partie IV - les procès historiques

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partie IV - les procès historiques
PRESENTATION
DE LA COUR D’APPEL
DE LYON
RESSORT et JURIDICTIONS
PARTIE IV
Les procès historiques
4 LES PROCES HISTORIQUES
Il y a 120 ans à Lyon, comparaissait l'assassin de Sadi Carnot
L’histoire de la justice et d’un ressort judiciaire en particulier est ainsi faite, jalonnée de procès qui ont marqué la
mémoire collective.
Au même titre que le procès de Klaus Barbie en 1987 ou celui du Maréchal de Lattre de Tassigny en 1943, le
procès de Santo Caserio, condamné à mort il y a 120 ans par la cour d’assises du Rhône pour avoir assassiné, à
Lyon, le président de la République Sadi Carnot, est assurément de ces procès historiques qui ont marqué l’histoire
même de la France.
LE CONTEXTE
Républicain modéré, Sadi Carnot a été élu en 1887 à une très forte majorité par la chambre des députés pour
succéder à Jules Grévy, emporté par le scandale dit des décorations. La 3ème République, que les lyonnais ont été
les premiers à proclamer le 4 septembre 1870, quelques heures avant Paris, encore balbutiante sous les assauts des
boulangistes, offre à ses détracteurs les stigmates encore béants du scandale de Panama. Sur le front social, la lutte
syndicale légalisée depuis 1884 a connu ses premières victimes à Fourmies, le 1er mai 1891.
En France, comme partout en Europe, les anarchistes multiplient les attentats contre les représentants de l’autorité
en place : hommes politiques comme magistrats. Parmi eux, François Koënigstein, dit Ravachol, qui déposa une
bombe au domicile du président d’une cour d’assises puis du substitut qui avait requis. Condamné aux travaux
forcés par la cour d’assises de Paris, il fut condamné à mort le 21 juin 1892 par la cour d’assises de Montbrison
pour avoir donné la mort à un ermite de 93 ans. Parmi eux encore, Auguste Vaillant, condamné à mort le 11 janvier
1894 pour avoir lancé une bombe dans l’enceinte de la chambre des députés. Président de la République, Sadi
Carnot a refusé la grâce, demandée par Clémenceau, de Vaillant et scellé, par ce refus, son propre destin.
« Parler de M. Carnot nous parait triste et surtout bien inutile. Qu’est-ce qui n’a été dit et redit sur ce lugubre et
fort macabre successeur de Mac-Mahon de et de Grevy, dont les jours présidentiels sont comptés et peut-être aussi
les jours terrestres ! », peut-on lire le 24 juin 1894, le jour même de son assassinat, dans « La Croix de Lyon » sous
le titre « A Dieu sa place ».
La prémonition avait été précédée de l’envoi depuis plusieurs semaines de lettres anonymes aux termes
annonciateurs : « Sadique Carnot (…) votre sort est réglé. Lorsque vous irez en province, vous n’en reviendrez plus
(…) La vengeance vous attend, car vous avez fait guillotiner le pauvre Vaillant (…) Votre tour va venir (…) Œil
pour œil, sang pour sang » (lettre anonyme du 7 février 1894).
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LES FAITS
Dimanche 24 juin 1894, Lyon est en fête : l’exposition internationale et coloniale, inaugurée le 28 avril par Casimir
Perrier, président du conseil des ministres, reçoit la visite du président de la République, Sadi Carnot.
Le rue de la République est envahie par la foule amassée sur le passage du cortège lorsque, vers 21 heures, un
homme s’élance vers la calèche du président qu’il frappe d’un coup de poignard au cri «Vive l’anarchie ! ».
Transporté à la préfecture, Sadi Carnot y décédera à 0h38.
