Vive le pétrole cher

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Vive le pétrole cher
SUPPLÉMENT À LIBÉRATION N° 7792• NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT• WWW.LIBERATION.FR
VIVE
LE
PETROLE
CHER!«
S A N D R I N E E X P I L LY
Pourquoi la hausse du baril est une chance pour bouger notre monde.
2 ÉDITORIAL
LIBERATION
Et si ce
baril hors
de prix
avait des
vertus?
L
a fin du pétrole n’est pas pour demain. Mais
la fin du pétrole bon marché est avérée. Le
baril à trois cents dollars n’est plus un
mythe. Experts, banquiers, militants,
militaires, planchent déjà sur ce futur
possible, pour ne pas dire proche.
La difficulté croissante à étancher la soif
planétaire en pétrole est chaque jour plus
évidente. Le Nord pompe à tour de bras depuis
près de cent cinquante ans, et le Sud aspire
logiquement à le rejoindre.
La consommation mondiale, les formidables
tensions géopolitiques, tirent le prix du baril vers
le haut dans une spirale infernale. Cette situation
provoque des raisonnements en noir et blanc. Les
optimistes parient que la technologie, l’argent
dégagé par un pétrole cher, doperont l’exploration
et la découverte de nouveaux gisements. Les
autres voient le compte à rebours déjà enclenché,
le monde consommant presque autant en vingt
ans qu’il ne l’a fait depuis la construction du
premier derrick: technologie ou pas, d’ici deux
décennies, peut-être même une seule, l’or noir
aura quasiment disparu. Et bien avant cela
la carte politique du monde risque d’être
profondément bouleversée, car les pays assoiffés
d’or noir n’assistent pas les bras ballants au
désastre annoncé.
Nous réagirons. Aujourd’hui? Demain? Une seule
certitude, ce sera sans doute tard, et notre inertie
risque fort de gripper les rouages d’une
mondialisation triomphante. Sans même parler
des autres conséquences de cette fringale d’or noir
–pollution, réchauffement du climat, montée des
océans– considérées en général comme quantité
négligeable. Qui se soucie des populations les plus
vulnérables, de celles qui, par centaines de
millions, seront les premières victimes d’un
pétrole toujours plus cher, qu’elles ne pourront
plus s’offrir? Qui, hormis les scientifiques,
économistes, anthropologues, écologues,
agronomes, physiciens de l’atmosphère et ONG,
s’inquiète de la facture des coûts externes
engendrés par une planète shootée au pétrole?
Pas les politiques. Pourtant, dès la conférence de
Stockholm en 1972, l’environnement s’est invité
dans les débats, et les Etats ont été confrontés à la
réalité de leur interdépendance planétaire.
Certes, en 1992, la conférence des Nations unies
sur l’environnement et le développement de Rio
de Janeiro a débouché sur nombre de conventions
d’importance majeure, sur le climat par exemple,
ou encore la biodiversité. Enfin, le sommet de
Johannesburg en 2002 a tenté de considérer le
développement social comme la clé de voûte du
développement durable. Mais tout cela avec les
résultats qu’on sait: trois fois rien. La prise de
conscience est réelle, mais les actes tardent. Et le
pétrole n’en finit pas de s’envoler sans autre
conséquence que de durcir la vie quotidienne.
Et si, pourtant, ce baril hors de prix avait des
vertus? Aujourd’hui, personne ou presque ne se
soucie de consommer mieux, c’est-à-dire de
consommer moins de ressources et surtout
d’énergie. En dépit d’un engouement sans
précédent, les énergies «propres», sans
hydrocarbures ni déchets à long terme, ne
1979
Révolution iranienne
Second choc pétrolier
pèseront au mieux que 2% de la consommation
mondiale en 2030. Même l’atome n’y pourra rien.
Pourtant, la Chine, l’Inde, l’Europe, n’en finissent
pas de planter des moulins à vent; le Brésil fait tout
pour sucrer ses moteurs et ceux du reste du
monde; et les adeptes du diesel à huile découvrent
des qualités à la friture.
Un pétrole cher, c’est l’assurance que les milliers
de projets, d’expériences du moins consommer,
ou du consommer autrement, ne seront plus de
simples gouttes d’eau réservées à quelques bobos.
La plupart des idées qui germent ici et là
n’attendent plus qu’un petit coup de pouce et
beaucoup de pédagogie: est-il normal que
l’Autriche affiche trois fois plus de chauffe-eau
solaires que la France? Est-il raisonnable
d’utiliser des hordes de camions quand le rail a
prouvé depuis longtemps son efficacité? Est-il
judicieux que les ingrédients d’un simple pot de
yaourt parcourent plusieurs milliers de
kilomètres avant d’atterrir sur nos tables? Est-il
légitime de dégrader les côtes chiliennes en
quelques années pour assouvir l’appétit de
saumon des Européens?
Le choc pétrolier dont nous vivons les prémices
exige des politiques ambitieuses, pour forcer les
uns, et accompagner les autres. Mais on ne les voit
se dessiner ni en France ni en Europe ni ailleurs.
La cure de désintoxication au pétrole aujourd’hui,
la panne sèche demain, seront d’autant plus
violentes que les responsables politiques auront
gardé leurs œillères. Pourtant, le développement
durable, trop souvent considéré à tort comme un
simple thème en vogue, ambitionne d’instaurer
un état universel de bien-être en «écologisant», en
humanisant l’économie. Chacun, politiques en
tête, récite sans se tromper la définition du
développement durable: «Un type de
développement qui permet de satisfaire les besoins
des générations présentes sans compromettre la
capacité des générations futures à répondre aux
leurs.»Mais voilà, chacun voit la durabilité à sa
porte. Si nous ne faisons rien, demain, le baril sera
à prix d’or quand le sevrage sera impossible et le
climat en surchauffe. Alors aujourd’hui, ce pétrole
déjà cher est l’occasion ou jamais de changer notre
monde. Vive le pétrole cher, donc!•
DENIS DELBECQ et VITTORIO DE FILIPPIS
1990
Guerre du Golfe
2003
Guerre d'Irak
56 56
ansans
d'évolution
dudu
prixprix
dud’évolution
pétrole
du
pétrole
moyen
du baril
de Brent
Prix Prix
moyen
du baril
de Brent
en dollars
depuis
en dollars
depuis
19701970.
1973
Guerre du Kippour
Premier choc pétrolier
11, rue Béranger 75154 Paris Cedex 03
Edité par la SARL Libération
PDG Serge July Directeur de la rédaction Antoine de Gaudemar Directeur général Louis Dreyfus Directeur du marketing direct Jean-René Aucouturier
VIVE LE PÉTROLE CHER ! Hors-série Sibylle Vincendon - Fabrice Drouzy Direction artistique Thierry Verret Edition Claudine Clément Photo Dan Torres - Isabelle Grattard Correction Nathalie Degardin Infographie Evelyne Masselier - Wag
Documentation Libération Prépresse Christophe Boulard Photogravure Libération Fabrication Graciela Rodriguez - Victor Filopon Promotion Gilles Lahrer Publicité Espace Libération 11, rue Béranger 75003 Paris Direction générale : Brigitte Bizalion
Impression CIPP (Saint-Denis) Commission paritaire CPPP: C80064 ISSN 0335-1793 CCP 2240185 Paris W.
Wag / Libération. Source : Insee
LUNDI 29 MAI 2006
Ouverture
grand public
16 juin (à partir de 14h)
et 17 juin
solaire
Pour les professionnels :
du 15 au 17 juin
éolien
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Porte de Versailles
hydraulique
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Il est temps de passer
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Document non contractuel. Crédit photos : ADEME, GEIE, Avenir Energie
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• Nouvelles dispositions gouvernementales :
crédit d’impôts.
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à effets de serre.
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l’électricité photovoltaïque.
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4
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Et si le baril était à
Même si l’économie mondiale reste étroitement liée à l’or noi
pour contourner un pétrole devenu produit de luxe. Energie
H A B I TAT
L’exemple
5
de Fribourg
A Trouville, les éboueurs
7
portent casaque
L’Alsace découvre
8
la filière bois
Rennes compacte
12
ses quartiers
..............................................................
..................................
........................................................
.................................................
DÉPLACEMENTS
Au Brésil, l’alcool
détrône l’essence 14
Le Japon carbure
à l’huile de friture 16
...................
...................
INDUSTRIE
La Suède se met à
la diète de pétrole 20
Chaîne alimentaire pour
usines danoises 22
............
.........................
KYOTO
Pollution mondiale:
24
où en est-on?
.......................................
Les vélos sont omniprésents.
Certains sont équipés de
charrettes, dans lesquelles on
dispose indifféremment
provisions et bébés.
5
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
150dollars
dès aujourd’hui les initiatives se multiplient
architecture, consommation, tout va bouger.
citadelle
écologique
Fribourg, la
Isolation, citernes d’eau de pluie,
panneaux solaires, le quartier
Vauban est conçu pour subvenir
à près de 70% de sa consommation
énergétique. Visite.
Fribourg-en-Brisgau envoyé spécial
e voici peut-être, le vert paradis. Fribourgen-Brisgau, 210000 habitants, dans le
Bade-Wurtemberg (au sud-ouest de
l’Allemagne), vit déjà dans un autre monde.
Celui du développement durable. Il y a là
une vraie conviction. Dans leur enclave
écologique, les électeurs votent Verts au
sein d’un Land majoritairement acquis à la conservatrice CDU. Fribourg figure en tête des villes de
plus de 100000 habitants pour les équipements
solaires photovoltaïques, avec 31,3 watts (W) par
tête. D’où son surnom de «cité solaire», ce qui n’est
pas rien vu le faible ensoleillement (1740 heures
par an contre 2700 en moyenne dans l’arc méditerranéen français). Du coup, élus et collectivités
débarquent de toute l’Europe à la recherche de
bonnes idées. Clou de la visite: le quartier Vauban,
une quarantaine d’hectares au sud du centre-ville,
l’un des premiers «écoquartiers» européens.
Jusqu’en 1992, le terrain était occupé, comme son
nom l’indique, par l’armée française, qui l’a cédé à
l’Etat fédéral allemand, lequel l’a revendu à la ville de
Fribourg. Au moins aussi ingénieuse que l’inventeur
des forteresses modernes, la ville a profité des qualités topographiques du lieu: l’endroit est totalement
plat et circonscrit par un cours d’eau, une voie ferrée
et un axe routier à grand passage. Le nouveau quar- Lancée en 1997, la construction du quartier Vauban doit s’achever cette année.
tier, dont les sols ont été dépollués, est un site idéal
pour une expérimentation grandeur nature.
des résidents, dont l’un entièrement recouvert modes de transport doux. Les vélos sont omnide panneaux photovoltaïques. Autre signe: sur présents. Ceux des parents sont équipés de
Collectif de chômeurs et d’immigrés
la seule voie pénétrante, la circulation est limi- charrettes, dans lesquelles ils disposent indifOn peut y pénétrer en voiture, mais on comprend vi- tée à 30 km/h. Une contre-allée réservée aux féremment provisions et bébés.
te que ce n’est pas la bonne idée. Aux abords de Vau- cyclistes et aux piétons ainsi que les voies du Nicola Weiss, 40ans, secrétaire à l’université de
ban, deux garages collectifs en silo sont à disposition tramway rappellent la priorité donnée aux Fribourg, habite le quartier depuis 1999. ● ● ●
L
6 HABITAT
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
ALLEMAGNE
garages collectifs, qui coûte presque 20000euros.»
Lancée en 1997, la construction du quartier Vauban
doit s’achever cette année. A terme, 5000habitants,
dont une majorité de familles avec enfants, pour la
plupart issues des classes moyennes ou supérieures.
Dans la partie est, les anciennes casernes ont été réhabilitées façon écolo par et pour les squatteurs qui
les occupaient avant la transformation. Regroupés
au sein d’un collectif baptisé Susi, étudiants, chômeurs et demandeurs d’asile y habitent selon un mode de vie communautaire et participatif. Partout
ailleurs, les bâtiments sont neufs. Autour de l’un des
nombreux espaces verts, des particuliers ont
construit des maisons en bande, hautes et étroites,
sur des parcelles de six mètres de large. Façades recouvertes de bois, couleurs vives, larges surfaces vitrées. Tout autour, le bâti est constitué d’immeubles
collectifs, sur cinq niveaux maximum.
250 km
P.-B.
Berlin
Fribourg
FRANCE
POL.
MER DU
NORD
RÉP.
TCH.
AUTR.
Toits végétalisés et balcons fleuris
A l’exception des immeubles de promoteurs, d’aspect
neutre, les constructions étonnent par le choix des
matériaux et des couleurs. Souvent, on accède aux
étages par des coursives extérieures. Les toits sont
plats et végétalisés, hérissés de panneaux solaires
thermiques et photovoltaïques. Les balcons sont
fleuris, les allées bordées d’arbres datant de la période militaire de Vauban. Les eaux de pluie sont évacuées dans des fossés filtrants ou collectées dans des
citernes de récupération, avant d’être utilisées pour
l’arrosage, le lavage du linge et les toilettes des écoles.
Techniquement, maisons et immeubles alignent des
records en matière d’économie d’énergie et répondent au label «Basse énergie», qui implique, à Fribourg, une consommation énergétique maximale
pour le chauffage de 65 kilowattheures (kWh) au
mètre carré par an, contre 200 ou 300 pour une
construction standard. Mieux encore, certaines ont
décroché le label «Maison passive» (PassivHaus,
norme allemande définissant une consommation
inférieure à 15kWh au mètre carré par an). L’architecte Michael Gies a obtenu le premier label PassivHaus avec son projet Wohnen und Arbeiten («Habitat et travail»). Sur quatre niveaux, l’ensemble est
divisé en seize unités d’habitation et quatre de travail, de 36 à 170m2. Grandes baies vitrées au sudpour
optimiser les apports solaires, ouvertures réduites
au nord afin d’éviter les déperditions. L’isolation extérieure est renforcée, les fenêtres sont à triple vitrage, les menuiseries à double joint et la ventilation à
double flux: pas besoin d’ouvrir la fenêtre pour aérer
en hiver. Les pièces sont lumineuses et dotées d’une
généreuse hauteur sous plafond.
«Dans mon immeuble, seules
deux personnes ont une
voiture. Pour les situations
où j’ai besoin d’un véhicule,
je suis inscrite à l’association
d’auto-partage.»
Nicola Weiss, habitante du quartier Vauban
«Facile de construire un igloo»
Dans cet univers
high-tech,
l’isolation est
renforcée,
les fenêtres sont
à triple vitrage,
les menuiseries
à double joint,
la ventilation
à double flux.
Elle s’intéresse «à l’écologie, au social»mais
ne s’estime pas «militante». Son mode de vie parle
pour elle: «Dans mon immeuble, seules deux personnes ont une voiture. Moi, je me déplace à bicyclette.
Pour les situations où j’ai besoin d’une voiture, je suis
inscrite à l’association d’auto-partage, qui dispose
d’une quinzaine de véhicules sur le quartier. Ça me
coûte 50euros par an, plus les kilomètres parcourus et
un forfait pour l’heure d’utilisation.»Nicola Weiss est
également membre de l’association Autofrei («Sans
●●●
voiture»), qui offre une alternative à l’obligation allemande d’acheter ou de construire une place de parking pour chaque logement neuf, contrainte assez
contradictoire avec l’esprit de Vauban. «Autofrei regroupe 428familles qui n’ont pas de voiture, explique
Hannes Lincke, son directeur. Chacune a versé
4000 euros avec lesquels nous avons acheté des terrains sur lesquels nous construirons des parkings si
nos partenaires s’équipent un jour d’une voiture. C’est
bien plus économique que d’acheter une place dans les
«Pour moi, explique Michael Gies, l’immeuble doit
non seulement satisfaire à un label énergétique, mais
être durable au sens propre du mot. Il faut qu’on puisse encore y habiter dans cinquante ans. C’est très facile de construire un igloo qui répondra à toutes les
normes de basse consommation, mais personne ne
voudra y vivre.» Sur le toit de Wohnen und Arbeiten,
56m2 de capteurs solaires thermiques et autant de
panneaux photovoltaïques. Au sous-sol, un cogénérateur produit électricité et chaleur. Du coup, l’immeuble n’est même pas relié à la centrale au bois de
la société locale Badenova, implantée en bordure du
quartier. En hiver, la chaleur humaine et celle des appareils ménagers suffisent presque à maintenir une
température idéale. «Une fois,raconte Michael Gies,
le cogénérateur est tombé en panne alors qu’on était en
dessous de zéro. Les habitants ont mis trois jours à
s’apercevoir qu’il n’y avait plus de chauffage.»Le surcoût pour les propriétaires est d’environ 7% par rapport à une construction standard, soit 2200euros le
mètre carré, dont 400 pour l’achat du terrain.
Officiellement, l’écoquartier Vauban est conçu pour
subvenir à près de 70% de sa consommation énergétique. C’est bien, mais il y a mieux. Le fin du fin, c’est
le lotissement solaire de l’architecte Rolf Disch. A
l’extrême est du quartier, il a conçu un immeuble et
des triplex en bande dont les toits, entièrement recouverts de panneaux photovoltaïques, produisent
davantage d’électricité que n’en consomment les habitants. Ça, c’est le label «Energie Plus». Un vrai rêve
écolo. Une réalité. •
THOMAS CALINON
reportage photos PASCAL BASTIEN
HABITAT 7
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Un cheval
qui a de la
bouteille
A Trouville, le ramassage
du verre a été confié à un solide
percheron. Une initiative
avant tout pédagogique.
Trouville envoyé spécial
e maire en a sa claque. Les journalistes ne
l’appellent que pour lui. Lui: 13 ans, robe
grise, costaud. Dans Trouville (Calvados),
on ne peut pas le rater. «Festival» est un
percheron qui fait presque de l’ombre à sa
ville. Tous les matins, il trimballe une carriole chargée de verre dans les rues de
Trouville. Il fallait l’imaginer: un cheval pour faire
la promo du tri sélectif. Pas n’importe quel cheval.
Une force de la nature, un sacré caractère. Ses
classes, il les a effectuées chez Eurodisney en tractant un tramway 1900. Il «tirait» trop à gauche. Et
le véhicule déraillait, avec les touristes dedans.
Cette résistance à l’impérialisme US lui a valu
d’être «réformé». Festival n’a coûté que
6900 euros, infiniment moins cher qu’un camion
benne. Il ne carbure pas au diesel, mais il a du mal à
marquer les priorités aux ronds-points. Le cheval
ne voit pas les feux. Mais il marche, paisible, à la
vitesse d’une benne au pas. Festival est un animal.
Il a donc des réactions un peu imprévisibles. Il a
peur des fanfares, des chariots élévateurs. En cinq
ans, il a causé seulement trois «accidents». Et encore. Une fois, il a sauté la rambarde de séparation des
voies, remplie de pots de fleurs, le long des quais.
Une autre, c’est un tuyau devant la caserne qui lui a
fait faire demi-tour: il a arraché un lampadaire.
Enfin, la troisième fois n’est pas de sa faute: un
journaliste du Pays d’Auge a fait un demi-tour en
queue de poisson. La carriole a bousillé son aile.
La carriole. Equipée de freins, roues pneumatiques.
Les employés municipaux, niveau galop7 d’attelage,
y empilent le verre. Il y a Christelle, Pascal et Sébastien. Pour faire cocher, ils tournent. Pour ramasser
aussi. C’est assez curieux de les voir, les bras chargés
de bouteilles. Du vin, du champagne et du cidre. Festival fait spécialement les restaurants. Il y en a plus
de soixante-dix à Trouville. Ce lundi matin, on sort
d’un week-end de Pâques. On compte alors jusqu’à
35000personnes, contre 5500habitants habituellement. Les passants, souvent hilares, ne manquent
pas une occasion de faire une blague sur le volume
«Cela marche dans les communes qui ne sont
pas trop rurales, ou qui sont fréquentées par
Christian Cardon, maire de Trouville
des urbains.»
récolté. Des clochards saluent la carriole. Et Pascal
commente, imperturbable, en regardant les bouteilles: «Ceux-là, ils auraient bien aimé en descendre
au moins une.»
Derrière l’attelage, les voitures déboîtent. Sans trop
de klaxons. A Trouville, la rue des Bains est la seule
problématique. Parfois, quand certains s’énervent
derrière, le cocher se venge: «On bouchonne exprès.»
Dans l’ensemble, on respecte le cheval: «Ils auraient
tendance à nous laisser la priorité», dit Pascal. Parfois,
les gens s’approchent, et leurs réactions sont étonnantes. Cette dame a carrément mis sa poussette
sous le ventre du cheval. «Comme si elle ne se rendait
pas compte qu’il était vrai»,dit Sébastien.
Festival n’a pas vraiment fait d’émules. Est-ce que
c’est par peur de l’accident que d’autres mairies hésitent? «Cela ennuie les services municipaux d’entretenir des chevaux. Ils pensent que c’est compliqué», dit le
secrétaire général. Festival a de l’arthrose. Depuis
qu’un ostéo s’en est aperçu, un cob normand alezan,
Lasso, le double. «Plus zen», dit Pascal, qui le conduit.
Le cheval, c’est aussi la peur –électorale– du crottin
sur l’asphalte. Avec le harnachement spécial dont il
dispose, cette denrée, récupérée, va servir d’engrais
pour les bacs à fleurs. Dans une autre commune pas
très éloignée, «ils arrêtent [l’opération] cheval à
chaque changement de maire», dit le conducteur.
Dans une grande ville du centre de la France, deux
ânes portaient les ballots qui ramassaient les feuilles,
mais ils ont abandonné eux aussi. L’employé municipal était souvent traité de «bourricot».
Festival n’a coûté
que 6900 euros,
infiniment moins
cher qu’un camion
benne.
Les restaurateurs jouent le jeu
Alors, Festival, c’est tout bénef? Il a incité les gens à
trier. Diminué le tonnage des ordures ménagères. Et
la commune fait des économies. Elle ne sait dire précisément combien. Selon le maire, Christian Cardon:
«Pour l’économie d’énergie, c’est marginal.»Pour la Calvados
«pollution» aussi. Les Trouvillais sont comme les
MANCHE
autres, pas très citoyens, ils jettent la bouteille avec le
reste. La mairie l’assure: les enfants poussent les paTrouville
rents à préparer les bouteilles pour «leur» cheval et les
restaurateurs jouent le jeu. La première année,
Caen
37tonnes (en 2001), puis 50 en 2002, et 55 pour 2005
(sur les 123tonnes récoltées annuellement). Les coOrne
chers viennent d’être titularisés. Trouville a lancé un
20 km
congrès des municipalités qui utilisent des chevaux
territoriaux. «Cela marche dans les communes qui ne
sont pas trop rurales, ou qui sont fréquentées par des urbains», explique Christian Cardon. Pour les plus
vieux, c’est un peu une régression.•
Manche
La vengeance du cocher
RÉMY ARTIGES
L
DIDIER ARNAUD
8 HABITAT
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
A Haguenau.
