Séance 4 - Chez Foucart

Transcription

Séance 4 - Chez Foucart
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
TRAVAUX DIRIGES LICENCES 3 – SEMESTRE 5
DROIT ADMINISTRATIF DES BIENS
Cours de M. le Professeur Mathieu TOUZEIL-DIVINA
Année universitaire 2016-2017
Equipe pédagogique :
Mme Camille MOROT-MONOMY ; Mme Lucie SOURZAT ; Mme Lauren
BLATIERE ; M. Enzo CHIESA et Mme Marine FASSI DE MAGALHAES
Fiche TD n°4
DES PROTECTIONS DE LA DOMANIALITE PUBLIQUE (POLLUTIONS ET CGV)
I - Du Vocabulaire
-Aisances de voirie
-Contraventions de voirie
-Contravention(s) de voirie routière/ de grande voirie
-Occupation(s) privative/collective/sans titre (du domaine public)
-Police(s) administrative/de la conservation du domaine public
-« Règle des 3 i » (inaliénabilité, imprescriptibilité, insaisissabilité)
- Servitude
II - Des Documents
- DOCUMENT 1 : Articles L.3111-1 et L.2122-4 du Code général de la propriété des personnes
publiques
- DOCUMENT 2 : C.C. Déc. n°86-217 DC du 18 septembre 1986, relative à la loi sur la liberté de
communication (extraits)
Pour aller lire la décision dans son intégralité : www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1986/86217dc.htm
- DOCUMENT 3 : TC, 20 février 2006, n° 06-03488, Commune d’Ormesson-sur-Marne.
- DOCUMENT 4 : CE, Sect., 23 févr. 1979, n° 04467, Min. Equipement c/ Ass des amis des chemins de ronde
& CE, 21 nov. 2011, n° 311941,Cne de Plonéour-Lanvern.
- DOCUMENT 5 : Schéma « Les contraventions de voirie : à la frontière entre la procédure pénale et la
procédure domaniale »
- DOCUMENT 6 : Jean-François GIACUZZO, « L’inapplication du code pénal aux contraventions de
grande voirie », JCPA, 8 septembre 2014, n°36, pp.31-33 , à propos de la décision Conseil d'État, 22
janvier 2014, req. n°352202, Fédération nationale des associations d'usagers des transports.
1
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
III - De la Bibliographie
- CA Paris, 3 janvier 1846, S. 1847, II, p.77 et CE, 18 juillet 1866, Dora (Consécration de du principe de
l’imprescriptibilité du domaine public)
- C.C., Déc. n°87-151, DC du 23 septembre 1987, relative à la nature juridique de certaines dispositions de
l'article
L
69-1
du
code
des
postes
et
télécommunications
(www.conseilconstitutionnel.fr/decision/1987/87151l.htm) : sur la distinction entre les CGV et les contraventions
de police.
-WALINE M., « Les contraventions de grande voirie ont-elles le caractère d’une infraction pénale
? », RDP, 1968, p. 175.
- KOUEVI A., « L’obligation de poursuite en matière de contravention de grande voirie », AJDA,
2000, p. 39.
-EVEILLARD G., « La soumission à indemnité des occupations irrégulières du domaine public »,
RDA,1er juin 2015, n°6, pp.38-41.
- Le Droit Maritime Français – « Spéciale Contravention de grande voirie », Novembre 2013, n°752,
MULSANT G., « Les contraventions de grande voirie : outil de protection du domaine public ? »,
p.915 ; HOFFMANN F., « Le domaine des contraventions de grande voirie : trois pistes pour une
réforme », p.918 ; DELIANCOURT S., « Poursuite et office du juge en matière de contravention de
grande voirie », p.928 ; CASTANY C., « La protection du domaine public maritime en Corse :
l’actualité jurisprudentielle », p.944 ; LALEURE J., « L’effectivité des contraventions de grande
voirie : réflexion autour des sanctions », p.952. (Consultation en ligne format PDF sur Lamyline.fr)
Exercice :
Vous commenterez la note suivante :
« Sur la plage abandonnée... cabanage et pétrolier ! », LPA, 5-6 juin 2006, n°111-112, pp.12-16, à
propos de CE, 30 sept. 2005, req. n°263442, Cacheux.
***
DOCUMENT 1 :
Art. L.3111-1 CG3P : « Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1,
qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles. »
Art. L.2122-4 CG3P : « Des servitudes établies par conventions passées entre les
propriétaires, conformément à l'article 639 du code civil, peuvent grever des biens des personnes
publiques mentionnées à l'article L. 1, qui relèvent du domaine public, dans la mesure où leur
existence est compatible avec l'affectation de ceux de ces biens sur lesquels ces servitudes
s'exercent. »
DOCUMENT 2 :
C.C. DEC. N° 86-217 DC DU 18 SEPTEMBRE 1986, relative à la loi sur la liberté de
communication
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance;
2
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine contestent la conformité à la Constitution de la loi
relative à la liberté de communication en faisant porter l'essentiel de leurs griefs sur quatre aspects
fondamentaux de la loi qui intéressent respectivement le remplacement de la Haute autorité de la
communication audiovisuelle par la Commission nationale de la communication et des libertés, le
régime des autorisations d'utilisation des fréquences hertziennes, le pluralisme de la
communication et le transfert au secteur privé de la société T.F.1. ; qu'ils critiquent également un
certain nombre de dispositions particulières de la loi ;
(…)
En ce qui concerne l'article 103 :
(…)
- Quant à la méconnaissance du principe d'inaliénabilité du domaine public :
88. Considérant que, sans qu'il soit besoin de rechercher si le principe d'inaliénabilité du domaine
public a valeur constitutionnelle, il suffit d'observer qu'il s'oppose seulement à ce que des biens
qui constituent ce domaine soient aliénés sans qu'ils aient été au préalable déclassés et, qu'en
l'espèce, le cinquième alinéa de l'article 103 de la loi ne prévoit de transfert à la nouvelle société
des biens incorporés au domaine public de "Télédiffusion de France", qu'après leur déclassement
DOCUMENT 3 :
« Les contraventions de voirie : à la frontière entre la procédure pénale et la procédure
domaniale »
Contraventions de voirie
Contravention de voirie
routière
Atteinte aux voies publiques et à
leurs dépendances ou accessoires
Art. L.116-1s et R.116-1s CVR
Contravention de grande voirie
Art. L.2132-3s CG3P
Compétence répressive
du juge judiciaire
(L.116-1s CVR)
(Attention : cf. Doc 4)
Sanction : Art. R.116-1 CVR
Compétence répressive
du juge administratif
Sanction : Art. L.2132-26 CG3P
Exemples :
Dégradation de la route
Détérioration d’un feu de
signalisation
Exemples :
Pollution de la mer par des hydrocarbures (DP maritime)
Pollution d’une rivière (DP fluvial)
Dégradation d’un passage à niveau (DP ferroviaire)
Dégradation d’une piste d’atterrissage (DP aérien)
*Obligation d’engager des
poursuites
(Limite : CE, 21 nov. 2011,
n°311941,Cne de Plonéour-Lanvern.)