LES SUITES DE L’ASSASSINAT
Dès l’annonce de l’assassinat, Lyon sera en proie durant près de trois jours à nombre d’exactions et de pillages à
l’encontre notamment de commerçants italiens. 1 100 personnes seront interpellées par la cavalerie appelée en
renfort … 358 d’entre elles seront traduites devant le tribunal correctionnel pour vols et autres outrages ou
rébellion … 77 relaxes, 281 condamnations à des peines d’un mois à deux ans d’emprisonnement Près de 150
autres personnes seront encore arrêtées sur dénonciations et jugées dans les jours qui suivront.
LA PERSONNALITE DE CASERIO
Né le 8 septembre 1873 en Italie, Santo Ironimo Caserio a commencé à l’âge de douze ans un apprentissage de
boulanger à Milan où il demeurera jusqu’à son arrestation puis sa condamnation à huit mois de réclusion pour avoir
distribué à des soldats une brochure les incitant à la révolte. Bénéficiant d’une remise de peine, il s’est exilé en
Suisse puis en France, à Lyon, pour échapper à l’exécution d’un mandat d’arrêt.
Devenu anarchiste le 1er mai 1891 selon ses déclarations, au président de la cour d’assises qui lui demandait : «
Vous vous êtes écrié un jour : Si je retournais en Italie, je tuerais le pape et le roi », il répondra « Pas tous les deux
à la fois, ils ne sortent jamais ensemble ! »
Classé par Lombroso parmi les criminels par passion, Caserio fut examiné par le professeur Alexandre Lacassagne,
fondateur de l’institut de médecine légale de Lyon et pionnier de l’anthropologie criminelle, qui pratiqua également
l’autopsie du Président assassiné. Il qualifia le jeune assassin de « fanatique assassin » avant de conclure à sa
pleine responsabilité et d’écrire, concernant le châtiment à lui appliquer : « Jamais, peut-être, la peine de mort n’a
trouvé plus d’approbateurs ».
L'INSTRUCTION
Aussitôt interpellé, Caserio est présenté à un juge d’instruction de Lyon, Cyr Alphonse Henri Benoist, le soir même
des faits, dans les locaux mêmes du commissariat.
Né à Lyon en 1849, le juge Benoist est devenu magistrat en 1882, après avoir été successivement négociant, avocat
puis chef de cabinet à la préfecture du Rhône. Après un premier poste de substitut du procureur de la République à
Montluçon, il a été nommé à Lyon après un bref passage à Chalon-sur-Sâone.
Commencée le 24 juin à 23 heures, l’instruction se terminera le 16 juillet suivant.
Entre temps, le juge Benoist aura interrogé Caserio à neuf reprises dans sa cellule n°42 de la prison Saint-Paul et
l’aura confronté à des témoins à cinq autres reprises.
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Le lendemain du dessaisissement du juge d’instruction, le procureur général saisira la chambre des mises en
accusation de la cour d’appel de Lyon qui, le jour même, ordonnera le renvoi de Caserio devant la cour d’assises du
Rhône.
Dès le surlendemain de l’assassinat, le premier président de la cour d’appel avait proposé au garde des Sceaux que
la décision de saisir la cour d’assises fût prononcée non par les seuls magistrats de la chambre d’accusation mais
par l’ensemble des magistrats de la cour, « pour marquer une distinction que tous apprécieront entre un crime
commis sur le chef de l’Etat et celui qui n’atteint qu’une personne ordinaire ». Proposition restée vaine.
LE PROCES
En état de siège, la cour d’assises, présidée par M. Breuillac, commencera le 28 juillet par juger plusieurs auteurs
de faits de pillage ou d’apologie de crime ayant suivi l’assassinat. Caserio comparaitra les 2 et 3 août, assisté d’un
avocat italien, Maître Alfredo Podreider du barreau de Milan. Interrogé de 9 heures à 18 heures, le procès
s’achèvera, le lendemain à 13 heures, après l’audition de vingt-six témoins, le réquisitoire du procureur général, la
plaidoirie de l’avocat et la lecture par l’accusé d’une longue déclaration dont le Parlement a interdit, par une loi
promulguée le jour même du procès, la reproduction.
