groupe de parole du 15 mars 2014

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groupe de parole du 15 mars 2014
GROUPE DE PAROLE DU 15 MARS 2014 Je tiens avant tout à remercier les participants à ce groupe de parole pour leur présence, leur
écoute, leurs partages ; pour les moments difficiles, comme pour les sourires qui ont ponctué
ce rendez-vous. Pour leur générosité ; et surtout, pour leur combativité et leur envie d’avancer
en comprenant et en surmontant des souffrances vécues.
La richesse de ce groupe tient entre autres de sa diversité et de sa mixité : hommes, femmes,
enfants devenus adultes, parents, ex conjoint(e)s de personnalités toxiques, celles et ceux qui
s’y retrouvent le font pour confronter une problématique commune, partager des expériences,
des vécus, et proposer des pistes de réflexion et de solutions.
Les groupes de parole permettent de sortir de l’isolement dans lequel plonge la relation
toxique, que ce soit avec un conjoint, un parent, ou un enfant. La démarche consistant à
s’informer, à prendre contact, puis à venir participer est loin d’être banale. La victime en
souffrance, se sent le plus souvent «différente», incomprise. Elle culpabilise en ayant peur
d’envahir ses proches, de ne pas être crue, de ne pas être acceptée. Elle même a souvent du
mal à mettre des mots sur ses ressentis.
Lors de notre dernier groupe, nous avons accueilli, entre autres, Églantine Lhernault.
Églantine est venue nous parler de son propre vécu, en tant qu’enfant de père violent
psychologiquement. Elle nous a également présenté son livre : Invisible violence, dans lequel
elle raconte son histoire, sans compassion, sans complaisance, sans exhibitionnisme.1
Lors de ce groupe, de nombreux points ont été abordés. Notamment :
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Pardonner ou non à son bourreau, à celui/celle qui a mis sous emprise.
Comment nommer celui / celle par qui le mal est arrivé ?
Protéger les enfants, comment, et jusqu’où peut-on les protéger ?
Accepter son passé pour construire son futur et vivre son présent
Un crime latent, déguisé, enfoui dans le secret familial, protégé par des raisons
culturelles ou sociales : l’incestuel.
1 Invisible violence, ed. Les 2 encres, collection encres nomades. « Ma mère a épousé son psy et me voici. Ou, plutôt, mon père a épousé sa patiente et me voici. Ce sera ça l’histoire. Une histoire qui pourra sembler banale. Ordinaire. D’une à qui on a rien demandé. D’une qui s’interroge trop. D’une qui souffre et qui se tait. D’une qui a appris à aimer la vie, malgré les nœuds dans la tête et les bâtons dans les roues. Mais derrière le banal il y a l’innommable. Le monstre que l’on ne peut pas montrer. La vérité invisible et indicible. » Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 Je commencerai dans cette note par revenir sur la notion d’incestuel, mal connue, mal
comprise, et de ce fait, aux conséquences trop souvent ignorées.
L’incestuel est un néologisme créé par Paul-Claude Racamier2 (médecin psychiatre) destiné à
expliquer la notion d’ambiance trouble dans une famille, sans passage franc à des actes
sexualisés. Il définit un climat malsain et délétère où les relations revêtent un caractère
incestueux.
Le parent s’approprie le corps de son enfant sans le différencier de lui-même en toute bonne
foi, sous couvert de principes éducatifs ou pour la santé de son enfant. Le parent n’est pas
forcément conscient, ni de son érotisation si c’est le cas, ni des dégâts infligés à son enfant.
L’incestualité désigne un climat familial dans lequel l’enfant est amené contre son gré, par
une violence encore plus pernicieuse que dans l’inceste, à accueillir les désirs sexuels d’un ou
des deux parents abuseurs et à les satisfaire au prix de sa propre sexualité.
Il constitue une forme de ce que l’on est en droit d’appeler un « meurtre psychique ».
Ce sont généralement des familles à caractère dramatique sou tendu par l’insécurité et le
manque de confiance, l’angoisse de mort et l’angoisse d’abandon. Elles n’ont donc pas
intégré la notion de limite constructive que ce soit les règles de fonctionnement saines de la
famille ou la loi sociale. Elles se caractérisent par le clivage entre le cœur et le corps
(sexualité niée ou débridée), l’auto-destruction (suicides, accidents graves, morts d’enfants ou
nombreuses maladies graves), des actes hors la loi, la déstructuration à travers la confusion
des rôles familiaux, la recherche régressive de fusion avec l’autre et une préoccupation
importante de l’image sociale ou une totale inconscience empêchant la famille de voir ses
propres traumatismes. Plus le nombre de ces critères sera présent, plus la famille est
pathologique.