*Il n’y a pas de CGV sans texte
*Obligation d’engager des poursuites
(Limite :CE, 23 févr. 1979, n°04467,
Min. Equipement c/ Ass des amis des
chemins de ronde.)
3
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
DOCUMENT 4 : TC, 20 février 2006, n° 06-03488, Commune d’Ormesson-sur-Marne.
Vu l'expédition de la décision du 8 juin 2005 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi de la
requête de la commune d'Ormesson-sur-Marne tendant à l'annulation de l'arrêt du 24 mars 2004 de la cour
administrative d'appel de Paris qui avait, d'une part, annulé le jugement du 25 novembre 1999 du tribunal
administratif de Melun ayant condamné le département du Val-de-Marne à indemniser cette commune des
travaux de réfection d'une voie communale et des frais de trois expertises, et, d'autre part, rejeté, comme portées
devant une juridiction incompétente pour en connaître, les demandes de cette même commune tendant à la
condamnation du département à lui verser une indemnité en réparation du dommage qu'elle avait subi du fait de
l'effondrement de sa chaussée et à lui rembourser les frais d'expertise, a renvoyé au Tribunal, par application de
l'article 35 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de la compétence ;
Vu le mémoire du ministre délégué aux collectivités territoriales, faisant valoir que l'affaire paraît devoir être
traitée du point de vue du dommage causé par des travaux publics et concluant à la compétence des tribunaux de
l'ordre administratif ;
(…)
Considérant qu'aux termes de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière : " la répression des infractions à la
police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des
questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative " ; que, selon l'article R.116-2
modifié du même code, " seront punis d'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ceux qui :
1° Sans autorisation, auront empiété sur le domaine public routier ou accompli un acte portant ou de nature à
porter atteinte à l'intégrité de ce domaine ou de ses dépendances, ainsi qu'à celle des ouvrages, installations,
plantations établis sur ledit domaine ; 2° Auront dérobé des matériaux entreposés sur le domaine public routier et
ses dépendances pour les besoins de la voirie ; 3° Sans autorisation préalable et d'une façon non conforme à la
destination du domaine public routier, auront occupé tout ou partie de ce domaine ou de ses dépendances ou y
auront effectué des dépôts ; 4° Auront laissé écouler ou auront répandu ou jeté sur les voies publiques des
substances susceptibles de nuire à la salubrité et à la sécurité publiques ou d'incommoder le public ; 5° En
l'absence d'autorisation, auront établi ou laissé croître des arbres ou haies à moins de deux mètres de la limite du
domaine public routier ; 6° Sans autorisation préalable, auront exécuté un travail sur le domaine public routier ;
7° Sans autorisation, auront creusé un souterrain sous le domaine public routier " ;
Considérant que la commune d'Ormesson-sur-Marne recherche la responsabilité du département du Val-de-Marne
en raison du dommage causé à une voie communale du fait des mauvaises conditions de réalisation, sous cette voie,
de travaux d'enfouissement de canalisations du réseau d'assainissement appartenant au département, sans
prétendre que celui-ci avait effectué ces travaux sans autorisation ; que, s'agissant d'une action en responsabilité,
introduite par une collectivité publique, pour la réparation de son préjudice consécutif à l'exécution défectueuse d'un
ouvrage public pour le compte d'une autre personne de droit public, une telle action n'entre pas dans le champ des
infractions à la police de la conservation du domaine public routier ; que, dès lors, le litige relève de la compétence de
la juridiction administrative ;
Décide :
Article 1er : la juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître du litige opposant la commune
d'Ormesson-sur-Marne au département du Val-de-Marne.
DOCUMENT 5 :
5.A - CE, Sect., 23 févr. 1979, n° 04467, Min. Equipement c/ Ass des amis des chemins de ronde.
5.B – CE, 30 sept. 2005, n°263442, Cacheux.
5.A :
4
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
RECOURS DU MINISTRE DE L'EQUIPEMENT TENDANT A L'ANNULATION DU
JUGEMENT DU 30 JUIN 1976 DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE RENNES
ANNULANT UNE DECISION IMPLICITE PAR LAQUELLE LE PREFET D'ILLE-ETVILAINE A REFUSE DE DEFERER M. X... AU TRIBUNAL POUR QU'IL SOIT
CONDAMNE A REMETTRE EN ETAT LE DOMAINE PUBLIC MARITIME,
ENSEMBLE AU REJET DE LA DEMANDE DE L'ASSOCIATION "DES AMIS DES
CHEMINS DE RONDE" , TENDANT A L'ANNULATION DE CETTE DECISION ; VU
LE CODE DU DOMAINE DE L'ETAT ; L'ORDONNANCE DU 31 JUILLET 1945 ET LE
DECRET DU 30 SEPTEMBRE 1953 ; LA LOI DU 30 DECEMBRE 1977 ;
CONSIDERANT QUE LES AUTORITES CHARGEES DE LA POLICE ET DE LA
CONSERVATION DU DOMAINE PUBLIC MARITIME SONT TENUES, PAR
APPLICATION DES PRINCIPES REGISSANT LA DOMANIALITE PUBLIQUE, DE
VEILLER A L'UTILISATION NORMALE DES RIVAGES DE LA MER ET
D'EXERCER A CET EFFET LES POUVOIRS QU'ELLES TIENNENT DE LA
LEGISLATION EN VIGUEUR, Y COMPRIS CELUI DE SAISIR LE JUGE DES
CONTRAVENTIONS DE GRANDE VOIRIE, POUR FAIRE CESSER LES
OCCUPATIONS SANS TITRE ET ENLEVER LES OBSTACLES CREES DE MANIERE
ILLICITE, QUI S'OPPOSENT A L'EXERCICE, PAR LE PUBLIC, DE SON DROIT A
L'USAGE DU DOMAINE MARITIME ; QUE, SI L'OBLIGATION AINSI FAITE A CES
AUTORITES TROUVE SA LIMITE DANS LES AUTRES INTERETS GENERAUX
DONT ELLES ONT LA CHARGE ET, NOTAMMENT, DANS LES NECESSITES DE
L'ORDRE PUBLIC, ELLES NE SAURAIENT LEGALEMENT S'Y SOUSTRAIRE, EN
REVANCHE, POUR DES RAISONS DE SIMPLE CONVENANCE ADMINISTRATIVE ;
QUE, DES LORS, LE MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, QUI NE CONTESTE PAS QUE
M. X... S'EST INSTALLE SANS TITRE SUR LE DOMAINE PUBLIC MARITIME ET QUI,
POUR JUSTIFIER LES TOLERANCES CONSENTIES A L'INTERESSE, NE SE
PREVAUT D'AUCUN MOTIF TIRE DE L'INTERET GENERAL OU DE L'ORDRE
PUBLIC, N'EST PAS FONDE A SOUTENIR QUE C'EST A TORT QUE, PAR LE
JUGEMENT ATTAQUE, EN DATE DU 30 JUIN 1976, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE RENNES A FAIT DROIT A LA REQUETE DE L'ASSOCIATION "LES AMIS DES
CHEMINS DE RONDE" ET ANNULE LA DECISION IMPLICITE DU PREFET D'ILLEET-VILAINE REFUSANT D'ENGAGER DES POURSUITES CONTRE M. X... ; REJET .
