Histoire et archéologie de la Guyane française
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Histoire et archéologie de la Guyane française
HistoirE Et arCHÉologiE DE la gUyanE FrançaisE. lEs JÉsUitEs DE la CoMtÉ. avaNT PROPOS par Egle Barone-Visigalli Genèse du projet : de la découverte à la publication Quand, en 1995 à paris, une communication téléphonique d’amis guyanais m’annonça la découverte (ou redécouverte) par des chasseurs de deux grandes habitations1 coloniales enfouies dans la forêt de la commune de roura (mentionnées par les sources historiques mais jamais localisées avec précision sur le terrain), j’étais bien loin d’imaginer qu’une aventure scientifique et humaine de presque dix ans allait commencer. au milieu des années 1990, dans cette avancée amazonienne vers les Caraïbes qu’est la guyane, l’archéologie coloniale était en effet à ses débuts et l’abondance des sources historiques inexploitées m’avait poussée depuis quelques années à m’intéresser de près à l’époque moderne. Un premier dépouillement des archives parisiennes (Barone-Visigalli, Michel 2000) – et notamment des archives nationales et fonds jésuites – permit d’établir l’identité des deux habitations signalées. nous avons pu ainsi découvrir que les murs et les canaux remarqués par nos chasseurs correspondaient en effet aux vestiges de deux grandes plantations jésuites : la sucrerierocourie de saint-régis et la ménagerie le Maripa. nous étions face à une découverte archéologique de taille : ces deux habitations forestières pouvaient permettre de mieux comprendre le rôle des jésuites dans la colonie de la guyane aux xViie et xViiie siècles et, en même temps – en considération de leur vaste étendue – nous offraient la possibilité de reconstituer un pan de l’histoire d’une commune rurale, celle de roura. l’homologue côtier de saint-régis et le Maripa – l’habitation jésuite de loyola (située dans la commune de rémire-Montjoly) – étant déjà en cours de fouille, l’occasion se présentait aussi de compléter le tableau de l’occupation territoriale de la Compagnie de Jésus et de son fonctionnement économique et social. En outre, l’idée de lancer un véritable programme d’archéologie tropicale forestière était assez tentant. grâce au soutien du service régional de l’archéologie de la Drac de guyane, une première opération archéologique fut donc organisée en 1997. Une petite équipe de deux personnes (l’architecte Cristina accornero et moimême, aidées par un ouvrier de fouille) fut chargée d’évaluer le potentiel du site le Maripa et d’effecteur un premier relevé topographique. nous conser- 13 14 EglE BaronE-Visigalli, KristEn sargE, rÉgis VErwiMp vons encore, tant d’années après, le souvenir poignant du défrichage à la machette des abords du site, les rencontres rapprochées avec la faune tropicale, la chaleur accablante et l’impression que jamais nous ne serions venues à bout de bâtiments mesurant quarante mètres de long, et dont chaque pierre était couverte de toutes sortes de végétation… les premiers résultats furent cependant extrêmement encourageants et un véritable programme de recherche fut mis en place dès l’année suivante. l’équipe s’enrichit d’archéologues professionnels, d’étudiants confirmés, de géologues et de dessinateurs. Entre 1998 et 2001 eut lieu l’ensemble des opérations archéologiques, accompagnées du dépouillement de toutes les archives que nous pûmes atteindre. En 1998 la même opération de défrichage et relevés, effectuée l’année précédente au Maripa, fut répétée sur le site de saint-régis avec une équipe un peu plus nombreuse. l’éloignement du site – joignable seulement par la voie fluviale en remontant la crique saint-régis – nous obligea à monter un camp forestier, le premier d’une longue série. peu avant le départ sur le terrain, la découverte dans les archives militaires ministérielles du plan détaillé des habitations (réalisé par l’ingénieur géographe du roi Dessingy « vers 1770 ») nous avait d’ailleurs fourni la preuve définitive de l’identité des sites (Barone-Visigalli et al. 1998). En 1999 et 2000, une opération biennale fut consacrée à