Le trafic sexuel des femmes et des
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Le trafic sexuel des femmes et des
Alliance de recherche IREF/ Relais-femmes Le trafic sexuel des femmes au Québec et au Canada -Bilan des écrits- Par Hélène Van Nieuwenhuyse sous la direction de Lyne Kurtzman et Marie-Andrée Roy Janvier 2004 DOCUMENT DE TRAVAIL Recherche-action sur le trafic sexuel des femmes au Québec menée en partenariat. Les partenaires sont : - Lyne Kurtzman, Marie-Andrée Roy et Hélène Van Nieuwenhuyse pour l’Université du Québec à Montréal dans le cadre de l’Alliance de recherche IREF/ Relais-femmes ; - Michèle Roy pour le Regroupement québécois des CALACS ; - Diane Matte pour la Marche mondiale des femmes; - Yolande Geadah, chercheure indépendante, Ginette Plamondon pour le Conseil du statut de la femme, Elsa Galerand, étudiante au doctorat en sociologie, Rhéa Jean, étudiante au doctorat en éthique, et Amélie Leblanc sont également associées à ce partenariat à titre individuel. 2 Table des matières INTRODUCTION………………………………………………………………..............5 1- INSTRUMENTS INTERNATIONAUX.……………………………………………..6 2- LE TRAFIC DES FEMMES : LES DÉFINITIONS.………………………………....10 3- CAMPS IDÉOLOGIQUES…………………………………………………………..16 3.1 CATW …………………………………………………………………………....16 3.2 GAATW ………………………………………………………………………….17 3.3 Associations de défense des droits des travailleuses du sexe……………………..18 4- LES CAUSES DU TRAFIC SEXUEL………………………………………………19 5- LE TRAFIC SEXUEL AU CANADA ET AU QUÉBEC….......................................23 6- LA LÉGISLATION CANADIENNE ET LE TRAFIC DES PERSONNES…………29 7- ÉTUDES CANADIENNES SUR LE TRAFIC SEXUEL…………………….……...33 7.1 La recherche de Mc Donald, Moore et Timoshkina (2000)..………………………34 7.2 La recherche du Toronto Network Against Trafficking in Women, The Multicultural History Society of Ontario et The Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic (2000)……………………………………………..38 CONCLUSION………………………………………………………………………......43 3 ANNEXE A Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants…….……………………………………………..44 ANNEXE B Recommandations de Mc Donald, Moore et Timoshkina (2000)……………………….57 ANNEXE C Recommandations du Toronto Network Against Trafficking in Women, The Multicultural History Society of Ontario et The Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic (2000)…………………………………………………..59 BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………..………….65 4 Le trafic sexuel des femmes au Québec et au Canada -Bilan des écrits- En ce début de troisième millénaire, le trafic des personnes prend de plus en plus d’ampleur. Ainsi, selon l’évaluation des Nations Unies, environ 4 millions de personnes seraient victimes de trafic par année (McDonald, Moore et Timoshkina, 2000). Le trafic, aussi appelé la traite des personnes,1 n’épargne pratiquement aucun pays soit, comme lieu de recrutement, de destination et/ou de transit (CSF, 2002). Phénomène essentiellement clandestin, le trafic des personnes prend des formes différentes telles la prostitution, l’exploitation sexuelle, le mariage forcé ou par correspondance, le travail domestique, etc. La grande majorité des personnes victimes de la traite sont des femmes et des enfants. Ceuxci sont, dans une grande proportion des cas, destinés à la prostitution. Depuis quelques années déjà, des chercheurs-es et intervenants-es remarquent une augmentation importante du trafic des femmes et des enfants à des fins de prostitution (CSF, 2002). Les besoins grandissants de l’industrie du sexe en matière première seraient en grande partie responsable de la croissance de ce type de trafic (Ekberg dans AQOCI, 2001 ; Jeffreys, 2002). Bien que le trafic sexuel touche l’ensemble de la planète et qu’il atteigne des proportions préoccupantes, peu de données et d’informations sont disponibles à ce sujet. Le caractère illicite et clandestin du trafic sexuel rend très difficile son étude, et le Canada tout comme le Québec n’y font pas exception : le trafic sexuel est un sujet très peu documenté. Dans le cadre de notre recherche sur le trafic sexuel au Québec, nous amorçons un travail 1 Il est important de différencier le trafic ou la traite des êtres humains (trafficking) de l’introduction clandestine de migrants (smuggling). Pour les Nations Unies, trois caractéristiques principales différencies ces deux situations : «The smuggling of migrants, while often undertaken in dangerous or degrading conditions, involves migrants who have consented to the smuggling. Trafficking victims, on the other hand, have either never consented or, if they initially consented, that consent has been rendered meaningless by the coercive, deceptive or abusive actions of the traffickers. Another major difference is that smuggling ends with the arrival of the migrants at their destination, whereas trafficking involves the ongoing exploitation of the victims in some manner to generate illicit profits for the traffickers. From a practical standpoint, victims of trafficking also tend to be more severely affected and in greater need of protection from re-victimization and other forms of further abuse than are smuggled migrants. Finally, smuggling is always transnational, whereas trafficking may not be. Trafficking can occur regardless of whether victims are taken to another country or only moved from one place to another within the same country » (United Nations, Office on Drugs and Crime, September 18, 2003). 5 dans le but de combler cette lacune. Plus spécifiquement, l’objectif de cette recherche-action est de documenter et d’analyser la réalité du trafic sexuel au Québec pour ensuite identifier des pistes d’action pour soutenir les personnes qui en sont victimes. Toutefois, avant de dégager un portrait de la situation québécoise, il est primordial de définir ce que nous entendons par trafic sexuel ainsi que de recenser les informations, les données, aussi rares soient-elles, sur ce sujet. Tel sera donc l’objectif du présent texte. 1- Instruments internationaux Le trafic des femmes a pendant très longtemps été complètement ignoré. Il a fallu attendre la fin du 19ième siècle et le début du 20ième pour que ce grave problème soit pris en considération par les diverses instances internationales (Jeffreys, 2002). Depuis ce temps, de nombreux protocoles internationaux ont été signés dans le but de stopper le trafic des personnes. Bien que ces divers protocoles n’aient pas jusqu’à ce jour eu les répercussions escomptées, leur existence place les États signataires devant l’obligation morale de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour enrayer le trafic des êtres humains. La préoccupation internationale voit véritablement le jour en 1904 avec l’adoption du premier instrument juridique international, l’Accord international pour la répression de la traite des Blanches ; un accord qui engageait les pays signataires, 12 au total, « à empêcher que l'on se procure des femmes ou des jeunes filles à l'étranger dans un but immoral » (Toupin, 2002, p.12). Ce premier accord insistait davantage sur la protection des personnes victimes de la traite, les femmes blanches, que sur les sanctions à imposer aux trafiquants (ONU, 2000). Huit ans plus tard, en 1910, la Convention internationale pour la répression de la traite des Blanches a été adoptée. Cette convention avait pour but premier de palier la faiblesse de la convention de 1904 en punissant les proxénètes et les trafiquants. Entérinée par 13 pays, cette convention étend également « la portée de l'entente pour inclure le trafic de femmes à l'intérieur des frontières nationales (Wijers et Lap-Chew, 1997) » (Toupin, 2002, p.12). C’est sous les auspices de la Ligue des Nations qu’ont été signées, en 1921, la Convention pour la répression de la traite des femmes et des enfants et, en 1933, la 6 La Convention internationale pour la répression de la traite des femmes majeures. convention de 1921 engageait les pays signataires à poursuivre les personnes s’adonnant à la traite des enfants ainsi qu’à protéger les femmes et les enfants émigrants ou immigrants (Coomaraswamy, 2000), alors que la convention de 1933 avait pour objectif de condamner les individus se livrant à la traite de femmes adultes, que ces dernières soient consentantes ou non (Coomaraswamy, 2000). Après la première guerre mondiale, la Ligue des Nations a créé un comité de travail, composé majoritairement de femmes, sur la question du trafic des femmes. La Convention sur la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui de 1949, qui a été ratifiée par 74 pays, a d’ailleurs été le résultat de 20 ans d’efforts et de travail acharné de la part de ce groupe (Jeffreys, 2002). Cette convention, une des plus importantes en ce qui concerne le trafic des femmes, intègre et remplace les accords internationaux de 1904, 1910, 1921 et 1933 (CSF, 2002). La convention de 1949, que plusieurs qualifient d’abolitionniste, a la particularité d’associer la prostitution au trafic sexuel. Le lien entre trafic et prostitution est d’ailleurs clairement établi dans le préambule de cette convention (Toupin, 2002) : […] la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté. (ONU, 1949) Dans l’optique de la convention de 1949, la traite est donc associée au trafic à des fins de prostitution. De plus, cette convention ne fait pas la distinction entre la prostitution forcée et la prostitution volontaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Australie, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne ont décidé de ne pas la ratifier (Jeffreys, 2002). Pour les auteurs de cette convention, le consentement de la victime n’est pas déterminant : The framers of that Convention understood that whether women knew what the traffickers intended for them on arrival or not, the conditions into which they were delivered would be harsh i.e. not speaking the language, under control and violence of traffickers with nowhere to turn, so that ‘consent’ was not crucially important. (Jeffreys, 2002, p.2) 7 Cinquante ans après la convention de 1949, soit en 2000, a été adoptée à Palerme en Italie la Convention contre la criminalité transnationale organisée2 ainsi que ses deux protocoles additionnels, le Protocole contre le trafic illicite des migrants par terre, air et mer, et le Protocole pour prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.3 Le Protocole pour prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants est évidemment celui qui nous concerne le plus puisqu’il se penche plus spécifiquement sur la traite des femmes et des enfants. L’objet de ce protocole est d’ailleurs précisé dès l’article 2 (voir ONU, 2000) : Article 2 Objet Le présent Protocole a pour objet : a) De prévenir et de combattre la traite des personnes, en accordant une attention particulière aux femmes et aux enfants; b) De protéger et d'aider les victimes d'une telle traite, en respectant pleinement leurs droits fondamentaux; et c) De promouvoir la coopération entre les Etats Parties en vue d'atteindre ces objectifs. Le protocole sur la traite des personnes engage les pays signataires, plus de 117 dont le Canada, à mettre en place des mesures législatives pour rencontrer les standards minimaux du protocole concernant la prévention, la poursuite légale et la protection (Ekberg dans AQOCI, 2001). Bruckert et Parent (2002), dans leur document intitulé La « traite » des êtres humains et le crime organisé. Examen de la littérature, précisent que 2 « La Convention contre la criminalité transnationale organisée établit les paramètres d’une coopération judiciaire internationale contre la criminalité transnationale organisée et crée un régime juridique international sous lequel les trafiquants peuvent être tenus responsables de leurs crimes. Pour être tenu criminellement responsable dans le cadre de la convention, le trafiquant doit appartenir à un des groupes criminels organisés formés de trois personnes ou plus, qui existent depuis un certain temps et agissent de façon concertée dans le but de commettre des crimes graves en vue d’obtenir des bénéfices matériels ou financiers (article 2 de la dite Convention) » (Ekberg dans AQOCI, 2001, p.66). 3 Voir en annexe A. 8 […] les pays signataires doivent prévenir et combattre la traite des personnes, en s’engageant à criminaliser l’organisation, l’aide ou la participation à la traite des individus […] Ils doivent également prévenir et combattre le problème en s’efforçant de mettre sur pied des « recherches, des campagnes d’information et des campagnes dans les médias, ainsi que des initiatives sociales et économiques, afin de prévenir et de combattre la traite des personnes » (Nations Unies, 2000b : 5). […] Le protocole promeut les échanges d’information entre les états et la formation des travailleurs impliqués à un titre ou à un autre dans la lutte contre la traite des êtres humains. Enfin, le protocole contient une section (articles 6, 7 et 8) sur l’assistance et la protection accordée aux victimes; par contre, les états ne doivent protéger la vie privée et l’identité des victimes que dans la mesure où le droit interne du pays le permet, et on se contente de demander aux états signataires d’envisager « de mettre en oeuvre des mesures en vue d’assurer le rétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite des personnes » (Nations Unies, 2000b : 4). (Bruckert et Parent, 2002, p.21) Ce protocole, qui a été accueilli positivement par la grande majorité des organismes de défense des droits de la personne, est donc le plus récent instrument international en ce qui concerne le trafic des femmes et des enfants.4 Il reste à espérer qu’il fera l’objet d’une application cohérente par les états signataires. 4 Marie-Victoire Louis (chercheure au CNRS en France et militante féministe abolitionniste qui travaille sur les politiques concernant le système prostitutionnel) soutien pour sa part que le Protocole de Palerme, loin d’être une victoire abolitionniste, entérine la substitution de la lutte conte la prostitution et le proxénétisme à la seule prise en considération de la "traite" : « On ne s’occupe plus que du trafic; cela veut dire que l’on abandonne de facto la lutte contre la prostitution et le proxénétisme et qu’on a mis le corps humain sur le marché mondial.» (Louis, 2002). Selon Louis, le Protocole tend à confirmer rien de moins que la légitimité de la marchandisation du système prostitutionnel (Louis 2000) : « Ce texte donc en traitant sous couvert de " prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants " en réalité légitime le concept de " traite ". Ce dont il est question, dans ces textes, ce sont des modalités de la régulation de mobilité de la force de travail, nécessaire au capitalisme mondial. Mais, au-delà, ces textes ont procédé à un bouleversement du concept même de force de travail. En abandonnant la référence à la convention de 1949, et en abandonnant la lutte contre certaines modalités d'exercice du proxénétisme, ce texte en abandonne le principe lui-même. Il parachève l'évolution déjà engagée qui intègre les sexes, les corps, les êtres humains au sein du marché mondial, comme objet légitime du profit. C'est la raison pour laquelle, bien évidement, cette nouvelle convention de l'ONU ne peut faire référence à la convention de 1949. Tout simplement, parce qu'elle a, notamment, pour projet de la supprimer et de la remplacer » (Louis, 2000). Faire disparaître la convention de 1949 équivaut pour la chercheure à « […] faire disparaître à la fois le jugement éthique sur le système prostitutionnel, le lien entre la traite et la prostitution et la condamnation pénale du proxénétisme, sans lesquels aucune politique abolitionniste n'est pensable » (Louis, 2001-2002). Pour Louis, il est essentiel « […] de faire du maintien de cette convention [celle de 1949] un enjeu politique fondamental. Et, concomitamment, travailler à sa modernisation et penser un nouvel abolitionnisme.»