La délibération du jury composé de douze jurés durera quinze minutes.
Prenant acte de la culpabilité de Caserio, les trois magistrats professionnels composant la cour le condamneront à la
peine de mort.
Caserio sera guillotiné, le 16 août 1894, à la première heure, non loin de la prison, à l’âge de presque 21 ans, le
corps agité de tremblements, 53 jours après avoir commis son crime.
Source : « L’anarchiste et son juge » Pierre Truche, premier président honoraire de la Cour de cassation, ancien
procureur général près la cour d’appel de Lyon, Editions Fayard – mai 1994.
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Il y a 70 ans à Lyon: procès du général de Lattre de Tassigny
LE CONTEXTE
11 Novembre 1942 : Hitler donne l’ordre à ses troupes de franchir la ligne de démarcation et d’envahir la zone
libre, trois jours après le débarquement allié en Afrique du nord.
L'HOMME ET SES ETATS DE SERVICE
« Regardez le bien, celui-là, et souvenez-vous de lui. Il ira loin, très loin » Georges Clemenceau (1914).
Né le 2 février 1889 en Vendée, Jean de Lattre de Tassigny est reçu en 1908 à Saint-Cyr avant d’opter pour la
cavalerie et l’école de Saumur. Promu chevalier de la légion d’honneur dès 1914 après avoir été blessé d’un coup
de lance dans la poitrine alors qu’il chargeait à la tête de son régiment de dragons, il est affecté à sa demande dans
l’infanterie au grade de capitaine et combat durant plusieurs mois à Verdun, au Chemin des Dames.
Après avoir servi au Maroc, il rejoint en 1932 l’état-major du général Weygand et devient, en 1939, à l’âge de 50
ans, le plus jeune général de France.
A la tête de l’armée d’Alsace, il repousse par trois fois les troupes allemandes dont il fait 2 000 prisonniers avant de
se replier. Le 11 novembre 1942, lorsque les allemands pénètrent en zone libre, il dirige la 16ème division militaire
à Montpellier.
LES FAITS
Alors qu’a débuté le débarquement allié sur les côtes du Maroc et de l’Algérie et qu’il pressent l’invasion
allemande en zone libre, le chef d’état-major de l’armée de Vichy, secrètement acquis à la Résistance, donne
l’ordre aux unités de quitter leurs garnisons et de se regrouper afin d’organiser la résistance à l’envahisseur.
Aussitôt après avoir appris le franchissement de la ligne de démarcation, en exécution de l’ordre qu’il vient de
recevoir, De Lattre ordonne à son tour, le 11 novembre au matin, le mouvement de ses troupes en direction du
massif des Corbières. Une heure seulement après, des instructions inverses parviennent de Vichy : ordre est donné
au contraire aux unités de se maintenir dans leurs casernements. De Lattre décide de passer outre et quitte
Montpellier, accompagné de ses plus proches collaborateurs.
En pleine nuit, à proximité de la localité de Saint Pons où il s’attendait à retrouver partie de ses troupes, De Lattre
est interpellé. Il comprend que ses instructions n’ont pas été respectées. Il est aussitôt placé en garde à vue et ordre
est donné par le secrétaire d’Etat à la Guerre au commissaire du gouvernement près le tribunal militaire de
Toulouse d’informer à son encontre des chefs d’abandon de poste et de tentative de trahison.
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L'ENQUETE
Incarcéré à la prison militaire de Toulouse où il a été conduit, de Lattre comparaît pour la première fois, le 23
novembre 1942, devant deux officiers faisant office de magistrats instructeurs, assisté de Maître Punthous, avocat
au barreau de Toulouse, désigné d’office par le bâtonnier. Il conteste, ainsi qu’il l’avait fait dans une lettre adressée
depuis sa cellule au Maréchal Pétain, les chefs de poursuites retenus à son encontre. Interrogé sur le fond les 26
novembre et 3 décembre, il tente de justifier sa position. « Je crois avoir donné de mes actes toutes les explications
que j’avais le devoir de donner. Je n’ai ni voulu trahir, ni voulu abandonner mon poste (…) J’ai été profondément
déçu qu’on ait pu, dans un dessein que je ne comprends pas, travestir mes sentiments et mes actes que toute ma vie
militaire suffisait à expliquer ».