Il faut rappeler que l’inceste ou l’incestuel touchent toutes les catégories sociales sans
exception.
Il n’est pas rare d’entendre des cas de climats incestuels qui se sont mis en place sous l’œil
bienveillant de l’entourage qui a souvent fait mine de ne pas voir. La négation de l’incestuel
(tout comme celle de l’inceste) est assimilé à une deuxième trahison. D’une part la protection
attendue n’a pas été au rendez-vous. D’autre part, une chape de culpabilité se met en place car
la personne concernée se surprend à penser qu’elle a exagéré les événements.
Le climat incestuel est une vraie relation incestueuse. L'enfant n'est pas envisagé dans son
statut d'enfant et de descendant. Les adultes se l'approprie et l'empêche de se discerner d'eux.
Comme l'inceste "vrai", consommé, le climat incestuel transforme l'enfant en objet. Le climat
incestuel est d'autant plus pernicieux qu'il ne s'exprime pas vraiment, qu'il repose sur des
sensations. L'enfant est dans le flou. Se fait-il des idées ?
À l'âge adulte, l'autonomie est difficilement acquise puisque l'enfant appartient au(x)
parent(s). L'adulte reste infantilisé. Il n'a pas le droit et ne peut se détacher. Il n'arrive pas à
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Racamier est le premier à introduire en France la notion de pervers narcissique. Il définit ainsi le mouvement pervers
narcissique : « Façon organisée de se défendre de toute douleur et contradiction interne en les expulsant sur quelqu’un en se
survalorisant, tout cela aux dépens d’autrui et non seulement sans peine mais avec jouissance ; ou façon particulière de se
mettre à l’abri des conflits internes en se faisant valoir aux dépens de l’entourage. » (Racamier, 1992).
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 sortir de la fusion avec le(s) parent(s) incestueux. « Si la mère [perverse narcissique] «
entend donc inclure l'enfant en elle-même une fois pour toutes, cet enfant narcissiquement
séduit doit être comme s'il n'était pas né. Il ne faut pas qu'il opère cette seconde naissance
qu'est la naissance psychique ; il ne faut pas qu'il croisse, qu'il pense, qu'il désire, qu'il rêve.
Il restera pour la mère un rêve incarné : un fétiche vivant. Mais peut-il encore avoir des
rêves, celui qui est un rêve ? Pas plus que de rêver, il devra penser : la séduction narcissique
ne tolère ni le désir ni la pensée, qui sont preuves d'insurrection ». Et Racamier ajoute que
pour éviter qu'il ne soit, il faut le nourrir sans cesse. Pour éviter qu'il ne désire, il faut désirer
à sa place (et présenter cela comme une offre exceptionnelle, ajouterons-nous).
Loin de rester passif devant la séduction narcissique, le patient schizophrène soumet le
thérapeute aux mêmes miroitements. »3
La difficulté à cerner cette notion dans la clinique vient de ce qu’elle est marquée du sceau du
quotidien et du banal. Le reproche que certains font à l’incestuel est qu’il se rencontre partout
et que si tout est incestuel, alors plus rien ne l’est ; mais comme on l’a vu l’incestuel n’est que
l’excès et la poursuite indue de quelque chose de normal et de positif.
L’incestualité s’oppose justement à l’interdit, niant les différences entre les sexes, les êtres et
les générations. Le fait est que la problématique incestuelle, à des degrés très divers, envahit
aujourd’hui la clinique. Il y a quelque chose qui s’exprime là et qui renvoie à une difficulté de
relation entre le parent et l’enfant, quelque chose qui touche à l’intime de la relation.
L’enfant confronte l’adulte à l’enfant en lui, souvent non séparé complètement de ses propres
parents.
