Vive le pétrole cher
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Vive le pétrole cher
SUPPLÉMENT À LIBÉRATION N° 7792• NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT• WWW.LIBERATION.FR VIVE LE PETROLE CHER!« S A N D R I N E E X P I L LY Pourquoi la hausse du baril est une chance pour bouger notre monde. 2 ÉDITORIAL LIBERATION Et si ce baril hors de prix avait des vertus? L a fin du pétrole n’est pas pour demain. Mais la fin du pétrole bon marché est avérée. Le baril à trois cents dollars n’est plus un mythe. Experts, banquiers, militants, militaires, planchent déjà sur ce futur possible, pour ne pas dire proche. La difficulté croissante à étancher la soif planétaire en pétrole est chaque jour plus évidente. Le Nord pompe à tour de bras depuis près de cent cinquante ans, et le Sud aspire logiquement à le rejoindre. La consommation mondiale, les formidables tensions géopolitiques, tirent le prix du baril vers le haut dans une spirale infernale. Cette situation provoque des raisonnements en noir et blanc. Les optimistes parient que la technologie, l’argent dégagé par un pétrole cher, doperont l’exploration et la découverte de nouveaux gisements. Les autres voient le compte à rebours déjà enclenché, le monde consommant presque autant en vingt ans qu’il ne l’a fait depuis la construction du premier derrick: technologie ou pas, d’ici deux décennies, peut-être même une seule, l’or noir aura quasiment disparu. Et bien avant cela la carte politique du monde risque d’être profondément bouleversée, car les pays assoiffés d’or noir n’assistent pas les bras ballants au désastre annoncé. Nous réagirons. Aujourd’hui? Demain? Une seule certitude, ce sera sans doute tard, et notre inertie risque fort de gripper les rouages d’une mondialisation triomphante. Sans même parler des autres conséquences de cette fringale d’or noir –pollution, réchauffement du climat, montée des océans– considérées en général comme quantité négligeable. Qui se soucie des populations les plus vulnérables, de celles qui, par centaines de millions, seront les premières victimes d’un pétrole toujours plus cher, qu’elles ne pourront plus s’offrir? Qui, hormis les scientifiques, économistes, anthropologues, écologues, agronomes, physiciens de l’atmosphère et ONG, s’inquiète de la facture des coûts externes engendrés par une planète shootée au pétrole? Pas les politiques. Pourtant, dès la conférence de Stockholm en 1972, l’environnement s’est invité dans les débats, et les Etats ont été confrontés à la réalité de leur interdépendance planétaire. Certes, en 1992, la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio de Janeiro a débouché sur nombre de conventions d’importance majeure, sur le climat par exemple, ou encore la biodiversité. Enfin, le sommet de Johannesburg en 2002 a tenté de considérer le développement social comme la clé de voûte du développement durable. Mais tout cela avec les résultats qu’on sait: trois fois rien. La prise de conscience est réelle, mais les actes tardent. Et le pétrole n’en finit pas de s’envoler sans autre conséquence que de durcir la vie quotidienne. Et si, pourtant, ce baril hors de prix avait des vertus? Aujourd’hui, personne ou presque ne se soucie de consommer mieux, c’est-à-dire de consommer moins de ressources et surtout d’énergie. En dépit d’un engouement sans précédent, les énergies «propres», sans hydrocarbures ni déchets à long terme, ne 1979 Révolution iranienne Second choc pétrolier pèseront au mieux que 2% de la consommation mondiale en 2030. Même l’atome n’y pourra rien. Pourtant, la Chine, l’Inde, l’Europe, n’en finissent pas de planter des moulins à vent; le Brésil fait tout pour sucrer ses moteurs et ceux du reste du monde; et les adeptes du diesel à huile découvrent des qualités à la friture. Un pétrole cher, c’est l’assurance que les milliers de projets, d’expériences du moins consommer, ou du consommer autrement, ne seront plus de simples gouttes d’eau réservées à quelques bobos. La plupart des idées qui germent ici et là n’attendent plus qu’un petit coup de pouce et beaucoup de pédagogie: est-il normal que l’Autriche affiche trois fois plus de chauffe-eau solaires que la France? Est-il raisonnable d’utiliser des hordes de camions quand le rail a prouvé depuis longtemps son efficacité? Est-il judicieux que les ingrédients d’un simple pot de yaourt parcourent plusieurs milliers de kilomètres avant d’atterrir sur nos tables? Est-il légitime de dégrader les côtes chiliennes en quelques années pour assouvir l’appétit de saumon des Européens? Le choc pétrolier dont nous vivons les prémices exige des politiques ambitieuses, pour forcer les uns, et accompagner les autres. Mais on ne les voit se dessiner ni en France ni en Europe ni ailleurs. La cure de désintoxication au pétrole aujourd’hui, la panne sèche demain, seront d’autant plus violentes que les responsables politiques auront gardé leurs œillères. Pourtant, le développement durable, trop souvent considéré à tort comme un simple thème en vogue, ambitionne d’instaurer un état universel de bien-être en «écologisant», en humanisant l’économie. Chacun, politiques en tête, récite sans se tromper la définition du développement durable: «Un type de développement qui permet de satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.»Mais voilà, chacun voit la durabilité à sa porte. Si nous ne faisons rien, demain, le baril sera à prix d’or quand le sevrage sera impossible et le climat en surchauffe. Alors aujourd’hui, ce pétrole déjà cher est l’occasion ou jamais de changer notre monde. Vive le pétrole cher, donc!• DENIS DELBECQ et VITTORIO DE FILIPPIS 1990 Guerre du Golfe 2003 Guerre d'Irak 56 56 ansans d'évolution dudu prixprix dud’évolution pétrole du pétrole moyen du baril de Brent Prix Prix moyen du baril de Brent en dollars depuis en dollars depuis 19701970. 1973 Guerre du Kippour Premier choc pétrolier 11, rue Béranger 75154 Paris Cedex 03 Edité par la SARL Libération PDG Serge July Directeur de la rédaction Antoine de Gaudemar Directeur général Louis Dreyfus Directeur du marketing direct Jean-René Aucouturier VIVE LE PÉTROLE CHER ! Hors-série Sibylle Vincendon - Fabrice Drouzy Direction artistique Thierry Verret Edition Claudine Clément Photo Dan Torres - Isabelle Grattard Correction Nathalie Degardin Infographie Evelyne Masselier - Wag Documentation Libération Prépresse Christophe Boulard Photogravure Libération Fabrication Graciela Rodriguez - Victor Filopon Promotion Gilles Lahrer Publicité Espace Libération 11, rue Béranger 75003 Paris Direction générale : Brigitte Bizalion Impression CIPP (Saint-Denis) Commission paritaire CPPP: C80064 ISSN 0335-1793 CCP 2240185 Paris W. Wag / Libération. Source : Insee LUNDI 29 MAI 2006 Ouverture grand public 16 juin (à partir de 14h) et 17 juin solaire Pour les professionnels : du 15 au 17 juin éolien Paris Expo Porte de Versailles hydraulique www.energie-ren.com Il est temps de passer aux énergies renouvelables ! géothermie Document non contractuel. Crédit photos : ADEME, GEIE, Avenir Energie • Hausse du prix du pétrole. • Nouvelles dispositions gouvernementales : crédit d’impôts. • Accord de Kyoto et limitation des gaz à effets de serre. • Nouvelles conditions de rachat de l’électricité photovoltaïque. bois énergie biomasse La France est en retard ! A nous d’agir et de nous mobiliser. Partenaire Venez découvrir toutes les techniques et les solutions, tous les matériels pour des énergies propres et pérennes : • Pompes à chaleur • Solaire thermique (chauffe-eau solaire, chauffage pour piscine) • Solaire photovoltaïque • Chaudières à bois • Poêles à bois Partenaire 4 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Et si le baril était à Même si l’économie mondiale reste étroitement liée à l’or noi pour contourner un pétrole devenu produit de luxe. Energie H A B I TAT L’exemple 5 de Fribourg A Trouville, les éboueurs 7 portent casaque L’Alsace découvre 8 la filière bois Rennes compacte 12 ses quartiers .............................................................. .................................. ........................................................ ................................................. DÉPLACEMENTS Au Brésil, l’alcool détrône l’essence 14 Le Japon carbure à l’huile de friture 16 ................... ................... INDUSTRIE La Suède se met à la diète de pétrole 20 Chaîne alimentaire pour usines danoises 22 ............ ......................... KYOTO Pollution mondiale: 24 où en est-on? ....................................... Les vélos sont omniprésents. Certains sont équipés de charrettes, dans lesquelles on dispose indifféremment provisions et bébés. 5 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 150dollars dès aujourd’hui les initiatives se multiplient architecture, consommation, tout va bouger. citadelle écologique Fribourg, la Isolation, citernes d’eau de pluie, panneaux solaires, le quartier Vauban est conçu pour subvenir à près de 70% de sa consommation énergétique. Visite. Fribourg-en-Brisgau envoyé spécial e voici peut-être, le vert paradis. Fribourgen-Brisgau, 210000 habitants, dans le Bade-Wurtemberg (au sud-ouest de l’Allemagne), vit déjà dans un autre monde. Celui du développement durable. Il y a là une vraie conviction. Dans leur enclave écologique, les électeurs votent Verts au sein d’un Land majoritairement acquis à la conservatrice CDU. Fribourg figure en tête des villes de plus de 100000 habitants pour les équipements solaires photovoltaïques, avec 31,3 watts (W) par tête. D’où son surnom de «cité solaire», ce qui n’est pas rien vu le faible ensoleillement (1740 heures par an contre 2700 en moyenne dans l’arc méditerranéen français). Du coup, élus et collectivités débarquent de toute l’Europe à la recherche de bonnes idées. Clou de la visite: le quartier Vauban, une quarantaine d’hectares au sud du centre-ville, l’un des premiers «écoquartiers» européens. Jusqu’en 1992, le terrain était occupé, comme son nom l’indique, par l’armée française, qui l’a cédé à l’Etat fédéral allemand, lequel l’a revendu à la ville de Fribourg. Au moins aussi ingénieuse que l’inventeur des forteresses modernes, la ville a profité des qualités topographiques du lieu: l’endroit est totalement plat et circonscrit par un cours d’eau, une voie ferrée et un axe routier à grand passage. Le nouveau quar- Lancée en 1997, la construction du quartier Vauban doit s’achever cette année. tier, dont les sols ont été dépollués, est un site idéal pour une expérimentation grandeur nature. des résidents, dont l’un entièrement recouvert modes de transport doux. Les vélos sont omnide panneaux photovoltaïques. Autre signe: sur présents. Ceux des parents sont équipés de Collectif de chômeurs et d’immigrés la seule voie pénétrante, la circulation est limi- charrettes, dans lesquelles ils disposent indifOn peut y pénétrer en voiture, mais on comprend vi- tée à 30 km/h. Une contre-allée réservée aux féremment provisions et bébés. te que ce n’est pas la bonne idée. Aux abords de Vau- cyclistes et aux piétons ainsi que les voies du Nicola Weiss, 40ans, secrétaire à l’université de ban, deux garages collectifs en silo sont à disposition tramway rappellent la priorité donnée aux Fribourg, habite le quartier depuis 1999. ● ● ● L 6 HABITAT LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 ALLEMAGNE garages collectifs, qui coûte presque 20000euros.» Lancée en 1997, la construction du quartier Vauban doit s’achever cette année. A terme, 5000habitants, dont une majorité de familles avec enfants, pour la plupart issues des classes moyennes ou supérieures. Dans la partie est, les anciennes casernes ont été réhabilitées façon écolo par et pour les squatteurs qui les occupaient avant la transformation. Regroupés au sein d’un collectif baptisé Susi, étudiants, chômeurs et demandeurs d’asile y habitent selon un mode de vie communautaire et participatif. Partout ailleurs, les bâtiments sont neufs. Autour de l’un des nombreux espaces verts, des particuliers ont construit des maisons en bande, hautes et étroites, sur des parcelles de six mètres de large. Façades recouvertes de bois, couleurs vives, larges surfaces vitrées. Tout autour, le bâti est constitué d’immeubles collectifs, sur cinq niveaux maximum. 250 km P.-B. Berlin Fribourg FRANCE POL. MER DU NORD RÉP. TCH. AUTR. Toits végétalisés et balcons fleuris A l’exception des immeubles de promoteurs, d’aspect neutre, les constructions étonnent par le choix des matériaux et des couleurs. Souvent, on accède aux étages par des coursives extérieures. Les toits sont plats et végétalisés, hérissés de panneaux solaires thermiques et photovoltaïques. Les balcons sont fleuris, les allées bordées d’arbres datant de la période militaire de Vauban. Les eaux de pluie sont évacuées dans des fossés filtrants ou collectées dans des citernes de récupération, avant d’être utilisées pour l’arrosage, le lavage du linge et les toilettes des écoles. Techniquement, maisons et immeubles alignent des records en matière d’économie d’énergie et répondent au label «Basse énergie», qui implique, à Fribourg, une consommation énergétique maximale pour le chauffage de 65 kilowattheures (kWh) au mètre carré par an, contre 200 ou 300 pour une construction standard. Mieux encore, certaines ont décroché le label «Maison passive» (PassivHaus, norme allemande définissant une consommation inférieure à 15kWh au mètre carré par an). L’architecte Michael Gies a obtenu le premier label PassivHaus avec son projet Wohnen und Arbeiten («Habitat et travail»). Sur quatre niveaux, l’ensemble est divisé en seize unités d’habitation et quatre de travail, de 36 à 170m2. Grandes baies vitrées au sudpour optimiser les apports solaires, ouvertures réduites au nord afin d’éviter les déperditions. L’isolation extérieure est renforcée, les fenêtres sont à triple vitrage, les menuiseries à double joint et la ventilation à double flux: pas besoin d’ouvrir la fenêtre pour aérer en hiver. Les pièces sont lumineuses et dotées d’une généreuse hauteur sous plafond. «Dans mon immeuble, seules deux personnes ont une voiture. Pour les situations où j’ai besoin d’un véhicule, je suis inscrite à l’association d’auto-partage.» Nicola Weiss, habitante du quartier Vauban «Facile de construire un igloo» Dans cet univers high-tech, l’isolation est renforcée, les fenêtres sont à triple vitrage, les menuiseries à double joint, la ventilation à double flux. Elle s’intéresse «à l’écologie, au social»mais ne s’estime pas «militante». Son mode de vie parle pour elle: «Dans mon immeuble, seules deux personnes ont une voiture. Moi, je me déplace à bicyclette. Pour les situations où j’ai besoin d’une voiture, je suis inscrite à l’association d’auto-partage, qui dispose d’une quinzaine de véhicules sur le quartier. Ça me coûte 50euros par an, plus les kilomètres parcourus et un forfait pour l’heure d’utilisation.»Nicola Weiss est également membre de l’association Autofrei («Sans ●●● voiture»), qui offre une alternative à l’obligation allemande d’acheter ou de construire une place de parking pour chaque logement neuf, contrainte assez contradictoire avec l’esprit de Vauban. «Autofrei regroupe 428familles qui n’ont pas de voiture, explique Hannes Lincke, son directeur. Chacune a versé 4000 euros avec lesquels nous avons acheté des terrains sur lesquels nous construirons des parkings si nos partenaires s’équipent un jour d’une voiture. C’est bien plus économique que d’acheter une place dans les «Pour moi, explique Michael Gies, l’immeuble doit non seulement satisfaire à un label énergétique, mais être durable au sens propre du mot. Il faut qu’on puisse encore y habiter dans cinquante ans. C’est très facile de construire un igloo qui répondra à toutes les normes de basse consommation, mais personne ne voudra y vivre.» Sur le toit de Wohnen und Arbeiten, 56m2 de capteurs solaires thermiques et autant de panneaux photovoltaïques. Au sous-sol, un cogénérateur produit électricité et chaleur. Du coup, l’immeuble n’est même pas relié à la centrale au bois de la société locale Badenova, implantée en bordure du quartier. En hiver, la chaleur humaine et celle des appareils ménagers suffisent presque à maintenir une température idéale. «Une fois,raconte Michael Gies, le cogénérateur est tombé en panne alors qu’on était en dessous de zéro. Les habitants ont mis trois jours à s’apercevoir qu’il n’y avait plus de chauffage.»Le surcoût pour les propriétaires est d’environ 7% par rapport à une construction standard, soit 2200euros le mètre carré, dont 400 pour l’achat du terrain. Officiellement, l’écoquartier Vauban est conçu pour subvenir à près de 70% de sa consommation énergétique. C’est bien, mais il y a mieux. Le fin du fin, c’est le lotissement solaire de l’architecte Rolf Disch. A l’extrême est du quartier, il a conçu un immeuble et des triplex en bande dont les toits, entièrement recouverts de panneaux photovoltaïques, produisent davantage d’électricité que n’en consomment les habitants. Ça, c’est le label «Energie Plus». Un vrai rêve écolo. Une réalité. • THOMAS CALINON reportage photos PASCAL BASTIEN HABITAT 7 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Un cheval qui a de la bouteille A Trouville, le ramassage du verre a été confié à un solide percheron. Une initiative avant tout pédagogique. Trouville envoyé spécial e maire en a sa claque. Les journalistes ne l’appellent que pour lui. Lui: 13 ans, robe grise, costaud. Dans Trouville (Calvados), on ne peut pas le rater. «Festival» est un percheron qui fait presque de l’ombre à sa ville. Tous les matins, il trimballe une carriole chargée de verre dans les rues de Trouville. Il fallait l’imaginer: un cheval pour faire la promo du tri sélectif. Pas n’importe quel cheval. Une force de la nature, un sacré caractère. Ses classes, il les a effectuées chez Eurodisney en tractant un tramway 1900. Il «tirait» trop à gauche. Et le véhicule déraillait, avec les touristes dedans. Cette résistance à l’impérialisme US lui a valu d’être «réformé». Festival n’a coûté que 6900 euros, infiniment moins cher qu’un camion benne. Il ne carbure pas au diesel, mais il a du mal à marquer les priorités aux ronds-points. Le cheval ne voit pas les feux. Mais il marche, paisible, à la vitesse d’une benne au pas. Festival est un animal. Il a donc des réactions un peu imprévisibles. Il a peur des fanfares, des chariots élévateurs. En cinq ans, il a causé seulement trois «accidents». Et encore. Une fois, il a sauté la rambarde de séparation des voies, remplie de pots de fleurs, le long des quais. Une autre, c’est un tuyau devant la caserne qui lui a fait faire demi-tour: il a arraché un lampadaire. Enfin, la troisième fois n’est pas de sa faute: un journaliste du Pays d’Auge a fait un demi-tour en queue de poisson. La carriole a bousillé son aile. La carriole. Equipée de freins, roues pneumatiques. Les employés municipaux, niveau galop7 d’attelage, y empilent le verre. Il y a Christelle, Pascal et Sébastien. Pour faire cocher, ils tournent. Pour ramasser aussi. C’est assez curieux de les voir, les bras chargés de bouteilles. Du vin, du champagne et du cidre. Festival fait spécialement les restaurants. Il y en a plus de soixante-dix à Trouville. Ce lundi matin, on sort d’un week-end de Pâques. On compte alors jusqu’à 35000personnes, contre 5500habitants habituellement. Les passants, souvent hilares, ne manquent pas une occasion de faire une blague sur le volume «Cela marche dans les communes qui ne sont pas trop rurales, ou qui sont fréquentées par Christian Cardon, maire de Trouville des urbains.» récolté. Des clochards saluent la carriole. Et Pascal commente, imperturbable, en regardant les bouteilles: «Ceux-là, ils auraient bien aimé en descendre au moins une.» Derrière l’attelage, les voitures déboîtent. Sans trop de klaxons. A Trouville, la rue des Bains est la seule problématique. Parfois, quand certains s’énervent derrière, le cocher se venge: «On bouchonne exprès.» Dans l’ensemble, on respecte le cheval: «Ils auraient tendance à nous laisser la priorité», dit Pascal. Parfois, les gens s’approchent, et leurs réactions sont étonnantes. Cette dame a carrément mis sa poussette sous le ventre du cheval. «Comme si elle ne se rendait pas compte qu’il était vrai»,dit Sébastien. Festival n’a pas vraiment fait d’émules. Est-ce que c’est par peur de l’accident que d’autres mairies hésitent? «Cela ennuie les services municipaux d’entretenir des chevaux. Ils pensent que c’est compliqué», dit le secrétaire général. Festival a de l’arthrose. Depuis qu’un ostéo s’en est aperçu, un cob normand alezan, Lasso, le double. «Plus zen», dit Pascal, qui le conduit. Le cheval, c’est aussi la peur –électorale– du crottin sur l’asphalte. Avec le harnachement spécial dont il dispose, cette denrée, récupérée, va servir d’engrais pour les bacs à fleurs. Dans une autre commune pas très éloignée, «ils arrêtent [l’opération] cheval à chaque changement de maire», dit le conducteur. Dans une grande ville du centre de la France, deux ânes portaient les ballots qui ramassaient les feuilles, mais ils ont abandonné eux aussi. L’employé municipal était souvent traité de «bourricot». Festival n’a coûté que 6900 euros, infiniment moins cher qu’un camion benne. Les restaurateurs jouent le jeu Alors, Festival, c’est tout bénef? Il a incité les gens à trier. Diminué le tonnage des ordures ménagères. Et la commune fait des économies. Elle ne sait dire précisément combien. Selon le maire, Christian Cardon: «Pour l’économie d’énergie, c’est marginal.»Pour la Calvados «pollution» aussi. Les Trouvillais sont comme les MANCHE autres, pas très citoyens, ils jettent la bouteille avec le reste. La mairie l’assure: les enfants poussent les paTrouville rents à préparer les bouteilles pour «leur» cheval et les restaurateurs jouent le jeu. La première année, Caen 37tonnes (en 2001), puis 50 en 2002, et 55 pour 2005 (sur les 123tonnes récoltées annuellement). Les coOrne chers viennent d’être titularisés. Trouville a lancé un 20 km congrès des municipalités qui utilisent des chevaux territoriaux. «Cela marche dans les communes qui ne sont pas trop rurales, ou qui sont fréquentées par des urbains», explique Christian Cardon. Pour les plus vieux, c’est un peu une régression.