inconvénients rédhibitoires en termes d’horaires, de sécurité routière et de synergies, et déplacer tout le complexe scolaire à un autre endroit serait disproportionné. Dans un tel cas, la commune peut, exceptionnellement, acquérir le bien-fonds de l’entrepreneur local et adjuger directement les travaux à ce dernier. Hormis les situations de ce genre, lier l’acquisition d’un bien-fonds à l’attribution directe d’un marché assujetti au droit des marchés publics représente un cas classique de contournement de ce droit. Il en découle, dans la pratique, que la collectivité publique doit laisser échouer la transaction si le vendeur n’est pas prêt à renoncer à la clause d’entrepreneur. Si le bien-fonds à acquérir doit par exemple servir à la construction de bureaux pour l’administration, on voit mal ce qui pourrait justifier d’accepter une clause d’entrepreneur. Eu égard à la fonction du bâtiment – la localisation des bureaux ne revêt pas d’importance déterminante pour le bon fonctionnement de l’administration –, il existe en général plusieurs parcelles envisageables, de sorte que celles grevées d’une clause d’entrepreneur sont d’emblée exclues. Dans un tel cas de figure, la collectivité publique doit s’accommoder des inconvénients que peuvent présenter les terrains non grevés d’une telle clause, sans quoi il serait par trop aisé de saper le droit des marchés publics dans le cadre des transactions immobilières. VLP-ASPAN no 4/12 Si la collectivité publique veut éviter d’être contrainte d’accepter une clause d’entrepreneur ou de devoir renoncer à l’acquisition de terrains attractifs du seul fait de l’existence d’une telle clause, elle fera bien d’anticiper et de se réserver les biens-fonds dont elle à besoin dans le cadre d’une planification à long terme. Les instruments adéquats ne relèvent pas ici du droit des marchés publics, mais de celui de l’aménagement du territoire (délimitation de zones d’utilité publique et/ ou de secteurs à planification obligatoire, définition d’alignements, édiction de moratoires sur les constructions ou de zones réservées au sens de l’art. 27 LAT, etc.). b. Acquisition d’un bâtiment projeté ou en cours de réalisation Cette catégorie de transactions concerne l’acquisition d’une «chose future». Selon le degré d’avancement du projet, la collectivité publique pourra acquérir le bâtiment «sur plans» (permis de construire délivré) ou au stade de réalisation où il se trouve. Le contrat portant sur la vente du bien-fonds peut soit comporter des éléments de contrat d’entreprise, soit se présenter sous la forme d’un pur contrat de vente portant sur le terrain et le futur bâtiment. Dans le second cas de figure, le vendeur (privé) s’engage à vendre à la collectivité publique, à un prix forfaitaire, une construction encore à réaliser par lui. La doctrine et la jurisprudence relatives aux marchés publics ne comportent, à ma connaissance, aucune indication concernant ce type de transactions. De mon point de vue, on ne saurait interdire a priori à une collectivité publique d’acquérir sur plans, dans le sens d’un «achat d’une chose future», un bien-fonds et le bâtiment destiné à y être réalisé. Cela ne représente pas forcément un contournement des règles des marchés publics. Comme nous l’avons vu, l’acquisition d’un bâtiment existant ne tombe pas sous le coup du droit des marchés publics (voir point 4.1). À mon sens, le moment où la collectivité publique signe le contrat de vente – que le bâtiment soit achevé, en cours de chantier ou encore au stade d’un projet approuvé et prêt à être exécuté – ne revêt à cet égard aucune importance. Ce qui est en revanche déterminant, c’est de savoir si la collectivité ne fait qu’acheter l’immeuble, ou si elle commande aussi certains travaux de construction. Si l’entité publique ne peut exercer d’influence déterminante sur la conception du bâtiment, que celui-ci n’a pas été conçu en fonction de ses besoins spécifiques et que c’est au vendeur de supporter le risque lié à la recherche d’un acheteur et à l’amortissement de ses investissements, il n’y a aucune raison de supputer un contournement du droit des marchés publics. Il faut cependant – et c’est là une condition importante – que le transfert de propriété (inscription au registre foncier) s’effectue après l’achèvement de l’immeuble, même si le contrat de vente a été conclu avant. Le vendeur est tenu de transférer la propriété de la chose future, mais pas forcément de la réaliser lui-même79. En principe, ce qui vient d’être dit s’applique aussi aux cas où le contrat n’est pas un pur contrat de vente, mais comporte aussi des éléments (secondaires) de contrat d’entreprise, et que la collectivité commande certains travaux de construction ou autres. Il faut cependant pour cela que le marché de construction lié à l’achat reste, en termes d’ampleur et de montant, dans les limites d’un «accessoire négligeable»80 – ce qui est en général le cas lorsque les travaux sont comparables à ceux que requièrent les aménagements intérieurs dont a spécifiquement besoin le locataire d’un immeuble commercial81. 