Transport et instabilités dans les plasmas électronégatifs à basse

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Transport et instabilités dans les plasmas électronégatifs à basse
Transport et instabilités dans les plasmas
électronégatifs à basse pression
Pascal Chabert
Laboratoire de Physique et Technologie des Plasmas,
CNRS-Ecole Polytechnique,
91128 Palaiseau
1. Introduction
Les plasmas radiofréquence dans les gaz halogénés à basse pression (quelques
Pascal de SF6, C4F8, HBr, Cl2 etc.) sont devenus incontournables pour la gravure de
motifs sub-microniques dans les industries de hautes technologies comme la
microélectronique ou l’optoélectronique. L’affinité électronique des halogènes étant très
élevée, ces plasmas contiennent une fraction importante d’ions négatifs, créés par
attachement des électrons. Les processus d’attachement peuvent être directs, par
exemple
e + SF6 → SF6−
mais ils sont le plus souvent dissociatifs,
e + SF6 → SF5− + F
e + SF6 → F− + SF5
Les ions négatifs sont confinés par la structure du potentiel électrique, imposée par les
électrons, et ils sont nécessairement détruits dans le volume du plasma. Les deux
processus majoritaires de destruction sont la recombinaison avec les ions positifs, et le
détachement par collision avec un état excité métastable ou un radical réactif. Les
sections efficaces de photodétachement et de détachement par collision avec un électron
sont faibles, de sorte que ces processus sont souvent négligeables pour les plasmas de
gravure et de dépôt. Les réacteurs de gravure fonctionnent à basse pression et à forte
densité ionique (typiquement 1011 cm-3) si bien que la cinétique des ions négatifs
(dissociation, recombinaison etc.) peut jouer un rôle dans les mécanismes réactionnels
qui contrôlent la cinétique des radicaux.
La présence des ions négatifs modifie fortement l’équilibre et la dynamique du plasma
car la charge négative n’est plus uniquement portée par les électrons. Ainsi, le
découpage habituel entre charge négative à mobilité infinie et charge positive à mobilité
très faible, ne fonctionne plus. Nous allons voir que la structure électrique du plasma et le
critère de Bohm doivent être modifiés, ce qui affecte par ricochet les théories de sonde.
Nous présenterons un diagnostic des ions négatifs par sonde, issu des recherches sur le
critère de Bohm modifié. La dynamique peut également être modifiée, pour les mêmes
raisons. Nous montrerons deux exemples d’instabilités qui sont dues à la présence d’ions
négatifs. La première est une instabilité de transport, liée à la formation des gaines. La
seconde est une instabilité à la transition entre modes capacitifs E et inductifs H (les
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réacteurs rf fonctionnent dans plusieurs modes de couplage de la puissance) qui se
manifeste par des oscillations de relaxation entre les modes E et H, voire par de
l’intermittence et du chaos.
2. Techniques de mesure de la fraction d’ions négatifs
Plusieurs types de diagnostics ont été utilisés pour détecter les ions négatifs. Le plus
célèbre d'entre eux est sans doute le Photo-Détachement Induit par Laser (PDIL). Cette
technique consiste à irradier avec un laser UV un volume de plasma dans lequel se
trouvent des ions négatifs. Les photons ayant une énergie supérieure à l'énergie
d'attachement de l'électron excédentaire provoquent ainsi son détachement. Il suffit alors
de positionner une sonde électrostatique à proximité pour enregistrer l’impulsion de
courant due aux électrons détachés permettant de déduire la concentration d'ions
négatifs. Cette technique, très étudiée [1-4], est toujours largement utilisée, même si elle
nécessite un équipement assez lourd et onéreux (Laser UV). Récemment, des
chercheurs ont montré que l'on pouvait utiliser l'absorption (multi-passage d'un laser)
pour mesurer la concentration de l'ion H- dans un plasma d'hydrogène [5]. Il s’agit cette
fois de compter le nombre de photons absorbés lors de l'interaction du faisceau laser
avec l'ion négatif, au lieu de compter le nombre d'électrons détachés (PDIL). La sonde
électrostatique, qui peut être gênante lorsque l'on utilise des plasmas polymérisants, n'est
plus nécessaire. Cependant, comme l'absorption n'est pas résonnante (i.e. non
monochromatique), il faut s'assurer qu'aucune autre espèce n'absorbe à la longueur
d'onde choisie. Cette technique est donc difficilement applicable dans un gaz moléculaire,
comme SF6, qui contient des espèces possédant un très grand nombre de raies
d’absorption. De plus, la mesure n'est pas ponctuelle, mais intégrée sur toute la longueur
d'interaction faisceau-plasma.
La spectrométrie de masse est une technique complémentaire qui permet d'identifier
(par sa masse) l'ion négatif que l'on mesure. Cependant, cette technique ne possède pas
de résolution spatiale et nécessite également un équipement lourd. De plus, comme les
ions négatifs sont piégés dans le puits de potentiel imposé par les électrons, leur
extraction est quasiment impossible en régime continu. Les plasmas pulsés ont donc été
utilisés pour contourner cette difficulté [6-7]. On peut noter au passage que le
confinement des ions négatifs augmente leur durée de vie dans le plasma et conduit à la
formation de macro-particules ou de poudres (par oligomérisation) qui sont à l'origine de
pollutions observées lors du dépôt ou de la gravure de couches minces [6,8].