Mais l’occupation de la zone libre et la démobilisation de l’armée qui a suivi vont faire obstacle à la constitution
d’un tribunal militaire et c’est devant le Tribunal d’Etat que de Lattre va comparaître.
UNE JURIDICTION D'EXCEPTION A LYON
Créé par une loi du 7 septembre 1941, le Tribunal d’Etat est composé de deux sections siégeant, l’une à Paris,
l’autre à Lyon. Il a compétence pour juger, sur renvoi ordonné par le conseil des ministres, tous auteurs (…) de tous
actes (…) de nature à troubler l’ordre, la paix intérieure, la tranquillité publique, les relations internationales ou,
d’une manière générale, à nuire au peuple français » (article 2). La section de Lyon est présidée par M. Malaspina,
président de chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Siègent à ses côtés Joseph Darnand, qui deviendra
quelques semaines après chef de la Milice, le préfet honoraire Vié, l’inspecteur des PTT Emile Champsaur, le
contre-amiral Cadart et le général Touchon, tous entièrement soumis au Gouvernement de Vichy qui les a nommés.
Les fonctions de commissaire du Gouvernement y sont occupées par M. Louis Souppe, avocat général près la cour
d’appel de Lyon.
C’est devant cette juridiction que, le conseil des ministres ayant donné son aval, de Lattre comparaît le 9 janvier
1943 après que le juge d’instruction du tribunal militaire de Toulouse se fut dessaisi de la procédure par
ordonnance du 9 décembre 1942.
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L'AUDIENCE
Extrait de sa cellule de la prison de Montluc, à Lyon, où il a été transféré, de Lattre comparaît à 9 heures, le 9
janvier 1943, devant le Tribunal d’Etat siégeant au palais des vingt-quatre colonnes, au lieu même où deux ans
après, à quelques jours près, Charles Maurras sera jugé pour intelligence avec une puissance ennemie, au lieu
même où près d’un demi-siècle plus tard sera condamné Klaus Barbie qui, depuis l’invasion de la zone libre, vient
d’être affecté à Lyon où il sévira en tant que chef de la Gestapo allemande.
L’impossibilité de chauffer la salle de la cour d’assises, où siège d’ordinaire le Tribunal d’Etat, a conduit cette
juridiction à se replier dans une salle plus modeste, celle de la 2ème chambre de la cour (désormais dénommée
salle Domat), dont une toile de Thomas Blanchet (« Le triomphe de la vérité ») orne le plafond.
Autorisé à porter l’uniforme ainsi que les insignes de grand officier de la Légion d’honneur, de Lattre comparaît
assisté de Maître Punthous, son avocat toulousain, et de Maître Valentin, l’un de ses anciens officiers.
L’audience se tient à huis clos.
La matinée est consacrée à l’évocation des états de service du général puis à l’examen des faits et à la déposition de
deux témoins, le colonel Albord et le général Bonnet de la Tour (en réalité, ce dernier, pris d’un malaise au moment
de l’ouverture du procès, sera entendu en plein milieu des réquisitions du commissaire du gouvernement que le
président interrompra afin de pouvoir procéder à son audition). Dans son réquisitoire, après avoir évoqué la figure
de l’accusé (« c’est avec un sentiment de tristesse et d’amertume que je me lève aujourd’hui au siège de
l’accusation »), l’avocat général Souppe s’emploie à qualifier les faits juridiquement. Il propose de substituer à
l’infraction de tentative de trahison la qualification d’acte de nature à nuire à a défense nationale et se borne, sans
autre précision sur la peine demandée, à requérir « la stricte application de la loi ».
