Interview de Paul Misraki - Gimello

Transcription

Interview de Paul Misraki - Gimello
Interview de Paul Misraki
à l'occasion des 90 ans du compositeur.
par Frédéric Gimello-Mesplomb,
Paris, janvier 1998.
Compositeur de film renommé et auteur de quelques-unes unes des plus célèbres ritournelles d'avant-guerre (Sur
deux notes, Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?, Insensiblement, Tiens, tiens, tiens, Tout va très bien,
Madame la Marquise...), Paul Misraki venait de fêter ses 90 printemps. Occasion d'évoquer les aléas d'une carrière
placée sous le signe de la chance et du hasard, tout en préparant la sortie prochaine d'une anthologie de ses musiques
de film. Paul Misraki décédera peu de temps après cet entretien, qui reste le dernier accordé par le compositeur.
C'est un petit immeuble discret, dans une ruelle coquette du 16 ème arrondissement. Au côté de l'ascenseur, sur
l'interphone en laiton, deux initiales aux résonances bien sibyllines pour le néophyte : " P.M. " Il faut en effet
préciser ici que " Monsieur Paul ", tel qu'on l'appelle dans le quartier, n'a plus vraiment besoin d'être présenté.
Auteur d'un parcours exceptionnel dans la chanson comme au cinéma, sociétaire de la SACEM depuis plus de 70
ans, Paul Misraki coule désormais les jours heureux des grands-pères comblés. Pourtant, rien ne prédestinait au
départ ce fils d'assureur, né en 1908 à Constantinople, à épouser la voie de la scène :
Frédéric Gimello-Mesplomb : On dit que votre père se morfondait dans son étude en répétant ces paroles angoissées:
" Mais qu'est-ce qu'on va bien faire de ce garçon ? ". Quelle est la raison qui vous a finalement poussé à devenir
musicien ?
Paul Misraki : J'adorais la musique depuis tout gosse. J'avais un oncle, musicien amateur, qui m'épatait en jouant du
piano. Aussi, j'ai voulu faire en quelque sorte " comme l'oncle André ". Quand j'ai eu 7 ans, j'ai composé ma
première musique, une petite valse. A partir de là, j'ai continué en autodidacte jusqu'à l'âge de 20 ans environ,
époque où je suis devenu pianiste dans l'orchestre de Ray Ventura.
FGM : Comment composiez-vous à ce moment-là ? A l'oreille ?
PM : J'avais déjà écrit une opérette entière avant de travailler pour Ventura. J'étais déjà capable d'écrire ma propre
musique...
FGM : ...Vous décidez pourtant, en 1929, d'aller prendre des cours particuliers d'écriture auprès de Charles
Koechlin, alors professeur au Conservatoire. C'est paradoxal...
PM : Oui, disons que j'ai véritablement appris à ce moment-là à écrire de la bonne musique, à l'orchestrer
convenablement et à écrire pour grand orchestre.
FGM : Le travail de Koechlin, véritable passionné de cinéma (auteur d'une sulfureuse et superbe Seven Stars'
Symphony dédiée à 7 stars du cinéma dont Greta Garbo et Chaplin), ne vous a t-il pas, consciemment ou non,
orienté sur la voie de musiques orchestrales " imagées " à destination de l'écran?
PM : Non, et pour une raison évidente : à l'époque où j'étudiais chez Koechlin, en 1929, le cinéma n'était pas encore
sonore. Il n'y avait pas encore le " style " musique de film qui viendra plus tard avec les grandes partitions
symphoniques.
FGM : Après être devenu le compositeur de chanson le plus demandé des années 30 et avoir fait notamment chanter
Suzy Delair et Joséphine Baker, la guerre anéantit vos projets...
PM : Je suis parti en effet dans le midi, en zone non occupée, où j'ai composé dans un appartement où se trouvait un
piano que l'on m'avait prêté, l'une de mes chansons préférées, " Insensiblement ". J'ai reçu quelques jours plus tard
un coup de fil de Ventura qui emmenait toute sa bande en Amérique du Sud, via l'Espagne. Après le Brésil, je me
suis retrouvé à Buenos Aires. Le hasard, qui a été dans ma vie à l'origine de beaucoup de choses, m'a fait rencontrer
là bas l'interprète de l'une des opérettes que j'avais autrefois composées en France, laquelle m'a mis en relation avec
le monde du cinéma à Buenos Aires. J'ai ainsi composé durant la guerre la musique de 8 films argentins.
FGM : La suite est plus connue...
PM : Après la guerre, le retour en France exigeait un passage par New York. Vous me croirez si vous voulez, mais
le hasard avec un grand H, le même auquel je faisais allusion tout à l'heure, m'a fait rencontrer au mois d'août 1945,
dans une rue de Broadway, le producteur d'un des films pour lesquels j'avais jadis travaillé en France. Ce dernier
était en train de monter aux Etats-Unis le remake d'un film d'Henri Decoin, " Battements de cœur ", que j'avais mis
en musique en 1938. C'est ainsi que je me suis retrouvé à Hollywood, fin 1945, pour travailler sur " Heartbeat ",
réalisé pour la RKO par Sam Wood, l'un des metteurs en scène non-crédités d'Autant en Emporte le Vent. J'y suis
resté six mois.
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[Pour des raisons de droits, intégralité de l’interview disponible sur demande auprès de l’auteur de l’entretien ]