Les branches
ressortent de la
déchiqueteuse en
plaquettes (gros
copeaux)
qui alimentent
les chaudières.
Haut-Rhin
et Bas-Rhin
Moselle
Haguenau
ALLEMAGNE
Strasbourg
Vosges
Colmar
Soultz
Mollau
Mulhouse
20 km
Alsace, bois des forêts
Mollau, Haguenau, Soultz envoyé spécial
Profitant
de ses
immenses
ressources
naturelles,
la région
repense son
chauffage
collectif.
es quatre cents habitants de Mollau
(Haut-Rhin) ont un sérieux problème de
paysage. Le village, niché au fond d’une
vallée vosgienne, est cerné par la forêt, qui
a grignoté les collines environnantes,
entre le Grand Ballon et le ballon d’Alsace.
«Avant, tout ça, c’était des pâturages, des
paysages suisses, précise utilement le maire
Francis Schirck, cartes postales d’époque à l’appui.
Maintenant, nos petits vieux sont obligés d’aller voir
les paysages suisses en bus…»
Mais depuis 1998 Mollau tente d’enrayer le processus et lutte pas à pas contre la «fermeture paysagère». Les bûcherons font des éclaircies dans la végétation arbustive, les branches sont confiées aux bons
soins d’une déchiqueteuse qui recrache des plaquettes forestières (gros copeaux de bois), lesquelles
terminent dans le foyer de la chaudière à bois installée au centre du village. Le réseau de chaleur alimente l’école et ses logements de fonction, la mairie, le local des pompiers, une petite salle des fêtes et l’église,
L
«un gouffre complètement inchauffable»,dixit le maire, agriculteur et élu sans étiquette, mais à tendance
écologiste. En prime, les maisons de huit particuliers
sont raccordées au réseau, pour 0,07 euro le kilowattheure (kWh)thermique. Et voilà comment Mollau, à défaut d’avoir totalement résolu son problème
de paysage, a acquis un statut de pionnier dans le développement de la filière bois-énergie en Alsace, qui
s’est fortement accéléré ces dernières années.
Les préjugés disparaissent
Fin 2005, la région comptait 132chaufferies collectives au bois, en fonctionnement ou en cours de réalisation, contre 31 deux ans plus tôt. Sur la même période, la puissance installée est passée de 10 à
28mégawatts (MW). Et 68projets sont à l’étude. Ces
résultats sont à mettre au crédit du programme
Energivie, lancé en 2003 par le conseil régional d’Alsace, en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et avec le
soutien financier de l’Union européenne. Cinq accompagnateurs de projets ont assuré la promotion
du dispositif. Leur travail: «Aller sur le terrain, faire
du suivi de projets avec les bureaux d’études, de l’assistance technique», explique l’un d’eux, Laurent
Atienza, basé à Colmar. Les aides de la région, qui
s’adressent aussi aux particuliers, s’élèvent à 2,5millions d’euros sur les deux dernières années. Et les a
priori–«le bois vient de Roumanie», «on va pas s’emmerder avec le bois, le gaz c’est beaucoup plus
simple…»– seraient en voie de disparition.
«Ici, il se passe des choses,commente le président du
conseil régional, Adrien Zeller (UMP). Parce que
nous avons une sensibilité un peu spécifique, une
conception positive de la citoyenneté, une proximité
avec les pays de l’espace rhénan, Suisse et Allemagne,
où il y a plus d’engagement en faveur du développement durable. Ici, nous avons toute la panoplie des écologistes, nous avons l’habitude de nous écouter. Nous
n’acceptons pas le concept “Tout-nucléaire, dormons
tranquille”. Il faut agir de manière ouverte et pragmatique, donner du sens à la politique.»
A cette démarche volontariste, il faut ajouter les
310000hectares de forêt que compte la région. A Ha-
HABITAT 9
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
guenau (Bas-Rhin, 32000 habitants), elle couvre
14000hectares. Profitant de la ressource, la mairie a
inauguré en 2005 la chaufferie à bois la plus puissante de la région (2,5MW), entièrement automatisée et raccordée à huit bâtiments, dont deux lycées.
Elle remplace une installation fioul-électricité et
consomme 10000m3 de bois par an, soit l’équivalent
de 760tonnes de pétrole, et réalise 15 à 20% d’économie par rapport aux tarifs du gaz. L’investissement s’élève à 3,35millions d’euros, dont 1,4million
pour la ville. «On est sur des coûts trois à quatre fois supérieurs à une chaufferie classique, reconnaît l’adjoint au maire André Erbs, chargé de l’équipement.
Mais les collectivités sont là pour montrer l’exemple en
matière d’énergie renouvelable.»
L’adjoint opte pour le poêle
A Soultz (Haut-Rhin), commune de 7000habitants
où une chaufferie collective de 900kW a été installée au début de l’hiver 2002, c’est désormais «zéro
émission de gaz carbonique»,claironne l’adjoint au
maire Maurice Burger. Comprendre que l’impact
sur l’environnement est neutre dès lors que les rejets
de CO2 sont équivalents aux capacités d’absorption
des arbres sur pied. Là aussi, les 1500 à 2000m3 de
plaquettes brûlés chaque année proviennent de la
forêt communale. La chaufferie, qui alimente cinq
bâtiments publics, permet de valoriser les ressources forestières de Soultz, parmi lesquelles beau-
coup de bois «mitraillé», sans grande valeur sur le
marché. L’équipement a coûté 623000euros, dont
30% à la charge de la commune une fois déduites les
aides des collectivités. «Le kilowattheure nous revient
à 0,04euro, alors qu’avec le gaz on est à 0,06 et à 0,11
pour l’électricité. Il nous faudra une quinzaine d’années pour amortir l’investissement», calcule Maurice
Burger. Depuis, Soultz a installé une deuxième
chaufferie de 120kW, et quatre projets sont au stade
de l’étude de faisabilité. «Pourtant, au départ, on n’est
pas du tout écologistes [le maire est UMP, ndlr],on a
fait ça pour entretenir notre forêt, note Maurice Burger. Maintenant, on commence à réfléchir. Même moi,
j’ai mis un poêle à bois dans ma maison, alors que je ne
l’aurais jamais imaginé il y a vingt ans.»
Laurent Atienza confirme que l’accueil réservé par les
élus à la filière bois n’a aucun lien avec leur étiquette
politique. «De gauche ou de droite, tout le monde est
concerné par les problématiques énergétiques. Les
communes installent des chaudières à bois parce que ça
réduit les rejets et ça crée de l’emploi local.» Illustration
avec l’entreprise forestière qui fournit les plaquettes
à la commune de Soultz: «On a acheté notre première
déchiqueteuse en 1999, d’abord pour réduire nos volumes de déchets, raconte le patron, Christian Meyer.
Aujourd’hui, c’est 80% de notre chiffre d’affaires et nous
avons recruté deux personnes.» A Haguenau, la scierie
Trendel, 25salariés, a aussi créé un poste lié à la filière bois-énergie. «On fait des plaquettes depuis vingt
«On a acheté la première déchiqueteuse en 1999,
d’abord pour réduire nos déchets. Aujourd’hui,
c’est 80% de notre chiffre d’affaires.»
Christian Meyer, patron d’une entreprise forestière
ans, mais, avant, tout partait en Allemagne. Pour le moment, ça représente 5% de notre activité, mais la marge est intéressante et c’est un produit d’avenir», dit Michel Trendel, qui dispose d’une chaudière à bois pour
son activité professionnelle.
Le maillage territorial s’installe
Peu à peu, la filière se structure autour des professionnels, qui investissent pour répondre à la demande. Une demande partie des communes forestières,
premières séduites par l’intérêt de l’énergie tirée du
bois, et qui serait en train de s’élargir au milieu urbain, selon le conseil régional. «Ça commence à
prendre au niveau des grosses communes, insiste
Adrien Zeller. C’est une nouvelle économie rurale et
diversifiée qui se met en place, avec un vrai maillage
territorial. Et puis, au-delà du bois, l’Alsace est la première région de France pour l’énergie solaire. J’ai la
naïveté de penser que notre stratégie pourrait être imitée ailleurs en France.» •
THOMAS CALINON
reportage photos PASCAL BASTIEN
A Mollau.
Fin 2005,
la région comptait
132 chaufferies
collectives
au bois,
en fonction
ou en cours
de réalisation,
contre 31 deux
ans plus tôt.
10 HABITAT
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Des
olives noires
chauffées
ESPAGNE
OCÉ
CÉAN
ATL.
PORT.
à blanc
FRANCE
Madrid
500 km
Des Espagnols tentent de remplacer leurs
chaudières à charbon par des systèmes
fonctionnant au carburant agricole.
Madrid de notre correspondant
uanjo Peña, concierge du n°1 de la rue
Pedro-Muguruza, avait des soucis: «Le
charbon, c’était salissant, ça sentait mauvais et j’avais toujours peur que la tuyauterie
explose.» Il en a moins. En 2001, le syndic de
copropriété de l’immeuble a décidé de remplacer la très vétuste chaudière au charbon
par un système flambant neuf fonctionnant à base
de… noyaux d’olive. Certes, ça prend un peu plus de
place, à cause du vaste silo où sont entreposées des
tonnes de noyaux. Mais, pour le reste, c’est tout
simple: les «os» d’olive, comme disent les
Espagnols, sont aspirés en continu dans des tuyaux
couverts d’aluminium vers un poêle où le combustible se transforme en braises. «En cinq ans, on n’a eu
aucun problème ni aucune plainte, dit Juanjo Peña.
Ça chauffe même mieux qu’avant.» Pour le concierge, c’est tout bénéfice puisque tout est automatique.
Chaque mois et demi, il n’a qu’à remplir le silo de
noyaux d’olive et vider les cendres accumulées, lesquelles serviront ensuite, pour les propriétaires qui tible. La famille Cabello a eu la première l’idée
le désirent, d’engrais pour leurs plantes.
d’étendre son application à l’usage domestique. En
plein essor depuis 2001, Calordom a installé ce sysAucun risque d’explosion
tème de chaufferie pour 300logements à Madrid, et
Le responsable de ces installations pionnières en 200 à Salamanque, en Castilla-León. Dans un pays
Espagne, Calordom, est une entreprise familiale de détenant le record mondial de production d’huile
Madrid, traditionnellement charbonnière. Le pa- d’olive, dont les oliveraies s’étendent de la Catalogne
tron, Rafael Cabello, a vite vu les avantages de ce à l’Andalousie, la marge de progression semble illichauffage à partir de biomasse, une source d’éner- mitée. «Dans toute l’Espagne, il y a assez de noyaux
gie non fossile, donc illimitée, bon marché et non d’olive pour chauffer deux millions de foyers, assure
contaminante. Son fils Juan, le gérant, fait visiter Juan Cabello. Et cette proportion pourrait être faciune installation plus moderne encore, dont le lement doublée si l’on utilisait les noyaux jetés dans la
contrôle est assuré par ordinateur, paseo de la Ha- nature.»Sans compter que cette estimation n’inclut
bana, à deux pas du stade du Real Madrid. Dans la pas d’autres types de biomasse, plus ou moins discave, les installations aux noyaux d’olive assurent le ponibles selon les saisons: noyaux d’amande,
chauffage de 17appartements et bureaux, de 400m2 écorces d’ananas, pépins de raisin, toutes des machacun. L’homme fait visiter la chaufferie une ciga- tières dont le coût serait largement moindre que cerette au bec, manière d’assurer qu’elle ne présente lui des énergies fossiles. «Le recours à cette biomasaucun danger, et explique que le pépin «le plus gra- se revient deux fois moins cher que le gaz, poursuit
ve, ce serait que la chaudière s’arrête. Ici, aucun risque Cabello. Les syndics de propriétaires doivent certes
d’explosion, aucune contamination, et un chauffage faire un investissement pour l’installation (entre
prolongé». A l’en croire, cela ne présente que des 3000 et 6000 euros), mais cet argent est amorti en
avantages sur le charbon et le gaz. «Le système que quatre, cinq ans maximum.»
l’on a breveté est tellement simple qu’il est bizarre que
personne n’y ait pensé auparavant», ajoute Juan Les écologistes mettent le holà!
Cabello.
Le recours à la biomasse pour se chauffer a un caracEn réalité, le secteur industriel utilise déjà depuis tère d’autant plus innovant en Espagne que le pays
quelque temps les noyaux d’olive comme combus- est plutôt à la traîne d’un point de vue écologique
–même s’il est un des leaders de l’énergie éolienne.
«Le pépin le plus grave serait que la chaudière Ultradépendante des aléas des marchés du pétrole
du gaz, l’Espagne est à la recherche de sources
s’arrête. Le système que l’on a breveté est et
d’énergie alternatives. Calordom a reçu 20% de subtellement simple qu’il est bizarre que personne ventions pour son chauffage aux noyaux d’olive. «A
n’y ait pensé auparavant.» la différence du gaz, du fioul ou du charbon, le recours
Juan Cabello, fils du concepteur de l’installation à cette biomasse n’affecte pas le cycle atmosphérique,
L’Espagne détient
le record mondial
de production
d’huile d’olive,
ses oliveraies
s’étendent de
la Catalogne à
l’Andalousie,
et sa marge de
progression
semble illimitée.
J
affirme Juan Cabello. Pendant la combustion des
noyaux d’olive, le gaz carbonique émis ne dépasse pas
celui que l’olivier a absorbé durant sa croissance à travers la photosynthèse.»
Les organisations écologistes, elles, ne sont pas
convaincues que le bilan final soit si bon. Elles préféreraient que cette solution demeure marginale.
Dans le cas contraire, affirme Sara Pizzinato, de
Greenpeace, «les cultures énergétiques deviendront
intensives, ce qui suppose une utilisation élevée d’engrais dérivés du pétrole, l’utilisation de machines très
demandeuses en pétrole, et en fin de compte un solde
énergétique qui ne sera plus positif».•
FRANÇOIS MUSSEAU
reportage photos CARMA CASULÁ
En plein essor
depuis 2001,
ce système
de chaufferie
a été installé dans
300 logements
madrilènes
(photo), et dans
200 autres à
Salamanque,
en Castilla-León.
HABITAT 11
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Courant
d’air
Les parcs éoliens fleurissent en France,
à l’exemple du site de Fresnes-Tilloloy
dans la Somme, inauguré en avril.
MANCHE
Somme
Nord
FresnesTilloloy
Amiens
20 km
Oise
P H I L I P P E B R A U LT. L’ Œ I L P U B L I C
«Ferme»
d’éoliennes
vue du ciel de
Fresnes-Tilloloy
dans la Somme.
Fresnes-Tilloloy envoyé spécial
des kilomètres, on les aperçoit déjà,
grandes tiges blanches plantées dans la
plaine picarde. Les éoliennes font lentement tournoyer leurs énormes rotors
montés sur des mâts de 80 m dans le ciel
de Fresnes-Tilloloy (Somme). Pour leur
donner une autre visibilité, Theolia,
producteur d’électricité issue d’énergies renouvelables, n’a pas hésité à inaugurer en grande pompe
cette «ferme» d’éoliennes en avril, dans un ballet
d’hélicoptères façon Apocalypse Now. Pas de
A
Chevauchée des Walkyries en bande-son, plutôt un
solide argumentaire en faveur d’une industrie en
plein essor. De quoi marquer la presse et les investisseurs, menés au plus près des impressionnantes
pales de 40 m.
La foi gagne les investisseurs
«J’ai ressenti beaucoup d’émotion en survolant notre
ferme, maintenant qu’elle est en fonction», avouait
avec candeur le PDG de Theolia, au terme de la visite. Jean-Marie Santander ressent également, depuis
quelques mois, beaucoup d’intérêt pour sa société, ce
qui lui fait affirmer: «Nous serons le deuxième opérateur éolien en France après EDF, dès fin 2006.» Avec
une puissance de 10mégawatts (MW), la centrale éolienne de Fonds-de-Fresnes est la première implantation en France de Theolia (présente en Allemagne,
Belgique et Espagne).
Et la foi dans ce producteur d’électricité éolienne
gagne d’autres investisseurs, de BNP Paribas à la Société générale: Theolia a levé plus de 55 millions
d’euros en avril. Quatre autres fermes sont déjà prévues: 10MW dans le Morbihan, 26MW dans l’Aveyron, 8et 10MW en Normandie. Le producteur éolien
entend dépasser les 60MW installés d’ici à la fin de
l’année. Et il n’est pas le seul à s’activer: plus de mille
aérogénérateurs, répartis sur 150parcs, tournent déjà dans le pays. Rien qu’en janvier, 18parcs ont été mis
en service générant 151MW, après une progression
de la puissance éoliennede 377MW l’année passée.
Une puissance toutefois bien modeste: avec ses
920MW, la France reste loin derrière la championne, l’Allemagne (18000MW). Quant au taux de production d’électricité éolienne, il est ridicule, n’atteignant pas les 0,2% par an (sur un total de 12% de
production «verte»: hydraulique et solaire photovoltaïque). Si elle veut respecter une directive européenne, la France devra, d’ici à 2010, faire monter à
21% la part des énergies renouvelables dans sa production nette d’électricité.
Ce qui faisait pointer la France comme le mauvais
élève se retourne à son avantage pour les industriels. On trouve du charme au cancre: bien exposé
et sous-équipé, le pays est noté deuxième potentiel
éolien en Europe. Dans l’Union européenne, la
croissance de l’éolien a atteint un notable 16% en
2005, les pays les plus prometteurs étant l’Espagne,
la France et le Royaume-Uni. Mais on assiste à un
véritable boom mondial de ce mode de production,
qui a gagné 35 % de 2004 à 2005, avec 11000 MW
supplémentaires installés sur la planète. Après un
passage à vide en 2004, les commandes ont décuplé
aux Etats-Unis, troisième producteur mondial,
passé de 1600 à 6700MW en dix ans. Et l’Inde vient
de lancer un ambitieux programme pour doubler
son équipement d’ici à 2012. Sans compter la multitude de microprojets originaux: «Nous avons
monté le premier projet hybride en Inde, 60% éolien,
40% solaire, raconte Remeche MadoMercandy, ingénieur chez IT Power India. L’installation tourne
depuis 2002 sur l’île de Chunambar à quelques kilomètres des côtes de Pondichéry, et elle la rend autosuffisante.»
La résistance faiblit chez les détracteurs
Un chiffre d’affaires mondial de 12 milliards d’euros en 2005, dont on estime la progression moyenne à 8 % annuels jusqu’en 2014. Activité pour moitié réalisée en Allemagne, où 60000 personnes
travaillent dans le secteur… L’industrie éolienne
avance les arguments susceptibles de forcer le
consensus: croissance, emploi. Des associations
qui dénoncent les nuisances sonores ou la dégradation des paysages, aux experts qui contestent
l’intérêt de l’éolien dans la lutte contre la surproduction de gaz à effets de serre, est-ce la défaite
pour ses détracteurs? «Depuis les tensions sur le pétrole, la résistance s’amenuise encore»,souligne Cédric de Saint-Jouan, du groupe Theolia. Qui a une
botte secrète: réserver environ 20% du capital des
sociétés créées pour gérer chaque parc d’éoliennes
à des actionnaires locaux, pour financer en partie
les centrales. Et, surtout, développer auprès des autochtones «l’acceptabilité» –maître mot de l’industriel– des nouveaux moulins à vent.•
JEAN-PAUL ROUSSET
12 HABITAT
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
La Morinais. Dans ce quartier pionnier
de l’agglomération rennaise, la marche et le vélo
sont privilégiés.
Les maisons en quinconce (comme on le voit sur
cette maquette) préservent l’intimité.
A Rennes,
des îlots caressés
par la foule
Pour éviter les déplacements inutiles,
la communauté d’agglomération
a fait le pari de la densité urbaine.
Rennes de notre correspondant
Ille-et-Vilaine
MANCHE
Côtesd'Armor
Manche
Morbihan
Rennes
’est un phénomène infernal: les gens veulent une maison. En ville, elle est chère et
rare, donc ils s’éloignent. Une fois loin, ils
font tous leurs trajets en voiture, avec un
véhicule pour monsieur, un pour madame, parfois un par grand enfant. Ce phénomène, qui sévit partout en France, s’appelle l’étalement urbain. Il est dévoreur de pétrole
car plus les lotissements s’étendent, moins il est
possible de les desservir avec des transports en
commun. Trop cher.
C
Déplacements doux
20 km
Depuis plusieurs années, Rennes-Métropole, communauté d’agglomération de 37communes, réfléchit
à ces questions et propose une solution: la densification urbaine. En clair: davantage d’habitants sur
moins de terrain. Avec, en contrepartie, des zones
vertes préservées. Il n’est plus question de construire
des lotissements à perte de vue mais pas non plus de
revenir aux grandes barres de béton. Cette densification nouvelle manière s’appuie sur des modes d’habi-
tat innovants. Ce que Rennes et ses voisines veulent
inventer, c’est la «ville archipel» ou «ville polycentrique». «Pour limiter les déplacements, il faut rapprocher les gens des services tout en conservant la qualité
de vie,explique Jean-Yves Chapuis, vice-président
délégué aux formes urbaines de l’agglomération. Sans
renier le rôle de la ville centre historique, nous cherchons à créer des poches d’urbanisation avec leurs services et des liaisons vertes qui favorisent les modes de
déplacement doux comme la marche ou le vélo. Il faut
aussi des transports en commun performants.»Et ne
pas perdre de vue un quadruple objectif: répondre au
désir de logement individuel, contenir les coûts pour
les rendre accessibles aux plus modestes, économiser
l’espace et s’inscrire dans une démarche de préservation de l’environnement.
Dans l’agglomération rennaise, Saint-Jacques-de-laLande fait figure de pionnier en la matière. Son territoire était morcelé et le projet consistait à recréer ex
nihilo,entre deux quartiers historiques, un nouveau
centre-ville, la Morinais. La municipalité ajoué à fond
la carte de l’habitat innovant, tels ces immeubles perchés sur un centre commercial au toit planté de merisiers. «Pour chaque îlot, nous avons fait appel à des
équipes d’architectes différentes, souligne Daniel Delaveau, maire PS de la commune. Ça enrichit la réflexionet on apprend quelque chose qui va servir à l’îlot
suivant. Les parcelles mélangent logements individuels
et collectifs avec 25 % de logements sociaux, et à peu
près autant en accession aidée à la propriété. La mixité
sociale fait partie intégrante du projet.»
