jan 2016 - N°282 Bordeaux : la relance du marché

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jan 2016 - N°282 Bordeaux : la relance du marché
dossier
florent caldier,
responsable commercial du
Château Haut-Segottes, en
Saint-émilion grand cru. © P. ROY
Bordeaux La relance du marché
chinois dynamise le vignoble
Après deux années de baisse, les exportations vers la Chine repartent activement.
Les Bordelais ont affaire à une nouvelle génération d’opérateurs, plus sérieux, plus
fins connaisseurs et qui, désormais, s’intéressent également au milieu de gamme.
C
’est reparti. Après deux
années de baisse due
aux mesures anticorruption prises par le
gouvernement chinois et aux
stocks accumulés par les importateurs, les exportations de vins
de Bordeaux vers la Chine repartent à la hausse. En une année,
arrêtée fin septembre 2015, elles
se sont élevées à 432 000 hectolitres, soit une hausse de 14 % par
rapport à 2014.
Un redémarrage que constate
la cave coopérative de Rauzan,
qui écoule 80 % de sa production
en vrac et 20 % en bouteilles. La
Chine, son premier marché, absorbe 800 000 bouteilles. « Depuis
janvier dernier, nous y enregistrons
15 à 20 % de progression », indique
Philippe Hébrard, directeur général de la cave. Au point que
l’agent chinois, basé à Pékin, qui
représente la cave, va recruter un
directeur commercial.
Pour Didier Grandeau, ce nouvel
élan s’accompagne d’une mutation du marché chinois. « L’offre
a changé. La distribution s’est
professionnalisée. Et surtout, les
Chinois ne se positionnent plus sur
les entrées de gamme d’un côté et
sur les très grands crus de l’autre.
Désormais, ils se tournent vers les
vins de milieu de gamme », explique ce négociant à la tête de
Grandissime.
Même son de cloche à l’UDP
ça marche aussi…
>>« Bordeaux fête le vin » est un succès en France,
comme à l’étranger. Après avoir démarré à Bordeaux,
cette opération s’est déclinée au Québec, à Bruxelles
et à Hong Kong. À chaque fois, le public est venu
très nombreux déguster les vins de Bordeaux et
rencontrer les producteurs. Françoise Lannoye,
présidente de Castillon Côtes de Bordeaux, appelle
de ses vœux une déclinaison de cette manifestation
à Berlin et à Londres.
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La Vigne - N° 282 - janvier 2016
>>Le SME (Système de management
environnemental du vin de Bordeaux) s’est bien
enraciné. Créé en 2010 avec 27 entreprises, il a
pour objectif de diminuer l’impact de la filière sur
l’environnement tout en améliorant ses performances.
Il réunit aujourd’hui 350 sociétés (94 % de propriétés
viticoles, 5 % de négoces et 1 % de caves), soit
13 000 ha. En 2015, le SME a bénéficié du label GIEE
pour trois projets innovants.
Saint-émilion, une coopérative
qui réalise 52 % de son activité à
l’export, dont 4 % en Chine. « Le
temps est loin où les importateurs
se lançaient dans le vin sans expérience et achetaient à tour de bras.
Aujourd’hui, les comportements
sont plus matures. Et les produits
de milieu de gamme de plus en
plus appréciés. Tous ces facteurs
participent à cette dynamique »,
indique Thierry Castells. Le directeur commercial de la cave
revient de ProWine China, à
Shanghai, où il a fait de bonnes
rencontres. « Nous avons pu mesurer le sérieux des opérateurs qui
connaissent de mieux en mieux les
AOC, savent mieux déguster et sont
raisonnables dans leurs demandes
de stocks. » L’UDP y a conclu des
affaires, concrétisées par l’envoi
d’un container de saint-émilion
grand cru à un importateur spécialisé, entre autres, dans la bière.
À Puisseguin, Françoise Lan-
bonnes nouvelles
de nos régions
noye garde encore en mémoire
le coup d’arrêt des ventes en
Chine en 2013. Sa propriété
Moulin de Clotte – 12 ha en AOC
Castillon Côtes de Bordeaux –
produit 600 hl (20 % en vrac et
80 % en bouteilles). L’export, axé
vers les États-Unis, la Chine et la
Belgique, représente 50 % de son
activité bouteille. En 2013, tout
s’arrête. Ce n’est que fin 2014
que les affaires reprennent.
Deux des trois importateurs
avec lesquels elle travaillait passent à nouveau des commandes.
Un an plus tard, les exportations
vers la Chine représentent la
valeur d’un container et demi,
soit 15 000 à 18 000 bouteilles.
Pas question de relâcher l’effort.
Bonneau, du Château Haut-Grelot (65 ha, AOC Blaye Côtes de
Bordeaux, 35 % à l’export), pour
s’attaquer au marché chinois.
Les deux compères écument les
salons de Hong Kong, Shanghai
et Taïwan. « Nous avons mutualisé les frais et nos contacts. Seul,
je serais allé moins vite », confie
Julien Bonneau. Les commandes
tombent. Mais Florent et Julien
ne sont pas au bout de leurs surprises. « On s’est vite rendu compte
que nos importateurs ne connaissaient pas bien leur marché interne,
les réseaux de distribution. »
Lors de leurs voyages à Shanghai, ils endossent le costume
de pédagogue. « On a expliqué
l’histoire des vins de Bordeaux et
la façon de déguster devant des
auditoires de cent cinquante chefs
d’entreprise réceptifs. On a éduqué
leur palais », se souvient Florent
Caldier. En septembre dernier,
Château Haut-Grelot a embauché
une commerciale chinoise pour
l’export, histoire d’intensifier son
ancrage dans ce pays.