Les diagnostics électriques peuvent aussi être utilisés pour mesurer la fraction d'ions
négatifs α=n-/ne. St-Onge et al. [9] ont déterminé α dans un plasma de SF6, en mesurant
la vitesse acoustique ionique. Cette technique doit néanmoins s’accompagner de
mesures de sonde de Langmuir pour déterminer la température électronique.
Enfin, Boyd et Thomson (1959) [10], et plus tard Braithwaite et Allen (1988) [11], ont
démontré que le rapport des courants de saturation collectés par une sonde de Langmuir
était fonction de la fraction d'ions négatifs α : ils ont suggéré que la caractéristique de la
sonde pouvait donner directement α. Cette technique comporte deux problèmes majeurs.
Le premier est d’ordre expérimental. Il est en fait impossible de collecter les courants de
saturation électronique et ionique avec la même sonde. Le courant de saturation
électronique doit être mesuré avec une très petite sonde, polarisée au potentiel plasma,
pour minimiser les perturbations. Ceci exclut a priori les sondes planes de grande
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dimension qui sont en revanche les mieux adaptées à la mesure du courant de saturation
ionique. Malgré ces difficultés, Nikitin et al. [12] ont comparé les résultats donnés par la
caractéristique d’une même sonde, en plasma d’hydrogène, à ceux obtenus par PDIL. Ils
ont conclu que les deux techniques sont en assez bon accord si α est supérieur à 1. Le
deuxième problème est d'ordre théorique. Le flux d'ions positifs collectés par une sonde
plane dépend de la fraction d’ions négatifs présents dans le plasma. Il faut donc modifier
le critère de Bohm classiquement utilisé pour les plasmas électropositifs. Nous allons
longuement discuter ce point dans ce qui suit.
3. Critère de Bohm en plasma électronégatif : Théories de
Braithwaite et Allen
Ce paragraphe est consacré au calcul du flux d’ions positifs atteignant une surface
plane et à la définition des conditions de formation de la gaine de charge d’espace
positive, dans le cas d’une décharge électronégative non collisionnelle. Il est clair que
cette surface peut aussi bien représenter une sonde que les parois délimitant la
décharge. Nous allons donc établir le critère général de formation de la gaine devant une
surface. La théorie non collisionnelle est justifiée dans les plasmas à basse pression et à
haute densité (ce qui est le cas des plasmas de gravure). Dans un premier temps, nous
allons développer le calcul de Braithwaite et Allen 1988 (voir aussi Boyd et Thomson en
1959). Les hypothèses fondamentales sont :
1) Les électrons et les ions négatifs sont en équilibre avec le potentiel (leur inertie est
négligée). Leur densité est définie par l’équation de Boltzmann.
2) Les ions positifs ont une vitesse dirigée et une température négligeable (fluide froid).
3) La gaine est non collisionnelle.
4) On se place dans le cadre de l'approximation plasma (stricte neutralité électrique du
plasma excepté dans la gaine).
Le critère de formation d’une gaine non collisionnelle peut s’écrire sous la forme
générale obtenue par Riemann [13] :
eTe
m+
∞
∫ u ² f (u) du ≤ T
1
e
0
d(n e + n − )
f=0
df
(1)
Dans cette équation, Te est la température des électrons exprimée en Volts, ne leur
densité, n- la densité des ions négatifs, m+ la masse des ions positifs et f le potentiel. Le
membre de gauche concerne la distribution des vitesses des ions positifs et on considère
f = 0 à la lisière de la gaine. Le potentiel est représenté sur le schéma suivant pour un
plasma électropositif non collisionnel :
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φ
φ = φp
gaine
0
plasma
x
prégaine
Il est très important, pour la compréhension de ce qui suit, de garder en tête l’existence
de la région appelée prégaine sur le schéma ci-dessus. La chute de potentiel dans la
prégaine accélère les ions positifs qui pourront ainsi atteindre la vitesse nécessaire à la
formation de la gaine (la vitesse de Bohm). Nous allons voir que le flux d’ions positifs à la
surface et cette chute de potentiel sont intimement liés, et que la présence d’ions négatifs
change ces deux paramètres. La discussion repose donc en grande partie sur le profil de
potentiel dans cette région.