Dans l’imposante salle des pas perdus du palais de justice de Lyon, Madame de Lattre attend, entourée des officiers
resté fidèles à son époux. Il est 11h50 lorsque le tribunal décide de suspendre l’audience jusqu’à 14 heures.
A la reprise, parole est donnée aux défenseurs de de Lattre. A 16 heures, le tribunal se retire pour délibérer.
L’accusé encourt la peine de mort sans possibilité de faire appel. A 16h45, le tribunal prononce publiquement la
sentence : le général de Lattre de Tassigny est déclaré coupable d’abandon de poste et d’acte de nature à nuire à la
défense nationale et condamné au maximum de la peine encourue : 10 ans d’emprisonnement. Au garde à vous, de
Lattre a écouté impassible.
EPILOGUE
Écroué à la maison d’arrêt de Riom pour y purger sa peine, de Lattre s’évadera dans la nuit du 2 au 3 septembre
1943 après avoir scié les barreaux de sa cellule grâce à la complicité de son épouse, de leur fils Bernard âgé de
seize ans ainsi que d’un surveillant et d’un gendarme. Le 17 octobre 1943, il s’envolera pour Londres à bord d’un
avion de la Royal Air Force. Le 10 novembre 1944, la chambre de révision de la cour d’appel de Lyon déclarera
légitimes les faits ayant motivé la condamnation de Jean de Lattre de Tassigny comme « ayant été commis dans le
but de servir la cause de la libération de la France » et annulera en conséquence la décision du tribunal d’Etat.
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QUE SONT-ILS DEVENUS?
Maxime Weygand
Arrêté par les allemands après le débarquement des alliés en Afrique du nord, le général Weygand sera fait
prisonnier en Autriche. Libéré par les américains en 1945, il sera conduit devant de Lattre, son ancien
collaborateur, qui le mettra en état d’arrestation sur ordre du général de Gaulle. Blanchi de tout chef d’accusation
par la Haute cour de justice, il refusera d’être promu maréchal et luttera jusqu’à son décès en 1965 pour la
réhabilitation de Pétain. Ses obsèques se dérouleront en présence notamment de la veuve de de Lattre après que le
général de Gaulle lui eut refusé les honneurs aux Invalides.
Joseph Darnand
Moins d’un mois après avoir siégé au Tribunal d’Etat, Joseph Darnand fondera à Vichy la sinistre Milice française.
Ayant prêté serment à Hitler, il prendra la fuite, à la Libération, en Allemagne où il sera arrêté. Condamné à mort le
3 octobre 1945 par la Haute Cour de justice, il sera exécuté le 10 octobre de la même année.
François Valentin
Après avoir défendu le général de Lattre à Lyon devant le Tribunal d’Etat, François Valentin passera dans la
clandestinité et rejoindra la résistance malgré son implication dans le régime de Vichy. Resté fidèle à de Lattre dont
il sera le représentant à Paris alors que ce celui-ci combattra en Indochine, il sera élu sénateur puis député. Il
décèdera, le 24 septembre 1961, dans un accident de la route. Jacques Chaban-Delmas prononcera son éloge
funèbre.
Bernard de Lattre de Tassigny
Engagé au 2ème régiment des dragons à 16 ans et demi, Bernard de Lattre effectuera la campagne de France et
d’Allemagne jusqu’au 8 mai 1945. Devenu lieutenant, il sera tué au combat en Indochine le 30 mai 1951 à l’âge de
23 ans.
Simone Calary de Lamazière épouse de Lattre de Tassigny
Devenue maire durant près de vingt ans de la commune de Mouilleron-en-Pareds où de Lattre était né, elle écrira
plusieurs ouvrages en mémoire de son défunt époux et se consacrera à plusieurs œuvres caritatives. Elle décèdera
le 3 juin 2003 à l’âge de 96 ans.
