Peut-on encore jouer avec le feu dans un contexte climatique
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Peut-on encore jouer avec le feu dans un contexte climatique
CHOS DE LA RECHERCHE Sous cette rubrique, la rédaction de La Forêt offre au Site de Lausanne de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage la possibilité de renseigner ses lecteurs sur l’avancement des différents travaux du WSL. Incendies de forêts Peut-on encore jouer avec le feu dans un contexte climatique changeant? A La forêt, le climat et l’homme Les forêts subissent et s’adaptent au climat de manière spectaculaire. Preuve en est la multitude de forêts qui se succèdent à la surface du globe, de l’équateur aux régions polaires. Les stratégies d’adaptations aux conditions du milieu sont mul- *Michael Reinhard est Docteur ès sciences de l’EPFL où il enseigne le développement durable et fait de la recherche dans le domaine des interactions entre les systèmes naturels et sociaux. Il est licencié en géographie de l’Université de Genève et M. Phil. en environnement et développement de l’Université de Cambridge (GB). Lors de sa thèse de doctorat, il était rattaché à l’institut fédéral de recherches WSL. 22 LA FORÊT 6/07 le cycle des feux est perturbé par cette incursion urbaine. D’autre part, les activités de loisirs, comme les pique-niques, augmentent dans ces zones périurbaines. Un feu a donc davantage de risque d’être déclenché de main humaine et, le cas échéant, le feu devient plus intense car il y a une quantité plus importante de matière combustible en forêt. Un climat de plus en plus sec pourrait donc engendrer des feux encore plus dévastateurs et exacerber le risque d’inflammabilité des litières et des arbres. Le paradigme est similaire en Europe méditerranéenne où les sécheresses deviendront plus fréquentes et intenses à l’avenir3. Par Michael Reinhard* tiples et les essences végétales prennent des formes et des stratégies de survie des plus variées, à l’image du baobab d’Afrique qui stocke des quantités importantes d’eau dans son tronc pour survivre à la saison sèche. En Australie, les espèces végétales sont bien adaptées au climat et ont même besoin de perturbations régulières pour survivre à long terme. C’est le cas, par exemple, des forêts d’eucalyptus dans lesquelles le passage régulier de feux régule la biomasse (Figure 1). Les feux spectaculaires qui y sévissent ces dernières années sont notamment dus à une pénétration massive de l’espace urbain dans la forêt. D’une part, la biomasse augmente drastiquement dans certaines zones car Etat des litières et inflammabilité Photo: Michael Reinhard (New South Wales, Australie) l’heure du réchauffement climatique, les interactions entre le milieu naturel et la société prennent une place prépondérante dans l’avènement de catastrophes. Mais les mécanismes menant à ces dernières sont encore mal compris. Les incendies de forêt en sont un exemple flagrant. Pleins feux sur un phénomène mal connu, à l’heure où l’Europe occidentale entre dans la saison estivale. Le climat se réchauffe, c’est un fait scientifique1. Mais que toutes les variables climatiques se modifient n’est pas encore acquis du public. Les précipitations moyennes n’ont que faiblement augmenté au cours du dernier siècle et leur variabilité s’est accentuée au point que les sécheresses sont devenues plus intenses et fréquentes en Suisse. Le phénomène pourrait s’amplifier à l’avenir chez nous et tout particulièrement au sud du pays2. C’est dans ce contexte que se trament des situations où les risques de feux sont accrus. Si les feux ne se génèrent pas spontanément (il faut une source d’incandescence adéquate), la diligence individuelle est plus que jamais cruciale pour ne pas voir des forêts entières réduites en cendres. Rappelons que, outre ses fonctions écologiques, économiques ou sociales, dans les régions montagneuses, les forêts protègent la population et les infrastructures civiles des dangers naturels. Au cours des dernières décennies, la biomasse végétale des forêts méditerranéennes a augmenté suite à l’abandon d’activités sylvo-pastorales traditionnelles en milieu forestier, comme le broutage ovin et l’abandon de la récolte des feuilles mortes et du branchage pour la litière des écuries. Dans les régions du nord des Alpes et dans le Jura, le matériel combustible sur pied, dont les épicéas morts, pourrait également augmenter, notamment à cause de parasites comme le bostryche. Il existe différents types de feux (litière, sous-bois ou couronne), mais, pour tout type de végétation, l’inflammabilité dépend de l’humidité ambiante. Plus il fait sec, plus le risque est accru. Cependant, la rapidité d’incandescence des litières dans des conditions d’humidité normales et sèches ne diffère pas significativement dans certains cas. De ce fait, même en conditions normales, des feux peuvent partir très facilement. Les différences dans la rapidité d’incandescence et de propagation du feu s’observent selon l’essence végétale et le taux de compaction de la litière. Au Tessin, les espèces exotiques introduites dans les jardins s’implantent Fig. 1: L’eucalyptus, une espèce adaptée aux feux. Des rejets s’observent sur le tronc calciné. Perception et comportement humain Le facteur humain est la cause principale du déclenchement des feux en Europe méditerranéenne, même si les causes naturelles, foudre et orages secs, sont en légère augmentation ces dernières décennies. La négligence est la base de la majorité des feux, mais les actes criminels et la pyromanie restent