Les densités dans le corps du plasma sont notées ne0, n-0 et n+0 ; les densités en x = 0,
point appelé lisière de gaine, sont notées nes, n-s et n+s. Les hypothèses 1) et 4) donnent
alors :
eφ
γeφ 
eφ
 eφ
n +s  kTe
kTe
kTe 
kT−
(2)
n e + n − = n es e + n −s e
=
e + αse 
1 + α s 



n
T
avec α s = −s et γ = e , us est la vitesse à la lisière de la gaine, et les ions positifs
n es
T−
ont, par hypothèse, une vitesse dirigée. La fonction de distribution des vitesses pour les
ions positifs, à la lisière de gaine s'écrit donc :
f (u ) = n +s δ(u − u s )
(3)
En substituant (2) et (3) dans (1), on obtient une condition pour us qui définit la nouvelle
vitesse de Bohm, uB, pour les plasmas électronégatifs :
us ≥ u B=
kTe 1 +α s
1 +α s
= cs
m + 1 + γα s
1 + γα s
(4)
où cS est la vitesse de Bohm en l’absence d’ions négatifs, elle est également appelée
vitesse acoustique ionique. uB est la vitesse minimale requise des ions positifs pour
former la gaine. Elle est, par définition, atteinte à la lisière de la gaine (en x = 0 sur le
dessin). Elle nous permet de calculer la chute de potentiel, normalisée à Te, qui existe
dans la prégaine ; c’est à dire entre le centre du plasma (f = fp) et la lisière de gaine
(f = 0). Pour cela, appliquons le théorème de l'énergie cinétique aux ions positifs entre le
centre du plasma (vitesse nulle) et la lisière de gaine (vitesse = uB). Cela est
raisonnable puisqu’ils sont considérés froids et qu'ils ont une vitesse dirigée (hypothèse
2) :
1
m + u 2B = eφ p
2
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ce qui donne la relation suivante :
eφp
1 + αs
=
kTe 2(1 + γαs )
(5)
Dans le cas où αs = 0, on retrouve la formule du critère de Bohm classique pour les
décharges électropositives :
eφp 1
=
kTe 2
A ce stade, il est important de se rappeler que αs représente la fraction d’ions négatifs à
la lisière de la gaine. Au centre (dans le corps du plasma), cette fraction α0 est supérieure
du fait de la chute de potentiel dans la prégaine (équation 5) qui va repousser une partie
des particules négatives vers le centre du plasma. L’équilibre de Boltzmann (hypothèse
1) impose :
n es = n e0e
−
eφp
kTe
et
n −s = n − 0 e
−
eφp
(6)
kT−
Ce qui donne :
 eφp (1−γ ) 
α s = α 0 exp

 kTe 
(7)
Les courbes représentant le potentiel normalisé dans la prégaine (équation 5) et la
fraction d'ions négatifs à la lisière de gaine αs en fonction de la fraction d'ions négatifs au
centre du plasma α0 (équation 7) sont très intéressantes. Elles permettent de différencier
trois régimes d'équilibre d'une décharge électronégative selon la valeur de α0.
Nous les avons représentées sur les figures 1 et 2 où les trois domaines que nous
allons discuter sont repérés. Les courbes ont été tracées pour γ = 15, ce qui est l’ordre de
grandeur de ce que nous obtenons dans les plasmas basse pression.
0,5
Te / T- = 15
branche électronique
e φp / k Te
0,4
0,3
0,2
branche instable
branche ionique
0,1
0,0
0
1
2
3
4
5
a0
6
7
8
9
10
Figure 1 : Potentiel normalisé à la lisière de la gaine en fonction de la fraction d’ions
négatifs au centre.
Pascal Chabert
130
101
100
Te / T- = 15
domaine 2
-1
as
domaine 1
10
10-2
domaine 3
10-3
-4
10
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
a0
Figure 2 : fraction d’ions négatifs à la lisière de la gaine en fonction de la fraction d’ions
négatifs au centre
1) Domaine 1 : α0 est petit
Tant que α0 (au centre) est faible, la chute de potentiel dans la prégaine reste imposée
par les électrons. De ce fait, les ions négatifs, qui ont une température très inférieure à
celle des électrons, ne peuvent pas pénétrer dans la prégaine. On obtient donc :αs → 0,
et on retrouve les formules classiques des décharges électropositives pour le potentiel
dans la prégaine et la vitesse de Bohm :
eφp 1
kTe
et
quand αs → 0
=
cs =
kTe 2
m+
Le flux d’ions positifs à la surface de la sonde (ou des parois du réacteur) n’est pas
modifié par la présence des ions négatifs confinés au centre. Les densités à la lisière de
la gaine s’écrivent :
n es = n +0 = 0.6 n e 0
n −s = 0
La décharge est donc « stratifiée » : le centre est électronégatif et les bords du plasma
sont électropositifs.
2) Domaine 3 : α0 est grand
Lorsque α0 est grand, la chute de potentiel dans la prégaine diminue fortement car les
électrons ne sont plus assez nombreux pour imposer le potentiel. l'équation 5 devient :
eφ p
eφ p 1
1
ce qui donne
et
≈ ²
≈
kT− 2
kTe 2γ
u B ≈ cs
1
γ
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131
Le potentiel est maintenant imposé par les ions négatifs. Ce résultat n’est pas
surprenant puisque les hypothèses de la théorie considèrent indifféremment les deux
populations de charges négatives. Le potentiel est donc imposé par la température des
charges négatives majoritaires (densité la plus importante). On obtient les densités à la
lisière de gaine en fonction des densités au centre avec les équations 6 et 7 et la
neutralité :
 (1−γ ) 
α s = α 0 exp
n es ≈ n e0
 ≈ 0.6α 0
 2γ 
0.6α 0 + 1
n −s ≈ 0.6n −0
n +0
α0 + 1
Cette fois, la décharge est « uniforme », en ce sens que les ions négatifs remplissent
tout le volume, excepté la gaine de charge d’espace positive, et que le potentiel est
pratiquement constant dans tout le plasma.
n +s ≈
3) Domaine 2 : α0 de transition
Entre ces deux limites, il existe un régime intermédiaire (que nous appellerons régime
α moyen) qui n’a pas été décrit par Boyd et Thomson, et pour lequel la solution
mathématique donnant le potentiel est triple (voir figure 1). Ce domaine est extrêmement
intéressant, car il existe deux solutions stables pour l’équilibre de la décharge. Une
manière de qualifier ces deux solutions est de les considérer comme la continuité des
domaines 1 et 3. Autrement dit, nous appelons la solution qui a le potentiel le plus élevé
"la branche électronique", et au contraire, celle qui possède le potentiel le plus bas "la
branche ionique" (ions négatifs). Ces deux branches sont notées sur la figure 1. Notons
au passage que la solution intermédiaire (également notée sur la figure 1) n’est pas
stable. Le plasma a donc le choix entre deux états d’équilibre : La branche électronique et
la branche ionique. Il faut de plus insister sur le fait que les flux d’ions positifs associés à
ces deux branches sont différents. La question est donc : quelle est la solution adéquate
pour décrire la réalité physique ?
