La voie des dieux : le shintô

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La voie des dieux : le shintô
ALBERT-KAHN MUSÉE ET JARDINS
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LA VOIE DES DIEUX : LE SHINTÔ
Étymologiquement, shintô vient du chinois shen, « esprit » et dao, « voie ». Comme le taoïsme chinois qui
possède une parenté avec le shamanisme, le shintô est une religion basée sur le culte de la nature. Même s’il
reçut une influence de la culture chinoise (taoïste et bouddhique), le shintô est une religion fondamentalement
japonaise. Liées aux rites de fécondités, les plus anciennes traces
de cultes, datent du IIIe siècle et sont liées à la riziculture. Les
kamis sont des esprits surnaturels qui sont liés à un élément du
paysage (végétal, animal, minéral) ou aux ancêtres.
À partir des VIIe et VIIIe siècles, les temples et les sanctuaires ainsi
que les rites qui y sont associés se développent. L’objet du culte
peut simplement être une montagne, un arbre ou un espace sacré
délimité par une corde qui l’entoure. Dans les grands temples ce
sont des portiques en bois laqués de rouge, les toriis, qui matérialisent le passage vers le monde surnaturel.
Le mont Fuji, vu du village de Yoshida, au
crépuscule. Inv. A 56 809
Le Fuji
Le mont Fuji reste le but de nombreux pèlerins japonais encore aujourd’hui. Ce volcan encore actif (la dernière
éruption eut lieu au XVIIIe siècle) est le siège de la déesse Fuchi, déesse du feu et des volcans, entre autres.
Intérieur du petit sanctuaire. Inv. A 56 814 X
Les pèlerins ont déposé des offrandes à l’intérieur du
sanctuaire : en haut, les sanja-fuda, sortes de « cartes de
visite » laissées aux divinités, témoignent du passage des
fidèles. Les waraji (sandales de paille de riz) sont destinées
aux kamis des montagnes, réputés grands marcheurs. La
sandale géante, à droite, a pour mission d’effrayer les
démons.
Petit sanctuaire marquant une étape pour les pèlerins du mont Fuji. Inv. A 56 813
Ce petit sanctuaire marque une étape pour les pèlerins accomplissant l’ascension du mont Fuji. Outre la vénération
dont il faisait l’objet dans la religion officielle, ce volcan se trouvait aussi, depuis des temps très anciens, au centre
du développement de pratiques populaires connues sous le nom de shugen-dô (culte de montagnes).
Le mont Fuji a aussi inspiré la poésie japonaise, en témoignent ces quelques vers :
« Entre les pays de Kai et de Suruga se dresse haut le sommet du mont Fuji.
Les nuages au ciel s’attardent dans leur course.
Les oiseaux mêmes ne peuvent s’élever au-dessus.
Les feux qui brûlent, par ses neiges sont éteints et les neiges qui tombent, ses feux consument.
Je ne peux parler de lui.
Je ne peux lui donner un nom, à ce dieu mystérieux. »
Extrait du Manyôshu « Recueil des dix mille feuilles », vers 760, qui est la plus ancienne anthologie poétique japonaise.
Albert-Kahn, musée et jardins est une propriété
du Département des Hauts-de-Seine
Une religion populaire
Les rites shintô sont à la fois collectifs et individuels et suivent le rythme de la nature. Dans l’ancien Japon,
l’agriculture rythme la vie quotidienne et en particulier la culture du riz. Chaque étape est célébrée par une fête,
matsuri. L’observation des rites de purification et la participation à ces fêtes favorisent une récolte abondante.
Tous les kamis ont leur fête spécifique.
Dans la sphère privée, chaque famille possède dans sa maison un autel des ancêtres où sont disposées les
offrandes de nourriture (riz, fruits) ou de parfum (encens).
Les Go-Sekku sont les cinq fêtes des saisons dont les premières célébrations à la cour impériale datent de
l’époque de Nara (VIIIe siècle).
Parmi elles, la fête des garçons et la fête des filles sont deux fêtes destinées aux enfants célébrant le passage
des saisons. À l’ère Meiji, ces deux fêtes ne firent plus partie des fêtes officielles car elles étaient considérées
comme liées aux shôguns*. Au début du XXe siècle, elles retrouvèrent leur position officielle comme le montrent
les autochromes de Roger Dumas.
Tango-no-Sekku : la fête des garçons
La fête des garçons a lieu le 5e jour du 5e mois de l’année lunaire et célèbre le début de l’été. De la même
façon que les fleurs de pêchers sont liées à la fêtes des filles, les fleurs d’iris sont liées à la fête des garçons.