74 75 76 77 78 Voir SVIT, § 8, N. 14; Stöckli, Unternehmerklausel, p. 137. À propos des exceptions en question, voir § 9 al. 1 DEMP. Stöckli, Unternehmerklausel, p. 137. Stöckli, Unternehmerklausel, p. 137. Selon le libellé du § 9 al. 1 let. c DEMP. La plupart des cantons ont repris cette formulation ou en ont introduit une similaire. 79 Voir Gauch, N. 126 ss. 80 Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, p. 79. 81 Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, p. 79. 17 T&E Indépendamment de ce qui précède, il convient toujours, pour délimiter ce qui relève de l’acquisition admissible d’un immeuble et ce qui relève du contournement illicite des règles applicables à l’adjudication des marchés publics de construction, de procéder à un examen au cas par cas. À cet égard, la transaction en question doit être considérée dans le contexte de la politique immobilière globale de la collectivité publique. Ainsi un contournement serait-il par exemple flagrant si une commune acquérait systématiquement des bâtiments sur plans et que les entrepreneurs concernés pouvaient – intuitivement, sinon même sur la base d’accords informels – compter vendre à celle-ci des immeubles conçus en fonction de ses besoins actuels. L’opération dépasserait aussi le cadre admissible si le projet existant faisait, après la vente, l’objet d’adaptations importantes pour répondre aux besoins spécifiques de la collectivité publique. c.Acquisition d’un bâtiment conçu sur mesure Si la collectivité publique acquiert un bien-fonds et qu’elle commande, dans ce cadre, la réalisation d’un bâtiment conçu en fonction de ses propres besoins, on a affaire à un contournement inadmissible du droit des marchés publics. Dans un tel cas, en effet, la transaction immobilière, en soi non assujettie, est combinée avec un marché public de construction assujetti qui est, de fait, attribué de gré à gré sans que l’on soit en présence – sous réserve d’un examen au cas par cas – d’une situation qui justifierait, à titre exceptionnel, une telle adjudication. On peut par exemple penser au cas où une collectivité publique acquerrait ou prendrait à bail un bâtiment devant encore faire l’objet de travaux importants, ou que le vendeur devrait encore construire. Dans un tel cas – et contrairement à celui d’un bâtiment existant ou d’un projet déjà autorisé et prêt à être réalisé –, la collectivité publique peut exercer une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage. Quant au vendeur ou 18 bailleur, le contrat conclu lui donne en principe la certitude de pouvoir vendre ou louer l’immeuble avec profit (pas de risque de vacance, amortissement assuré des investissements consentis, etc.)82. On peut notamment soupçonner que la transaction vise à contourner les règles des marchés publics si les parties concluent un contrat de bail à long terme, comportant une clause selon laquelle le bailleur doit, en cas de résiliation anticipée du contrat, être dédommagé à hauteur des coûts de construction non encore amortis83. Il en va de même lorsque la collectivité publique cède un bien-fonds en droit de superficie à un investisseur et que celui-ci y construit un ouvrage (p. ex. un équipement destiné à l’accomplissement de tâches publiques, comme un centre de voirie) pour le louer ensuite à long terme à la commune avant qu’il ne retourne à celle-ci à l’échéance du droit de superficie (l’ouvrage en question peut aussi être réalisé en PPP; voir infra point 4.3). Une telle transaction est soumise au droit des marchés publics84. d.Acquisition d’un bâtiment avec adaptations d’importance mineure Pour terminer, la doctrine part du principe qu’il n’y a pas contournement du droit des marchés publics lorsque le vendeur ou bailleur apporte encore au bâtiment, en faveur de la collectivité publique acquéreuse, des adaptations d’importance mineure85. Ainsi, si l’administration communale prend à bail un immeuble de bureaux dans lequel sont encore effectuées, selon ses souhaits, quelques