Braithwaite et Allen ont suggéré que le plasma se porterait toujours au potentiel
minimum, c’est à dire qu’il y aurait un saut de potentiel à la frontière des domaines 1 et 2.
Cette hypothèse entraîne une discontinuité du flux d'ions positifs à la surface (voir le
paragraphe suivant) qui paraît peu probable. Sheridan et al. ont alors proposé un modèle
permettant de mieux décrire le régime α moyen, dont la conclusion majeure est qu’il n’y a
pas de discontinuité dans le flux d’ions positifs [14].
Enfin, avant de poursuivre, notons que l'étendue du régime α moyen dépend du
rapport des températures γ = Te / T-. En particulier, il n’existe pas si γ < 10 (i.e. il n’y a pas
de région à solution double pour le potentiel dans ce cas). Les mesures publiées
récemment [15,16], montrent que les ions négatifs sont assez chauds dans les décharges
de haute densité, classiquement 10 < γ < 20. Cela signifie que le régime α moyen
correspond à des valeurs de α0 telles que : 1,5 < α0 < 5 (voir figure 1). Or, la majorité
des nouveaux réacteurs de gravure fonctionnent avec des gaz très électronégatifs (CF4,
SF6 etc..) à des pressions de l’ordre de 1 à 10 mTorr : conditions où typiquement
1 < α0 < 10. le régime α moyen n’a donc rien « d’exotique » et concerne la plupart des
plasmas de gravure en microélectronique.
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4. Double gaine et instabilités de transport
La difficulté inhérente à tout calcul établissant le critère d’existence de la gaine, tient
dans l’hypothèse de la neutralité. Conceptuellement, la décharge est séparée en deux
régions distinctes : le corps du plasma, où la stricte neutralité est respectée, et la gaine
de charge d’espace positive, où par essence, elle ne l’est pas. La transition entre les deux
n’est pas très bien décrite par les théories considérant l’approximation plasma, i.e. la
stricte neutralité. En fait, dans ce cas, la résolution de l’équation de poisson couplée à
l’exigence de stricte neutralité donne un champ électrique infini à la lisière de gaine.
Autrement dit, lorsque la vitesse de Bohm est atteinte (pour les ions positifs), la nécessité
de former la gaine est incompatible avec la neutralité et le champ E devient infini. C’est
d’ailleurs à ce point qu’est définie la lisière de gaine, où l’on calcule le flux d’ions positifs
et le potentiel. En plasma électropositif, il n’y a pas de problème car à ce point, le
potentiel et le flux d’ions positifs sont définis de façon unique. En revanche, comme nous
l’avons vu, lorsque le calcul est effectué en ajoutant des ions négatifs en équilibre de
Boltzmann (Théorie de Braithwaite et Allen), le potentiel et le flux d’ions associé
possèdent deux solutions stables.
Le modèle de Sheridan et al. est assez similaire à la théorie de Braithwaite et Allen,
reprenant ses trois premières hypothèses. La différence majeure consiste à abandonner
l'approximation plasma, c’est à dire à ne plus considérer la stricte neutralité. La transition
entre le centre du plasma, qui est effectivement une zone de neutralité, et la gaine de
charge d’espace positive, est ainsi mieux décrite. Voici la liste des hypothèses de ce
nouveau modèle :
1) Les électrons et les ions négatifs sont en équilibre avec le potentiel. Leur densité est
définie par l’équation de Boltzmann.
2) Les ions positifs ont une vitesse dirigée et une température négligeable (fluides).
3) La gaine est non collisionnelle.
4) L'approximation plasma est abandonnée : on considère le facteur de quasi-neutralité
q dans le plasma (q sera défini plus loin).
5) On utilise une géométrie plane (au lieu de sphérique).
Nous considérons une décharge contenant des ions positifs, possédant une vitesse
dirigée v+ et une masse m+, des ions négatifs de masse nulle, de densité n- et de
température T- et des électrons de masse nulle, de densité ne et de température Te. Les
particules négatives sont en en équilibre de Boltzmann. Les ions positifs sont créés à un
taux proportionnel à la densité électronique, et ils sont accélérés vers la surface par un
potentiel que nous calculons de manière auto-cohérente. Nous utilisons en premier lieu
les équations fluides de continuité du flux et de conservation de la quantité de
mouvement des ions positifs (en régime stationnaire) obtenues par Godyak et
Sternberg [17]:
∂ (n +v + )
= n iz n e
∂x
∂ 

m + ν + v +
v + = eν + E − m + ν iz ν ev +
 ∂x 
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E définit le champ électrique et niz la fréquence d’ionisation. Le deuxième terme du
membre de droite est une correction qui prend en compte la perte de quantité de
mouvement due aux ions créés au bord de la décharge [17]. La densité électronique et
celle des ions négatifs sont définies par l’équation de Boltzmann :
n e = n e0e
−
eφ
kTe
et
n − = n −0 e
−
eφ
kT−
Enfin, le potentiel est calculé de manière auto-cohérente par l’équation de Poisson :
e0
∂φ
∂E
= e(n + − n e − n − ) avec E = −
∂x
∂x
Ces équations sont résolues en considérant des variables sans dimension [18]. Le
système est normalisé comme suit :
• Le potentiel est normalisé par la température électronique Te, et les densités sont
normalisées à la densité électronique au centre ne0 :
eφ
n
~
n e = e −η ~
η=
n+ = +
kTe
n e0
− γη
~
n =α e
−
0
• La vitesse des ions positifs est normalisée à cs, et la distance est normalisée à la
longueur d’ionisation Λiz. On a :
kTe
c
et
cs =
Λ iz = s
m+
ν iz
• Enfin, le facteur de non neutralité q est défini comme suit :
λ
q = De
Λ iz
λDe est la longueur de Debye électronique. On voit que la neutralité électrique est
respectée (q = 0) si la longueur d’ionisation est infinie par rapport à la longueur de Debye
(i.e. les gaines de charge d’espace sont de dimension négligeable). La résolution est
analytique dans le cas où q = 0 et numérique pour la non-neutralité.