Pour le Tango no Sekku des feuilles d’iris et d’armoise sont suspendues devant les maisons dans des rites
purificatoires. À l’époque de Kamakura (1185-1333) où se développe la caste des guerriers, cette fête prend
son essor avec la coutume d’offrir aux garçons des éléments d'armure, le mot shōbu, iris, ayant un homophone
qui signifie « esprit chevaleresque ».
À l’ère Edo (1600-1868), avec la prise de pouvoir des shôguns*, cette fête célébrant les vertus guerrière devient
la fête des garçons pour tous les japonais. Le jour de la fête, les éléments d’armures ou des poupées
représentant des héros guerriers en tenue de combat sont
disposés dans le tokonoma, sorte d’alcôve surélevée où les objets
précieux sont exposés, comme un rouleau de peinture vertical,
ou un ikebana*.
Sur le toit ou à l’intérieur de la maison, des bannières carpes, Koi
nobori, sont dressées sur un mât. En forme de manchon à air
elles semblent nager dans les airs.
D’après une légende chinoise les carpes du fleuve Jaune, après
avoir remonté le fleuve, s'envolèrent vers le ciel en se transformant
en dragons.
Exposition de figurines pour le Tango-no-Sekku (fête
Depuis 1948 le tango-no-sekku est la fête nationale des enfants,
des Garçons), Résidence Kitashirakawa, Tôkyô,
Roger Dumas, mai 1926. Inv. A 55 182
kodomo no hi (jour des enfants).
Hina-matsuri : la fête des filles
« Allumons les lanternes
Disposons les fleurs de pêchers
Les 5 musiciens de la cour jouent de la flûte et du tambour
Aujourd’hui est la joyeuse journée des poupées »
Joyeuse fête de poupées, Chant traditionnel.
Hina-matsuri, la fête des poupées, trouve son origine dans des croyances où les poupées étaient censées
repousser les démons de la maladie. Cette fête est associée à la fête des pêches, Momo-no-Sekku, qui se
déroule le 3e jour du 3e mois selon le calendrier lunaire, car les pêchers fleurissent à cette période. Elle est fêtée
dans chaque famille ayant eu une fille. La veille une série de poupées représentant la cour impériale à l’époque
Heian (794-1185) est installée, sur un présentoir en gradin recouvert de tissu rouge.
Si la famille ne possède aucune des poupées dédiées à cette fête,
le minimum étant le couple impérial, des poupées en origami*
peuvent être utilisées. Les poupées de cette fête sont très
précieuses et très chères car elles sont fabriquées de façon
minutieuse : la poupée de l’impératrice peut porter jusqu’à 12
sous-kimono. Elles se transmettent de génération en génération.
La petite fille vêtue d’un kimono de fête reçoit ses amies avec qui
elle partagera du thé ou un alcool de riz peu alcoolisé, des petits
gâteaux de riz et d’autres pâtisseries. Durant la journée, elle se
recueille devant un sanctuaire shintô. Traditionnellement les
poupées sont rangées le soir même.
Exposition de poupées pour le Hina-matsuri (fête des
Filles), Non localisée, Roger Dumas, mars 1926 ou
1927. Inv. A 68 719 X
La disposition des poupées obéit à une tradition qui les hiérarchise sur les cinq gradins :
– en haut, le couple impérial domine la cour,
– au dessous, trois servantes apportent du saké contenu dans un récipient différent pour chacune
– plus bas, ce sont cinq musiciens jouant chacun d’un instrument distinct
– au dessous de ces artistes se trouve les deux ministres (de gauche et de droite)
– enfin, tout en bas, se tiennent trois vieilles servantes aux expressions différentes.
Les poupées peuvent être aussi entourées de mobiliers miniatures.
Les croyances japonaises : un syncrétisme religieux
Les Japonais pratiquent dans leur vie quotidienne deux religions : le shintô et le bouddhisme. Selon leur nature,
les rites de passages sont célébrés dans l’une ou l’autre des deux religions. Ainsi, la naissance et le mariage
obéissent aux règles shintô, tandis que les cérémonies funéraires suivent les coutumes bouddhiques (la mort
est une souillure pour les shintoïstes).
Les personnages sacrés trouvent leur correspondant dans chacune des deux religions. À chaque kami correspond un boddhisattva* (futur Bouddha dans le bouddhisme Mahayana* pratiqué au Japon). Il existe ainsi
au Japon plusieurs chemins menant à la spiritualité, suivant le concept chinois taoïste du Dao (voie).
Lexique :
*Shôgun : voir fiche n°3, « Au temps des samouraïs et des châteaux »
*Ikebana : art japonais de la composition florale, qui trouve son origine dans l’offrande de fleurs dans les temples
bouddhistes.
*Boddhisattva : voir fiche n°6, « Le bouddhisme, la vie merveilleuse de Bouddha et la doctrine »
*Mahayana : voir fiche n° 7, « La diffusion du bouddhisme au Japon »