adaptations au niveau des postes de travail, ces travaux peuvent être exécutés directement par le bailleur, sans procédure de mise en concurrence. Du moins est-ce le cas pour les travaux qui restent dans le cadre des habitudes commerciales et se révèlent, globalement, mineurs86. Si l’acheteur a encore la possibilité de choisir certains détails – au sens de l’accessoire négligeable87 – comme la VLP-ASPAN no 4/12 couleur des papiers peints ou les revêtements de sol, cela ne remet nullement en cause, selon moi, l’admissibilité de la démarche. Si la collectivité publique fait en revanche réaliser des travaux de second œuvre dans un bâtiment qu’elle prend à bail à l’état du gros œuvre, ces travaux devraient alors être adjugés conformément aux règles des marchés publics. La notion de partenariat public-privé (PPP) relève des sciences économiques. Elle désigne, pour le formuler de façon simplifiée, la collaboration à long terme entre une collectivité publique et des privés en vue de l’accomplissement de tâches publiques (p. ex. la construction et l’exploitation de grands équipements), et ce, avec une véritable répartition des risques entre les partenaires. Un tel partenariat permet aux pouvoirs publics de tirer profit de la capacité financière et du savoirfaire des investisseurs et promoteurs privés88. charge, sur mandat et contre rémunération de la collectivité publique, la construction, l’exploitation et l’entretien d’un ouvrage – hôpital, tunnel routier, etc. – et le louent à la collectivité. Il se peut que les privés assument d’autres tâches encore92. Dans un tel PPP, la séparation entre État et privés s’estompe, ce qui, du point de vue du droit des marchés publics, ne va pas sans soulever de questions. En effet, les partenaires ne se trouvent pas dans une situation de commande classique – avec l’État dans le rôle de demandeur et les privés dans celui d’offreurs –, et ils n’entretiennent pas non plus un simple échange synallagmatique de prestations en lien avec une seule et même transaction. Il s’agit bien plutôt d’un entrelacs souvent complexe de contrats et/ou de flux de prestations entre partenaires, parfois avec l’implication de tiers. Selon la forme qu’il prend, un PPP se rapproche d’une délégation ou d’une privatisation des tâches93. La question de savoir dans quelle mesure les deux modèles susmentionnés sont soumis au droit des marchés publics est complexe et controversée. On peut néanmoins, en simplifiant quelque peu, retenir ce qui suit. La collaboration peut prendre différentes formes. Du point de vue du droit des marchés publics, il existe deux grands modèles89, qui se distinguent essentiellement par leurs modalités de constitution: PPP contractuels: ici, le PPP se fonde sur un contrat. Il s’agit d’un contrat synallagmatique entre une entité adjudicatrice publique et une entreprise privée, en vertu duquel la seconde s’engage à fournir des prestations de construction, des biens ou des services destinés à permettre, à faciliter ou à améliorer l’accomplissement des tâches incombant à la première90. PPP institutionnels: ici, collectivité publique et privés fondent, ensemble, une société d’économie mixte91. Les PPP les plus répandus sont les PPP de bâtiment ou d’infrastructure: dans un acte juridique axé sur le long terme, les privés prennent en 82 Dans ce sens, voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, p. 79; arrêt du TA-SZ 817/06 du 29.08.2006, consid. 4.4 et 4.5, cité d’après Beyeler, Tischmacherhof, N. 43 ss; Esseiva, p. 137. 83 Dans ce sens, voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, p. 79; arrêt du TA-SZ 817/06 du 29.08.2006, consid. 4.4 et 4.5, cité d’après Beyeler, Tischmacherhof, N. 43 ss; Esseiva, p. 137. 84 Arrêt du TA-SZ 817/06 du 29.08.2006, consid. 4.4 et 4.5, cité d’après Beyeler, Tischmacherhof, N. 1 ss. 85 Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, p. 78. 86 Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, n.b.p. 33, p. 79. 87 Voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 16, p. 78. 88 Voir Beyeler, Tischmacherhof, N. 41 et, pour plus de détails, Bolz/Ehrensperger/Oetterli, pp. 13 ss. 89 Schneider Heusi/Jost, p. 27; à propos des différents modèles en général, voir Bolz/Ehrensperger/Oetterli, pp. 23 ss. 90 Beyeler, Geltungsbereich, N. 105. 91 Beyeler, Geltungsbereich, N. 107; Schneider Heusi/Jost, p. 29. 92 Beyeler, Tischmacherhof, N. 42. 93 Schneider Heusi/Jost, p. 27. 