• Manche La vengeance du cocher RÉMY ARTIGES L DIDIER ARNAUD 8 HABITAT LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 A Haguenau. Les branches ressortent de la déchiqueteuse en plaquettes (gros copeaux) qui alimentent les chaudières. Haut-Rhin et Bas-Rhin Moselle Haguenau ALLEMAGNE Strasbourg Vosges Colmar Soultz Mollau Mulhouse 20 km Alsace, bois des forêts Mollau, Haguenau, Soultz envoyé spécial Profitant de ses immenses ressources naturelles, la région repense son chauffage collectif. es quatre cents habitants de Mollau (Haut-Rhin) ont un sérieux problème de paysage. Le village, niché au fond d’une vallée vosgienne, est cerné par la forêt, qui a grignoté les collines environnantes, entre le Grand Ballon et le ballon d’Alsace. «Avant, tout ça, c’était des pâturages, des paysages suisses, précise utilement le maire Francis Schirck, cartes postales d’époque à l’appui. Maintenant, nos petits vieux sont obligés d’aller voir les paysages suisses en bus…» Mais depuis 1998 Mollau tente d’enrayer le processus et lutte pas à pas contre la «fermeture paysagère». Les bûcherons font des éclaircies dans la végétation arbustive, les branches sont confiées aux bons soins d’une déchiqueteuse qui recrache des plaquettes forestières (gros copeaux de bois), lesquelles terminent dans le foyer de la chaudière à bois installée au centre du village. Le réseau de chaleur alimente l’école et ses logements de fonction, la mairie, le local des pompiers, une petite salle des fêtes et l’église, L «un gouffre complètement inchauffable»,dixit le maire, agriculteur et élu sans étiquette, mais à tendance écologiste. En prime, les maisons de huit particuliers sont raccordées au réseau, pour 0,07 euro le kilowattheure (kWh)thermique. Et voilà comment Mollau, à défaut d’avoir totalement résolu son problème de paysage, a acquis un statut de pionnier dans le développement de la filière bois-énergie en Alsace, qui s’est fortement accéléré ces dernières années. Les préjugés disparaissent Fin 2005, la région comptait 132chaufferies collectives au bois, en fonctionnement ou en cours de réalisation, contre 31 deux ans plus tôt. Sur la même période, la puissance installée est passée de 10 à 28mégawatts (MW). Et 68projets sont à l’étude. Ces résultats sont à mettre au crédit du programme Energivie, lancé en 2003 par le conseil régional d’Alsace, en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et avec le soutien financier de l’Union européenne. Cinq accompagnateurs de projets ont assuré la promotion du dispositif. Leur travail: «Aller sur le terrain, faire du suivi de projets avec les bureaux d’études, de l’assistance technique», explique l’un d’eux, Laurent Atienza, basé à Colmar. Les aides de la région, qui s’adressent aussi aux particuliers, s’élèvent à 2,5millions d’euros sur les deux dernières années. Et les a priori–«le bois vient de Roumanie», «on va pas s’emmerder avec le bois, le gaz c’est beaucoup plus simple…»– seraient en voie de disparition. «Ici, il se passe des choses,commente le président du conseil régional, Adrien Zeller (UMP). Parce que nous avons une sensibilité un peu spécifique, une conception positive de la citoyenneté, une proximité avec les pays de l’espace rhénan, Suisse et Allemagne, où il y a plus d’engagement en faveur du développement durable. Ici, nous avons toute la panoplie des écologistes, nous avons l’habitude de nous écouter. Nous n’acceptons pas le concept “Tout-nucléaire, dormons tranquille”. Il faut agir de manière ouverte et pragmatique, donner du sens à la politique.» A cette démarche volontariste, il faut ajouter les 310000hectares de forêt que compte la région. A Ha- HABITAT 9 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 guenau (Bas-Rhin, 32000 habitants), elle couvre 14000hectares. Profitant de la ressource, la mairie a inauguré en 2005 la chaufferie à bois la plus puissante de la région (2,5MW), entièrement automatisée et raccordée à huit bâtiments, dont deux lycées. Elle remplace une installation fioul-électricité et consomme 10000m3 de bois par an, soit l’équivalent de 760tonnes de pétrole, et réalise 15 à 20% d’économie par rapport aux tarifs du gaz. L’investissement s’élève à 3,35millions d’euros, dont 1,4million pour la ville. «On est sur des coûts trois à quatre fois supérieurs à une chaufferie classique, reconnaît l’adjoint au maire André Erbs, chargé de l’équipement. Mais les collectivités sont là pour montrer l’exemple en matière d’énergie renouvelable.» L’adjoint opte pour le poêle A Soultz (Haut-Rhin), commune de 7000habitants où une chaufferie collective de 900kW a été installée au début de l’hiver 2002, c’est désormais «zéro émission de gaz carbonique»,claironne l’adjoint au maire Maurice Burger. Comprendre que l’impact sur l’environnement est neutre dès lors que les rejets de CO2 sont équivalents aux capacités d’absorption des arbres sur pied. Là aussi, les 1500 à 2000m3 de plaquettes brûlés chaque année proviennent de la forêt communale. La chaufferie, qui alimente cinq bâtiments publics, permet de valoriser les ressources forestières de Soultz, parmi lesquelles beau- coup de bois «mitraillé», sans grande valeur sur le marché. L’équipement a coûté 623000euros, dont 30% à la charge de la commune une fois déduites les aides des collectivités. «Le kilowattheure nous revient à 0,04euro, alors qu’avec le gaz on est à 0,06 et à 0,11 pour l’électricité. Il nous faudra une quinzaine d’années pour amortir l’investissement», calcule Maurice Burger. Depuis, Soultz a installé une deuxième chaufferie de 120kW, et quatre projets sont au stade de l’étude de faisabilité. «Pourtant, au départ, on n’est pas du tout écologistes [le maire est UMP, ndlr],on a fait ça pour entretenir notre forêt, note Maurice Burger. Maintenant, on commence à réfléchir. Même moi, j’ai mis un poêle à bois dans ma maison, alors que je ne l’aurais jamais imaginé il y a vingt ans.» Laurent Atienza confirme que l’accueil réservé par les élus à la filière bois n’a aucun lien avec leur étiquette politique. «De gauche ou de droite, tout le monde est concerné par les problématiques énergétiques. Les communes installent des chaudières à bois parce que ça réduit les rejets et ça crée de l’emploi local.» Illustration avec l’entreprise forestière qui fournit les plaquettes à la commune de Soultz: «On a acheté notre première déchiqueteuse en 1999, d’abord pour réduire nos volumes de déchets, raconte le patron, Christian Meyer. Aujourd’hui, c’est 80% de notre chiffre d’affaires et nous avons recruté deux personnes.» A Haguenau, la scierie Trendel, 25salariés, a aussi créé un poste lié à la filière bois-énergie. «On fait des plaquettes depuis vingt «On a acheté la première déchiqueteuse en 1999, d’abord pour réduire nos déchets. Aujourd’hui, c’est 80% de notre chiffre d’affaires.» Christian Meyer, patron d’une entreprise forestière ans, mais, avant, tout partait en Allemagne. Pour le moment, ça représente 5% de notre activité, mais la marge est intéressante et c’est un produit d’avenir», dit Michel Trendel, qui dispose d’une chaudière à bois pour son activité professionnelle. Le maillage territorial s’installe Peu à peu, la filière se structure autour des professionnels, qui investissent pour répondre à la demande. Une demande partie des communes forestières, premières séduites par l’intérêt de l’énergie tirée du bois, et qui serait en train de s’élargir au milieu urbain, selon le conseil régional. «Ça commence à prendre au niveau des grosses communes, insiste Adrien Zeller. C’est une nouvelle économie rurale et diversifiée qui se met en place, avec un vrai maillage territorial. Et puis, au-delà du bois, l’Alsace est la première région de France pour l’énergie solaire. J’ai la naïveté de penser que notre stratégie pourrait être imitée ailleurs en France.» • THOMAS CALINON reportage photos PASCAL BASTIEN A Mollau. Fin 2005, la région comptait 132 chaufferies collectives au bois, en fonction ou en cours de réalisation, contre 31 deux ans plus tôt. 10 HABITAT LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Des olives noires chauffées ESPAGNE OCÉ CÉAN ATL. PORT. à blanc FRANCE Madrid 500 km Des Espagnols tentent de remplacer leurs chaudières à charbon par des systèmes fonctionnant au carburant agricole. Madrid de notre correspondant uanjo Peña, concierge du n°1 de la rue Pedro-Muguruza, avait des soucis: «Le charbon, c’était salissant, ça sentait mauvais et j’avais toujours peur que la tuyauterie explose.» Il en a moins. En 2001, le syndic de copropriété de l’immeuble a décidé de remplacer la très vétuste chaudière au charbon par un système flambant neuf fonctionnant à base de… noyaux d’olive. Certes, ça prend un peu plus de place, à cause du vaste silo où sont entreposées des tonnes de noyaux. Mais, pour le reste, c’est tout simple: les «os» d’olive, comme disent les Espagnols, sont aspirés en continu dans des tuyaux couverts d’aluminium vers un poêle où le combustible se transforme en braises. «En cinq ans, on n’a eu aucun problème ni aucune plainte, dit Juanjo Peña. Ça chauffe même mieux qu’avant.» Pour le concierge, c’est tout bénéfice puisque tout est automatique. Chaque mois et demi, il n’a qu’à remplir le silo de noyaux d’olive et vider les cendres accumulées, lesquelles serviront ensuite, pour les propriétaires qui tible. La famille Cabello a eu la première l’idée le désirent, d’engrais pour leurs plantes. d’étendre son application à l’usage domestique. En plein essor depuis 2001, Calordom a installé ce sysAucun risque d’explosion tème de chaufferie pour 300logements à Madrid, et Le responsable de ces installations pionnières en 200 à Salamanque, en Castilla-León. Dans un pays Espagne, Calordom, est une entreprise familiale de détenant le record mondial de production d’huile Madrid, traditionnellement charbonnière. Le pa- d’olive, dont les oliveraies s’étendent de la Catalogne tron, Rafael Cabello, a vite vu les avantages de ce à l’Andalousie, la marge de progression semble illichauffage à partir de biomasse, une source d’éner- mitée. «Dans toute l’Espagne, il y a assez de noyaux gie non fossile, donc illimitée, bon marché et non d’olive pour chauffer deux millions de foyers, assure contaminante. Son fils Juan, le gérant, fait visiter Juan Cabello. Et cette proportion pourrait être faciune installation plus moderne encore, dont le lement doublée si l’on utilisait les noyaux jetés dans la contrôle est assuré par ordinateur, paseo de la Ha- nature.»Sans compter que cette estimation n’inclut bana, à deux pas du stade du Real Madrid. Dans la pas d’autres types de biomasse, plus ou moins discave, les installations aux noyaux d’olive assurent le ponibles selon les saisons: noyaux d’amande, chauffage de 17appartements et bureaux, de 400m2 écorces d’ananas, pépins de raisin, toutes des machacun. L’homme fait visiter la chaufferie une ciga- tières dont le coût serait largement moindre que cerette au bec, manière d’assurer qu’elle ne présente lui des énergies fossiles. «Le recours à cette biomasaucun danger, et explique que le pépin «le plus gra- se revient deux fois moins cher que le gaz, poursuit ve, ce serait que la chaudière s’arrête. Ici, aucun risque Cabello. Les syndics de propriétaires doivent certes d’explosion, aucune contamination, et un chauffage faire un investissement pour l’installation (entre prolongé». A l’en croire, cela ne présente que des 3000 et 6000 euros), mais cet argent est amorti en avantages sur le charbon et le gaz. «Le système que quatre, cinq ans maximum.» l’on a breveté est tellement simple qu’il est bizarre que personne n’y ait pensé auparavant», ajoute Juan Les écologistes mettent le holà! Cabello. Le recours à la biomasse pour se chauffer a un caracEn réalité, le secteur industriel utilise déjà depuis tère d’autant plus innovant en Espagne que le pays quelque temps les noyaux d’olive comme combus- est plutôt à la traîne d’un point de vue écologique –même s’il est un des leaders de l’énergie éolienne. «Le pépin le plus grave serait que la chaudière Ultradépendante des aléas des marchés du pétrole du gaz, l’Espagne est à la recherche de sources s’arrête. Le système que l’on a breveté est et d’énergie alternatives. Calordom a reçu 20% de subtellement simple qu’il est bizarre que personne ventions pour son chauffage aux noyaux d’olive. «A n’y ait pensé auparavant.» la différence du gaz, du fioul ou du charbon, le recours Juan Cabello, fils du concepteur de l’installation à cette biomasse n’affecte pas le cycle atmosphérique, L’Espagne détient le record mondial de production d’huile d’olive, ses oliveraies s’étendent de la Catalogne à l’Andalousie, et sa marge de progression semble illimitée. J affirme Juan Cabello. Pendant la combustion des noyaux d’olive, le gaz carbonique émis ne dépasse pas celui que l’olivier a absorbé durant sa croissance à travers la photosynthèse.» Les organisations écologistes, elles, ne sont pas convaincues que le bilan final soit si bon. Elles préféreraient que cette solution demeure marginale. Dans le cas contraire, affirme Sara Pizzinato, de Greenpeace, «les cultures énergétiques deviendront intensives, ce qui suppose une utilisation élevée d’engrais dérivés du pétrole, l’utilisation de machines très demandeuses en pétrole, et en fin de compte un solde énergétique qui ne sera plus positif».• FRANÇOIS MUSSEAU reportage photos CARMA CASULÁ En plein essor depuis 2001, ce système de chaufferie a été installé dans 300 logements madrilènes (photo), et dans 200 autres à Salamanque, en Castilla-León. HABITAT 11 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Courant d’air Les parcs éoliens fleurissent en France, à l’exemple du site de Fresnes-Tilloloy dans la Somme, inauguré en avril. MANCHE Somme Nord FresnesTilloloy Amiens 20 km Oise P H I L I P P E B R A U LT. L’ Œ I L P U B L I C «Ferme» d’éoliennes vue du ciel de Fresnes-Tilloloy dans la Somme. Fresnes-Tilloloy envoyé spécial des kilomètres, on les aperçoit déjà, grandes tiges blanches plantées dans la plaine picarde. Les éoliennes font lentement tournoyer leurs énormes rotors montés sur des mâts de 80 m dans le ciel de Fresnes-Tilloloy (Somme). Pour leur donner une autre visibilité, Theolia, producteur d’électricité issue d’énergies renouvelables, n’a pas hésité à inaugurer en grande pompe cette «ferme» d’éoliennes en avril, dans un ballet d’hélicoptères façon Apocalypse Now. Pas de A Chevauchée des Walkyries en bande-son, plutôt un solide argumentaire en faveur d’une industrie en plein essor. De quoi marquer la presse et les investisseurs, menés au plus près des impressionnantes pales de 40 m. La foi gagne les investisseurs «J’ai ressenti beaucoup d’émotion en survolant notre ferme, maintenant qu’elle est en fonction», avouait avec candeur le PDG de Theolia, au terme de la visite. Jean-Marie Santander ressent également, depuis quelques mois, beaucoup d’intérêt pour sa société, ce qui lui fait affirmer: «Nous serons le deuxième opérateur éolien en France après EDF, dès fin 2006.» Avec une puissance de 10mégawatts (MW), la centrale éolienne de Fonds-de-Fresnes est la première implantation en France de Theolia (présente en Allemagne, Belgique et Espagne). Et la foi dans ce producteur d’électricité éolienne gagne d’autres investisseurs, de BNP Paribas à la Société générale: Theolia a levé plus de 55 millions d’euros en avril. Quatre autres fermes sont déjà prévues: 10MW dans le Morbihan, 26MW dans l’Aveyron, 8et 10MW en Normandie. Le producteur éolien entend dépasser les 60MW installés d’ici à la fin de l’année. Et il n’est pas le seul à s’activer: plus de mille aérogénérateurs, répartis sur 150parcs, tournent déjà dans le pays. Rien qu’en janvier, 18parcs ont été mis en service générant 151MW, après une progression de la puissance éoliennede 377MW l’année passée. Une puissance toutefois bien modeste: avec ses 920MW, la France reste loin derrière la championne, l’Allemagne (18000MW). Quant au taux de production d’électricité éolienne, il est ridicule, n’atteignant pas les 0,2% par an (sur un total de 12% de production «verte»: hydraulique et solaire photovoltaïque). Si elle veut respecter une directive européenne, la France devra, d’ici à 2010, faire monter à 21% la part des énergies renouvelables dans sa production nette d’électricité. Ce qui faisait pointer la France comme le mauvais élève se retourne à son avantage pour les industriels. On trouve du charme au cancre: bien exposé et sous-équipé, le pays est noté deuxième potentiel éolien en Europe. Dans l’Union européenne, la croissance de l’éolien a atteint un notable 16% en 2005, les pays les plus prometteurs étant l’Espagne, la France et le Royaume-Uni. Mais on assiste à un véritable boom mondial de ce mode de production, qui a gagné 35 % de 2004 à 2005, avec 11000 MW supplémentaires installés sur la planète. Après un passage à vide en 2004, les commandes ont décuplé aux Etats-Unis, troisième producteur mondial, passé de 1600 à 6700MW en dix ans. Et l’Inde vient de lancer un ambitieux programme pour doubler son équipement d’ici à 2012. Sans compter la multitude de microprojets originaux: «Nous avons monté le premier projet hybride en Inde, 60% éolien, 40% solaire, raconte Remeche MadoMercandy, ingénieur chez IT Power India. L’installation tourne depuis 2002 sur l’île de Chunambar à quelques kilomètres des côtes de Pondichéry, et elle la rend autosuffisante.» La résistance faiblit chez les détracteurs Un chiffre d’affaires mondial de 12 milliards d’euros en 2005, dont on estime la progression moyenne à 8 % annuels jusqu’en 2014. Activité pour moitié réalisée en Allemagne, où 60000 personnes travaillent dans le secteur… L’industrie éolienne avance les arguments susceptibles de forcer le consensus: croissance, emploi. Des associations qui dénoncent les nuisances sonores ou la dégradation des paysages, aux experts qui contestent l’intérêt de l’éolien dans la lutte contre la surproduction de gaz à effets de serre, est-ce la défaite pour ses détracteurs? «Depuis les tensions sur le pétrole, la résistance s’amenuise encore»,souligne Cédric de Saint-Jouan, du groupe Theolia. Qui a une botte secrète: réserver environ 20% du capital des sociétés créées pour gérer chaque parc d’éoliennes à des actionnaires locaux, pour financer en partie les centrales. Et, surtout, développer auprès des autochtones «l’acceptabilité» –maître mot de l’industriel– des nouveaux moulins à vent.• JEAN-PAUL ROUSSET 12 HABITAT LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 La Morinais. Dans ce quartier pionnier de l’agglomération rennaise, la marche et le vélo sont privilégiés. Les maisons en quinconce (comme on le voit sur cette maquette) préservent l’intimité. A Rennes, des îlots caressés par la foule Pour éviter les déplacements inutiles, la communauté d’agglomération a fait le pari de la densité urbaine. Rennes de notre correspondant Ille-et-Vilaine MANCHE Côtesd'Armor Manche Morbihan Rennes ’est un phénomène infernal: les gens veulent une maison. En ville, elle est chère et rare, donc ils s’éloignent. Une fois loin, ils font tous leurs trajets en voiture, avec un véhicule pour monsieur, un pour madame, parfois un par grand enfant. Ce phénomène, qui sévit partout en France, s’appelle l’étalement urbain. Il est dévoreur de pétrole car plus les lotissements s’étendent, moins il est possible de les desservir avec des transports en commun. Trop cher. C Déplacements doux 20 km Depuis plusieurs années, Rennes-Métropole, communauté d’agglomération de 37communes, réfléchit à ces questions et propose une solution: la densification urbaine. En clair: davantage d’habitants sur moins de terrain. Avec, en contrepartie, des zones vertes préservées. Il n’est plus question de construire des lotissements à perte de vue mais pas non plus de revenir aux grandes barres de béton. Cette densification nouvelle manière s’appuie sur des modes d’habi- tat innovants. Ce que Rennes et ses voisines veulent inventer, c’est la «ville archipel» ou «ville polycentrique». «Pour limiter les déplacements, il faut rapprocher les gens des services tout en conservant la qualité de vie,explique Jean-Yves Chapuis, vice-président délégué aux formes urbaines de l’agglomération. Sans renier le rôle de la ville centre historique, nous cherchons à créer des poches d’urbanisation avec leurs services et des liaisons vertes qui favorisent les modes de déplacement doux comme la marche ou le vélo. Il faut aussi des transports en commun performants.»Et ne pas perdre de vue un quadruple objectif: répondre au désir de logement individuel, contenir les coûts pour les rendre accessibles aux plus modestes, économiser l’espace et s’inscrire dans une démarche de préservation de l’environnement. Dans l’agglomération rennaise, Saint-Jacques-de-laLande fait figure de pionnier en la matière. Son territoire était morcelé et le projet consistait à recréer ex nihilo,entre deux quartiers historiques, un nouveau centre-ville, la Morinais. La municipalité ajoué à fond la carte de l’habitat innovant, tels ces immeubles perchés sur un centre commercial au toit planté de merisiers. «Pour chaque îlot, nous avons fait appel à des équipes d’architectes différentes, souligne Daniel Delaveau, maire PS de la commune. Ça enrichit la réflexionet on apprend quelque chose qui va servir à l’îlot suivant. Les parcelles mélangent logements individuels et collectifs avec 25 % de logements sociaux, et à peu près autant en accession aidée à la propriété. La mixité sociale fait partie intégrante du projet.» Dans ce nouveau quartier, où les constructions ont été calquées sur les délimitations du bocage d’autrefois, derrière des immeubles de facture assez classique sont apparues des formes plus originales. Comme ces petites maisons blanches à toit plat de 90 à 100m2 avec leur bout de jardin, serrées mais décalées pour préserver l’intimité de chacun. Ou ces ensembles à trois niveaux aux larges baies vitrées, bordés de pelouses et coiffés de grandes terrasses. Ici, ni hall, ni ascenseur, mais des accès par coursives ou escaliers qui font pénétrer directement dans des appartements de rez-de-chaussée ou des duplex inver- sés (chambres au premier niveau, salon-cuisine avec terrasse au-dessus) prévus pour des familles de deux à trois enfants. Avec des prix, en 2003, s’échelonnant de 130000 à 160000 euros. Et des volets de bois, le PVC ayant été proscrit.Autre singularité, de chaque côté de rues étroites plantées de charmilles et d’ajoncs, de camélias et de rhododendrons: des rigoles à ciel ouvert où s’écoulent les eaux pluviales. «L’argent que l’on ne met pas dans les réseaux souterrains, on peut l’investir ailleurs»,remarque Daniel Delaveau, qui dit s’être inspiré des cités- jardins du XIXe siècle. A