Dans ce nouveau quartier, où les constructions ont
été calquées sur les délimitations du bocage d’autrefois, derrière des immeubles de facture assez classique sont apparues des formes plus originales. Comme ces petites maisons blanches à toit plat de 90 à
100m2 avec leur bout de jardin, serrées mais décalées
pour préserver l’intimité de chacun. Ou ces ensembles à trois niveaux aux larges baies vitrées, bordés de pelouses et coiffés de grandes terrasses. Ici, ni
hall, ni ascenseur, mais des accès par coursives ou escaliers qui font pénétrer directement dans des appartements de rez-de-chaussée ou des duplex inver-
sés (chambres au premier niveau, salon-cuisine avec
terrasse au-dessus) prévus pour des familles de deux
à trois enfants. Avec des prix, en 2003, s’échelonnant
de 130000 à 160000 euros. Et des volets de bois, le
PVC ayant été proscrit.Autre singularité, de chaque
côté de rues étroites plantées de charmilles et
d’ajoncs, de camélias et de rhododendrons: des rigoles
à ciel ouvert où s’écoulent les eaux pluviales. «L’argent
que l’on ne met pas dans les réseaux souterrains, on peut
l’investir ailleurs»,remarque Daniel Delaveau, qui dit
s’être inspiré des cités- jardins du XIXe siècle.
A la Morinais –qui compte 3500habitants et qui s’est
dotée d’une médiathèque, d’un espace culturel polymorphe, d’une école, de cabinets médicaux– la voiture n’a pas disparu. Mais son usage aurait diminué.
«La ligne de bus est celle où l’augmentation de la fréquentation a été la plus forte des lignes périphériques
de l’agglomération», assure Daniel
Delaveau. Un programme vise à rejeLa ville vise
ter l’automobile à une cinquantaine
de mètres des habitations pour for- un quadruple
mer un îlot piétonnier. Les habitants objectif:
adhèrent. Avant, Muriel, 31 ans, un répondre au désir
mari et deux enfants, prenait la voiture pour aller chercher le pain. Elle de logement
vit ici dans une maison achetée au individuel,
prix d’un appartement et fait beau- contenir les coûts,
coup de choses à pied. «On devrait économiser
bientôt abandonner notre deuxième
auto», dit-elle. L’architecture a sé- l’espace
duit le couple, même si la parcelle est et préserver
petite. «Le terrain, on s’en fiche mais l’environnement.
c’est très fonctionnel et très lumineux.»Ils déplorent toutefois l’absence de cave ou de
grenier pour les rangements etle fait que les rues,
bordées d’immeubles, rappellent encore un peu trop
les cités-béton. Sophie, 28 ans, ne regrette pas non
plus. Elle s’est installée avec son mari et ses deux enfants dans un duplex doté d’une pelouse de 250m2.
«Il y a plus de place, de clarté et de calme»,se félicitet-elle en évoquant son précédent logement. Et c’est
sans trop de vis-à-vis.»Mais surtout, point clé d’une
densification réussie: «Ça fait un petit peu maison.»
Dix maires, dix projets
Saint-Jacques-de-la-Lande n’est pas seul à avoir fait
le pari de la densité. Rennes-Métropole a lancé l’opération «Dix maires, dix projets» pour entraîner
d’autres communes dans la même dynamique. A
Chantepie, un projet de petits immeubles collectifs,
qui doit démarrer en mai, s’attache aux économies
d’énergie: pas d’ascenseur, capteurs solaires et récupération des eaux de pluie. Rennes-Métropole doit
construire 4500 logements par an jusqu’en 2012.
Pour atteindre son objectif: «Doubler le nombre de logements tout en diminuant de moitié l’espace à urbaniser»,résume Jean-Yves Chapuis. •
PIERRE-HENRI ALLAIN
reportage photos ADELINE KEIL
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14 DÉPLACEMENTS
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Voitures
bi au
Brésil
Près de la moitié du parc automobile roule
indifféremment à l’alcool ou à l’essence.
São Paulo de notre correspondante
BRÉSIL
500 km
COL.
VEN.
Brasilia
PÉR.
São
Paulo
ARG.
OC.
ATL.
Usines d’éthanol
de Santa Elisa
(ci-dessous).
Les producteurs
comptent étendre
la culture de
la canne à sucre
(ci-dessus).
Des projets
qui inquiètent
les écologistes.
u Brésil, les voitures roulent à la canne à
sucre. Ou plutôt à l’éthanol, mais ici tout
le monde dit alcool. Leôncio Pires tient
une station-service à São Paulo, il a deux
pompes à éthanol. Jusqu’à récemment,
elles ne servaient plus beaucoup. Mais
c’est reparti depuis la fièvre des voitures
flex-fuel. Aux premiers temps du plan «Alcool», il
fallait choisir son camp: un véhicule à éthanol ou à
pétrole. Fini: les moteurs flex-fuel (bicarburant)
roulent à l’éthanol, à l’essence, ou aux deux à la fois.
En mars, 77,6% des nouvelles immatriculations
étaient équipées de cette technologie. L’éthanol assurant un tiers de kilomètre en moins au litre, on
comprend vite qu’il faut faire le plein à la pompe à alcool les jours où son prix est inférieur ou égal à 70%
de celui de l’essence. Car ça bouge : à 1,999réal le litre
(0,77 euro), l’éthanol reste un peu moins cher que
l’essence, mais le prix a grimpé avec la demande. João
Peixinho travaille à la station de Leôncio. Et il a acquis une flex-fuel sans hésiter: «C’est la meilleure chose que j’ai faite de ma vie !» Un œil sur les cours, il
s’adapte aux fluctuations des deux produits. «Au début, je ne faisais le plein qu’à l’alcool, qui coûtait moitié moins. Là, c’est l’essence qui revient moins cher. Peu
importe le carburant, j’économise de toute façon !»
A
Au Brésil, premier producteur et consommateur
d’éthanol, le carburant est disponible dans presque
toutes les stations-service alors qu’aux Etats-Unis
610stations seulement vendent un mélange éthanolessence. En 1975, suite au premier choc pétrolier, le
Brésil a commencé à fabriquer ce carburant, dans le
cadre du plan Alcool lancé par la dictature militaire.
Peu connus pour leur fibre environnementale, les généraux voulaient surtout mettre fin à la dépendance
énergétique du pays. L’Etat subventionne alors la production d’éthanol et impose sa distribution sur le territoire à un prix inférieur à celui de l’essence. Il paie la
différence aux producteurs, les usineiros,et offre des
incitations fiscales à l’industrie automobile pour
qu’elle construise des voitures roulant à l’éthanol. En
1984, les résultats sont là : ces véhicules représentent
94% de la production automobile locale. Mais cinq
ans plus tard la situation change. L’Etat arrête son
soutien au prix de l’éthanol, trop cher face à la baisse
du prix du pétrole. Du coup, les usineirosreviennent à
la production de sucre, dont le cours est en hausse.
L’effet est immédiat : l’alcool manque, les Brésiliens
sont furieux, coincés avec des voitures inutilisables.
La technologie flex-fuel, qui équipe près de la moitié
du parc automobile des particuliers, va sauver tout cela. «Elle a délivré les Brésiliens de la peur d’une nouvelle pénurie en leur offrant un repli sur un autre carburant, explique Paulo Sergio Kakinoff, directeur des
ventes de Volkswagen.D’où son succès.»Un succès auquel le gouvernement a contribué en baissant la fisca-
lité sur ce carburant et sur les voitures flex-fuel, qui
restent quand même 10% plus chères que leurs jumelles à l’essence. Volkswagen a lancé le premier modèle en 2003. Depuis, Renault, PSA, General Motors
et Fiat l’ont imité. La quasi-totalité de leur production
au Brésil est équipée de la technologie flex-fuel.«La
tendance est irréversible,poursuit Kakinoff.Notre pays
est autosuffisant dans ce carburant, ce qui le met à l’abri
des fluctuations du prix du pétrole. Et l’alcool est moins
polluant que l’essence.»
Ouvriers payés au rendement
Utilisé seul ou mélangé à l’essence à hauteur de 20%,
«l’éthanol a réduit les émissions de monoxyde de carbone et de gaz cancérigènes comme le benzène», confirme
Homero Carvalho, directeur de la Cetesb, l’organisme
qui contrôle les émissions des véhicules. Mieux, les
usines d’éthanol tournent grâce à l’énergie que produit la combustion des déchets de la canne, et certaines s’offrent le luxe de revendre à l’Etat leur excédent d’électricité. Pourtant, la filière éthanol n’est pas
écologiquement parfaite. Aldo Ometto, qui a étudié
ses impacts environnementaux pour l’Embrapa, un
centre public de recherche agricole, note de sérieux
bémols: «L’éthanol pourrait être bien plus écologique
si les producteurs de canne ne brûlaient pas la paille de
la plante pour faciliter la cueillette.» Selon lui, l’Etat,
censé veiller à l’abandon de cette pratique, «n’a pas les
moyens d’exercer un contrôle effectif sur des plantations
aussi grandes. Ces incendies génèrent des gaz toxiques.
DÉPLACEMENTS 15
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
L’éthanol,
un bien biocarburant
Le groupe espagnol Abengoa, premier producteur
européen, s’apprête à conquérir le marché.
accords avec les leaders de la raffias de place pour le doute. «L’ir- nerie comme PCK (Shell, BP, Total,
ruption du biocarburant à Agip) ou Ruhr-Petrol, un groupe algrande échelle n’est qu’une lemand à qui Abengoa va fournir
question de temps. Nous vou- 10millions de litres de biocombuslons être les mieux placés. Nous pen- tible.
sons même dominer le marché européen d’ici cinq ans.» Jaime Fagoaga, Des yeux doux
qui tient ces virils propos, est direc- Mais c’est aux Etats-Unis que le
teur de la communication chez groupe s’initie. «L’Amérique du
Abengoa. Un mastodonte industriel Nord, c’est notre laboratoire. Si on
d’Andalousie –le siège social est à Sé- voulait percer, il fallait forcément faiville– de 11000 employés, présent re nos preuves dans ce marché qui a
dans 70 pays et à la capitalisation au moins dix ans d’avance sur l’Euroboursière de 1,8milliard d’euros. Le pe», confie le président d’Abengoa
groupe pèse surtout en ingénierie Bioenergy, Javier Salgado, installé
industrielle (43% de son activité) ou depuis trois ans à Saint Louis, dans
en technologie de l’information. le Missouri. La filiale andalouse parMais ce qui le rend original, c’est son ticipe à la construction d’une usine
pari appuyé pour les
dans le Nebraska, et a
biocarburants. Sa filia- «L’Amérique
fondé un centre de rele Abengoa Bioenergy
cherche, dont les tradu
Nord,
qui
a
est la première provaux sont régulièreductrice européenne dix ans d’avance
ment transmis au
d’éthanol avec une ca- sur l’Europe, est
siège à Séville. «Ici, on
pacité de 326millions notre laboratoire.
a tout à apprendre car
de litres.
le scénario en cours
Dans le très compéti- Si on voulait
s’imposera forcément
tif marché nord-amé- percer, il fallait
dans un proche avenir
ricain, le groupe fait forcément y faire
en Europe», poursuit
même mieux, avec un nos preuves.»
Javier Salgado.
volume quelque peu
Pour Abengoa, l’équaJavier Salgado,
supérieur (355 mild’Abengoa Bioenergy tion est simple: les
lions de litres). L’éthaEtats-Unis constinol, ce liquide énergétique obtenu à tuent le marché stratégique, l’Europartir de blé, d’orge, de maïs –et pe, le marché naturel. C’est donc là
bientôt de betterave–, est encore un qu’il faudra gagner la bataille contre
ovni dans nos stations-service. les toutes-puissantes compagnies
Peut-être pas pour longtemps.
pétrolières avec cette difficulté supplémentaire: à la différence de ce qui
Un cookie
se passe en Amérique du Nord, les
Dans le Sud-Ouest français, à Lacq, compagnies ont de l’essence en surAbengoa construit la première usi- plus, ce qui, pour elles, fait de l’éthane d’Europe fonctionnant à partir nol un concurrent potentiellement
de graines de maïs, en association très gênant. «On a un mal fou, dit Jaavec cinq coopératives locales de vier Salgado. C’est très dur de lutter
production. Le site figure parmi six contre le lobby pétrolier, à qui les pouautres retenus, le 28février, par les voirs publics font les yeux doux.
pouvoirs publics dans le cadre d’un Contre le secteur bioénergétique, en
plan gouvernemental pour les bio- revanche, on érige des obstacles techcarburants. Abengoa récolte ainsi niques, fiscaux et juridiques.»
une part d’un nouveau gâteau. D’un Javier Salgado est convaincu toutecookie plutôt: dans un premier fois que l’émergence du biocarbutemps, la proportion des biocarbu- rant n’est qu’une question de temps,
rants en France n’atteindra que d’autant que la conjoncture est
5,75% de l’ensemble des carburants, favorable: outre le prix du baril de
et progressera jusqu’à un modeste pétrole et le protocole de Kyoto, la
10% en 2015. N’empêche, chez réforme de la politique agricole
Abengoa, on se félicite: l’unité fran- commune va mettre sur le marché
çaise devrait produire 250millions davantage de produits agricoles
de litres d’éthanol, soit plus que cha- pouvant être utilisés comme biocune des installations de la firme en carburant. «En Espagne, il y a un
Espagne –en Galice, à Murcie et à plan énergétique volontariste mais
Salamanque. Le vent en poupe trop timide,conclut-il. Je crois que la
–392millions d’euros de chiffre d’af- France prend la bonne direction, et ne
faires en 2005–, le groupe sévillan devrait pas tarder à dominer le mardoublera sa capacité de production ché européen.»•
d’ici à l’an prochain. Il négocie des
FRANÇOIS MUSSEAU
Madrid de notre correspondant
P
Sans compter les grandes quantités d’eau nécessaires
pour nettoyer la canne dont le jus est libéré par le feu.»
Autre problème, le passif social d’une partie du secteur, qui paie ses ouvriers au rendement : depuis
2004, treize d’entre eux sont morts épuisés de travail. L’Unica, le syndicat de l’agro-industrie de la canne, s’est rendu compte que ces pratiques pouvaient
pénaliser les exportations et vient de s’engager à respecter un minimum de droits sociaux.
Sans abattre un seul arbre
Premier exportateur d’éthanol, le Brésil entend garder son leadership à l’heure où la demande internationale est en hausse. Pour y parvenir, les producteurs comptent étendre la culture de la canne à sucre
plantée sur 5,5millions d’hectares. D’après l’Unica,
100 à 150 millions d’hectares seraient disponibles
sans irrigation et sans abattre un seul arbre. Mais les
écologistes s’inquiètent. «Comme la canne s’installe
sur des pâturages, nous craignons que cette culture
n’aggrave la destruction de l’Amazonie en repoussant
l’élevage dans la forêt», dit Carlos Rittl, un des coordinateurs de Greenpeace. Les usineirosne partagent
évidemment pas ces craintes. Luís Guilherme Zancaner, président de l’Union des usines de l’ouest de
São Paulo, vante l’implantation de 65 usines d’ici
cinq ans. Et ses atouts. «Les coûts de production de
l’éthanol brésilien sont les plus bas au monde»,précise-t-il. La main-d’œuvre est bon marché et les rendements élevés, portés par le climat et les variétés de
cannes à sucre issues de la recherche. Les investisseurs étrangers l’ont bien compris. Les groupes français Tereos et Louis Dreyfus sont là depuis 2000. Des
fonds d’investissements britanniques et américains
négocient le rachat d’usines. «A terme, le Brésil serait
en mesure de répondre à lui tout seul à la demande
mondiale d’éthanol, dit Renato Leite, consultant de
la trading suisse Coimex, qui exporte ce carburant.
Mais le gouvernement encourage d’autres pays à en
produire et leur offre même un transfert de technologie, car il sait que nul ne veut dépendre d’un seul fournisseur.» La multiplication planétaire des sources
d’approvisionnement pourrait donc paradoxalement doper les exportations brésiliennes.
Analyste de la trading Petrus, Antonio Carvalho Neto relève deux obstacles à ces ambitions exportatrices : «le protectionnisme des pays riches et la pénurie d’éthanol, les usineirosrevenant à la production de
sucre, plus rentable quand le cours remonte».Zancaner l’admet : «Nous manquons encore de crédibilité
sur le marché mondial à cause de la pénurie de 1989.»
Mais il ne s’alarme pas. «Si l’éthanol ne survit pas aux
avancées technologiques de l’industrie automobile, il
sera utilisé dans l’industrie chimique.»Paulo Sergio
Kakinoff ne s’inquiète pas non plus: «La voiture électrique ou la cellule hydrogène ne seront accessibles ni
pour le Brésil ni pour d’autres pays émergents. La technologie flex-fuel a de beaux jours devant elle.»•
CHANTAL RAYES
Reportage photos JOEL SILVA (Folha Imagem)
16 DÉPLACEMENTS
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
L’huileautrésor
des
Japonais
Après la guerre, on en faisait du savon, des engrais, ou
des nourritures pour bestiaux. C’est toujours le cas.
Mais ce qui est nouveau, c’est qu’on les transforme
aussi en carburant pour voitures, camions et bus.»
Avec 100 litres d’huiles de friture, Someya Shoten
crée 95 litres de fioul. Les restaurants livrant leur
huile usée à la PME paient 400yens (2,80euros) par
lot de 18 litres. La PME fabrique pas moins de
120 tonnes de Vegetable Diesel Fuel (VDF) par
mois. Pas énorme. Mais Yumi et son papa veulent
surtout montrer l’exemple. «Des sociétés au Japon
ont copié notre technique. Tant mieux, explique la
fille. Du moment que cela aide à lutter contre le rejet
des déchets.»
Le procédé physique ne date pas d’hier. En France,
Elf, parmi d’autres, sait depuis des lustres comment
fabriquer du carburant moins polluant à partir
d’huile végétale. Le procédé, dit de «transestérification» et «cracking»,transforme les huiles de cuisine
usagées, comme celle du tournesol, en biodiesel et
rejette peu de déchets dans l’air. Contrairement à la
méthode traditionnelle qui génère oxyde de soufre
et glycérine. Les Allemands maîtrisent eux aussi très
bien cette technique.
Pour Someya Shoten, tout a commencé en 1993, au
terme d’une série de recherches débutées dans les
années 80 avec de l’huile de soja. Après avoir constaté le succès de tests pratiqués dans l’Etat américain
du Missouri, la PME nippone réussit à mettre au
point un type de «fioul végétal» obtenu en retraitant
des huiles de friture. Takeo Someya et les siens n’en
reviennent pas: l’impact sur l’environnement est
bien moindre que l’essence traditionnelle. Ce fioul à
base de légumes (d’où son nom de Vegetable Diesel
Fuel) ne produit pas d’oxyde de soufre et génère
presque moitié moins de fumées noires que le gazole. Certes, le VDF n’est pas de l’eau. Son impact sur
l’air n’est pas nul. «Pas encore!», précise Yumi Someya. Mais sa formule – dans un Japon fanatique
d’automobiles, très peuplé et empoisonné par les
bouchons géants en ville– est en soi un progrès.
K E N Z A B U R O F U KO H A R A
Une parcelle de forêt en cadeau
Sorte de
professeur
Tournesol
made in Japan,
Takeo Someya
est une figure
dans les milieux
écologistes.
A Tokyo, une petite entreprise
recycle les graisses de friture
en fioul végétal.
Tokyo de notre correspondant
ans le nord de la capitale, au cœur de
Sumida, un vieux quartier traditionnel
du «Tokyo d’en bas», en s’enfonçant
dans un sac de ruelles envahies de
chats, une odeur d’huile monte au nez.
Aucun doute, l’usine Someya Shoten
est toute proche. Face à un vieux hangar
devant lequel vont et viennent des camions de
livraison, le patron de l’usine, Takeo Someya,
JAPON
69 ans, apparaît dans la blouse qu’il ne quitte
500 km
jamais au boulot. Aux côtés de sa fille, Yumi, 37 ans,
à la tête d’une filiale baptisée U’S, spécialisée dans
RUSSIE
CHINE
les carburants verts et biodiesels, le patron surveille le ballet des camions et le déchargement de
leurs cargaisons d’huiles de friture usagées. Il veille
CORÉE
DU N.
à la bonne marche de cette drôle d’usine à laquelle
CORÉE
participent d’ailleurs, dans un dépôt, six ouvriers
DU S.
Tokyo nigérians, cinq hommes et une femme, qui
n’avaient rien lorsqu’ils sont arrivés à Tokyo.
Adoptés par Someya-san, ils ont un boulot, un
OCÉ
CÉAN
PACIFIQUE salaire (qu’ils renvoient en partie au pays) et, cerise
sur le gâteau, parlent le nippon.
D
Expert en tuyaux fumants
Petit homme ingénieux, sorte de professeur Tournesol made in Japan, Takeo Someya est considéré
par ceux qui le connaissent comme un maître en mécanique et physique. Expert en tuyaux fumants et
formules chimiques. Si, à ce jour, il n’a reçu que deux
modestes prix –l’un pour ses inventions, l’autre des
mains de l’ex-gouverneur de Tokyo–, c’est parce qu’il
est aussi simple que discret. Au Japon, il est pourtant
une figure dans le milieu écolo. Et industriel: les
constructeurs automobiles nippons sont au courant
de ses petits coups de génie. Sur 1450m2, son usine,
à première vue vieillotte et incroyablement crasseuse, qui évoque les univers déglingués et tuyautés de
Mad Max et de Frankenstein, fait en effet des miracles. Les deux plus grosses centrifugeuses de l’usine, appelées Esterboy, que la société vend toute l’année à des entreprises et municipalités au prix de
15millions de yens pièce (100000euros), transforment en quelques heures des tonnes d’huiles de friture et autres graisses (de porc, de poulet…) en autant de tonnes de biocarburant peu polluant pour
véhicules à moteur.
Savon, engrais et nourriture à bestiaux
«J’ai entendu parler il y a plus de vingt ans des usages
possibles des huiles de friture usées, explique Takeo
Someya. J’ai appris qu’il était possible de faire rouler
des voitures grâce à un diesel tiré de l’huile végétale.
L’idée m’est venue de fabriquer de l’essence en recyclant les huiles usées de tempura.» La tempura, friture enrobée dans une pâte à base de farine légère,
est une spécialité gastronomique très prisée. Les Japonais en raffolent. C’est un délice en légumes. Que
certains préfèrent cuisiné avec des crevettes. Or,
parmi les 2,5 millions de tonnes d’huiles rejetées
chaque année par les Nippons, 400000tonnes sont
des huiles de friture. Aussi le gouvernement lancet-il sans cesse des cris d’alarme. Car, si elles n’étaient
pas récupérées et recyclées, ces huiles très lourdes,
véritables casse-tête, seraient de terribles polluants. Leurs dégâts sur l’environnement, les canalisations et courants d’eau souterrains, seraient très
sévères. «Le recyclage des huiles de tempura est une
tradition dans notre pays, explique Yumi Someya.