5.B :
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 janvier et 12 mai 2004
au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Henri X, demeurant ... ; M. X
demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 14 octobre 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes,
annulant à sa demande le jugement du 26 septembre 2001 du tribunal administratif de Rennes a,
d'une part, décidé qu'étaient sans objet ses conclusions tendant à l'annulation de la décision
implicite de rejet du préfet du Finistère en tant que cette décision refuse de faire dresser un
procès-verbal de contravention de grande voirie en vue de la mise en oeuvre de l'action publique
à l'encontre des responsables de la pollution entraînée par le naufrage du navire Erika, et, d'autre
part, rejeté le surplus de ses conclusions tant de première instance que d'appel tendant à
enjoindre audit préfet, sous peine d'astreinte, de faire dresser le procès-verbal susévoqué ;
(…)
Considérant que le 12 décembre 1999, le navire pétrolier Erika, affrété par la société Total, s'est
brisé au large des côtes bretonnes, déversant plus de 15 000 tonnes de produits pétroliers qui ont
provoqué une pollution des côtes atlantiques; que, par jugement en date du 26 septembre 2001, le
tribunal administratif de Rennes a rejeté pour défaut d'intérêt à agir la demande de M. X tendant
à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet du Finistère a refusé de faire dresser un
5
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
procès-verbal de contravention de grande voirie à l'encontre des responsables de cette pollution ;
que M. X se pourvoit contre l'arrêt, en date du 14 octobre 2003, par lequel la cour administrative
d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement attaqué, a rejeté sa requête ; que la société Total
se pourvoit également contre ce même arrêt ;
(…)
Sur les autres conclusions du pourvoi de M. X :
Considérant qu'à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes et
dirigée contre la décision implicite de rejet du préfet du Finistère sur sa demande tendant à ce
qu'il fasse dresser un procès-verbal de contravention de grande voirie à l'encontre des
responsables du naufrage du navire Erika, M. X soutenait qu'en application de l'exception prévue
au 4 de l'article III de la convention internationale susvisée du 29 novembre 1969 sur la
responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, les personnes
physiques ou morales autres que le propriétaire n'échappaient pas à toute obligation de réparation
; qu'il ressort de l'arrêt attaqué du 14 octobre 2003 que la cour administrative d'appel de Nantes
après avoir annulé pour irrégularité le jugement attaqué et évoqué les conclusions de la demande,
a omis de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant ; que M. X est, dès lors, également
fondé à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il évoque les conclusions de sa demande
présentée devant le tribunal administratif de Rennes ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil
d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en
dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le
justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond et de statuer
sur les conclusions de la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Rennes ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de
l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer à la demande de M. X :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier d'instruction qu'à la suite de la pollution entraînée
par le naufrage du navire Erika, l'Etat a, d'une part, entrepris, dans le cadre des plans POLMAR
mer et POLMAR terre, la mise en oeuvre des mesures propres à remédier à l'atteinte causée au
domaine public maritime par la présence de nappes d'hydrocarbures ; que, d'autre part, le
ministre de l'économie et des finances a engagé auprès du Fonds international d'indemnisation
pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), pour le compte de
l'ensemble des administrations de l'Etat et des collectivités locales concernées, les procédures
amiables et le cas échéant, contentieuses, destinées à permettre le remboursement des dépenses
supportées par ces personnes publiques pour lutter contre les conséquences de la pollution ;
S'agissant du propriétaire du navire, du commandant de ce navire et de la société l'ayant affrété :
Considérant qu'aux termes du 4 de l'article III de la convention internationale susvisée du 29
novembre 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les
hydrocarbures, modifiée par le protocole susvisé signé à Londres le 27 novembre 1992, publiés
au Journal officiel de la République française en vertu des décrets susvisés du 26 juin 1975 et du 7
août 1996 : Aucune demande de réparation de dommage par pollution ne peut être formée contre
le propriétaire autrement que sur la base de la présente convention. Sous réserve du paragraphe 5
du présent article, aucune demande de réparation de dommage par pollution, qu'elle soit ou non
fondée sur la présente convention, ne peut être introduite contre : / a) les préposés ou
mandataires du propriétaire, ou les membres de l'équipage. (...) / c) Tout affréteur (sous quelque
appellation que ce soit, y compris un affréteur coque nue) armateur ou armateur gérant du navire
; (...) / f) Tous préposés ou mandataires des personnes mentionnées aux alinéas c, d et e, / à
moins que le dommage ne résulte de leur fait ou de leur omission personnels commis avec
l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel
dommage en résulterait probablement ;
6
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
Considérant que les stipulations précitées de la convention internationale du 29 novembre 1969,
laquelle, complétée par la convention susvisée du 18 décembre 1971, définit un régime, issu du
droit international, de réparation des dommages causés par une pollution d'hydrocarbures qui
s'impose aux juges nationaux, font obstacle à ce que l'Etat, qui dispose, dans le cadre desdites
conventions internationales d'une voie de droit exclusive pour l'indemnisation des dépenses
supportées en vue de réparer les atteintes au domaine public, engage une action devant le juge
administratif tendant à ce que le propriétaire du navire soit condamné, sur le fondement d'une
contravention de grande voirie, à réparer l'atteinte au domaine public ; que, par ailleurs, en ce qui
concerne le commandant de l'Erika, préposé ou mandataire du propriétaire et la société ayant
affrété ce même navire ou son président-directeur général, contrairement à ce que soutient M. X
aucune pièce du dossier ne permet d'affirmer que le dommage résulte de leur fait ou de leur
omission personnels commis avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commis
témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement au sens des
stipulations précitées ; que, par suite, le préfet du Finistère était tenu de rejeter la demande de M.
