La Justice internationale oublie?

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La Justice internationale oublie?
HAGUE JUSTICE JOURNAL I JOURNAL JUDICIAIRE DE LA HAYE
VOLUME/VOLUME 2 I NUMBER/ NUMÉRO 1 I 2007
La Justice internationale oubliée?
Fausto Pocar 1
L’exécution de Saddam Hussein, si peu de temps après la confirmation du jugement de
première instance par la Cour d’appel du Tribunal spécial irakien, aurait pu mettre fin à
une affaire qui a tourmenté l’opinion publique internationale. Mais il est improbable qu’il
en soit ainsi. La fin de Saddam Hussein et son procès resteront probablement un objet
d’attention et donneront lieu à de nouveaux débats. En particulier, deux aspects ont attiré
l’attention : la peine de mort et le non respect lors du procès de normes juridiques exigées
par le droit international. L’exécution immédiate renforce les critiques quant à la nature
politique de l’affaire. Plutôt que d’avoir été motivée par les critères d’un procès équitable,
l’exécution elle-même semble vraiment inspirée de la volonté de mater la résistance
sunnite plus rapidement, afin de tourner la page et de permettre une nouvelle stratégie pour
l’Irak. En outre, d’autres considérations procédurales auraient plaidé en faveur d’un
ajournement de l’exécution. Cela aurait permis la conclusion d’un deuxième procès,
commencé en août dernier.
Ce procès concerne la campagne menée contre les Kurdes dans les années 80 (l’opération
al-Anfal) qui, selon l’acte d’accusation, aurait entraîné environ 180 000 décès — de
femmes et d’enfants pour la plupart. Plus de 70 témoignages avaient déjà été entendus dans
ce second procès et des éléments de preuve avaient été présentés aux juges sous forme
écrite. Dans ces circonstances, et au vu des critiques faites au premier procès, il aurait été
naturel d’attendre la fin du second avant de procéder à l’exécution. Dans le cas d’une
deuxième condamnation, la peine aurait inclus la responsabilité pour génocide, une charge
plus grave que celle retenue pour al-Dujail. Si une plus grande attention avait été portée
aux garanties procédurales, la poursuite du second procès aurait également permis un
changement dans la manière dont l’affaire mettant en cause le dictateur était perçue. Mais
toute nouvelle démarche est désormais exclue, dans la mesure où un procès criminel ne
peut continuer après la mort de la personne inculpée.
1
Fausto Pocar est professeur de droit international à l’Université de Milan et président du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie. Une version légèrement amendée de la présente contribution a été
publiée en italien in Il Sole 24 Ore (31/12/2007) sous le titre "Dimenticata la giustizia internazionale".
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LA JUSTICE INTERNATIONALE OUBLIÉE?
Le procès de Saddam Hussein entrera dans l’histoire de la justice pénale comme un procès
achevé de manière impropre alors même que l’Irak se tourne vers les principes gouvernant
un État de droit. La différence entre une civilisation inspirée par les principes de l’État de
droit et une civilisation qui ne l’est pas, est caractérisée par l’existence de règles de droit et
de garanties judiciaires protégeant toute personne au regard de la loi. Une personne
accusée d’un crime a le droit d’être jugée par des magistrats indépendants et impartiaux,
qui décident de l’affaire en respectant rigoureusement les garanties minimales prévues par
la loi. Ces garanties respectent les normes universelles contenues dans des traités
internationaux tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,
ou dans des traités régionaux comme la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’Homme. Des organisations non gouvernementales impartiales ont observé que ces
garanties n’étaient pas suffisamment respectées au cours du procès du dictateur irakien.
Ceci est illustré par le fait que, pour des raisons de sécurité, la plupart des juges ont du
rester anonymes, que le président a dû être remplacé et que trois avocats de la défense
furent assassinés pendant le procès. Il est très inquiétant que cela soit arrivé dans une
procédure qui, bien que conduite uniquement sous l'autorité irakienne, a été largement
guidée et soutenue par des pays dont l’ordre juridique interne est inspiré des principes d’un
État de droit. Ces pays ont ainsi soutenu, également au niveau culturel, un modèle qui
serait totalement inacceptable dans leurs propres ordres juridiques internes.
Finalement, il ne fait aucun doute que la fin du procès de Saddam Hussein ne peut
aucunement bénéficier à l’ordre juridique international naissant, inspiré par le respect
rigoureux des principes du procès équitable et qui rejette la peine de mort comme sanction
pour les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le « précédent de
Bagdad » ne fera qu’inciter d’autres pays à faire de même, engendrant de nouvelles
difficultés pour les tribunaux internationaux. Le premier d’entre eux sera la Cour pénale
internationale, qui entreprend actuellement ses premières démarches contre son premier
accusé. L’affaire du dictateur irakien rappelle le traitement expéditif et l’exécution
sommaire du dictateur roumain Ceauşescu : un exemple qui n’est pas à suivre.
Ce commentaire a été traduit de l'anglais par Marie Delbot et Vincent Pouliot.
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HJJ I VOL. 2 I NO 1 I 2007

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