Afin de convaincre un maximum d’automobilistes
d’acheter leur biocarburant (0,5 centime d’euro le
litre), Someya Shoten et sa filiale ont mis en place
–avec l’aide de propriétaires de forêts soutenant leur
action– un système alléchant qui permet aussi de
protéger les territoires boisés du pays. «Nous offrons
1tsubo [3,3m2, ndlr]de forêt dans la préfecture de Fukushima à tout individu qui nous livre au dépôt, dix
fois d’affilée, de l’huile de friture, quel que soit le volume»,explique, plein d’allant, Yumi. Objectif: réduire
la pollution rampante au Japon, lutter contre les
émissions de CO2 et les pluies acides. Du côté des
centrifugeuses, l’affaire tourne aussi. «Nous avons été
contactés par des entreprises chinoises qui s’intéressent à nos machines Esterboy», précise-t-on chez Someya Shoten, qui a vendu ses appareils à une dizaine
de préfectures nippones. A Jyugaoka, un quartier résidentiel de Tokyo, un bus gratuit roule déjà au VDF.
Une expérience que la PME du nord de Tokyo espère voir se développer.
D’autant qu’à l’heure de l’envolée des prix à la pompe
Yumi Someya et son père fustigent la dépendance
trop forte de leur pays à l’égard des monarchies et
puissances pétrolières. «Ma famille,dit-elle, ne fait
pas de politique. Mais, à l’heure de la guerre en Irak,
nous pensons que, si le Japon réussit à long terme à recycler à très grande échelle ses huiles de friture usées,
il sera en mesure d’importer moins de pétrole du
Moyen-Orient, d’Iran, du Koweït… Vu que nous réussissons à produire un carburant quatre fois moins cher
et moins polluant, le potentiel est considérable.»Sa société, U’S, chargée d’exploiter commercialement le
VDF, enregistre un chiffre d’affaires annuel de
300millions de yens (2millions d’euros.) Et preuve
du succès de la PME, qui fabrique deux tonnes quotidiennes de VDF, camions et voitures se bousculent
du matin au soir à «sa» station-service. «Le VDF coûte moins cher à faire, assure Takeo Someya. Il a un
rendement aussi satisfaisant que le diesel classique et
aide à parcourir le même nombre de kilomètres.»Pas
étonnant que la petite usine aussi crasse qu’avantgarde de Takeo Someya soit désormais surnommée,
au Japon, «le champ d’huile de Tokyo».•
MICHEL TEMMAN
18 DÉPLACEMENTS
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Monoprix se met
sur les rails
L’enseigne tente d’utiliser le ferroutage pour
approvisionner ses magasins parisiens.
a question était simple: comment approcher les marchandises de Paris sur un
autre mode que le camion. Elle a été posée
il y a deux ans par la région Ile-de-France,
la mairie de Paris et Claude Samson, directeur de la logistique de Monoprix. C’est
aussi lui qui la résume. La réponse, elle,
n’était pas facile à trouver. Il était évident d’utiliser
le train –ce qui fut décidé– mais pas simple à
mettre en œuvre car toute la grande distribution
fonctionne sur une organisation routière.
Fin 2004, la direction régionale de l’équipement
d’Ile-de-France lance une étude sur le ferroutage et
se met à la recherche d’un opérateur privé susceptible de participer à une expérience grandeur nature. Monoprix, qui possède 64 magasins en région parisienne, dont 56 dans Paris même, défend depuis
quelques années un positionnement «développement durable», qui recouvre aussi bien la récupération des piles des clients que la création du premier
hypermarché «haute qualité environnementale» à
Angers. «Je n’ai posé qu’un préalable,explique Claude Samson, respecter toutes les contraintes de livraison. En clair, il fallait garder les mêmes horaires et ne
pas modifier l’organisation des entrepôts pour la préparation des marchandises.»
L
Quarante kilomètres
L’objectif: transporter deux catégories de produits
–les boissons sans alcool et les marchandises générales (non alimentaires)– à partir de Combs-la-Ville et Villeneuve-Saint-Georges, deux des six entrepôtsque Monoprix utilise en région parisienne. Ces
produits parcourront en train les quarante kilomètres séparant ces deux sites d’une plateforme de
la gare de Paris-Bercy. Le tonnage concerné n’est pas
marginal: 40% des volumes livrés dans les Monoprix
de Paris passeront par ce système.
L’étude de faisabilité a été bouclée en septembre2005. Claude Samson espère pouvoir finaliser le
système fin juin. Mais il reste de sérieux obstacles à
franchir. Inattendus parfois: la SNCF se révèle le
partenaire le plus compliqué. «Je ne peux pas dire que
j’obtienne de la SNCF toutes les facilités», résume
Claude Samson. En jeu, le loyer de la plateforme de
Bercy: «Ils me la louent trois fois ce que j’estime être le
prix normal.» Par rétorsion, pense-t-il. «Depuis le
31 mars, le fret ferroviaire est libéralisé, et bien évidemment nous allons faire un appel d’offres pour le
transport de ces marchandises. Or la SNCF veut bien
encourager le ferroutage, mais à condition que ce soit
elle qui le fasse.» Claude Samson explique qu’il en fait
désormais «un point de blocage»:si la SNCF ne veut
pas jouer le jeu, tant pis, il arrêtera.
Le précédent des voies fluviales
Autre difficulté: le système coûte cher, 15% de plus.
Mais Claude Samson rappelle que ce chiffre s’appuie
Le tonnage concerné n’est pas marginal: 40%
des volumes livrés dans les Monoprix de Paris
passeront par ce système.»
sur«un prix du pétrole fixé il y a six mois. Plus il monte, plus le surcoût diminue.»La généralisation du ferroviaire permettrait aussi de diminuer les frais fixes.
En outre: «Aujourd’hui, un camion livre en moyenne
deux magasins à cause de la distance à parcourir pour
entrer et sortir de Paris,explique Claude Samson.Si
nous avons une plateforme terminale dans la capitale, un camion pourra faire trois ou quatre magasins.
C’est un gain très important.»Le conseil régional et la
direction régionale de l’équipement ont pris le coût
des études à leur charge.
En matière de transport écologique, Monoprix a déjà une réussite à son actif: l’usage de la voie fluviale.
Depuis 2004, tout ce qui est importé d’Asie (Chine,
péninsule indienne), de Madagascar et de l’île Maurice fait le trajet LeHavre-Paris par la Seine, jusqu’au
port de Gennevilliers. Catherine Rivoallon, chef du
département logistique internationale, membre
d’une famille où il y avait des mariniers, s’était dit qu’il
y avait peut-être quelque chose à faire pour diminuer
le nombre de camions sur l’autoroute de l’ouest et aider une profession «qui coulait». La technique l’a aidée: des barges porte-conteneurs ont vu le jour, alors
qu’auparavant seuls les produits en vrac pouvaient
être transportés. Logiseine, l’opérateur qui gère les
navires et les transbordements, assure le parcours.
Résultat: chaque barge évite 180 camions, parfois 360
quand un pousseur en propulse deux à la fois. Le trajet prend trois jours au lieu de cinq heures, «mais
quand la marchandise met vingt-quatre jours pour arriver de Chine, ce n’est pas grand-chose», dit Catherine
Rivoallon. Et c’est moins cher. «J’ai économisé 4% sur
ma facture transports l’an dernier»,résume-t-elle. •
SIBYLLE VINCENDON
Reportage photos FRÉDÉRIC STUCIN
Conteneurs
Monoprix sur
le port autonome
de Gennevilliers.
Ci-dessous,
l’entrepôt de
Combs-la-Ville.
DÉPLACEMENTS 19
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Le train de vieéconomique de la SNCF
En France, électricité
et biocarburants emmèneront
demain toutes les locomotives.
Mais le diesel fait de la résistance.
«L
a RATP et la SNCF ne devront
plus consommer une goutte de
pétrole d’ici vingt ans.» En lançant cette petite phrase lors
des vœux aux forces vives de la
nation au début de l’année, Jacques Chirac
pensait être inattaquable. Sur les rails, c’est
une affaire qui roule: écologiques, deux fois
plus puissantes que les diesel, moins
chères et plus faciles à entretenir, les locomotives électriques sont des valeurs sûres.
En 2005, la facture consacrée à l’électricité
s’élevait d’ailleurs à 470 millions d’euros,
contre 150 pour le gazole. Un chiffre en
progression constante. Dans la ligne élyséenne, le président de la SNCF, Louis
Gallois, a confirmé en janvier qu’il espérait
réaliser «un vrai bond» d’ici à 2026. Mais il
s’est bien gardé de promettre que l’objectif
0% de pétrole serait atteint dans les délais.
Car, une fois encore, le président de la Répu-
blique semble avoir parlé trop vite. Avec
moins de la moitié des voies électrifiées en
France et 2500diesels en activité (sur un total de 5820locomotives), le pétrole tient la
route, même s’il n’assure plus qu’une petite
partie du trafic. Et ce en dépit de la hausse
constante du carburant. «C’est un paramètre,
mais il n’est pas déterminant»,juge Jean-Marie Gerbeaux, directeur du développement
durable à la SNCF.
En pente douce dans le Morvan
L’abandon total du gazole n’est en tout cas
pas d’actualité. «Avec les connaissances actuelles, l’électricité n’est pas la réponse unique,
car elle n’est pas la plus économique»,reconnaît-on à Réseau ferré de France (RFF), l’organisme qui gère, depuis 1997, les infrastructures du réseau. Outre des questions de
sécurité –certains produits transportés par
le rail ne peuvent être manipulés sous haute
tension–, l’électrification reste un gouffre financier. «Ce qui coûte cher, c’est la modernisation des voies, la réfection des ponts et tunnels, la signalisation, les télécoms», explique
Guy Levy, chef de service du management de
projet à RFF. A raison de 1 million d’euros le
kilomètre, on comprend les réticences
quand il en reste 15000 à aménager en France. Conséquence, la carte des caténaires suit
celle des TGV: Paris-Bordeaux, Metz, Nancy, Dijon, Turin… Une toile d’araignée qui, à
terme, devrait couvrir toutes les villes
proches des grandes lignes, mais laisser de
côté les zones moins rentables.
Pour réduire sa facture d’énergie, la SNCF
emprunte donc d’autres voies. D’abord en
dosant au plus juste la consommation. Des
cours de conduites économiques sont réalisés sur simulateurs avant d’être testés sur le
terrain. «Sur un Paris-Lyon, un bon conducteur de TGV coupera l’alimentation en haut
des collines du Morvan, il laissera son train ralentir, puis reprendra de la vitesse dans la descente», explique Jean-Marie Gerbeaux, qui
estime à 15% le gain réalisable sur de tels trajets. Deuxième axe: l’utilisation de moteurs
Diesel de plus en plus propres. Ces locomotives règnent encore sans partage sur les petites dessertes, royaumes des tortillards et
des TER. «En cinq ans, nous avons diminué de
24% notre consommation de gazole», poursuit-on au siège de la SNCF. En 2004, l’entreprise a d’ailleurs commandé, pour son ac-
tivité fret, 400 motrices Diesel, dont l’espérance de vie est de près de quarante ans.
Les recherches se poursuivent aussi sur les
biocarburants. Avec quelques bémols. «Il
faut qu’il y ait de l’approvisionnement, que le
coût soit raisonnable, que la puissance soit
là…»Boostés par les propos présidentiels, les
programmes ont été renforcés, et Louis Gallois évoque, pour fin 2007, l’utilisation de mélanges contenant 10% de Diester (alcool issu
de la transformation des huiles végétales).
L’envolée des moteurs bimodes
Autre piste, les moteurs bimodes, une technologie récente fonctionnant indifféremment au diesel ou à l’électricité. Vingtquatre de ces autorails viennent d’être
commandés en Ile-de-France pour le réseau
est. Enfin, la conception des wagons: grâce
aux nouveaux matériaux, on est passé dans
les TGV duplex de 317 à 520 places sans modifier le poids. Ou encore l’«intermodalité»,
qui permet, comme à Roissy, de regrouper
trains, RER, avions et cars sur un site afin de
limiter les déplacements. Un train de petites
mesures pour de grosses économies.•
FABRICE DROUZY
20 INDUSTRIE
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Suède:plus une goutte
dans quinze ans
Le gouvernement s’est lancé dans l’ère
postpétrolière à coups de réformes.
La reconversion est en bonne voie.
Malmö de notre correspondante
a Suède s’est donné quinze ans pour
rompre sa dépendance à l’or noir. Y parviendra-t-elle? Mona Sahlin, la ministre
du Développement durable, en est
convaincue. «Si j’ai pu arrêter de fumer au
bout de trente-cinq ans, la Suède pourra
bien se débarrasser de sa dépendance pétrolière d’ici à 2020», ironisait-elle début mars, lors
d’une conférence sur l’énergie. Tout ne serait donc
qu’une question de motivation. Mais le patient est
déjà sur la voie de la désintoxication. Depuis 1970,
la Suède est parvenue à réduire de 40 % sa consommation d’hydrocarbures, grâce à une production
croissante de biomasse et d’énergie hydraulique.
La preuve, selon les autorités, que le sevrage est
possible.
Fin novembre, le gouvernement a nommé une Commission contre la dépendance pétrolière, chargée de
présenter un programme stratégique d’ici à l’été. Présidée par Göran Persson, le Premier ministre, elle est
composée de chercheurs, d’industriels et de fonctionnaires et a déjà entendu plusieurs dizaines d’experts
lors de quatre conférences organisées cet hiver à
Stockholm. Parmi eux, Per Carstedt, président de la
BioAlcohol Fuel Foundation(BAFF), estime qu’en décidant de diriger les travaux le chef du gouvernement
a montré qu’il «prenait les choses très au sérieux».
Reste à définir le concept d’«indépendance pétrolière». Il existe en Suède un large consensus sur l’idée
qu’il faut d’agir «avant qu’il ne soit trop tard». Le
royaume a pris une longueur d’avance. Car, si la Suède, comme la France, a investi dans le nucléaire après
la première crise pétrolière, «il a toujours été très clair
que ce n’était qu’une solution de court terme»,précise
le professeur Tomas Kåberger, qui préside l’Association suédoise des bioénergies (Svebio). Lors du référendum de 1980, 58% des Suédois ont voté pour
l’abandon de l’atome. La conversion de l’économie au
biocombustible a donc commencé très tôt.
En 2004, 35% de l’énergie produite en Suède provenait de sources renouvelables, 41 % émanant toujours du pétrole. Mi-décembre, Göran Persson a annoncé qu’«une série de décisions politiques difficiles»
devrait être adoptée. Les Suédois ne devront pas seulement se convertir aux biocombustibles.«Il faudra
aussi qu’ils réduisent leur consommation totale
d’énergie», affirme le biologiste et écrivain Stefan Edman, secrétaire général de la commission. L’objectif
est double: limiter la vulnérabilité d’une économie
trop dépendante aux hydrocarbures et contrôler les
changements climatiques.
L
SUÈDE
CÉAN
ATL.
Örnsköldsvik
FINL.
NORV.
Stockholm
500 km
La ville
d’Örnsköldsvik,
très mobilisée
sur les transports,
s’est dotée
d’une usine pilote
de production
d’éthanol, unique
au monde
(ci-contre).
Substitution progressive
C’est dans le secteur des transports que réside le plus
grand défi. Voitures, bus et camions ont avalé les
deux tiers du pétrole consommé en Suède l’an dernier. Certes, le pays est parvenu à généraliser l’E5
(95 % d’essence et 5 % d’éthanol), à faire rouler les
bus de ses grandes villes aux biocarburants et à booster les ventes de «voitures propres», qui représen-
«Nous avons des hommes politiques très intelligents
qui ont décidé de faire de nécessité vertu.»
Tomas Kåberger, de l’Association suédoise des bioénergies
taient 15% des nouvelles immatriculations en mars.
Mais plus de 95% du parc automobile suédois fonctionne toujours au diesel ou à l’essence. De l’avis général, le pari de l’indépendance pétrolière dans les
transports d’ici à 2020 est «irréaliste»,selon le terme
de Leif Johansson, PDG de Volvo et membre de la
Commission contre la dépendance pétrolière, qui
plaide plutôt pour une «substitution progressive des
biocombustibles aux hydrocarbures».
Si la Suède est l’un des plus gros consommateurs
d’éthanol en Europe, elle s’intéresse aussi au biogaz,
au diméthyléther (DME), à l’hydrogène et au méthanol. Qui ne sont pas des potions magiques: «Aucun biocarburant ne pourra se substituer au pétrole»,
affirme le professeurTomas Kåberger. Pour le PDG
de Volvo, Leif Johansson, «la priorité est à la recherche et au développement». Les trois constructeurs Volvo, Saab et Scania travaillent déjà à la mise
au point de nouvelles techniques, avec les plus
grandes universités du pays. Ce programme est fi-
INDUSTRIE 21
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
a permis de réduire l’impôt sur le revenu en échange
de nouvelles écotaxes sur le carbone, le soufre et les
oxydes d’azote. Mécaniquement, le prix du fuel est
devenu prohibitif. Logiques, les Suédois ont opté
pour le chauffage urbain ou les granulés de bois, dont
ils sont les premiers consommateurs au monde.
La révolution des compteurs
Aujourd’hui, 14 % seulement des maisons individuelles sont chauffées au fuel, contre 70% en 1978.
Mais le gouvernement envisage d’aller plus loin. Depuis le 1er janvier, il propose un crédit d’impôt aux
ménages qui décident de remplacer leur chaudière à
fuel par une pompe à chaleur, une chaudière alimentée aux biocombustibles ou un raccordement au
réseau de chauffage urbain. La campagne devrait
coûter quelque 450millions de couronnes (48millions d’euros) à l’Etat, d’ici à 2010. Longtemps, les
Suédois ont profité d’une électricité fournie à un prix
dérisoire. «Nous avons pris de mauvaises habitudes»,
remarque Anders Nylander, conseiller énergétique
pour la région Skåne. Pour y remédier, le gouvernement entend supprimer le chauffage électrique d’ici
cinq ans, toujours via un crédit d’impôt encourageant la conversion des appareils. Il suggère en outre
d’imposer des compteurs électriques individuels,
qui seront relevés chaque mois, une révolution ici.
Enfin, la Suède veut appliquer, dès 2008, la directive
européenne sur la prestation énergétique des bâtiments. Les propriétaires immobiliers devront alors
faire établir un certificat témoignant de leurs efforts
en matière d’économie d’énergie. L’autorité nationale du logement (Boverket) pourrait être chargée
de classer ensuite les bâtiments: une bonne note
donnerait droit à des avantages fiscaux ou autres.
L’objectif: «construire intelligent et encourager la rénovation du parc immobilier»,résume un conseiller
chez Boverket. L’Etat finance déjà plusieurs programmes de «logements durables». Bonnes élèves
aussi, les industries suédoises ont réduit de 70% leur
consommation d’hydrocarbures et augmenté de
60% celle des biocombustibles depuis 1970. Avec des
résultats impressionnants: l’an dernier, l’industrie a
consommé moitié moins de pétrole que de biocombustibles. Selon Mattias Jämttjärn, de l’Autorité nationale de l’énergie, le système d’échange de quotas
d’émission de gaz à effet de serre, introduit en 2003,
est un «outil efficace pour réduire la dépendance de
l’industrie aux hydrocarbures». Autre instrument: le
système des «certificats verts», adopté en 2002, qui
impose aux gros consommateurs d’électricité d’utiliser certains quotas d’énergie provenant de sources
renouvelables.
Le gouvernement
prévoit d’accroître
son budget
de recherche, afin
d’encourager
l’innovation. Et fait
la promotion du
recyclage.
nancé par l’Etat, qui espère ainsi faciliter la reconversion de son industrie automobile.
Dans l’immédiat, comment encourager les automobilistes à rouler au vert? Parking gratuit, exemption de péage à l’entrée de la capitale… Stockholm
donne l’exemple. Or plus de la moitié des voitures
neuves achetées en Suède sont des véhicules de
fonction, qui seront revendus d’ici deux ou trois ans
aux particuliers. L’Etat propose donc des avantages
fiscaux aux entreprises qui investissent dans une
voiture propre, tout en imposant aux administrations qu’elles achètent des véhicules roulant aux
biocarburants. Et, si la Suède pratique la défiscalisation des biocombustibles depuis une dizaine
d’années, le gouvernement envisage d’imposer une
classification fiscale des véhicules, qui profitera aux
voitures propres.
L’association des automobilistes verts estime que la
Suède «est sur la bonne voie». D’ici à 2009, toutes les
stations-service du royaume devront disposer d’une
pompe à éthanol. Depuis le début de l’année, la formation à l’ecodrivingest obligatoire dans toutes les
auto-écoles du pays. Reste que le renouvellement du
parc automobile prend du temps. Le secrétaire général de l’organisation suédoise de protection de la
nature (SNF), Svante Axelsson, propose donc de l’accélérer en instaurant une «prime à la casse».
Dans l’habitat, la consommation de pétrole a diminué de 80% depuis 1970. Le sevrage est donc à portée de main. Lars Roth, conseiller au ministère du
Développement durable, y voit «le résultat d’une politique fiscale efficace», qui a lourdement pénalisé les
hydrocarbures au profit des biocombustibles. En
1991, la réforme fiscale dite de «conversion au vert»,
Priorité au recyclage
Mais, dans l’industrie comme dans le logement, Stefan Edman, secrétaire général de la commission, ne
voit pas l’indépendance pétrolière réalisable sans
une diminution globale de la consommation d’énergie. Depuis le 1er janvier2005, le gouvernement a introduit une «exemption fiscale pour la consommation efficace d’électricité».Peuvent en bénéficier les
compagnies absorbant beaucoup d’électricité qui
s’engagent à réduire leur consommation.
Reste que de nombreuses industries utilisent aussi
le pétrole et ses dérivés comme matière première.
Göran Lindell, directeur adjoint de l’Institut suédois du pétrole, admet qu’«il faudra faire quelque
chose». Mais quoi? Pour lui, la priorité est ailleurs.
Dans l’immédiat, le gouvernement prévoit d’accroître son budget de recherche, afin d’encourager
l’innovation. Et fait la promotion du recyclage. La
Suède est un modèle en la matière.
Les Suédois sont bien conscients qu’à terme tout cela ne suffira pas. «Pour le moment, nous essayons d’aller progressivement et d’agir sur ce que nous pouvons
influencer»,affirme Stefan Edman.
Le professeur Tomas Kåberger observe: «Nous
avons des hommes politiques très intelligents, qui ont
décidé de faire de nécessité vertu. Le pétrole sera sans
doute devenu tellement cher d’ici à 2020 que tous les
pays seront forcés d’y renoncer. Mais en Suède nous
avons choisi de présenter l’indépendance pétrolière
comme un objectif ambitieux, plutôt que comme une
fatalité.»•
ANNE-FRANÇOISE HIVERT
Reportage photos MATTIAS AHLM
22 INDUSTRIE
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Un écosystème
industriel tapi
au
fond
modèles les plus aboutis d’écologie industrielle. «Le
mérite de Kalundborg, c’est d’exister», remarque Suren
Erkman, directeur de l’Institut pour la communication et l’analyse des sciences et des technologies (Icast)
à Genève, et spécialiste de l’écologie industrielle.