Cas où q = 0
Les résultats sont très similaires à ceux de Braithwaite et Allen : on identifie les
domaines 1 et 3 pour lesquels la chute de potentiel dans la prégaine est imposée
respectivement, par les électrons lorsque α est petit, et par les ions négatifs lorsque α
est grand. La zone de transition à solution double pour le potentiel (domaine 2) est
également mise en évidence. Notre modèle avec approximation plasma n'apporte donc
rien de plus, mais il est en accord avec la théorie précédente dans les domaines 1 et 3.
Cas où q > 0
Le problème est résolu en fixant les conditions initiales plutôt que les conditions aux
limites. Le centre du plasma est en x = 0 et la gaine se forme en x = L. On impose alors :
E(0) = 0, f(0) = 0, v+(0) = 0
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134
L’équation de stricte neutralité est remplacée par la condition suivante :
β02 (β0 − 1 − α 0 ) = 2q 2 où β0 =
n +0
n e0
qui est déduite de la résolution analytique des équations en x = 0 (pour plus de détail, voir
[14]). Nous fixons le rapport des températures γ et la fraction d’ions négatifs α0 au centre,
et nous résolvons le système d’équations dans le sens des x croissants. Nous obtenons
donc les profils de densité et de potentiel, le flux d’ions positifs à la surface (normalisé à
ne0cs) et le potentiel à la lisière de gaine (normalisé à Te). Comme dans le cas de
l’approximation plasma, le cas q > 0 donne les mêmes résultats que la théorie de
Braithwaite et Allen dans les domaine 1 et 3. En revanche, on obtient des solutions
différentes dans le régime α moyen.
Les densités et le potentiel présentent des oscillations spatiales à l’approche de la
gaine. En d’autres termes, la transition entre le plasma et la gaine (i.e. la prégaine) est
une région oscillatoire. On peut expliquer cette situation de la manière suivante : pour
former la gaine de charge d’espace, il faut deux conditions : premièrement, la neutralité
doit être violée et deuxièmement le flux d’ions positifs doit dépasser la valeur minimum
imposée par le critère de Bohm. Dans le régime α moyen, il se trouve que la neutralité
est violée avant de former la gaine définitive, et qu’il se forme une première zone de
charge d’espace positive que l’on appèle « double gaine » (en anglais double layer).
Cependant, cette première tentative de formation de la gaine échoue car le flux d’ions
positifs n’a pas dépassé la valeur limite définie par le critère de Bohm modifié. Cette
double gaine est alors suivie de quelques oscillations spatiales de densité et de potentiel,
avant que le flux d’ions ait atteint la valeur requise et que la gaine se forme enfin. Nous
allons revenir plus tard sur cette double gaine et ces oscillations.
Le résultat important pour nous à ce stade est que dans le régime α moyen, malgré les
oscillations mentionnées, le flux d'ions positifs est défini de façon unique pour chaque α
et sa valeur est indépendante du facteur q choisi.
Ce modèle montre que la solution correcte n'est pas celle qui minimise le potentiel (saut
au premier point triple trouvé avec l'approximation plasma), mais celle qui présente le
plus grand flux d'ions positifs. Il n'y a donc pas de discontinuité du flux d'ions positifs
lorsque α augmente. La figure 3 compare les résultats obtenus par la théorie de
Braithwaite et Allen référencée BA et la théorie de Sheridan et al. référencée SCB. La
figure du haut représente le potentiel normalisé à Te à la lisière de la gaine en fonction de
α0 , et celle du bas le flux d’ions positifs correspondant Γs normalisé à ne0cs.