(Louis, 2001-2002) 9 2- Le trafic des femmes : les définitions Définir le trafic des femmes n’est pas chose aisée à faire car, comme plusieurs spécialistes l’affirment, aucune définition n’a pour l’instant fait l’objet d’un véritable consensus. (Chew 1999; CIC, 2000; The Toronto Network Against Trafficking in Women et al., 2000 ; Oxman-Martinez et Hanley, 2001; Toupin 2002). D’ailleurs, d’après le groupe de travail interministériel sur le trafic des femmes (GTITF), créé par le gouvernement fédéral dans le but de coordonner les efforts effectués par le Canada pour mettre un terme au trafic, il n’y aurait pas de définition nationale ou internationale précise du trafic des femmes (CIC, 2000).5 Après avoir constaté que les ministères n’avaient pas de définition opérationnelle et commune du trafic des femmes et qu’ils envisageaient ce phénomène selon leur mandat ministériel respectif, le GTITF a identifié, à travers le discours des représentants des divers ministères, les trois étapes clés du trafic. La première étape de tout trafic, le recrutement, est définie par le GTITF comme « […] l’incitation active auprès d’individus contraints et forcés ou consentants ou trompés pour qu’ils quittent leur pays d’origine ou de résidence afin de migrer dans un pays étranger » (CIC, 2000, p.3). La deuxième étape, le mouvement, est quant à elle désignée comme « […] le mouvement légal ou illégal d’un individu recruté dans son pays d’origine ou de résidence qui aboutit à l’entrée légale ou illégale au Canada comme pays de destination ou pays de transit » (CIC, 2000, p.4). Enfin, les conditions dans les pays d’accueil, la troisième étape, « […] exposent les conséquences pour les femmes victimes de trafic » (CIC, 2000, p.5). Bien qu’aucune définition du trafic ne fasse consensus, on retrouve dans la littérature plusieurs définitions du trafic des femmes. Des définitions qui, en plus de faire généralement références aux trois étapes du trafic décrites par le GTITF, mettent l’accent d’abord et avant 5 Les membres faisant partie de ce groupe sont Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), Affaires étrangères et Commerce international (MAECI), Développement des ressources humaines (DRHC), Justice Canada (Justice), Gendarmerie royale du Canada (GRC), Solliciteur général du Canada (Sol. gén.) et Condition féminine Canada (CFC). Suite à leur travail, un rapport de recherche avec pour but général d’évaluer les besoins d’informations des membres et l’information présentement disponible au sein du gouvernement fédéral, a été publié en 2000. La recherche avait trois objectifs précis : « 1-Documenter les écarts dans la définition de trafic des femmes entre les différents ministères membres du groupe de travail. 2-Indiquer les sources d’information actuelles au niveau fédéral au sujet du trafic des femmes. 3-Déterminer les besoins d’information des membres du groupe de travail » (CIC, 2000, p. 1). D’après des informations obtenues auprès de Condition féminine Canada, ce groupe de travail existerait toujours mais serait présentement dormant. 10 tout sur l’exploitation et l’inégalité des rapports de force. Ainsi, dans le document intitulé Plan d'action de lutte contre la traite des femmes et la prostitution forcée,6 l’avocate belge Michèle Hirsch (1996) a élaboré la définition suivante: Il y a traite des femmes quand une femme est exploitée dans un autre pays que le sien par une autre personne (physique ou morale) en vue de la réalisation de gains financiers, la traite consistant dans le fait d'organiser (le séjour ou) l'émigration légale ou illégale d'une femme, même consentante, depuis son pays d'origine vers le pays de destination et de l'entraîner d'une manière quelconque dans la prostitution ou toute forme d'exploitation sexuelle. (Hirsch dans Wohlwend, 1997) Wijers et Lap-Chew (1997), dans leur enquête sur le trafic des femmes commandée par Coomaraswamy, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence envers les femmes, dissocient quant à elles le trafic de la prostitution pour plutôt mettre l’accent sur l’ensemble des situations de trafic des personnes (Toupin, 2002).7 Les deux auteures, dont l’une est associée à la GATTW8 et l’autre à la fondation néerlandaise STV,9 présentent une définition qui « […] met en évidence la coercition comme élément pivot dans toute situation de traite » et qui, surtout, « […] distingue deux moments soit celui du recrutement et celui du contexte de travail : l’une et/ou l’autre peuvent faire l’objet de violence et de coercition » (Bruckert et Parent, 2002, p.6). Pour les deux auteures, le trafic des femmes désigne : Tous les actes liés au recrutement et au transport d'une femme à l'intérieur et à l'extérieur des frontières d'un pays pour l'obliger à travailler ou à offrir des services par le recours à la violence ou à la menaces de violence, à l'abus de pouvoir ou à une position de domination, à la servitude pour dettes, à la duperie ou à d'autres formes de coercition. (Wijers et Lap-Chew, 1997, p.36) 6 Cette étude a été préparée suite à la requête du Steering Committee for equality between women and men (CDEG) pour le Conseil de l’Europe dans le cadre de leurs activités visant à combattre le trafic des femmes et la prostitution forcée (Hirsch,1996). 7 Dans leur rapport, les deux auteures montrent que « […] les définitions traditionnelles du trafic portent uniquement sur la prostitution et l'obtention de services, et ne traitent que du transport de personnes entre les frontières nationales, négligeant le transport de personnes à l'intérieur des frontières. Les lois ne tiennent pas compte des mauvais traitements ni des conditions d'esclavage dans les bordels, dépeignent les femmes comme des « innocentes » et négligent complètement les formes modernes de trafic, comme le trafic des travailleuses domestiques ou les mariages par correspondance » (McDonald, Moore et Timoshkina, 2000, p.8). 8 Global Alliance Against Traffic in Women 9 Dutch Foundation Against Trafficking in Women 11 Alors que le travail forcé et les pratiques s'apparentant à l'esclavage, peuvent être définis comme : Le travail ou les services soutirés d'une femme ou l'appropriation de son identité ou de sa personne physique par le recours à la violence ou aux menaces de violence, à l'abus de pouvoir ou à une position de domination, à la servitude pour dettes, à la duperie ou à d'autres formes de coercition. (Wijers et Lap-Chew, 1997, p.36) 10 Pour Wijers et Lap-Chew, la distinction entre le trafic comme tel et les situations de travail forcé est fondamentale : « le trafic peut constituer un moyen de réduire une femme en esclavage, mais pas nécessairement » (Toupin, 2002, p.28). Ainsi, une femme « […] peut être recrutée et transportée sous la contrainte, et ne pas se retrouver à terme dans des situations de travail forcé ou s'apparentant à l'esclavage. À l'inverse, une femme peut très bien se retrouver dans des situations de travail forcé ou s'apparentant à l'esclavage sans avoir été l'objet de trafic » (Toupin, 2002, p.28). Pour Wijers et Lap-Chew, le trafic des femmes n’est donc pas nécessairement associé au trafic à des fins de prostitution. S’inspirant de la définition de Wijers et Lap-Chew (1997), Langevin et Belleau (2000) adopte dans leur étude intitulée Le trafic des femmes au Canada : une analyse critique du cadre juridique de l’embauche d’aides familiales immigrantes résidantes et de la pratique de promises par correspondance, une définition du trafic des femmes axée sur l’exploitation de leur travail et/ou de leur services : Le trafic des femmes vise l'exploitation d'une femme, notamment de son travail rémunéré ou non, ou de ses services, avec ou sans son consentement, par une personne ou par un groupe de personnes, dans un rapport de force inégalitaire. Le trafic des femmes, qui se manifeste par l'enlèvement, l'usage de la force, la fraude, la tromperie ou la violence, provoque des mouvements transfrontaliers de personnes entre pays divisés par une inégalité économique. Ce trafic engendre, entre autres, l'immigration légale ou illégale de femmes au Canada et porte atteinte à leurs droits fondamentaux. (Langevin et Belleau, 2000, p.8) 10 La traduction de la définition est tirée de Langevin et Belleau (2000, p.3). 12 Quant au Protocole pour prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants qui, à l’instar de la Convention contre la criminalité transnationale organisée, a été créé pour standardiser la terminologie, la législation et les pratiques en vigueur dans les différents pays (ONU, 2000), il procurerait, selon l’ONU, la toute première définition commune à l’expression traite des personnes (voir ONU, 2000) : Article 3 Terminologie Aux fins du présent Protocole : a) L’expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes; b) Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé; L’article 3 est sans aucun doute l’élément le plus controversé du Protocole pour prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants puisque « […] en vertu de cette définition, le consentement d’une victime est indifférent lorsqu’il est établi que des moyens illicites ont été utilisés » (ONU, 2000). Au départ, nous dit l’avocate Gunilla Ekberg (AQOCI, 2001), certains pays, dont le Canada, et quelques ONG voulaient « […] omettre toute mention de la traite à des fins de prostitution ou d’exploitation sexuelle et effacer le terme victimes du texte » (Ekberg dans AQOCI, 2001, p.66-67). Ces mêmes pays souhaitaient également une définition qui restreindrait la protection offerte « […] aux seules victimes de la traite où il y a contrainte ou utilisation de force, et où les victimes ne consentaient pas à ce trafic » (Ekberg dans AQOCI, 2001, p.6613 67). Ce protocole qui à la base voulait uniformiser la définition de la traite des personnes, a finalement donné lieu à des interprétations opposées de la définition du trafic des personnes. Cette définition, pourtant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, pose des problèmes d’interprétation. Pour certains, dont la GAATW, le Protocole reconnaît l’existence d’une prostitution volontaire et d’une prostitution forcée. D’après eux, puisque le Protocole reconnaît que la participation à la prostitution forcée constitue une forme de trafic, il implique en contrepartie que la prostitution entre adultes volontaires ne correspond pas à du trafic (Toupin, 2002, p.32). La CATW et d’autres organisations non gouvernementales intéressées au trafic des personnes, quant à elles, considèrent que, aux fins de ce protocole, la prostitution et la traite ne peuvent être dissociées. L’article 3a reconnaît qu’une grande partie de la traite est aux fins de prostitution et d’autres formes d’exploitation sexuelle. (RAYMOND, p.5). Le débat n’est donc pas tranché. (CSF, 2002, p.96-97) La reconnaissance ou non de la prostitution volontaire fait grandement varier l’interprétation de la définition du trafic. La distinction prostitution forcée/prostitution volontaire est d’ailleurs l’enjeu majeur de la définition du trafic (Toupin, 2002). Le débat sur la définition du trafic des femmes étant loin d’être clos,11 l’important, comme le souligne judicieusement le Conseil du statut de la femme (2002), « […] reste alors de suivre les différentes interprétations que les États donneront à ce Protocole au moment de l’intégrer dans leur propre législation afin de savoir quelle interprétation sera retenue » (CSF, 2002, p.97). L’interprétation qui sera alors privilégiée par les États aura nécessairement une influence directe sur les moyens d’action mis en place pour contrer le trafic tout comme sur les sanctions imposées au trafiquants. 11 En fait, plusieurs éléments posent encore problème, notamment en ce qui concerne la question de la prostitution (Le trafic doit-il nécessairement être synonyme de prostitution? Doit-on distinguer entre prostitution volontaire et prostitution forcée?), la question du consentement (Peut-on réellement parler de trafic s’il y a eu consentement ?), la question du statut d’entrée et/ou de résidence des personnes (Par exemple, pour l’International Organization for Migration l’entrée illégale et/ou la résidence illégale est un élément de base de la définition du trafic, alors que pour d’autres spécialistes le statut ne fait aucune différence) et la question entourant la deuxième étape du trafic, le mouvement, (Le trafic consiste-t-il seulement en un mouvement entre pays ou inclut-il également le mouvement vers un milieu non familier?). (The Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.15). Pour arriver à une définition véritablement consensuelle du trafic des femmes, beaucoup de chemin reste donc encore à parcourir. 14 En ce qui a trait à la définition du trafic sexuel que nous allons utiliser dans le cadre de notre étude, les partenaires associées à cette recherche-action s’entendent pour définir, à cette étape-ci du processus, le trafic sexuel de la manière suivante : Le trafic sexuel est conçu en tant que violence et exploitation sexuelle des femmes. L’approche du comité intègre une préoccupation analytique quant aux exploitations superposées qui sont en cause dans le trafic des personnes, soit une exploitation sur la base du sexe, sur la base de la classe et sur la base de l’origine ethnique. Le trafic sexuel constitue un des modes d’appropriation du corps des femmes par des hommes dans des sociétés de type patriarcal et néolibéral. Le contexte actuel de la mondialisation et de la globalisation des marchés crée des conditions propices au développement accéléré de la marchandisation des corps, en particulier de celui des femmes. Le trafic sexuel désigne le recrutement, le transport, à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes dans le but de les obliger à exercer des activités dans l’industrie du sexe ou à se prostituer. Il procède de différentes façons pour parvenir à des visées d’exploitation sexuelle : la menace de recours, ou le recours à la force, l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité ou encore l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages. Le trafic sexuel peut aussi parvenir à ses visées en obtenant le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. Le consentement d’une victime de trafic sexuel est indifférent lorsque l’un des moyens plus haut mentionnés a été utilisé. Le trafic sexuel des femmes et des enfants peut se dérouler tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle nationale. Le trafic sexuel international provoque des mouvements transfrontaliers de personnes entre pays marqués par une inégalité économique. Il engendre, entre autres, l'immigration légale ou illégale de femmes au Canada et porte atteinte à leurs droits fondamentaux. Cette définition du trafic sexuel, inspirée de celle de l’article 3 du Protocole de Palerme (2000) et des travaux de Louise Langevin et Marie-Claire Belleau (CFC, 2000), a selon nous le mérite de camper la perspective théorique adoptée par notre comité de travail. En effet, cette définition met l’accent sur trois éléments qui nous semblent essentiels : le trafic sexuel constitue une violation des droits fondamentaux des femmes, le consentement ou non de la 15 personne trafiquée ne change en rien la gravité de la situation et, enfin, le trafic sexuel s’exerce tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle nationale. 