Jean de Lattre de Tassigny
Après avoir rejoint Londres puis Alger, devenue capitale de la France libre, le 20 décembre 1943, de Lattre se verra
confier par le général de Gaulle le commandement de la Première Armée française. Après avoir débarqué en août
1944 en Provence, aux côtés des alliés, il libèrera Toulon, Marseille puis Lyon le 3 septembre 1944, Strasbourg et
Colmar avant de franchir le Rhin jusqu’au Danube. Le 9 mai 1945, à Berlin, il représentera la France lors de la
signature de l’acte de capitulation de l’Allemagne nazie. Devenu commandant en chef des armées d’Europe
occidentale, il sera nommé en 1950 commandant en chef du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient et
interviendra à plusieurs reprises en Indochine. Décédé à Paris le 11 janvier 1952, il sera élevé à la dignité de
maréchal de France.
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Il y a 25 ans à Lyon: ouverture du procès Barbie
« L’audience est ouverte. Je demande aux services d’ordre d’introduire l’accusé s’il vous plait (…) Veuillez vous
asseoir Monsieur l’accusé ».
C’est par ces mots prononcés par le président André Cerdini que débuta, le 11 mai 1987 à 13 h 04, devant la cour
d’assises du Rhône, au Palais de Justice Historique de Lyon, le procès de Klaus Barbie.
Des mots presque ordinaires pour un procès évènement, un procès hors normes à bien des égards.
« Personne n’est sorti du procès Barbie comme il y est entré » Pierre Truche.
UN PROCES HISTORIQUE: LE PREMIER PROCES DU CRIME CONTRE L'HUMANITE
Pour la première fois, en France, un homme était appelé à répondre devant une cour d’assises de faits de crime
contre l’humanité.
Surnommé le « boucher de Lyon », Klaus Barbie était depuis 1943 chef de la Gestapo allemande dans la région
lyonnaise lorsque notamment Jean Moulin y fut arrêté.
Exilé en Amérique du sud où il s’était enfui après la fin de la guerre, recherché par les Alliés comme criminel de
guerre, déjà condamné par deux fois en 1952 et 1954 par la justice française à la peine de mort par contumace,
Klaus Barbie fut extradé sur mandat d’arrêt délivré par M. Christian Riss, alors juge d’instruction au TGI de Lyon,
et conduit le 5 février 1983 à la prison de Montluc où il avait lui-même sévi quarante ans auparavant.
Après que la Cour de cassation eut étendu en 1985 la notion, c’est en effet pour des faits de crime contre
l’humanité, devenus imprescriptibles depuis une loi du 26 décembre 1964, et non pour crimes de guerre que Klaus
Barbie fut renvoyé devant la cour d’assises du Rhône.
Les charges retenues concernaient trois séries de faits :
• 9 juin 1943, 12 rue Sainte-Catherine à Lyon : 86 membres de l’Union générale des israélites de France
étaient arrêtés et conduits à la prison du fort Montluc. 78 seront déportés à Auschwitz.
• 6 avril 1944 : 44 enfants juifs réfugiés dans une maison d’Izieu, dans l’Ain, étaient arrêtés ainsi que leurs
éducateurs. Tous périront à Auschwitz.
• 11 août 1944 : plus de 600 détenus, juifs et résistants, de la prison de Montluc étaient embarqués dans le
train 14166, trois semaines seulement avant la libération de Lyon par les armées alliées. Le convoi
rejoindra les camps de Struthof, Ravensbrück et Auschwitz.
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UN PROCES MEDIATIQUE
Près de 900 journalistes du monde entier présents à l’ouverture du procès
25 chaînes de télévision
Une ouverture du procès programmée initialement à 13h30, avancée d’une demi-heure afin de permettre sa
retransmission en mondovision « Barbie sourit » titrait Libération le 12 mai 1987.
UN PROCES MALGRE L'ABSENCE DE L'ACCUSE
« Je suis détenu ici de façon illégale, j’ai été victime d’un enlèvement, l’affaire est actuellement examinée par la
Cour Suprême bolivienne. Je suis citoyen bolivien. Je n’ai donc plus l’intention de paraître devant ce tribunal et je
vous demanderai de bien vouloir me faire reconduire à la prison Saint-Joseph. Je me remets à mon avocat malgré
le climat de vengeance et de lynchage entretenu par la presse française » Klaus Barbie, 13 mai 1987, 15h30.