Comme d’autres font de la prose
des
fjords
Dans le port danois de Kalundborg,
des entreprises travaillent en symbiose, utilisant
l’eau, l’énergie des unes ou les rejets des autres.
Kalundborg envoyée spéciale
DANEMARK
MER DU
NORD
250 km
SUÈDE
Copenhague
MER
BALT.
Kalundborg
alundborg, c’est l’histoire d’un petit port
danois qui faisait de l’écologie industrielle sans le savoir. Nichée au creux
d’un fjord, sur la côte est du comté de
Seeland, à l’ouest de Copenhague, la ville
compte 20000 habitants. Il y a une
quinzaine d’années encore, les touristes
venaient y admirer l’église du XIIe siècle, avant de
prendre le ferry pour les îles alentour. Aujourd’hui,
leur intérêt a changé. Kalundborg est devenu l’une
des grandes destinations du tourisme industriel au
Danemark. Son modèle de «symbiose industrielle», qui a émergé au cours des quarante dernières
années, est enseigné jusque dans les plus grandes
universités nord-américaines.
Pour y apprendre quoi? Que les systèmes industriels
peuvent fonctionner comme des écosystèmes biologiques, selon le principe de la chaîne alimentaire. Les
entrepreneurs locaux ont découvert que les sous-produits des uns pouvaient servir de matière première
aux autres et permettre d’économiser énergie et ressources naturelles. Ce faisant, ils ont réalisé l’un des
K
L’histoire débute en 1961, avec la construction sur le
port de la plus grosse raffinerie de pétrole du pays.
Ses besoins en eau de refroidissement sont énormes
et les réserves de la commune, limitées. La municipalité accepte donc de construire un pipeline entre
le lac Tissø, à une douzaine de kilomètres, et la raffinerie, qui finance l’investissement. Plus tard, la centrale électrique voisine, qui est aussi la plus grosse
installation de ce type au Danemark, s’associe au
projet, imitée par la société Novo Nordisk, leader
mondial de la production d’insuline et d’enzymes
industriels.
C’est le point de départ de nombreux accords bilatéraux entre six partenaires: la raffinerie rachetée en
1986 par le groupe Statoil, la centrale électrique au
charbon Asnæs, Novo Nordisk, la municipalité de
Kalundborg, mais aussi la société Gyproc, qui produit des panneaux de construction en gypse, et la
compagnie de nettoyage des sols Bioteknisk Jordrens. «A l’époque, on ne raisonnait pas encore en
termes d’écologie industrielle», se souvient Jørgen
Christensen, ancien cadre chez Novo Nordisk et
conseiller auprès de l’Institut de la symbiose(1). «La
rentabilité économique d’un projet était indispensable
à sa réalisation», comme toujours dans l’industrie.
Le réseau d’entreprises s’est développé sans planification et les industriels ont fait de l’échange comme
d’autres de la prose. «Les accords ont été passés spontanément. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que nous
nous sommes rendu compte de ce que nous avions accompli»,explique Jørgen Christensen.
Le volontarisme succède alors au pragmatisme. La
symbiose industrielle doit permettre d’optimiser
l’utilisation de l’eau, de l’énergie, et de valoriser les
déchets. Jørgen Christensen est convaincu que la
construction du premier pipeline a joué un rôle déterminant, car «pour la première fois les entrepreneurs se sont rendu compte du potentiel énorme qu’il y
aurait à travailler ensemble».
La cendre en ciment, la boue en engrais
centrale, est exploitée par une ferme piscicole installée à proximité. Les cendres, produites par la combustion du charbon, sont revendues à des entreprises de
construction locales qui s’en servent dans la production du ciment. Enfin, l’installation d’une unité de désulfuration en 1990 permet à la centrale de produire
du gypse, mis à profit par la société Gyproc. De son côté, la raffinerie revend à des entreprises de fertilisants
le soufre extrait du gaz qu’elle produit en excès. Ce gaz
est utilisé en appoint comme combustible par la centrale d’Asnæs et Gyproc. Les agriculteurs de la région
profitent des boues fertilisantes produites par Novo
Nordisk, tandis que les boues issues de l’usine de retraitement de la ville servent de matière première à
une société de nettoyage des sols.
Résultat: Kalundborg est parvenu à diminuer de
20000 tonnes sa consommation annuelle de pétrole, de 15000 tonnes celle de charbon, de 200000celle de gypse, et de 2,9 millions de mètres cubes sa
consommation d’eau. La symbiose a permis en outre
de réduire massivement les rejets de déchets et de
gaz à effet de serre. Selon les estimations réalisées
par l’Institut de la symbiose, les investissements réalisés depuis trente ans pèseraient 75millions de dollars. Mais les revenus dégagés par les économies
d’énergie et par la valorisation des déchets sont, eux, évalués à 15 millions de «La
dollars par an.
transparence
En 1996, les six partenaires ont fondé
l’Institut de la symbiose , pour promou- et l’absence
voir le modèle de Kalundborg. Si Jørgen de hiérarchie
Christensen estime que de nombreuses qui
communes pourraient s’en inspirer, il est caractérisent
réaliste. «Kalundborg a ses limites: la ville la culture
est petite, les industries proches les unes des
autres, et les entrepreneurs fréquentent les d’entreprise
mêmes cercles. La transparence et l’absen- danoise ont
ce de hiérarchie qui caractérisent la cultu- facilité
re d’entreprise danoise ont facilité les les
échanges.»
échanges.»
N’empêche, de nombreux projets sont à Jørgen Christensen,
l’étude partout dans le monde. L’Asie est conseiller à l’Institut
un terrain d’expérimentation idéal. Son de la symbiose
développement économique est rapide,
son accroissement démographique aussi, et l’accès
aux ressources naturelles y est une priorité. Face à
l’augmentation du prix du pétrole et à l’épuisement
des réserves d’or noir, Suren Erkman est convaincu
que l’avenir appartient à l’écologie industrielle. A Kalundborg, on continue. Les responsables du développement local envisagent désormais de rajouter au
puzzle une usine de bioéthanol. Pour la marier avec la
raffinerie, Novo Nordisk et les agriculteurs locaux. •
Depuis, vingt-quatre projets bilatéraux ont vu le jour.
La centrale électrique se trouve au cœur de ce système
d’échanges. La raffinerie lui fournit ses eaux usées,
qu’elle utilise comme eau de refroidissement. En
échange, elle lui procure de la vapeur, dégagée par son
unité de cogénération, qu’elle revend aussi à Novo
Nordisk et à la municipalité. L’eau tiède, rejetée par la (1) www.symbiosis.dk
ANNE-FRANÇOISE HIVERT
Légende
Novozymes A/S
(production
d’enzymes
industriels)
Biomasse
Kalundborg
(municipalité)
Eau du lac Tissø
Bioteknisk
(amélioration
des sols)
Statoil A/S
(raffinerie,
produits
pétroliers)
Engrais
liquide
Réservoir
Nickel
Vanadium
Ciment
Energy E2 Asnæs
Cendres
Novo Nordisk A/S
(production
d’insuline)
Alimentation animale
(porc)
(centrale électrique et chauffage)
• Electricité
Noveren I/S
(traitement
des déchets
industriels
et ménagers)
• Compost,
produits organiques
• Papier, carton,
verre, métaux
• Déchets combustibles
Ferme
piscicole
Gypse
BPB Gyproc A/S
(production de plaques de plâtre)
Wag/Libération. Source : www.symbiosis.dk
Eau
Eau de refroidissement
Vapeur d’eau
Eau usée
Boue
Chaleur résiduelle
Engrais fertilisateur
Cendres
Gypse
Biomasse
Autres déchets
24 KYOTO: OÙ EN EST-ON?
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Les contributions, cumulées de 1900 à 1999,
au réchauffement de la planète
Les régions du monde sont représentées proportionnellement
à leurs émissions de CO2 issues de la combustion de produits fossiles.
Canada
2,3 %
Etats-Unis
Europe
30,3 %
27,7 %
Source : World Resources Institute
2,5 % Afrique
3,8 %
Amérique centrale et
Amerique du Sud
+ 37,8 %
Variation des émissions de gaz à effet
de serre entre 1990 (année de référence du protocole de Kyoto)
et 2003 pour les pays de l’OCDE et les économies en transition
Bulgarie
Ukraine
Roumanie
Biélorussie
Fédération
de Russie
Islande
- 8,2 %
Croatie
-6%
+ 22,5 % + 23,3 % + 24,2 %
+ 5,3 %
Union
européenne
Suisse
- 1,4 %
- 0,4 %
Liechtenstein
+ 9,3 %
Norvège
+ 12,8 %
+ 13,3 %
Japon
Etats-Unis
Nouvelle Zélande
Australie
Canada
Monaco
1990
- 38,5 %
- 50 %
- 46,2 % - 46,1 % - 44,4 %
Source : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
KYOTO: OÙ EN EST-ON? 25
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Ex-URSS
13,7 %
Chine, Inde et Asie
3,7 %
12,2 %
2,6 %
Japon
Moyen-Orient
168 pays ont signé le protocole de Kyoto. Seuls l’Australie, la Croatie,
les Etats-Unis, le Kazakhstan et la Zambie ne l’ont pas ratifié.
5
1,1 % Australie
3
Canada
L’Union
européenne
4 1
2
Kazakhstan
Etats-Unis
Japon
Légende
Les pays de l’OCDE et les économies
en transition qui ont signé et ratifié.
Les pays qui n’ont pas ratifié.
Zambie
Les économies en transition :
Biélorussie
Bulgarie
Fédération de Russie
Roumanie
Ukraine
1
2
3
4
5
Liechtenstein
Monaco
Norvège
Suisse
Islande
Australie
Wag / Libération
26
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Et si le baril était à
Toute la mondialisation serait à repenser. La survie de la plan
énergétique. Et une autre approche de la consommation et d
RECHERCHE
Le charbon a
de nouveau la cote 26
Microalgues
28
maxiprojets
Quelles énergies
29
pour demain?
..........
La planète retourne
...................................................
......................................
TA B L E R O N D E
Trois experts analysent
la nouvelle donne 30
.............
PORTRAIT
Colin Campbell,
père du «peak oil» 34
au
charbon
La ressource, abondante et peu chère,
sera bientôt non polluante grâce
à la séquestration en sous-sol du CO2.
............
e charbon, énergie d’avenir? Du présent,
rétorquent déjà les économistes. L’idée
que l’ère de l’anthracite se serait arrêtée
avec l’arrivée du pétrole et du gaz relève de
la myopie d’Européens, et surtout de
Français. Il est vrai que, chez nous, la dernière mine en activité a fermé en 2004.
Mais, à l’échelle mondiale, on n’a jamais autant
extrait de charbon de terre, et donc jamais autant
brûlé de houille. Sa consommation mondiale a été
multipliée par 2,5 depuis 1950, atteignant 2,8 milliards de tonnes équivalent pétrole en 2004. Le
King Coal de la révolution industrielle du
XIXe siècle est toujours là. Ces dernières années, sa
consommation croît même plus vite que celle du
pétrole et du gaz. Mieux réparti –posant moins de
problèmes géopolitiques que les hydrocarbures–
plus abondant, et donc moins cher à moyen terme
que le pétrole et le gaz, c’est lui qui «domine la problématique des émissions de gaz à effet de serre audelà des années 2050 en termes de ressources», rappelle Jacques Varet, directeur de la prospective au
Bureau des recherches géologiques et minières
(BRGM). Au rythme actuel de consommation, il
peut durer plus de cent cinquante ans en réserves
prouvées, davantage en ressources réelles, bien
plus que gaz et pétrole.
Ce charbon, source de chaleur, on en fait de l’acier…
et surtout de l’électricité. Plus de la moitié de la production d’électricité aux Etats-Unis (deux fois et demie celle des 104réacteurs nucléaires), 80% en In-
L
Le gaz carbonique craché par des millions de véhicules
ne peut guère être récupéré, mais ce n’est pas le cas
de celui qui sort des usines, des centrales électriques,
des hauts-fourneaux ou des cimenteries.
de, 70% en Chine, 50% en Allemagne, 36% en Grande-Bretagne. Autant dire que, devant la faim d’énergie dont témoignent les pays qui entament leur essor
industriel et urbain, l’avenir des mines est assuré.
D’où la crainte des climatologues, car qui dit charbon
dit émissions massives de gaz carbonique.
Devant ce dilemme, ingénieurs et géologues ont sorti une carte majeure: la séquestration en sous-sol de
ce maudit CO2. Alors que le gaz carbonique craché
par des centaines de millions de véhicules ne peut
guère être récupéré, ce n’est pas le cas de celui qui
sort d’une cheminée d’usine, d’une centrale électrique, d’un haut-fourneau ou d’une cimenterie.
Concentré dans les fumées, il peut être capturé. Puis,
proposent les géologues, renvoyé au sous-sol. L’idée
a déjà dépassé la théorie. Dans le Dakota-du-Nord
(Etats-Unis), la centrale au charbon de Beulah voit
le CO2 de ses fumées emprisonné, puis convoyé sur
330km vers le Canada, où, à Weyburn, il est injecté
dans un gisement de gaz à raison de 1,8 million de
tonnes par an. En Europe, une expérience de capture de CO2 à la sortie d’une centrale électrique danoise va démarrer.
Convoyé par gazoduc ou navire géant
Chaque centrale électrique au charbon pourrait, en
théorie, se voir affublée d’un équipement aussi gros
qu’elle, destiné à séparer le gaz carbonique de ses fumées puis à l’envoyer, par gazoduc ou navire géant,
vers un site d’enfouissement géologique. Le potentiel théorique est donc immense, capable non de résoudre à lui seul le problème climatique, mais de s’y
attaquer sérieusement. D’où le feu vert donné «à cette option qui offre une maturité technologique, démontrée par des expériences en cours, et un potentiel à
la hauteur des émissions»par un rapport du Giec, le
groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU, affirme Jacques Varet.
Les géologues se contentent de copier la nature. «Le
stockage géologique du CO2 existe à l’état naturel»,
explique Isabelle Czernichowski-Lauriol, du
BRGM. En France, le gisement de Montmiral, dans
la Drôme, contient un CO2 très pur, à 97%, exploité
pour l’industrie. Quant à l’industrie gazière, elle gère des stockages souterrains: 164 milliards de
27
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
300dollars
A N D R Z E J W I K TO R . F OTO R Z E PA . A F P
e ne peut passer que par une nouvelle révolution
a croissance.
La mine Rozbark,
à Bytom, dans le
sud de la Pologne,
lors d’une grève
en 2003.
mètres cubes dans le monde pour 500 sites. Mais
ces sites n’ont jusqu’à présent pas permis un enfouissement généralisé du CO2 sorti d’usine. Pas
question de risquer des remontées subites, le CO2
étant mortel à fortes concentrations – le dégazage
brutal du lac Nyos, au Cameroun, en 1986, a fait
1700 morts. Ou de voir des fuites plus faibles, mais
constantes, annihiler l’effet climatique recherché.
Confiné sous des roches imperméables
Il faudra donc dénicher les bons sites de stockage.
Les aquifères salins (impropres à la consommation)
offrent le plus de potentiel. Les veines de charbon inexploitées semblent sûres, car le CO2 s’y absorbe. Les
gisements de pétrole ou de gaz épuisés, ou en cours
d’exploitation, seront probablement les premiers
choisis. Les pétroliers poussent cette idée, y voyant
le moyen d’une «récupération assistée du pétrole directement rentable»,avance Jacques Varet. Ces sites
devront se trouver à plus de 800 m de profondeur,
pour garantir températures et pressions favorables.
Et être recouverts de roches imperméables, pour assurer un confinement de plusieurs siècles. Des
études génériques sont indispensables. «Il faudra
étudier des milliers de sites à fond et chacun en particulier»,prévient Pierre Le Thiez, de l’Institut français du pétrole.
Les technologies de séparation ou de transport ne
posent pas de problème de principe. Les ingénieurs
savent séparer le CO2 après combustion (par fixation
sur un solvant liquide ou un solide), ou avant, ce qui
suppose la combustion sous oxygène pur. La difficulté, reconnaissent-ils, c’est le prix et la régénération du processus. Mais si le gaz – principal concurrent du charbon comme moyen de produire de
l’électricité – se fait rare et cher, le surcoût de la séparation du transport et du stockage, pourrait bien ne
pas entamer la compétitivité du charbon. En revanche, celle du nucléaire deviendra redoutable, du
moins pour les pays disposant de moyens technologiques permettant d’y recourir et de populations qui
l’acceptent.•
SYLVESTRE HUET
28 RECHERCHE
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
T H I E R R Y PA S Q U E T . E D I T I N G
Culture
de «Chlamy»
à Saint-Nazaire.
Certains
paramètres
restent aléatoires:
l’acidité
du bouillon
où barbote l’algue,
sa température,
sa teneur
en carbone
organique...
De l’eau, du soleil et des algues
Encore expérimental, un processus
biologique permet de fabriquer
de grandes quantités d’hydrogène.
Saint-Nazaire envoyé spécial
es plantes vertes nous sauveront. Peutêtre bientôt. Cultivées soigneusement, de
petites algues d’eau douce pourraient
fournir en quantité une source d’énergie
bien connue, l’hydrogène, capable de faire
tourner des moteurs, d’alimenter des piles
ad hoc, ou de générer directement de
l’électricité. Un précieux substitut d’origine biologique aux ressources fossiles en voie de disparition. La technique reste toutefois à peaufiner: car,
si le processus biochimique semble maîtrisé par
les scientifiques, reste à améliorer les performances du procédé avant de réaliser des unités de
production à l’échelle industrielle. «Ce n’est pas
demain qu’il y aura une usine. Dans vingt ou trente
ans peut-être…», sourit Jack Legrand. Ce chercheur travaille depuis cinq ans sur l’extraction de
biohydrogène au Génie des procédés, environnement, agroalimentaire (Gepea), un laboratoire
universitaire réparti entre Nantes et SaintNazaire (Loire-Atlantique). Traquant l’hydrogène
là où il est en grande quantité –c’est-à-dire dans
l’eau–, la biochimie ouvre un avenir plus durable
que l’hydrogène tiré des hydocarbures, du charbon ou du gaz naturel.
L
LoireAtlantique
SaintNazaire
Nantes
OC
CÉAN
N
ATL.
Vendée
20 km
Vertus et casse-tête
Jules Verne avait pressenti qu’on carburerait à l’hydrogène. «L’eau sera le charbon du futur», écrit-il
dans son roman l’Ile mystérieuse, en 1874. Imaginant
déjà l’épuisement du charbon, l’écrivain prédit un
destin de carburant de remplacement à la bonne
vieille eau des familles: «L’hydrogène et l’oxygène qui
la constituent, utilisés seuls ou ensemble, fourniront
«Les besoins énergétiques de la France pourraient
être comblés en couvrant seulement 1 % de la surface
du territoire avec la microalgue Chlamy.»
Jack Legrand, chercheur
une source inépuisable d’énergie et de lumière, d’une
intensité dont le charbon n’est pas capable.»
Léger et simple, l’hydrogène a tout pour plaire, même s’il faut le dissocier des autres molécules auxquelles il est toujours accolé, et inventer des modes
de stockage fiables. Pour exploiter ses vertus, plusieurs pistes: l’électrolyse, qui dissocie hydrogène et
oxygène de l’eau. Mais c’est pour l’instant un moyen
bien gourmand en électricité. L’usage de réacteurs
nucléaires à haute température ensuite. Le procédé
bute cependant sur le casse-tête de gestion des déchets. Enfin, en décomposant des matières organiques – ordures domestiques, végétaux ou bois –, la
biomasse produit naturellement de l’hydrogène mêlé à du monoxyde de carbone. Aidée par la photosynthèse de bactéries ou d’algues, la photolyse de l’eau
est la dernière voie prometteuse.
Stress et réserves sucrées
Les premiers travaux scientifiques sur le biohydrogène datent de 1940. Le premier choc pétrolier ravive les recherches, les relie à de nécessaires solutions
industrielles. La photosynthèse décomposant l’eau
ayant en outre le grand mérite de ne dégageraucun
gaz à effet de serre. Après les bactéries étudiées depuis les années 70, les microalgues passionnent les
chercheurs du XXIe siècle. De l’eau, du soleil et des
algues sont les ingrédients de ce cocktaild’hydrogène concocté dans un bioréacteur. Privées délibérément de soufre quand elles baignent dans leur jus
vert, les algues microscopiques prennent un coup
de stress, ce qui les contraint à puiser dans leurs réserves sucrées, de l’amidon en l’occurrence. Provoquée par l’hydrogénase, une enzyme spécifique qui
booste la réaction biochimique, la dégradation de
l’amidon libère alors les molécules d’hydrogène, à
condition que le milieu soit exempt d’oxygène.
Bien des paramètres restent à maîtriser: la qualité de
la soupe verdâtre où barbote l’algue lors de sa culture, l’acidité de ce bouillon, sa température, sa teneur
en carbone organique. Outre la valeur des réserves
en amidon de l’algue, il faut également veiller à la
quantité d’éclairage nécessaire, de préférence solaire, et optimiser la forme de la cuve, afin que la lumière agisse uniformément. Trop fort, le brassage de
l’eau troublerisque de cisailler les flagellesde l’algue
–ces cils lui permettant de se mouvoir dans un
liquide. Reste aussi à trouver l’équilibre pour que le
mouvement de l’eau ne mutile pas ces cellules
grosses d’à peine dix microns, qu’il faut garder en
pleine forme afin qu’elles turbinent plusieurs fois. Allemands et Australiens planchent d’ailleurs sur une
version de l’algue génétiquement modifiée, améliorant ses performances lors de l’extraction de l’hydrogène de l’eau.
«Chlamy», sous toutes les coutures
En France, une quinzaine d’équipes sous l’égide du
Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et du
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
–soit deux bonnes centaines de chercheurs et thésards de Marseille, Orsay, Cadarache, Lille, SaintNazaire et Nantes– travaille sur «Chlamy», le diminutif usuel pour Chlamydomonas reinhardtii,l’algue
verte unicellulaire adoptée par la majorité des
équipes mondiales. «Pour les biologistes, cette algue,
c’est un rat de laboratoire. Tout son patrimoine génétique est connu, séquencé»,explique Jérémy Pruvost,
autre chercheur du Gepea. La souche sauvage naturelle est conservée par le laboratoire d’écophysiologie de la photosynthèse du CEA à Cadarache dans les
Bouches-du-Rhône.