3- Camps idéologiques On vient de le constater, la manière de considérer le trafic des femmes tout comme la manière de définir ce phénomène varie grandement selon l’idéologie à laquelle la personne adhère. Ainsi, pour Murray (1998, p.52), il existerait trois grands camps idéologiques de la question du trafic des femmes. Le premier camp regroupe, autour de la CATW, « des militantes féministes partageant une perspective abolitionniste » (Toupin, 2002, p.18). Le deuxième camp comprend quant à lui « des militantes féministes (qui se regrouperont en 1994 dans un autre réseau international, la GAATW) partageant une perspective "décriminalisation/droits humains" du travail du sexe, opposées à l'aspect prostitution "forcée" » (Toupin, 2002, p.18). Le troisième et dernier camp, comprend pour sa part « des associations de défense des droits des travailleuses du sexe qui, partageant la perspective de la GAATW sur les droits humains, s'opposent toutefois à la distinction "prostitution forcée/volontaire" et prônent la décriminalisation et la déjudiciarisation totale du travail du sexe. » (Toupin, 2002, p.18). Avant de s’attarder au trafic des femmes en tant que tel, penchons-nous un instant sur ces trois camps idéologiques.12 3.1 CATW La Coalition Against Trafficking in Women (CATW) est une organisation féministe non-gouvernementale (ONG) composée d’individus et d’associations. Cette organisation, créée en 1991, cherche à protéger et promouvoir les droits des femmes et à combattre la prostitution, le trafic des femmes et l'exploitation sexuelle sous toutes ses formes (site Internet CATW). La CATW est un réseau abolitionniste qui considère la prostitution comme 12 Pour avoir plus d’informations à ce sujet, il suffit de lire les pages qui lui sont consacrées dans la recherche du Conseil du statut de la femme (2002), La prostitution : Profession ou exploitation ? Une réflexion à poursuivre, dans celle de Geadah (2003), La prostitution. Un métier comme un autre? ou dans la recherche de Toupin (2002), La question du « trafic des femmes ». Points de repères dans la documentation des coalitions féministes anti-trafic. 16 une atteinte aux droits humains, comme une forme d’esclavage moderne (Toupin, 2002). Pour la CATW, la distinction prostitution forcée/prostitution volontaire ne tient pas. À leurs yeux, la prostitution ne peut pas être le résultat d’un libre choix mais plutôt l'exploitation d'une vulnérabilité (Mix-Cité, 2001). Quant au trafic des femmes, il serait indissociable de la prostitution. Selon l’avocate Ekberg (AQOCI, 2001), ce serait même la : « […] demande constante pour une nouvelle marchandise qui dicte la traite internationale des femmes et des petites filles. Si les hommes ne prenaient pas pour acquis qu’ils ont le droit explicite d’acheter et d’exploiter sexuellement des femmes et des petites filles, le commerce du sexe n’existerait pas » (p.7). Puisque la prostitution viole les droits humains et qu’elle n’est que violence pour les femmes la pratiquant, l’abolition de la prostitution est l’objectif ultime du mouvement abolitionniste. Plus concrètement, la CATW prône la criminalisation des clients et des proxénètes. Les prostituées devant pour leur part être protégées des milieux coercitifs, et aidées à se réintégrer socialement. 3.2 GAATW La Global Alliance Against Traffick in Women (GAATW) a été formée en 1994 en Thaïlande lors de l’International Workshop on Migration and Traffic in Women. La mission première de cet organisme est de s’assurer que les droits humains des migrants, et surtout des femmes migrantes, sont respectés (GAATW, site Internet). Pour la GAATW, la prostitution ne peut plus être perçue comme un mal et reflèterait plutôt « les valeurs d'aujourd'hui et le fait que pour beaucoup de femmes la prostitution est une alternative viable à la pauvreté » (Marche mondiale des femmes, 2000). La criminalisation de la prostitution n’ayant pas donné de résultats tangibles, la GAATW préconise la légalisation et la réglementation de l'industrie du sexe. À leurs yeux, la prostitution volontaire est acceptable ; seule la prostitution forcée, celle où il y a présence de coercition, est donc problématique. Le fait de considérer les prostituées comme des travailleuses du sexe permettrait selon la GAATW de diminuer la stigmatisation et, par extension, « […] de protéger davantage les droits humains des personnes prostituées contre les abus commis par les trafiquants et les autorités étatiques et policières » (Marche mondiale des femmes, 2000). Enfin, la GAATW « […] vise l'autodétermination des femmes (empowerment), plutôt que leur "victimisation". On entend 17 réinterpréter et redéfinir les législations et conventions anti-trafic dans le sens des intérêts des migrantes » (Toupin, 2002, p.18). 3.3 Les associations de défense des droits des travailleuses du sexe Dans ce dernier camp, nous retrouvons les diverses associations de défense des droits des travailleuses du sexe. Ce mouvement a pris en quelque sorte naissance en février 1985 avec la création de l'International Committee for Prostitutes' Rights et la tenue au Pays-Bas du premier congrès mondial des travailleuses du sexe (Toupin, 2002). C’est d’ailleurs lors de ce premier congrès qu’a été rédigée la Charte mondiale des droits des prostituées (Geadah, 2003). Cette charte, rédigée par des prostituées, avait pour but de dénoncer les abus dont les prostituées sont victimes, tant de la part de leurs clients et des policiers que de l’ensemble de la société. Pour les associations de défense des droits des travailleuses du sexe, la prostitution n’est pas une forme de violence, mais bien un travail : la violence découlant plutôt de la criminalisation des métiers du sexe et de la stigmatisation associée à cette pratique (CSF, 2002). Puisque la prostitution est considérée comme un travail, « le trafic des femmes, dans cette optique, est une condition de transport des travailleuses migrantes qui entraîne l’exploitation » (Toupin, 2002, p.21). Ce que réclament les associations de défense des droits des travailleuses du sexe, c’est le droit au travail non criminalisé et le respect de leurs droits. Promouvoir la décriminalisation des métiers du sexe13 est donc leur principal objectif : « Ce qu'elles revendiquent, c'est la reconnaissance de la légitimité du travail du sexe, cette légitimité étant la seule garantie possible de la mise en application de moyens réels et concrets de lutter contre les abus, la violence et l'exploitation dans tous les contextes où est pratiqué le travail du sexe, sans distinction. » (http://www.cybersolidaires.org). 13 La décriminalisation « signifie le retrait des articles du Code criminel concernant le travail du sexe ». (Cybersolidaire, Disponible sur : http://www.cybersolidaires.org/actus/sexe.html#2209) 18 4- Les causes du trafic sexuel Pour bien comprendre le phénomène du trafic sexuel, il faut d’abord et avant tout être en mesure d’expliquer son existence, d’expliquer pourquoi ce fléau est en constante augmentation. En fait, il existerait une multitude de facteurs à l’origine du trafic sexuel. Le Conseil du statut de la femme (2002) note, qu’en dépit des désaccords relatifs à la définition du trafic sexuel, certains éléments sont toutefois reconnus pour avoir un effet direct sur l’augmentation du trafic sexuel. Le processus de mondialisation, caractérisé au niveau économique par la libéralisation des échanges internationaux et l’émergence de marchés mondiaux, peut en grande partie être tenue responsable de la hausse du trafic sexuel. En plus d’amplifier et d’exacerber les rapports d’exploitation et de domination, surtout dans les pays du sud, la mondialisation a permis la commercialisation à l’échelle mondiale de la prostitution : L’impact négatif de la mondialisation n’est nulle part ailleurs plus évident que dans la hausse de la prostitution et du trafic des femmes et des enfants, partout dans le monde. […] Tandis qu’il s’agissait d’un commerce rentable dans le passé, le trafic sexuel des femmes est devenu une méga-entreprise caractérisée comme étant à grands profits et à faibles risques. Il n’existe pas de sanctions sévères pour les trafiquants, au même titre que pour le trafic d’armes et le narcotrafic. […] Ce qui rend dramatiquement différent le trafic des femmes et des enfants, d’alors et de maintenant, c’est le recours aux nouvelles technologies de l’information. Le sexe sur Internet est envahissant- environ 70% du matériel sur Internet porte sur le sexe. Cette situation a eu comme résultat sans précédent la commercialisation mondiale des femmes et des enfants comme objets sexuels. (Aurora Javate de Dios dans AQOCI, 2001, p.26-27) L’une des plus importantes conséquences de la mondialisation sur les femmes est l’augmentation de la pauvreté qui bien souvent entraîne la prostitution (Akouari Aï Dam dans AQOCI, 2001). D’ailleurs, toutes les recherches sur le sujet le confirment, l’instabilité politique et économique des pays d’origine des femmes (ex : femmes russes) est une cause majeure du trafic sexuel (CSF, 2002). L’absence de mesures de soutien économique et social, l’inflation tout comme les guerres sont donc les principales raisons qui poussent les 19 femmes et les jeunes filles à vouloir quitter leur pays. Une aspiration des plus compréhensible qui les rend cependant beaucoup plus vulnérables aux propositions mensongères des trafiquants (CSF, 2002).14 En fait, et il ne faut pas l’oublier, les personnes victimes de trafic sexuel proviennent généralement des zones moins avantagées économiquement de notre planète : les femmes trafiquées à des fins d’exploitation sexuelle étant recrutées en Europe de l’Est, en Afrique, en Asie et en Amérique du sud pour ensuite être dirigées vers l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale (CSF, 2002).15 Puisque la majorité des pays du Nord sont engagés dans un processus de fermetures de leurs frontières, et ce surtout depuis le 11 septembre 2001, les individus ne remplissant pas les critères de l’immigration doivent nécessairement faire appel à des réseaux de trafiquants pour migrer (CSF, 2002). Dans plusieurs pays, incluant le Canada, les lois d’immigration sont devenues plus restrictives pour endiguer le flot des immigrants illégitimes et des réfugiés (es). Quand les frontières sont fermées, les trafiquants et les syndicats du crime organisé sont les seuls capables de faciliter la migration des femmes et des enfants. Dans de nombreux cas, ces trafiquants orientent les femmes et les enfants dans les réseaux mondiaux de la traite qui fournissent les marchés locaux de la prostitution. (Ekberg dans AQOCI, 2001, p.69) En partant à la recherche d’un avenir meilleur, plusieurs femmes se retrouvent donc à la merci des trafiquants qui bien souvent leur dérobent passeport et argent une fois arrivées à 14 Dans un document intitulé Illegal immigration and trafficking in human beings seen as a security problem for EUROPE, W. Bruggeman, Deputy Director EUROPOL, dresse le portrait de 3 types de victimes de trafic : the exploited victims, the deceived victims, the kidnapped victims. « The exploited victims are those who knew that they were going to be employed in the sex industry, but would never have imagined the slavelike conditions they have to work under, or the fact that little or no money would be left for them. The deceived victims have been recruited to work in the service or entertainment industry, often through seemingly legitimate employment agencies or brokerages, and once they arrive in the Member States they are forced into prostitution. The kidnapped victims were unwilling from the start. Though they may already have been working in the sex industry in the source country, they had no intention of going abroad. These victims remain the property of their owners and are often sold amongst networks or individual pimps. They are sex slaves in the truest sense » (Bruggeman, 2002, p.5). 15 Selon Barry (1995), le trafic sexuel se présenterait sous trois grandes formes. La première forme de trafic implique « […] des femmes provenant de pays avec un niveau de développement humain moyen ou élevé à l’intérieur desquels la prostitution est très développée et qui importent de nombreuses femmes trafiquées en provenance de pays pauvres environnants pour les pousser dans la prostitution. […] Une deuxième forme prévaut également à l’intérieur des pays riches et développés où sont trafiquées des femmes pauvres et vulnérables. […] Une troisième forme de trafic a cours, via de vastes réseaux internationaux de crime organisé, à partir de pays moyennement développés sur le plan économique, vers ceux dont le développement économique est plus important » (CSF, 2002, p.17-18). 20 destination. Pour survivre, et surtout pour rembourser les frais de leur voyage, ces femmes se voient alors dans l’obligation de se prostituer.16 Ces dernières sont alors rapidement insérées dans des réseaux de prostitution qui ont un besoin constant de nouvelles prostituées pour répondre à la demande locale : ces femmes étant souvent obligées d’offrir des services sexuels durant une dizaine d’heures par jour et ce jusqu’à ce qu’elles aient remboursé leur dette atteignant parfois 40 000$US (The Protection Project. 