des réalités encore mal comprises. Dans un effort de mieux saisir ce qu’est la négligence, 1148 Tessinois(e)s ont répondu à une grande enquête sur la forêt et les feux. L’enquête a eu lieu au cours de l’hiver 2004-2005. Toutes les catégories sociales et régions étaient représentées dans cette enquête3. Dans le cas du Tessin, la perception de la population face à la nature et la forêt en particulier est très positive. On apprécie la forêt pour le délassement, mais celle-ci a surtout une utilité écologique. Cependant, malgré cette vision a priori «écolo» du milieu forestier, les attentes populaires sont en inadéquation avec une forêt naturelle. En effet, la population voudrait voir la forêt très «propre», nettoyée du bois et des feuilles mortes, sans arbres tordus et avec des sentiers d’accès bien balisés. Cette distorsion entre la perception d’une forêt naturelle et sa vision idéale pourrait amener à des comportements dédaigneux. Fait très marquant, il ressort de cette enquête que les personnes interrogées ont une idée fausse de la saisonnalité des feux et estiment mal le risque: ce n’est pas forcément lorsqu’il fait le plus chaud que les feux se déclarent, mais bien lorsqu’il fait le plus sec (Figure 2). Nous avons observé ce phénomène en Valais, au Jura, à Neuchâtel, Schwytz et Schaffhouse, où des feux se sont déclenchés au mois d’avril. Au Tessin, les feux sévissent principalement en mars et en avril, alors que la population fait référence à l’été comme la période à plus grand risque. On relève de cette enquête qu’un nombre important de personnes a observé des comportements dangereux en cas d’interdiction générale d’allumer des feux. Les Saisonnalité des incendies de forêts au Tessin (1970-2002) % de feux enregistrés vs. perçus peu à peu dans les forêts voisines avec les effets d’un climat plus doux et comptent parmi les plus inflammables. Parmi ces espèces très inflammables, on observe le laurier (Laurus nobilis) ou le chèvrefeuille du Japon (Lonicera japonica). Il en est de même pour le châtaignier (Castanea sativa), espèce introduite par les Romains et dominante dans les forêts de basse et moyenne altitude. Ainsi, le risque de voir se déclencher des incendies est évidemment très grand dans ces zones habitées.3 Source: WSL Bellinzona & M. Reinhard, 2006 CHOS DE LA RECHERCHE 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Statistique officielle Perception populaire Hiver DEC JAN FEV Printemps MAR AVR MAI Eté JUN JUL AOU Automne SEP OCT NOV ne sais pas autre Saison Fig. 2: Différence entre la perception de la saisonnalité des feux et les feux effectifs au Tessin. activités de barbecue, qui ont souvent lieu près des zones habitées, sont le plus souvent mentionnées. En outre, la population perçoit le risque principalement dans les zones plus éloignées. Les avis de risque et la localisation de ce dernier ne sont donc pas systématiquement pris au sérieux, alors qu’un seul comportement déviant suffit à engendrer un sinistre. Il est intéressant de noter encore qu’en montagne, on comprend mieux les mécanismes menant aux feux qu’en zone urbaine ou fond de vallée, alors que la vision positive et l’attitude écologique envers la forêt et plus forte au sein de la population citadine. Vers un changement dans la prévention La lutte antifeu est la réponse traditionnelle pour faire face aux incendies de forêt. Il s’agit notamment de la formation et l’organisation des corps de pompiers, de la mise en piquets d’hélicoptères, de Canadairs, de la construction de bassins d’eau, de l’amélioration du réseau de bornes hydrantes et de la réalisation de coupe-feux, comme des couloirs ras ou des routes d’accès. Toutes ces mesures immédiates sont très efficaces en cas d’incendies, mais se concentrent sur l’élément feu. La question est de savoir maintenant si davantage d’efforts pourraient être investis dans la prévention des causes de feux, en améliorant l’information et en responsabilisant les individus face à la négligence. Il existe des pistes en ce sens. Au Tessin, une exposition scolaire itinérante sensibilise les jeunes à la problématique. De telles campagnes se sont avérées efficaces dans le passé, à l’image du succès du tri des ordures ménagères. De même, pour les personnes extérieures à une zone sensible, comme les touristes, on pourrait imaginer une sensibilisation à l’arrivée dans les gares, ou le long des axes principaux de la région. Des panneaux indiquant quotidiennement le risque de feu, comme ceux signalant le risque d’avalanche en montagne, devraient également faire leur preuve. À l’avenir, avec l’augmentation de la biomasse en forêt et des conditions climatiques renforçant l’assèchement des combustibles, il faudra considérer les feux davantage comme régulateur de végétation dans la gestion forestière et traiter les causes d’incendies à la base, surtout là où les forêts protègent. Cela sera valable tant au nord qu’au sud des Alpes. Etes-vous intéressés par ce sujet ? N’hésitez pas à nous contacter: Michael Reinhard EPFL - ENAC - ISTE - ECOS Station 2 1015 LAUSANNE 15 Tél. 021 693 57 74 Fax 021 693 39 13 courriel: [email protected] 1 IPCC, 2007. Climate Change 2007, Summary for Policy-makers, Cambridge University Press, Cambridge. 2 OCCC, 2007: Climate Change 2050: the Swiss perspective, Organe consultatif sur les Changements Climatiques, Berne. 3 REINHARD, M. 2006. Prevention of Forest Fires in a Changing Climatic Context: a Social and Environmental Approach in Ticino, Southern Switzerland, Thèse EPFL N° 3416 (2005), EPFL, Lausanne. 23 LA FORÊT 6/07