Dominique Galineau écoule 50 %
de sa production en partenariat
avec le négoce. Il vend l’autre
Philippe Hébrard, directeur
général de la cave de Rauzan.
Françoise Lannoye doit trouver
un troisième importateur pour
ce marché qu’elle considère aujourd’hui beaucoup plus « mature ». « Les relations commerciales
se construisent davantage dans la
sérénité », explique-t-elle.
« Nous nous retrouvons face à une
nouvelle génération d’interlocuteurs, plus rigoureuse et plus sélec-
tive dans la qualité et les produits
recherchés, souligne Florent Caldier, responsable commercial du
Château Haut-Segottes à Saintémilion (9 ha en Saint-émilion
grand cru, 65 % à l’export dont 5 %
en Chine, Hong Kong et Japon).
Pour autant, nous n’observons pas
une forte poussée des ventes en
Chine. »
En 2011, il décide de s’associer
de façon informelle à Julien
moitié directement à l’exportation, en Chine essentiellement.
à la tête du Château Bellevue Favereau (55 ha en AOC Bordeaux
et Bordeaux supérieur), c’est en
2004 qu’il entre de plain-pied
sur ce dernier marché par l’intermédiaire de la chambre d’agriculture de la Gironde qui amène
des Chinois sur son domaine.
Ses vins ronds et fruités plaisent.
Très vite, il noue un partenariat
avec deux gros importateurs
et une kyrielle de plus petits. Il
expédie aujourd’hui 90 000 bouteilles par an.
« Je vends en Chine à un prix plutôt bas. Mais, à bien y regarder,
je ne vendrais pas plus cher dans
les grandes surfaces françaises »,
souligne-t-il. Pour répondre à la
demande chinoise, le viticulteur
investit dans un chai de 400 m2
qui va lui permettre d’embouteiller sur place (3 000 bouteilles
par heure). Un investissement de
400 000 euros qui sera opérationnel en février prochain.
À Ladaux, les Vignobles Ducourt
réalisent 6 % de leurs exportations avec Hong Kong et la Chine.
C’est le fruit d’un travail engagé
depuis huit ans par cette importante propriété familiale
(450 ha, 2,5 millions de cols
dont 70 % à l’export). Deux fois
par an, Jonathan Ducourt se rend
à Hong Kong pour rencontrer
l’importateur avec qui il collabore
depuis le début. Ce dernier distribue les vins des Ducourt à un réseau de cavistes. Dans le reste de
la Chine, les affaires se révèlent
plus compliquées : « Il est difficile
d’avoir des importateurs attitrés.
Certains commandent une année et
mettent deux ans pour digérer leur
stock. Il faut constamment recruter
de nouveaux clients. »
Pour assurer son assise, Jonathan Ducourt tisse patiemment
son réseau. « Il faut aller à la rencontre de la communauté chinoise
car elle peut vous ouvrir les bonnes
portes. Ainsi, j’interviens dans une
formation commerciale, à Libourne,
qui accueille des étudiants chinois.
C’est un vivier. » Mais, avant tout,
Jonathan dispose d’un atout majeur : Li Lijuan. Il y a trois ans, il
dominique galineau, Château
Bellevue Favereau. © A. gilbert
rencontre cette Chinoise qui a
fait ses études dans une école de
commerce française et qui parle
couramment cinq langues. C’est
le coup de foudre. Aujourd’hui,
agent immobilier chez MaxwellStorrie-Baynes, Li Lijuan négocie
l’achat de châteaux viticoles pour
ses compatriotes. Surtout, elle
est devenue la fiancée de Jonathan Ducourt à qui elle fait comprendre au quotidien la culture
chinoise.Colette Goinère
14 %
C’est la hausse enregistrée
à fin septembre 2015 pour
les exportations de bordeaux
en Chine. Le chiffre d’affaires
sur cette même période croît de
11 %, avec 254 millions d’euros.
Source : CIVB.
ça pourrait aller mieux…
>>Pour nombre de vignerons, les cours ne sont pas
encore assez hauts pour engager des investissements
lourds et pour assurer la pérennité des propriétés
qui vendent en vrac. Le bordeaux rouge est passé
de 115 €/hl en 2012-2013 à 135 €/hl en 2014-2015.
Néanmoins, d’après Philippe Abadie, responsable du
service développement de la chambre d’agriculture
de la Gironde, « les prix restent acceptables ».
>>Dans les grandes surfaces françaises, les ventes
de vins de Bordeaux (toutes AOC) ont chuté de 7 %
en volume durant les 12 mois arrêtés fin août 2015
par rapport aux 12 mois précédents. Les ventes de
Bordeaux à moins de 3 € la bouteille plongent. Le cœur
de gamme (de 4 € à 15 €) progresse, mais pas assez
pour compenser l’écroulement des premiers prix.
>>À l’exportation, des difficultés apparaissent
sur d’autres marchés que la Chine. Sur douze mois
arrêtés à fin septembre 2015, Bordeaux a exporté
2 millions d’hectolitres de vins (toutes AOC), soit
8 % de moins que durant les 12 mois précédents.
Mais la valeur, elle, progresse de 2 % pour atteindre
1,8 milliard d’euros. Les plus gros ralentissements
s’observent en Allemagne (- 29 %), au Royaume-Uni
(- 18 %) et en Belgique (- 11 %).
>>Les vignerons déplorent les limitations portant
sur les cépages résistants. Jonathan Ducourt, des
Vignobles Ducourt, est formel : « Trop de contraintes
administratives entourent l’expérimentation des
cépages résistants. Trop timoré, on ne va pas assez vite,
contrairement à d’autres pays tels que l’Italie. »
La Vigne - N° 282 - janvier 2016
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