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Søren Kierkegaard
par PASCAL JANIN
Le concept d’angoisse, Simple réflexion psychologique pour servir d’introduction au problème dogmatique du péché héréditaire, par Vigilius Haufniensis, 1844
« A la métaphysique du savoir absolu (qui expose et escamote le « devenir » en le résorbant
dans la négativité et inversement) Kierkegaard oppose le mystère de l’avènement adamique
de l’homme moral/réfléchissant/parlant : démystificateur à la fois de la science et de la fable
(de la métaphysique et de la dogmatique chrétienne), Kierkegaard propose l’hypothèse d’une
élucidation « psychologique » du péché originel. » (Gérard Bucher, l’autre commencement –
Archéologie du religieux immémorial, Belin 2011, p 293)
Il ne s’agit pas de faire d’Adam le seul fautif parce que ce serait le faire sortir de l’humanité.
Or tout individu, et donc lui aussi, est à la fois inséparablement lui-même et toute l’espèce. Ce
qu’Adam a vécu ne diffère pas qualitativement que ce que nous vivons tous : « l’interdit inquiète Adam parce qu’il éveille en lui la possibilité de la liberté. Ce qui s’offrait à l’innocence
comme le néant de l’angoisse est maintenant entré en lui-même, et ici encore reste un néant :
l’angoissante possibilité de pouvoir ». Parce que l’angoisse est « le vertige de la liberté, qui
nait parce que l’esprit veut poser la synthèse et que la liberté, plongeant alors dans son propre
possible, saisit la finitude et s’y accroche ». S’il peut y avoir péché (à entendre dans un sens
non religieux), c’est parce que l’homme n’est pas seulement un corps et une âme… Il est aussi
spirituel ! « L’apparition de l’angoisse est le centre de tout le problème. L’homme est une
synthèse d’âme et de corps. Mais cette synthèse est inimaginable, si les deux éléments ne
s’unissent dans un tiers. Ce tiers est l’esprit (…) Au moment où l’esprit se pose lui-même, il
pose la synthèse mais pour la poser, il doit d’abord an agent diviseur la pénétrer (…) Cette
pointe extrême, l’homme ne peut l’atteindre qu’au moment où l’esprit se réalise. Avant ce
temps il n’était pas animal, mais au fond pas d’avantage homme, ce n’est qu’au moment de
devenir homme, qu’il le devient aussi du fait d’être en même temps animal »
Or l’esprit pénètre, divise… en parlant ! En prononçant une parole plutôt incompréhensible,
un interdit assorti d’un éventuel châtiment (Adam ne peut comprendre ce que veut dire mourir !). Mais ajoute notre Vigilius, si cette évocation d’une voix extérieure pose problème, « on
n’a donc qu’à supposer qu’Adam s’est parlé à lui-même » ! Lacan avant Lacan ! Plus encore :
pour Kierkegaard, le lieu par excellence de cette synthèse de l’animalité et de l’humanité est
la sexualité (p 177 : la différence sexuelle comme appétit) ! On retrouve alors le vieux thème
augustinien de la concupiscence mais complètement revisité… Freud n’aura qu’à se servir.
« L’innocence (adamique) est ignorance. Dans l’innocence, l’homme n’est pas posé comme
esprit ; il est une âme en union immédiate avec son naturel. L’Esprit est en lui comme un rêve
(…) Cet état comporte la paix et le repos ; mais en même temps, il implique autre chose qui
n’est ni la discorde ni la lutte ; car il n’y a rien contre quoi combattre. Qu’est-ce donc ? Le
rien. Mais quel effet produit ce rien ? Il engendre l’angoisse. Le profond mystère de
l’innocence, c’est qu’elle est en même temps angoisse » ! (p 144)
Suit la chute : conséquence ? Double : « le péché entra dans le monde, et le sexuel fut posé,
l’un étant inséparable de l’autre. Cela est d’une extrême importance pour montrer l’état originel de l’homme. Si en effet il n’était une synthèse fondée sur un troisième terme, une chose ne
pourrait avoir deux conséquences. S’il n’était pas une synthèse d’âme et de corps portée par
l’esprit, le sexuel ne pourrait jamais intervenir avec la culpabilité (…) ce n’est que dans le
sexuel que la synthèse est posée comme contradiction, mais en même temps, suivant le propre
de toute contradiction, comme tâche dont l’histoire commence au même moment. C’est la
réalité qui est précédée par la possibilité de la liberté. Mais la possibilité de la liberté ne consiste pas à pouvoir choisir le bien ou le mal (…) La possibilité consiste à pouvoir. Dans un
système logique, il est assez facile de dire que la possibilité se transforme en réalité. En fait,
les choses ne sont pas si simples, et il faut une instance intermédiaire. Cette instance intermédiaire, c’est l’angoisse » (p 151). Le vertige devant le possible !
Angoisse objective : la répercussion de la culpabilité venant avec la génération : on désire
sortir de la culpabilité, associée au monde sensible mais sans y réussir (p 165. p 174 : « nous
ne disons pas que le sensible est la culpabilité mais que le péché le transforme en culpabilité », notamment par le savoir historique qu’il reçoit. Id. pour la temporalité : p 191)
Déclinons l’angoisse :
Angoisse subjective : le vertige de la liberté, quand l’esprit veut poser la synthèse et que la
liberté saisit le fini et succombe dans ce vertige : p 163 : à lire. (p 165-167 : la femme…)
Angoisse devant le mal : elle nie le péché comme « réalité illégitime ». (211 et sv)
Angoisse devant le bien : le démoniaque, « l’esprit qui s’enferme (se replie) en lui-même et
sa manifestation involontaire » (p 220)
On ne guérit pas de cette blessure de l’angoisse : heureusement, puisque l’angoisse sauve par
la foi ! « L’angoisse est la possibilité de la liberté ; seulement, grâce à la foi, cette angoisse
possède une valeur éducative absolue ; car elle corrode toutes les choses du monde fini et met
à nu toutes leurs illusions (…) L’école de l’angoisse est celle de la possibilité, et il faut être
instruit par celle-ci pour l’être selon sa propre infinité ». Ignorer l’angoisse signifie
l’insensibilité spirituelle.
Je termine par la catégorie de passage (p 181 sv). Si l’homme est synthèse d’âme et de corps,
mais il en même temps « une synthèse du temporel et de l’éternel » (p 185) mais dans cette
dernière, il n’y a pas de tiers ! « L’instant désigne le présent tel quel, sans passé ni avenir ;
c’est en cela que consiste l’imperfection de la vie sensible. L’éternel aussi désigne le présent
sans passé ni avenir, et c’est en cela que consiste la perfection de l’éternel »…
De quoi aller vers Sein und Zeit !
Pascal Janin
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