4.3Traitement des partenariats public-privé dans le droit des marchés publics 19 T&E Dans le cas d’un PPP contractuel, la collectivité publique doit rechercher et sélectionner son partenaire dans le cadre d’une procédure conforme au droit des marchés publics. Dans un tel partenariat, en effet, le privé fournit, contre rémunération, des prestations en faveur de l’État, de sorte que l’on a bien affaire, au fond, à un marché public94. La constitution par contrat d’un PPP de bâtiment ou d’infrastructure est dès lors assujettie au droit des marchés publics et doit faire l’objet d’un appel d’offres95. Ainsi a-t-on par exemple lancé, dans le cas du PPP constitué pour la réalisation et l’exploitation du centre administratif Neumatt à Berthoud, dans le canton de Berne (immeubles destinés à accueillir le Tribunal régional, les autorités cantonales, la police, la prison régionale et d’autres fonctions), une procédure sélective (adaptée) consistant en une procédure de préqualification suivie d’un concours à trois degrés portant sur les études et la réalisation96. Dans le cas d’un PPP institutionnel, la doctrine tend à retenir que, dans la mesure où il ne reçoit aucune rémunération, le partenaire privé de la collectivité publique ne doit pas obligatoirement être sélectionné dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence, quoiqu’une procédure «analogue» soit parfois exigée97. Il en va autrement lorsqu’un tel montage vise manifestement à contourner le droit des marchés publics98. Une fois que le PPP est constitué et qu’une société privée ou d’économie mixte a été créée, la question se pose de savoir si ladite société est, elle-même, assujettie au droit des marchés publics et si elle doit passer ses marchés conformément aux règles correspondantes. Cette question doit être examinée à l’aune des critères applicables au champ d’application subjectif du droit des marchés publics (voir supra point 3.1)99. On notera par ailleurs que la jurisprudence suisse retient le principe de l’unicité de l’appel d’offres, qui veut que, si la constitution d’un PPP contractuel ou la recherche d’un investisseur ont fait l’objet d’une procédure d’appel d’offres, le parte20 naire privé ainsi sélectionné peut adjuger les marchés subséquents sans tenir compte des règles des marchés publics100. 5.Comment assurer la qualité des projets dans les procédures de mise en concurrence? Soulevée par le Positionnement des villes CH, qui a commandé le présent avis de droit, une autre question est de savoir comment les pouvoirs publics peuvent, dans le cadre des procédures d’adjudication conformes au droit des marchés publics, influer sur la qualité des constructions. Il convient tout d’abord de préciser que, dans les cas où la qualité architecturale des projets représente un enjeu majeur, l’organisation d’un concours d’architecture s’impose. Une telle démarche n’est nullement incompatible avec le droit des marchés publics: selon le § 9 al. 1 let. j DEMP, qui a été repris dans la plupart des lois cantonales sur les marchés publics, l’adjudicateur peut attribuer le marché au lauréat d’un concours de projet ou portant sur les études et la réalisation, pour autant que ledit concours se soit conformé aux principes du droit des marchés publics. Hormis l’organisation de concours, la collectivité publique pourra s’efforcer d’assurer la qualité architecturale des projets: en attribuant séparément, d’abord, un mandat d’architecte (mandat d’étude) soumis à certaines exigences qualitatives et, dans un deuxième temps seulement, le mandat portant sur la réalisation de l’ouvrage, au lieu de lancer un appel d’offres portant à la fois sur les études et la réalisation; en définissant le niveau qualitatif attendu dans le cahier des charges, qui constitue la pièce maîtresse du dossier d’appel d’offres; VLP-ASPAN no 4/12 en édictant des critères d’aptitude auxquels les soumissionnaires devront montrer qu’ils répondent en présentant leurs références dans le domaine concerné (p. ex.: «expérience des bâtiments s’inscrivant dans une situation urbanistique sensible»); en faisant de la qualité architecturale un critère d’adjudication à part entière et en le pondérant adéquatement (p. ex. 30-40%). Cette option me semble toutefois difficile à mettre en pratique, dans la mesure où elle pose la question de savoir comment l’évaluation du critère en question devrait se faire pour être conforme au droit des marchés publics (impression subjective? transparence? comparabilité?) et quel type de pièces justificatives – probablement à nouveau des projets de référence – les soumissionnaires devraient remettre. Au final, cette solution revient pratiquement à organiser un concours soumis à l’évaluation d’un jury, mais sans que la procédure soit réglée de façon claire et transparente. Un tel critère d’adjudication me paraît en tout cas très délicat du point de vue du droit des marchés publics. 