X tendant à ce qu'il fasse dresser un procès-verbal de contravention de grande voirie à l'encontre
du propriétaire du navire Erika, du commandant de ce navire et de la société l'ayant affrété ou des
dirigeants de cette dernière ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le motif énoncé par la décision
contestée serait erroné, est inopérant ;
Naufrage de l’Erika
S'agissant de la société Total, propriétaire des produits pétroliers :
Considérant que la convention internationale du 29 novembre 1969 précitée ne s'oppose pas à ce
qu'une personne morale ou privée, à l'origine d'une pollution par hydrocarbures, à l'exception,
ainsi qu'il vient d'être dit, du propriétaire du navire, et, en principe, du commandant de ce navire
et de la société ayant affrété ce même navire, soit condamnée à réparer l'atteinte portée au
domaine public maritime sur le fondement d'une contravention de grande voirie ; qu'ainsi, la
société Total, propriétaire des produits pétroliers, représentée par son président-directeur général,
pouvait faire l'objet d'un procès-verbal de contravention de grande voirie aux fins de réparer
l'atteinte portée au domaine public ;
Considérant que les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public
maritime sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à
l'utilisation normale des rivages de la mer et d'exercer à cet effet les pouvoirs qu'elles tiennent de
la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie, pour
faire cesser les occupations sans titre et enlever les obstacles créés de manière illicite, notamment,
à la suite d'une pollution par des produits pétroliers qui s'opposent à l'exercice par le public, de
son droit à l'usage de ce domaine ; que l'obligation ainsi faite à ces autorités trouve sa limite dans
les autres intérêts généraux dont elles ont la charge et, notamment, dans les nécessités de l'ordre
public ; qu'en revanche, elles ne sauraient légalement s'y soustraire pour des raisons de simples
7
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
convenances administratives ;
Considérant que la société Total s'était engagée, dans le cadre d'un accord avec l'Etat, à prendre
en charge techniquement et financièrement le traitement des déchets et les opérations de
pompage de la cargaison de fuel transporté par le navire Erika, opération qui a été réalisée entre
le 5 juin et le 6 septembre 2000, et à contribuer au financement du nettoyage et de la remise en
état du littoral, ce qu'elle a effectivement fait ; que, dès lors, le préfet du Finistère doit être regardé
comme ayant fondé sur un motif d'intérêt général sa décision implicite de refus de faire dresser
un procès-verbal de contravention de grande voirie à l'encontre de ladite société ou de son
président-directeur général, en estimant que la coopération avec la société Total devait être
préservée pour assurer le traitement des conséquences du naufrage ; que, en tout état de cause,
c'est sans erreur manifeste d'appréciation que le préfet, qui pouvait légalement retenir un tel motif
d'intérêt général sans rechercher s'il permettait d'aboutir à un meilleur résultat que celui qu'aurait
permis d'obtenir une contravention de grande voirie, a ainsi pu refuser de faire droit à la demande
de M. X ;
Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Finistère de faire dresser un procèsverbal de contravention de grande voirie à l'encontre des responsables de la pollution du navire
Erika :
Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions de M. X tendant à l'annulation de
la décision contestée du préfet du Finistère, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que les
conclusions du requérant tendant à ce qu'il soit enjoint audit préfet de faire dresser un procèsverbal de contravention de grande voirie à l'encontre des personnes qu'il désigne ne peuvent, dès
lors, en tout état de cause, qu'être rejetées ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. X tendant, d'une part, à
l'annulation de la décision implicite de rejet du préfet du Finistère, d'autre part, à ce qu'il soit
enjoint audit préfet, sous peine d'astreinte, de faire dresser un procès-verbal de contravention de
grande voirie à l'encontre des responsables de la pollution du navire Erika, doivent être rejetées ;
Sur le pourvoi incident de la société Total :
Considérant que le dispositif de l'arrêt attaqué, qui rejette la totalité des conclusions de M. X, ne
fait pas grief à la société Total ; qu'ainsi la requérante n'a pas intérêt à l'annulation de cet arrêt ;
que, dès lors, sa requête est irrecevable ;
(…)
Décide :
Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 14
octobre 2003 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de M. X devant le Conseil d'Etat, devant la cour
administrative d'appel de Nantes et devant le tribunal administratif de Rennes est rejeté.
Article 4 : Le pourvoi incident de la société Total est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Henri X, à la société Total, au ministre d'Etat,
ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et au ministre des transports, de
l'équipement, du tourisme et de la mer.
DOCUMENT 6 :
GIACUZZO J-F.,
« L’inapplication du code pénal aux contraventions de grande voirie »,
JCPA, 8 septembre 2014, n°36, pp.31-33
à propos de la décision Conseil d'État, 22 janvier 2014, req. n°352202, Fédération nationale des
associations d'usagers des transports
(Consultable en ligne sur le site LexisNexis)
8
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
Exercice
Vous commenterez la note suivante :
« Sur la plage abandonnée... cabanage et pétrolier ! »
LPA, 5-6 juin 2006, n°111-112, pp.12-16, à propos de CE, 30 sept. 2005, req. n°263442, Cacheux.
Le présent article a pour objet d'appréhender les suites juridictionnelles et administratives du
cabanage de l'Erika à travers les droits internationaux et nationaux, le droit de l'environnement et
le droit administratif des biens en particulier. Il permet en outre de faire le bilan sur la notion de
contravention de grande voirie et insiste _ notamment _ sur l'interprétation volontaire publique _
puis prétorienne _ de la notion d'intérêt général que les auteurs critiquent en partie au regard des
droits des victimes et des préjudices subis. N'y aurait-il pas alors, dans cet imbroglio juridique,
une place majeure pour un intérêt... totalement financier ?