la Morinais –qui compte 3500habitants et qui s’est dotée d’une médiathèque, d’un espace culturel polymorphe, d’une école, de cabinets médicaux– la voiture n’a pas disparu. Mais son usage aurait diminué. «La ligne de bus est celle où l’augmentation de la fréquentation a été la plus forte des lignes périphériques de l’agglomération», assure Daniel Delaveau. Un programme vise à rejeLa ville vise ter l’automobile à une cinquantaine de mètres des habitations pour for- un quadruple mer un îlot piétonnier. Les habitants objectif: adhèrent. Avant, Muriel, 31 ans, un répondre au désir mari et deux enfants, prenait la voiture pour aller chercher le pain. Elle de logement vit ici dans une maison achetée au individuel, prix d’un appartement et fait beau- contenir les coûts, coup de choses à pied. «On devrait économiser bientôt abandonner notre deuxième auto», dit-elle. L’architecture a sé- l’espace duit le couple, même si la parcelle est et préserver petite. «Le terrain, on s’en fiche mais l’environnement. c’est très fonctionnel et très lumineux.»Ils déplorent toutefois l’absence de cave ou de grenier pour les rangements etle fait que les rues, bordées d’immeubles, rappellent encore un peu trop les cités-béton. Sophie, 28 ans, ne regrette pas non plus. Elle s’est installée avec son mari et ses deux enfants dans un duplex doté d’une pelouse de 250m2. «Il y a plus de place, de clarté et de calme»,se félicitet-elle en évoquant son précédent logement. Et c’est sans trop de vis-à-vis.»Mais surtout, point clé d’une densification réussie: «Ça fait un petit peu maison.» Dix maires, dix projets Saint-Jacques-de-la-Lande n’est pas seul à avoir fait le pari de la densité. Rennes-Métropole a lancé l’opération «Dix maires, dix projets» pour entraîner d’autres communes dans la même dynamique. A Chantepie, un projet de petits immeubles collectifs, qui doit démarrer en mai, s’attache aux économies d’énergie: pas d’ascenseur, capteurs solaires et récupération des eaux de pluie. Rennes-Métropole doit construire 4500 logements par an jusqu’en 2012. Pour atteindre son objectif: «Doubler le nombre de logements tout en diminuant de moitié l’espace à urbaniser»,résume Jean-Yves Chapuis. • PIERRE-HENRI ALLAIN reportage photos ADELINE KEIL *Du sens et de la simplicité La simplicité, c’est une lampe qui a le pouvoir de purifier l’eau. Lampes à ultraviolet Philips. L’eau est l’une des ressources les plus précieuses au monde. Alors pour que les régions du globe frappées de pénuries puissent disposer d’une eau propre, Philips a mis au point une lampe qui neutralise les bactéries et virus contenus dans l’eau pour la purifier en toute sécurité et sans aucun produit chimique. Rejoignez-nous sur www.philips.com/simplicity 14 DÉPLACEMENTS LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Voitures bi au Brésil Près de la moitié du parc automobile roule indifféremment à l’alcool ou à l’essence. São Paulo de notre correspondante BRÉSIL 500 km COL. VEN. Brasilia PÉR. São Paulo ARG. OC. ATL. Usines d’éthanol de Santa Elisa (ci-dessous). Les producteurs comptent étendre la culture de la canne à sucre (ci-dessus). Des projets qui inquiètent les écologistes. u Brésil, les voitures roulent à la canne à sucre. Ou plutôt à l’éthanol, mais ici tout le monde dit alcool. Leôncio Pires tient une station-service à São Paulo, il a deux pompes à éthanol. Jusqu’à récemment, elles ne servaient plus beaucoup. Mais c’est reparti depuis la fièvre des voitures flex-fuel. Aux premiers temps du plan «Alcool», il fallait choisir son camp: un véhicule à éthanol ou à pétrole. Fini: les moteurs flex-fuel (bicarburant) roulent à l’éthanol, à l’essence, ou aux deux à la fois. En mars, 77,6% des nouvelles immatriculations étaient équipées de cette technologie. L’éthanol assurant un tiers de kilomètre en moins au litre, on comprend vite qu’il faut faire le plein à la pompe à alcool les jours où son prix est inférieur ou égal à 70% de celui de l’essence. Car ça bouge : à 1,999réal le litre (0,77 euro), l’éthanol reste un peu moins cher que l’essence, mais le prix a grimpé avec la demande. João Peixinho travaille à la station de Leôncio. Et il a acquis une flex-fuel sans hésiter: «C’est la meilleure chose que j’ai faite de ma vie !» Un œil sur les cours, il s’adapte aux fluctuations des deux produits. «Au début, je ne faisais le plein qu’à l’alcool, qui coûtait moitié moins. Là, c’est l’essence qui revient moins cher. Peu importe le carburant, j’économise de toute façon !» A Au Brésil, premier producteur et consommateur d’éthanol, le carburant est disponible dans presque toutes les stations-service alors qu’aux Etats-Unis 610stations seulement vendent un mélange éthanolessence. En 1975, suite au premier choc pétrolier, le Brésil a commencé à fabriquer ce carburant, dans le cadre du plan Alcool lancé par la dictature militaire. Peu connus pour leur fibre environnementale, les généraux voulaient surtout mettre fin à la dépendance énergétique du pays. L’Etat subventionne alors la production d’éthanol et impose sa distribution sur le territoire à un prix inférieur à celui de l’essence. Il paie la différence aux producteurs, les usineiros,et offre des incitations fiscales à l’industrie automobile pour qu’elle construise des voitures roulant à l’éthanol. En 1984, les résultats sont là : ces véhicules représentent 94% de la production automobile locale. Mais cinq ans plus tard la situation change. L’Etat arrête son soutien au prix de l’éthanol, trop cher face à la baisse du prix du pétrole. Du coup, les usineirosreviennent à la production de sucre, dont le cours est en hausse. L’effet est immédiat : l’alcool manque, les Brésiliens sont furieux, coincés avec des voitures inutilisables. La technologie flex-fuel, qui équipe près de la moitié du parc automobile des particuliers, va sauver tout cela. «Elle a délivré les Brésiliens de la peur d’une nouvelle pénurie en leur offrant un repli sur un autre carburant, explique Paulo Sergio Kakinoff, directeur des ventes de Volkswagen.D’où son succès.»Un succès auquel le gouvernement a contribué en baissant la fisca- lité sur ce carburant et sur les voitures flex-fuel, qui restent quand même 10% plus chères que leurs jumelles à l’essence. Volkswagen a lancé le premier modèle en 2003. Depuis, Renault, PSA, General Motors et Fiat l’ont imité. La quasi-totalité de leur production au Brésil est équipée de la technologie flex-fuel.«La tendance est irréversible,poursuit Kakinoff.Notre pays est autosuffisant dans ce carburant, ce qui le met à l’abri des fluctuations du prix du pétrole. Et l’alcool est moins polluant que l’essence.» Ouvriers payés au rendement Utilisé seul ou mélangé à l’essence à hauteur de 20%, «l’éthanol a réduit les émissions de monoxyde de carbone et de gaz cancérigènes comme le benzène», confirme Homero Carvalho, directeur de la Cetesb, l’organisme qui contrôle les émissions des véhicules. Mieux, les usines d’éthanol tournent grâce à l’énergie que produit la combustion des déchets de la canne, et certaines s’offrent le luxe de revendre à l’Etat leur excédent d’électricité. Pourtant, la filière éthanol n’est pas écologiquement parfaite. Aldo Ometto, qui a étudié ses impacts environnementaux pour l’Embrapa, un centre public de recherche agricole, note de sérieux bémols: «L’éthanol pourrait être bien plus écologique si les producteurs de canne ne brûlaient pas la paille de la plante pour faciliter la cueillette.» Selon lui, l’Etat, censé veiller à l’abandon de cette pratique, «n’a pas les moyens d’exercer un contrôle effectif sur des plantations aussi grandes. Ces incendies génèrent des gaz toxiques. DÉPLACEMENTS 15 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 L’éthanol, un bien biocarburant Le groupe espagnol Abengoa, premier producteur européen, s’apprête à conquérir le marché. accords avec les leaders de la raffias de place pour le doute. «L’ir- nerie comme PCK (Shell, BP, Total, ruption du biocarburant à Agip) ou Ruhr-Petrol, un groupe algrande échelle n’est qu’une lemand à qui Abengoa va fournir question de temps. Nous vou- 10millions de litres de biocombuslons être les mieux placés. Nous pen- tible. sons même dominer le marché européen d’ici cinq ans.» Jaime Fagoaga, Des yeux doux qui tient ces virils propos, est direc- Mais c’est aux Etats-Unis que le teur de la communication chez groupe s’initie. «L’Amérique du Abengoa. Un mastodonte industriel Nord, c’est notre laboratoire. Si on d’Andalousie –le siège social est à Sé- voulait percer, il fallait forcément faiville– de 11000 employés, présent re nos preuves dans ce marché qui a dans 70 pays et à la capitalisation au moins dix ans d’avance sur l’Euroboursière de 1,8milliard d’euros. Le pe», confie le président d’Abengoa groupe pèse surtout en ingénierie Bioenergy, Javier Salgado, installé industrielle (43% de son activité) ou depuis trois ans à Saint Louis, dans en technologie de l’information. le Missouri. La filiale andalouse parMais ce qui le rend original, c’est son ticipe à la construction d’une usine pari appuyé pour les dans le Nebraska, et a biocarburants. Sa filia- «L’Amérique fondé un centre de rele Abengoa Bioenergy cherche, dont les tradu Nord, qui a est la première provaux sont régulièreductrice européenne dix ans d’avance ment transmis au d’éthanol avec une ca- sur l’Europe, est siège à Séville. «Ici, on pacité de 326millions notre laboratoire. a tout à apprendre car de litres. le scénario en cours Dans le très compéti- Si on voulait s’imposera forcément tif marché nord-amé- percer, il fallait dans un proche avenir ricain, le groupe fait forcément y faire en Europe», poursuit même mieux, avec un nos preuves.» Javier Salgado. volume quelque peu Pour Abengoa, l’équaJavier Salgado, supérieur (355 mild’Abengoa Bioenergy tion est simple: les lions de litres). L’éthaEtats-Unis constinol, ce liquide énergétique obtenu à tuent le marché stratégique, l’Europartir de blé, d’orge, de maïs –et pe, le marché naturel. C’est donc là bientôt de betterave–, est encore un qu’il faudra gagner la bataille contre ovni dans nos stations-service. les toutes-puissantes compagnies Peut-être pas pour longtemps. pétrolières avec cette difficulté supplémentaire: à la différence de ce qui Un cookie se passe en Amérique du Nord, les Dans le Sud-Ouest français, à Lacq, compagnies ont de l’essence en surAbengoa construit la première usi- plus, ce qui, pour elles, fait de l’éthane d’Europe fonctionnant à partir nol un concurrent potentiellement de graines de maïs, en association très gênant. «On a un mal fou, dit Jaavec cinq coopératives locales de vier Salgado. C’est très dur de lutter production. Le site figure parmi six contre le lobby pétrolier, à qui les pouautres retenus, le 28février, par les voirs publics font les yeux doux. pouvoirs publics dans le cadre d’un Contre le secteur bioénergétique, en plan gouvernemental pour les bio- revanche, on érige des obstacles techcarburants. Abengoa récolte ainsi niques, fiscaux et juridiques.» une part d’un nouveau gâteau. D’un Javier Salgado est convaincu toutecookie plutôt: dans un premier fois que l’émergence du biocarbutemps, la proportion des biocarbu- rant n’est qu’une question de temps, rants en France n’atteindra que d’autant que la conjoncture est 5,75% de l’ensemble des carburants, favorable: outre le prix du baril de et progressera jusqu’à un modeste pétrole et le protocole de Kyoto, la 10% en 2015. N’empêche, chez réforme de la politique agricole Abengoa, on se félicite: l’unité fran- commune va mettre sur le marché çaise devrait produire 250millions davantage de produits agricoles de litres d’éthanol, soit plus que cha- pouvant être utilisés comme biocune des installations de la firme en carburant. «En Espagne, il y a un Espagne –en Galice, à Murcie et à plan énergétique volontariste mais Salamanque. Le vent en poupe trop timide,conclut-il. Je crois que la –392millions d’euros de chiffre d’af- France prend la bonne direction, et ne faires en 2005–, le groupe sévillan devrait pas tarder à dominer le mardoublera sa capacité de production ché européen.»• d’ici à l’an prochain. Il négocie des FRANÇOIS MUSSEAU Madrid de notre correspondant P Sans compter les grandes quantités d’eau nécessaires pour nettoyer la canne dont le jus est libéré par le feu.» Autre problème, le passif social d’une partie du secteur, qui paie ses ouvriers au rendement : depuis 2004, treize d’entre eux sont morts épuisés de travail. L’Unica, le syndicat de l’agro-industrie de la canne, s’est rendu compte que ces pratiques pouvaient pénaliser les exportations et vient de s’engager à respecter un minimum de droits sociaux. Sans abattre un seul arbre Premier exportateur d’éthanol, le Brésil entend garder son leadership à l’heure où la demande internationale est en hausse. Pour y parvenir, les producteurs comptent étendre la culture de la canne à sucre plantée sur 5,5millions d’hectares. D’après l’Unica, 100 à 150 millions d’hectares seraient disponibles sans irrigation et sans abattre un seul arbre. Mais les écologistes s’inquiètent. «Comme la canne s’installe sur des pâturages, nous craignons que cette culture n’aggrave la destruction de l’Amazonie en repoussant l’élevage dans la forêt», dit Carlos Rittl, un des coordinateurs de Greenpeace. Les usineirosne partagent évidemment pas ces craintes. Luís Guilherme Zancaner, président de l’Union des usines de l’ouest de São Paulo, vante l’implantation de 65 usines d’ici cinq ans. Et ses atouts. «Les coûts de production de l’éthanol brésilien sont les plus bas au monde»,précise-t-il. La main-d’œuvre est bon marché et les rendements élevés, portés par le climat et les variétés de cannes à sucre issues de la recherche. Les investisseurs étrangers l’ont bien compris. Les groupes français Tereos et Louis Dreyfus sont là depuis 2000. Des fonds d’investissements britanniques et américains négocient le rachat d’usines. «A terme, le Brésil serait en mesure de répondre à lui tout seul à la demande mondiale d’éthanol, dit Renato Leite, consultant de la trading suisse Coimex, qui exporte ce carburant. Mais le gouvernement encourage d’autres pays à en produire et leur offre même un transfert de technologie, car il sait que nul ne veut dépendre d’un seul fournisseur.» La multiplication planétaire des sources d’approvisionnement pourrait donc paradoxalement doper les exportations brésiliennes. Analyste de la trading Petrus, Antonio Carvalho Neto relève deux obstacles à ces ambitions exportatrices : «le protectionnisme des pays riches et la pénurie d’éthanol, les usineirosrevenant à la production de sucre, plus rentable quand le cours remonte».Zancaner l’admet : «Nous manquons encore de crédibilité sur le marché mondial à cause de la pénurie de 1989.» Mais il ne s’alarme pas. «Si l’éthanol ne survit pas aux avancées technologiques de l’industrie automobile, il sera utilisé dans l’industrie chimique.»Paulo Sergio Kakinoff ne s’inquiète pas non plus: «La voiture électrique ou la cellule hydrogène ne seront accessibles ni pour le Brésil ni pour d’autres pays émergents. La technologie flex-fuel a de beaux jours devant elle.»• CHANTAL RAYES Reportage photos JOEL SILVA (Folha Imagem) 16 DÉPLACEMENTS LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 L’huileautrésor des Japonais Après la guerre, on en faisait du savon, des engrais, ou des nourritures pour bestiaux. C’est toujours le cas. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’on les transforme aussi en carburant pour voitures, camions et bus.» Avec 100 litres d’huiles de friture, Someya Shoten crée 95 litres de fioul. Les restaurants livrant leur huile usée à la PME paient 400yens (2,80euros) par lot de 18 litres. La PME fabrique pas moins de 120 tonnes de Vegetable Diesel Fuel (VDF) par mois. Pas énorme. Mais Yumi et son papa veulent surtout montrer l’exemple. «Des sociétés au Japon ont copié notre technique. Tant mieux, explique la fille. Du moment que cela aide à lutter contre le rejet des déchets.» Le procédé physique ne date pas d’hier. En France, Elf, parmi d’autres, sait depuis des lustres comment fabriquer du carburant moins polluant à partir d’huile végétale. Le procédé, dit de «transestérification» et «cracking»,transforme les huiles de cuisine usagées, comme celle du tournesol, en biodiesel et rejette peu de déchets dans l’air. Contrairement à la méthode traditionnelle qui génère oxyde de soufre et glycérine. Les Allemands maîtrisent eux aussi très bien cette technique. Pour Someya Shoten, tout a commencé en 1993, au terme d’une série de recherches débutées dans les années 80 avec de l’huile de soja. Après avoir constaté le succès de tests pratiqués dans l’Etat américain du Missouri, la PME nippone réussit à mettre au point un type de «fioul végétal» obtenu en retraitant des huiles de friture. Takeo Someya et les siens n’en reviennent pas: l’impact sur l’environnement est bien moindre que l’essence traditionnelle. Ce fioul à base de légumes (d’où son nom de Vegetable Diesel Fuel) ne produit pas d’oxyde de soufre et génère presque moitié moins de fumées noires que le gazole. Certes, le VDF n’est pas de l’eau. Son impact sur l’air n’est pas nul. «Pas encore!», précise Yumi Someya. Mais sa formule – dans un Japon fanatique d’automobiles, très peuplé et empoisonné par les bouchons géants en ville– est en soi un progrès. K E N Z A B U R O F U KO H A R A Une parcelle de forêt en cadeau Sorte de professeur Tournesol made in Japan, Takeo Someya est une figure dans les milieux écologistes. A Tokyo, une petite entreprise recycle les graisses de friture en fioul végétal. Tokyo de notre correspondant ans le nord de la capitale, au cœur de Sumida, un vieux quartier traditionnel du «Tokyo d’en bas», en s’enfonçant dans un sac de ruelles envahies de chats, une odeur d’huile monte au nez. Aucun doute, l’usine Someya Shoten est toute proche. Face à un vieux hangar devant lequel vont et viennent des camions de livraison, le patron de l’usine, Takeo Someya, JAPON 69 ans, apparaît dans la blouse qu’il ne quitte 500 km jamais au boulot. Aux côtés de sa fille, Yumi, 37 ans, à la tête d’une filiale baptisée U’S, spécialisée dans RUSSIE CHINE les carburants verts et biodiesels, le patron surveille le ballet des camions et le déchargement de leurs cargaisons d’huiles de friture usagées. Il veille CORÉE DU N. à la bonne marche de cette drôle d’usine à laquelle CORÉE participent d’ailleurs, dans un dépôt, six ouvriers DU S. Tokyo nigérians, cinq hommes et une femme, qui n’avaient rien lorsqu’ils sont arrivés à Tokyo. Adoptés par Someya-san, ils ont un boulot, un OCÉ CÉAN PACIFIQUE salaire (qu’ils renvoient en partie au pays) et, cerise sur le gâteau, parlent le nippon. D Expert en tuyaux fumants Petit homme ingénieux, sorte de professeur Tournesol made in Japan, Takeo Someya est considéré par ceux qui le connaissent comme un maître en mécanique et physique. Expert en tuyaux fumants et formules chimiques. Si, à ce jour, il n’a reçu que deux modestes prix –l’un pour ses inventions, l’autre des mains de l’ex-gouverneur de Tokyo–, c’est parce qu’il est aussi simple que discret. Au Japon, il est pourtant une figure dans le milieu écolo. Et industriel: les constructeurs automobiles nippons sont au courant de ses petits coups de génie. Sur 1450m2, son usine, à première vue vieillotte et incroyablement crasseuse, qui évoque les univers déglingués et tuyautés de Mad Max et de Frankenstein, fait en effet des miracles. Les deux plus grosses centrifugeuses de l’usine, appelées Esterboy, que la société vend toute l’année à des entreprises et municipalités au prix de 15millions de yens pièce (100000euros), transforment en quelques heures des tonnes d’huiles de friture et autres graisses (de porc, de poulet…) en autant de tonnes de biocarburant peu polluant pour véhicules à moteur. Savon, engrais et nourriture à bestiaux «J’ai entendu parler il y a plus de vingt ans des usages possibles des huiles de friture usées, explique Takeo Someya. J’ai appris qu’il était possible de faire rouler des voitures grâce à un diesel tiré de l’huile végétale. L’idée m’est venue de fabriquer de l’essence en recyclant les huiles usées de tempura.» La tempura, friture enrobée dans une pâte à base de farine légère, est une spécialité gastronomique très prisée. Les Japonais en raffolent. C’est un délice en légumes. Que certains préfèrent cuisiné avec des crevettes. Or, parmi les 2,5 millions de tonnes d’huiles rejetées chaque année par les Nippons, 400000tonnes sont des huiles de friture. Aussi le gouvernement lancet-il sans cesse des cris d’alarme. Car, si elles n’étaient pas récupérées et recyclées, ces huiles très lourdes, véritables casse-tête, seraient de terribles polluants. Leurs dégâts sur l’environnement, les canalisations et courants d’eau souterrains, seraient très sévères. «Le recyclage des huiles de tempura est une tradition dans notre pays, explique Yumi Someya. Afin de convaincre un maximum d’automobilistes d’acheter leur biocarburant (0,5 centime d’euro le litre), Someya Shoten et sa filiale ont mis en place –avec l’aide de propriétaires de forêts soutenant leur action– un système alléchant qui permet aussi de protéger les territoires boisés du pays. «Nous offrons 1tsubo [3,3m2, ndlr]de forêt dans la préfecture de Fukushima à tout individu qui nous livre au dépôt, dix fois d’affilée, de l’huile de friture, quel que soit le volume»,explique, plein d’allant, Yumi. Objectif: réduire la pollution rampante au Japon, lutter contre les émissions de CO2 et les pluies acides. Du côté des centrifugeuses, l’affaire tourne aussi. «Nous avons été contactés par des entreprises chinoises qui s’intéressent à nos machines Esterboy», précise-t-on chez Someya Shoten, qui a vendu ses appareils à une dizaine de préfectures nippones. A Jyugaoka, un quartier résidentiel de Tokyo, un bus gratuit roule déjà au VDF. Une expérience que la PME du nord de Tokyo espère voir se développer. D’autant qu’à l’heure de l’envolée des prix à la pompe Yumi Someya et son père fustigent la dépendance trop forte de leur pays à l’égard des monarchies et puissances pétrolières. «Ma famille,dit-elle, ne fait pas de politique. Mais, à l’heure de la guerre en Irak, nous pensons que, si le Japon réussit à long terme à recycler à très grande échelle ses huiles de friture usées, il sera en mesure d’importer moins de pétrole du Moyen-Orient, d’Iran, du Koweït… Vu que nous réussissons à produire un carburant quatre fois moins cher et moins polluant, le potentiel est considérable.»Sa société, U’S, chargée d’exploiter commercialement le VDF, enregistre un chiffre d’affaires annuel de 300millions de yens (2millions d’euros.) Et preuve du succès de la PME, qui fabrique deux tonnes quotidiennes de VDF, camions et voitures se bousculent du matin au soir à «sa» station-service. «Le VDF coûte moins cher à faire, assure Takeo Someya. Il a un rendement aussi satisfaisant que le diesel classique et aide à parcourir le même nombre de kilomètres.»Pas étonnant que la petite usine aussi crasse qu’avantgarde de Takeo Someya soit désormais surnommée, au Japon, «le champ d’huile de Tokyo».