2002). La nécessité d’alimenter les marchés locaux de prostitution est en fait une des raisons majeures du trafic des femmes et des enfants. D’ailleurs, selon l’International Center for Migration Policy Development (1999), « 80% des femmes dans l’industrie de la prostitution aux Pays-Bas sont victimes de la traite des femmes » (Ekberg dans AQOCI, 2001, p.10).17 Cependant, comme l’explique le Conseil du statut de la femme, « […] au-delà de tous ces facteurs qui peuvent constituer de puissants incitatifs, de nombreux spécialistes considèrent que le trafic sexuel ne saurait exister sans la présence de gens qui ont des intérêts 16 À ce sujet, nous dit Coomaraswamy (2000), le Global Survival Network a dénombré quatre grands types de situations qui entraînent les femmes dans la prostitution : « Le premier groupe comprend les femmes complètement dupées et qui ont agi sous la contrainte. Ces femmes n'ont aucune idée de l'endroit où elles vont ni de la nature du travail qui les attend. Le deuxième groupe est celui des femmes auxquelles les recruteurs n'ont pas dit toute la vérité et qui sont ensuite forcées de faire un travail auquel elles n'avaient pas consenti au départ mais qui n'ont guère le choix. Leur liberté de mouvement et la possibilité qu'elles ont de changer de vie sont extrêmement limitées par la servitude pour dette et la confiscation de leurs documents de voyage ou de leur passeport. Dans le troisième groupe, se trouvent des femmes qui savent à quoi on les destine. Même si elles ne veulent pas de ce travail, elles ne voient aucune autre solution économiquement viable et elles se laissent donc exploiter par le trafiquant qui utilise leur vulnérabilité économique et juridique pour en tirer un bénéfice financier tout en les maintenant, souvent contre leur gré, dans des situations de servitude pour dette. Le quatrième groupe est composé de femmes qui savent pertinemment le travail qu'elles devront faire, n'y ont aucune objection, gèrent leurs finances et sont relativement libres de leurs mouvements » (Coomaraswamy, 2000, p.15). De ces quatre types, explique Coomaraswamy (2000), seul le dernier ne peut être considéré comme de la traite. 17 La décriminalisation de la prostitution ne règlerait donc en rien la traite des femmes. Quant à la légalisation de la prostitution, elle ne semble pas avoir un meilleur effet. Les Pays-bas en sont le meilleur exemple selon Jeffreys (2002). Ainsi, pour régler leur grave problème de trafic des femmes, les Pays-Bas décidèrent de légaliser les maisons closes en 2000. Pour y travailler les prostituées doivent maintenant avoir un permis de travail. Les femmes trafiquées ne peuvent donc plus se retrouver dans ces bordels : elles doivent se prostituer dans la rue et ce dans des conditions encore plus difficiles qu’avant. En d’autres mots, la prostitution est réduite aux citoyennes. La légalisation de la prostitution qui en théorie devait atténuer le trafic sexuel, n’a donc pas eu les résultats escomptés (Jeffreys, 2002). La Suède qui a, en 1999, passé une loi visant à criminaliser les clients de prostituées aurait, selon Ekberg (AQOCI, 2001), plus de succès. Ainsi, « […] Kajsa Wahlberg, la rapporteure nationale sur le trafic à la police nationale suédoise, déclare, dans un article publié à la fin de janvier 2001, que le nombre de femmes trafiquées vers la Suède a diminué depuis que la loi est mise en œuvre. Elle dit que, selon ses collègues policiers de l’Union européenne, les trafiquants choisissent d’autres pays comme destination où leur commerce est plus profitable et non entravé par de pareilles lois. De toute évidence, la loi agit comme un élément de dissuasion » (Ekberg dans AQOCI, 2001, p.81). 21 personnels à ce trafic » (CSF, 2002, p.22). Le trafic des êtres humains est une activité des plus lucratives. À tel point que le trafic des personnes atteint, selon l’estimation des Nations Unies, maintenant 14 milliards de dollars canadiens par année comparativement à entre 1,9 et 3, 2 millions au début des années 90 (De Troy dans AQOCI, 2001). Le trafic des femmes serait même devenu la troisième source de revenu pour les différents réseaux du crime organisé après la vente de drogue et le commerce des armes (CSF, 2002). D’après un document du Conseil de l’Europe daté du 19 mai 2000, les réseaux de criminalité organisée qui tirent profit de trafic des personnes sont constitués d’organisation de divers types. Il y a d’abord les grandes organisations qui sont caractérisées […] par une structure internationale hiérarchisée et des contacts politiques et économiques à tous les niveaux, dans le pays d’origine comme dans le pays de destination. La traite se déroule généralement derrière une couverture légale et tire parti d’une connaissance approfondie des lois et pratiques administratives des différents pays de destination et de transit. (Conseil de l’Europe. 2000, p.11). Ensuite, nous retrouvons les organisations de dimension moyenne qui « […] se distinguent des grandes organisations par le fait qu’elles ne vendent pas les victimes à d’autres groupes, mais les gardent sous leur contrôle et les placent dans leurs propres clubs et maisons de prostitutions » (Conseil de l’Europe. 2000, p.11). Quant aux petites organisations, elles « se structurent autour de la demande des cabarets et autres établissements de ce type, et fournissent des femmes/hommes » (Conseil de l’Europe. 2000, p.11). Finalement, il existerait, toujours selon le rapport du Conseil de l’Europe, une infime minorité de personnes qui « […] ont émigré vers l’Europe sans passer par des organisations. Ces personnes ont recours à un large éventail de moyens, légaux et illégaux, pour passer les frontières, parfois avec l’aide de personnes qui exploitent leur situation vulnérable » (Conseil de l’Europe. 2000, p.11). Pour sa part, Bertone (2000 : 7) présente trois types de réseaux impliqués dans le trafic des femmes : […] le réseau à grande échelle dont les contacts politiques et économiques internationaux lui permettent de relier les pays d’origine et les pays de destination; le réseau de taille moyenne qui se concentre sur 22 la traite des femmes en provenance d’un pays seulement et le réseau de petite taille qui place une ou deux femmes à la fois, sur commande. (Bruckert et Parent, 2002, p.14). Pour certains auteurs, le lien entre le crime organisé et le trafic des femmes n’est toutefois pas nécessairement automatique (Bruckert et Parent, 2002). Ainsi Skeldon (2000: 12), dans une recherche réalisée pour l’Organisation mondiale du commerce soutien qu’en Asie le crime organisé n’a pas le monopole du trafic. D’après lui, des individus isolés ou des petits groupes criminels de diverses régions seraient également actifs dans ce domaine.(Bruckert et Parent, 2002, p.15-16). Pour d’autres auteurs, tels que Finckenauer (dans Salt et Hogarth, 2000 : 53), il est dès plus important de faire la différence entre des activités criminelles et le crime organisé : « Les activités criminelles peuvent impliquer une bonne organisation et durer un certain temps mais une fois le travail accompli, le groupe se dissout; le crime organisé, par contre, renvoie à une organisation dont l’existence est stable et qui s’implique dans des activités criminelles diverses. » (Bruckert et Parent, 2002, p.14). Que le trafic des femmes soit contrôlé par des groupes criminalisés ou par des individus isolés, il demeure qu’une des causes premières du trafic sexuel est bel et bien l’appât du gain. Toutefois, à moins de vouloir se leurrer, ce sont d’abord et avant tout les clients, des hommes en très grande majorité, qui génèrent ce phénomène et qui contribuent à son expansion. 5- Le trafic sexuel au Canada et au Québec Le trafic sexuel, nous l’avons déjà mentionné, touche la majorité des pays18 : le Canada ne fait pas exception. Toutefois, aucun chiffre exact sur le problème du trafic sexuel n’est pour l’instant disponible (U.S. Départment of state, 2001) : 18 Pour un aperçu de la situation internationale, il suffit de lire les pages consacrées au trafic sexuel dans la recherche du Conseil du statut de la femme (2002), La prostitution : Profession ou exploitation ? Une réflexion à poursuivre, ou dans celle de Geadah (2003), La prostitution. Un métier comme un autre?. 23 L’étendue du problème n’a pas été bien documentée, et il existe peu de données objectives. Cependant, surtout à l’échelle internationale, une quantité considérable de données non scientifiques dénotent l’existence du trafic des femmes. Nos constatations ont confirmé que l’information sur le trafic des femmes à l’échelle fédérale au Canada est très limitée et qu’il sera difficile de combler les besoins d’information précisés. (CIC, 2000, p. 1) Même s’il est difficile de documenter l’étendue du problème en raison de son caractère complexe et clandestin, même si les informations sur la situation canadienne et sur la situation québécoise demeurent limitées et demandent un élargissement des données tout comme un approfondissement des analyses, un premier portrait indicatif se dégage à travers la littérature des cinq dernières années. D’abord, dans une étude commandée par le Solliciteur Général du Canada, il a été estimé qu’entre 8000 et 16 000 personnes entrent à chaque année au Canada avec l’aide de passeurs (Porteous, 1998). Le Canada serait d’ailleurs un pays de destination pour les individus trafiqués originaires l’Asie de l’Est (Chine, Thaïlande, Cambodge, Philippines), de l’Europe de l’Est, de la Russie, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique du Sud (U.S. Départment of state, 2001; US Department of State. 2003) : Thousands of persons, including at least 15,000 Chinese, have entered Canada illegally over the last decade. These persons come primarily from East Asia (especially China and Korea; also Malaysia), Eastern Europe, Russia, Latin America (including Mexico, Honduras, and Haiti), and South Africa. Many of these illegal immigrants have paid large sums to be smuggled to the country and are indentured to their traffickers upon arrival. Almost all work at lower than minimum wage and use most of their salaries to pay down their debt at usurious interest rates. The traffickers use violence to ensure that their clients pay and that they do not inform the police. Asian women and girls who are smuggled into Canada often are forced into prostitution. Traffickers use intimidation and violence, as well as the illegal immigrants' inability to speak English, to keep these victims from running away or informing the police. (U.S. Department of state, 2001) Quant aux femmes et aux enfants victimes de trafic sexuel qui se retrouvent au Canada, ils proviendraient principalement de l’Asie, de l’Afrique et, depuis quelques années, surtout de l’Europe de l’Est. D’après un rapport du U.S. Department of state (2001), Toronto et 24 Vancouver seraient les deux points de convergence pour le trafic des personnes et pour le trafic sexuel des femmes et des enfants : De façon générale, le Département d’État américain évalue que les victimes du trafic vers le Canada sont de jeunes femmes trafiquées à des fins de prostitution ou des personnes qui occuperont des emplois manuels dans des restaurants, des usines de couture ou dans l’agriculture. Les groupes criminels organisés ont ciblé le Canada en raison de ce que le Département d’État américain considère être du laxisme dans les lois canadiennes sur l’immigration et de la proximité des frontières américaines. D’ailleurs, Vancouver et Toronto ont été choisies comme centre d’activité par les groupes criminels. La mafia sud-asiatique se concentrant davantage dans l’Ouest canadien alors que la mafia russe s’est installée à Toronto en raison du fait que 150 000 personnes d’origine russe y vivent. (CSF, 2002, p.28) Pour entrer au Canada, les personnes trafiquées auraient généralement recours au statut de visiteur ou à celui de réfugié (Caldwell et al. 1997, OIM 1995 cité dans Mc Donald, Moore et Timoshkina, 2000). Des femmes entreraient également au Canada par le truchement de visas accordés aux danseuses exotiques. D’ailleurs, depuis quelques années, la soi-disant pénurie de danseuses exotiques au Canada (Godfrey, 1998) aurait amené les propriétaires de clubs à recruter des danseuses nues dans d’autres pays. Ainsi, en 1998, plus de 500 demandes d’immigration auraient été faites par des femmes travaillant dans des clubs de danseuses nues étrangers (Bradley, 1998 dans Raymond et Hughes, 2001, traduction libre). Raymond et Hughes (2001), dans leur étude empirique intitulée Sex Trafficking of Women in the United States : International and Domestic trends, mentionnent que […] certains rapports considèrent cette pratique comme une des causes de l’augmentation du trafic sexuel et de l’exploitation de la femme en Amérique du Nord. Certains faits montrent qu’il y a un lien entre les femmes importées au Canada dans les clubs et celles que l’on retrouve subséquemment dans les réseaux de prostitution. (2001, traduction libre).19 19 Lorna Tessier, porte parole d’Immigration Canada, souligne que le Canada commence à être de plus en plus concerné par l’exploitation des femmes venues au Canada pour travailler comme effeuilleuses : « We began to exercise diligence to make sure what we were processing abroad was what it appeared to be. She said only 824 work authorizations for strippers have been issued since 1998—many of them renewals (in contrast, 4,400 permits for street entertainers were issued between 1994-97» (Jimenez, National post, may 2000). 25 En plus d’être un lieu de destination, le Canada est aussi un lieu de transit vers les États-Unis. Toronto et Vancouver seraient les villes de transit par excellence: « Other traffickers have flown into Toronto and Vancouver and transported the women overland into the US. Toronto is a popular transit point with the Russians as there are well over 150,000 Russians living there. (Interview with INS, Bangkok, Thailand, February 1999) » (O’Neill, 2000). Selon le U.S. Immigration and Naturalization Service News Release (1998) un grand nombre des femmes trafiquées vers les États-Unis passerait par le territoire d’Akwesasne : « It has been estimated that 1300 persons are smuggled yearly through Akwesasne territory into the United States from the Middle East, Europe and Asia » (Raymond et Hughes, 2001). La ville de Détroit, l’État de Washington, et le fleuve St-Laurent seraient les autres points d’entrées par la frontière canadienne vers les États-Unis (Raymond et Hughes, 2001). Lieu de destination et de transit, le Canada est également, mais dans une moindre mesure, un lieu d’origine. Ainsi, selon le rapport du U.S. Départment of state de 2002, un « […] certain nombre de mineurs d’origine canadienne sont trafiqués vers les États-Unis par des proxénètes à des fins d’exploitation sexuelle» (CSF, 2002, p.28). Il existerait également un circuit Canada-Europe-Islande où des prostituées canadiennes obtiendraient des permis de travail de deux ans pour l’Islande. (Conversation téléphonique avec Ekberg, 2003). Quant au trafic domestique, il se ferait, selon Ekberg (2001), « […] entre quartiers, d’une ville à l’autre, et d’un bout à l’autre du pays, de la côte Est à la côte Ouest, pour aboutir en Californie ou de l’autre côté, dans l’état de New York » (AQOCI, 2001, p.6). Au Canada, le trafic sexuel serait principalement contrôlé par le crime organisé russe et asiatique (mafia vietnamienne et chinoise (The Protection Project, 2002b)). Les groupes criminels qui sont actuellement reconnus pour faire du trafic sexuel au Canada sont : West Coast Players (Vancouver, trafic des adolescentes vers Los Angeles), Wah Ching, Thai criminal network, Russian organized crime (O’Neil Richard, 2000). According to the American Embassy in Bangkok, at least four loosely organized groups smuggle and traffic Thai women for delivery to US brothels. They send roughly 20 to 30 women a month to the US and 26 Canada, generally using altered or impostor Thai passports. (O’Neil Richard, 2000) Selon le rapport A Human Rights Report on Trafficking of Persons, Especially Women and Children annually (2002b), réalisé par The Protection Project,20 deux grandes enquêtes menées par le police canadienne auraient permis au cours des dix dernières années de mettre à l’ombre de nombreux trafiquants : In a high-profile case in Canada, several dozen Asian women were freed from sexual slavery in a series of raids by more than 150 police officers who shut down 10 brothels in Toronto. Police estimated that the ring supplied 30 to 40 women every 3 months to about 15 brothels in the Toronto area. The brokers received approximately US$16,000 for each woman, who was contracted to have sex with about 400 men. The brothel owner would in turn earn up to US$40,000 per woman. The women were then paid 40 percent of what their clients were charged. Police estimated that brothel keepers made as much as US$5 million per year using 100 women. Police also arrested 15 brothel keepers, bodyguards, and agents. (The Protection Project. 