6.Marche à suivre en cas de doute Comme nous l’avons vu, le champ d’application personnel et matériel du droit des marchés publics se révèle, sous certains aspects, controversé ou mal défini. Le consultant est régulièrement confronté à la question de savoir si telle ou telle institution ou organisation entrenenant un lien avec l’État, ou si tel ou tel marché, y sont assujettis. Or les réponses sont, par la force des choses, souvent vagues, étant donné qu’il n’existe, en Suisse, aucune jurisprudence relative à certains aspects essentiels de la problématique, et que l’on ne peut dès lors s’appuyer que sur des avis de doctrine (souvent divergents de surcroît). Aussi l’insécurité juridique peut-elle, dans la pratique, se révéler importante, tant pour le pouvoir adjudicateur que pour les soumissionnaires. De fait, toute entité adjudicatrice encourt un certain risque dès qu’elle n’a pas affaire à un cas d’assujetissement clair et net. De manière générale, il est recommandé, en cas de doute, d’adjuger le marché en question conformément aux règles des marchés publics – ce qui promet la plus grande sécurité juridique. Comme cela ne se révèle toutefois souvent pas satisfaisant dans la pratique, il est recommandé, en cas de doute, de prendre les mesures suivantes, afin d’évaluer et de minimiser les risques: Note interne: l’entité adjudicatrice fera bien de préparer avec soin les bases qui permettront de décider d’opter ou non pour une procédure d’adjudication conforme au droit des marchés publics (quels sont les arguments qui plaident en faveur ou en défaveur de la démarche retenue? quel est le cadre juridique applicable? où se situent les risques juridiques, économiques, politiques et autres?). Une telle note interne peut aussi se révéler utile pour justifier les décisions prises en cas de questions ultérieures. Principe des quatre yeux et consolidation de la légitimité de la décision: si les incertitudes sont élevées et/ou que la transaction concernée revêt une grande portée politique, économique ou urbanistique, il est recommandé 94 Voir arrêt du TA-SZ III 2007 10 du 06.03.2007, cité d’après Beyeler, Tischmacherhof, N. 5; Schneider Heusi/Jost, pp. 36 s. 95 Voir arrêt du TA-SZ 817/06 du 29.08.2006, cité d’après Bey���� eler, Tischmacherhof, N. 2. 96 À ce propos, voir Association PPP Suisse, Guide pratique, pp. 120 ss. 97 Voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 107, p. 128; Schneider Heusi/Jost, p. 30. 98 Voir Beyeler, Geltungsbereich, N. 107, p. 128. 99 Schneider Heusi/Jost, p. 30. 100 Beyeler, Geltungsbereich, N. 50, p. 100; Schneider Heusi/Jost, p. 33; arrêt du TA-SZ 817/06 du 29.08.2006, consid. 4.4 et 4.5 ainsi qu’arrêt du TA-SZ III 2007 10 du 06.03.2007, tous deux cités d’après Beyeler, Tischmacherhof, N. 1 ss; Scherler/ Schneider Heusi, p. 225. 21 T&E de s’en tenir au principe des quatre yeux en consultant le supérieur direct, voire – pour accroître la légitimité de la décision relative à la démarche retenue – de faire remonter ladite décision au niveau hiérarchique supérieur ou à celui du décideur politique (même si l’administration est, formellement, compétente). Consultation du service juridique ou commande d’un avis de droit externe: dans le cas d’une transaction complexe, importante ou délicate, il convient de consulter le service juridique interne et, le cas échéant, de commander un avis de droit externe. Les expertises externes peuvent aussi se révéler utiles lorsqu’il s’agit de clarifier, sur le principe, des situations récurrentes, et elles apparaissent pratiquement indispensables dans le cas de projets en PPP. Définition de processus standardisés, dans le sens d’une assurance qualité: comme nous l’avons vu, les transactions immobilières «pures» ne sont pas soumises au droit des marchés publics. Malgré tout, une collectivité publique qui est la recherche de terrains peut toujours faire jouer la concurrence – pour autant bien sûr qu’elle ne soit pas tributaire d’un bien-fonds déterminé. Cela vaut aussi pour la prise à bail ou l’acquisition de bâtiments non spécifiques (bureaux et autres). Comme de telles transactions s’effectuent en dehors de toute procédure d’adjudication, il peut valoir la peine de définir, pour la recherche et le choix de biens immobiliers, une marche à suivre standardisée (p. ex. sous la forme d’un manuel immobilier ou d’une politique d’acquisition). Consultation des associations professionnelles dans le cadre des transactions immobilières stratégiques ou importantes pour l’espace public, ou lors de la définition de standards pour l’acquisition de biens immobiliers. 