Cette remise en cause chez l’adulte s’exprime par un laxisme étonnant, une réelle difficulté à
prendre position face à l’enfant, à assumer sa place de parent qui pose les limites et détient la
loi pour le bien-être de celui-ci. Cette attitude peut être associée à un sentiment de culpabilité
qui pousse le parent à vouloir faire mieux ou autrement pour son enfant que ne l’ont fait ses
propres parents avec lui. Le risque est de basculer dans un trop grand laxisme et de laisser
l’enfant devenir « tout-puissant »
L’inceste se définit comme un rapport sexuel entre deux personnes de même parenté : d’un
parent sur son enfant ou d’un frère sur une sœur. L’inceste renvoie à un événement qui a eu
lieu effectivement, c’est une violence profonde, sans échappatoire, dirigée sur un corps
souvent physiquement plus faible et sexuellement immature. Il en ressort pour l’enfant le
secret, la honte, une culpabilité effrayante, une confusion et une perte de repères quant à ses
propres limites face à la violence de l’effraction. C’est l’inceste physique. Mais si l’inceste
exige un rapport sexuel, il n’est pas que cela, il est aussi un type de relation à l’enfant. L’idée
sous-jacente étant que l’évitement de l’acte sexuel incestueux n’évite pas toute relation
incestueuse. C’est là que nous abordons la notion d’incestuel.
L’incestuel serait « un inceste sans passage à l’acte ».
Il y a un point commun à ces deux phénomènes : en effet, tout « inceste », qu’il soit physique
ou moral est d’abord une emprise qui s’exerce à un niveau narcissique : « Ce sont des affaires
narcissiques avant d’être des affaires sexuelles.» dit Racamier. L’abus sexuel, quand il existe,
ne fait que prendre la relève de l’abus narcissique. Le narcissisme, tel est donc le registre
commun à l’inceste et à l’incestuel. L’incestuel ne peut surgir et persister que si la famille est
complice et contaminée. Dans l’incestuel, l’interdit social intériorisé fait défaut et est
3
A.Eiguer, Le pervers narcissique et son complice
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 remplacé par l’emprise, visant à dénier toute distance entre l’enfant et le parent risquant
d’entraîner la différenciation.
L’incestuel qualifie « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte
de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes
génitales ». L’accent doit porter ici sur « non fantasmé ». L’inceste fantasmé, comme le
meurtre fantasmé définit en effet l’œdipe. L’inceste et l’incestuel ne relèvent pas du fantasme
(du moins pas du fantasme mental) mais de l’agir (du fantasme agi).
À l’œdipe, Racamier oppose l’inceste : « L’inceste n’est pas l’œdipe, il en est même tout le
contraire. »
La relation incestuelle se définit comme « une relation extrêmement étroite, indissoluble,
entre deux personnes que pourrait unir un inceste et qui cependant ne l’accomplissent pas,
mais qui s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne » (1992).
Périandre, ce jeune homme devenu roi et qui tenta de s’émanciper de sa mère. Celle-ci
ne l’entendit pas ainsi et souhaitant conserver l’amour exclusif de son fils, elle tenta de
le séduire afin qu’il ne puisse jamais se séparer d’elle. Elle mit au point le stratagème
suivant : elle lui annonça qu’une femme amoureuse de lui viendrait le rejoindre la nuit
sur sa couche et qu’elle serait masquée afin de conserver l’anonymat.
La mère séductrice utilise alors ce subterfuge et pour séduire son fils, va le rejoindre
dans son lit sans se faire reconnaître. Résolu à percer ce mystère, Périandre découvrit
que cette amante merveilleuse était sa mère. L’histoire illustre les conséquences d’un
acte auquel, par complaisance il avait participé, en effet, lui qui avait été un jeune
monarque plein de promesses devint alors un épouvantable tyran.
Ce qui différencie l’œdipe de l’inceste est le secret qui fait alliance avec un déni, le déni de la
faute, le déni de la culpabilité. Si Périandre est aveugle c’est parce qu’il le veut bien :
l’obscurité dans laquelle l’inceste a lieu symbolise son désir de ne pas voir.
Racamier affirme : « Le patient qui couche avec sa mère le fait non parce qu’il la désire, mais
au contraire pour éviter de la désirer. L’acte pare au fantasme : l’inceste a une fonction, celui
de pare-feu libidinal. En exauçant le désir il vise à le tarir, évacué d’avance le désir sera
satisfait sans fantasme. Il ne reste rien à désirer. »
La banalisation apparaît comme un obstacle majeur à la possibilité de repérer l’incestuel dans
la clinique : la banalisation à voir avec ce que Racamier appelait « dénis diaphragmés ». Cette
banalisation est fréquente chez les pervers qui tentent de faire passer pour normales, voire
naturelles des conduites ou des situations familiales dans lesquelles des liens incestuels, voire
incestueux sont à préserver à tout prix et qu’il faut soustraire au regard du clinicien. Le plus
souvent, cette banalisation entretient un lien avec le déni de sens.