2002b, p.108b) In one case, Canadian police arrested more than 40 people in connection with an international sex-slave ring that involved the sale of hundreds of Asian women in North America. Women were recruited in Malaysia and Thailand, taken into the country of destination on visitor’s permits, and sold into prostitution. They were told that they had debts of UK£18,000 (about US$30,000) that they had to work off. The women were continually circulated from brothel to brothel in Canadian (Vancouver and Toronto) and U.S. (Los Angeles) cities. Police said that as many as a dozen women a week were brought into 20 «The Protection Project is a legal human rights research institute based at the Johns Hopkins University School of Advanced International Studies in Washington, D.C. The project documents and disseminates information about the scope of the problem of trafficking in persons, especially women and children, with a focus on national and international laws, case law, and implications of trafficking on U.S. and international foreign policy. The Protection Project has collected the criminal laws concerning trafficking for the purpose of commercial sexual exploitation from over 190 countries.» (tire de : http://www.protectionproject.org/main1.htm) 27 Canada and sold into prostitution. (The Protection Project. 2002b, p.108b) Le démantèlement de ces réseaux de prostitution tout comme l’arrestation de ces femmes a eu pour effet de faire réaliser à la population canadienne et aux instances concernées, que le Canada est bel et bien un pays de destination pour les femmes trafiquées. Même si les recherches actuelles ne permettent pas de quantifier l’ampleur du phénomène, on sait que le Canada est touché par le trafic sexuel. Quant au Québec, les informations concernant le trafic sexuel se font des plus rares. Toutefois, d’après l’étude du CSF, le Québec ne serait par à l’abri de ce problème : Ainsi, selon ces sources [informateurs du milieu juridique et des forces policières], la mafia russe a été très présente au Québec au cours des dernières années. Elle procédait au trafic des femmes d’origine russe à l’intérieur de réseaux très bien organisés. Ainsi, en moins de trois semaines, ces trafiquants réussissaient à recruter des femmes en Russie et à les installer dans des studios de massage au Québec. (CSF, 2002, p.30) Selon le rapport du The Protection Project (2002b), certains clubs de danseuses nues de Toronto et de Montréal sont d’ailleurs suspectés d’exploiter sexuellement des jeunes filles provenant de la Malaisie, des Philippines, de Taiwan et de la Thaïlande. Lors des journées de formation sur La mondialisation de la prostitution et du trafic sexuel tenues par l’AQOCI, le cas des femmes originaires des Philippines aurait également été abordé : La communauté philippine apparaît comme particulièrement vigilante, compte tenu qu’un nombre important de femmes philippines utilise le programme fédéral canadien pour les aides familiales. Certains cas de passage à la prostitution y ont été signalés, et des recherches sont en cours. (AQOCI, 2001, p.59) Lors de ces journées de formation, une participante a informé de l’arrivée à Montréal d’un important contingent de femmes de l’ancienne URSS en transit vers Bruxelles (AQOCI, 2001). Une autre participante a de son côté mentionné qu’au Centre des femmes du Sud-Est 28 asiatique de Montréal, des intervenantes auraient observé, depuis environ cinq ans, l’arrivée sous le statut de réfugié de femmes et d’enfants de l’Inde, du Bangladesh, du Pakistan. Selon cette participante, il y aurait là présence de trafic d’êtres humains : Des trafiquants avides de profits contactent les familles de villages très pauvres, les incitent à vendre leurs biens et envoyer leurs filles "travailler" au Canada. À leur arrivée, elles sont laissées seules sur la rue, avec la complicité des gangs organisés dans la communauté. Leur extrême vulnérabilité en font des proies faciles pour le marché de la prostitution. C’est une forme de trafic des humains. (AQOCI, 2001, p.59) Ces informations très intéressantes, quoique partielles, devront être complétées et enrichies au cours de cette recherche. Néanmoins, elles nous indiquent à coup sur que le Québec n’est pas épargné par le trafic des personnes. 6- La législation canadienne et le trafic des personnes Jusqu’à tout récemment, le trafic des personnes n’était pas considéré comme une infraction au Canada. Les trafiquants faisaient donc rarement l’objet de poursuites devant les tribunaux. En fait, seuls les délits en lien avec le trafic, comme l'extorsion, l'enlèvement, la séquestration, les voies de fait, l'agression sexuelle, le fait de vivre des produits de la prostitution, pouvaient parfois mener à des accusations. Toutefois, avec l’entrée en vigueur au mois de juin 2002 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (projet de loi C-11) visant à renforcer la sécurité publique et nationale (CIC, 2002), la 21 En effet, situation risque de changer. maintenant considéré comme une infraction : le trafic est 21 Cette loi, qui, selon CIC, constitue une révision majeure du système d'immigration et d'accueil des réfugiés, vise deux grands objectifs : « […] fermer la porte aux criminels et autres personnes qui voudraient abuser de la générosité et de l'ouverture de notre pays, et l'ouvrir plus grande aux réfugiés authentiques et aux immigrants dont le Canada a besoin » (CIC, juin 2001). 29 Récemment, le Canada a introduit dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés des dispositions visant particulièrement le trafic des personnes (Article 118). La nouvelle infraction qui prenait effet en juin 2002 est assortie d'une peine maximale d'emprisonnement à vie ou d'une amende d'un million de dollars ou les deux. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés précise aussi que le fait de soumettre des victimes du trafic à des traitements humiliants ou dégradants, y compris en rapport avec les conditions de travail ou de santé ou l'exploitation sexuelle constitue des circonstances aggravantes en rapport avec la détermination de la peine applicable à ceux qui s'adonnent au trafic des humains. (Patrimoine Canada, octobre 2002) En plus de la nouvelle infraction visant à freiner le trafic des personnes qui est accompagnée de peines beaucoup plus sévères pour les trafiquants et les passeurs, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés étend le pouvoir de détention pour contrôle d’identité, alourdit les peines prévues en cas de fraude ou d'utilisation de faux documents et crée une nouvelle infraction générale (amende maximale de 100 000 $ et d'un emprisonnement maximal de cinq ans) visant les personnes qui conseillent de faire de fausses présentations (CIC, juin 2001). Depuis le dépôt du projet de loi C-11 sur l’immigration et la protection des réfugiés de nombreuses critiques ont été formulées à son endroit. La plus grande critique adressée à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés par ses détracteurs porte sur l’absence de dispositions pour protéger les droits des victimes de trafic (Oxman-Martinez et Hanley, 2001, 2003 ; Conseil Canadien pour les réfugiés, 14 et 24 mars 2001; National Association of Women and the Law and al, 2001; Le centre justice et foi 2001). Le projet de loi aborde le problème de la traite des humains (asservissement d’êtres humains) par une augmentation des pénalités pour ce crime. Cependant, le CCR s’inquiète de ne pas y trouver de dispositions visant à protéger les droits des victimes. (Canadian Council for Refugees. 21 mars 2001) 30 En fait, plutôt que d’assurer la protection des individus trafiqués, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pénalisent les personnes victimes de trafic qui ne peuvent fournir de preuve d’identité: Unfortunately, Bill C-11 does not offer adequate protection to trafficking victims. Rather, the new Immigration Act tends to involve trafficking victims in the criminal system, providing for their incarceration due to their lack of documentation. (Oxman-Martinez et Hanley, 2001) Pour Oxman-Martinez et Hanley (2001), les diverses dispositions contenues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés montre à quel point le Canada a tendance à aborder la question du trafic des personnes que sous l’angle du contrôle des frontières : « The limitations of border control as a solitary approach to fighting human trafficking become apparent in examining the new Immigration Act » (Oxman-Martinez et Hanley, 2001). Utiliser des mesures punitives (peines plus sévères pour les trafiquants, augmentation du pouvoir de détention, criminalisation pour possession et utilisation de faux papiers, etc.) pour contrôler nos frontières et, par extension, pour combattre le trafic des êtres humains, est d’ailleurs pour plusieurs une solution inefficace et, surtout, néfaste pour les victimes de trafic. Inefficace, d’abord parce que les peines plus lourdes imposées aux trafiquants, même si elles sont les bienvenues, ne touchent que le peu nombre d’entre eux qui sont présentement arrêtés (Le centre justice et foi, 2001 ; Oxman-Martinez et Hanley, 2001) : Et contrairement à ce que nos gouvernements affirment souvent, on s'attaque encore très peu à ces réseaux eux-mêmes. Et ce n'est pas d'abord parce que la loi actuelle n'est pas assez sévère ou répressive, mais beaucoup plus par manque de véritable volonté politique (les immigrants clandestins ont, dans beaucoup de pays occidentaux, une fonction économique cachée mais fort importante) et de moyens matériels consacrés à l'application de la loi (entre autres parce que les gouvernements sont conscients qu'il s'agit d'une «guerre perdue d'avance» et qu'il s'agit davantage de rassurer l'opinion publique sur «la protection de nos frontières» que de mettre fin, dans les faits, à l'immigration illégale). Il faut cependant admettre, à la décharge de nos gouvernants, qu'il n'est souvent pas facile de remonter jusqu'aux dirigeants de ces réseaux, que les «victimes» ne se sentent pas toujours libres de coopérer aux enquêtes et qu'il est toujours beaucoup plus facile 31 et tentant de pénaliser les «victimes» que les responsables. (Le centre justice et foi, 2001) Une solution inefficace et, surtout, néfaste pour les victimes, parce que Plus nous resserrons les contrôles, et plus nous poussons les gens dans l'illégalité (par l'exigence de visas, par exemple, par la généralisation des pratiques d'interception ou par nos documents «infalsifiables»), pénalisant davantage les plus vulnérables et les plus pauvres. (Le centre justice et foi, 2001). Enfin, une solution néfaste pour les victimes parce qu’il y a de fortes chances pour que ces dernières, par peur d’être renvoyées dans leur pays d’origine ou par peur d’être emprisonnées, hésitent à dénoncer les trafiquants ou même à chercher de l’aide (OxmanMartinez et Hanley, 2001). En somme, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés augmente, selon Oxman-Martinez et Hanley (2001;2003), le contrôle des mouvements irréguliers, le contrôle des frontières sans toutefois s’attarder aux causes du trafic des personnes sans le prévenir et, surtout, sans mettre en place des mesures pour protéger les droits des victimes de trafic. Il n’y a pas de doute, le Canada ne remplit pas encore entièrement les exigences de La Convention contre la criminalité transnationale organisée et de ses deux protocoles additionnels, le Protocole contre le trafic illicite des migrants par terre, air et mer, et le Protocole pour prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Conseil Canadien pour les réfugiés, 24 mars 2001 ; Oxman-Martinez et Hanley, 2003) : Certaines des dispositions du projet de loi reflètent les protocoles sur l’introduction clandestine des migrants et sur le trafic de personnes, signés en décembre 2000 (il s’agit de protocoles à la Convention sur la criminalité transnationale organisée). Ces protocoles criminalisent les activités des passeurs et des trafiquants. Donc, par exemple, le projet de loi ajoute une nouvelle catégorie de nonadmissibilité (Art. 37(1)(b)) pour ceux qui se livrent, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le blanchiment d’argent. Alors que le projet de loi inclut des mesures de répression inspirées par les protocoles, nous ne voyons pas dans le projet 32 de loi les dispositions dans les protocoles destinées à protéger les migrants et les victimes du trafic. Le protocole sur le trafic a une série de mesures visant à protéger les droits des victimes. Le protocole sur l’introduction clandestine des migrants affirme que les mesures de criminalisation ne s’appliquent pas aux personnes qui entrent clandestinement dans un territoire. Le projet de loi C-11, par contre, n’exempte que les migrants reconnus réfugiés. (Conseil Canadien pour les réfugiés, 24 mars 2001) Dans le but de rendre la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés conforme aux protocoles sur l’introduction clandestine des migrants et sur le trafic de personnes, et surtout dans le but de protéger les droits des réfugiés et des immigrants, plusieurs changements sont exigés par les différents auteurs que nous avons consultés : instaurer des mesures pour protéger les victimes de trafic, et ce qu’elles aient leurs papiers ou non, leur donner accès aux services gouvernementaux (cours de langues, aide sociale, permis de travail, etc.) et leur permettent d’appliquer pour la résidence permanente sont les changements qui sont le plus souvent demandés (Le centre justice et foi, 2001; OxmanMartinez et Hanley, 2001 ; National Association of Women and the Law and al. 2001). Dans un autre ordre d’idée, Le centre justice et foi souligne qu’ « Il faudrait aussi faire une nette distinction entre le " smuggler " et le " smugglé ", entre le " passeur " et le " passé " (seul le smuggler ou le passeur qui le fait " pour un profit intéressé " pouvant être criminalisé et poursuivi pour abus de personnes) » (2001). 