22 7.Réponses aux questions 1.Qu’est-ce qui est, de manière générale, soumis au droit des marchés publics? Le droit des marchés publics définit les règles que l’État doit appliquer lorsqu’il commande, sur le marché libre, des fournitures (biens mobiliers), des services ou des travaux de construction. Les dispositions en question régissent la recherche et la sélection d’un prestataire qualifié et économiquement avantageux. Sont assujetties, à des conditions chaque fois spécifiques, toutes les entités adjudicatrices qui, soit font partie des administrations fédérale, cantonales ou communales, soit présentent, indépendamment de leur forme juridique, un lien avec l’État, sont actives dans certains secteurs, sont en majeure partie subventionnées ou remplissent, à tout le moins, des tâches publiques. 2.Quels éléments de patrimoine, projets de construction et transactions immobilières tombent-ils dans le champ d’application du droit des marchés publics? Plus précisément: a.Quelles sont les entités adjudicatrices assujetties? Tombent dans le champ d’application subjectif du droit des marchés publics, dans le contexte qui nous intéresse, les cantons, les communes et les unités administratives décentralisées (préfectures, etc.), mais aussi les entreprises publiques ou privées qui sont actives dans certains secteurs (infrastructures) ou sont au bénéfice de droits exclusifs et spéciaux. Sont par ailleurs assujetties les «collectivités de droit public» au sens de l’AIMP, c’est-à-dire les entités adjudicatrices revêtant n’importe quelle forme juridique, mais dotées d’une personnalité juridique propre, qui sont placées sous le contrôle de l’État et accomplissent des tâches d’intérêt général. Enfin, doivent aussi passer leurs marchés conformément aux règles des marchés publics les institutions et organisations qui, sans être placées sous le contrôle de l’État, sont néanmoins chargées de tâches canto- VLP-ASPAN no 4/12 nales ou communales, ainsi que les privés, dans la mesure ou le marché en question est subventionné à plus de 50% par les pouvoirs publics. Les entités adjudicatrices susmentionnées ne sont cependant pas assujetties si elles exercent une activité commerciale déjà soumise à une concurrence efficace. b.Est-il vrai que les constructions faisant partie du patrimoine financier d’une collectivité publique ne sont pas assujetties au droit des marchés publics? À mon avis, c’est exact. Les activités que les cantons et les communes déploient dans le domaine de leur patrimoine financier ne sauraient, pour des raisons inhérentes au système, être assujetties aux règles des marchés publics. En effet, les objets faisant partie du patrimoine financier des collectivités publiques sont soumis à des objectifs de rendement (investissements immobiliers) et ne servent pas directement à l’accomplissement de tâches publiques. Les collectivités publiques doivent donc ici pouvoir agir dans les mêmes conditions que les privés, c’est-à-dire sans être entravées par le droit des marchés publics. c.L’acquisition, par la collectivité publique, d’un bien-fonds non bâti, d’un bien-fonds grevé d’une clause d’entrepreneur ou d’un bien-fonds assorti d’un projet de construction autorisé ou d’un bâtiment déjà achevé, est-elle soumise au droit des marchés publics? En principe, non. Les marchés qui ont pour objet l’acquisition ou la prise à bail – quelles qu’en soient les modalités financières – de biens-fonds, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles, ou qui concernent des droits sur ces biens, ne tombent pas sous le coup des règles des marchés publics. Selon l’avis défendu ici, cela doit aussi s’appliquer, à certaines conditions, à l’achat d’un bâtiment sur plans (achat d’une chose future). Cette exception ne vaut cependant que sous réserve de l’interdiction d’un contournement du droit. Si le privé fournit, en même temps que la collectivité publique acquiert l’immeuble, d’autres services y afférents ou qu’il y exécute des travaux, la transaction doit faire l’objet d’un examen éco- nomique global. Il est notamment délicat de combiner l’achat d’un bien-fonds avec l’adjudication directe, imposée par une clause d’entrepreneur, de travaux