Chambre à coucher conjugale : son intimité et ses limites
Cette chambre est devenue de ce fait un lieu de rencontre de toute la famille, des enfants et
des amis des enfants, la télévision étant le prétexte à toutes les intrusions au point que ceux-ci
n’hésitent pas à se vautrer sur le lit conjugal pour regarder telle série télévisée ou tel dessin
animé : la confusion entre l’espace privé et public est prévalente et révélatrice d’incestualité.
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 Parmi ces objets, l’argent occupe une place centrale, mais on peut également citer les
vêtements, les bijoux, la nourriture : ces objets d’échange sont une façon d’entretenir une
relation incestuelle à défaut d’entrer dans un inceste proprement dit ; mentionnons également
le travail scolaire qui peut être utilisé comme prétexte d’un rapprochement physique ou d’une
relation d’emprise entre un enfant et un parent.
L’idée d’un cadre familial incestuel : il réside comme on l’a vu dans une confusion des places
au sein de la famille. L’incestuel commence avec l’exhibition sexuelle ou « inceste moral » :
les actes de faire l’amour devant son enfant, parader nu, tenir des propos à caractère sexuel,
visionner des films pornographiques avec son enfant... sont considérés comme relevant de
l’incestuel. Utiliser son enfant comme confident de ses aventures sexuelles, le photographier
nu ou dans des situations érotiques également.
L’atmosphère qui règne dans les familles incestuelles est à la fois saturée de sexualité latente
et marquée de la plus grande pudibonderie : c’est ainsi qu’on pourra éteindre la télévision
pour épargner aux enfants la vue d’une scène d’amour, mais aller avec toute la famille passer
régulièrement les vacances dans un camp de nudistes.
L’autorité n’y est pas reconnue de même que l’altérité. Les enfants de ces familles sont des
enfants mais en même temps ils peuvent se poser comme parents des parents ou du moins
remplir telle ou telle fonction parentale. Le fonctionnement incestuel est le plus souvent
difficilement perceptible, il est parfois simplement indiqué par le fait que les enfants
n’appellent pas leurs parents papa et maman mais les désignent par leurs prénoms.
La confusion des identités est importante. Il n’y a pas de limites entre vie privée et vie
familiale. La porte de la chambre à coucher des parents ne ferme pas, les enfants ne sont pas
protégés de la sexualité des parents.
Souvent les enfants ne connaissent de référentiel que celui de leur propre famille et pensent
qu’il s’agit-là d’un modèle légitime. Il est de bon ton d’être attentif sans excès aux signes
pouvant traduire un certain mal-être chez son enfant. Il peut y avoir de la maladresse car
certains parents ne voient pas grandir leurs enfants, une absence de sensibilité ou une envie de
trop bien faire. C’est là qu’il faut être vigilant. Si l’adolescente montre sa gêne, que le fils
détourne le regard de sa mère dénudée, que l’enfant devient tout-puissant, il est important de
saisir ces signaux. C’est dans la répétition de ces actes gênants que prend naissance
l’incestuel, qui se différencie là du geste banal du parent convaincu de bien agir. Ce dernier
cessera toute activité visant à mettre l’enfant mal à l’aise, alors que celui qui est pris dans
l’incestuel, ignorera le mal-être de l’enfant.
En évoquant l’incestuel, nos participants au groupe du 15 mars ont laissé libre cours à leurs
paroles, et à leurs souvenirs : « Mon père aimait se promener nu sous son peignoir. J’étais
très gênée, je détestais ça. Il le faisait même lorsque j’vais des amies à la maison. » « Mon
père me caressait le ventre quand j’étais petite. J’étais sa préférée. » « Même à
l’adolescence, si je devais partager le lit de ma mère lorsque nous recevions des amis et
n’avions pas assez de chambre, elle dormait nue avec moi, et je n’aimais pas ça, mais elle ne
voulait pas l’entendre. » « Mon ex mari voulait que notre fille dorme avec nous, jusqu’à ses
onze ans. J’ai commencé par m’opposer. À bout de forces, j’ai fini par céder. » « J’étais le
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 joyau de mon père. J’étais toujours avec lui, et des adultes. Il m’emmenait partout, et j’aimais
ça. Il nous parlait à ma sœur et moi de ses copines, il les appelait les « petites », il nous
racontait tous les détails, et même comment il les culbutait. »
Ces témoignages montrent l’absence de limites et de ce fait de repères donnés aux enfants. La
frontière entre le possible et l’interdit n’existe pas. La sexualité est vécue au grand jour et
imposée. La pudeur de l’enfant n’est ni entendue ni respectée.