« Il y a plusieurs façons d’interroger quelqu’un. Il y avait la façon communément utilisée dans cette ville, voici
quarante-cinq ans. A cette époque, dans les locaux de la Gestapo, on ne pouvait pas dire, je ne veux pas répondre
à vos questions, je rentre dans ma cellule. Aujourd’hui c’est l’honneur de notre démocratie par rapport au nazisme
de respecter le droit donné à un accusé de ne pas être présent à son procès si la manifestation de la vérité peut se
passer de sa présence» Pierre Truche, procureur général, et se tournant vers les victimes : « Je reconnais que la
dérobade de Klaus Barbie est une nouvelle injure pour les victimes. Mais ce sont leurs regards qui ont fait fuir le
bourreau : la débâcle de Barbie, c’est leur victoire ».
La cour se rangea à l’avis du ministère public et n’ordonna la comparution de Barbie que pour de brèves
confrontations les 26 mai et 5 juin ainsi que le dernier jour du procès, avant que la cour et le jury ne se retirent pour
délibérer.
« Ceux qui vont alors se hasarder à parler de procès avorté, à dire ou écrire que les débats vont perdre leur
intensité, vont rapidement admettre leur erreur. Erreur, car on savait par avance que Barbie, même physiquement
présent aux débats, se refuserait (…) à parler des faits et de leur contexte. Erreur, car l’enjeu résidait moins dans
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la parole de l’accusé que dans celle de ses victimes » Jean-Olivier Viout, alors substitut général ayant assisté Pierre
Truche.
UN PROCES POUR LA MEMOIRE
Tenu à Lyon, « capitale de la Résistance », en présence de nombreux historiens appelés à témoigner, le procès
Barbie fut aussi le premier procès enregistré en intégralité en application de la loi votée le 11 juillet 1985, à la
demande de Robert Badinter, alors garde des sceaux, tendant à la constitution d’archives audiovisuelles de la
justice.
UN PROCES HORS NORME
« La mise en scène judiciaire était pompeuse. D'entrée, elle écrasait. Le marbre de Carrare, les pilastres et les
piliers, les encorbellements en stuc y contribuaient fortement. Sans compter la lumière froide et pâle qui tombait
de trois coupoles à verrières dominant ce prétoire d'occasion. Ainsi, au décor dessiné par Baltard au XIX siècle
s'étaient surajoutés des structures métalliques et des panneaux d'un blanc cru transformant le tout en un immense
théâtre. Deux architectes avaient encore magnifié le tout par des éclairages indirects. Bref, la justice se présentait
en majesté. Solennelle et intimidante, par essence répressive… on jugeait un nazi. » (Laurent Greilsamer, Le
Monde du 22 mars 1994)
Une salle des pas perdus réaménagée afin d’y tenir le procès et y accueillir 800 personnes.
Plus de quarante avocats (39 pour les parties civiles, 3 pour l’accusé).
149 parties civiles.
Plus d’une centaine de témoins et de parties civiles appelés à la barre.
52 jours de procès.
190 heures de débats.
9 jurés : 4 femmes 5 hommes, moyenne d’âge : 39 ans et deux mois.
341 questions auxquelles il a été répondu oui pour 340 d’entre elles, non pour une d’entre elles (sur les
circonstances atténuantes).
« Je vous demande de dire qu’à vie Barbie sera reclus » Pierre Truche, procureur général près la cour d’appel de
Lyon, le 30 juin 1987, au terme de six heures de réquisitions.
Le 4 juillet 1987, à 0h10, à l’issue de 6 heures 32 minutes de délibéré, Klaus Barbie, se disant Klaus AltmannHansen, fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Il décéda, en prison, le 25 septembre 1991.
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