• MICHEL TEMMAN 18 DÉPLACEMENTS LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Monoprix se met sur les rails L’enseigne tente d’utiliser le ferroutage pour approvisionner ses magasins parisiens. a question était simple: comment approcher les marchandises de Paris sur un autre mode que le camion. Elle a été posée il y a deux ans par la région Ile-de-France, la mairie de Paris et Claude Samson, directeur de la logistique de Monoprix. C’est aussi lui qui la résume. La réponse, elle, n’était pas facile à trouver. Il était évident d’utiliser le train –ce qui fut décidé– mais pas simple à mettre en œuvre car toute la grande distribution fonctionne sur une organisation routière. Fin 2004, la direction régionale de l’équipement d’Ile-de-France lance une étude sur le ferroutage et se met à la recherche d’un opérateur privé susceptible de participer à une expérience grandeur nature. Monoprix, qui possède 64 magasins en région parisienne, dont 56 dans Paris même, défend depuis quelques années un positionnement «développement durable», qui recouvre aussi bien la récupération des piles des clients que la création du premier hypermarché «haute qualité environnementale» à Angers. «Je n’ai posé qu’un préalable,explique Claude Samson, respecter toutes les contraintes de livraison. En clair, il fallait garder les mêmes horaires et ne pas modifier l’organisation des entrepôts pour la préparation des marchandises.» L Quarante kilomètres L’objectif: transporter deux catégories de produits –les boissons sans alcool et les marchandises générales (non alimentaires)– à partir de Combs-la-Ville et Villeneuve-Saint-Georges, deux des six entrepôtsque Monoprix utilise en région parisienne. Ces produits parcourront en train les quarante kilomètres séparant ces deux sites d’une plateforme de la gare de Paris-Bercy. Le tonnage concerné n’est pas marginal: 40% des volumes livrés dans les Monoprix de Paris passeront par ce système. L’étude de faisabilité a été bouclée en septembre2005. Claude Samson espère pouvoir finaliser le système fin juin. Mais il reste de sérieux obstacles à franchir. Inattendus parfois: la SNCF se révèle le partenaire le plus compliqué. «Je ne peux pas dire que j’obtienne de la SNCF toutes les facilités», résume Claude Samson. En jeu, le loyer de la plateforme de Bercy: «Ils me la louent trois fois ce que j’estime être le prix normal.» Par rétorsion, pense-t-il. «Depuis le 31 mars, le fret ferroviaire est libéralisé, et bien évidemment nous allons faire un appel d’offres pour le transport de ces marchandises. Or la SNCF veut bien encourager le ferroutage, mais à condition que ce soit elle qui le fasse.» Claude Samson explique qu’il en fait désormais «un point de blocage»:si la SNCF ne veut pas jouer le jeu, tant pis, il arrêtera. Le précédent des voies fluviales Autre difficulté: le système coûte cher, 15% de plus. Mais Claude Samson rappelle que ce chiffre s’appuie Le tonnage concerné n’est pas marginal: 40% des volumes livrés dans les Monoprix de Paris passeront par ce système.» sur«un prix du pétrole fixé il y a six mois. Plus il monte, plus le surcoût diminue.»La généralisation du ferroviaire permettrait aussi de diminuer les frais fixes. En outre: «Aujourd’hui, un camion livre en moyenne deux magasins à cause de la distance à parcourir pour entrer et sortir de Paris,explique Claude Samson.Si nous avons une plateforme terminale dans la capitale, un camion pourra faire trois ou quatre magasins. C’est un gain très important.»Le conseil régional et la direction régionale de l’équipement ont pris le coût des études à leur charge. En matière de transport écologique, Monoprix a déjà une réussite à son actif: l’usage de la voie fluviale. Depuis 2004, tout ce qui est importé d’Asie (Chine, péninsule indienne), de Madagascar et de l’île Maurice fait le trajet LeHavre-Paris par la Seine, jusqu’au port de Gennevilliers. Catherine Rivoallon, chef du département logistique internationale, membre d’une famille où il y avait des mariniers, s’était dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire pour diminuer le nombre de camions sur l’autoroute de l’ouest et aider une profession «qui coulait». La technique l’a aidée: des barges porte-conteneurs ont vu le jour, alors qu’auparavant seuls les produits en vrac pouvaient être transportés. Logiseine, l’opérateur qui gère les navires et les transbordements, assure le parcours. Résultat: chaque barge évite 180 camions, parfois 360 quand un pousseur en propulse deux à la fois. Le trajet prend trois jours au lieu de cinq heures, «mais quand la marchandise met vingt-quatre jours pour arriver de Chine, ce n’est pas grand-chose», dit Catherine Rivoallon. Et c’est moins cher. «J’ai économisé 4% sur ma facture transports l’an dernier»,résume-t-elle. • SIBYLLE VINCENDON Reportage photos FRÉDÉRIC STUCIN Conteneurs Monoprix sur le port autonome de Gennevilliers. Ci-dessous, l’entrepôt de Combs-la-Ville. DÉPLACEMENTS 19 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Le train de vieéconomique de la SNCF En France, électricité et biocarburants emmèneront demain toutes les locomotives. Mais le diesel fait de la résistance. «L a RATP et la SNCF ne devront plus consommer une goutte de pétrole d’ici vingt ans.» En lançant cette petite phrase lors des vœux aux forces vives de la nation au début de l’année, Jacques Chirac pensait être inattaquable. Sur les rails, c’est une affaire qui roule: écologiques, deux fois plus puissantes que les diesel, moins chères et plus faciles à entretenir, les locomotives électriques sont des valeurs sûres. En 2005, la facture consacrée à l’électricité s’élevait d’ailleurs à 470 millions d’euros, contre 150 pour le gazole. Un chiffre en progression constante. Dans la ligne élyséenne, le président de la SNCF, Louis Gallois, a confirmé en janvier qu’il espérait réaliser «un vrai bond» d’ici à 2026. Mais il s’est bien gardé de promettre que l’objectif 0% de pétrole serait atteint dans les délais. Car, une fois encore, le président de la Répu- blique semble avoir parlé trop vite. Avec moins de la moitié des voies électrifiées en France et 2500diesels en activité (sur un total de 5820locomotives), le pétrole tient la route, même s’il n’assure plus qu’une petite partie du trafic. Et ce en dépit de la hausse constante du carburant. «C’est un paramètre, mais il n’est pas déterminant»,juge Jean-Marie Gerbeaux, directeur du développement durable à la SNCF. En pente douce dans le Morvan L’abandon total du gazole n’est en tout cas pas d’actualité. «Avec les connaissances actuelles, l’électricité n’est pas la réponse unique, car elle n’est pas la plus économique»,reconnaît-on à Réseau ferré de France (RFF), l’organisme qui gère, depuis 1997, les infrastructures du réseau. Outre des questions de sécurité –certains produits transportés par le rail ne peuvent être manipulés sous haute tension–, l’électrification reste un gouffre financier. «Ce qui coûte cher, c’est la modernisation des voies, la réfection des ponts et tunnels, la signalisation, les télécoms», explique Guy Levy, chef de service du management de projet à RFF. A raison de 1 million d’euros le kilomètre, on comprend les réticences quand il en reste 15000 à aménager en France. Conséquence, la carte des caténaires suit celle des TGV: Paris-Bordeaux, Metz, Nancy, Dijon, Turin… Une toile d’araignée qui, à terme, devrait couvrir toutes les villes proches des grandes lignes, mais laisser de côté les zones moins rentables. Pour réduire sa facture d’énergie, la SNCF emprunte donc d’autres voies. D’abord en dosant au plus juste la consommation. Des cours de conduites économiques sont réalisés sur simulateurs avant d’être testés sur le terrain. «Sur un Paris-Lyon, un bon conducteur de TGV coupera l’alimentation en haut des collines du Morvan, il laissera son train ralentir, puis reprendra de la vitesse dans la descente», explique Jean-Marie Gerbeaux, qui estime à 15% le gain réalisable sur de tels trajets. Deuxième axe: l’utilisation de moteurs Diesel de plus en plus propres. Ces locomotives règnent encore sans partage sur les petites dessertes, royaumes des tortillards et des TER. «En cinq ans, nous avons diminué de 24% notre consommation de gazole», poursuit-on au siège de la SNCF. En 2004, l’entreprise a d’ailleurs commandé, pour son ac- tivité fret, 400 motrices Diesel, dont l’espérance de vie est de près de quarante ans. Les recherches se poursuivent aussi sur les biocarburants. Avec quelques bémols. «Il faut qu’il y ait de l’approvisionnement, que le coût soit raisonnable, que la puissance soit là…»Boostés par les propos présidentiels, les programmes ont été renforcés, et Louis Gallois évoque, pour fin 2007, l’utilisation de mélanges contenant 10% de Diester (alcool issu de la transformation des huiles végétales). L’envolée des moteurs bimodes Autre piste, les moteurs bimodes, une technologie récente fonctionnant indifféremment au diesel ou à l’électricité. Vingtquatre de ces autorails viennent d’être commandés en Ile-de-France pour le réseau est. Enfin, la conception des wagons: grâce aux nouveaux matériaux, on est passé dans les TGV duplex de 317 à 520 places sans modifier le poids. Ou encore l’«intermodalité», qui permet, comme à Roissy, de regrouper trains, RER, avions et cars sur un site afin de limiter les déplacements. Un train de petites mesures pour de grosses économies.• FABRICE DROUZY 20 INDUSTRIE LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Suède:plus une goutte dans quinze ans Le gouvernement s’est lancé dans l’ère postpétrolière à coups de réformes. La reconversion est en bonne voie. Malmö de notre correspondante a Suède s’est donné quinze ans pour rompre sa dépendance à l’or noir. Y parviendra-t-elle? Mona Sahlin, la ministre du Développement durable, en est convaincue. «Si j’ai pu arrêter de fumer au bout de trente-cinq ans, la Suède pourra bien se débarrasser de sa dépendance pétrolière d’ici à 2020», ironisait-elle début mars, lors d’une conférence sur l’énergie. Tout ne serait donc qu’une question de motivation. Mais le patient est déjà sur la voie de la désintoxication. Depuis 1970, la Suède est parvenue à réduire de 40 % sa consommation d’hydrocarbures, grâce à une production croissante de biomasse et d’énergie hydraulique. La preuve, selon les autorités, que le sevrage est possible. Fin novembre, le gouvernement a nommé une Commission contre la dépendance pétrolière, chargée de présenter un programme stratégique d’ici à l’été. Présidée par Göran Persson, le Premier ministre, elle est composée de chercheurs, d’industriels et de fonctionnaires et a déjà entendu plusieurs dizaines d’experts lors de quatre conférences organisées cet hiver à Stockholm. Parmi eux, Per Carstedt, président de la BioAlcohol Fuel Foundation(BAFF), estime qu’en décidant de diriger les travaux le chef du gouvernement a montré qu’il «prenait les choses très au sérieux». Reste à définir le concept d’«indépendance pétrolière». Il existe en Suède un large consensus sur l’idée qu’il faut d’agir «avant qu’il ne soit trop tard». Le royaume a pris une longueur d’avance. Car, si la Suède, comme la France, a investi dans le nucléaire après la première crise pétrolière, «il a toujours été très clair que ce n’était qu’une solution de court terme»,précise le professeur Tomas Kåberger, qui préside l’Association suédoise des bioénergies (Svebio). Lors du référendum de 1980, 58% des Suédois ont voté pour l’abandon de l’atome. La conversion de l’économie au biocombustible a donc commencé très tôt. En 2004, 35% de l’énergie produite en Suède provenait de sources renouvelables, 41 % émanant toujours du pétrole. Mi-décembre, Göran Persson a annoncé qu’«une série de décisions politiques difficiles» devrait être adoptée. Les Suédois ne devront pas seulement se convertir aux biocombustibles.«Il faudra aussi qu’ils réduisent leur consommation totale d’énergie», affirme le biologiste et écrivain Stefan Edman, secrétaire général de la commission. L’objectif est double: limiter la vulnérabilité d’une économie trop dépendante aux hydrocarbures et contrôler les changements climatiques. L SUÈDE CÉAN ATL. Örnsköldsvik FINL. NORV. Stockholm 500 km La ville d’Örnsköldsvik, très mobilisée sur les transports, s’est dotée d’une usine pilote de production d’éthanol, unique au monde (ci-contre). Substitution progressive C’est dans le secteur des transports que réside le plus grand défi. Voitures, bus et camions ont avalé les deux tiers du pétrole consommé en Suède l’an dernier. Certes, le pays est parvenu à généraliser l’E5 (95 % d’essence et 5 % d’éthanol), à faire rouler les bus de ses grandes villes aux biocarburants et à booster les ventes de «voitures propres», qui représen- «Nous avons des hommes politiques très intelligents qui ont décidé de faire de nécessité vertu.» Tomas Kåberger, de l’Association suédoise des bioénergies taient 15% des nouvelles immatriculations en mars. Mais plus de 95% du parc automobile suédois fonctionne toujours au diesel ou à l’essence. De l’avis général, le pari de l’indépendance pétrolière dans les transports d’ici à 2020 est «irréaliste»,selon le terme de Leif Johansson, PDG de Volvo et membre de la Commission contre la dépendance pétrolière, qui plaide plutôt pour une «substitution progressive des biocombustibles aux hydrocarbures». Si la Suède est l’un des plus gros consommateurs d’éthanol en Europe, elle s’intéresse aussi au biogaz, au diméthyléther (DME), à l’hydrogène et au méthanol. Qui ne sont pas des potions magiques: «Aucun biocarburant ne pourra se substituer au pétrole», affirme le professeurTomas Kåberger. Pour le PDG de Volvo, Leif Johansson, «la priorité est à la recherche et au développement». Les trois constructeurs Volvo, Saab et Scania travaillent déjà à la mise au point de nouvelles techniques, avec les plus grandes universités du pays. Ce programme est fi- INDUSTRIE 21 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 a permis de réduire l’impôt sur le revenu en échange de nouvelles écotaxes sur le carbone, le soufre et les oxydes d’azote. Mécaniquement, le prix du fuel est devenu prohibitif. Logiques, les Suédois ont opté pour le chauffage urbain ou les granulés de bois, dont ils sont les premiers consommateurs au monde. La révolution des compteurs Aujourd’hui, 14 % seulement des maisons individuelles sont chauffées au fuel, contre 70% en 1978. Mais le gouvernement envisage d’aller plus loin. Depuis le 1er janvier, il propose un crédit d’impôt aux ménages qui décident de remplacer leur chaudière à fuel par une pompe à chaleur, une chaudière alimentée aux biocombustibles ou un raccordement au réseau de chauffage urbain. La campagne devrait coûter quelque 450millions de couronnes (48millions d’euros) à l’Etat, d’ici à 2010. Longtemps, les Suédois ont profité d’une électricité fournie à un prix dérisoire. «Nous avons pris de mauvaises habitudes», remarque Anders Nylander, conseiller énergétique pour la région Skåne. Pour y remédier, le gouvernement entend supprimer le chauffage électrique d’ici cinq ans, toujours via un crédit d’impôt encourageant la conversion des appareils. Il suggère en outre d’imposer des compteurs électriques individuels, qui seront relevés chaque mois, une révolution ici. Enfin, la Suède veut appliquer, dès 2008, la directive européenne sur la prestation énergétique des bâtiments. Les propriétaires immobiliers devront alors faire établir un certificat témoignant de leurs efforts en matière d’économie d’énergie. L’autorité nationale du logement (Boverket) pourrait être chargée de classer ensuite les bâtiments: une bonne note donnerait droit à des avantages fiscaux ou autres. L’objectif: «construire intelligent et encourager la rénovation du parc immobilier»,résume un conseiller chez Boverket. L’Etat finance déjà plusieurs programmes de «logements durables». Bonnes élèves aussi, les industries suédoises ont réduit de 70% leur consommation d’hydrocarbures et augmenté de 60% celle des biocombustibles depuis 1970. Avec des résultats impressionnants: l’an dernier, l’industrie a consommé moitié moins de pétrole que de biocombustibles. Selon Mattias Jämttjärn, de l’Autorité nationale de l’énergie, le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, introduit en 2003, est un «outil efficace pour réduire la dépendance de l’industrie aux hydrocarbures». Autre instrument: le système des «certificats verts», adopté en 2002, qui impose aux gros consommateurs d’électricité d’utiliser certains quotas d’énergie provenant de sources renouvelables. Le gouvernement prévoit d’accroître son budget de recherche, afin d’encourager l’innovation. Et fait la promotion du recyclage. nancé par l’Etat, qui espère ainsi faciliter la reconversion de son industrie automobile. Dans l’immédiat, comment encourager les automobilistes à rouler au vert? Parking gratuit, exemption de péage à l’entrée de la capitale… Stockholm donne l’exemple. Or plus de la moitié des voitures neuves achetées en Suède sont des véhicules de fonction, qui seront revendus d’ici deux ou trois ans aux particuliers. L’Etat propose donc des avantages fiscaux aux entreprises qui investissent dans une voiture propre, tout en imposant aux administrations qu’elles achètent des véhicules roulant aux biocarburants. Et, si la Suède pratique la défiscalisation des biocombustibles depuis une dizaine d’années, le gouvernement envisage d’imposer une classification fiscale des véhicules, qui profitera aux voitures propres. L’association des automobilistes verts estime que la Suède «est sur la bonne voie». D’ici à 2009, toutes les stations-service du royaume devront disposer d’une pompe à éthanol. Depuis le début de l’année, la formation à l’ecodrivingest obligatoire dans toutes les auto-écoles du pays. Reste que le renouvellement du parc automobile prend du temps. Le secrétaire général de l’organisation suédoise de protection de la nature (SNF), Svante Axelsson, propose donc de l’accélérer en instaurant une «prime à la casse». Dans l’habitat, la consommation de pétrole a diminué de 80% depuis 1970. Le sevrage est donc à portée de main. Lars Roth, conseiller au ministère du Développement durable, y voit «le résultat d’une politique fiscale efficace», qui a lourdement pénalisé les hydrocarbures au profit des biocombustibles. En 1991, la réforme fiscale dite de «conversion au vert», Priorité au recyclage Mais, dans l’industrie comme dans le logement, Stefan Edman, secrétaire général de la commission, ne voit pas l’indépendance pétrolière réalisable sans une diminution globale de la consommation d’énergie. Depuis le 1er janvier2005, le gouvernement a introduit une «exemption fiscale pour la consommation efficace d’électricité».Peuvent en bénéficier les compagnies absorbant beaucoup d’électricité qui s’engagent à réduire leur consommation. Reste que de nombreuses industries utilisent aussi le pétrole et ses dérivés comme matière première. Göran Lindell, directeur adjoint de l’Institut suédois du pétrole, admet qu’«il faudra faire quelque chose». Mais quoi? Pour lui, la priorité est ailleurs. Dans l’immédiat, le gouvernement prévoit d’accroître son budget de recherche, afin d’encourager l’innovation. Et fait la promotion du recyclage. La Suède est un modèle en la matière. Les Suédois sont bien conscients qu’à terme tout cela ne suffira pas. «Pour le moment, nous essayons d’aller progressivement et d’agir sur ce que nous pouvons influencer»,affirme Stefan Edman. Le professeur Tomas Kåberger observe: «Nous avons des hommes politiques très intelligents, qui ont décidé de faire de nécessité vertu. Le pétrole sera sans doute devenu tellement cher d’ici à 2020 que tous les pays seront forcés d’y renoncer. Mais en Suède nous avons choisi de présenter l’indépendance pétrolière comme un objectif ambitieux, plutôt que comme une fatalité.»• ANNE-FRANÇOISE HIVERT Reportage photos MATTIAS AHLM 22 INDUSTRIE LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Un écosystème industriel tapi au fond modèles les plus aboutis d’écologie industrielle. «Le mérite de Kalundborg, c’est d’exister», remarque Suren Erkman, directeur de l’Institut pour la communication et l’analyse des sciences et des technologies (Icast) à Genève, et spécialiste de l’écologie industrielle. Comme d’autres font de la prose des fjords Dans le port danois de Kalundborg, des entreprises travaillent en symbiose, utilisant l’eau, l’énergie des unes ou les rejets des autres. Kalundborg envoyée spéciale DANEMARK MER DU NORD 250 km SUÈDE Copenhague MER BALT. Kalundborg alundborg, c’est l’histoire d’un petit port danois qui faisait de l’écologie industrielle sans le savoir. Nichée au creux d’un fjord, sur la côte est du comté de Seeland, à l’ouest de Copenhague, la ville compte 20000 habitants. Il y a une quinzaine d’années encore, les touristes venaient y admirer l’église du XIIe siècle, avant de prendre le ferry pour les îles alentour. Aujourd’hui, leur intérêt a changé. Kalundborg est devenu l’une des grandes destinations du tourisme industriel au Danemark. Son modèle de «symbiose industrielle», qui a émergé au cours des quarante dernières années, est enseigné jusque dans les plus grandes universités nord-américaines. Pour y apprendre quoi? Que les systèmes industriels peuvent fonctionner comme des écosystèmes biologiques, selon le principe de la chaîne alimentaire. Les entrepreneurs locaux ont découvert que les sous-produits des uns pouvaient servir de matière première aux autres et permettre d’économiser énergie et ressources naturelles. Ce faisant, ils ont réalisé l’un des K L’histoire débute en 1961, avec la construction sur le port de la plus grosse raffinerie de pétrole du pays. Ses besoins en eau de refroidissement sont énormes et les réserves de la commune, limitées. La municipalité accepte donc de construire un pipeline entre le lac Tissø, à une douzaine de kilomètres, et la raffinerie, qui finance l’investissement. Plus tard, la centrale électrique voisine, qui est aussi la plus grosse installation de ce type au Danemark, s’associe au projet, imitée par la société Novo Nordisk, leader mondial de la production d’insuline et d’enzymes industriels. C’est le point de départ de nombreux accords bilatéraux entre six partenaires: la raffinerie rachetée en 1986 par le groupe Statoil, la centrale électrique au charbon Asnæs, Novo Nordisk, la municipalité de Kalundborg, mais aussi la société Gyproc, qui produit des panneaux de construction en gypse, et la compagnie de nettoyage des sols Bioteknisk Jordrens. «A l’époque, on ne raisonnait pas encore en termes d’écologie industrielle», se souvient Jørgen Christensen, ancien cadre chez Novo Nordisk et conseiller auprès de l’Institut de la symbiose(1). «La rentabilité économique d’un projet était indispensable à sa réalisation», comme toujours dans l’industrie. Le réseau d’entreprises s’est développé sans planification et les industriels ont fait de l’échange comme d’autres de la prose. «Les accords ont été passés spontanément. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que nous nous sommes rendu compte de ce que nous avions accompli»,explique Jørgen Christensen. Le volontarisme succède alors au pragmatisme. La symbiose industrielle doit permettre d’optimiser l’utilisation de l’eau, de l’énergie, et de valoriser les déchets. Jørgen Christensen est convaincu que la construction du premier pipeline a joué un rôle déterminant, car «pour la première fois les entrepreneurs se sont rendu compte du potentiel énorme qu’il y aurait à travailler ensemble». La cendre en ciment, la boue en engrais centrale, est exploitée par une ferme piscicole installée à proximité. Les cendres, produites par la combustion du charbon, sont revendues à des entreprises de construction locales qui s’en servent dans la production du ciment. Enfin, l’installation d’une unité de désulfuration en 1990 permet à la centrale de produire du gypse, mis à profit par la société Gyproc. De son côté, la raffinerie revend à des entreprises de fertilisants le soufre extrait du gaz qu’elle produit en excès. Ce gaz est utilisé en appoint comme combustible par la centrale d’Asnæs et Gyproc. Les agriculteurs de la région profitent des boues fertilisantes produites par Novo Nordisk, tandis que les boues issues de l’usine de retraitement de la ville servent de matière première à une société de nettoyage des sols. Résultat: Kalundborg est parvenu à diminuer de 20000 tonnes sa consommation annuelle de pétrole, de 15000 tonnes celle de charbon, de 200000celle de gypse, et de 2,9 millions de mètres cubes sa consommation d’eau. La symbiose a permis en outre de réduire massivement les rejets de déchets et de gaz à effet de serre. Selon les estimations réalisées par l’Institut de la symbiose, les investissements réalisés depuis trente ans pèseraient 75millions de dollars. Mais les revenus dégagés par les économies d’énergie et par la valorisation des déchets sont, eux, évalués à 15 millions de «La dollars par an. transparence En 1996, les six partenaires ont fondé l’Institut de la symbiose , pour promou- et l’absence voir le modèle de Kalundborg. Si Jørgen de hiérarchie Christensen estime que de nombreuses qui communes pourraient s’en inspirer, il est caractérisent réaliste. «Kalundborg a ses limites: la ville la culture est petite, les industries proches les unes des autres, et les entrepreneurs fréquentent les d’entreprise mêmes cercles. La transparence et l’absen- danoise ont ce de hiérarchie qui caractérisent la cultu- facilité re d’entreprise danoise ont facilité les les échanges.» échanges.» N’empêche, de nombreux projets sont à Jørgen Christensen, l’étude partout dans le monde. L’Asie est conseiller à l’Institut un terrain d’expérimentation idéal. Son de la symbiose développement économique est rapide, son accroissement démographique aussi, et l’accès aux ressources naturelles y est une priorité. Face à l’augmentation du prix du pétrole et à l’épuisement des réserves d’or noir, Suren Erkman est convaincu que l’avenir appartient à l’écologie industrielle. A Kalundborg, on continue. Les responsables du développement local envisagent désormais de rajouter au puzzle une usine de bioéthanol. Pour la marier avec la raffinerie, Novo Nordisk et les agriculteurs locaux. • Depuis, vingt-quatre projets bilatéraux ont vu le jour. La centrale électrique se trouve au cœur de ce système d’échanges. La raffinerie lui fournit ses eaux usées, qu’elle utilise comme eau de refroidissement. En échange, elle lui procure de la vapeur, dégagée par son unité de cogénération, qu’elle revend aussi à Novo Nordisk et à la municipalité. L’eau tiède, rejetée par la (1) www.symbiosis.dk ANNE-FRANÇOISE HIVERT Légende Novozymes A/S (production d’enzymes industriels) Biomasse Kalundborg (municipalité) Eau du lac Tissø Bioteknisk (amélioration des sols) Statoil A/S (raffinerie, produits pétroliers) Engrais liquide Réservoir Nickel Vanadium Ciment Energy E2 Asnæs Cendres Novo Nordisk A/S (production d’insuline) Alimentation animale (porc) (centrale électrique et chauffage) • Electricité Noveren I/S (traitement des déchets industriels et ménagers) • Compost, produits organiques • Papier, carton, verre, métaux • Déchets combustibles Ferme piscicole Gypse BPB Gyproc A/S (production de plaques de plâtre) Wag/Libération. Source : www.symbiosis.dk Eau Eau de refroidissement Vapeur d’eau Eau usée Boue Chaleur résiduelle Engrais fertilisateur Cendres Gypse Biomasse Autres déchets 24 KYOTO: OÙ EN EST-ON? LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Les contributions, cumulées de 1900 à 1999, au réchauffement de la planète Les régions du monde sont représentées proportionnellement à leurs émissions de CO2 issues de la combustion de produits fossiles. Canada 2,3 % Etats-Unis Europe 30,3 % 27,7 % Source : World Resources Institute 2,5 % Afrique 3,8 % Amérique centrale et Amerique du Sud + 37,8 % Variation des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 (année de référence du protocole de Kyoto) et 2003 pour les pays de l’OCDE et les économies en transition Bulgarie Ukraine Roumanie Biélorussie Fédération de Russie Islande - 8,2 % Croatie -6% + 22,5 % + 23,3 % + 24,2 % + 5,3 % Union européenne Suisse - 1,4 % - 0,4 % Liechtenstein + 9,3 % Norvège + 12,8 % + 13,3 % Japon Etats-Unis Nouvelle Zélande Australie Canada Monaco 1990 - 38,5 % - 50 % - 46,2 % - 46,1 % - 44,4 % Source : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques KYOTO: OÙ EN EST-ON? 25 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Ex-URSS 13,7 % Chine, Inde et Asie 3,7 % 12,2 % 2,6 % Japon Moyen-Orient 168 pays ont signé le protocole de Kyoto. Seuls l’Australie, la Croatie, les Etats-Unis, le Kazakhstan et la Zambie ne l’ont pas ratifié. 5 1,1 % Australie 3 Canada L’Union européenne 4 1 2 Kazakhstan Etats-Unis Japon Légende Les pays de l’OCDE et les économies en transition qui ont signé et ratifié. Les pays qui n’ont pas ratifié. Zambie Les économies en transition : Biélorussie Bulgarie Fédération de Russie Roumanie Ukraine 1 2 3 4 5 Liechtenstein Monaco Norvège Suisse Islande Australie Wag / Libération 26 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Et si le baril était à Toute la mondialisation serait à repenser. La survie de la plan énergétique. Et une autre approche de la consommation et d RECHERCHE Le charbon a de nouveau la cote 26 Microalgues 28 maxiprojets Quelles énergies 29 pour demain? .......... La planète retourne ................................................... ...................................... TA B L E R O N D E Trois experts analysent la nouvelle donne 30 ............. PORTRAIT Colin Campbell, père du «peak oil» 34 au charbon La ressource, abondante et peu chère, sera bientôt non polluante grâce à la séquestration en sous-sol du CO2. ............ e charbon, énergie d’avenir? Du présent, rétorquent déjà les économistes. L’idée que l’ère de l’anthracite se serait arrêtée avec l’arrivée du pétrole et du gaz relève de la myopie d’Européens, et surtout de Français. Il est vrai que, chez nous, la dernière mine en activité a fermé en 2004. Mais, à l’échelle mondiale, on n’a jamais autant extrait de charbon de terre, et donc jamais autant brûlé de houille. Sa consommation mondiale a été multipliée par 2,5 depuis 1950, atteignant 2,8 milliards de tonnes équivalent pétrole en 2004. Le King Coal de la révolution industrielle du XIXe siècle est toujours là. Ces dernières années, sa consommation croît même plus vite que celle du pétrole et du gaz. Mieux réparti –posant moins de problèmes géopolitiques que les hydrocarbures– plus abondant, et donc moins cher à moyen terme que le pétrole et le gaz, c’est lui qui «domine la problématique des émissions de gaz à effet de serre audelà des années 2050 en termes de ressources», rappelle Jacques Varet, directeur de la prospective au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM). Au rythme actuel de consommation, il peut durer plus de cent cinquante ans en réserves prouvées, davantage en ressources réelles, bien plus que gaz et pétrole. Ce charbon, source de chaleur, on en fait de l’acier… et surtout de l’électricité. Plus de la moitié de la production d’électricité aux Etats-Unis (deux fois et demie celle des 104réacteurs nucléaires), 80% en In- L Le gaz carbonique craché par des millions de véhicules ne peut guère être récupéré, mais ce n’est pas le cas de celui qui sort des usines, des centrales électriques, des hauts-fourneaux ou des cimenteries. de, 70% en Chine, 50% en Allemagne, 36% en Grande-Bretagne. Autant dire que, devant la faim d’énergie dont témoignent les pays qui entament leur essor industriel et urbain, l’avenir des mines est assuré. D’où la crainte des climatologues, car qui dit charbon dit émissions massives de gaz carbonique. Devant ce dilemme, ingénieurs et géologues ont sorti une carte majeure: la séquestration en sous-sol de ce maudit CO2. Alors que le gaz carbonique craché par des centaines de millions de véhicules ne peut guère être récupéré, ce n’est pas le cas de celui qui sort d’une cheminée d’usine, d’une centrale électrique, d’un haut-fourneau ou d’une cimenterie. Concentré dans les fumées, il peut être capturé. Puis, proposent les géologues, renvoyé au sous-sol. L’idée a déjà dépassé la théorie. Dans le Dakota-du-Nord (Etats-Unis), la centrale au charbon de Beulah voit le CO2 de ses fumées emprisonné, puis convoyé sur 330km vers le Canada, où, à Weyburn, il est injecté dans un gisement de gaz à raison de 1,8 million de tonnes par an. En Europe, une expérience de capture de CO2 à la sortie d’une centrale électrique danoise va démarrer. Convoyé par gazoduc ou navire géant Chaque centrale électrique au charbon pourrait, en théorie, se voir affublée d’un équipement aussi gros qu’elle, destiné à séparer le gaz carbonique de ses fumées puis à l’envoyer, par gazoduc ou navire géant, vers un site d’enfouissement géologique. Le potentiel théorique est donc immense, capable non de résoudre à lui seul le problème climatique, mais de s’y attaquer sérieusement. D’où le feu vert donné «à cette option qui offre une maturité technologique, démontrée par des expériences en cours, et un potentiel à la hauteur des émissions»par un rapport du Giec, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU, affirme Jacques Varet. Les géologues se contentent de copier la nature. «Le stockage géologique du CO2 existe à l’état naturel», explique Isabelle Czernichowski-Lauriol, du BRGM. En France, le gisement de Montmiral, dans la Drôme, contient un CO2 très pur, à 97%, exploité pour l’industrie. Quant à l’industrie gazière, elle gère des stockages souterrains: 164 milliards de 27 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 300dollars A N D R Z E J W I K TO R . F OTO R Z E PA . A F P e ne peut passer que par une nouvelle révolution a croissance. La mine Rozbark, à Bytom, dans le sud de la Pologne, lors d’une grève en 2003. mètres cubes dans le monde pour 500 sites. Mais ces sites n’ont jusqu’à présent pas permis un enfouissement généralisé du CO2 sorti d’usine. Pas question de risquer des remontées subites, le CO2 étant mortel à fortes concentrations – le dégazage brutal du lac Nyos, au Cameroun, en 1986, a fait 1700 morts. Ou de voir des fuites plus faibles, mais constantes, annihiler l’effet climatique recherché. Confiné sous des roches imperméables Il faudra donc dénicher les bons sites de stockage. Les aquifères salins (impropres à la consommation) offrent le plus de potentiel. Les veines de charbon inexploitées semblent sûres, car le CO2 s’y absorbe. Les gisements de pétrole ou de gaz épuisés, ou en cours d’exploitation, seront probablement les premiers choisis. Les pétroliers poussent cette idée, y voyant le moyen d’une «récupération assistée du pétrole directement rentable»,avance Jacques Varet. Ces sites devront se trouver à plus de 800 m de profondeur, pour garantir températures et pressions favorables. Et être recouverts de roches imperméables, pour assurer un confinement de plusieurs siècles. Des études génériques sont indispensables. «Il faudra étudier des milliers de sites à fond et chacun en particulier»,prévient Pierre Le Thiez, de l’Institut français du pétrole. Les technologies de séparation ou de transport ne posent pas de problème de principe. Les ingénieurs savent séparer le CO2 après combustion (par fixation sur un solvant liquide ou un solide), ou avant, ce qui suppose la combustion sous oxygène pur. La difficulté, reconnaissent-ils, c’est le prix et la régénération du processus. Mais si le gaz – principal concurrent du charbon comme moyen de produire de l’électricité – se fait rare et cher, le surcoût de la séparation du transport et du stockage, pourrait bien ne pas entamer la compétitivité du charbon. En revanche, celle du nucléaire deviendra redoutable, du moins pour les pays disposant de moyens technologiques permettant d’y recourir et de populations qui l’acceptent.• SYLVESTRE HUET 28 RECHERCHE LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 T H I E R R Y PA S Q U E T . E D I T I N G Culture de «Chlamy» à Saint-Nazaire. Certains paramètres restent aléatoires: l’acidité du bouillon où barbote l’algue, sa température, sa teneur en carbone organique... De l’eau, du soleil et des algues Encore expérimental, un processus biologique permet de fabriquer de grandes quantités d’hydrogène. Saint-Nazaire envoyé spécial es plantes vertes nous sauveront. Peutêtre bientôt. Cultivées soigneusement, de petites algues d’eau douce pourraient fournir en quantité une source d’énergie bien connue, l’hydrogène, capable de faire tourner des moteurs, d’alimenter des piles ad hoc, ou de générer directement de l’électricité. Un précieux substitut d’origine biologique aux ressources fossiles en voie de disparition. La technique reste toutefois à peaufiner: car, si le processus biochimique semble maîtrisé par les scientifiques, reste à améliorer les performances du procédé avant de réaliser des unités de production à l’échelle industrielle. «Ce n’est pas demain qu’il y aura une usine. Dans vingt ou trente ans peut-être…», sourit Jack Legrand. Ce chercheur travaille depuis cinq ans sur l’extraction de biohydrogène au Génie des procédés, environnement, agroalimentaire (Gepea), un laboratoire universitaire réparti entre Nantes et SaintNazaire (Loire-Atlantique). Traquant l’hydrogène là où il est en grande quantité –c’est-à-dire dans l’eau–, la biochimie ouvre un avenir plus durable que l’hydrogène tiré des hydocarbures, du charbon ou du gaz naturel. L LoireAtlantique SaintNazaire Nantes OC CÉAN N ATL. Vendée 20 km Vertus et casse-tête Jules Verne avait pressenti qu’on carburerait à l’hydrogène. «L’eau sera le charbon du futur», écrit-il dans son roman l’Ile mystérieuse, en 1874. Imaginant déjà l’épuisement du charbon, l’écrivain prédit un destin de carburant de remplacement à la bonne vieille eau des familles: «L’hydrogène et l’oxygène qui la constituent, utilisés seuls ou ensemble, fourniront «Les besoins énergétiques de la France pourraient être comblés en couvrant seulement 1 % de la surface du territoire avec la microalgue Chlamy.» Jack Legrand, chercheur une source inépuisable d’énergie et de lumière, d’une intensité dont le charbon n’est pas capable.» Léger et simple, l’hydrogène a tout pour plaire, même s’il faut le dissocier des autres molécules auxquelles il est toujours accolé, et inventer des modes de stockage fiables. Pour exploiter ses vertus, plusieurs pistes: l’électrolyse, qui dissocie hydrogène et oxygène de l’eau. Mais c’est pour l’instant un moyen bien gourmand en électricité. L’usage de réacteurs nucléaires à haute température ensuite. Le procédé bute cependant sur le casse-tête de gestion des déchets. Enfin, en décomposant des matières organiques – ordures domestiques, végétaux ou bois –, la biomasse produit naturellement de l’hydrogène mêlé à du monoxyde de carbone. Aidée par la photosynthèse de bactéries ou d’algues, la photolyse de l’eau est la dernière voie prometteuse. Stress et réserves sucrées Les premiers travaux scientifiques sur le biohydrogène datent de 1940. Le premier choc pétrolier ravive les recherches, les relie à de nécessaires solutions industrielles. La photosynthèse décomposant l’eau ayant en outre le grand mérite de ne dégageraucun gaz à effet de serre. Après les bactéries étudiées depuis les années 70, les microalgues passionnent les chercheurs du XXIe siècle. De l’eau, du soleil et des algues sont les ingrédients de ce cocktaild’hydrogène concocté dans un bioréacteur. Privées délibérément de soufre quand elles baignent dans leur jus vert, les algues microscopiques prennent un coup de stress, ce qui les contraint à puiser dans leurs réserves sucrées, de l’amidon en l’occurrence. Provoquée par l’hydrogénase, une enzyme spécifique qui booste la réaction biochimique, la dégradation de l’amidon libère alors les molécules d’hydrogène, à condition que le milieu soit exempt d’oxygène. Bien des paramètres restent à maîtriser: la qualité de la soupe verdâtre où barbote l’algue lors de sa culture, l’acidité de ce bouillon, sa température, sa teneur en carbone organique. Outre la valeur des réserves en amidon de l’algue, il faut également veiller à la quantité d’éclairage nécessaire, de préférence solaire, et optimiser la forme de la cuve, afin que la lumière agisse uniformément. Trop fort, le brassage de l’eau troublerisque de cisailler les flagellesde l’algue –ces cils lui permettant de se mouvoir dans un liquide. Reste aussi à trouver l’équilibre pour que le mouvement de l’eau ne mutile pas ces cellules grosses d’à peine dix microns, qu’il faut garder en pleine forme afin qu’elles turbinent plusieurs fois. Allemands et Australiens planchent d’ailleurs sur une version de l’algue génétiquement modifiée, améliorant ses performances lors de l’extraction de l’hydrogène de l’eau. «Chlamy», sous toutes les coutures En France, une quinzaine d’équipes sous l’égide du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) –soit deux bonnes centaines de chercheurs et thésards de Marseille, Orsay, Cadarache, Lille, SaintNazaire et Nantes– travaille sur «Chlamy», le diminutif usuel pour Chlamydomonas reinhardtii,l’algue verte unicellulaire adoptée par la majorité des équipes mondiales. «Pour les biologistes, cette algue, c’est un rat de laboratoire. Tout son patrimoine génétique est connu, séquencé»,explique Jérémy Pruvost, autre chercheur du Gepea. La souche sauvage naturelle est conservée par le laboratoire d’écophysiologie de la photosynthèse du CEA à Cadarache dans les Bouches-du-Rhône. Pour Jack Legrand, «les besoins énergétiques de la France pourraient être comblés en couvrant avec cette microalgue 1% de la surface du territoire». Soit la taille du département du Calvados. Voire un peu plus, car cette estimation table sur un rendement théorique de 10%. Une hypothèse d’école: actuellement, dans les labos, ce rendement hésite entre 0,2et 0,3%, dans des bioréacteurs d’étude d’une capacité de 1 litre d’eau seulement. D’autres chercheurs ont déjà atteint 1% mais en essorant le potentiel de l’algue, morte à l’issue du processus. Ce même labo nazairien se penche sur une autre application de Chlamy qui pourrait générer «jusqu’à 70 % de son poids en lipides aptes à tourner dans un moteur. Et ces lipides auraient un rendement de biocarburant trente fois supérieur au colza». Etudiés dans le cadre du programme Shamash de l’Agence nationale de la recherche, ces adjuvants gras du biodiesel intéressent déjà des industriels. • NICOLAS DE LA CASINIÈRE RECHERCHE 29 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Leplein d’énergies pour les prochains siècles Même si les hydrocarbures ne disparaîtront pas, éolien, atome, hydrogène ou biomasse auront un rôle à jouer. u cours des décennies à venir, ce sont surtout les hydrocarbures, autrement dit le pétrole, le gaz et le charbon, qui fourniront l’essentiel de l’énergie sur la planète. En dépit d’avantages écologiques et parfois économiques, la majeure partie des sources à faible teneur en carbone restera minoritaire. Panorama. A La fission nucléaire A Mühlhausen, dans le sud de l’Allemagne, la plus grande installation de production d’électricité à partir d’énergie solaire. Le nucléaire peut-il sauver la planète? A en croire ses défenseurs, à commencer par les industriels français du secteur, et la plupart des grands partis politiques de l’hexagone (sauf les Verts), l’atome présente de multiples atouts pour libérer les sociétés du pétrole. Avec l’avantage indéniable de n’émettre que très peu de gaz à effet de serre, et donc de lutter au passage contre le réchauffement de la planète. Mais pour de nombreux économistes, si l’énergie nucléaire peut appuyer la politique énergétique de pays comme la France déjà dotés d’un important parc de centrales, le recours massif à l’atome serait hors de prix: il faudrait construire un réacteur par semaine dans le monde au cours des cinquante prochaines années. Avec un obstacle de taille: outre les problèmes de sécurité et de maintenance, il est difficile, comme le montre le dossier iranien, de laisser un Etat se doter du nucléaire civil sans qu’il soit soupçonné de le prolonger dans le domaine militaire. En dépit du développement du nucléaire dans plusieurs pays, notamment en Chine, l’Agence internationale de l’énergie atomique prévoit que sa part relative dans la production mondiale baissera d’ici à 