Les autres points abordés lors du groupe Il n’est pas possible de rapporter tout ce qui a été dit et échangé lors de ce groupe. Cependant il est important de noter certaines réflexions. Je retiendrai les réponses aux trois questions qui vont suivre : 1) Qui parmi vous a déjà été traité de fou / folle par la personnalité toxique dont il / elle
a été victime ? On pourrait dire en étant caustique que cette question a fait "carton plein". 100
% de doigts levés."J’ai même été interné." "Moi aussi, j’ai été internée. Pourtant quand
j’étais mal chez moi, il ne voulait rien faire pour me soigner." "Moi, il a voulu me faire
interner. Une chance pour moi, ce jour-là ses deux amis médecins ne travaillaient pas. Le
médecin urgentiste qu’il a appelé a refusé de signer un internement."
2) La personne toxique dont vous étiez victime était-elle socialement intégrée ? Avait-elle
un rôle, réel ou fictif, une place en vue, était-elle reconnue comme importante ? À
nouveau, 100% de réponses positives.Le pervers narcissique structurellement accompli a un
besoin fondamental de cette reconnaissance sociale. Que ce soit professionnellement, au sein
d’un club sportif, dans une activité culturelle, dans le champ politique… Son ambition est
d’être au sommet ou d’imposer cette croyance aux yeux des autres qu’il a atteint le
sommet.Ainsi de celui qui se fera appelé "Président", même s’il ne peut revendiquer un titre.
Ainsi aussi de celui ou celle qui s’attribuera des mérites, des diplômes, qui ne lui reviennent
pas. Ainsi encore de celui (ou celle), qui par son talent verbal saura s’imposer et donner à
penser qu’il sait, qu’il fait, qu’il a réussi.
3) Parmi vous, qui a déjà fait une tentative de suicide ? Plus de la moitié des participants a
répondu par l’affirmative à cette question. "À 15 ans j’ai fait une TS.", "Mon mari m’a
poussée au suicide." , "Mettre fin à mes jours me semblait être la dernière solution
possible."Épuisement, panique, peur, doutes, incompréhension, dépersonnalisation… Les
raisons sont multiples. La cause est toujours la même : le/la toxique détruit totalement et retire
l’envie de vivre. Il puise sa propre force vitale dans la mise à mort de l’autre, mise à mort
psychologique ou/et physique. Le suicide est la forme ultime de cette violence. On peut parler
de crime parfait. Pas d’arme, pas de criminel, tout du moins en apparence. Mieux encore, pas
de motif. Comment reprocher à ce veuf désespéré, à cette veuve inconsolable, la disparition
de son /sa conjoint(e) ?
Je retiendrai également une réflexion commune : le besoin d’être entendu, reconnu comme
« victime ». Non pour en tirer une médaille… Les victimes ne sont pas à la recherche d’une
gloire quelconque, mais d’une reconnaissance d’un état de fait, d’une situation d’extrême
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 souffrance. Après avoir été contraintes à un mode de comportements et de pensées, à un
fonctionnement… dysfonctionnel et destructeur, entendre qu’elles ont été ou sont encore
victimes ET normales, saines, est indispensable. C’est le point de départ, lors de la prise de
conscience, pour entamer la phase de deuil et le travail de reconstruction.
Elles apprennent alors à se détacher de celui ou celle sous l’emprise duquel/de laquelle elles
se sont trouvées.
« Je ne dis plus mon père, mais mon géniteur. » « Il y a cinq ans, j’ai laissé un message sur le
répondeur de son bureau, lui disant que je ne voulais plus entendre parler de lui. Depuis, je ne
l’ai plus vu, je n’ai plus aucun contact avec lui. Je revis. » « Pendant 7 ans je ne lui ai donné
aucune nouvelle. On m’a conseillé de lui écrire… et je l’ai fait. Mais je me sens mal
maintenant. »
Un autre constat fait pendant ce groupe est la nécessité de se montrer en colère. La colère ne
se manifeste pas forcément par des cris ou de la violence. C’est essentiellement un sentiment,
une manière de voir et de dire les choses. C’est la marque du refus et du rejet d’une situation
violente. C’est l’expression de l’opposition à un vécu humiliant et dégradant. C’est très
souvent le moteur pour entamer la reconstruction.
