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KILLER JOE
du 17 Octobre au
1er Novembre 2012
Réalisateur
Auteur
Image
Musique
Interprètes
2012 - n°58
William Friedkin
Tracy Letts
Caleb Deschanel
Tyler Bates
Matthew McConaughey
Emile Hirsch
Juno Temple
Thomas Haden Church
Gina Gershon
Marc Macaulay
2010 - 102’ - VO s.-t. fr. - couleurs
hris, 22 ans, petit dealer, doit absolument trouver 6’000 US$ s’il veut sauver sa peau. Son seul espoir, l’assurance-vie de sa craC
pule de mère. Il convainc son père d’engager Killer Joe, flic de jour et tueur à gages la nuit…
La chevauchée du Diable au fond du Texas
Antéchrist emblématique du «Nouvel Hollywood», William Friedkin n’est pas du genre à avoir froid aux yeux. La scène d’ouverture de
son dernier long-métrage,Killer Joe, en est une preuve éloquente. Sous un ciel d’orage, Chris, un jeune dealer (Emile Hirsch), frappe
à la porte de son père, Ansel, qui ne répond pas. Sharla, sa belle-mère (Gina Gershon), lui ouvre enfin. En très petite tenue, elle exhibe
sans la moindre gêne sa toison pubienne, laissant le pauvre Chris nez à nez avec l’origine du monde - ou du moins ce qui, dans cette
ville paumée du Texas, y ressemble.
Chris n’a guère le temps, de toute façon, de s’offusquer d’une telle apparition. D’autres menaces, autrement plus dérangeantes, se
font jour. Le jeune homme veille d’un oeil sur sa petite soeur, Dottie, qui n’a pas encore vu le loup, et surveille de l’autre sa mère, que le
démon de midi possède d’un peu trop près - n’en déplaise au nouvel amant de celle-ci, un certain Rex.
Pour ne rien arranger, Chris doit beaucoup d’argent à la mafia locale, qui s’en agace, si bien qu’il doit rapidement trouver une solution.
Celle-ci se présente sous les traits méphistophéliques de Killer Joe Cooper (Matthew McConaughey), un flic qui arrondit ses fins de
mois en tant que tueur à gages. Pistonné par Rex, qui s’y connaît en assurances-vie, Chris a appris que Dottie recevrait une petite
fortune si, par malheur, leur mère indigne venait à trépasser. Avec l’accord d’Ansel et Sharla, il charge Joe de mettre en oeuvre ce
funeste fantasme. Seul hic : comme tout tueur qui se respecte, Cooper réclame une avance. A cours, Chris et Ansel acceptent de lui
livrer, en guise de caution, la petite Dottie, aux charmes de laquelle le satyre n’est pas insensible.
Pacte faustien
Comme il était à prévoir, ce pacte va prestement déraper, jusqu’à l’éprouvant bain de sang final, durant lequel Joe exigera notamment que
Sharla, défigurée, prodigue une fellation sur un morceau de poulet frit – séquence qui ferait passer les flics orduriers d’Abel Ferrara pour
d’adorables poussinets. Regard de braise, accent redneck au couteau, mâchoire tombante, corps tordu de concupiscence satanique,
Matthew McConaughey trouve ici le rôle de sa vie. L’ex-jeune premier abonné aux comédies romantiques porte à incandescence son
infernale métamorphose, entamée avec Magic Mike, de Steven Soderbergh, et poursuivie, depuis, avec The Paperboy, de Lee
Daniels et Mud, de Jeff Nichols. D’une impétuosité fourbe et rentrée, il campe toutes les facettes de Lucifer, tour à tour tentateur,
accusateur, exterminateur et - plus encore - scrutateur.
«Your eyes hurt» : «Tes yeux font mal», lui souffle ainsi, par deux fois, Dottie (Juno Temple, excellente en proie désemparée). Le diable
se niche dans les détails, et les spectateurs les plus attentifs auront noté qu’une présence souterraine traverse tout le film : celle de
la télévision, qui diffuse scène après scène son flot d’inepties et d’atrocités. Avant de faire dire la messe à la tablée en lambeaux, Joe
ne manque pas de saccager, avec force fracas, l’écran familial. Manière de rappeler d’où, précisément, vient le fléau dont il n’est que
le modeste exécuteur.
Ce geste iconoclaste résume, pour ses contempteurs comme pour ses adorateurs, le cinéma de Friedkin. Les premiers ne voient, chez
le réalisateur de L’Exorciste, qu’ultraviolence gratuite et amorale, purgeant, avec un mépris ironique, une humanité réduite à ses plus
vils archétypes. Dans le calvaire enduré par les personnages féminins de Killer Joe, rattachés aux représentations les plus archaïques
de leur sexe (vierge, mère et prostituée), ceux-là trouveront, n’en doutons pas, matière à conforter leur dédain.
Les seconds, au contraire, saluent l’auteur de La Chasse comme un pape de la course-poursuite, un démiurge de l’adaptation littéraire,
un ange de l’ambiguïté. Tiré d’une pièce de Tracy Letts, Killer Joe et ses chassés-croisés pétaradants leur donnera le même type de
satisfaction qui convulse le Malin à l’approche de sa cible. Un plaisir mêlé d’effroi, qui tire sa légitimité d’un pari aussi problématique
qu’admirable lorsqu’il est, comme ici, tenu : pour exorciser le Mal, il ne suffit pas de dévisager le diable, il faut encore adopter son
regard et, après en avoir saisi les leurres, se crever les yeux.
Aureliano Tonet
Le Monde, 4 septembre 2012
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Salle associée de la
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