Sur les plages non encore abandonnées du littoral on se souvient toujours, six ans après les faits,
du cabanage médiatisé de l'Erika le 12 décembre 1999. À l'heure où la Charte de l'environnement
a obtenu sa consécration constitutionnelle et où le Conseil d'État a récemment rendu une
décision rejetant l'injonction de dresser des procès-verbaux de contravention de grande voirie à la
suite de cette pollution par hydrocarbures des plages bretonnes, il convient de présenter un
nouveau bilan.
Les (et non la) procédures engagées par Henri Cacheux, qui est loin d'être un inconnu au PalaisRoyal et qui gagnera peut-être bientôt en conséquence la qualification de « requérant d'habitude
» sont multiples : on en compte principalement quatre : entre la fin du mois de décembre 1999 et
le mois de mai 2000 ce sont successivement les quatre préfets du littoral breton (Finistère,
Morbihan, Vendée et Loire-Atlantique) qu'il va sommer de dresser des procès-verbaux de
contravention de grande voirie à l'encontre des pollueurs du domaine public maritime :
propriétaire, capitaine, affréteur du navire mais également envers la société Total-Fina-Elf en tant
que propriétaire du pétrole échoué. Mais aucun de ces représentants de l'État ne va accepter de
dresser un tel procès-verbal et tous, en défense, invoqueront un autre intérêt dépassant l'intérêt
de protection du domaine. Henri Cacheux avait en effet décidé de porter devant la justice
administrative l'ensemble de ces décisions de refus mais tous les juges du fond saisis (aux
Tribunaux administratifs de Rennes et de Poitiers ainsi qu'aux Cours administratives d'appel de
Bordeaux et de Nantes) vont refuser d'annuler ces décisions préfectorales. Ces décisions
juridictionnelles de rejet ne sont d'ailleurs pas passées inaperçues et une partie de la doctrine (et
de la magistrature) s'est même étonnée de ce que le requérant avait pu obtenir avec facilité la
reconnaissance d'un intérêt à agir alors qu'il aurait simplement invoqué une hypothétique pratique
_ non démontrée _ du surf. Il ne nous semble pas qu'il soit utile, ici, d'en référer pour autant et à
nouveau à la célèbre jurisprudence du sieur Abisset pour démontrer un intérêt à agir extensible
sinon... « capilo-tracté » ! Il suffit, à l'instar du commissaire du gouvernement Collin, de
considérer le requérant comme un usager du domaine public maritime (ce que reconnaît
explicitement ici le Conseil d'État dans son 10e considérant) pratiquant des activités de loisirs
aquatiques : en somme comme un usager du service des bains de mer. Cela dit, c'est la cassation
partielle de l'un de ces arrêts que nous avons ici décidé de commenter sous le spectre du droit
international de l'environnement et de la notion de contravention de grande voirie. Qu'il soit
enfin permis aux auteurs de remercier ici ce « sombre héros de la mer » qui a bien voulu leur
donner ses précieux conseils.
I. La fortune de mer de la contravention de grande voirie
La présente espèce n'appartient pas, contrairement à ce qu'il pourrait y paraître, à la branche
répressive du contentieux administratif : il s'agit en effet, même si la notion de contravention de
grande voirie est employée, d'un traditionnel recours pour excès de pouvoir contre une décision
préfectorale de rejet de dresser un procès-verbal. Revenons néanmoins sur cette notion
contraventionnelle. Forgée sous l'Ancien Régime afin de permettre la conservation du domaine
public et la sanction rapide de son éventuelle dégradation, la contravention de grande voirie (qui
donne au juge administratif l'occasion de ressortir des archives l'ancestrale ordonnance de Colbert
sur la marine d'août 1681 dans laquelle la notion même ne figure pas) a été, pendant le
XIXe siècle, l'objet de joutes doctrinales entre défenseurs de la juridiction pénale judiciaire et «
administrativistes » tels que Cormenin ou encore Foucart . Chacun revendiquait alors la
9
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
compétence de « son » ordre juridictionnel. Aujourd'hui encore, la contravention de grande voirie
possède ce caractère composite : elle est une sanction mixte. Toutefois, bien que domaniale et
pénale, elle baigne, malgré tout, dans une ambiance générale de droit public. Car même si,
conformément aux règles générales du droit pénal, elle se doit d'avoir été strictement prévue par
un texte spécial pour qu'une infraction soit consacrée, ce qui compte principalement lorsque cette
notion est employée c'est la réparation du préjudice subi par le domaine public : c'est la sanction
du non-respect de l'intégrité du domaine. Alors, il s'agit _ au plus vite et efficacement _ de le
remettre en état sans se soucier nullement de l'intention de celui qui a causé le dommage. Il n'est
donc aucune subjectivité en cette matière : on recherche un responsable objectif quelle qu'ait été
son intention, ou non, de causer un préjudice. En outre, dans la présente espèce, le versant pénal
de la contravention de grande voirie a été neutralisé _ en partie _ par la loi du 6 août 2002
disposant que « sont amnistiés en raison de leur nature (...) les contraventions de grande voirie »
antérieurs au 17 mai 2002. Or, si cette neutralisation n'entraîne aucune contestation au fond, elle
en a engendré sur la forme. En effet, ce ne sont pas les services préfectoraux qui ont invoqué ce
moyen mais, d'office, les juges du fond nantais sans procéder à la communication exigée à l'article
R. 611-7 du CJA. S'en est suivi un vice de procédure non régularisable qui a entraîné _ sur ce
point _ la cassation partielle de l'arrêt attaqué. De surcroît, ainsi qu'il le soutenait dans son
pourvoi, Henri Cacheux ne demandait pas au préfet du Finistère de mettre en oeuvre une action
pénale (que seul le juge administratif répressif peut actionner) mais simplement de dresser un
procès-verbal permettant éventuellement cette procédure. En conclusion, souligne Pierre Collin,
« le dresser n'implique en rien de méconnaître les effets de la loi d'amnistie ».