Pour Jack Legrand, «les besoins énergétiques de la
France pourraient être comblés en couvrant avec cette microalgue 1% de la surface du territoire». Soit la
taille du département du Calvados. Voire un peu
plus, car cette estimation table sur un rendement
théorique de 10%. Une hypothèse d’école: actuellement, dans les labos, ce rendement hésite entre 0,2et
0,3%, dans des bioréacteurs d’étude d’une capacité
de 1 litre d’eau seulement. D’autres chercheurs ont
déjà atteint 1% mais en essorant le potentiel de
l’algue, morte à l’issue du processus.
Ce même labo nazairien se penche sur une autre application de Chlamy qui pourrait générer «jusqu’à
70 % de son poids en lipides aptes à tourner dans un
moteur. Et ces lipides auraient un rendement de biocarburant trente fois supérieur au colza». Etudiés
dans le cadre du programme Shamash de l’Agence
nationale de la recherche, ces adjuvants gras du biodiesel intéressent déjà des industriels. •
NICOLAS DE LA CASINIÈRE
RECHERCHE 29
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Leplein d’énergies
pour les prochains siècles
Même si les hydrocarbures
ne disparaîtront pas, éolien, atome,
hydrogène ou biomasse
auront un rôle à jouer.
u cours des décennies à venir, ce sont
surtout les hydrocarbures, autrement dit
le pétrole, le gaz et le charbon, qui fourniront l’essentiel de l’énergie sur la planète.
En dépit d’avantages écologiques et parfois économiques, la majeure partie des
sources à faible teneur en carbone restera minoritaire. Panorama.
A
La fission nucléaire
A Mühlhausen,
dans le sud
de l’Allemagne,
la plus grande
installation
de production
d’électricité
à partir d’énergie
solaire.
Le nucléaire peut-il sauver la planète? A en croire ses
défenseurs, à commencer par les industriels français
du secteur, et la plupart des grands partis politiques
de l’hexagone (sauf les Verts), l’atome présente de
multiples atouts pour libérer les sociétés du pétrole.
Avec l’avantage indéniable de n’émettre que très peu
de gaz à effet de serre, et donc de lutter au passage
contre le réchauffement de la planète. Mais pour de
nombreux économistes, si l’énergie nucléaire peut
appuyer la politique énergétique de pays comme la
France déjà dotés d’un important parc de centrales,
le recours massif à l’atome serait hors de prix: il faudrait construire un réacteur par semaine dans le
monde au cours des cinquante prochaines années.
Avec un obstacle de taille: outre les problèmes de sécurité et de maintenance, il est difficile, comme le
montre le dossier iranien, de laisser un Etat se doter
du nucléaire civil sans qu’il soit soupçonné de le prolonger dans le domaine militaire. En dépit du développement du nucléaire dans plusieurs pays, notamment en Chine, l’Agence internationale de
l’énergie atomique prévoit que sa part relative dans
la production mondiale baissera d’ici à 2030.
trale thermique. Des centrales solaires de ce type
devraient apparaître en nombre d’ici une vingtaine
C’est un vieux rêve de physiciens, qui consiste à d’années dans les pays de la ceinture tropicale de la
dompter les réactions qui ont créé l’univers et chauf- planète.
fent le cœur des étoiles. Il porte la promesse d’une
source d’énergie quasi infinie à l’échelle humaine et Les énergies de la mer
plus propre que le nucléaire des centrales à fission Si la plupart des meilleurs sites de captation de
conçues au XXe siècle. Aujourd’hui, la recherche n’en l’énergie marémotrice sont déjà équipés, les océans
est qu’à ses débuts. Le futur réacteur Iter, qui sera pourront participer à long terme au renouvellement
construit en France à Cadarache, permettra aux énergétique de la planète. Les Britanniques, en parchercheurs de défricher cette voie. Mais elle ne sau- ticulier, expérimentent des systèmes de captation de
rait déboucher sur des applications industrielles la force des courants sous-marins et de celle des
vagues. Très embryonnaires, ces technologies metavant plusieurs décennies.
tront des décennies avant de prendre leur essor inL’hydrogène
dustriel.
Ce gaz peut –grâce à la pile à combustible– animer
des voitures, chauffer des immeubles ou produire de L’énergie éolienne
l’électricité. Sa combustion ne fournit que de l’eau. Il C’est assurément la source renouvelable industrielreste à trouver un moyen peu onéreux de produire ce le qui a le vent en poupe. L’Europe a mis le paquet,
gaz rare dans la nature et qui n’est pas à proprement notamment en Allemagne et en Espagne. La Chine
parler une source d’énergie: on le fabrique notam- et l’Inde sont également très accros aux moulins à
ment à partir du pétrole, du gaz et bientôt du char- vent géants. L’éolien devrait prendre son envol au
bon, ou en faisant passer un courant électrique dans large des côtes, où les vents sont plus réguliers, et les
de l’eau. L’hydrogène sera un vecteur d’énergie ve- riverains plus discrets. Car l’éolien souffre de son
dette au cours de ce siècle, surtout si la technologie emprise sur les paysages, et plus encore de l’irrégupermet un jour de le produire directement à partir de larité du vent: il doit être associé à des centrales clasl’énergie solaire, ou si l’on parvient à séquestrer du- siques pour éviter que les pannes de vent ne se transrablement le gaz carbonique qui s’échappe quand on forment en panne de courant.
«craque» charbon et hydrocarbures pour l’extraire
La biomasse
(lire page précédente).
Elle couvre aujourd’hui une grande partie des beLes centrales d’électricité solaire
soins de chaleur, notamment dans les pays en voie de
Aujourd’hui, elles s’appuient principalement sur développement où le bois de chauffage participe à la
des panneaux de cellules qui convertissent directe- déforestation. Une meilleure exploitation des sousment la lumière en électricité. Très chères, les cel- produits de l’agriculture et une gestion durable des
lules photovoltaïques offrent encore un faible ren- forêts devraient permettre son essor dans de nomdement. Dans les années 80, plusieurs centrales breux pays. Mais, à de rares exceptions près, on ne
solaires thermiques ont été construites dans les dé- fait pas rouler de voiture avec des fétus de paille.
serts des Etats-Unis. Des miroirs y collectent la lumière et chauffent un fluide qui alimente une cen- Les déchets
C’est un véritable trésor, largement sous-exploité.
Brûlés dans des incinérateurs couplés à des centrales
électriques, ou, plus écolo, fermentés dans des cuves
de compostage industrielles pour produire biogaz,
électricité et engrais «naturel», les déchets commencent à intéresser Etats et collectivités locales.
La fusion nucléaire
La géothermie
Hormis dans des régions volcaniques, où elle est déjà exploitée (Islande, Italie, Guadeloupe...), la chaleur
des entrailles de la terre restera anecdotique à
l’échelle de la planète. Couplée à des pompes à chaleur, elle trouve quelques applications pour le chauffage. Des expériences dans des roches fracturées à
grande profondeur donnent de bons résultats pour
la production d’électricité, mais sans réelles perspectives à grande échelle.
S T E FA N K I E F E R . A F P
Multiplier l’efficacité énergétique
L’énergie la moins chère, c’est celle qu’on ne
consomme pas, baptisée «négawatts» par les initiés.
Le gisement d’économie d’énergie est extraordinaire dans les pays développés, plus encore aux EtatsUnis où la population consomme beaucoup plus
d’énergie que dans les pays européens. L’efficacité
énergétique s’obtient notamment en développant
les transports en commun, en remplaçant les appareils électriques gourmands par des modèles plus
sobres, en isolant logements et bureaux, et en tirant
parti des apports de l’énergie solaire.•
DENIS DELBECQ
30 TABLE RONDE
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Pays émergents en pleine croissance, production insuffisante, asphyxie générale...
Est-ce la fin du tout-pétrole? Trois économistes décryptent la nouvelle donne.
«La
maison
et tout
brûle
le monde regarde
»
ailleurs!
e pétrole est partout.
Epuisement des réserves,
instabilité géopolitique,
faiblesse des
investissements… Une forte
hausse du prix du fluide le
plus indispensable à
S É B A S T I E N C A LV E T
L
l’économie mondiale semble
inéluctable. Et cette fois le
choc ne sera pas seulement
économique. Il risque de
sonner le début de la fin d’un
monde tel que nous le vivons.
Vision exagérément
pessimiste? Pas sûr. Car, pour
de nombreux observateurs, la
fête est finie. Et le sevrage va
s’imposer plus vite que prévu.
Pour tenter de dresser un
bilan et tracer les futurs
possibles d’un univers où le
pétrole sera cher, Libération
a réuni trois experts. JeanMarie Chevalier (à droite sur
la photo), professeur
d’économie à ParisDauphine, est aussi directeur
au Cambridge Energy
Research Associates (Cera,
bureau de Paris). Serge
Latouche (de dos),
économiste et philosophe,
professeur émérite à
l’université Paris-Sud, est
l’un des chefs de file de la
décroissance soutenable.
Patrick Artus (à gauche),
directeur des études
économiques de la Caisse des
dépôts et consignations, est
reconnu pour la pertinence
de ses analyses macroéconomiques. Entretien.
Depuis plus d’un siècle et demi, le pétrole
a été bon marché, vivons-nous la fin de cette
période?
Jean-Marie Chevalier Oui.
Serge Latouche Oui, nous sommes entrés dans l’ère
d’un pétrole qui sera de plus en plus rare, néfaste à
l’environnement et aux populations…
Patrick Artus Ça ne fait que commencer.
Quel est l’état de la planète pétrole?
J.-M.C. Il faut d’abord préciser ce que l’on entend par
réserves pétrolières. Il y a celles qui sont prouvées et
récupérables aux conditions technologiques et économiques actuelles. Il y a les réserves probables,
plus délicates à quantifier. Pendant longtemps, le
taux de récupération du pétrole a été dramatiquement bas, de l’ordre de 35%. On laisse donc dans les
roches 65 % du pétrole. Avec les nouvelles technologies, qui permettent des forages à 3000 m de profondeur, nous sommes capables de découvrir de
nouvelles roches qui ressemblent à des éponges qui
contiennent du pétrole. Toujours grâce à la technique, nous pourrons augmenter ce taux de récupération sur les gisements existants ou à découvrir.
Notez que les compagnies pétrolières n’ont pas intérêt à avoir dans leur portefeuille des réserves trop
importantes. Cela revient à avoir des dollars qui dorment sous terre.
L’économie mondiale engloutit chaque jour ce
qui est produit quotidiennement, soit environ
80 millions de barils. Satisfaire une demande
accrue devient de plus en plus difficile…
J.-M.C. Les tensions sont fortes. Mais nous n’avons
toujours pas atteint les records du second choc pétrolier. A l’époque, en 1979-1980, le baril était coté
35dollars, soit l’équivalent de 80dollars de nos jours.
Pour l’avenir, la grande angoisse, c’est la Chine.
Beaucoup estiment que nous avons extrait
la moitié des réserves, soit 1000 milliards de
barils… Est-ce le début du compte à rebours?
J.-M.C. Je n’ai pas de crainte sur les réserves, elles sont
là. Je suis beaucoup plus sceptique sur le déblocage
des investissements nécessaires pour les extraire.
Le cas de l’Irak est très éclairant. A la veille de la guerre, ce pays produisait deux millions et demi de barils
par jour. Si on investissait dans le potentiel pétrolier
irakien, on pourrait monter à cinq. Beaucoup de pays
restent fermés à l’investissement étranger. Le
Mexique est fermé, l’Arabie Saoudite, l’Iran, sont fermés, idem en Russie…
P.A. J’ajouterais un point: le poids des pays émergents. Si on prend les pays les plus avancés, comme
les Etats-Unis, l’Europe ou le Japon, on constate une
baisse tendancielle de la consommation de pétrole
rapportée au PIB. Ils sont plus efficaces dans leur
consommation. Mais que se passe-t-il dans les pays
émergents d’Europe centrale, ou encore en Chine?
La consommation pétrolière reste stable. Et pour
cause, puisque ces pays sont dans une phase où c’est
l’industrie, gourmande en énergie, qui prédomine.
Cette année, la consommation quotidienne de pétrole de l’Asie et du Pacifique va atteindre les 25millions de barils par jour.
Alors que les Etats-Unis consomment à eux
seuls 20 millions de barils par jour…
P.A. Oui. Maisl’élasticité de la consommation mondiale de pétrole augmente. Autrefois, lorsque le PIB
mondial s’élevait de 1 % à cause de la croissance
américaine ou européenne, la consommation de pétrole montait de 0,4 %. Aujourd’hui, ce taux ne cesse de grossir du fait que les pays qui font de la croissance sont des pays émergents qui ne font pas
d’économies dans l’usage de pétrole. Tout ceci peut
se lire dans les chiffres, notamment depuis le boom
chinois de 2002. Depuis cette date, la demande
mondiale de pétrole augmente de près de 3% par an,
alors qu’elle n’atteignait pas 1% jusqu’à la fin des années90. Cette hausse coïncide avec la découverte du
TABLE RONDE 31
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
So Far So Close,
photographies
d’Aniu
(agence Vu),
Shenzhen,
Chine, 2004.
crédit en Chine, crédit qui sert à acheter des voitures. L’évolution de la capacité mondiale de pétrole était largement suffisante jusqu’à la fin des années 90, elle ne l’est plus. D’ici à 2015, l’offre
mondiale va augmenter d’une quinzaine de millions
de barils par jour, alors que la demande grimpera à
25millions de barils.
Ce qui laisse supposer, à l’horizon 2015, un
prix du baril à 300 dollars…
P.A. D’ici dix ans, il ne manquera peut-être pas 10millions de barils par jour pour étancher la soif de pétrole de la planète, mais 6 à 7millions. Pour réduire
la demande mondiale, il faudra augmenter son prix
massivement. Sans atteindre les 300dollars, le baril
se négociera autour de 150dollars.
J.-M.C. Nous sommes toujours confrontés à cette inconnue: les investissements vont-ils suivre? Et puis,
certains pays ne vont-ils pas changer leur mode de
vie en instaurant, par exemple, des impôts pour diminuer la consommation de pétrole. L’ajustement
se fera-t-il seulement par les prix? C’est la combinaison de ces trois éléments, investissement, demande,
et prix, qui formera un nouvel équilibre. Alors 200 ou
300 dollars? Personne n’en sait rien! Par contre, il
me semble que le changement climatique est de plus
en plus intégré dans les stratégies industrielles. Ceci
aura un impact fort. Car les effets du changement climatique vont obliger nombre de pays à réduire leur
demande, à agir sur la consommation, à produire des
hybrides.
P.A. Soyons modestes: personne ne connaît la technologie de demain. Mais nous savons tous que celle
de 2015 sera la même que celle d’aujourd’hui. Ce
constat, à lui seul, est suffisant pour pousser les prix
à la hausse. Mais 2030 est beaucoup moins prévisible
de ce point de vue. On parle beaucoup de la Chine,
mais sa croissance peut s’arrêter pour d’autres raisons. Regardez le platine, le palladium, le cuivre, le
minerai de fer…, l’impossibilité de résoudre l’équation entre les réserves et les besoins à terme est pire
que pour le pétrole.
La fin du pétrole bon marché annonce-t-elle
une démondialisation?
S.L. Je suis tout à fait d’accord pour dire que ce n’est
pas forcément par le pétrole qu’on peut redouter une
cassure dans l’évolution de l’économie mondiale et
de ses prétendus équilibres tant économiques
qu’écologiques. Beaucoup d’experts commencent à
faire un lien entre démondialisation et pétrole cher.
Ainsi, le député vert Yves Cochet estime qu’à 150dollars le baril, il n’y a plus d’aviation civile.
J.-M.C. La démondialisation est une question très difficile. Mais il est vrai que nous sommes dans une économie mondialisée dans laquelle le transport n’a
probablement jamais été aussi bon marché. Ça ne va
pas durer. A partir de quand le pétrole cher remettrat-il en cause les flux d’échanges de marchandises
dans le monde? A partir de quand les haricots verts
du Kenya n’arriveront-ils plus sur nos marchés? Ce
qui est certain, c’est que cette mécanique de la mondialisation risque le grippage.
S.L. On ne peut pas avoir une réponse brutale, car
nous savons tous que le transport aérien est defacto
subventionné puisque le kérosène est détaxé depuis
un accord de 1946. Ce qui paraît délirant, c’est qu’on
crée des infrastructures de transports comme si la
croissance potentielle était sans limites. Nous
n’avons pas du tout intégré que c’est tout simplement
impossible. Dans cette fuite en avant, on conçoit le
futur gros porteur d’Airbus qui ne volera peut-être
jamais du point de vue commercial, car, lorsqu’il arrivera sur le marché, on sera peut-être dans un
contexte totalement différent.
J.-M.C. C’est un vrai problème. D’autant que si l’on
commençait, dès aujourd’hui, à calculer le coût des
externalisations des transports routiers ou aériens,
nous changerions notre manière d’imaginer le futur.
Car les coûts externes du transport sont chaque jour
de plus en plus élevés. Or, ces coûts externes, il faudra
les payer un jour. Ils seront constitués des effets néfastes de la pollution, des encombrements, de la dégradation de la santé publique…
Raison de plus pour faire de la «décroissance
organisée»…
P.A. Le problème est plutôt de savoir si on va expliquer aux Indiens et aux Chinois que leur niveau de
vie va s’arrêter à 1500dollars par habitant, pendant
que nous, les riches, sommes à 30000dollars.
«A partir de quand les haricots verts
du Kenya n’arriveront-ils plus
sur nos marchés?»
Mais comment faire, dès lors que le modèle
économique occidental sert de référent au
reste de la planète?
P.A. C’est justement toute la problématique: expliquer aux pays émergents qu’ils ne peuvent pas avoir
la même stratégie de développement que nous, que
la Chine ne peut pas avoir un PIB constitué à plus de
70% par de la production industrielle.
J.-M.C. Dans ces pays –l’Inde et la Chine ou encore le
Brésil–, il y a une prise de conscience progressive du
fait que les questions environnementales sont des
questions sérieuses. Le bilan énergétique chinois est
à l’heure actuelle à 65% lié au charbon. Et ils savent
que, s’ils continuent, ils s’asphyxient. Je crois que
nous négligeons les effets positifs du protocole de
Kyoto. Les mécanismes de marché de CO2 peuvent
amener à réduire les émissions de CO2. Sans parler
des mécanismes de développement durable. Le
transfert de technologies propres des pays riches
vers les pays en voie développement permettra une
croissance qui sera moins intense en énergie.
Le mécanisme que vous évoquez n’évitera pas
une flambée du prix du pétrole…
P.A. Sans doute. D’autant plus que les Chinois connaissent une progression de ventes des voitures de l’ordre
de 130%. Ils ne peuvent pas continuer.
J.-M.C. Ils finiront par réaliser qu’un mode de croissance tel que nous l’avons vécu n’est pas possible…
S.L. Mais lorsque vous dites cela, vous laissez croire
que nous pouvons, nous, continuer comme si de rien
n’était. Or, notre mode de croissance n’est pas plus
viable que le leur. C’est ça le défi que nous devons relever. Les pays émergents sont exactement comme
nous. Comme nous, ils voient que la maison brûle et,
comme nous, ils regardent ailleurs. Tout le monde
s’alarme, y compris les politiques, mais la mégamachine continue à suivre sa logique.
●●●
32 TABLE RONDE
«Une croissance infinie n’est pas
possible dans un monde fini mais
nous sommes devenus des
toxicodépendants de la croissance.»
● ● ● Faut-il considérer le pétrole comme l’eau
et plaider pour qu’il devienne un bien public
mondial, géré autrement que par les seuls
intérêts privés? Et inventer une gouvernance
mondiale du pétrole?
J.-M.C. Le pétrole est un bien privé. En face, nous
avons un bien public mondial qui est le climat et qui
appartient à six milliards d’individus, bientôt neuf. Il
y a bien un mode de gouvernance mondiale à instaurer entre le climat et le pétrole, et là, je crois que Kyoto va dans le bon sens. Ceci étant, le prix du baril reste bon marché, il ne faut que 7 dollars en moyenne
pour extraire un baril de pétrole. On voit que l’or noir
génère une richesse extravagante.
P.A. La production est concentrée dans les mains de
peu d’acteurs dont les objectifs sont éloignés du bien-
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
être planétaire… Dans quinze ans, le pétrole, ce sera
les Russes et le Moyen-Orient. Or, leur concept d’utilité ne prend pas en compte l’intérêt de la collectivité, les effets du CO2 ou des coûts externes générés par
l’utilisation intensive du pétrole. La gouvernance du
pétrole est une question qui va se poser. Mais elle est
extrêmement compliquée à résoudre.
Pourquoi?
P.A. Prenons l’exemple de la Russie: le pétrole y est un
générateur de revenus alors que le reste de l’économie ne fonctionne pas. On pourrait presque dire que
le pétrole sert à redistribuer de la richesse. En revanche, en Arabie Saoudite, le pétrole est un moyen
d’enrichissement personnel. Dans un délai relativement court, nous allons avoir une ressource extrêmement rare concentrée dans les mains de personnes aux objectifs extrêmement divergents, voire
douteux.
J.-M.C. Et qui peuvent avoir la tentation de créer de la
rareté…
S.L. Ils le font déjà: le marché du pétrole, où seul prime l’objectif de rentabilité, n’incite pas à l’investissement.
P.A. Quand l’Arabie Saoudite a 250milliards de dollars d’excédents de sa balance commerciale et qu’el-
le n’arrive pas à dépenser la moitié de ce revenu, elle
n’a aucune incitation à aller chercher du pétrole. Si
les Saoudiens avaient pour mission de réduire les
risques de la planète, ils auraient un tout autre comportement.
Cela remet en question la propriété privée
de la ressource…
P.A. Oui. Sachant qu’un pétrole qui devient tout d’un
coup cher ne crée pas une situation optimale pour le
plus grand nombre. Si le pétrole était géré mondialement, il serait géré de façon intemporelle en évitant
la rareté.
S.L. Mais l’intérêt de la planète n’est pas qu’on produise toujours plus de pétrole…
J.-M.C. N’oubliez pas que ce que redoutent les
membres de l’Organisation des pays exportateurs de
pétrole (Opep), c’est que les prix du pétrole déclenchent une récession mondiale qui leur revienne en
boomerang. Cela dit, ils n’ont aucun moyen d’empêcher une hausse des prix. L’Opep n’a plus de capacité
excédentaire et donc ne peut plus fournir les missing
barilsen cas de forte augmentation de la demande.
Le choc pétrolier de demain sera-t-il de même
nature que les précédents?
P.A. Il est très difficile d’exhiber, depuis 2002, un ef-
TABLE RONDE 33
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
fet négatif de la hausse du pétrole sur la croissance
mondiale. Cela tient à des mécanismes financiers. Et
c’est dangereux. Car finalement, si nous avions vu les
effets négatifs du prix du pétrole sur l’activité économique mondiale, nous nous serions posé des questions. Or, nous ne nous posons pas de questions. Le
monde va encore croître de quelque 5% cette année,
finalement ce n’est pas si mal que ça.