7- Les études canadiennes sur le trafic sexuel On vient de le voir, peu de données sont présentement disponibles en ce qui concerne la situation du trafic des femmes et du trafic sexuel au Canada. Pour combler cette lacune, Condition féminine Canada a subventionné, vers la fin des années quatre-vingt-dix, quatre recherches portant sur le trafic des femmes. La recherche intitulée Le Canada et le mariage de Philippines par correspondance : La nouvelle frontière du Philippine Women Centre of B.C, celle nommée Le trafic des femmes au Canada : une analyse critique du cadre juridique de l’embauche d’aides familiales immigrantes résidantes et de la pratique de promises par correspondances de Langevin et Belleau, celle de Mc Donald, Moore et Timoshkina ayant 33 pour titre Les travailleuses migrantes du sexe originaires d’Europe de l’Est et de l’ancienne Union soviétique : le dossier canadien et, enfin, celle du Toronto Network Against Trafficking in Women, The Multicultural History Society of Ontario et The Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic intitulée Trafficking in Women Including Thai Migrant Sex Workers in Canada et Trafficking in Women Including Thai Migrant Sex Workers in Canada ont toutes été publiées en l’an 2000. De ces quatre recherches, seule celle de Mc Donald, Moore et Timoshkina et celle du Toronto Network Against Trafficking in Women, The Multicultural History Society of Ontario et The Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic se penche sur le trafic sexuel.22 Pour cette raison, nous avons décidé de nous attarder uniquement aux résultats de ces deux recherches. 7.1 La recherche sur le trafic sexuel de Mc Donald, Moore et Timoshkina (2000) La recherche entreprise par Mc Donald, Moore et Timoshkina avait pour but « […] d’examiner les expériences de femmes de l'ex-Union soviétique et d'Europe de l'Est qui ont fait l'objet de trafic au Canada » (Mc Donald, Moore et Timoshkina, 2000, p.2). Leurs objectifs étaient d’éclairer les circonstances qui ont amené ces femmes au Canada, de déterminer leurs conditions de travail, de circonscrire la nature de leur travail et de prêter attention aux tentatives de ces femmes pour transformer leur situation. Les trois chercheures voulaient également s’attarder aux rôles joués ou qui devraient être joués par les services sociaux et les services de santé dans la vie de ces femmes. Les auteures ont choisi de centrer leur étude sur une des villes ayant le plus haut taux de prostitution au Canada, soit Toronto (Juristat 1993 dans Mc Donald, Moore et Timoshkina, 2000). À cause de la présence du crime organisé dans cette ville, il y avait, selon les auteures, de fortes chances pour qu’elle soit un lieu de destination pour les femmes victimes 22 Même si dans le cadre de ce bilan des écrits, nous nous attardons qu’à ces deux recherches, il nous semble important de mentionner que Langevin et Belleau (2000) font brièvement allusion au trafic sexuel dans leur recherche. En effet, à la page 190, les auteures mentionnent que « […] la pratique des parrainages en série [est] susceptible de servir de couvert à des réseaux de prostitution internationaux. De plus, nous avons signalé la présence d'hyperliens dans les sites Internet de PPC qui conduisent à des sites spécialisés dans la promotion du tourisme sexuel. Ces phénomènes de plus en plus fréquents grâce à la popularisation du cyberespace semblent suspects en ce qu'ils dissimulent parfois des activités criminelles, comme le proxénétisme » (Langevin et Belleau, 2000, p.190). 34 de trafic provenant de la Russie ou de l’Europe de l’est. De plus, à Toronto, il apparaissait possible de rencontrer un nombre suffisant de femmes trafiquées pour mener à bien l’enquête. Malgré cette précaution, trouver des personnes en mesure de témoigner a été l’obstacle le plus grand auquel ont été confrontées les trois chercheures. Au total, et malgré de nombreux efforts de leur part,23 seulement vingt femmes ont été interviewées, dont deux travailleuses du sexe canadiennes. Les 18 femmes immigrantes de l’étude sont arrivées au Canada après 1992, soit après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, et étaient, pour la grande majorité d’entre elles, âgées entre 18 et 26 ans. Ces femmes, qui n’avaient jamais travaillé dans l’industrie du sexe dans leur pays d’origine, avaient toutes complété l’équivalent de leurs études secondaires, et trois d’entre elles possédaient même un diplôme universitaire. Selon ces auteures, qui se référent à la définition du trafic tirée du rapport de Wijers et Lap-Chew (1997), sur les vingt femmes rencontrées, seulement neuf auraient fait l’objet de trafic. Ces neuf femmes ne se percevaient pas pour autant comme ayant été trafiquées : « Elles ne se considéraient pas comme des « victimes », estimaient que leurs expériences étaient relativement « normales », que le trafic n'arrive qu'aux autres et que c'est une « mauvaise chose » (Mc Donald, Moore et Timoshkina, 2000, p. 39). Comme dans la majorité des recherches sur le sujet, c’est le contexte économique et politique difficile dans leur pays d’origine qui a incité les femmes à vouloir migrer. Pour les recruter, les trafiquants ont utilisé différentes stratégies, dont les annonces dans les journaux et le bouche à oreille. La majorité de ces femmes se sont faites tromper par de fausses promesses pour un avenir meilleur. De fait, la duperie et le mensonge sont omniprésents dans le trafic des femmes. Toutefois, certaines des femmes rencontrées par Mc Donald, 23 Diverses stratégies ont été employées pour tenter de rejoindre ces femmes : annonces publiées dans des journaux russes et est-européens (25 réponses) ; une émission de télévision locale en russe a permis à une chercheure de lancer un appel (0 réponse) ; les chercheures ont communiqué directement avec 16 studios de massage pour demander aux femmes de participer à des interviews (10 réponses) ; sollicitation de 16 entreprises spécialisées dans des services pour adultes (2 réponses) ; un sondage de type boule de neige auprès des femmes et des propriétaires de studios de massage ; deux mises en contact de la police ; neuf mises en contact par des organismes de services sociaux. En ce qui concerne les observations participantes, elles ont eu lieu à plusieurs endroits soit : participation à une descente dans un club de striptease ; participation à un atelier de déjudiciarisation ; participation à deux audiences pour des femmes victimes de trafic (McDonald, Moore et Timoshkina, 2000). 35 Moore et Timoshkina ont reconnu avoir eu des doutes sur ce qui les attendait une fois rendues au Canada mais n’avoir, en quelque sorte, rien fait pour arrêter le processus : Ouais, Je savais qu'il se passait quelque chose. Je savais, mais je n'ai rien fait... c'est comme lorsqu'on sait qu'il y a du feu, que ça va brûler, mais qu'on continue d'avancer. (Travailleuse du sexe originaire de Hongrie, club de striptease, p.48) De par leur situation économique plutôt précaire, ces femmes sont donc plus vulnérables au trafic. D’après les auteures, « certaines femmes impatientes de quitter une situation loin d’être parfaite, à la recherche d’une vie meilleure, peuvent avoir été désespérées au point de croire n’importe quoi et n’importe qui, à condition d’y voir une possibilité de changer la situation » (McDonald, Moore et Timoshkina, 2000, p. 48). Treize des 18 femmes immigrantes sont venues au Canada en tant que visiteuses, trois en tant qu’immigrantes de la catégorie famille, une comme réfugiée alors qu’une dernière avait un faux permis de travail. Plusieurs d’entre elles avaient par conséquent un statut précaire qui, une fois le temps de séjour expiré, donnait beaucoup de pouvoir aux trafiquants; ces derniers les menaçant à tout instant de les dénoncer si elles ne faisaient pas ce qui leur était demandé. Une fois arrivées au Canada, ces femmes ont été dans l’obligation de travailler dans des salons de massage ou dans des clubs de danseuses nues pour survivre. Toutes ont dû, à un moment où à un autre, se prostituer : celles travaillant dans des clubs de danseuses nues, majoritairement des femmes victimes de trafic, ayant à le faire plus fréquemment que les femmes se retrouvant dans les salons de massage. Parce que ces femmes n’ont pas de permis de travail, elles sont, en quelque sorte, prisonnières de l’industrie du sexe pour assurer leur survie économique. Plusieurs d’entre elles affirment à cet égard gagner beaucoup plus d’argent en travaillant dans cette industrie que lorsqu’elles exerçaient un emploi dans leur pays d’origine. Toutefois, l’industrie du sexe exige de nombreux frais qui les cantonnent dans le réseau : Ces frais permanents [versés aux clubs, pour l’animateur, pour l’utilisation des salons VIP, pour les retards, etc.] défavorisaient les 36 femmes en les empêchant de mettre de l’argent de côté, en les incitant à travailler plus longtemps et en les liant davantage à l’industrie. (Mc Donald, Moore et Timoshkina, 2000, p.52) Bref, nous disent les auteures, l’industrie du sexe procure à ces femmes juste assez d’argent pour les maintenir dans le milieu. Quant à leur environnement de travail, il est caractérisé par des conditions insalubres et par une exposition quasi-permanente aux drogues. La relation entre les travailleuses du sexe elles-mêmes est caractérisée par une vive concurrence voire même une animosité constante. Les femmes rencontrées dans le cadre de cette recherche ont dit préférer se regrouper avec des travailleuses du sexe du même groupe ethnique qu’elles. La création d’enclaves ethniques tout comme la concurrence entre et à l’intérieur même de ces groupes seraient d’ailleurs savamment entretenues par les propriétaires de clubs de danseuses nues qui évitent ainsi que les femmes puissent s’entraider. L’environnement de travail est également caractérisé par la violence. Les femmes ont dit craindre pour leur sécurité les clients tout comme leurs patrons étant parfois violents avec elles. Malgré ce contexte économique et social très dur, peu de femmes ont réussi à quitter l'industrie. Celles qui le font, quittent généralement après avoir été arrêtées par la police. L’étude de Mc Donald, Moore et Timoshkina s’est également attardée aux services sociaux et aux services de santé qui peuvent être utilisés par ces femmes. À ce chapitre, très peu de personnes travaillant pour de tels organismes ont été en contact avec des femmes de l’Europe de l’Est ayant été victimes de trafic. Parce que ces femmes n’ont pas accès ou croient ne pas pouvoir avoir accès aux services sociaux canadiens, elles n’ont donc à peu près jamais recours à ces services : « Les femmes n'utilisent pas les services parce qu'elles ne croient pas en avoir besoin. Ce sont des immigrantes clandestines, et elles ne croient pas qu'on leur permettrait d'utiliser les services, dont elles ignorent l'existence ou le fonctionnement, ou encore elles ne savent pas où les trouver » (McDonald, Moore et Timoshkina, 2000, p.VI). L’étude de McDonald, Moore et Timoshkina montre à quel point le rôle des services sociaux et des services de santé est restreint et limité dans le cadre de cette problématique. 37 L’étude de McDonald, Moore et Timoshkina a donc eu le grand mérite de décrire, pour une première fois, la situation des femmes ayant été trafiquées vers le Canada. De plus, leur recherche a permis de montrer la sous-utilisation des services sociaux par ces immigrantes clandestines. Une sous-utilisation qui serait liée à la peur qu’ont ces femmes d’être dénoncées tout comme à leur méconnaissance de ces services.24 7.2 La recherche du Toronto Network Against Trafficking in Women, The Multicultural History Society of Ontario et The Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic (2000) La recherche réalisée par le Toronto Network Against Trafficking in Women, The Multicultural History Society of Ontario et The Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic avait pour but premier de documenter la question du trafic sexuel des femmes au Canada. Pour ce faire, les auteurs ont interviewé des femmes arrêtées dans le cadre d’une enquête, d’une durée de 7 mois, qui fut conduite en 1998 dans le Toronto métropolitain par Le Toronto Combined Forces Special Enforcement Unit et l'Immigration and Naturalization Service des É.-U afin d'arrêter le trafic transfrontalier de femmes.25 À l’aide d’entrevues semi-structurées, les auteurs de cette recherche ont cherché à savoir comment ces migrantes qui travaillaient dans l’industrie du sexe ont réagi aux divers événements précédents et suivants leur arrestation et comment elles ont été affectées par les politiques et les lois canadiennes. Huit femmes thaïlandaises entrées illégalement au Canada et travaillant dans l’industrie du sexe ont donc été interviewées. Désirant également documenter l’expérience des personnes et des organismes qui ont côtoyé ces migrantes après leur arrestation, les auteurs ont réalisé un total de dix entrevues auprès de prestataires de services sociaux et de santé, d’avocats, d’interprètes, etc.26 24 En s’inspirant des propos tenus par les intervenants-es et par ces vingt femmes, Mc Donald, Moore et Timoshkina ont également proposé neuf grandes recommandations dans le but d’améliorer les politiques liées à la prestation des services de santé et des services sociaux à ces femmes. Pour avoir plus d’informations au sujet des recommandations formulées par Mc Donald, Moore et Timoshkina (2000), voir en annexe B. 25 Dans le cadre de cette enquête, mieux connue sous le nom de Projet Orphan, environ quarante personnes ont été arrêtées et 750 accusations ont été portées en matière de prostitution et d'immigration. Ce réseau de prostitution faisait des profits de 2 à 3 millions de dollars par an. (Gendarmerie Royale du Canada, Rapport sur le rendement, 1998, p.31é). 26 À noter que seul les policiers n’ont pas voulu participer à cette recherche. 