Se pose alors une autre question : faut-il pardonner ? À cette interrogation, la réponse le plus
souvent donnée est : NON. Peut-on, doit-on pardonner à celui ou celle qui a agi avec pour
objectif celui de nous détruire ? Bien sûr, certain(e)s retiennent des considérations judéochrétiennes ou spirituelles impliquant la nécessité du pardon. Pour ma part, je ne crois pas en
cette nécessité, en tout cas dans un premier temps, avant le travail de reconstruction, face à
une personnalité toxique et destructrice. Selon le Larousse, pardonne signifie : Accorder à
quelqu’un son pardon pour son acte, ne pas lui en tenir rigueur.
Selon l'expérience clinique de trente ans du psychologue et professeur de psychologie
américain Robert Enright4 et de ses collaborateurs, le pardon, qui est désormais un instrument
de travail clinique validé par les études, et qui est capable de réduire les différents malaises
qui affligent l'homme spécialement dans la société moderne, peut servir aussi au bien-être
physique, mental et émotif.
Je retiendrai plutôt cette phrase de Gide5, extraite des Faux Monnayeurs : « Il ne pouvait
pourtant pas (...) livrer aux enfants le secret de l'égarement passager de leur mère. Ah! tout
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The power of forgiveness : The Forgiving Life: A Pathway to Overcoming Resentment and Creating a Legacy of Love
(APA Lifetools)
5 L'histoire centrale des Faux Monnayeurs est celle de trois personnages, Bernard et Olivier, deux jeunes lycéens ainsi
qu'Édouard, un écrivain.
Bernard, qui est sur le point de passer son baccalauréat, tombe par hasard sur des lettres d'amour adressées à sa mère et
découvre qu'il est le fruit d'un amour interdit entre cette dernière et un amant de passage. Il en conçoit un profond mépris
pour l'homme qui l'a élevé sans être son géniteur et qu'il pense alors n'avoir jamais aimé. Pourtant, ce père adoptif, Albéric
Profitendieu, a malgré lui une préférence pour celui-ci parmi ses autres enfants. Après avoir écrit la lettre d'adieu la plus
cruelle et la plus injuste qu’on puisse imaginer, Bernard fuit la maison et se réfugie chez un de ses amis et camarade de
classe, Olivier. Ce dernier est un jeune homme timide qui cherche à combler son manque d'affection auprès de ses amis
proches ou de son oncle Édouard, pour qui il a un penchant réciproque mais que ni l'un ni l'autre ne parviennent à exprimer.
Édouard ayant déposé sa valise à la consigne de la Gare Saint Lazare et laissé tomber à terre le ticket, Bernard le ramasse et
en profite pour s’emparer de la valise. Il fait main basse sur son portefeuille et prend connaissance de son journal intime, ce
qui lui permet de savoir où le retrouver, dans un petit hôtel où séjourne sa grande amie Laura. Cette jeune femme se trouve
enceinte des œuvres de Vincent, frère d’Olivier, qui l'a abandonnée et la laisse dans la plus grande détresse. Nullement
rancunier, Édouard s’amuse de l’aventure de la valise disparue et retrouvée et invite Bernard à un séjour en Suisse avec
Laura, lui proposant également d’être son secrétaire. De ce séjour en montagnes, Bernard éprouve un bonheur ineffable, il est
épris également de l’écrivain et de la femme délaissée.
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 était si bien pardonné, oublié, réparé. » Gide sous-entend le poids des secrets de famille, des
non-dits, du déni. Le poids de ce qui écrase et oppresse mais qu’il faut taire pour ne pas
heurter, pour ne pas faire de vague. Hervé Bazin, dans Vipère au poing, va également
dénoncer sa mère, Folcoche, ses agissements et sa violence perverse. Face aux huées et au
tollé général provoqué par le livre et le secret dévoilé de cette famille soumise à la cruauté
d’une personne, Bazin reviendra sur ses dires après la publication de la Mort du petit cheval,
suite de Vipère au poing. Alors qu’il avait dit du premier que celui-ci était autobiographique,
il dira par la suite que ces romans ne sont pas des autobiographies mais des fictions ; Les
secrets de famille semblent donc bien difficiles à dire, à être entendus.
« Je ne lui pardonne pas ; comme je ne pardonne pas aux proches, à l’entourage, qui voyait,
savait, et ne disait rien. Ils sont les complices de ce que faisait mon père. »
Car souvent, la personnalité toxique n’agit pas seule : elle s’entoure et manipule ceux qui
peuvent servir ses fins et ses intentions.