Il n’y a donc pas de problème?
P.A. Dès que les pays producteurs de matières premières placent ou dépensent leur argent, ils le font
sur les marchés financiers hypersophistiqués. Du
coup, les prix des actifs financiers montent; même
chose du côté de l’immobilier. Tout ceci génère des
effets de richesse tels qu’il n’y a pas d’effets négatifs à
ces niveaux de prix du pétrole sur la croissance mon-
«Le système tient d’autant plus
qu’on a ouvert les vannes
du crédit bon marché.
Tout le monde est surendetté.»
diale. Le système tient d’autant plus qu’on a ouvert
les vannes du crédit bon marché. Tout le monde est
surendetté. Résultat? Le pétrole n’est pas une cause
de blocage économique, et il n’y a pas de prise de
conscience des risques. Donc on ne fait rien.
Personne ne souffre?
P.A. Ceux qui souffrent, ce sont essentiellement les
émergents importateurs de matières premières.
Pour l’instant, les pays riches ne souffrent pas grâce
à la bulle financière, et grâce au fait que les Saoudiens
et d’autres pays exportateurs de pétrole placent l’argent de l’or noir sur les marchés boursiers. Ce phénomène génère de telles plus-values que cela compense le prélèvement pétrolier. L’ensemble forme
une mécanique économique totalement anesthésiante. Tout ceci s’effondrera le jour où les patrons
des grandes banques centrales décideront d’augmenter les taux d’intérêts. Si on arrête le crédit, en
remontant les taux bancaires, on fabriquera alors
une catastrophe économique. Pour l’instant, le monde occidental vit sous l’illusion qu’il ne se passera rien
de dangereux.
Combien de temps peut tenir cette situation?
J.-M.C. On donne du revenu aux pays pétroliers, et
eux nous donnent du crédit. Cela durera tant que les
banquiers centraux accepteront qu’on fonctionne
sur une économie de crédit et non sur une économie
de revenu.
P.A. Mais cela finira par lâcher, puisque les banques
centrales vont bien finir par siffler la fin d’une récréation où l’augmentation des volumes de crédit est
de 15% par an.
S.L. Mais lorsque tout s’écroulera, non seulement le
crédit va manquer, mais tous les actifs vont voir leur
valeur se dégonfler. Ce sera pire que lors du second
choc pétrolier en 1979. Moi, je n’ai pas cette approche. Ou du moins pas seulement. Je crois qu’il
faut partir de ce que l’on appelle l’empreinte écologique. Nous vivons la sixième extinction des espèces. La cinquième a vu disparaître les dinosaures
il y a 65 millions d’années. Le problème de l’extinction actuelle, c’est qu’elle se fait entre 1000 et
30000 fois plus vite que la précédente. Faut-il rappeler qu’il disparaît entre 100 et 200 espèces par
jour! C’est nous qui sommes responsables de ces extinctions. Nous finirons par en être les victimes.
Nous nous sommes embarqués dans une société de
croissance, c’est-à-dire qui n’a pour objectif que la
croissance. Faire croître indéfiniment la production
pour faire croître indéfiniment la consommation.
Et quand les revenus ne suivent pas, on ouvre les robinets du crédit autant que possible. Or, une croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini,
dont les ressources sont limitées. Nous sommes
condamnés à stopper cette fuite en avant. Mais nous
sommes devenus des toxicodépendants de la croissance, nous sommes dans la situation du drogué qui
préfère fréquenter son dealer alors qu’il sait qu’il est
en danger de mort.
P.A. Mais comment gérez-vous le problème des
émergents pauvres?
S.L. Prenez la Chine. Ce pays n’a jamais demandé à
être ouvert. Nous l’avons ouvert à coups de canons.
La Chine du XVIIIe siècle, celle qui était sans doute
la plus avancée, ne demandait qu’une chose: qu’on lui
fiche la paix. On a eu beaucoup de mal à persuader les
Chinois, il aura fallu cinquante ans de communisme,
de maoïsme, pour qu’ils découvrent le capitalisme,
l’économie de marché. Maintenant, c’est fait, ils l’ont.
Et ils n’en sortiront pas de sitôt. Lorsque l’Angleterre a fait sa révolution industrielle, lorsqu’elle est entrée dans le système thermo-industriel, fondé sur
une source d’énergie fournie gratuitement par la nature, ce fut un cataclysme mondial. La Chine est sur
cette voie-là. On aura beau dire et faire, ce sera en
vain. Le plus grand cataclysme humain de l’histoire
est en train de survenir en Chine. Dans les années à
venir, il y aura 200 à 400millions de Chinois qui vont
fuir les campagnes. Des Chinois sans terre, chassés
par une industrialisation galopante.
J.-M.C. Comme les paysans anglais furent chassés de
leur terre au XVIIIe siècle…
S.L. A une grosse différence. C’est qu’il n’y a pas d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Etats-Unis pour accueillir les paysans chinois.
P.A. Et la Chine est déjà importatrice de produits
agricoles…
«Les Saoudiens placent l’argent
de l’or noir sur les marchés
boursiers, ce qui crée une
mécanique anesthésiante.»
S.L. C’est vrai. On peut remplacer la problématique
du pétrole par celle de l’agriculture chinoise. Chaque
élévation du climat d’un degré fera diminuer les récoltes de 10%. Le problème n’est plus le pétrole, mais
la famine, du fait du réchauffement climatique. On
parle beaucoup de la Chine et des voitures, mais le pire, c’est la viande.
Mais comment expliquer aux pays émergents
qu’il faut changer de stratégie?
S.L. C’est tout le problème. Jamais la nécessité de se
mettre autour d’une table pour rechercher des solutions communes n’aura été aussi forte.
Où est l’espoir?
P.A. Ce serait que la croissance mondiale grippe sur
l’insuffisance d’autres matières premières, et sans
possibilité de remplacement, dans un domaine
moins crucial. Un exemple? Pour faire des voitures,
il faut du platine ou palladium… Ces métaux, il n’y en
a presque plus. Ce serait suffisamment grave pour
trouver de nouvelles formes de développement.
S.L. L’espoir n’est certainement pas dans la fission nucléaire, beaucoup de scientifiques nous disent que
«c’est la solution d’avenir. Et elle le restera.»L’espoir,
c’est d’organiser la sortie de ce mode de développement thermo-industriel mis en place au XVIIIe siècle,
qui nous donne comme seul objectif la croissance illimitée. Pour l’organiser concrètement, il faut la préparer dans les esprits. Notre imaginaire s’est laissé coloniser par l’économie. Nous devons devenir des
athées de l’économie et de la croissance. Et l’un des
moteurs de cette compulsion pour la croissance, c’est
le pétrole, mais pas seulement; c’est aussi, comme
vous l’avez justement souligné, le crédit à la consommation qui alimente cette frénésie.
P.A. L’espoir, c’est qu’on réfléchisse. On le fera quand
la financiarisation excessive de l’économie montrera ses limites en provoquant une crise financière
épouvantable. Comment a-t-on fabriqué de la croissance depuis les crises financières asiatiques de
1997? En lâchant les taux d’endettement. On a dit
aux ménages «vous n’êtes pas assez endettés». A part
le Japon, c’est la finance, ou plutôt le crédit qui tire
l’économie. C’est tenable, tant que les taux d’intérêt
sont bas, qu’il n’y a pas de choc inflationniste. Nous
avons fabriqué une économie violemment instable.
S.L. L’explosion financière peut très bien être associée
à la rareté du pétrole. Une crise inflationniste liée à
une importante rareté provoquera la récession par le
dégonflement du prix des maisons, des actifs boursiers. La question est de savoir comment le monde va
réagir. On peut imaginer que des sociétés prendront
d’autres voies de développement quand d’autres diront que leur niveau de vie n’est pas négociable.
J.-M.C. Je crois que l’échelon local va se préoccuper
de plus en plus du devenir de la planète. Des microsystèmes locaux, utilisant des énergies renouvelables, des modes de transport, de production et de
consommation raisonnables vont s’intensifier. Mais
nous n’éviterons pas les chocs. Ce sont là des facteurs
de démondialisation, ou plutôt la reformulation au
niveau local de modes de production viables.
S.L. Ce qui est totalement inacceptable, c’est qu’on
sait. Et qu’on ne fait rien. Et on sait que l’on court le
risque que les générations futures nous disent un
jour: «Vous aviez prévu les catastrophes, et vous n’avez
rien fait… Pourquoi?»•
Recueilli par VITTORIO DE FILIPPIS
photos ANIU (Agence Vu),
extraits du reportage «So Far So Close» à Shenzhen, en 2004.
Dernier ouvrage parude Jean-Marie Chevalier: Les
Grandes Batailles de l’énergie: petit traité d’une économie
violente, Gallimard, poche.
De Serge Latouche: Survivre au développement: de la
décolonisation de l’imaginaire économique à la
construction d’une société alternative, Mille et Une Nuits,
poche.
De Patrick Artus: Le capitalisme est en train
de s’autodétruire, éd. la Découverte.
34 PORTRAIT
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
économistes souriaient face à ces alarmistes prévoyant le pic en 1995, puis 1997, puis… Lui reconnaît
qu’il n’a pas «la science exacte», mais moulinait de savants graphiques et lançait, en 2001, l’Association for
the Study of Peak Oil and Gaz (Aspo). Désormais, ce
réseau informel de retraités, où l’on retrouve, aux côtés de Campbell, un ex-chef des explorations de Total
ou un ex-conseiller aux questions énergétiques du vice-président américain Dick Cheney, ne tient plus du
théâtre (supposé) de guignols. «En l’espace d’un mois,
j’ai tenu une conférence à Dublin devant le patronat, j’ai
été invité à parler à Cambridge et j’ai été sollicité par la
Commission européenne…», se marre Campbell.
La popularité de son site Internet suit la courbe de la
flambée du brut: 300000 pages lues en mars. Un
consensus émerge: il n’est plus question de savoir «si»
le peak oilexiste, mais «quand» il arrivera… Etrange
période où les Cassandre virent aux oracles. Et sont
sondés jusque dans les rangs des républicains américains. Sourire, à nouveau: «L’an passé, un député du
Maryland, Roscoe Bartlett, m’a inondé de mails pour
me parler avant de s’entretenir dupeak oil avec Bush.»
C H R I S T I A N LO S S O N
A coups de pioche, à dos de mule
Colin Campbell
Prédicateur de la fin
Le géologue à la retraite, qui a exploré durant toute sa carrière la planète
pétrole, donnait l’alerte du déclin dès 1989. Il est enfin pris au sérieux.
Ballydehob (Irlande) envoyé spécial
U
IRLANDE
250 km
OC.
ATL.
n tournant historique se serait produit
en 2005. Mais la planète a continué à
foncer, nez dans le guidon, dans l’impasse énergétique. Personne ne l’a noté, ou
presque. Sauf Colin Campbell, 75 ans,
géologue. «Eh oui, explique-t-il, le peak
oil a vraisemblablement été atteint l’an
passé.» Le peak oil? Le pic du pétrole. «La moitié
environ des ressources de pétrole conventionnel ont
été exploitées.» D’ici à 2010, renchérit-il, même les
autres formes de pétrole (lourd, sable…) auront
atteint leur point de non-retour. «Le déclin physique
se traduira par une baisse de 2 % par an; les conséquences seront terribles.»
Ce prédicateur de la mort lente du pétrole et de l’ère
des chocs pétroliers permanents donne rendezvous chez lui, «après la station-service». Cet oiseau
de mauvais augure se raconte autour d’un thé et
d’un poêle à bois. Dehors, une petite quatre-roues
française, des panneaux solaires et un jardin zen
ROYAUMEUNI
Dublin
Ballydehob
suspendu à l’arrière de sa maison, qui épouse les
courbes tourmentées de la côte, au sud-ouest de
Cork. Et voilà qu’il évoque le séisme à venir pour
«ces boîtes cotées en bourse» qui ont bâti «leur modèle économique sur des sables mouvants», les crises
financières, les déstabilisations géopolitiques, les
ravages sur l’agriculture pétrodépendante, la
décroissance, la fin de la mondialisation…
Comme à l’époque de Galilée
Un monde se meurt, un autre tarde à naître. Car,
après cent cinquante ans d’âge d’or du pétrole, des fidèles croient encore que le filon ne se tarira jamais.
«Des croyants, des religieux, des théologiens,rit Campbell, comme à l’époque de Galilée. Pourtant, dire que la
fin approche, c’est comme assurer que la terre est ronde.» Avant le nouveau millénaire, les experts du pétrole moquaient cette thèse, pourtant théorisée en
1956 par un autre géologue – King Hubbert, qui a laissé son nom au Pic de Hubbert. Les gouvernements
n’y prêtaient qu’une oreille – au mieux – distraite. Les
Comment va-t-on au peak oil? En le laissant venir à
soi. Môme, Campbell est tombé dans la géologie avec
un livre «qui racontait comment des enfants cherchaient de l’or et étaient poursuivis par un géologue».
Et voilà comment ce «nul à l’école»se retrouve à Oxford, juste après-guerre, puis à Bornéo: «J’y ai vu mon
premier puits, j’ai plongé dans l’aventure.»Deux ans
plus tard, il embarque sur un tanker pour Trinidad à
la demande de Texaco. Passe quatre ans en Colombie pour British Petroleum, à explorer. A coups de
pioches. A dos de mules. «Il était déjà facile de dire que le pétrole se trouvait à l’intérieur des terres, pas sur les côtes, souffle-t- «J’ai passé
il. Certains ont mis vingt-cinq ans à s’en
ma vie
rendre compte.»Il est passé à peu près par
toutes les firmes, de la Nouvelle-Guinée à mentir,
aux Etats-Unis, de l’Equateur à la Norvè- à surestimer
ge. Epoque loin de l’irrationalité exubé- les réserves
rante d’aujourd’hui où un PDG d’Exxon
peut gagner l’équivalent de 33000années pour des
de Smic. Epoque où les deals se faisaient raisons
«à l’oral, dans les couloirs», où les géo- économiques
logues étaient «pris aux sérieux». Pas ou
comme ces économistes «qui ne connaissent qu’un système basé sur l’énergie sans politiques.»
fin». Pas comme ces ingénieurs, qui promettent de «vous emmener sur la lune avec un tournevis». Les géologues, eux, «observent». Et «savent
que je ne mens pas, même si, comme eux, j’ai passé ma
vie à mentir, à surestimer les réserves pour des raisons
économiques ou politiques».
Remettre en cause le dogme d’une ressource primaire lui est venu en 1989… d’une commande d’un gouvernement. Norvégien. Cinq ans plus tard, il affine ses
prévisions en se fondant sur les données (portant sur
24000 puits dans le monde) d’un institut – Petroconsultant – proche des grandes firmes. Il en tire deux ouvrages (The Coming Oil Crisis, The End of Cheap Oil)
qui vivotent, d’autant qu’en 1998, le baril s’arrime autour des dix dollars. Puis, il fonde l’Aspo qui tiendra sa
5e conférence en juillet, à Pise.
L’association sert de vigie à la cause écolo? Lui s’accroche à son indépendance. «On me demande parfois
pour qui je roule. Pour personne», évacue Campbell. Il
abhorre les pétroliers genre «développement durable.com»: «Je préfère encore Exxon qui se fout des
énergies renouvelables à BP qui se renomme “Beyond
Petroleum” [“au-delà du pétrole”, ndlr]. »Et il ne soutient pas les croisés de la cause climatique: «Je me
moque du réchauffement, ça a toujours existé, même si
là, l’homme en est à l’origine.»Il ne croit pas à la théorie du complot, mais s’amuse à raconter comment, à
six mois de la guerre en Irak, «des services»du ministère de la Défense américain l’ont convié – en vain – à
venir parler «rareté» du pétrole. L’an passé, nouveau
coup de fil. «Trois personnes des services m’attendaient… au pub du coin! J’y suis allé, on a parlé.»Dans
la foulée, il reçoit un rapport confidentiel du ministère de la Défense qui s’alarme… de l’éventualité de la fin
du pétrole. Au fond, dit-il, les barils de pétrole sur terre, c’est comme un fût de bière dans un pub: «Plus on
le boit vite, moins il y en aura pour longtemps…»•
CHRISTIAN LOSSON
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36
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
CORBIS
Et si le baril était ...
SCIENCE-FICTION 37
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Pour J.-G. Ballard
•
’est comme ça que tout a commencé. Avec un type appelé
Ahmed el-Assad, le Lion, autrefois Jo Sienkeiwicz, natif de
Vénissieux, région lyonnaise, chômeur retourné par des salafistes syriens, ayant fait ses classes en Afghanistan et désormais
shahid, martyr, à preuve son torse bardé d’explosifs à commande manuelle (il suffit de tirer sur le truc qui pendouille) et les cris
qu’il pousse «Allah akhbar! Allah akhbar!», en courant pieds
nus, ça fait du bien quand ça fait mal, à la surface du désert brûlant. Le
lieu: Arabie Saoudite, pas très loin du terminal pétrolier de Doha, le plus
important du pays, dont on voit à l’horizon onduler les tours en résille audessus d’une nappe de mercure. Loin, trop loin, bien sûr. Mais la ligne
sombre de l’oléoduc qui rejoint la mer Rouge au bout de deux mille kilomètres est proche, toute proche. Moins de cent mètres. Il suffit de courir
entre les balles qui, Allah soit loué, sifflent sans l’atteindre. Il court.
Chtoff-chtoff-chtoff… la plante de ses pieds cornés dans le sable à
72degrés.
A droite et à gauche du cylindre de bronze, chevauchant sa ligne de crête, des silhouettes en treillis cavalent, lâchant des rafales sporadiques dans
sa direction. Mais le martyr les ignore. Il court. Toploc-toploc-toploc! son
cœur. Qu’il ignore. Comme il ignore Abdelaziz, Mahmoud, Shérif, laissés
raides derrière lui, avec de grands trous rouges dans la kamis. Il ne pense
même pas aux soi-disant vierges (soixante-dix ou soixante-et-onze? Il n’a
jamais su le chiffre exact…) qui l’attendent au paradis. A supposer qu’il y ait
réellement cru. Il ne pense à rien. Il court dans la chaleur à faire cuire une
carpe. La première balle à lui arracher un quart de livre de viande avec les
débris de sa clavicule gauche ne l’arrête que le temps de faire un tour complet sur lui-même. Un cri s’échappe de sa bouche, qui ressemble à un banal «Aïe!»suivi d’un «La pute!»qu’il n’a peut-être fait que penser.
De toute façon, c’est fini, il y est, il a atteint son objectif, la massive muraille
vert sombre contre laquelle s’écrase un corps qu’il ne contrôle plus. Sa joue
s’aplatit contre le métal brûlant, son index réussit à crocheter la boucle fixée
à la courroie détonateur. D’autres balles hachent son corps. Quelle importance? Même pas mal. Le cercle de laiton s’enfonce dans la pliure de sa phalange, il tire, il a juste le temps de souffler «Allah akh…» avant que l’enfer
ouvre grand ses portes de bruit et fureur –l’enfer, pas le paradis. Mais là où
il est, ça revient au même.
L’oléoduc s’est fracassé par le milieu, dégorgeant un geyser de feu qui déploie sa draperie contre le ciel blanc. Dans le siphon, le pétrole raffiné avale les flammes qui se ruent vers l’amont, comme vers l’aval, à la vitesse d’un
métro express dans son tunnel. Il lui faut trois minutes vers l’amont pour
atteindre une première cuve, autour de laquelle se dispersent des fourmis
humaines. La cuve, cent quarante mille barils de brut, saute comme un bouchon de champagne. Et une seconde. Et une troisième. Le terminal en
compte six mille. Trois minutes et une poignée de secondes après le martyre d’Ahmed, dont il n’existe plus rien, il ne demeure pas grand-chose non
plus de l’inhumaine cité pétrolifère. Seulement une méduse pourpre entourée de flocons boursouflés d’encre noire, qui se déploie dans le ciel sur
neuf kilomètres de hauteur, très semblable à un champignon nucléaire, et
pour des résultats similaires.
Mais ce n’est pas tout. La même chose vient de se passer, au même moment, au Bahreïn et dans tous les Emirats, en Irak, au Koweït, en Azerbaïdjan, au Turkménistan, en Angola, au large du Congo, ailleurs encore. Trente-six attentats, minutieusement préparés des années durant par
Al-Qaeda. Et pour la plus grande part réussis. Quelque part, quelqu’un –et
peu importe qu’il s’agisse ou non de Ben Laden (d’ailleurs, est-il seulement
en vie?)– se frotte les mains: le sang de l’Occident est en train de partir en
fumée. Le 11 septembre 2001, à côté, c’est une flamme d’allumette…
C’est ainsi que ça a commencé, oui. Mais on peut tout aussi bien considérer que les vrais débuts remontent à cette journée de 1859, en Pennsylvanie, près d’un misérable bled nommé Titusville, alors que le colonel Drake,
moustaches en croc, gueule de pirate, grand chapeau gansé, deux pistolets
de marine dans les fontes, regardait avec étonnement fuser la première
éruption de l’or noir trouvé presque par hasard dans un gisement étalé à
trente mètres seulement sous ses pieds bottés. Ou, bien plus loin encore, en
compagnie de ce paysan babylonien qui, de ses mains noires, récoltait les
schistes bitumineux affleurant six mille ans avant l’hypothétique JésusChrist pour en sceller les briques de sa maison.
Bien vains calculs. Il y a toujours un commencement aux commencements et, si ça vous amuse, on peut le faire remonter à la fracture de Gondwana, il y a cent quarante millions d’années, alors que, suite à une élévation
de température, une biomasse considérable s’enfouissait dans des cavernes
pauvres en oxygène comme en bactéries, se muait en vases répugnantes
riches en macromolécules carbonées qui, sous la pression, finiraient par se
casser pour se transformer en hydrocarbures.
En vérité, on ne sait jamais vraiment quand ça commence. Par contre,
comme pour les histoires d’amour, on sait très bien quand ça finit.
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12 avril 2026, 7h30 : un matin comme un autre
Stéphane Marey saisit d’une main prudente les guides du cheval qui devait
le transporter à l’autre bout de la France. Il ne lui faisait aucune confiance.
C’était un beauceron d’âge incertain, qu’il avait négocié à Gus Morandini,
dont les haras mangeaient du terrain tout autour de Saclay, à travers les rocades à l’abandon, les routes secondaires mangées par les herbes, les résidences pour la plupart abandonnées transformées en boxes. Pour ce cheval,
Stéphane avait presque tout cédé de ses maigres possessions, même son ordinateur, dont le contenu le plus précieux était à l’abri dans le bionodule enfoui dans le pli de son coude gauche. Il frappa l’épaule de Sébastien Ledreu,
son ami de toujours, avec qui il partageait l’appartement de la rue Buffon
dont les fenêtres donnaient sur la galerie des dinosaures, et le sourire cruel
du tyrannosaure qui ouvrait sa gueule à dix mètres à vol d’oiseau de leurs
chambres.