Car ce qui importe surtout ici c'est la réparation matérielle et objective du domaine : en effet,
l'administration qui dresse un procès-verbal de contravention de grande voirie n'a pas à
rechercher avec minutie la cause principale, efficiente ou subjective, du dommage : il lui suffit de
poursuivre le contrevenant qui apparaît comme « objectivement responsable ». Ainsi c'est en règle
générale le propriétaire d'un bien, l'employeur ou le gardien que l'on va incriminer en permettant
à ce dernier de mettre en oeuvre une action récursoire contre celui qu'il estime être le responsable
effectif. En l'occurrence le requérant semble avoir proposé de dresser un procès-verbal
conjointement contre le propriétaire, l'affréteur et le capitaine de l'Erika ainsi que contre le
propriétaire du pétrole ayant causé la pollution. Ce dernier contrevenant potentiel ne nous semble
pourtant pas avoir été judicieusement choisi. En effet, même si, pour tous, la compagnie
pétrolière semble être « le » responsable effectif de la pollution par hydrocarbures, on sait que
depuis une jurisprudence Chevalier le juge administratif, lorsqu'il en a connaissance, poursuit le
gardien du bien ayant causé le dommage et non son propriétaire. C'est d'ailleurs précisément ce
que constatera l'un des juges du fond en « considérant, d'une part, que la personne qui peut être
poursuivie pour contravention de grande voirie est, soit celle qui a commis ou pour le compte de
laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle
se trouvait la chose qui a été la cause du dommage ». Ce sera également l'opinion du Conseil
d'État dans la présente espèce.
Peu importe même qu'il y ait eu une dégradation effective et matérielle du bien domanial, il suffit
qu'il y ait eu accomplissement matériel d'une action défendue par un texte. En matière de
pollutions, il existe ainsi de nombreux précédents qu'il s'agisse comme ici du domaine public
maritime ou du domaine fluvial avec cet exemple d'un empoisonnement par déversement de
vinasse (sic). En outre, en cas d'atteinte à un domaine public, l'administration habilitée n'a pas
l'opportunité (comme en droit pénal classique) mais l'obligation de dresser un procès-verbal de
contravention qui permettra une remise en état rapide et efficace du bien considéré : il s'agit là
d'une compétence strictement liée. Le Conseil d'État rappelle ici, en effet, que l'administration est
tenue « par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l'utilisation
normale des rivages de la mer et d'exercer à cet effet », notamment, la procédure de
contravention de grande voirie « à la suite d'une pollution par des produits pétroliers qui
s'opposent à l'exercice par le public, de son droit à l'usage de ce domaine ».
Cette obligation de poursuite ne s'efface alors, selon les termes jurisprudentiels consacrés, que
devant d'autres motifs d'intérêts généraux ou d'ordre public et non pour de « simples
convenances administratives ». Ainsi, même si l'administration entretient d'importantes relations
(économiques par exemple) avec un potentiel contrevenant, elle ne peut décider, sous peine de
détournement de pouvoir, de refuser de dresser un procès-verbal. En l'occurrence ce sont bel et
bien des motifs d'intérêt général qu'ont invoqués tous les préfets du littoral breton pour se
soustraire à leur obligation de dresser un procès-verbal. Mais quels furent précisément ces motifs
10
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
et quel fut, à leurs invocations, le contrôle du juge ? Concrètement les représentants de l'État
saisis ont tous avancé l'argument selon lequel une procédure de contravention de grande voirie «
n'aurait pu qu'avoir une incidence négative sur la procédure amiable » déjà entreprise entre la
puissance publique et le groupe Total qui s'était engagé _ de lui-même _ à nettoyer et à remettre
en l'état le domaine pollué. Autrement dit, constate la Cour administrative d'appel de Nantes dans
son arrêt précité, M. Cacheux n'établissait pas « que la mise en oeuvre d'une procédure de
contravention (...) aurait assuré une remise en état plus rapide ou efficace de ce domaine ». En
effet, estiment juges et préfets, la multiplication des procédures et le volet répressif de la
contravention de grande voirie s'ils avaient été engagés auraient certainement durci ou, tout au
moins, compliqué les relations amiables entre la compagnie pétrolière et l'État. En outre, cette
hypothétique contravention de grande voirie aurait pu retarder l'indemnisation conventionnelle
des victimes auprès du FIPOL. Mais affirmer cela n'est-ce pas méconnaître l'essence même de la
contravention de grande voirie qui a été prévue _ hors de toute considération subjective _ pour
assurer la réparation intégrale d'un préjudice domanial ? On peut être conduit à le penser. C'est,
en outre, vraisemblablement l'opinion qu'a défendue le requérant lorsqu'il a reproché aux juges
du fond de ne pas avoir recherché si les actions de dépollution amiables entreprises par Total (et
que le requérant estime insuffisantes) avaient permis d'atteindre un résultat équivalent à la mise
en oeuvre d'une potentielle contravention. Appelé à juger au fond la présente affaire en
application de l'article L. 821-2 du CJA, le Conseil d'État a été conduit à préciser qu'il n'était pas
tenu de contrôler cette adéquation entre le préjudice effectivement réparé et le résultat qu'une
hypothétique contravention aurait entraîné. Car en choisissant de refuser de dresser un procèsverbal de contravention de grande voirie au nom de l'intérêt général, l'administration préfectorale
s'est extirpée de sa compétence liée pour mettre en oeuvre un choix purement discrétionnaire que
le juge du fond n'a pas la possibilité de contrôler.
Toutefois, ainsi que le souligne le commissaire du gouvernement Collin, il revient à ce même juge
d'exercer un contrôle restreint (et non normal ainsi que l'a pensé le juge nantais) afin de dire si
l'administration a pu légitimement invoquer des motifs d'intérêt général lui permettant d'échapper
à la compétence liée du procès-verbal. Il n'y aurait alors, estime le Conseil d'État, aucune « erreur
manifeste d'appréciation » à avoir rejeté la procédure de contravention « qui aurait eu une
incidence négative » au profit des solutions déjà mises en place spontanément par Total qui «
s'était engagée (...) à prendre en charge techniquement et financièrement le traitement des déchets
et les opérations de pompage (...) entre le 5 juin et le 6 septembre 2000, et à contribuer au
financement du nettoyage et de la remise en état du littoral ». Il s'agit là, estime Yves Jégouzo,
d'une « conception réaliste des intérêts généraux ». Conception qui se heurte cependant au droit
international de l'environnement, tout aussi impuissant que le droit interne, à sanctionner cette
pollution maritime.