Pour comprendre ces courbes, il faut reprendre la notion de branche ionique et branche
électronique de la figure 1. Sur la courbe du bas, la première droite (de pente faible)
décrit le flux d’ions positifs normalisé associé à la branche électronique pour le domaine
0 < α0 < 6. De la même façon, la deuxième droite (de pente forte) décrit le flux d’ions
positifs normalisé associé à la branche ionique pour le domaine 2,5 < α0 < 10. Les
pointillés signifient que les solutions sont instables. Les losanges et les cercles
représentent les résultats calculés par notre modèle. Cependant, les cercles représentent
les points pour lesquels nous avons observé la formation de la double gaine et les
oscillations spatiales de densité. Ainsi, la différence entre les résultats de la théorie de
Braithwaite et Allen et ceux de notre modèle concerne uniquement la zone définie par les
cercles. Le saut au premier point triple, référencé BA sur la figure 3a, entraîne le saut sur
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135
la branche ionique pour α0 = 2.5, et donc une discontinuité du flux (la figure 3b montre
que les flux ne sont pas égaux pour α0 = 2.5). En revanche, le saut au point référencé
SCB, décrit le changement de branche sans discontinuité (au point ou les deux droites de
la figure 3b se croisent). Il faut noter que la différence ne concerne pas toute la zone à
solution triple, mais seulement celle où le flux d’ions associé à la branche électronique
excède celui de la branche ionique. La solution correcte est donc celle qui maximise le
flux d’ions positifs.
Figure 3 : flux d’ions positifs et potentiel normalisés calculés par notre modèle à la lisière
de la gaine en fonction de la fraction d’ions négatifs au centre. BA fait référence à la théorie
de Braithwaite et Allen et SCB à celle de Sheridan et al. Sur la figure 3b, les cercles
représentent les points où se forme la double gaine.
Revenons maintenant aux oscillations obtenues par notre modèle fluide. On peut se
demander qu’elle en est la signification physique. En particulier, ont-elles un lien avec les
observations concernant les régimes instables [16,19] ? Le modèle fluide ne permet pas
de conclure. Cependant, un élément de réponse est donné par une théorie cinétique
élaborée par Sheridan et al. [20] pour décrire le même phénomène physique. Le flux
136
Pascal Chabert
donné par la théorie cinétique est le même que celui obtenu par le modèle fluide, et la
double gaine est caractérisée pour les mêmes conditions. Cependant, le résultat
marquant est que dans le régime de la double gaine les oscillations de densité
n’apparaissent pas. Il semble donc qu’elles soient une particularité du modèle fluide et
que leur réalité physique est improbable. Il n’est cependant pas exclu que le régime α
moyen entraîne des instabilités.
Enfin, concluons ce paragraphe par une remarque importante : comme la plupart des
théories non collisionnelles proposées actuellement, le modèle fluide et la théorie
cinétique [20] traitent différemment les ions positifs et les ions négatifs. Les premiers sont
considérés massifs et froids (fluides) et les seconds sans masse et de température non
nulle. De ce point de vue, les ions négatifs sont en équilibre de Boltzmann (comme les
électrons) et leur inertie n'est donc pas prise en compte.
La confrontation de ces théories avec une simulation PIC, considérant de la même
façon les ions positifs et négatifs est donc extrêmement intéressante. Cette simulation a
été développée par Chabert et Sheridan [21]. elle a montré que le régime moyen existe
bel et bien, et qu’il s’accompagne de la formation d’une double gaine. Cette double gaine
semble stable. Pour finir, Franklin [22] et Kono [23] ont également traité ce problème avec
des résultats similaires.
5. Techniques à deux sondes pour mesurer α = n- / ne
La fraction d’ions négatifs peut en principe se mesurer par sonde. Le problème
théorique ayant été assez largement discuté, nous allons maintenant aborder les
difficultés expérimentales. Ce paragraphe décrit dans le détail une technique à deux
sondes permettant de mesurer α , qui s’appuie sur les résultats du modèle fluide de
Sheridan et al. [14]. Cette technique de mesure est décrite dans [24]. Deux techniques
sont en fait possibles : exploiter le rapport des courants de saturation comme l’ont fait
Nikitin et al. [12] mais à partir d’une même caractéristique de sonde, ou mesurer la
différence entre le potentiel plasma et le potentiel flottant. Les calculs analytiques ainsi
que la procédure expérimentale de ces deux méthodes sont détaillés dans ce qui suit.
Elles ont été testées et comparées, et les difficultés liées à chacune d’entre elles seront
soulignées par la suite. Nous utilisons toujours le flux d'ions positifs normalisé calculé par
le modèle : Γs (α ) ne 0 c s . Il est représenté en fonction de α sur la figure 4 pour
différentes valeurs de γ.
Sur cette figure, on s’aperçoit immédiatement que le rapport des températures γ
influence très fortement l’évolution du flux d’ions positifs en fonction de la fraction d’ions
négatifs α. Cette remarque souligne d’emblée la difficulté de déduire α des mesures de
sonde : il faut connaître la température des ions négatifs et des électrons.
Transport et instabilités dans les plasmas électronégatifs à basse pression
137
Figure 4 : flux d’ions positifs normalisé calculé par notre modèle fluide à la lisière de la
gaine en fonction de la fraction d’ions négatifs au centre.