2030. trale thermique. Des centrales solaires de ce type devraient apparaître en nombre d’ici une vingtaine C’est un vieux rêve de physiciens, qui consiste à d’années dans les pays de la ceinture tropicale de la dompter les réactions qui ont créé l’univers et chauf- planète. fent le cœur des étoiles. Il porte la promesse d’une source d’énergie quasi infinie à l’échelle humaine et Les énergies de la mer plus propre que le nucléaire des centrales à fission Si la plupart des meilleurs sites de captation de conçues au XXe siècle. Aujourd’hui, la recherche n’en l’énergie marémotrice sont déjà équipés, les océans est qu’à ses débuts. Le futur réacteur Iter, qui sera pourront participer à long terme au renouvellement construit en France à Cadarache, permettra aux énergétique de la planète. Les Britanniques, en parchercheurs de défricher cette voie. Mais elle ne sau- ticulier, expérimentent des systèmes de captation de rait déboucher sur des applications industrielles la force des courants sous-marins et de celle des vagues. Très embryonnaires, ces technologies metavant plusieurs décennies. tront des décennies avant de prendre leur essor inL’hydrogène dustriel. Ce gaz peut –grâce à la pile à combustible– animer des voitures, chauffer des immeubles ou produire de L’énergie éolienne l’électricité. Sa combustion ne fournit que de l’eau. Il C’est assurément la source renouvelable industrielreste à trouver un moyen peu onéreux de produire ce le qui a le vent en poupe. L’Europe a mis le paquet, gaz rare dans la nature et qui n’est pas à proprement notamment en Allemagne et en Espagne. La Chine parler une source d’énergie: on le fabrique notam- et l’Inde sont également très accros aux moulins à ment à partir du pétrole, du gaz et bientôt du char- vent géants. L’éolien devrait prendre son envol au bon, ou en faisant passer un courant électrique dans large des côtes, où les vents sont plus réguliers, et les de l’eau. L’hydrogène sera un vecteur d’énergie ve- riverains plus discrets. Car l’éolien souffre de son dette au cours de ce siècle, surtout si la technologie emprise sur les paysages, et plus encore de l’irrégupermet un jour de le produire directement à partir de larité du vent: il doit être associé à des centrales clasl’énergie solaire, ou si l’on parvient à séquestrer du- siques pour éviter que les pannes de vent ne se transrablement le gaz carbonique qui s’échappe quand on forment en panne de courant. «craque» charbon et hydrocarbures pour l’extraire La biomasse (lire page précédente). Elle couvre aujourd’hui une grande partie des beLes centrales d’électricité solaire soins de chaleur, notamment dans les pays en voie de Aujourd’hui, elles s’appuient principalement sur développement où le bois de chauffage participe à la des panneaux de cellules qui convertissent directe- déforestation. Une meilleure exploitation des sousment la lumière en électricité. Très chères, les cel- produits de l’agriculture et une gestion durable des lules photovoltaïques offrent encore un faible ren- forêts devraient permettre son essor dans de nomdement. Dans les années 80, plusieurs centrales breux pays. Mais, à de rares exceptions près, on ne solaires thermiques ont été construites dans les dé- fait pas rouler de voiture avec des fétus de paille. serts des Etats-Unis. Des miroirs y collectent la lumière et chauffent un fluide qui alimente une cen- Les déchets C’est un véritable trésor, largement sous-exploité. Brûlés dans des incinérateurs couplés à des centrales électriques, ou, plus écolo, fermentés dans des cuves de compostage industrielles pour produire biogaz, électricité et engrais «naturel», les déchets commencent à intéresser Etats et collectivités locales. La fusion nucléaire La géothermie Hormis dans des régions volcaniques, où elle est déjà exploitée (Islande, Italie, Guadeloupe...), la chaleur des entrailles de la terre restera anecdotique à l’échelle de la planète. Couplée à des pompes à chaleur, elle trouve quelques applications pour le chauffage. Des expériences dans des roches fracturées à grande profondeur donnent de bons résultats pour la production d’électricité, mais sans réelles perspectives à grande échelle. S T E FA N K I E F E R . A F P Multiplier l’efficacité énergétique L’énergie la moins chère, c’est celle qu’on ne consomme pas, baptisée «négawatts» par les initiés. Le gisement d’économie d’énergie est extraordinaire dans les pays développés, plus encore aux EtatsUnis où la population consomme beaucoup plus d’énergie que dans les pays européens. L’efficacité énergétique s’obtient notamment en développant les transports en commun, en remplaçant les appareils électriques gourmands par des modèles plus sobres, en isolant logements et bureaux, et en tirant parti des apports de l’énergie solaire.• DENIS DELBECQ 30 TABLE RONDE LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Pays émergents en pleine croissance, production insuffisante, asphyxie générale... Est-ce la fin du tout-pétrole? Trois économistes décryptent la nouvelle donne. «La maison et tout brûle le monde regarde » ailleurs! e pétrole est partout. Epuisement des réserves, instabilité géopolitique, faiblesse des investissements… Une forte hausse du prix du fluide le plus indispensable à S É B A S T I E N C A LV E T L l’économie mondiale semble inéluctable. Et cette fois le choc ne sera pas seulement économique. Il risque de sonner le début de la fin d’un monde tel que nous le vivons. Vision exagérément pessimiste? Pas sûr. Car, pour de nombreux observateurs, la fête est finie. Et le sevrage va s’imposer plus vite que prévu. Pour tenter de dresser un bilan et tracer les futurs possibles d’un univers où le pétrole sera cher, Libération a réuni trois experts. JeanMarie Chevalier (à droite sur la photo), professeur d’économie à ParisDauphine, est aussi directeur au Cambridge Energy Research Associates (Cera, bureau de Paris). Serge Latouche (de dos), économiste et philosophe, professeur émérite à l’université Paris-Sud, est l’un des chefs de file de la décroissance soutenable. Patrick Artus (à gauche), directeur des études économiques de la Caisse des dépôts et consignations, est reconnu pour la pertinence de ses analyses macroéconomiques. Entretien. Depuis plus d’un siècle et demi, le pétrole a été bon marché, vivons-nous la fin de cette période? Jean-Marie Chevalier Oui. Serge Latouche Oui, nous sommes entrés dans l’ère d’un pétrole qui sera de plus en plus rare, néfaste à l’environnement et aux populations… Patrick Artus Ça ne fait que commencer. Quel est l’état de la planète pétrole? J.-M.C. Il faut d’abord préciser ce que l’on entend par réserves pétrolières. Il y a celles qui sont prouvées et récupérables aux conditions technologiques et économiques actuelles. Il y a les réserves probables, plus délicates à quantifier. Pendant longtemps, le taux de récupération du pétrole a été dramatiquement bas, de l’ordre de 35%. On laisse donc dans les roches 65 % du pétrole. Avec les nouvelles technologies, qui permettent des forages à 3000 m de profondeur, nous sommes capables de découvrir de nouvelles roches qui ressemblent à des éponges qui contiennent du pétrole. Toujours grâce à la technique, nous pourrons augmenter ce taux de récupération sur les gisements existants ou à découvrir. Notez que les compagnies pétrolières n’ont pas intérêt à avoir dans leur portefeuille des réserves trop importantes. Cela revient à avoir des dollars qui dorment sous terre. L’économie mondiale engloutit chaque jour ce qui est produit quotidiennement, soit environ 80 millions de barils. Satisfaire une demande accrue devient de plus en plus difficile… J.-M.C. Les tensions sont fortes. Mais nous n’avons toujours pas atteint les records du second choc pétrolier. A l’époque, en 1979-1980, le baril était coté 35dollars, soit l’équivalent de 80dollars de nos jours. Pour l’avenir, la grande angoisse, c’est la Chine. Beaucoup estiment que nous avons extrait la moitié des réserves, soit 1000 milliards de barils… Est-ce le début du compte à rebours? J.-M.C. Je n’ai pas de crainte sur les réserves, elles sont là. Je suis beaucoup plus sceptique sur le déblocage des investissements nécessaires pour les extraire. Le cas de l’Irak est très éclairant. A la veille de la guerre, ce pays produisait deux millions et demi de barils par jour. Si on investissait dans le potentiel pétrolier irakien, on pourrait monter à cinq. Beaucoup de pays restent fermés à l’investissement étranger. Le Mexique est fermé, l’Arabie Saoudite, l’Iran, sont fermés, idem en Russie… P.A. J’ajouterais un point: le poids des pays émergents. Si on prend les pays les plus avancés, comme les Etats-Unis, l’Europe ou le Japon, on constate une baisse tendancielle de la consommation de pétrole rapportée au PIB. Ils sont plus efficaces dans leur consommation. Mais que se passe-t-il dans les pays émergents d’Europe centrale, ou encore en Chine? La consommation pétrolière reste stable. Et pour cause, puisque ces pays sont dans une phase où c’est l’industrie, gourmande en énergie, qui prédomine. Cette année, la consommation quotidienne de pétrole de l’Asie et du Pacifique va atteindre les 25millions de barils par jour. Alors que les Etats-Unis consomment à eux seuls 20 millions de barils par jour… P.A. Oui. Maisl’élasticité de la consommation mondiale de pétrole augmente. Autrefois, lorsque le PIB mondial s’élevait de 1 % à cause de la croissance américaine ou européenne, la consommation de pétrole montait de 0,4 %. Aujourd’hui, ce taux ne cesse de grossir du fait que les pays qui font de la croissance sont des pays émergents qui ne font pas d’économies dans l’usage de pétrole. Tout ceci peut se lire dans les chiffres, notamment depuis le boom chinois de 2002. Depuis cette date, la demande mondiale de pétrole augmente de près de 3% par an, alors qu’elle n’atteignait pas 1% jusqu’à la fin des années90. Cette hausse coïncide avec la découverte du TABLE RONDE 31 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 So Far So Close, photographies d’Aniu (agence Vu), Shenzhen, Chine, 2004. crédit en Chine, crédit qui sert à acheter des voitures. L’évolution de la capacité mondiale de pétrole était largement suffisante jusqu’à la fin des années 90, elle ne l’est plus. D’ici à 2015, l’offre mondiale va augmenter d’une quinzaine de millions de barils par jour, alors que la demande grimpera à 25millions de barils. Ce qui laisse supposer, à l’horizon 2015, un prix du baril à 300 dollars… P.A. D’ici dix ans, il ne manquera peut-être pas 10millions de barils par jour pour étancher la soif de pétrole de la planète, mais 6 à 7millions. Pour réduire la demande mondiale, il faudra augmenter son prix massivement. Sans atteindre les 300dollars, le baril se négociera autour de 150dollars. J.-M.C. Nous sommes toujours confrontés à cette inconnue: les investissements vont-ils suivre? Et puis, certains pays ne vont-ils pas changer leur mode de vie en instaurant, par exemple, des impôts pour diminuer la consommation de pétrole. L’ajustement se fera-t-il seulement par les prix? C’est la combinaison de ces trois éléments, investissement, demande, et prix, qui formera un nouvel équilibre. Alors 200 ou 300 dollars? Personne n’en sait rien! Par contre, il me semble que le changement climatique est de plus en plus intégré dans les stratégies industrielles. Ceci aura un impact fort. Car les effets du changement climatique vont obliger nombre de pays à réduire leur demande, à agir sur la consommation, à produire des hybrides. P.A. Soyons modestes: personne ne connaît la technologie de demain. Mais nous savons tous que celle de 2015 sera la même que celle d’aujourd’hui. Ce constat, à lui seul, est suffisant pour pousser les prix à la hausse. Mais 2030 est beaucoup moins prévisible de ce point de vue. On parle beaucoup de la Chine, mais sa croissance peut s’arrêter pour d’autres raisons. Regardez le platine, le palladium, le cuivre, le minerai de fer…, l’impossibilité de résoudre l’équation entre les réserves et les besoins à terme est pire que pour le pétrole. La fin du pétrole bon marché annonce-t-elle une démondialisation? S.L. Je suis tout à fait d’accord pour dire que ce n’est pas forcément par le pétrole qu’on peut redouter une cassure dans l’évolution de l’économie mondiale et de ses prétendus équilibres tant économiques qu’écologiques. Beaucoup d’experts commencent à faire un lien entre démondialisation et pétrole cher. Ainsi, le député vert Yves Cochet estime qu’à 150dollars le baril, il n’y a plus d’aviation civile. J.-M.C. La démondialisation est une question très difficile. Mais il est vrai que nous sommes dans une économie mondialisée dans laquelle le transport n’a probablement jamais été aussi bon marché. Ça ne va pas durer. A partir de quand le pétrole cher remettrat-il en cause les flux d’échanges de marchandises dans le monde? A partir de quand les haricots verts du Kenya n’arriveront-ils plus sur nos marchés? Ce qui est certain, c’est que cette mécanique de la mondialisation risque le grippage. S.L. On ne peut pas avoir une réponse brutale, car nous savons tous que le transport aérien est defacto subventionné puisque le kérosène est détaxé depuis un accord de 1946. Ce qui paraît délirant, c’est qu’on crée des infrastructures de transports comme si la croissance potentielle était sans limites. Nous n’avons pas du tout intégré que c’est tout simplement impossible. Dans cette fuite en avant, on conçoit le futur gros porteur d’Airbus qui ne volera peut-être jamais du point de vue commercial, car, lorsqu’il arrivera sur le marché, on sera peut-être dans un contexte totalement différent. J.-M.C. C’est un vrai problème. D’autant que si l’on commençait, dès aujourd’hui, à calculer le coût des externalisations des transports routiers ou aériens, nous changerions notre manière d’imaginer le futur. Car les coûts externes du transport sont chaque jour de plus en plus élevés. Or, ces coûts externes, il faudra les payer un jour. Ils seront constitués des effets néfastes de la pollution, des encombrements, de la dégradation de la santé publique… Raison de plus pour faire de la «décroissance organisée»… P.A. Le problème est plutôt de savoir si on va expliquer aux Indiens et aux Chinois que leur niveau de vie va s’arrêter à 1500dollars par habitant, pendant que nous, les riches, sommes à 30000dollars. «A partir de quand les haricots verts du Kenya n’arriveront-ils plus sur nos marchés?» Mais comment faire, dès lors que le modèle économique occidental sert de référent au reste de la planète? P.A. C’est justement toute la problématique: expliquer aux pays émergents qu’ils ne peuvent pas avoir la même stratégie de développement que nous, que la Chine ne peut pas avoir un PIB constitué à plus de 70% par de la production industrielle. J.-M.C. Dans ces pays –l’Inde et la Chine ou encore le Brésil–, il y a une prise de conscience progressive du fait que les questions environnementales sont des questions sérieuses. Le bilan énergétique chinois est à l’heure actuelle à 65% lié au charbon. Et ils savent que, s’ils continuent, ils s’asphyxient. Je crois que nous négligeons les effets positifs du protocole de Kyoto. Les mécanismes de marché de CO2 peuvent amener à réduire les émissions de CO2. Sans parler des mécanismes de développement durable. Le transfert de technologies propres des pays riches vers les pays en voie développement permettra une croissance qui sera moins intense en énergie. Le mécanisme que vous évoquez n’évitera pas une flambée du prix du pétrole… P.A. Sans doute. D’autant plus que les Chinois connaissent une progression de ventes des voitures de l’ordre de 130%. Ils ne peuvent pas continuer. J.-M.C. Ils finiront par réaliser qu’un mode de croissance tel que nous l’avons vécu n’est pas possible… S.L. Mais lorsque vous dites cela, vous laissez croire que nous pouvons, nous, continuer comme si de rien n’était. Or, notre mode de croissance n’est pas plus viable que le leur. C’est ça le défi que nous devons relever. Les pays émergents sont exactement comme nous. Comme nous, ils voient que la maison brûle et, comme nous, ils regardent ailleurs. Tout le monde s’alarme, y compris les politiques, mais la mégamachine continue à suivre sa logique. ●●● 32 TABLE RONDE «Une croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini mais nous sommes devenus des toxicodépendants de la croissance.» ● ● ● Faut-il considérer le pétrole comme l’eau et plaider pour qu’il devienne un bien public mondial, géré autrement que par les seuls intérêts privés? Et inventer une gouvernance mondiale du pétrole? J.-M.C. Le pétrole est un bien privé. En face, nous avons un bien public mondial qui est le climat et qui appartient à six milliards d’individus, bientôt neuf. Il y a bien un mode de gouvernance mondiale à instaurer entre le climat et le pétrole, et là, je crois que Kyoto va dans le bon sens. Ceci étant, le prix du baril reste bon marché, il ne faut que 7 dollars en moyenne pour extraire un baril de pétrole. On voit que l’or noir génère une richesse extravagante. P.A. La production est concentrée dans les mains de peu d’acteurs dont les objectifs sont éloignés du bien- LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 être planétaire… Dans quinze ans, le pétrole, ce sera les Russes et le Moyen-Orient. Or, leur concept d’utilité ne prend pas en compte l’intérêt de la collectivité, les effets du CO2 ou des coûts externes générés par l’utilisation intensive du pétrole. La gouvernance du pétrole est une question qui va se poser. Mais elle est extrêmement compliquée à résoudre. Pourquoi? P.A. Prenons l’exemple de la Russie: le pétrole y est un générateur de revenus alors que le reste de l’économie ne fonctionne pas. On pourrait presque dire que le pétrole sert à redistribuer de la richesse. En revanche, en Arabie Saoudite, le pétrole est un moyen d’enrichissement personnel. Dans un délai relativement court, nous allons avoir une ressource extrêmement rare concentrée dans les mains de personnes aux objectifs extrêmement divergents, voire douteux. J.-M.C. Et qui peuvent avoir la tentation de créer de la rareté… S.L. Ils le font déjà: le marché du pétrole, où seul prime l’objectif de rentabilité, n’incite pas à l’investissement. P.A. Quand l’Arabie Saoudite a 250milliards de dollars d’excédents de sa balance commerciale et qu’el- le n’arrive pas à dépenser la moitié de ce revenu, elle n’a aucune incitation à aller chercher du pétrole. Si les Saoudiens avaient pour mission de réduire les risques de la planète, ils auraient un tout autre comportement. Cela remet en question la propriété privée de la ressource… P.A. Oui. Sachant qu’un pétrole qui devient tout d’un coup cher ne crée pas une situation optimale pour le plus grand nombre. Si le pétrole était géré mondialement, il serait géré de façon intemporelle en évitant la rareté. S.L. Mais l’intérêt de la planète n’est pas qu’on produise toujours plus de pétrole… J.-M.C. N’oubliez pas que ce que redoutent les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), c’est que les prix du pétrole déclenchent une récession mondiale qui leur revienne en boomerang. Cela dit, ils n’ont aucun moyen d’empêcher une hausse des prix. L’Opep n’a plus de capacité excédentaire et donc ne peut plus fournir les missing barilsen cas de forte augmentation de la demande. Le choc pétrolier de demain sera-t-il de même nature que les précédents? P.A. Il est très difficile d’exhiber, depuis 2002, un ef- TABLE RONDE 33 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 fet négatif de la hausse du pétrole sur la croissance mondiale. Cela tient à des mécanismes financiers. Et c’est dangereux. Car finalement, si nous avions vu les effets négatifs du prix du pétrole sur l’activité économique mondiale, nous nous serions posé des questions. Or, nous ne nous posons pas de questions. Le monde va encore croître de quelque 5% cette année, finalement ce n’est pas si mal que ça. Il n’y a donc pas de problème? P.A. Dès que les pays producteurs de matières premières placent ou dépensent leur argent, ils le font sur les marchés financiers hypersophistiqués. Du coup, les prix des actifs financiers montent; même chose du côté de l’immobilier. Tout ceci génère des effets de richesse tels qu’il n’y a pas d’effets négatifs à ces niveaux de prix du pétrole sur la croissance mon- «Le système tient d’autant plus qu’on a ouvert les vannes du crédit bon marché. Tout le monde est surendetté.» diale. Le système tient d’autant plus qu’on a ouvert les vannes du crédit bon marché. Tout le monde est surendetté. Résultat? Le pétrole n’est pas une cause de blocage économique, et il n’y a pas de prise de conscience des risques. Donc on ne fait rien. Personne ne souffre? P.A. Ceux qui souffrent, ce sont essentiellement les émergents importateurs de matières premières. Pour l’instant, les pays riches ne souffrent pas grâce à la bulle financière, et grâce au fait que les Saoudiens et d’autres pays exportateurs de pétrole placent l’argent de l’or noir sur les marchés boursiers. Ce phénomène génère de telles plus-values que cela compense le prélèvement pétrolier. L’ensemble forme une mécanique économique totalement anesthésiante. Tout ceci s’effondrera le jour où les patrons des grandes banques centrales décideront d’augmenter les taux d’intérêts. Si on arrête le crédit, en remontant les taux bancaires, on fabriquera alors une catastrophe économique. Pour l’instant, le monde occidental vit sous l’illusion qu’il ne se passera rien de dangereux. Combien de temps peut tenir cette situation? J.