la prospection complète et aux relevés topographiques des deux habitations et d’une partie des aménagements des terrains leur appartenant (les canaux, les aménagements fluviaux et les traces d’anciennes cultures). les jésuites avaient construit des barrages, une écluse, un pont-digue, des débarcadères (« dégrads ») maçonnés, avaient aménagé les cours d’eau… nous étions face à une entreprise de réaménagement du territoire d’une envergure inattendue. au cours de l’année 2000, à saint-régis, fut découvert un deuxième moulin, postérieur à l’époque jésuite et servant à la production du rocou. Une première étude – « inventaire du matériel archéologique », présenté en annexe à ce volume2 – ainsi qu’une étude géologique3 permettant de définir la provenance extra situ des argiles utilisées pour les briques et les poteries, furent effectuées cette année là4. grâce aux analyses des échantillons couplées à l’étude de la situation géologique de la région, la nature des pierres de construction et leur provenance furent aussi identifiées. la dernière année de terrain (2001), nous l’avons consacrée à la topographie générale des habitations (sites archéologiques et aménagements fluviaux). Une opération de relevé topographique global des structures d’aménagement du territoire était en effet indispensable pour conclure les opérations de prospection thématique et vérifier in situ les nombreuses données cartographiques anciennes dont nous disposions. on a ainsi pu constater que le réseau de canaux artificiels rayonnant autour des habitations représentait un ouvrage imposant. Ce réseau hydraulique – le premier étudié en guyane – peut constituer un modèle pour l’étude des aménagements jésuites forestiers de la période coloniale. HistoirE Et arCHÉologiE DE la gUyanE FrançaisE. lEs JÉsUitEs DE la CoMtÉ. par ailleurs, au cours de notre campagne nous avons eu la possibilité d’utiliser une nouvelle technique de topographie, jamais appliquée auparavant à l’archéologie en guyane : la topographie aérienne laser téléportée par hélicoptère, mise au point par la société altoa. Cette nouvelle technologie, associée à la topographie traditionnelle, permet d’obtenir une grande précision dans les relevés (car les rayons laser passent à travers la canopée) et les modélisations informatiques permettent beaucoup de rendus possibles. au moment où nous terminons ce livre, quelques années se sont écoulées depuis la fin de la dernière campagne archéologique et les sites étudiés sont retombés dans l’oubli. si l’habitation saint-régis, protégée par sa position géographique à l’intérieur de la forêt guyanaise, ne craint pas dans l’immédiat l’action destructrice de l’homme, le site le Maripa, au cœur d’un domaine foncier en plein aménagement, a subi des dévastations importantes. notre souhait est que cet ouvrage ne représente pas le dernier témoignage sur ce patrimoine historique et naturel, jusqu’ici, largement méconnu. 1 2 3 4 D’après Jacques-François Dutrône la Couture (1749-1814), « associé de la société royale des sciences et arts du Cap-Français » et docteur en médecine, « on nomme habitation, une société d’hommes réunis, un ensemble de bestiaux et de bâtiments fixés sur une propriété ; l’habitation doit être considérée comme un petit gouvernement dont le propriétaire est le maître et qu’il régit sous la lois du souverain » (Dutrône la Couture 1790). Employé couramment par les historiens des colonies américaines, le mot « habitation » est le synonyme francophone de « plantation » et désigne l’exploitation agricole coloniale aux xViie-xixe siècles. Barone-Visigalli, sarge, Verwimp, 2005, Inventaire du matériel archéologique, annexe 6, p. 277-305. (inventaire par localisation et inventaire par caractérisation). aïcha gendron-Badou, « rapport géologique. Étude des matériaux de construction et des sols de saint-régis et Maripa, vallée de la Conté, guyane » in Barone-Visigalli, gendron, sarge, Verwimp, 2001, p. 214-228. De plus, nous avons fait ponctuellement analyser des pièces métalliques par un archéologue canadien de l’université laval, M. alain Chouinard (cf. Chouinard, 2001). 15