Du point de vue théorique, le rapport des courants de saturation (électronique et
ionique) collectés par une sonde plane est une fonction de α. Le courant de saturation
ionique est proportionnel au flux d’ions positifs Γs que nous avons calculé, et le courant
de saturation électronique est égal au courant thermique obtenu au potentiel plasma. On
a donc :
+
(8)
Isαt
= e A1 Γs (α )
1
(9)
I Vp = e A 2 (− n e 0 v The − n −0 v Th − + n +0 v Th + )
4
vThe, vTh+ et vTh- sont les différentes vitesses thermiques des particules chargées, A1 et
A2 les surfaces de collection des sondes. Le courant thermique I(Vp) est dominé par le
courant électronique tant que α < 100. On peut donc négliger le courant ionique (ions
positifs et négatifs) dans la formule 9, et le rapport des courants,
( )
R=
( ) = f (α ) ,
+
I Vp
I sαt
s'écrit donc :
R=
1  A2 


4  A1  eff
8m + n e 0cs
π m e Γs (α )
(10)
Pascal Chabert
138
Dans cette formule, nous avons pris soin de faire apparaître l’inverse du flux d’ions
positifs normalisé, calculé par notre modèle et représenté figure 4. Nous rappelons que cs
est la vitesse de Bohm en l’absence d’ions négatifs :
cs =
kTe
m+
et
A 
Rsurf =  2 
 A1  eff
est le rapport des surfaces de collection effectives des sondes. Nous allons maintenant
préciser en quoi il diffère du rapport des surfaces des sondes. En résumé, la formule (10)
permet de déduire simplement α de la mesure du rapport des courants, si on connaît le
rapport des surfaces de collection et le flux d’ions positifs normalisé.
Cette méthode apparemment très simple est en réalité difficilement applicable si l'on
utilise la caractéristique d'une seule sonde. En effet, pour obtenir la saturation du courant
ionique (des ions positifs ; équation 8), on doit utiliser une sonde plane dont les
dimensions sont très supérieures à l'épaisseur de la gaine, limitant ainsi les effets de
bord. Par contre, une telle sonde ne peut pas être utilisée pour la branche électronique
car le courant collecté est beaucoup trop important. La mesure du courant thermique au
potentiel plasma, I(Vp), impose l'utilisation d'une sonde très petite, donc peu perturbatrice,
pour limiter la perturbation locale du potentiel. La surface de collection au potentiel
plasma étant réellement la surface de la sonde, puisqu'il n'y a pas de gaine, sa géométrie
importe peu. Pour ces raisons, il convient d’utiliser une technique à deux sondes. La
première est une sonde plane de grande dimension (6 mm de diamètre), avec un anneau
de garde (13 mm de diamètre) polarisé au même potentiel. Ces deux éléments sont
séparés par une fine couche isolante. Elle est utilisée pour enregistrer le courant de
saturation ionique. La deuxième est une petite sonde cylindrique (diamètre 200 µm,
longueur 3 mm), avec laquelle sont enregistrées des caractéristiques I(V) permettant de
déduire Vp, Vf et Te, et bien sûr I(Vp).
Ces deux sondes ont évidemment des surfaces très différentes. Or, pour utiliser la
technique du rapport des courants, l'équation 10 montre que l'on doit connaître le rapport
des surfaces de collection effectives des deux sondes. Ce problème n'est pas trivial pour
deux raisons :
Le champ magnétique existant dans certains plasmas affecte la trajectoire des
électrons car leur rayon de Larmor est très petit (quelques millimètres). Par conséquent,
l'anisotropie induite par le champ magnétique change l'aire effective de collection des
sondes.
Les plasmas réactifs entraînent parfois le dépôt de couches isolantes sur les sondes,
ce qui change également l'efficacité de collection. En particulier, le courant électronique
est connu pour être très sensible à la pollution des sondes.
Pour éliminer ces deux difficultés, Chabert et al. ont proposé l'utilisation d'un plasma
d'argon pour mesurer in-situ le rapport effectif des aires de collection des deux sondes
[24]. La procédure consiste à mesurer le rapport des courants de saturation avec l'argon
pour chaque condition expérimentale (pression, puissance, position). L'avantage de
l'argon réside dans le fait que le rapport des courants est indépendant des conditions. En
utilisant l’équation 10 pour α = 0 et avec m+ = 40 u.m.a., on obtient :
Rarg on = 217 Rsurf
Transport et instabilités dans les plasmas électronégatifs à basse pression
139
Le rapport des aires effectives ainsi obtenu est alors utilisé dans le cas de SF6. Cette
mesure nous a permis, en premier lieu, de constater que les sondes n'étaient pas
polluées par un dépôt, puisque le courant enregistré avec l'argon (après chaque
expérience effectuée en SF6) n'évoluait pas. Concernant l'influence du champ
magnétique, cette technique de normalisation n'est valable que si le rayon de Larmor est
le même pour un plasma de SF6 et pour un plasma d'argon. Ceci n’est pas réellement le
cas puisque la température électronique peut être sensiblement différente pour les deux
plasmas. Néanmoins, cette hypothèse reste raisonnable car le rayon de Larmor varie
faiblement avec (pour être précis comme la racine carrée de) la température
électronique.
La définition du potentiel flottant permet également de déduire α. Lorsqu'un objet
plongé dans un plasma est au potentiel flottant, cela signifie que le courant total est nul :
le courant des particules négatives qui le traverse égale le courant des particules
positives. Le courant des particules négatives se résume au courant électronique (les
ions négatifs n’atteignent pas la sonde car Vf < Vp). Il est obtenu par l’équation de
Boltzmann. Le courant ionique est défini par le flux d’ions positifs qui est une fonction de
α. En écrivant simplement l’égalité des flux, on obtient l’égalité :
Γs (α ) =
 e ∆V 
1

n e0 v The exp  −
4
 k Te 
avec
∆V = Vp − Vf
Dans cette équation, nous ne prenons pas en compte les fluctuations rf des potentiels
qui ne devraient pas jouer un grand rôle dans les plasmas inductifs et hélicons, mais qui
sont importantes dans les plasmas capacitifs. Une fois de plus nous faisons apparaître le
flux d’ions positifs normalisé calculé par notre modèle et nous obtenons la différence de
potentiel ∆V , donnée par :
 Γ
e ∆V 1  m + 
 − ln s
= ln


k Te 2  2 π m e 
 n e0 cs




(11)
Le premier terme du membre de droite est classiquement utilisé dans les plasmas
électropositifs, alors que le deuxième terme est une correction due aux ions négatifs.