-M.C. On donne du revenu aux pays pétroliers, et eux nous donnent du crédit. Cela durera tant que les banquiers centraux accepteront qu’on fonctionne sur une économie de crédit et non sur une économie de revenu. P.A. Mais cela finira par lâcher, puisque les banques centrales vont bien finir par siffler la fin d’une récréation où l’augmentation des volumes de crédit est de 15% par an. S.L. Mais lorsque tout s’écroulera, non seulement le crédit va manquer, mais tous les actifs vont voir leur valeur se dégonfler. Ce sera pire que lors du second choc pétrolier en 1979. Moi, je n’ai pas cette approche. Ou du moins pas seulement. Je crois qu’il faut partir de ce que l’on appelle l’empreinte écologique. Nous vivons la sixième extinction des espèces. La cinquième a vu disparaître les dinosaures il y a 65 millions d’années. Le problème de l’extinction actuelle, c’est qu’elle se fait entre 1000 et 30000 fois plus vite que la précédente. Faut-il rappeler qu’il disparaît entre 100 et 200 espèces par jour! C’est nous qui sommes responsables de ces extinctions. Nous finirons par en être les victimes. Nous nous sommes embarqués dans une société de croissance, c’est-à-dire qui n’a pour objectif que la croissance. Faire croître indéfiniment la production pour faire croître indéfiniment la consommation. Et quand les revenus ne suivent pas, on ouvre les robinets du crédit autant que possible. Or, une croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini, dont les ressources sont limitées. Nous sommes condamnés à stopper cette fuite en avant. Mais nous sommes devenus des toxicodépendants de la croissance, nous sommes dans la situation du drogué qui préfère fréquenter son dealer alors qu’il sait qu’il est en danger de mort. P.A. Mais comment gérez-vous le problème des émergents pauvres? S.L. Prenez la Chine. Ce pays n’a jamais demandé à être ouvert. Nous l’avons ouvert à coups de canons. La Chine du XVIIIe siècle, celle qui était sans doute la plus avancée, ne demandait qu’une chose: qu’on lui fiche la paix. On a eu beaucoup de mal à persuader les Chinois, il aura fallu cinquante ans de communisme, de maoïsme, pour qu’ils découvrent le capitalisme, l’économie de marché. Maintenant, c’est fait, ils l’ont. Et ils n’en sortiront pas de sitôt. Lorsque l’Angleterre a fait sa révolution industrielle, lorsqu’elle est entrée dans le système thermo-industriel, fondé sur une source d’énergie fournie gratuitement par la nature, ce fut un cataclysme mondial. La Chine est sur cette voie-là. On aura beau dire et faire, ce sera en vain. Le plus grand cataclysme humain de l’histoire est en train de survenir en Chine. Dans les années à venir, il y aura 200 à 400millions de Chinois qui vont fuir les campagnes. Des Chinois sans terre, chassés par une industrialisation galopante. J.-M.C. Comme les paysans anglais furent chassés de leur terre au XVIIIe siècle… S.L. A une grosse différence. C’est qu’il n’y a pas d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Etats-Unis pour accueillir les paysans chinois. P.A. Et la Chine est déjà importatrice de produits agricoles… «Les Saoudiens placent l’argent de l’or noir sur les marchés boursiers, ce qui crée une mécanique anesthésiante.» S.L. C’est vrai. On peut remplacer la problématique du pétrole par celle de l’agriculture chinoise. Chaque élévation du climat d’un degré fera diminuer les récoltes de 10%. Le problème n’est plus le pétrole, mais la famine, du fait du réchauffement climatique. On parle beaucoup de la Chine et des voitures, mais le pire, c’est la viande. Mais comment expliquer aux pays émergents qu’il faut changer de stratégie? S.L. C’est tout le problème. Jamais la nécessité de se mettre autour d’une table pour rechercher des solutions communes n’aura été aussi forte. Où est l’espoir? P.A. Ce serait que la croissance mondiale grippe sur l’insuffisance d’autres matières premières, et sans possibilité de remplacement, dans un domaine moins crucial. Un exemple? Pour faire des voitures, il faut du platine ou palladium… Ces métaux, il n’y en a presque plus. Ce serait suffisamment grave pour trouver de nouvelles formes de développement. S.L. L’espoir n’est certainement pas dans la fission nucléaire, beaucoup de scientifiques nous disent que «c’est la solution d’avenir. Et elle le restera.»L’espoir, c’est d’organiser la sortie de ce mode de développement thermo-industriel mis en place au XVIIIe siècle, qui nous donne comme seul objectif la croissance illimitée. Pour l’organiser concrètement, il faut la préparer dans les esprits. Notre imaginaire s’est laissé coloniser par l’économie. Nous devons devenir des athées de l’économie et de la croissance. Et l’un des moteurs de cette compulsion pour la croissance, c’est le pétrole, mais pas seulement; c’est aussi, comme vous l’avez justement souligné, le crédit à la consommation qui alimente cette frénésie. P.A. L’espoir, c’est qu’on réfléchisse. On le fera quand la financiarisation excessive de l’économie montrera ses limites en provoquant une crise financière épouvantable. Comment a-t-on fabriqué de la croissance depuis les crises financières asiatiques de 1997? En lâchant les taux d’endettement. On a dit aux ménages «vous n’êtes pas assez endettés». A part le Japon, c’est la finance, ou plutôt le crédit qui tire l’économie. C’est tenable, tant que les taux d’intérêt sont bas, qu’il n’y a pas de choc inflationniste. Nous avons fabriqué une économie violemment instable. S.L. L’explosion financière peut très bien être associée à la rareté du pétrole. Une crise inflationniste liée à une importante rareté provoquera la récession par le dégonflement du prix des maisons, des actifs boursiers. La question est de savoir comment le monde va réagir. On peut imaginer que des sociétés prendront d’autres voies de développement quand d’autres diront que leur niveau de vie n’est pas négociable. J.-M.C. Je crois que l’échelon local va se préoccuper de plus en plus du devenir de la planète. Des microsystèmes locaux, utilisant des énergies renouvelables, des modes de transport, de production et de consommation raisonnables vont s’intensifier. Mais nous n’éviterons pas les chocs. Ce sont là des facteurs de démondialisation, ou plutôt la reformulation au niveau local de modes de production viables. S.L. Ce qui est totalement inacceptable, c’est qu’on sait. Et qu’on ne fait rien. Et on sait que l’on court le risque que les générations futures nous disent un jour: «Vous aviez prévu les catastrophes, et vous n’avez rien fait… Pourquoi?»• Recueilli par VITTORIO DE FILIPPIS photos ANIU (Agence Vu), extraits du reportage «So Far So Close» à Shenzhen, en 2004. Dernier ouvrage parude Jean-Marie Chevalier: Les Grandes Batailles de l’énergie: petit traité d’une économie violente, Gallimard, poche. De Serge Latouche: Survivre au développement: de la décolonisation de l’imaginaire économique à la construction d’une société alternative, Mille et Une Nuits, poche. De Patrick Artus: Le capitalisme est en train de s’autodétruire, éd. la Découverte. 34 PORTRAIT LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 économistes souriaient face à ces alarmistes prévoyant le pic en 1995, puis 1997, puis… Lui reconnaît qu’il n’a pas «la science exacte», mais moulinait de savants graphiques et lançait, en 2001, l’Association for the Study of Peak Oil and Gaz (Aspo). Désormais, ce réseau informel de retraités, où l’on retrouve, aux côtés de Campbell, un ex-chef des explorations de Total ou un ex-conseiller aux questions énergétiques du vice-président américain Dick Cheney, ne tient plus du théâtre (supposé) de guignols. «En l’espace d’un mois, j’ai tenu une conférence à Dublin devant le patronat, j’ai été invité à parler à Cambridge et j’ai été sollicité par la Commission européenne…», se marre Campbell. La popularité de son site Internet suit la courbe de la flambée du brut: 300000 pages lues en mars. Un consensus émerge: il n’est plus question de savoir «si» le peak oilexiste, mais «quand» il arrivera… Etrange période où les Cassandre virent aux oracles. Et sont sondés jusque dans les rangs des républicains américains. Sourire, à nouveau: «L’an passé, un député du Maryland, Roscoe Bartlett, m’a inondé de mails pour me parler avant de s’entretenir dupeak oil avec Bush.» C H R I S T I A N LO S S O N A coups de pioche, à dos de mule Colin Campbell Prédicateur de la fin Le géologue à la retraite, qui a exploré durant toute sa carrière la planète pétrole, donnait l’alerte du déclin dès 1989. Il est enfin pris au sérieux. Ballydehob (Irlande) envoyé spécial U IRLANDE 250 km OC. ATL. n tournant historique se serait produit en 2005. Mais la planète a continué à foncer, nez dans le guidon, dans l’impasse énergétique. Personne ne l’a noté, ou presque. Sauf Colin Campbell, 75 ans, géologue. «Eh oui, explique-t-il, le peak oil a vraisemblablement été atteint l’an passé.» Le peak oil? Le pic du pétrole. «La moitié environ des ressources de pétrole conventionnel ont été exploitées.» D’ici à 2010, renchérit-il, même les autres formes de pétrole (lourd, sable…) auront atteint leur point de non-retour. «Le déclin physique se traduira par une baisse de 2 % par an; les conséquences seront terribles.» Ce prédicateur de la mort lente du pétrole et de l’ère des chocs pétroliers permanents donne rendezvous chez lui, «après la station-service». Cet oiseau de mauvais augure se raconte autour d’un thé et d’un poêle à bois. Dehors, une petite quatre-roues française, des panneaux solaires et un jardin zen ROYAUMEUNI Dublin Ballydehob suspendu à l’arrière de sa maison, qui épouse les courbes tourmentées de la côte, au sud-ouest de Cork. Et voilà qu’il évoque le séisme à venir pour «ces boîtes cotées en bourse» qui ont bâti «leur modèle économique sur des sables mouvants», les crises financières, les déstabilisations géopolitiques, les ravages sur l’agriculture pétrodépendante, la décroissance, la fin de la mondialisation… Comme à l’époque de Galilée Un monde se meurt, un autre tarde à naître. Car, après cent cinquante ans d’âge d’or du pétrole, des fidèles croient encore que le filon ne se tarira jamais. «Des croyants, des religieux, des théologiens,rit Campbell, comme à l’époque de Galilée. Pourtant, dire que la fin approche, c’est comme assurer que la terre est ronde.» Avant le nouveau millénaire, les experts du pétrole moquaient cette thèse, pourtant théorisée en 1956 par un autre géologue – King Hubbert, qui a laissé son nom au Pic de Hubbert. Les gouvernements n’y prêtaient qu’une oreille – au mieux – distraite. Les Comment va-t-on au peak oil? En le laissant venir à soi. Môme, Campbell est tombé dans la géologie avec un livre «qui racontait comment des enfants cherchaient de l’or et étaient poursuivis par un géologue». Et voilà comment ce «nul à l’école»se retrouve à Oxford, juste après-guerre, puis à Bornéo: «J’y ai vu mon premier puits, j’ai plongé dans l’aventure.»Deux ans plus tard, il embarque sur un tanker pour Trinidad à la demande de Texaco. Passe quatre ans en Colombie pour British Petroleum, à explorer. A coups de pioches. A dos de mules. «Il était déjà facile de dire que le pétrole se trouvait à l’intérieur des terres, pas sur les côtes, souffle-t- «J’ai passé il. Certains ont mis vingt-cinq ans à s’en ma vie rendre compte.»Il est passé à peu près par toutes les firmes, de la Nouvelle-Guinée à mentir, aux Etats-Unis, de l’Equateur à la Norvè- à surestimer ge. Epoque loin de l’irrationalité exubé- les réserves rante d’aujourd’hui où un PDG d’Exxon peut gagner l’équivalent de 33000années pour des de Smic. Epoque où les deals se faisaient raisons «à l’oral, dans les couloirs», où les géo- économiques logues étaient «pris aux sérieux». Pas ou comme ces économistes «qui ne connaissent qu’un système basé sur l’énergie sans politiques.» fin». Pas comme ces ingénieurs, qui promettent de «vous emmener sur la lune avec un tournevis». Les géologues, eux, «observent». Et «savent que je ne mens pas, même si, comme eux, j’ai passé ma vie à mentir, à surestimer les réserves pour des raisons économiques ou politiques». Remettre en cause le dogme d’une ressource primaire lui est venu en 1989… d’une commande d’un gouvernement. Norvégien. Cinq ans plus tard, il affine ses prévisions en se fondant sur les données (portant sur 24000 puits dans le monde) d’un institut – Petroconsultant – proche des grandes firmes. Il en tire deux ouvrages (The Coming Oil Crisis, The End of Cheap Oil) qui vivotent, d’autant qu’en 1998, le baril s’arrime autour des dix dollars. Puis, il fonde l’Aspo qui tiendra sa 5e conférence en juillet, à Pise. L’association sert de vigie à la cause écolo? Lui s’accroche à son indépendance. «On me demande parfois pour qui je roule. Pour personne», évacue Campbell. Il abhorre les pétroliers genre «développement durable.com»: «Je préfère encore Exxon qui se fout des énergies renouvelables à BP qui se renomme “Beyond Petroleum” [“au-delà du pétrole”, ndlr]. »Et il ne soutient pas les croisés de la cause climatique: «Je me moque du réchauffement, ça a toujours existé, même si là, l’homme en est à l’origine.»Il ne croit pas à la théorie du complot, mais s’amuse à raconter comment, à six mois de la guerre en Irak, «des services»du ministère de la Défense américain l’ont convié – en vain – à venir parler «rareté» du pétrole. L’an passé, nouveau coup de fil. «Trois personnes des services m’attendaient… au pub du coin! J’y suis allé, on a parlé.»Dans la foulée, il reçoit un rapport confidentiel du ministère de la Défense qui s’alarme… de l’éventualité de la fin du pétrole. Au fond, dit-il, les barils de pétrole sur terre, c’est comme un fût de bière dans un pub: «Plus on le boit vite, moins il y en aura pour longtemps…»• CHRISTIAN LOSSON C’est l’été Libérationc’est, en plus de votre quotidien : • des cahiers thématiques (Emploi, Cinéma, Livres, Tentations) • des suppléments qui changent tous les mois (Ma langue vivante, Fooding ….) • chaque samedi son magazine Ecrans (interruption du 15 juillet au 26 août). • un site Internet interactif. • toutes les semaines des offres exclusives réservées à nos abonnés : avant-premières, DVD, CD. 2 mois à prix réduit - 26 % de remise + la livraison gratuite + par porteur spécial chez vous avant 7 h 30 = je m’abonne ! la besace «Libération» La besace exclusive Libé. Format 37 x 31cm. Bandoulière réglable. Réservée aux abonnés. 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Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression de ces informations (art.27 de la loi informatique et libertés). Les informations recueillies sont destinées exclusivement à «Libération» et ses partenaires commerciaux sauf opposition de votre part en cochant cette case APE06 • Nom/prénom 36 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 CORBIS Et si le baril était ... SCIENCE-FICTION 37 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Pour J.-G. Ballard • ’est comme ça que tout a commencé. Avec un type appelé Ahmed el-Assad, le Lion, autrefois Jo Sienkeiwicz, natif de Vénissieux, région lyonnaise, chômeur retourné par des salafistes syriens, ayant fait ses classes en Afghanistan et désormais shahid, martyr, à preuve son torse bardé d’explosifs à commande manuelle (il suffit de tirer sur le truc qui pendouille) et les cris qu’il pousse «Allah akhbar! Allah akhbar!», en courant pieds nus, ça fait du bien quand ça fait mal, à la surface du désert brûlant. Le lieu: Arabie Saoudite, pas très loin du terminal pétrolier de Doha, le plus important du pays, dont on voit à l’horizon onduler les tours en résille audessus d’une nappe de mercure. Loin, trop loin, bien sûr. Mais la ligne sombre de l’oléoduc qui rejoint la mer Rouge au bout de deux mille kilomètres est proche, toute proche. Moins de cent mètres. Il suffit de courir entre les balles qui, Allah soit loué, sifflent sans l’atteindre. Il court. Chtoff-chtoff-chtoff… la plante de ses pieds cornés dans le sable à 72degrés. A droite et à gauche du cylindre de bronze, chevauchant sa ligne de crête, des silhouettes en treillis cavalent, lâchant des rafales sporadiques dans sa direction. Mais le martyr les ignore. Il court. Toploc-toploc-toploc! son cœur. Qu’il ignore. Comme il ignore Abdelaziz, Mahmoud, Shérif, laissés raides derrière lui, avec de grands trous rouges dans la kamis. Il ne pense même pas aux soi-disant vierges (soixante-dix ou soixante-et-onze? Il n’a jamais su le chiffre exact…) qui l’attendent au paradis. A supposer qu’il y ait réellement cru. Il ne pense à rien. Il court dans la chaleur à faire cuire une carpe. La première balle à lui arracher un quart de livre de viande avec les débris de sa clavicule gauche ne l’arrête que le temps de faire un tour complet sur lui-même. Un cri s’échappe de sa bouche, qui ressemble à un banal «Aïe!»suivi d’un «La pute!»qu’il n’a peut-être fait que penser. De toute façon, c’est fini, il y est, il a atteint son objectif, la massive muraille vert sombre contre laquelle s’écrase un corps qu’il ne contrôle plus. Sa joue s’aplatit contre le métal brûlant, son index réussit à crocheter la boucle fixée à la courroie détonateur. D’autres balles hachent son corps. Quelle importance? Même pas mal. Le cercle de laiton s’enfonce dans la pliure de sa phalange, il tire, il a juste le temps de souffler «Allah akh…» avant que l’enfer ouvre grand ses portes de bruit et fureur –l’enfer, pas le paradis. Mais là où il est, ça revient au même. L’oléoduc s’est fracassé par le milieu, dégorgeant un geyser de feu qui déploie sa draperie contre le ciel blanc. Dans le siphon, le pétrole raffiné avale les flammes qui se ruent vers l’amont, comme vers l’aval, à la vitesse d’un métro express dans son tunnel. Il lui faut trois minutes vers l’amont pour atteindre une première cuve, autour de laquelle se dispersent des fourmis humaines. La cuve, cent quarante mille barils de brut, saute comme un bouchon de champagne. Et une seconde. Et une troisième. Le terminal en compte six mille. Trois minutes et une poignée de secondes après le martyre d’Ahmed, dont il n’existe plus rien, il ne demeure pas grand-chose non plus de l’inhumaine cité pétrolifère. Seulement une méduse pourpre entourée de flocons boursouflés d’encre noire, qui se déploie dans le ciel sur neuf kilomètres de hauteur, très semblable à un champignon nucléaire, et pour des résultats similaires. Mais ce n’est pas tout. La même chose vient de se passer, au même moment, au Bahreïn et dans tous les Emirats, en Irak, au Koweït, en Azerbaïdjan, au Turkménistan, en Angola, au large du Congo, ailleurs encore. Trente-six attentats, minutieusement préparés des années durant par Al-Qaeda. Et pour la plus grande part réussis. Quelque part, quelqu’un –et peu importe qu’il s’agisse ou non de Ben Laden (d’ailleurs, est-il seulement en vie?)– se frotte les mains: le sang de l’Occident est en train de partir en fumée. Le 11 septembre 2001, à côté, c’est une flamme d’allumette… C’est ainsi que ça a commencé, oui. Mais on peut tout aussi bien considérer que les vrais débuts remontent à cette journée de 1859, en Pennsylvanie, près d’un misérable bled nommé Titusville, alors que le colonel Drake, moustaches en croc, gueule de pirate, grand chapeau gansé, deux pistolets de marine dans les fontes, regardait avec étonnement fuser la première éruption de l’or noir trouvé presque par hasard dans un gisement étalé à trente mètres seulement sous ses pieds bottés. Ou, bien plus loin encore, en compagnie de ce paysan babylonien qui, de ses mains noires, récoltait les schistes bitumineux affleurant six mille ans avant l’hypothétique JésusChrist pour en sceller les briques de sa maison. Bien vains calculs. Il y a toujours un commencement aux commencements et, si ça vous amuse, on peut le faire remonter à la fracture de Gondwana, il y a cent quarante millions d’années, alors que, suite à une élévation de température, une biomasse considérable s’enfouissait dans des cavernes pauvres en oxygène comme en bactéries, se muait en vases répugnantes riches en macromolécules carbonées qui, sous la pression, finiraient par se casser pour se transformer en hydrocarbures. En vérité, on ne sait jamais vraiment quand ça commence. Par contre, comme pour les histoires d’amour, on sait très bien quand ça finit. C • • • bite –, myse. Un , vienn 2008. bite qui ôles et us les l’heure tisé «Aà un tuuke Elmme le de 400 mètr de seuleme expliquaitSelon l’Age l bari du t ltan résu pe, litre à la pom Avec un prix de 25 ¤ le croyaient des risques s» iste ssim «pe s lque ls que à 500 $, un cap – que seu 0 – vient logiques i ore pas avant 2015 à 202 pouvoir être atteint, et enc Tout porte à le croire car, outre explosion ? ier Merapi m d’être franchi. Pas le dern lité de rnationale a bloqué la tota ré ment en d le fait que la situation inte ble désormais avé sem il , tale rien en-o lion d’hab l’exploitation moy et up, uco x ont été de bea de Yogyak gaz que les stocks mondiau du inet rob le que Si l’on ajoute Les autor sciemment, surévalués. Libération, avril 2007 ont mis en russe… crise et 7 lerte à J Le litre d’essence flambe encore td terreauJapon 12 avril 2026, 7h30 : un matin comme un autre Stéphane Marey saisit d’une main prudente les guides du cheval qui devait le transporter à l’autre bout de la France. Il ne lui faisait aucune confiance. C’était un beauceron d’âge incertain, qu’il avait négocié à Gus Morandini, dont les haras mangeaient du terrain tout autour de Saclay, à travers les rocades à l’abandon, les routes secondaires mangées par les herbes, les résidences pour la plupart abandonnées transformées en boxes. Pour ce cheval, Stéphane avait presque tout cédé de ses maigres possessions, même son ordinateur, dont le contenu le plus précieux était à l’abri dans le bionodule enfoui dans le pli de son coude gauche. Il frappa l’épaule de Sébastien Ledreu, son ami de toujours, avec qui il partageait l’appartement de la rue Buffon dont les fenêtres donnaient sur la galerie des dinosaures, et le sourire cruel du tyrannosaure qui ouvrait sa gueule à dix mètres à vol d’oiseau de leurs chambres. –Tu es sûr? fit Bastien en lorgnant d’un air circonspect le cheval qui, harcelé par les taons matinaux, ne cessait de frémir, de piaffer et de faire des écarts, ses sabots récemment ferrés martelant le parvis du Muséum d’histoire naturelle, où clapotaient les eaux montantes de la Seine dont le lit avait depuis longtemps pris ses aises avec les quais. –Sûr de quoi? –Que tu arriveras. Il existe encore des transports en commun, tu sais. Il y a même une ligne à peu près fiable jusqu’à Clermont. Le train à copeaux, comme on dit. Tchouc-tchouc. Tu pourrais… A l’ombre du chapeau de paille qui lui piquetait le visage de têtes d’épingle lumineuses, Stéphane sourit dans le vague en secouant la tête. –Le train..., murmura-t-il en regardant Sébastien de biais. Les deux quinquagénaires savaient bien qu’ils avaient peu de chances de se revoir. Ainsi en allait-il du monde. Mais ce ne sont pas des choses qui s’avouent. Le paléontologue revenait d’un périple hasardeux en Afrique dont il avait décidé de ne rien dire et préférait pour l’instant continuer à étudier ses fossiles de créodontes. Un fossile avec ses fossiles, ricanait-il. Le spécialiste des énergies nouvelles, lui, avait opté pour le départ. Je ne choisis pas, je dois, affirmait-il, un rien péremptoire. Chacun son truc. Stéphane saisit fermement le pommeau de la selle, s’éleva d’une détente qui ne faisait pas son âge, atterrit sur le dos de la bête; le cheval protesta par deux pas d’amble avant de baisser la tête, vaincu. Déjà, le museau tordu par une pression des rênes, il faisait demi-tour. –Comment tu l’appelles? lança Bastien. –Je ne l’appelle pas. Il suffit qu’il trotte et la boucle… Stéphane Marey avait répondu sans détourner la tête, sa monture clapotait déjà dans l’eau limoneuse qui avait envahi le Jardin des plantes aux platanes presque tous tronçonnés; sur la gauche, les enclos vides témoignaient de la liberté rendue à leurs captifs. Il agita la main, son grand corps dégingandé tressautait au pas capricieux de sa monture. Puis un fourré l’avala. Dans le ciel d’un bleu déjà féroce, des nuées de mouettes criardes saluaient le matin d’un jour comme un autre. • • • oniste, soue croissance as d’Europe Monténégro tir de la paupulation vit de pauvrevec environ rsonne par opposants, e Milo Djumage a été andales de e blanchiun Etat prili Le Moyen-Orient dans l’impasse calcu memb nomb inféri gro et perfi (1380 Situation bloquée et aucun espoir de déblocage – telle est résumée, dans son accablante simpl icité, la situation sur le théâtre du Moyen-Orient. La très étroit e marge de mouvement du corps expéditionnaire américain de Provis l’opération Ultimate Shield semble bel et bien compromise tique q après les attaques nucléaires tactiq ues sur les centrales et depuis les sites de lancements iraniens, consé cutifs au tir de l’unique dépen missile Tor-M1 qui s’est écrasé sans dommages dans le tive. L désert. La Chine et la Russie ont claire ment fait bie-etcomprendre… Coup defreinsurlesOGM forceps matie d J i S 38 SCIENCE-FICTION LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 12avril 2026, midi: un rêve impressionniste Nuit du 12 au 13 avril 2026: splendeurs nocturnes Après avoir parcouru un méandre de petites rues où s’accrochait un soupçon de fraîcheur à trente-septdegrés, Stéphane traversa la Seine sur le PontNeuf, encore praticable bien que le cheval fût obligé d’avancer en quinconce au milieu des corps étendus –un des bienfaits douteux de l’élévation de la température étant de pouvoir dormir à l’extérieur en toute saison. Parfois un sabot heurtait un gisant qui protestait en kurde–«Hayaxwe pêdan!»