II. L'ancrage du droit international de l'environnement
Le Conseil d'État, tout comme les autres juridictions saisies avant lui, a suivi le requérant qui avait
mis en avant la convention du 29 novembre 1969 (CLC) sur la responsabilité civile pour les
dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. L'expression employée est dans tous les cas
celle de « convention de 1969 modifiée par le protocole de Londres du 27 novembre 1992 ».
Cette convention avait été adoptée à la suite du naufrage du Torrey Canyon en 1967 et pour
pallier les difficultés liées aux multiples nationalités en cause et permettre aux victimes d'obtenir
une indemnisation rapide et certaine. Texte novateur, cette convention visait bien sûr à
l'indemnisation des victimes mais également à la prévention par la responsabilisation des acteurs
du transport maritime, résultat qui semble loin d'être acquis aujourd'hui. Ce texte a été complété
par la convention du 18 décembre 1971 portant création d'un fonds international d'indemnisation
pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), modifiée notamment par
un protocole de 1992 et après les naufrages de l'Erika et du Prestige par l'adoption, en 2003, d'un
fonds complémentaire. Il faut pourtant souligner que depuis l'entrée en vigueur des protocoles de
1992, le régime des conventions de 1969 et 1971 a été remplacé : le terme approprié désormais
est donc celui de convention de 1992 (convention CRC) et non plus celui de convention de 1969
ainsi que les juges l'emploient encore. Ceci d'autant plus que la France a dénoncé la convention
de 1969 sur la responsabilité civile le 15 mai 1998, soit un an et demi avant même le naufrage de
l'Erika.
La convention de 1992 (tout comme celle de 1969) porte ainsi sur les déversements
d'hydrocarbures sur le territoire des États contractants, y compris la mer territoriale et ce jusque
dans la ZEE (zone économique exclusive), ce qui la rend bien applicable dans le cas de l'Erika.
11
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
En revanche, le requérant demandait à ce qu'en application de ce texte soit dressée contravention
de grande voirie à l'encontre du propriétaire du navire, du commandant et de l'affréteur, or la
convention ne prévoit que la mise en jeu de la responsabilité du propriétaire et de nul autre. Le
commandant, l'armateur l'affréteur, ou le commandant ne peuvent être poursuivis sauf à prouver
que « le dommage résulte de leur fait ou de leur omission personnels, commis avec l'intention de
provoquer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en
résulterait probablement ». Pouvait-on ici juger que l'affréteur (la société Total) avait agi
témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ? C'est sans
doute sur ce dernier mot que l'on achopperait ici, tout au moins concernant l'affréteur. En effet,
sachant pourtant que l'Erika n'était pas un navire en bon état malgré ses certificats de navigabilité,
les responsables de la société Total ne pensaient certainement pas qu'il y aurait « probablement »
un dommage ; après tout Total a elle aussi subi un préjudice du fait de la perte de ses
hydrocarbures (la société avait d'ailleurs engagé une action en référé devant le Tribunal de
commerce de Dunkerque suite à la perte de sa cargaison). Le certificat délivré par la société de
classification est, de plus, une présomption de navigabilité : cela devrait dans tous les cas suffire à
exonérer la société Total de toute accusation de négligence. Toutefois il faut savoir que les
compagnies pétrolières ont mis en place un système de contrôle (le Vetting), via une base de
données qui répertorie des contrôles exercés par ces compagnies. Ceci laisse supposer qu'elles ne
se fient pas entièrement aux sociétés de classification. Or, le commissaire du gouvernement
Collin, dans ses conclusions, estime qu'il n'y avait pas ici témérité (qui selon lui doit être prise
dans le sens de pollution volontaire ou de comportement totalement et délibérément inconscient)
d'autant qu'« il apparaît que Total a suivi ses procédures internes habituelles ». On peut trouver
curieux cette référence à des procédures internes. Sont-elles supposées êtres des garanties pour
un comportement « raisonnable » ? On doit d'ailleurs rappeler que le Bureau d'enquêtes accidents
(BEA) dans son rapport de 2001 avait, outre le mauvais état de l'Erika, souligné que ce navire
avait été refusé par d'autres compagnies pétrolières telles que la British Petroleum ou encore
Shell. Curieuse référence en effet d'autant plus que l'Erika, construit en 1975, avait, depuis cette
date, changé sept fois de nom et avait été soumis au contrôle de quatre différentes sociétés de
classification. Or, on sait que le changement de classe ou de société de classification peut avoir
pour but d'éviter d'effectuer les réparations nécessaires sur un navire et que les navires les plus
anciens sont les plus susceptibles d'être victimes d'accidents.
En application de la convention de 1992 les poursuites ne peuvent donc être intentées qu'à
l'encontre du propriétaire du navire et uniquement sur la base de ladite convention. Cette
condition ayant pour but de faciliter l'action des victimes, la convention met en contrepartie en
place une responsabilité objective du propriétaire. Le propriétaire peut s'exonérer de sa
responsabilité si le dommage résulte d'un acte de guerre, de force majeure, du fait d'un tiers
agissant délibérément ou de la victime agissant, soit intentionnellement, soit par négligence.
La responsabilité du propriétaire est toutefois limitée à 89.770.000 unités de compte au
maximum, cette limitation ne jouant pas s'il a agi intentionnellement ou témérairement et avec
conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement. Elle est également limitée en pratique
par l'obligation d'assurance. Ce mécanisme, s'il permet une indemnisation au moins partielle des
victimes ne responsabilise guère le propriétaire du navire, pour peu qu'il soit identifiable et
solvable et ne disparaisse pas dans la nature comme parfois avec les single ship companies. Il
responsabilise encore moins les affréteurs, dont la cargaison est assurée et qui, s'ils cotisent au
FIPOL, restent toutefois relativement « irresponsables »... L'argument invoqué pour laisser les
affréteurs en dehors du système reste la viabilité de ce commerce et la nécessité de transporter ces
hydrocarbures par mer, aucun assureur n'étant susceptible de couvrir un risque illimité. Argument
fallacieux. Les États-Unis ont en effet refusé d'adhérer au système des conventions de 1969 et
1971 et après le naufrage de l'Exxon Valdez a été votée l'OPA qui met en place un mécanisme à
deux étages. Si au niveau fédéral la responsabilité est limitée à 10 millions de dollars, chaque État
fédéré décide ensuite à son niveau de limiter ou non le montant de l'indemnisation et la plupart
des États ont opté pour une stricte application du principe pollueur-payeur en ne fixant pas de
plafond d'indemnisation. De plus peuvent être poursuivis aussi bien le propriétaire que l'armateur
ou le commandant du navire. Ces conditions n'ont pas pour autant mis fin au transport maritime
d'hydrocarbures vers les États-Unis. On pourrait sans doute imaginer un système comparable en
Europe, mais le mécanisme mis en place par les conventions actuelles a privilégié l'indemnisation
au détriment de la prévention, la mutualisation du risque plutôt que la stricte application du
12
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
principe pollueur-payeur. Choix également fait d'ailleurs par la Charte constitutionnelle de
l'environnement dans son traitement du principe pollueur-payeur.
