rosemont de profil
Transcription
rosemont de profil
Raymond Bock rosemont de profil le quartanier j’ai vu Julien nu durant deux ans. J’ai vu des tas de gens nus dans ma vie, en majorité des hommes. Rien de plus normal. La nudité devient banale quand tout le monde accepte de se défaire de sa pudeur dix minutes : des messieurs pressés de rentrer chez eux après la saucette, des vieillards tellement déformés que plus rien ne peut les gêner, des jeunes de tous les formats. Il y a même eu cet habitué, peut-être un peu plus vieux que nos parents, qui ne ratait jamais un bain libre, et qui un soir n’avait pas même été mal à l’aise de son début d’érection, probablement causé par les jets d’eau chaude plus que par l’instinct de prédation. Pas le genre de bonhomme pour lequel on fait venir les policiers. D’ailleurs, au lieu d’aller le dénoncer aux sauveteurs en paniquant, on l’avait ridiculisé et on lui avait montré notre cul. Entre nous, c’était sans conséquence de se voir, de se montrer. 7 On était plusieurs à prendre notre douche à poil après l’entraînement. Il y avait bien deux ou trois prudes pour le faire en costume de bain, et ceux-là étaient nos cibles favorites ; ils en avaient une petite, on le savait, même s’ils faisaient tous les efforts pour qu’on ne la voie jamais. Quelques gars ne prenaient même pas la peine de se laver à la piscine et partaient chez eux chlorés, tout piquants, les cheveux pleins de nœuds, desséchés comme de la corde de poche. Ça ne changeait rien qu’on se lave ou non, notre odeur de javel ne disparaissait jamais totalement. Dans le vestiaire, les complexés s’essuyaient tout le corps sauf les parties, nouaient leur serviette autour de la taille, se contorsionnaient pour enlever leur speedo qui collait, mouillé, trop serré, et quand ils réussissaient enfin, ils remontaient leurs bobettes sous la serviette avant de la dénouer. D’autres qui ne maîtrisaient pas cette technique enfilaient un chandail – et ceux-là portaient toujours de très longs chandails – avant d’enlever leur costume de bain. De toute manière, on avait dix ou onze ans, on en avait tous une petite, sauf un ou deux qui commençaient à avoir du poil aux couilles et à puer des dessous-de-bras. La majorité était sousdéveloppée. C’était comme ça par chez nous. Julien et moi, on s’en foutait. La douche chaude était une récompense dont on profitait sans retenue après avoir trempé une heure et demie dans l’eau 8 gelée de la piscine Rosemont. Durant le bain libre qui succédait à l’entraînement du club, on restait nus sous les jets parfois si longtemps que le public revenait du bassin au vestiaire avant qu’on se décide à partir. Ça dégénérait en batailles de serviettes, en prises de l’ours, le petit Sébastien avait les tétines vert et mauve tellement on le martyrisait en les lui pinçant pour le faire siffler. Je dois à Julien mes seuls points de suture à vie. J’avais esquivé la bouteille de shampoing qu’il m’avait lancée : au même moment, la porte d’une toilette s’était ouverte contre mon arcade sourcilière. Les sauveteurs patrouillaient dans le vestiaire en nous pressant de partir, mais on était des rois, de fiers membres du club, l’identité même de la piscine Rosemont, qui nous appartenait, et pas aux roteux du bain libre. On n’écoutait rien. Les sauveteurs nous haïssaient. Dans les douches, on oubliait les tabous, nos fonctions corporelles étaient un jeu. Quand l’un était distrait par une conversation, on lui pissait sur les pieds. Une fois, Martin avait chié sur un des drains, et je dis bien sur, parce que son boudin était trop gros pour traverser la grille. Sa spécialité, c’était « la bombe » : il pissait en pinçant son prépuce calotté, qui se remplissait jusqu’à ce que ça devienne une énorme boule luisante, un gland disproportionné. Puis il s’approchait et nous lâchait ça dessus. 9