–, en ouzbek –«Diqqat!»–, en wolof –«Nank!»–, et en dix autres langues, mais il n’y pouvait rien. Le cavalier longea le jardin des Tuileries, où des employés aux rizières communales étaient déjà à l’œuvre, dans l’eau jusqu’à la taille, le buste et la tête protégés par une cape translucide anti-UV qui les faisaient ressembler à des lucioles faisant du surplace au ras de l’eau turquoise. Le Champ de Mars, transformé en pisciculture par l’ancien maire Jim Lee Tong, fumait dans le soleil de midi, les barques nonchalantes qui s’y ancraient paraissaient sortir d’un rêve impressionniste. Le cavalier ne s’arrêta à la nuit tombée une fois qu’il eut atteint le bois de Boulogne, ou ce qu’il en restait, la troisième, puis la quatrième tempête –qu’on n’avait plus osé appeler «du siècle»– ayant jeté bas la plus grande partie des arbres. Mais, le bois étant redevenu la matière première la plus précieuse, les lieux bourdonnaient du crissement incessant des tronçonneuses au colza et du ahanement des scies à main maniées par de robustes bûcherons ukrainiens ou polonais qui chantaient en travaillant, comme les nains de Blanche-Neige multipliés par mille. Le labeur ne s’arrêterait pas de la nuit, l’emploi en forêt étant trop rare et apprécié pour qu’on risquât de le perdre. Stéphane s’était appuyé à un troène encore debout, auquel il avait attaché son cheval sans nom, qui semblait s’être habitué à sa présence. Il mangea d’une salade de pommes de terre, d’un peu de purée de betteraves avec une demi-galette de froment. Il croqua une pomme ayant traversé l’absence d’hiver. Les oranges d’Israël, les fraises espagnoles, les bananes d’Afrique du Sud… fini, tout ça. Les produits bourrés dans ses fontes venaient de la ferme de Madeleine Thersant qui, avec des centaines d’autres, avaient grignoté le périmètre résidentiel autour de Saclay. Rassasié, Stéphane cala sa nuque contre une couverture et laissa son regard errer dans le ciel que la taie des pollutions ne voilait plus. Il dormit malaisément, sentant peser sur ses paupières le poids de toutes ces étoiles indifférentes dont il ne connaissait pas le nom, splendeurs nocturnes offertes autant qu’inaccessibles. • • • interdites Les voitures privées, après un débat à la Le décret de loi est tombé ce matin x environs de trois heures: Chambre qui ne s’est achevé qu’au de circuler pour tout comme prévisible, l’interdiction totale gendarmerie et les véhicule privé a été promulguée, la respecter la loi, par milices privatives ayant ordre de faire , l’armée, et les police la Seuls saire. néces jugé n tout moye lances ou les pompiers, services d’urgence, comme les ambu es nationales de brut, pourront encore bénéficier des réserv . Quant au coût sur le qui se monteraient à 37 jours utiles is, il est pour l’instant… front industriel, et donc des emplo Libération, août 2009 12avril 2026, 16h20: une libellule solitaire en vadrouille Le cavalier solitaire longea l’avenue Foch, dont un pâté sur deux avait été incendié lors des émeutes de septembre2009 et pour la plupart jamais déblayés, faute de main d’œuvre et surtout d’intérêt à court terme, leurs anciens habitants ayant depuis longtemps quitté Paris. L’arête des décombres noircis, où des plantes vivaces avaient commencé à pousser, se détachait en ombre chinoise crénelée sur le fond lui aussi incendié du ciel. Les sabots du cheval qui, malgré les efforts de Stéphane, s’immobilisait périodiquement pour arracher de ses dents jaunes des pousses anarchiques, résonnaient entre les pans effondrés. A part quelques vélos ou tricycles à deux ou trois places, couronnés d’une ombrelle ondulante, l’avenue était déserte, à l’image de la capitale, vidée en moins d’une décennie des trois quarts de ses résidents, à cause des troubles populaires, du H5N3, de l’incident de Nogent-sur-Seine, du subit effondrement des ressources alimentaires de masse. Du passage abrupt à cette économie de guerre, Stéphane Marey, étant de ceux qui l’avaient attendue de longue date, s’en était comme d’autres accommodé. Avec les deux heures d’électricité quotidienne et tout ce qui s’en suivait, l’essentiel étant que son ordinateur du labo de Saclay ne lui fit pas faux bond, ce à quoi l’énergie mixte du centre avait pourvu. A un bourdonnement à peine perceptible au-dessus de sa tête, il leva les yeux. Un ULM à piles solaires, dont les ailes de cormoran en fibres de carbone ultralégères étaient ocellées de jaune et de brun, suivait le tracé de l’avenue à moins de cent mètres d’altitude. Stéphane sourit pour lui-même à ce voyageur des airs, libellule solitaire en vadrouille. • • • Monténégro ne sera ai à Athènes à l’Euale qui a fait couler d’encre et de fiel. Il app araî efusé d’avaliser le personn t maintenant, et ce n’est une surprise pour y, composé à parité gesticu e, que le gouvernement de coalition, malgré ses latio de Monténégrins, entraîné ns, est incapable de faire face aux émeutes es rté sur un groupe fermetur par le «chômage technique» (sic) dû à la n au motif que les situatio e de la majorité des entreprises nationales – la n s du jury n’ont pas passe dans l’Hexagone n’étant que le reflet de ce qui se en t aux chanteurs qu’on Europe et dans tous les pays industrialisés. Ce n’appelle plus que le Ven dredi jaune a jeté dans phère footballis- rues des les mill lgrade devant un manifest ions de chômeurs sans ressources, dont les ations, comme il était à prévoir, ont tourné à x serbes des Fla- l’émeute nfuir de la scène journée , souvent sanglante, comme en témoigne la seule du olice. L’incident territoir 18, où l’on comptabilise plus de 5000 morts sur le e. L’état d’urgence… ui se sont dérouLibération, octobre 2009 éclatement de la ais personne ne Nouvelles émeutes sociales Les lacsafricainsfonttrop d • • • modèle parm d’Europe. Le négrins, par la revue Mo sm Il est encore trop tôt pour dénombrer le nombre de victimes souveraini dainement européennes du virus variant H5N3. Des millions, mais rg encore? Aucune comparaison avec l’hécatombe de la grippe Luxembou et moins peu espagnole de 1918, assure le Commission européenne de la europ santé. Vraiment? Cela reste à voir. Et nous administre en tout cord ments étran cas la preuve que le dicton voulant qu’un malheur n’arrive bitant ou q jamais seul garde toute sa pertinence. Car il est d’une ironie r certaine que, peu de temps après le crash pétrolier, la grippe tellement pêche qu’elle aviaire, dont on croyait la menace écartée après avoir été soin d’adhér pendant tant d’années agitée dans le vide… Libération, janvier 2010 péenne. Loi vénient, la perçue com «Il n’y a p Epidémie de grippe aviaire Nouveléchecdu moteur Fly 19 avril 2026, au crépuscule: les délices d’un nectar oublié Il fallut près d’une semaine au cavalier pour atteindre les environs de Châteauroux, ce qui lui donnait une bonne idée du temps qui le séparait de son but: moins d’une dizaine de jours. La plupart du temps, il suivait les nationales craquelées, parfois des tronçons autoroutiers où s’alignaient d’innombrables véhicules à l’abandon, voitures particulières ressemblant à des scarabées desséchés en train de cuire au soleil, conglomérats de camions avec leurs remorques réunis en conclaves dinosauriens sur des aires de repos ou les parkings de stations-service pillées et désossées, leur précieux fluide autrefois sucé jusqu’à la moelle par les derniers résistants automobiles. Des familles venues d’un peu partout dans le monde avaient en certains cas élu domicile dans une carcasse encore hospitalière, en particulier des autocars, transformés en véritables HLM horizontaux autour desquels s’éparpillaient des hordes de gosses en quête de nourriture. Ses provisions étant arrivées à leur fin prévisible, c’est auprès d’un ensemble de bus et de caravanes assemblés en cercle comme des chariots attendant l’assaut des Indiens, que Stéphane décida de faire halte. Les migrants, des Kurdes irakiens, lui firent bon accueil après s’être assurés qu’il ne portait pas d’arme. Alors qu’il palabrait auprès d’un vieillard à barbe blanche sans doute pas plus âgé que lui, il aperçut, au centre de l’espace formant une cour intérieure, un spectacle qu’il ne lui avait pas été donné de voir depuis… Combien? Quinze ans? Des poules. Des poules! Une douzaine, qui caquetait en battant des ailes. D’où venaient-elles, ces rescapées? Sans doute avaient-elles suivi la même filière secrète que les humains qui les couvaient. Le chef kurde se mit à rire alors que, dans un geste machinal, l’ingénieur tendait le bras vers les volatiles. Un quart d’heure plus tard, après s’être délesté de son unique casserole –son interlocuteur avait dédaigné les vingt euros tirés de la liasse roulée sous sa ceinture –, il perçait le petit bout d’un œuf de la pointe de son couteau et, au diable la prudence, en absorbait,les yeux fermés, avec de discrets «flurp», le jaune tiédi, plus délicieux qu’un nectar oublié. • • • SCIENCE-FICTION 39 LIBERATION LUNDI 29 MAI 2006 Tir de missile sur boat-p eople Dans la lutte contre les filières sans cesse grossissantes immigration que l’on d’une n’ose même plus app un nouveau pas vie nt d’être franchi. Sel eler clandestine, bateau de pêche on le capitaine d’u qui affirme avoir ass n isté à la scène, un chargé d’immigrés cargo en aurait été coulé par provenance de l’Afrique de l’Ouest un tir de missile dan un Mirage F1 de la s le golfe du Lion par base d’Istres. Imp ossible pour l’insta dénombrer les vic nt de times, plusieurs mil liers sans aucun do La Ligue des droits ute de l’homme… . Libération, janvier 2010 EruptionprévueduMer api 21 avril 2026: ne pas penser au cheval... Touché par la marée violette du crépuscule, le camp s’étendait sous ses yeux aux limites du regard. Noir de monde –et c’était bien le cas de dire, avec ou sans humour. Combien y avait-il ici de personnes rejetées par une Afrique subsaharienne qui rôtissait aussi sûrement qu’un bifteck oublié dans une poêle? Cinquante mille immigrants, cent mille, le double ou le triple, le Darfour transplanté sur les marges de Cahors. Et comment avaient-ils fait pour arriver jusqu’ici, c’était une autre histoire. Alors qu’il longeait un bric-à-brac insensé de tentes et de baraques, un hélicoptère furtif de la Sécurité territoriale à l’allure de rapace en chasse frôla l’ensemble disparate. L’appareil disparut derrière une ondulation de terrain sous des «you-you!» et quelques rafales inopérantes de kalachnikovs artisanales. Il y a encore du pétrole quelque part et des gens pour le brûler, pensa l’ingénieur avant de devoir se débattre au milieu d’une horde de gosses brusquement matérialisés autour de son cheval, qui le saisissant par les brides, qui lui palpant les flancs, qui tentant d’en escalader la croupe. Assailli par une houle de questions lancées dans le pidginsans cesse réinventé en usage chez les réfugiés, l’ingénieur, de guerre lasse, abandonna sa monture à quelques douzaines de mains qu’il avait auparavant engraissées de pièces jetées à la volée. «Nada aranô choval you!» «Hisan très very gut with nou!» «Sini toi ritrouve tuk!»D’accord, d’accord. Il mangea du bout des lèvres deux merguez trop pimentées qu’il espéra, sans s’en convaincre, qu’elles ne fussent pas de rat ou de chat, but un tordboyaux qui le laissa sur le flanc. Lorsqu’il sortit du sommeil, les tempes lancinantes sous un soleil déjà haut, il ne reconnut aucune des faces hilares qui lui avaient tenu compagnie la veille. «Où est mon cheval? My Horse? Hisan? Dove?»On ne lui avait pas seulement volé sa monture, mais aussi son précieux couteau. Les chapardeurs lui avaient laissé les deux livres qui ne l’abandonnaient pas, Ubiketle Baron perché, sa carte Michelin, son argent qu’ils n’avaient pas su trouver et, ô merveille, son ticket d’embarquement pour le Transatlantic. Il abandonna le camp en essayant d’étouffer sa colère, et surtout de ne pas penser au cheval. Ni comment il avait fini. • • • ue de bois nne. «Opéhémorral’estomac, au cours de talisation ika au Valété transns un état novembre é en Algéines plus er s’éverr son état, c édibl Accident nucléaire à Saint-Laurent-les-Eaux Malgré les réfutations officielles, où le nom Tchernobyl semble avoir disparu du vocabulaire , l’incident survenu à la centrale de Saint-Laurent-les-Eaux a jeté sur les routes un nouveau flot de fuyards abandonnan t la capitale, tandis que la contestation a pris un tour d’une extrême violence. Après la fin du pétrole, doit-on envisager pour le pays la fin du nucléaire? Ce serait un nouveau tourna nt dans… credi s ratoire «longu «Suivi m date»,r son. D ministè passant cale» (n se est d rien, 69 simple « Le Val-d core, affi au c 29 avril 2026: ce que sera le futur Ce fut en empruntant un coche régulier tiré par deux paires de chevaux laissant sur leurs erres une quantité impressionnante de crottin qu’il termina son voyage. Et alors? Stendhal ne voyageait pas autrement. Il avait cependant compté large, et parvint en vue de Blagnac à temps, la veille du grand départ. Le dirigeable se voyait de loin, fixé perpendiculairement à son mât d’amarrage, ondulant dans le fort courant aérien venu de la côte à la manière d’un gros poisson orange cherchant à se libérer de l’hameçon. De près, en surplomb, le DSS 2026 –conçu par les techniciens d’Airbus Industries nouvelles en collaboration avec Zeiss Inc.– aurait plutôt ressemblé à une baleine cosmique, du genre de celles hantant les romans de science-fiction de T.J. Bass ou Robert Young que Stéphane avait lus dans son insouciante jeunesse, sans se douter qu’un jour il les rejoindrait. Des filins pendaient du ventre renflé, en toile de carbone, contenant vingt ballons remplis d’hélium, les douze moteurs en lignes à turbine méthanol semblaient autant d’insectes parasites accrochés à sa panse lisse, la vaste cabi- ne aux larges baies aurait pu faire partie du Nautilus. Ses vertèbres cervicales craquèrent, un étourdissement surprit l’ingénieur en basse énergie. Il se laissa tomber dans l’herbe jaunie. Le Transatlantic le surplombait. C’était le premier. Le premier, pour la première traversée sans escale jusqu’à New York,depuis 1937. Presque un siècle, qui avait défilé en rond à la vitesse de l’éclair pour revenir se mordre la queue. Et lui, Stéphane Marey, ferait partie du voyage. L’embarquement eut lieu comme prévu à 8heures, après une nuit où le voyageur ne trouva pas le sommeil. Il escalada l’échelle de coupée, son cœur battait, deux poignes solides l’aidèrent à prendre pied dans la cabine, tout en cuivre et bois lustré, à l’image d’un fumoir à l’ancienne. Le prix du voyage inaugural, que son département à Saclay avait payé sans sourciller, représentait trois ans de son salaire; aussi les trente-six passagers ne comptaient-ils que des hommes et femmes d’affaires, pour une bonne part russes, indiens ou japonais. Il ne leur adressa pas la parole, ne quittant guère sa minuscule cabine où il se contentait d’observer, nez écrasé contre le hublot, l’eau écumeuse qui défilait à cinquantemilles marins de l’heure, deux mille pieds sous le ventre du Léviathan dont l’ombre se fragmentait sur les vagues. L’alerte au cyclone fut lancée au soir du troisième jour d’une traversée qui devait en compter cinq, alors que les passagers dînaient dans la salle commune. Le ciel à l’horizon s’était bouché en quelques minutes, barré d’une muraille indigo où se dessinait un arbre colossal coiffé d’un chapeau nucléaire. L’agitation subite des quinze membres de l’équipage, en uniforme impeccable, témoignait de la gravité de la situation, ce que confirma la voix du commandant Uriez ordonnant à tous les passagers de regagner leur cabine. Stéphane se leva en vacillant, un mouvement de foule jeta contre lui une femme qu’il avait déjà remarquée, une brune élégante, grande et gracile, aux cheveux en chignon. Il s’excusa gauchement. Les femmes, depuis la mort de Jane lors des émeutes du Septembre jaune, il n’avait plus trop l’habitude. A ce moment-là, une main géante secoua le DSS 2026. –Je m’appelle Suzan Henneberg, dit la femme d’une voix précipitée. Je dois rejoindre à New York mon père qui ne va pas très bien. Excusez mon sans-gêne, mais j’ai peur! Je préférerais ne pas rester seule… Elle avait un accent chantant. Ses yeux très clairs, plantés dans les siens, ne cillaient pas. A cet instant, les lumières s’éteignirent dans un concert de couinements. Stéphane entraîna la jeune femme dans sa cabine dont la porte, poussée par la gîte exagérée du dirigeable, se referma sur eux. –Je ne veux pas voir, souffla Suzan. –Fermez les yeux, dit-il, refermant la main sur sa nuque. Alors seulement il parla de la raison de son voyage, ses recherches sur le tritium lunaire dans la continuité des travaux de Sevastianov; en particulier de l’isotope 3H, clé d’une énergie de fusion enfin maîtrisée, propre, abondante; de ses échanges avec Bob Murakami, le prix Nobel de physique; de la proposition faite par le savant de venir travailler avec lui à Berkeley; de l’éventualité pour la Nasa de lancer vers notre satellite, à l’horizon 2030, un gigantesque vaisseau emportant une première équipe de recherche et d’extraction. Il parlaitdans le hurlement assourdissant de la bourrasque, sans être sûr d’être compris de Suzan, qui avait enfoui son visage au creux de son cou, dont il respirait le parfum floral, dont il sentait, sur sa poitrine osseuse, s’aplatir les seins malléables. Il parlait, le Transatlantic dansait de plus en plus fort. A travers le hublot obscurci, il voyait la silhouette du gigantesque arbre se tordre tel un cobra prêt à frapper, se rapprochant sans cesse. A son tour il ferma les yeux. L’homme et la femme finirent par basculer sur l’étroite couchette où ils n’eurent plus qu’à se serrer, deux blocs de vie en attente au sein de l’obscurité battante. L’ingénieur se sentait étonnamment calme. Il avait conscience d’être, avec sa compagne de hasard, suspendu au bord d’un gouffre. Il pouvait aussi bien y basculer que le traverser sur les ailes du vent. Même quand il ne s’agit que de brèves secondes en suspens, on ne peut jamais savoir ce que sera le futur. p «I l n’ y pauvre le leitm seurs d moyenne re tu ra pé m quelqu , la te 00 19 ur is po , pu stré ière fois de calcul tre, a enregi oî cr de Pour la prem é de ss nificative i n’avait ce memb mondiale, qu e certes minime mais sig iss nomb rte à croire… , mai 2026 po 2025, une ba ion ut rat To ibé é. rol Eu degr infér 1,3 dixième de gro e pe rf (138 que des leu Un pan de ciel b inois au Jaé phion Des militaires ch • • • Dire et agir pour l’environnement : la devise de Midi-Pyrénées Initiatrice des Assises nationales du développement durable, la Région Midi-Pyrénées poursuit son engagement concret pour la sauvegarde de l’environnement avec l’organisation les 3 et 4 juin 2006 des premières Journées Nature, vaste opération de découverte et de sensibilisation aux questions de sauvegarde du patrimoine naturel régional. Collectivités, entreprises, associations, citoyens sont invités à se mobiliser à cette occasion. 300 Manifestations Nouveau Monde DDB - Crédits photos : Getty Images - Corbis en Midi-Pyrénées Parmi les engagements et actions de Midi-Pyrénées : - 29 Agendas 21 locaux en préparation, dont celui de la Région Midi-Pyrénées : un record national. - Le Conseil régional certifié ISO 14001 depuis avril 2005. - 500 entreprises engagées dans le dispositif régional d’aide au management environnemental. - Plus de 100 petites entreprises de l’agroalimentaire engagées dans une démarche environnementale. - 10 stations de sports d’hiver pyrénéennes bientôt certifiées ISO 14001, dans une démarche collective inédite en France. - Plus de 5700 foyers équipés de chauffeeau solaires individuels grâce au “Plan Soleil” : la 1re région de France en termes d’équipement. - Plan régional d’aide à l’acquisition de chaudière-bois dans le cadre de l’action bois-énergie. - Une dizaine de Plans de Déplacement d’Entreprise dont celui du Conseil Régional. - La 1 re Maison écocitoyenne grandeur nature, et une future structure de type Ecosite. - Trois Parcs naturels régionaux, une création dans les Pyrénées Ariégeoises et 1 projet en Aubrac, 11 réserves naturelles. - Un programme de restauration et d’entretien des rivières. - Des programmes d’éducation et de sensibilisation à l’environnement. www.midipyrenees.fr