Quels que soient les défauts de cette convention le juge administratif avait bien l'obligation d'en
appliquer les dispositions conformément à la jurisprudence _ désormais classique _ en la matière.
Et l'on ne peut _ une fois encore _ que déplorer que la convention ne permette pas aux États
d'adopter des dispositions plus strictes. En effet, ainsi que le souligne David Deharbe, il est
regrettable « que le droit international n'ait pas réservé la possibilité pour l'État, victime de la
pollution, d'opposer sa propre législation protectrice de l'environnement pour obtenir réparation
du dommage écologique ; mais la Cour pouvait difficilement passer outre cette interprétation du
droit positif » . Il est vrai cependant que ce type de convention a pour objet d'harmoniser le droit
applicable afin d'éviter les situations toujours difficiles de règlement de conflits de lois et de
juridictions. En ce sens une législation nationale ne mettant pas strictement en oeuvre la
convention serait source d'insécurité juridique.
III. Un sauvetage de l'intérêt plus financier... que général ?
De nombreuses questions sont toutefois soulevées par cette nouvelle jurisprudence Cacheux
même si, a priori, elle ne semble que confirmer des traditions prétoriennes en matière de
contravention de grande voirie et d'application du droit international.
On peut ainsi se demander si, au regard de ce nouvel arrêt, le principal intérêt qui a été mis en
avant n'est malheureusement pas celui du domaine public ou de l'environnement et de sa
protection mais simplement celui des intérêts financiers étatiques (on rappellera que d'importants
capitaux publics ont été investis dans le groupe Total-Fina-Elf). D'ailleurs si l'on recherche des
précédents, on s'aperçoit que, lorsque le juge accepte (ce qui demeure rare) de ne pas sanctionner
une administration qui refuse de dresser un procès-verbal de contravention de grande voirie pour
un autre motif d'intérêt général, c'est souvent au nom d'une préoccupation marchande. Ainsi
vingt ans plus tôt ce furent déjà des intérêts économiques locaux qui avaient primé sur la
procédure de contravention, le juge ayant refusé que soit interrompue une conserverie installée
depuis deux décades sur le domaine public maritime.
De plus, l'essence même de la notion de contravention de grande voirie n'a-t-elle pas été niée
lorsque le juge a cru bon de rechercher une quelconque intention coupable pour permettre
d'exonérer le contrevenant potentiel ? Le seul impératif de protection du littoral et du droit de
l'environnement ne suffisait-il pas à ordonner une réparation immédiate du préjudice public ?
En outre, on peut également s'étonner de la timidité des représentants de l'État en la matière. En
règle générale on constate, en effet, que les maires ont été bien moins timorés que les préfets
même s'ils ont (tout autant) été désavoués par les juridictions. Ainsi en fut-il devant la Cour
d'appel de Rennes et le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire où les juges ont refusé de mettre
en demeure la société Total de prendre en charge le ramassage du fuel sur les plages, par exemple,
de la commune de Mesquer. Il faut cependant souligner que cette offensive des maires (lancée le
21 juin 2000) n'a pas pour autant dissuadé Total de participer au nettoyage des plages.
On peut d'ailleurs noter qu'à cette date la plupart des demandes de M. Cacheux avaient été
repoussées implicitement ou explicitement en raison de l'avancement des opération de pompage
et de nettoyage ; avancement visiblement insuffisant pour les maires des communes concernées.
En ce sens, le CEDRE (Centre de documentation et de recherche et d'expérimentations sur les
pollutions accidentelles des eaux) a bien précisé, dans sa lettre de juin 2002 (La Lettre du CEDRE
no 85) que le nettoyage des côtes n'avait été terminé que deux ans et demi après le naufrage. Il
convient même de rappeler qu'il existe une procédure pénale en cours contre la société Total,
mise en examen comme personne morale, pour pollution maritime et mise en danger d'autrui et
que cette procédure n'a pas davantage dissuadé la société de participer au nettoyage des côtes.
Pourquoi, en conséquence, le juge administratif recevrait-il, quant à lui, cet argument « de
convenance » selon lequel une contravention de grande voirie « aurait une incidence négative »
sur la réparation du domaine ? Une simple contravention de grande voirie aurait-elle vraiment
poussé Total à abandonner le nettoyage des côtes entrepris avant tout pour contrebalancer la
mauvaise publicité due au naufrage ?
C'est donc une nouvelle fois le recours à une procédure dite amiable que juges et préfets ont
voulu mettre en avant plutôt que d'opter pour une stratégie répressive. Une telle approche est
d'ailleurs assez largement répandue aujourd'hui en droit de l'environnement. La mise en oeuvre
du réseau Natura 2000 privilégie ainsi en France le contrat face à la réglementation et, dans le
domaine de l'eau, la transaction pénale a été introduite par l'ordonnance no 2005-805 du 18 juillet
2005.
13
Travaux dirigés de droit administratif des biens
MTD-CMM-LS ©
Mais, pour des pollutions aussi extraordinaires que celles de l'Erika, entraînant des conséquences
environnementales et économiques de cette importance, ne peut-on pas se demander si cette voie
_ amiable _ ne laisse pas planer un sentiment d'injustice et de frustration pour les victimes
directes ? Des contraventions de grande voirie sollicitées dès la fin de l'année 1999 par les
différents préfets du littoral breton n'auraient-elles pas été plus efficaces ?
***
Dragage du Canal du Midi
L.2124-11 al 1er du CG3P :
« L'entretien, tel que défini aux articles L. 215-14 et L. 215-15 du code de l'environnement, des
cours d'eau domaniaux et de leurs dépendances est à la charge de la personne publique
propriétaire du domaine public fluvial. Toutefois, les personnes qui ont rendu les travaux
nécessaires ou y trouvent intérêt peuvent être appelées à contribuer au financement de leur
entretien. »
14