–Tu es sûr? fit Bastien en lorgnant d’un air circonspect le cheval qui, harcelé par les taons matinaux, ne cessait de frémir, de piaffer et de faire des
écarts, ses sabots récemment ferrés martelant le parvis du Muséum d’histoire naturelle, où clapotaient les eaux montantes de la Seine dont le lit avait
depuis longtemps pris ses aises avec les quais.
–Sûr de quoi?
–Que tu arriveras. Il existe encore des transports en commun, tu sais. Il
y a même une ligne à peu près fiable jusqu’à Clermont. Le train à copeaux,
comme on dit. Tchouc-tchouc. Tu pourrais…
A l’ombre du chapeau de paille qui lui piquetait le visage de têtes d’épingle
lumineuses, Stéphane sourit dans le vague en secouant la tête.
–Le train..., murmura-t-il en regardant Sébastien de biais.
Les deux quinquagénaires savaient bien qu’ils avaient peu de chances de
se revoir. Ainsi en allait-il du monde. Mais ce ne sont pas des choses qui
s’avouent.
Le paléontologue revenait d’un périple hasardeux en Afrique dont il avait
décidé de ne rien dire et préférait pour l’instant continuer à étudier ses fossiles de créodontes. Un fossile avec ses fossiles, ricanait-il.
Le spécialiste des énergies nouvelles, lui, avait opté pour le départ. Je ne
choisis pas, je dois, affirmait-il, un rien péremptoire. Chacun son truc. Stéphane saisit fermement le pommeau de la selle, s’éleva d’une détente qui
ne faisait pas son âge, atterrit sur le dos de la bête; le cheval protesta par deux
pas d’amble avant de baisser la tête, vaincu. Déjà, le museau tordu par une
pression des rênes, il faisait demi-tour.
–Comment tu l’appelles? lança Bastien.
–Je ne l’appelle pas. Il suffit qu’il trotte et la boucle…
Stéphane Marey avait répondu sans détourner la tête, sa monture clapotait déjà dans l’eau limoneuse qui avait envahi le Jardin des plantes aux
platanes presque tous tronçonnés; sur la gauche, les enclos vides témoignaient de la liberté rendue à leurs captifs. Il agita la main, son grand corps
dégingandé tressautait au pas capricieux de sa monture. Puis un fourré
l’avala. Dans le ciel d’un bleu déjà féroce, des nuées de mouettes criardes saluaient le matin d’un jour comme un autre.
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38 SCIENCE-FICTION
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
12avril 2026, midi: un rêve impressionniste
Nuit du 12 au 13 avril 2026: splendeurs nocturnes
Après avoir parcouru un méandre de petites rues où s’accrochait un soupçon de fraîcheur à trente-septdegrés, Stéphane traversa la Seine sur le PontNeuf, encore praticable bien que le cheval fût obligé d’avancer en quinconce au milieu des corps étendus –un des bienfaits douteux de l’élévation de
la température étant de pouvoir dormir à l’extérieur en toute saison. Parfois
un sabot heurtait un gisant qui protestait en kurde–«Hayaxwe pêdan!»–,
en ouzbek –«Diqqat!»–, en wolof –«Nank!»–, et en dix autres langues, mais
il n’y pouvait rien. Le cavalier longea le jardin des Tuileries, où des employés
aux rizières communales étaient déjà à l’œuvre, dans l’eau jusqu’à la taille,
le buste et la tête protégés par une cape translucide anti-UV qui les faisaient
ressembler à des lucioles faisant du surplace au ras de l’eau turquoise.
Le Champ de Mars, transformé en pisciculture par l’ancien maire Jim
Lee Tong, fumait dans le soleil de midi, les barques nonchalantes qui s’y ancraient paraissaient sortir d’un rêve impressionniste.
Le cavalier ne s’arrêta à la nuit tombée une fois qu’il eut atteint le bois de
Boulogne, ou ce qu’il en restait, la troisième, puis la quatrième tempête
–qu’on n’avait plus osé appeler «du siècle»– ayant jeté bas la plus grande
partie des arbres. Mais, le bois étant redevenu la matière première la plus
précieuse, les lieux bourdonnaient du crissement incessant des tronçonneuses au colza et du ahanement des scies à main maniées par de robustes
bûcherons ukrainiens ou polonais qui chantaient en travaillant, comme
les nains de Blanche-Neige multipliés par mille. Le labeur ne s’arrêterait
pas de la nuit, l’emploi en forêt étant trop rare et apprécié pour qu’on risquât de le perdre.
Stéphane s’était appuyé à un troène encore debout, auquel il avait attaché son cheval sans nom, qui semblait s’être habitué à sa présence. Il mangea d’une salade de pommes de terre, d’un peu de purée de betteraves avec
une demi-galette de froment. Il croqua une pomme ayant traversé l’absence d’hiver. Les oranges d’Israël, les fraises espagnoles, les bananes
d’Afrique du Sud… fini, tout ça. Les produits bourrés dans ses fontes venaient de la ferme de Madeleine Thersant qui, avec des centaines d’autres,
avaient grignoté le périmètre résidentiel autour de Saclay. Rassasié, Stéphane cala sa nuque contre une couverture et laissa son regard errer dans
le ciel que la taie des pollutions ne voilait plus. Il dormit malaisément, sentant peser sur ses paupières le poids de toutes ces étoiles indifférentes dont
il ne connaissait pas le nom, splendeurs nocturnes offertes autant qu’inaccessibles.
•
•
•
interdites
Les voitures privées, après
un débat à la
Le décret de loi est tombé ce matin
x environs de trois heures:
Chambre qui ne s’est achevé qu’au
de circuler pour tout
comme prévisible, l’interdiction totale
gendarmerie et les
véhicule privé a été promulguée, la
respecter la loi, par
milices privatives ayant ordre de faire
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police
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Seuls
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services d’urgence, comme les ambu
es nationales de brut,
pourront encore bénéficier des réserv
. Quant au coût sur le
qui se monteraient à 37 jours utiles
is, il est pour l’instant…
front industriel, et donc des emplo
Libération, août 2009
12avril 2026, 16h20: une libellule solitaire en vadrouille
Le cavalier solitaire longea l’avenue Foch, dont un pâté sur deux avait été
incendié lors des émeutes de septembre2009 et pour la plupart jamais déblayés, faute de main d’œuvre et surtout d’intérêt à court terme, leurs anciens habitants ayant depuis longtemps quitté Paris. L’arête des décombres noircis, où des plantes vivaces avaient commencé à pousser, se
détachait en ombre chinoise crénelée sur le fond lui aussi incendié du ciel.
Les sabots du cheval qui, malgré les efforts de Stéphane, s’immobilisait
périodiquement pour arracher de ses dents jaunes des pousses anarchiques, résonnaient entre les pans effondrés. A part quelques vélos ou tricycles à deux ou trois places, couronnés d’une ombrelle ondulante, l’avenue était déserte, à l’image de la capitale, vidée en moins d’une décennie
des trois quarts de ses résidents, à cause des troubles populaires, du H5N3,
de l’incident de Nogent-sur-Seine, du subit effondrement des ressources
alimentaires de masse.
Du passage abrupt à cette économie de guerre, Stéphane Marey, étant
de ceux qui l’avaient attendue de longue date, s’en était comme d’autres accommodé. Avec les deux heures d’électricité quotidienne et tout ce qui s’en
suivait, l’essentiel étant que son ordinateur du labo de Saclay ne lui fit pas
faux bond, ce à quoi l’énergie mixte du centre avait pourvu. A un bourdonnement à peine perceptible au-dessus de sa tête, il leva les yeux. Un ULM
à piles solaires, dont les ailes de cormoran en fibres de carbone ultralégères
étaient ocellées de jaune et de brun, suivait le tracé de l’avenue à moins de
cent mètres d’altitude. Stéphane sourit pour lui-même à ce voyageur des
airs, libellule solitaire en vadrouille.
•
•
•
Monténégro ne sera
ai à Athènes à l’Euale qui a fait couler
d’encre et de fiel. Il app
araî
efusé d’avaliser le personn t maintenant, et ce n’est une surprise pour
y, composé à parité gesticu e, que le gouvernement de coalition, malgré ses
latio
de Monténégrins, entraîné ns, est incapable de faire face aux émeutes
es
rté sur un groupe fermetur par le «chômage technique» (sic) dû à la
n au motif que les situatio e de la majorité des entreprises nationales – la
n
s du jury n’ont pas passe dans l’Hexagone n’étant que le reflet de ce qui se
en
t aux chanteurs qu’on Europe et dans tous les pays industrialisés. Ce
n’appelle plus que le Ven
dredi jaune a jeté dans
phère footballis- rues des
les
mill
lgrade devant un manifest ions de chômeurs sans ressources, dont les
ations, comme il était à
prévoir, ont tourné à
x serbes des Fla- l’émeute
nfuir de la scène journée , souvent sanglante, comme en témoigne la seule
du
olice. L’incident territoir 18, où l’on comptabilise plus de 5000 morts sur
le
e. L’état d’urgence…
ui se sont dérouLibération, octobre 2009
éclatement de la
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Nouvelles émeutes sociales
Les lacsafricainsfonttrop d
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modèle parm
d’Europe. Le
négrins, par
la revue Mo
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Il est encore trop tôt pour dénombrer le nombre de victimes souveraini
dainement
européennes du virus variant H5N3. Des millions, mais
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encore? Aucune comparaison avec l’hécatombe de la grippe Luxembou
et moins peu
espagnole de 1918, assure le Commission européenne de la
europ
santé. Vraiment? Cela reste à voir. Et nous administre en tout cord
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cas la preuve que le dicton voulant qu’un malheur n’arrive
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jamais seul garde toute sa pertinence. Car il est d’une ironie
r
certaine que, peu de temps après le crash pétrolier, la grippe tellement
pêche qu’elle
aviaire, dont on croyait la menace écartée après avoir été
soin d’adhér
pendant tant d’années agitée dans le vide…
Libération, janvier 2010 péenne. Loi
vénient, la
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«Il n’y a p
Epidémie de grippe aviaire
Nouveléchecdu moteur Fly
19 avril 2026, au crépuscule: les délices d’un nectar oublié
Il fallut près d’une semaine au cavalier pour atteindre les environs de Châteauroux, ce qui lui donnait une bonne idée du temps qui le séparait de
son but: moins d’une dizaine de jours. La plupart du temps, il suivait les
nationales craquelées, parfois des tronçons autoroutiers où s’alignaient
d’innombrables véhicules à l’abandon, voitures particulières ressemblant
à des scarabées desséchés en train de cuire au soleil, conglomérats de camions avec leurs remorques réunis en conclaves dinosauriens sur des
aires de repos ou les parkings de stations-service pillées et désossées, leur
précieux fluide autrefois sucé jusqu’à la moelle par les derniers résistants
automobiles. Des familles venues d’un peu partout dans le monde avaient
en certains cas élu domicile dans une carcasse encore hospitalière, en particulier des autocars, transformés en véritables HLM horizontaux autour
desquels s’éparpillaient des hordes de gosses en quête de nourriture.
Ses provisions étant arrivées à leur fin prévisible, c’est auprès d’un ensemble de bus et de caravanes assemblés en cercle comme des chariots
attendant l’assaut des Indiens, que Stéphane décida de faire halte. Les migrants, des Kurdes irakiens, lui firent bon accueil après s’être assurés qu’il
ne portait pas d’arme. Alors qu’il palabrait auprès d’un vieillard à barbe
blanche sans doute pas plus âgé que lui, il aperçut, au centre de l’espace
formant une cour intérieure, un spectacle qu’il ne lui avait pas été donné
de voir depuis… Combien? Quinze ans? Des poules. Des poules! Une douzaine, qui caquetait en battant des ailes. D’où venaient-elles, ces rescapées? Sans doute avaient-elles suivi la même filière secrète que les humains qui les couvaient. Le chef kurde se mit à rire alors que, dans un geste
machinal, l’ingénieur tendait le bras vers les volatiles.
Un quart d’heure plus tard, après s’être délesté de son unique casserole –son interlocuteur avait dédaigné les vingt euros tirés de la liasse roulée sous sa ceinture –, il perçait le petit bout d’un œuf de la pointe de son
couteau et, au diable la prudence, en absorbait,les yeux fermés, avec de
discrets «flurp», le jaune tiédi, plus délicieux qu’un nectar oublié.
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SCIENCE-FICTION 39
LIBERATION
LUNDI 29 MAI 2006
Tir de missile sur boat-p
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Dans la lutte contre
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La Ligue des droits
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Libération, janvier
2010
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21 avril 2026: ne pas penser au cheval...
Touché par la marée violette du crépuscule, le camp s’étendait sous ses
yeux aux limites du regard. Noir de monde –et c’était bien le cas de dire,
avec ou sans humour. Combien y avait-il ici de personnes rejetées par une
Afrique subsaharienne qui rôtissait aussi sûrement qu’un bifteck oublié
dans une poêle? Cinquante mille immigrants, cent mille, le double ou le
triple, le Darfour transplanté sur les marges de Cahors. Et comment
avaient-ils fait pour arriver jusqu’ici, c’était une autre histoire. Alors qu’il
longeait un bric-à-brac insensé de tentes et de baraques, un hélicoptère
furtif de la Sécurité territoriale à l’allure de rapace en chasse frôla l’ensemble disparate. L’appareil disparut derrière une ondulation de terrain
sous des «you-you!» et quelques rafales inopérantes de kalachnikovs artisanales. Il y a encore du pétrole quelque part et des gens pour le brûler, pensa l’ingénieur avant de devoir se débattre au milieu d’une horde de gosses
brusquement matérialisés autour de son cheval, qui le saisissant par les
brides, qui lui palpant les flancs, qui tentant d’en escalader la croupe. Assailli par une houle de questions lancées dans le pidginsans cesse réinventé en usage chez les réfugiés, l’ingénieur, de guerre lasse, abandonna sa
monture à quelques douzaines de mains qu’il avait auparavant engraissées
de pièces jetées à la volée. «Nada aranô choval you!» «Hisan très very gut with nou!» «Sini toi ritrouve tuk!»D’accord, d’accord.
Il mangea du bout des lèvres deux merguez trop pimentées qu’il espéra,
sans s’en convaincre, qu’elles ne fussent pas de rat ou de chat, but un tordboyaux qui le laissa sur le flanc. Lorsqu’il sortit du sommeil, les tempes lancinantes sous un soleil déjà haut, il ne reconnut aucune des faces hilares
qui lui avaient tenu compagnie la veille. «Où est mon cheval? My Horse? Hisan? Dove?»On ne lui avait pas seulement volé sa monture, mais aussi son
précieux couteau. Les chapardeurs lui avaient laissé les deux livres qui ne
l’abandonnaient pas, Ubiketle Baron perché, sa carte Michelin, son argent
qu’ils n’avaient pas su trouver et, ô merveille, son ticket d’embarquement
pour le Transatlantic. Il abandonna le camp en essayant d’étouffer sa colère, et surtout de ne pas penser au cheval. Ni comment il avait fini.
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Accident nucléaire
à Saint-Laurent-les-Eaux
Malgré les réfutations officielles, où
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a jeté sur les routes un
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la contestation a pris un tour d’une
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29 avril 2026: ce que sera le futur
Ce fut en empruntant un coche régulier tiré par deux paires de chevaux
laissant sur leurs erres une quantité impressionnante de crottin qu’il termina son voyage. Et alors? Stendhal ne voyageait pas autrement. Il avait
cependant compté large, et parvint en vue de Blagnac à temps, la veille du
grand départ. Le dirigeable se voyait de loin, fixé perpendiculairement à
son mât d’amarrage, ondulant dans le fort courant aérien venu de la côte à
la manière d’un gros poisson orange cherchant à se libérer de l’hameçon.
De près, en surplomb, le DSS 2026 –conçu par les techniciens d’Airbus Industries nouvelles en collaboration avec Zeiss Inc.– aurait plutôt ressemblé à une baleine cosmique, du genre de celles hantant les romans de science-fiction de T.J. Bass ou Robert Young que Stéphane avait lus dans son
insouciante jeunesse, sans se douter qu’un jour il les rejoindrait. Des filins
pendaient du ventre renflé, en toile de carbone, contenant vingt ballons
remplis d’hélium, les douze moteurs en lignes à turbine méthanol semblaient autant d’insectes parasites accrochés à sa panse lisse, la vaste cabi-
ne aux larges baies aurait pu faire partie du Nautilus. Ses vertèbres cervicales craquèrent, un étourdissement surprit l’ingénieur en basse énergie.
Il se laissa tomber dans l’herbe jaunie. Le Transatlantic le surplombait.
C’était le premier. Le premier, pour la première traversée sans escale jusqu’à New York,depuis 1937. Presque un siècle, qui avait défilé en rond à la
vitesse de l’éclair pour revenir se mordre la queue. Et lui, Stéphane Marey,
ferait partie du voyage.
L’embarquement eut lieu comme prévu à 8heures, après une nuit où le
voyageur ne trouva pas le sommeil. Il escalada l’échelle de coupée, son
cœur battait, deux poignes solides l’aidèrent à prendre pied dans la cabine,
tout en cuivre et bois lustré, à l’image d’un fumoir à l’ancienne. Le prix du
voyage inaugural, que son département à Saclay avait payé sans sourciller,
représentait trois ans de son salaire; aussi les trente-six passagers ne
comptaient-ils que des hommes et femmes d’affaires, pour une bonne part
russes, indiens ou japonais. Il ne leur adressa pas la parole, ne quittant guère sa minuscule cabine où il se contentait d’observer, nez écrasé contre le
hublot, l’eau écumeuse qui défilait à cinquantemilles marins de l’heure,
deux mille pieds sous le ventre du Léviathan dont l’ombre se fragmentait
sur les vagues.
L’alerte au cyclone fut lancée au soir du troisième jour d’une traversée
qui devait en compter cinq, alors que les passagers dînaient dans la salle
commune. Le ciel à l’horizon s’était bouché en quelques minutes, barré
d’une muraille indigo où se dessinait un arbre colossal coiffé d’un chapeau
nucléaire. L’agitation subite des quinze membres de l’équipage, en uniforme impeccable, témoignait de la gravité de la situation, ce que confirma
la voix du commandant Uriez ordonnant à tous les passagers de regagner
leur cabine. Stéphane se leva en vacillant, un mouvement de foule jeta
contre lui une femme qu’il avait déjà remarquée, une brune élégante, grande et gracile, aux cheveux en chignon. Il s’excusa gauchement. Les femmes,
depuis la mort de Jane lors des émeutes du Septembre jaune, il n’avait plus
trop l’habitude. A ce moment-là, une main géante secoua le DSS 2026.
–Je m’appelle Suzan Henneberg, dit la femme d’une voix précipitée. Je
dois rejoindre à New York mon père qui ne va pas très bien. Excusez mon
sans-gêne, mais j’ai peur! Je préférerais ne pas rester seule…
Elle avait un accent chantant. Ses yeux très clairs, plantés dans les siens,
ne cillaient pas. A cet instant, les lumières s’éteignirent dans un concert de
couinements. Stéphane entraîna la jeune femme dans sa cabine dont la
porte, poussée par la gîte exagérée du dirigeable, se referma sur eux.
–Je ne veux pas voir, souffla Suzan.
–Fermez les yeux, dit-il, refermant la main sur sa nuque.
Alors seulement il parla de la raison de son voyage, ses recherches sur le
tritium lunaire dans la continuité des travaux de Sevastianov; en particulier de l’isotope 3H, clé d’une énergie de fusion enfin maîtrisée, propre,
abondante; de ses échanges avec Bob Murakami, le prix Nobel de physique; de la proposition faite par le savant de venir travailler avec lui à Berkeley; de l’éventualité pour la Nasa de lancer vers notre satellite, à l’horizon 2030, un gigantesque vaisseau emportant une première équipe de
recherche et d’extraction. Il parlaitdans le hurlement assourdissant de la
bourrasque, sans être sûr d’être compris de Suzan, qui avait enfoui son visage au creux de son cou, dont il respirait le parfum floral, dont il sentait,
sur sa poitrine osseuse, s’aplatir les seins malléables. Il parlait, le Transatlantic dansait de plus en plus fort.
A travers le hublot obscurci, il voyait la silhouette du gigantesque arbre
se tordre tel un cobra prêt à frapper, se rapprochant sans cesse. A son tour
il ferma les yeux. L’homme et la femme finirent par basculer sur l’étroite
couchette où ils n’eurent plus qu’à se serrer, deux blocs de vie en attente au
sein de l’obscurité battante. L’ingénieur se sentait étonnamment calme.
Il avait conscience d’être, avec sa compagne de hasard, suspendu au bord
d’un gouffre. Il pouvait aussi bien y basculer que le traverser sur les ailes du
vent. Même quand il ne s’agit que de brèves secondes en suspens, on ne
peut jamais savoir ce que sera le futur.
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Dire et agir pour l’environnement :
la devise de Midi-Pyrénées
Initiatrice des Assises nationales du développement durable, la Région Midi-Pyrénées
poursuit son engagement concret pour la sauvegarde de l’environnement avec l’organisation les 3 et 4 juin 2006 des premières Journées Nature, vaste opération de
découverte et de sensibilisation aux questions de sauvegarde du patrimoine naturel régional.
Collectivités, entreprises, associations, citoyens sont invités à se mobiliser à cette occasion.
300 Manifestations
Nouveau Monde DDB - Crédits photos : Getty Images - Corbis
en Midi-Pyrénées
Parmi les engagements et actions de Midi-Pyrénées :
- 29 Agendas 21 locaux en préparation,
dont celui de la Région Midi-Pyrénées :
un record national.
- Le Conseil régional certifié ISO 14001
depuis avril 2005.
- 500 entreprises engagées dans le dispositif régional d’aide au management environnemental.
- Plus de 100 petites entreprises de l’agroalimentaire engagées dans une démarche
environnementale.
- 10 stations de sports d’hiver pyrénéennes
bientôt certifiées ISO 14001, dans une
démarche collective inédite en France.
- Plus de 5700 foyers équipés de chauffeeau solaires individuels grâce au “Plan
Soleil” : la 1re région de France en termes
d’équipement.
- Plan régional d’aide à l’acquisition de
chaudière-bois dans le cadre de l’action
bois-énergie.
- Une dizaine de Plans de Déplacement
d’Entreprise dont celui du Conseil Régional.
- La 1 re Maison écocitoyenne grandeur
nature, et une future structure de type
Ecosite.
- Trois Parcs naturels régionaux, une création dans les Pyrénées Ariégeoises et
1 projet en Aubrac, 11 réserves naturelles.
- Un programme de restauration et d’entretien des rivières.
- Des programmes d’éducation et de
sensibilisation à l’environnement.
www.midipyrenees.fr