L’absence de pardon, encore une fois dans un premier temps, permet de faire naître cette
colère évoquée plus haut et indispensable lors de la sortie de l’emprise et de la prise de
conscience.
À mon sens, attendre, voir exiger de celui ou celle qui a été ou est victime d’une situation de
maltraitance, un pardon pour son bourreau est le contraindre à accepter, d’une certaine
manière, tant la douleur et la souffrance vécues, que les actes en tant que tels. C’est dire à la
victime qu’elle doit considérer la personnalité toxique comme n’étant pas responsable.
Dans ce cas, qui serait le responsable ?
Si l’on en revient, entre autres, à ce que dit Alberto Eiguer6, la victime d’une personnalité
toxique a sa part de responsabilités. Je crois que cette part-là doit également être entendue.
Attention : il ne s’agit en rien de culpabiliser une fois de plus les victimes. Il s’agit de dire que
ces victimes, avant de devenir les proies d’un(e) toxique, portent en elle une faille dans leur
Le récit enthousiaste qu’il fait à son ami Olivier rend celui-ci terriblement jaloux et par dépit, celui-ci se laisse séduire par le
comte de Passavant, écrivain à la mode, riche, dandy et amateur de garçons mais également cynique et manipulateur. Il
convoitait le garçon depuis un moment et profite de ses états d'âme pour se l'accaparer. L'influence du comte sur le garçon est
pernicieuse : Olivier devient mauvais, brutal, détestable même aux yeux de ses meilleurs amis. Il finit par s'en rendre compte
et sombre dans une dépression noire, sans savoir comment faire machine arrière. Au cours de la soirée d'un club littéraire, les
Argonautes, il se saoule et se ridiculise devant tout le monde puis sombre dans une torpeur éthylique. Il est rattrapé et soigné
par l'oncle Édouard, dans les bras duquel il achèvera la nuit. Au matin, il tente de se suicider, non pas par désespoir dira-t-il,
mais au contraire parce qu'il a connu un tel bonheur cette nuit-là qu'il a senti n'avoir plus rien à attendre de la vie. Il finira par
rester chez son oncle, grâce à la bienveillance de sa mère Pauline qui devine bien les relations liant son demi-frère à son fils
et ne veut pas les détruire. Bernard, quant à lui, au cours d'une discussion avec Laura et Édouard à Saas-Fee en Suisse,
comprend que le lien du sang est une fausse valeur, et qu'il doit accepter Profitendieu comme celui qui l'a élevé, et donc
comme père.
6 Le pervers narcissique et son complice. « Marqué par un narcissisme pathologique, qui le pousse à l'acting out pervers, le
pervers narcissique peut « ignorer » son objet. Il peut aussi se sentir envieux de la vitalité, de la pensée autonome, de
l'intensité émotionnelle et de la créativité qu'il constate chez son complice, ce qui exacerbe sa possessivité et le conduit à se
lancer « à la conquête du territoire psychique de l'autre ». Il l'envahit et veut retirer toutes les gratifications et les récompenses
narcissiques de la relation. Ce fonctionnement n'est pas rare chez les patients narcissiques qui, dans des situations
d'instabilité, vont se sentir poussés à agir ainsi, afin de retrouver l'équilibre que leur soi exige. Ce soi ne supporte en rien
d'être mis en cause dans « son caractère grandiose ». Les individus qui utilisent les mécanismes pervers narcissiques
(mécanismes p.n.) sont ceux qui, sous l'influence de leur soi grandiose, essaient de créer un lien avec un deuxième individu,
en s'attaquant tout particulièrement à l'intégrité narcissique de l'autre afin de le désarmer. Ils s'attaquent aussi à l'amour de soi,
à la confiance en soi, à l'auto-estime et à la croyance en soi de l'autre. En même temps, ils cherchent, d'une certaine manière,
à faire croire que le lien de la dépendance de l'autre envers eux est irremplaçable et que c'est l'autre qui le sollicite. Le type
privilégié de passage à l'acte du pervers narcissique est l'induction : le sujet provoque des sentiments, des actes, des réactions
ou, au contraire, il les inhibe. Il fonctionne en quelque sorte comme un prestidigitateur maléfique, comme un magnétiseur
abusif. Il utilise aussi des injonctions et de la séduction, mais l'induction reste son procédé fondamental. C'est pour cela que
nous proposons le terme d'induction narcissique à une telle forme de passage à l'acte. » Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 construction, une faiblesse, une fragilité, ou paradoxalement une force immense, qui vont les
désigner comme proie idéale. « J’étais le joyau de mon père, l’élue. »
Parce qu’elle a été construite ainsi, parce que son passé a laissé une blessure, un manque de
construction et de limites, parce qu’elle est douée d’empathie naturelle, cette personne plus
qu’une autre va attirer la personnalité toxique. Faire alors une analogie en disant que le (la)
toxique va repérer sa victime comme l’animal repère sa proie peut sembler simpliste tout
autant que réel.