de construction au vendeur. Une telle pratique n’est admissible que dans les – rares – cas où la collectivité publique se révèle, du fait de la fonction du bâtiment projeté, tributaire du site en question. Est en revanche admissible l’exécution, dans le cadre de la transaction immobilière, de prestations ou travaux de construction mineurs. d.Le droit des marchés publics s’applique-t-il aux marchés de construction liés aux bâtiments ou infrastructures conçus, réalisés et, le cas échéant, exploités dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) ou dans des conditions similaires? En général, oui, dans la mesure où il s’agit de la réalisation et/ou de l’exploitation de bâtiments ou d’infrastructures. La problématique des PPP est complexe. L’entrelacs contractuel et les flux de prestations qu’implique un PPP entre une collectivité publique et des privés doivent être soumis à un examen économique au cas par cas, tant sous l’angle de leur assujettissement au droit des marchés publics que sous celui d’un éventuel contournement des règles correspondantes. En général, les PPP contractuels impliquant un échange synallagmatique rémunéré de prestations, doivent faire l’objet d’une procédure de mise en concurrence. 3.Les pouvoirs publics peuvent-ils contourner les règles des marchés publics en concluant des contrats de bail à long terme («louer au lieu d’acheter»)? En principe, la prise à bail d’immeubles n’est pas soumise au droit des marchés publics et elle ne représente pas non plus, en soi, un contournement des règles correspondantes. Ce n’est qu’à partir du moment où le bailleur fournit, en faveur de la collectivité publique locataire, des biens, des services ou des prestations de construction supplémentaires, qu’on peut avoir affaire à un tel contournement. Indépendamment de cela, le droit des marchés publics n’impose à la collecti23 T&E vité publique aucune politique immobilière particulière. Le fait que les pouvoirs publics achètent ou louent à long terme les bâtiments dont ils ont besoin, ne revêt aucune importance de ce point de vue. 4.Comment les pouvoirs publics peuvent-ils influer, dans le cadre des procédures d’adjudication conformes au droit des marchés publics, sur la qualité des constructions? Le meilleur moyen d’assurer la qualité architecturale des ouvrages à construire consiste à organiser un concours d’architecture. Le marché peut ensuite être directement adjugé au lauréat, pour autant que le concours se soit conformé aux principes du droit des marchés publics. Un autre moyen consiste à sélectionner les soumissionnaires en conséquence, en édictant certains critères d’aptitude ou en faisant de la qualité un critère d’ajudication à part entière. L’entité adjudicatrice pourra par ailleurs faire en sorte que la qualité architecturale revête, dans le cahier des charges, l’importance qui lui revient. 5.Comment une collectivité publique doit-elle procéder lorsqu’elle a des doutes quant à l’application du droit des marchés publics, et comment peut-elle se prémunir dans les situations où règne un certain flou? 24 En cas de doute, le plus sûr est d’opter pour une procédure d’adjudication conforme au droit des marchés publics. Si l’entité adjudicatrice y renonce, elle fera bien de mettre à plat les raisons qui l’ont poussée à faire ce choix. La décision prise doit être soigneusement documentée et doit pouvoir être justifiée, eu égard au cadre juridique applicable, par des arguments objectivement défendables. Dans les cas sujets à caution, il vaut la peine de consulter le service juridique interne et/ou de commander un avis de droit externe, et de faire valider la décision au niveau politique. Christoph Jäger, Dr. iur., avocat, Berne VLP-ASPAN no 4/12 Références bibliographiques Association PPP Suisse (éd.), Guide pratique PPP Suisse Bâtiment, Retour d’expérience du PPP Neumatt Berthoud, Zurich 2011 (cit. Association PPP Suisse, Guide pratique) Association suisse des professionnels de l’immobilier – SVIT (éd.) – Maklerrecht in der Immobilienwirtschaft, Zurich 2005, pp. 251-262 (cit. SVIT) Beyeler Martin, Der objektive Geltungsbereich des Vergaberechts. Gedanken zum Begriff des öffentlichen Auftrags, in: Zufferey Jean-Baptiste/Stöckli Hubert (éd.), Aktuelles Vergaberecht 2008, Zurich 2008 (cit. Beyeler, Geltungsbereich) Beyeler Martin, PPP auf dem Tischmacherhof: Grundsatzfragen und Vergaberecht. Anmerkungen zu Urteil 2C_116/2007 vom 10. Oktober 2007, in: Jusletter 7 janvier 2008 (cit. 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