38 Entrées illégalement au Canada, à l’aide d’agents opérant de la Thaïlande, les 8 femmes rencontrées par les auteurs, ont toutes affirmé ne pas avoir été forcées de quitter leur pays, ne pas avoir été victimes de menaces lors de leur recrutement, lors de leur transport et, même, lors de leur entrée dans le monde de la prostitution. Bien que ces femmes ont reconnu ne pas avoir été forcées ou menacées, certaines d’entre-elles ont toutefois admis avoir été trompées quant à leur statut et à leur condition de travail qui les attendaient une fois rendues au Canada : The women did not indicate that they were "forced" or "coerced" to come to Canada or to enter prostitution, nor were any kidnapped. Some suggested, however, that they were misled into believing that their working conditions would be considerably better than what they encountered, and others believed that they would be able to exercise some control over their work. What appeared to be a common feature was that the women were led to believe that they could legally work in Canada as sex workers. Some information was intentionally withheld from the women, particularly with regard to their immigration status and the criminal charges that they subsequently faced. (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.5) Désirant rembourser le plus rapidement possible la dette qu’elles avaient contractée et qui se chiffrait entre 35 000$ et 40 000$ pour chacune d’entre elles, ces femmes commencèrent à travailler dans l’industrie du sexe dès leur arrivée au Canada : Once a woman entered Canada, the establishment owner paid off the agent. Upon arrival, she began working immediately in order to pay off her debt to the establishment owners. Only those who landed in one city and were then transported to another were allowed to rest for a day or two. The amount of the debt imposed ranged from $35,000 to $40,000. These debts were calculated on the basis of the number of clients to be served; they could be repaid in cash. (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.54) Évidemment, la période durant laquelle ces femmes remboursaient leur dette les plaçait dans une situation de grande vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis les propriétaires de club de danseuses : 39 The majority relied entirely on the establishment owner to provide such basics as shelter, food, condoms, medical care, personal purchases, family remittances and transportation. Some women were provided with adequate food and accommodations; others complained about the substandard work and living conditions. (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.55) Une fois leur dette remboursée, ces 8 immigrantes illégales, continuèrent, non par choix mais bien par nécessité, à travailler dans l’industrie de du sexe : After this period, which ranged from two to six months, depending on how quickly a woman worked, the women reported that they would split income with the owners in the ratio of sixty to forty, as did local sex workers. They determined their own hours of work, which was one of the few conditions that they controlled. (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.55) Bref, et c’est ce que nous expliquent les auteurs tout au long de leur étude, c’est bien davantage la situation économique précaire de ces 8 femmes qui les a conduit directement vers la prostitution que les menaces d’un quelconque trafiquant. Isolées et stigmatisées de par leur statut d’immigrante illégale et de par la nature de leur travail, ces femmes ne purent ni être aidées par les services sociaux et de santé ni être protégées par les lois canadiennes du travail. Pour les auteurs, une chose est certaine, ces femmes travaillant dans l’industrie du sexe, qu’elles aient été victimes de trafic sexuel ou non, sont des femmes qui avaient d’abord et avant tout besoin de protection : This study is therefore based on an assumption that migrant women who work in the sex industry, whether or not they are trafficked, are women in need of protection. They are highly stigmatized because of their occupation, and marginalized because of their racial and disadvantaged economic backgrounds. They have limited access to employment and services in destination countries. In addition, on a global scale, racist state policies, and regressive and repressive immigration and prostitution laws in countries of destination, account in part for the exploitation of migrant women. These policies serve to push the international sex trade further underground and increase women's reliance on potentially abusive individuals and organizations including those representing the state. (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.6) 40 Une fois arrêtées et incarcérées, ces femmes n’eurent même pas le droit à un traitement équitable de la part des diverses parties impliquées dans les événements qui suivirent les arrestations (police, interprète, consulat, etc.). Dès les arrestations, les policiers manquèrent à leurs devoirs les plus élémentaires : les charges qui pesaient contre les femmes tout comme leurs droits ne leur furent jamais expliqués, ces femmes n’eurent pas le droit de faire un appel téléphonique, elles ne reçurent que deux couvertures à partager entre vingt personnes, etc. Une femme expliqua même que les fouilles corporelles auxquelles elles durent se soumettre furent effectuées dans une pièce à aire ouverte : Once inside, the women underwent strip searches. While carried out in a private room, the door was left open so that those outside were able to see in. Remembering the "disgraceful " strip search, a woman said. "We were told to enter the room, one by one, for another strip search. We had to take off our clothes, as told, and the room door remained open. We were so embarrassed and humiliated, but could not do anything. (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.30). Les interprètes pour leur part ne firent pas tellement mieux leur travail. Ils semblaient d’ailleurs tout faire pour que les femmes plaident coupable le plus rapidement possible : We were told by the interpreter to plead guilty, but none of us did because we did not know what would happen after that. […] Each time we went to court it was different. The court interpreter asked if we wanted to plead guilty. She said that she would help us. But no one decided to plead guilty because we were afraid. The next time we were in court, the court interpreter encouraged us to plead guilty. Fortunately, there were volunteers who approached us and told us the consequences if we were to plead guilty. We therefore decided not to plead guilty and waited to see what the court would say. (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.35). Pour sa part, le consulat de Thaïlande fut très embarrassé par toute cette affaire qui impliquait des criminelles. Comme seule aide, le Consulat offrit aux femmes arrêtées de les rapatrier à condition toutefois qu’elles remboursent les frais de leur voyage une fois de retour dans leur pays : 41 The women would learn that the consular services of the Thai government were for the middle classes and people of commerce, not for those who worked in the sex trade and/or ran afoul of the law. The Thai government, for example, indicated that it was prepared to offer food, shelter and assistance in repatriation to Thai nationals abroad who were displaced by war or natural disasters and, it would do so, for the most part, free of charge. However, the Thai government did not see fit to provide assistance in any form to those facing criminal charges and stipulated that the cost of repatriation was to be reimbursed after their safe return” (Toronto Network Against Trafficking in Women and al., 2000, p.37-38). En somme, nous disent les auteurs, l’expérience de ces femmes, qu’elle corresponde ou non aux diverses définitions du trafic, montre que leurs droits fondamentaux ont été violés (droit à un traitement équitable, droit d’avoir un avocat, droit d’avoir de l’informations précises et des interprètes compétents et objectifs) par les agents gouvernementaux canadiens et par les représentants du gouvernement thaïlandais au Canada. Pour que ce genre d’événements ne se reproduisent plus et, surtout, pour que les étrangères travaillant dans l’industrie du sexe et/ou les femmes victimes de trafic sexuel femmes soient protégées, un programme national pour venir en aide à ces femmes (soin de santé, assistance financière, formation pour l’emploi, logement) doit, selon les auteurs, impérativement être mis sur pied.27 27 Voir en annexe C, pour les recommandations élaborées par les auteures. 42 Conclusion Le trafic sexuel, on l’a vu, est un phénomène inquiétant qui n’est pas encore suffisamment cerné. Touchant presque tous les pays, le trafic sexuel est contrôlé en grande partie par les réseaux du crime organisé qui, pour tirer des revenus considérables, utilisent des femmes et des jeunes filles désirant échapper à des conditions de vie difficile. Le Canada est lui aussi touché par ce problème. D’après certains renseignements, le Québec ne serait pas épargné. Puisque très peu de données sont disponibles sur la situation canadienne et québécoise, il s’avère essentiel de pousser plus loin les investigations car tant que nous n’aurons pas un portrait plus détaillé de la situation, il sera extrêmement difficile de mettre en œuvre des mesures efficaces pour enrayer ce fléau et surtout pour venir en aide aux personnes trafiquées. Notre recherche apportera une contribution utile tant qu’à la compréhension du phénomène qu’à l’identification de mesures pour contribuer à sa résorption. 43 Annexe A Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants Préambule Les États Parties au présent Protocole, Déclarant qu'une action efficace visant à prévenir et combattre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, exige de la part des pays d'origine, de transit et de destination une approche globale et internationale comprenant des mesures destinées à prévenir une telle traite, à punir les trafiquants et à protéger les victimes de cette traite, notamment en faisant respecter leurs droits fondamentaux internationalement reconnus, Tenant compte du fait que, malgré l'existence de divers instruments internationaux qui renferment des règles et des dispositions pratiques visant à lutter contre l'exploitation des personnes, en particulier des femmes et des enfants, il n'y a aucun instrument universel qui porte sur tous les aspects de la traite des personnes, Préoccupés par le fait que, en l'absence d'un tel instrument, les personnes vulnérables à une telle traite ne seront pas suffisamment protégées, Rappelant la résolution 53/111 de l'Assemblée générale du 9 décembre 1998, dans laquelle l'Assemblée a décidé de créer un comité intergouvernemental spécial à composition non limitée chargé d'élaborer une convention internationale générale contre la criminalité transnationale organisée et d'examiner s'il y avait lieu d'élaborer, notamment, un instrument international de lutte contre la traite des femmes et des enfants, Convaincus que le fait d'adjoindre à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée un instrument international visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, aidera à prévenir et combattre ce type de criminalité, 44 Sont convenus de ce qui suit : I. Dispositions générales Article premier Relation avec la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée 1. Le présent Protocole complète la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Il est interprété conjointement avec la Convention. 2. Les dispositions de la Convention s'appliquent mutatis mutandis au présent Protocole, sauf disposition contraire dudit Protocole. 3. Les infractions établies conformément à l'article 5 du présent Protocole sont considérées comme des infractions établies conformément à la Convention. Article 2 Objet Le présent Protocole a pour objet : a) De prévenir et de combattre la traite des personnes, en accordant une attention particulière aux femmes et aux enfants; b) De protéger et d'aider les victimes d'une telle traite en respectant pleinement leurs droits fondamentaux; et c) De promouvoir la coopération entre les États Parties en vue d'atteindre ces objectifs. Article 3 Terminologie 45 Aux fins du présent Protocole : a) L'expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. L'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes; b) Le consentement d'une victime de la traite des personnes à l'exploitation envisagée, telle qu'énoncée à l'alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l'un quelconque des moyens énoncés à l'alinéa a) a été utilisé; c) Le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil d'un enfant aux fins d'exploitation sont considérés comme une « traite des personnes » même s'ils ne font appel à aucun des moyens énoncés à l'alinéa a) du présent article; d) de 18 ans. Le terme « enfant » désigne toute personne âgée de moins Article 4 Champ d'application Le présent Protocole s'applique, sauf disposition contraire, à la prévention, aux enquêtes et aux poursuites concernant les infractions établies conformément à son article 5, lorsque ces infractions sont de nature transnationale et qu'un groupe criminel organisé y est impliqué, ainsi qu'à la protection des victimes de ces infractions. Article 5 Incrimination 1. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale aux actes 46 énoncés à l'article 3 du présent Protocole, lorsqu'ils ont été commis intentionnellement. 2. Chaque État Partie adopte également les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale : a) Sous réserve des concepts fondamentaux de son système juridique, au fait de tenter de commettre une infraction établie conformément au paragraphe 1 du présent article; b) Au fait de se rendre complice d'une infraction établie conformément au paragraphe 1 du présent article; et c) Au fait d'organiser la commission d'une infraction établie conformément au paragraphe 1 du présent article ou de donner des instructions à d'autres personnes pour qu'elles la commettent. II. Protection des victimes de la traite des personnes Article 6 Assistance et protection accordées aux victimes de la traite des personnes 1. Lorsqu'il y a lieu et dans la mesure où son droit interne le permet, chaque État Partie protège la vie privée et l'identité des victimes de la traite des personnes, notamment en rendant les procédures judiciaires relatives à cette traite non publiques. 2. Chaque État Partie s'assure que son système juridique ou administratif prévoit des mesures permettant de fournir aux victimes de la traite des personnes, lorsqu'il y a lieu : a) Des informations sur les procédures judiciaires et administratives applicables; b) Une assistance pour faire en sorte que leurs avis et préoccupations soient présentés et pris en compte aux stades appropriés de la procédure pénale engagée contre les auteurs d'infractions, d'une manière qui ne porte pas préjudice aux droits de la défense. 3. Chaque État Partie envisage de mettre en œuvre des mesures en vue d'assurer le rétablissement physique, psychologique et 47 social des victimes de la traite des personnes, y compris, s'il y a lieu, en coopération avec les organisations non gouvernementales, d'autres organisations compétentes et d'autres éléments de la société civile et, en particulier, de leur fournir : a) Un logement convenable; b) Des conseils et des informations, concernant notamment les droits que la loi leur reconnaît, dans une langue qu'elles peuvent comprendre; c) Une assistance médicale, psychologique et matérielle; et d) Des possibilités d'emploi, d'éducation et de formation. 