« Pourquoi moi ? » est une des questions qui revient le plus souvent. Pourquoi vous ? Parce
que vous n’aviez pas acquis les défenses suffisantes pour être protégé(e) d’un comportement
toxique. Accepter cet état de fait est également indispensable lors du travail de reconstruction.
En consultation, ceci devient d’autant plus vrai. « Ma mère était très autoritaire. Il fallait, il
faut faire comme elle l’entend. Elle montre de la bienveillance mais il ne faut jamais la
contrarier. Je ne m’oppose pas à elle, même en tant qu’adulte. Je ne le peux pas… C’est ma
mère… » « Mon pire souvenir ? Le jour où j’ai trouvé ma mère, après sa tentative de suicide.
Elle m’a dit : c’est de ta faute. J’ai voulu aller la voir à l’hôpital. Mon père ne voulait pas ; il
voulait que j’aille en cours. » « Mon père est militaire. Il faut faire comme il dit. Il ne
supportait personne à la maison. Je ne pouvais rien faire. Alors, j’attendais que les journées
passent. Ma mère n’osait pas me défendre. » « Ma mère n’a jamais rien dit, même après leur
divorce. Il devait être un bon père. » « Ma mère a fini par fuir, et en fuyant, m’a abandonnée.
Mon ex mari abuse et n’arrête aucun de ses agissements violents. Je n’en peux plus. J’ai
envie de baisser les bras… Même si je sais que ce serait faire comme ma mère. Je la
comprends. »
Le dernier point dont je parlerai dans cette note est la manière dont on nomme la personnalité
toxique. Aujourd’hui, et suite entre autres à une médiatisation intense, il est de plus en plus
fréquent d’entendre « mon pervers narcissique », « ma PN ». Que ce soit en consultation ou
lors des groupes de parole, comme ce fut le cas samedi dernier, j’ai rappelé l’importance, à
mon sens, de retirer ce possessif. Il, elle, ne vous appartient pas. Ce n’est pas une partie de
vous. Ce n’est ni un maître à penser, ni un boulet auquel on doit resté attacher, indéfiniment,
et inexorablement.
Distancier, rendre la personnalité toxique indéfinie, la mettre à l’écart du champ lexical de
l’affect, est certes difficile dans un premier temps, mais nécessaire. Une patiente me parle
maintenant de son ancien compagnon comme du caillou. Une deuxième parle de « l’autre ».
En groupe de parole, un des intervenants parle de son « géniteur ».
« Ce sont mes parents, je les respecte pour ça, je leur dois la vie. C’est tout. »
« Oui, mais cette vie qu’ils t’ont donnée, ils ont voulu te la reprendre. Est-ce que ce sont
toujours tes parents, alors ? »
Il s’agit, en fait, en mettant en place cette distance, de s’autoriser à être, à nouveau. De
reprendre le droit d’être soi. Avec ses forces, ses faiblesses, ses difficultés, ses valeurs. Avec
les failles qui doivent être réparées.
Bien sûr cela ne se fait pas en claquant des doigts. Il faut la volonté, l’énergie, la motivation.
Et le temps. Aller dire à une victime : « Vous êtes victime. Donc on va mettre votre monstre à
l’écart et hop voilà je laque des doigts c’est fait » est parfaitement stupide, en plus d’être
illusoire. Acquérir cette distance demande de lourds efforts. Comme tout ce qui s’impose en
sortant de l’emprise. C’est un effort de plus. Ce n’est pas celui de trop. Et c’est retirer
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 beaucoup de son importance à la personnalité toxique, importance dont elle a tant besoin pour
vivre.
Car, sans vous, elle n’est plus rien. Mais ça, ça n’est plus votre histoire.
Anne-Laure Buffet
CVP – Contre la Violence Psychologique
Association CVP Contre la Violence Psychologique [email protected] -­‐ 06 65 14 97 33 

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