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POLITIK & GESELLSCHAFT
Luxemburger Wort
Mittwoch, den 14. Oktober 2015
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Prix Nobel de la Paix
Les dessous d'une distinction
Une consécration internationale en manque de crédibilité nationale
que les oubliés de ce prix Nobel
sont les députés de l’ANC qui, en
dépit d’importantes divisions et
des fréquentes tentatives de déstabilisation, ont offert à la Tunisie une nouvelle constitution.
Donc, ce sont davantage les heures
interminables de débats houleux et
contradictoires au sein de l’ANC
sur des questions telles que la charia, le statut des femmes ou la séparation des pouvoirs constitutionnels, que le «Dialogue national», qui ont permis de trouver un
consensus national.
PAR AICHA AYARI (TUNIS)
Le Nobel de la Paix comme chaque
année a suscité une certaine émotion sur le plan international, la Tunisie par contre hésite entre indifférence et fierté: quelques éclats de
joie ont salué la récompense vendredi, mais on ne put voir de véritables foules en liesse.
Le prix Nobel de la Paix 2015 a été
décerné, vendredi dernier, au
Quartet tunisien qui regroupe la
Ligue tunisienne des Droits de
l’Homme (LTDH), l’Ordre des
Avocats, l’Union générale des
Travailleurs tunisiens (UGTT) et
l’Union tunisienne de l’Industrie,
du Commerce et de l’Artisanat
(UTICA) «pour sa contribution
décisive à la construction d'une
démocratie pluraliste en Tunisie».
Sans aucun doute, cette prestigieuse récompense rend hommage à la société civile tunisienne, dans son ensemble, pour
son rôle d’acteur du changement
et salue «tous les efforts consentis
pour construire une vraie démocratie». Pourtant, face à cette reconnaissance, les Tunisiens ne
semblent pas particulièrement
emballés. Pourquoi ce manque
d'enthousiasme? Voici quelques
éléments de réponse.
Un «consensus de classe»
D’abord, cet accueil mitigé s’explique, en partie, par la perception
même que les Tunisiens se font du
consensus national, fruit du dialogue national. On se souvient
qu’en 2013, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi étaient assassinés,
plongeant le pays dans une grave
crise politique. Dans tout le pays
se succèdent alors des manifestations appelant à la démission du
gouvernement et de l’Assemblée
nationale constituante (ANC).
C’est dans ce contexte que le
Quartet voit le jour et qu’après des
semaines de débat, une feuille de
route, prévoyant la formation d’un
«gouvernement de technocrates»
Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH). Le prix Nobel porte
les couleurs d’une vision euro-centrée de ce que devrait être la démocratie dans les pays arabes.
(PHOTO: AFP)
et l’adoption de la nouvelle constitution, est signée.
Seulement voilà, d’après Héla
Youssfi1, le consensus issu de ce
dialogue a été perçu «comme un
consensus de classe (patronat et
salariés) qui s'est fait aux dépens
des chômeurs et des laissés pour
compte et qui a permis à l’ancienne élite issue du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, le parti politique de
Ben Ali officiellement dissout) et
à la nouvelle élite islamiste issue
des urnes de réaliser un compromis politique. La suite de ce pro-
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cessus, c’est aussi le partage du
pouvoir actuel entre Ennahda et
Nidaa Tounes, représentant l’ancien régime, qui s’est fait au détriment des questions sociales et
économiques qui étaient pourtant
à l’origine de la révolution». À ce
propos, nombreux sont ceux qui
considèrent que l’alliance actuelle
entre Nidaa Tounes et les islamistes d’Ennahdha est le pire scénario pour le processus démocratique.
Par ailleurs, face à la situation
actuelle du pays, l’attribution de ce
prix Nobel tombe presque comme
un «cheveu sur la soupe». En effet, l’actuel gouvernement enchaîne les mesures anti-constitutionnelles: la loi contre le terrorisme qui limite les libertés individuelles et collectives, la loi sur
la réconciliation économique qui
prévoit d’amnistier toute personne impliquée dans des affaires
de corruption sous l’ancien régime de Ben Ali et l’immixtion du
président Béji Caid Essebsi (BCE)
dans des affaires qui ne relèvent
pas de ses prérogatives.
Comme il faut «rendre à César
ce qui appartient à César», notons
Une vision européenne
Enfin, cette récompense porte les
couleurs d’une vision euro-centrée de ce que devrait être la démocratie dans les pays arabes.
Force est de constater que cette
démocratie à l’européenne a, trop
souvent, perdu ses nobles couleurs, mettant de côté les droits de
l’Homme à la faveur de la stabilité
sécuritaire, du soutien à la lutte
contre l’immigration clandestine et
le terrorisme ainsi que des politiques commerciales fortement déséquilibrées. D’ailleurs, il n’y a pas
si longtemps, l’Union européenne
considérait l’ancien président Ben
Ali comme l’un de ses seuls amis
démocrates du monde arabe car
seul importait le jeu des alliances.
Il faut donc relativiser la portée de
ce prix.
Ne jetons pas toutefois le bébé
avec l’eau du bain. Certes, il est à
craindre une récupération par
l’élite politique et économique à la
faveur d’une consolidation de la
frange autoritaire du régime. En
ces termes, ce prix passe pour un
chèque en blanc. Malgré tout, cette
consécration, qui sape le moral des
détracteurs de la Tunisie, retentit
comme un encouragement à la
poursuite de l’expérience démocratique. Surtout au moment où le
pays est traversé par deux courants: une tendance à la démocratisation face à une autre qui
plaide pour la résilience autoritaire (Ennahdha et Nida Tounes).

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