Dans un plasma de SF6, des mesures de spectrométrie de masse [25] ont montré que
l'ion positif majoritaire est SF3+ (masse 89) lorsque la pression est supérieure à 1 mTorr.
Par conséquent, l'équation 11 peut se mettre sous une forme plus condensée avec la
température électronique exprimée en eV :

∆V
1  Γs (α )  

ln
= Te 1 −


5.1
 5.1  n e0 cs  
(12)
La mesure de ∆V = Vp − Vf peut donc être utilisée pour déduire α. La formule 12
sera particulièrement utile pour identifier les régions riches en ions négatifs. En effet, il
suffit de comparer les valeurs de ∆V / 5.1 et de Te qui sont égales en l’absence d’ions
négatifs [24].
Pascal Chabert
140
6. Instabilités dans les décharges inductives
Dans ce qui précède nous avons longuement discuté de l’impact des ions négatifs sur
le transport des ions et donc sur les théories de formation des gaines de charge
d’espace. Concluons cet article en montrant qu’ils affectent également la dynamique du
plasma, notamment la dynamique des transitions de mode dans les plasmas rf.
Les décharges inductives sont excitées par application d’une tension radiofréquence
sur une bobine, qui couple de la puissance au plasma par le champ électrique induit. La
tension sur cette bobine étant de quelque kV, une partie de la puissance est également
déposée via un courant capacitif entre la bobine et les parois du réacteur reliées à la
masse. En augmentant la puissance, la décharge passe du mode capacitif (E) au mode
inductif (H) : apparaissent des transitions E-H qui s’accompagnent souvent de
phénomènes d’hystérésis. Pour augmenter la densité d’ions positifs dans le plasma, et
donc la vitesse de gravure, on rajoute parfois un champ magnétique statique de
confinement qui permet d’exciter des ondes (ondes hélicons). On observe alors une
seconde transition de type H-W (W pour wave). Une décharge inductive magnétisée peut
donc fonctionner dans trois modes différents (E, H et W) et elle est soumise à deux
transitions de mode : E-H et H-W.
La présence de gaz halogénés modifie fortement la dynamique des transitions. En effet
leur forte électronégativité (les électrons s’attachent facilement sur ces molécules) induit
une proportion importante d’ions négatifs dans la décharge. Les transitions de modes de
la décharge deviennent alors instables [26-29]. Se posent alors des problèmes majeurs
de contrôle de stabilité permettant l’utilisation de ces décharges pour des applications de
gravure rapide ou de gravure de matériaux durs. La figure 5 montre la région instable
dans l’espace paramétrique pression/puissance. A faible puissance, le plasma est dans
un mode capacitif stable, alors qu’à forte puissance, le plasma est dans un mode inductif
stable. Au milieu, le plasma oscille entre les deux modes.
Inductive (H)
puissance effective(W)
300
200
Instabilités
100
Capacitive (E)
0
0
10
20
30
Pression (mTorr)
Figure 5 : Fenêtre d’instabilité dans une décharge inductive en CF4
Un modèle simplifié a été développé pour décrire ces instabilités. Pour un courant fixe,
la chaîne causale des mécanismes peut être décrite comme suit : (i) la densité
Transport et instabilités dans les plasmas électronégatifs à basse pression
141
d’électrons ne augmente très rapidement et la décharge atteint un quasi-équilibre dans le
mode inductif ; la densité d'ions négatifs n-, qui augmente très lentement, reste faible, (ii)
n- devient suffisante pour entraîner une perte du quasi-équilibre, (iii) les électrons sont
perdus rapidement et la décharge transite vers le mode capacitif, (iv) la production d'ions
négatifs, proportionnelle à ne est stoppée et leur densité décroît lentement jusqu’à ce que
la décharge puisse revenir dans le mode inductif. Sur la base de ce modèle
phénoménologique, les équations de conservation des particules et de l'énergie sont
intégrées pour obtenir la dynamique du système. Les résultats du modèle confirment
l'existence d'oscillations de relaxation et donnent qualitativement les mêmes résultats que
l'expérience. Dans certains régimes (au voisinage des zones stables capacitives et
inductives) l’instabilité présente un caractère chaotique, comme le montre la trajectoire
suivante (figure 6) qui « hésite » entre deux cycles limites d’oscillation.
n- (1010 cm-3)
10
1
0.01
0.1
10
1
-3
ne (10 cm )
Figure 6 : Trajectoire dans l’espace des phases montrant un cas de chaos au voisinage de
la zone stable capacitive.
7. Conclusion
Les plasmas de gaz électronégatifs ont une importance considérable dans les
micro/nano-technologies. Nous avons vu que la présence d’ions négatifs pose des
problèmes fondamentaux de physique des plasmas : (i) la structure électrique de la
décharge (et par suite le transport des particules chargées) est profondément modifiée,
(ii) la stabilité (et donc la reproductibilité des procédés) est affectée. Ce domaine de
recherche, par nature assez fondamental mais en amont d’un vaste champ applicatif,
reste extrêmement actif et attractif.
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