4. Chaque État Partie tient compte, lorsqu'il applique les dispositions du présent article, de l'âge, du sexe et des besoins spécifiques des victimes de la traite des personnes, en particulier des besoins spécifiques des enfants, notamment un logement, une éducation et des soins convenables. 5. Chaque État Partie s'efforce d'assurer la sécurité physique des victimes de la traite des personnes pendant qu'elles se trouvent sur son territoire. 6. Chaque État Partie s'assure que son système juridique prévoit des mesures qui offrent aux victimes de la traite des personnes la possibilité d'obtenir réparation du préjudice subi. Article 7 Statut des victimes de la traite des personnes dans les États d'accueil 1. En plus de prendre des mesures conformément à l'article 6 du présent Protocole, chaque État Partie envisage d'adopter des mesures législatives ou d'autres mesures appropriées qui permettent aux victimes de la traite des personnes de rester sur son territoire, à titre temporaire ou permanent, lorsqu'il y a lieu. 2. Lorsqu'il applique la disposition du paragraphe 1 du présent article, chaque État Partie tient dûment compte des facteurs humanitaires et personnels. 48 Article 8 Rapatriement des victimes de la traite des personnes 1. L'État Partie dont une victime de la traite des personnes est ressortissante ou dans lequel elle avait le droit de résider à titre permanent au moment de son entrée sur le territoire de l'État Partie d'accueil facilite et accepte, en tenant dûment compte de la sécurité de cette personne, le retour de celle-ci sans retard injustifié ou déraisonnable. 2. Lorsqu'un État Partie renvoie une victime de la traite des personnes dans un État Partie dont cette personne est ressortissante ou dans lequel elle avait le droit de résider à titre permanent au moment de son entrée sur le territoire de l'État Partie d'accueil, ce retour est assuré compte dûment tenu de la sécurité de la personne, ainsi que de l'état de toute procédure judiciaire liée au fait qu'elle est une victime de la traite, et il est de préférence volontaire. 3. À la demande d'un État Partie d'accueil, un État Partie requis vérifie, sans retard injustifié ou déraisonnable, si une victime de la traite des personnes est son ressortissant ou avait le droit de résider à titre permanent sur son territoire au moment de son entrée sur le territoire de l'État Partie d'accueil. 4. Afin de faciliter le retour d'une victime de la traite des personnes qui ne possède pas les documents voulus, l'État Partie dont cette personne est ressortissante ou dans lequel elle avait le droit de résider à titre permanent au moment de son entrée sur le territoire de l'État Partie d'accueil accepte de délivrer, à la demande de l'État Partie d'accueil, les documents de voyage ou toute autre autorisation nécessaires pour permettre à la personne de se rendre et d'être réadmise sur son territoire. 5. Le présent article s'entend sans préjudice de tout droit accordé aux victimes de la traite des personnes par toute loi de l'État Partie d'accueil. 6. Le présent article s'entend sans préjudice de tout accord ou arrangement bilatéral ou multilatéral applicable régissant, en totalité ou en partie, le retour des victimes de la traite des personnes. III. Prévention, coopération et autres mesures Article 9 Prévention de la traite des personnes 49 1. Les États Parties établissent des politiques, programmes et autres mesures d'ensemble pour : a) Prévenir et combattre la traite des personnes; et b) Protéger les victimes de la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants, contre une nouvelle victimisation. 2. Les États Parties s'efforcent de prendre des mesures telles que des recherches, des campagnes d'information et des campagnes dans les médias, ainsi que des initiatives sociales et économiques, afin de prévenir et de combattre la traite des personnes. 3. Les politiques, programmes et autres mesures établis conformément au présent article incluent, selon qu'il convient, une coopération avec les organisations non gouvernementales, d'autres organisations compétentes et d'autres éléments de la société civile. 4. Les États Parties prennent ou renforcent des mesures, notamment par le biais d'une coopération bilatérale ou multilatérale, pour remédier aux facteurs qui rendent les personnes, en particulier les femmes et les enfants, vulnérables à la traite, tels que la pauvreté, le sousdéveloppement et l'inégalité des chances. 5. Les États Parties adoptent ou renforcent des mesures législatives ou autres, telles que des mesures d'ordre éducatif, social ou culturel, notamment par le biais d'une coopération bilatérale et multilatérale, pour décourager la demande qui favorise toutes les formes d'exploitation des personnes, en particulier des femmes et des enfants, aboutissant à la traite. Article 10 Échange d'informations et formation 1. Les services de détection, de répression, d'immigration ou d'autres services compétents des États Parties coopèrent entre eux, selon qu'il convient, en échangeant, conformément au droit interne de ces États, des informations qui leur permettent de déterminer : a) Si des personnes franchissant ou tentant de franchir une frontière internationale avec des documents de voyage appartenant à d'autres personnes ou sans documents de voyage sont auteurs ou victimes de la traite des personnes; 50 b) Les types de documents de voyage que des personnes ont utilisés ou tenté d'utiliser pour franchir une frontière internationale aux fins de la traite des personnes; et c) Les moyens et méthodes utilisés par les groupes criminels organisés pour la traite des personnes, y compris le recrutement et le transport des victimes, les itinéraires et les liens entre les personnes et les groupes se livrant à cette traite, ainsi que les mesures pouvant permettre de les découvrir. 2. Les États Parties assurent ou renforcent la formation des agents des services de détection, de répression, d'immigration et d'autres services compétents à la prévention de la traite des personnes. Cette formation devrait mettre l'accent sur les méthodes utilisées pour prévenir une telle traite, traduire les trafiquants en justice et faire respecter les droits des victimes, notamment protéger ces dernières des trafiquants. Elle devrait également tenir compte de la nécessité de prendre en considération les droits de la personne humaine et les problèmes spécifiques des femmes et des enfants, et favoriser la coopération avec les organisations non gouvernementales, d'autres organisations compétentes et d'autres éléments de la société civile. 3. Un État Partie qui reçoit des informations se conforme à toute demande de l'État Partie qui les a communiquées soumettant leur usage à des restrictions. Article 11 Mesures aux frontières 1. Sans préjudice des engagements internationaux relatifs à la libre circulation des personnes, les États Parties renforcent, dans la mesure du possible, les contrôles aux frontières nécessaires pour prévenir et détecter la traite des personnes. 2. Chaque État Partie adopte les mesures législatives ou autres appropriées pour prévenir, dans la mesure du possible, l'utilisation des moyens de transport exploités par des transporteurs commerciaux pour la commission des infractions établies conformément à l'article 5 du présent Protocole. 3. Lorsqu'il y a lieu, et sans préjudice des conventions internationales applicables, ces mesures consistent notamment à prévoir l'obligation pour les transporteurs commerciaux, y compris toute compagnie de transport ou tout propriétaire ou exploitant d'un quelconque 51 moyen de transport, de vérifier que tous les passagers sont en possession des documents de voyage requis pour l'entrée dans l'État d'accueil. 4. Chaque État Partie prend les mesures nécessaires, conformément à son droit interne, pour assortir de sanctions l'obligation énoncée au paragraphe 3 du présent article. 5. Chaque État Partie envisage de prendre des mesures qui permettent, conformément à son droit interne, de refuser l'entrée de personnes impliquées dans la commission des infractions établies conformément au présent Protocole ou d'annuler leur visa. 6. Sans préjudice de l'article 27 de la Convention, les États Parties envisagent de renforcer la coopération entre leurs services de contrôle aux frontières, notamment par l'établissement et le maintien de voies de communication directes. Article 12 Sécurité et contrôle des documents Chaque État Partie prend les mesures nécessaires, selon les moyens disponibles : a) Pour faire en sorte que les documents de voyage ou d'identité qu'il délivre soient d'une qualité telle qu'on ne puisse facilement en faire un usage impropre et les falsifier ou les modifier, les reproduire ou les délivrer illicitement; et b) Pour assurer l'intégrité et la sécurité des documents de voyage ou d'identité délivrés par lui ou en son nom et pour empêcher qu'ils ne soient créés, délivrés et utilisés illicitement. Article 13 Légitimité et validité des documents À la demande d'un autre État Partie, un État Partie vérifie, conformément à son droit interne et dans un délai raisonnable, la légitimité et la validité des documents de voyage ou d'identité délivrés ou censés avoir été délivrés en son nom et dont on soupçonne qu'ils sont utilisés pour la traite des personnes. 52 IV. Dispositions finales Article 14 Clause de sauvegarde 1. Aucune disposition du présent Protocole n'a d'incidences sur les droits, obligations et responsabilités des États et des particuliers en vertu du droit international, y compris du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l'homme et en particulier, lorsqu'ils s'appliquent, de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés ainsi que du principe de non-refoulement qui y est énoncé. 2. Les mesures énoncées dans le présent Protocole sont interprétées et appliquées d'une façon telle que les personnes ne font pas l'objet d'une discrimination au motif qu'elles sont victimes d'une traite. L'interprétation et l'application de ces mesures sont conformes aux principes de non-discrimination internationalement reconnus. Article 15 Règlement des différends 1. Les États Parties s'efforcent de régler les différends concernant l'interprétation ou l'application du présent Protocole par voie de négociation. 2. Tout différend entre deux États Parties ou plus concernant l'interprétation ou l'application du présent Protocole qui ne peut être réglé par voie de négociation dans un délai raisonnable est, à la demande de l'un de ces États Parties, soumis à l'arbitrage. Si, dans un délai de six mois à compter de la date de la demande d'arbitrage, les États Parties ne peuvent s'entendre sur l'organisation de l'arbitrage, l'un quelconque d'entre eux peut soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en adressant une requête conformément au Statut de la Cour. 3. Chaque État Partie peut, au moment de la signature, de la ratification, de l'acceptation ou de l'approbation du présent Protocole ou de l'adhésion à celui-ci, déclarer qu'il ne se considère pas lié par le paragraphe 2 du présent article. Les autres États Parties ne sont pas liés par le paragraphe 2 du présent article envers tout État Partie ayant émis une telle réserve. 53 4. Tout État Partie qui a émis une réserve en vertu du paragraphe 3 du présent article peut la retirer à tout moment en adressant une notification au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Article 16 Signature, ratification, acceptation, approbation et adhésion 1. Le présent Protocole sera ouvert à la signature de tous les États du 12 au 15 décembre 2000 à Palerme (Italie) et, par la suite, au Siège de l'Organisation des Nations Unies, à New York, jusqu'au 12 décembre 2002. 2. Le présent Protocole est également ouvert à la signature des organisations régionales d'intégration économique à la condition qu'au moins un État membre d'une telle organisation ait signé le présent Protocole conformément au paragraphe 1 du présent article. 3. Le présent Protocole est soumis à ratification, acceptation ou approbation. Les instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation seront déposés auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Une organisation régionale d'intégration économique peut déposer ses instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation si au moins un de ses États membres l'a fait. Dans cet instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation, cette organisation déclare l'étendue de sa compétence concernant les questions régies par le présent Protocole. Elle informe également le dépositaire de toute modification pertinente de l'étendue de sa compétence. 4. Le présent Protocole est ouvert à l'adhésion de tout État ou de toute organisation régionale d'intégration économique dont au moins un État membre est Partie au présent Protocole. Les instruments d'adhésion sont déposés auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Au moment de son adhésion, une organisation régionale d'intégration économique déclare l'étendue de sa compétence concernant les questions régies par le présent Protocole. Elle informe également le dépositaire de toute modification pertinente de l'étendue de sa compétence. Article 17 Entrée en vigueur 1. Le présent Protocole entrera en vigueur le quatre-vingtdixième jour suivant la date de dépôt du quarantième instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion, étant entendu qu'il n'entrera pas en vigueur avant que la Convention n'entre elle-même en 54 vigueur. Aux fins du présent paragraphe, aucun des instruments déposés par une organisation régionale d'intégration économique n'est considéré comme un instrument venant s'ajouter aux instruments déjà déposés par les États membres de cette organisation. 2. Pour chaque État ou organisation régionale d'intégration économique qui ratifiera, acceptera ou approuvera le présent Protocole ou y adhérera après le dépôt du quarantième instrument pertinent, le présent Protocole entrera en vigueur le trentième jour suivant la date de dépôt de l'instrument pertinent par ledit État ou ladite organisation ou à la date à laquelle il entre en vigueur en application du paragraphe 1 du présent article, si celle-ci est postérieure. Article 18 Amendement 1. À l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du présent Protocole, un État Partie au Protocole peut proposer un amendement et en déposer le texte auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Ce dernier communique alors la proposition d'amendement aux États Parties et à la Conférence des Parties à la Convention en vue de l'examen de la proposition et de l'adoption d'une décision. Les États Parties au présent Protocole réunis en Conférence des Parties n'épargnent aucun effort pour parvenir à un consensus sur tout amendement. Si tous les efforts en ce sens ont été épuisés sans qu'un accord soit intervenu, il faudra, en dernier recours, pour que l'amendement soit adopté, un vote à la majorité des deux tiers des États Parties au présent Protocole présents à la Conférence des Parties et exprimant leur vote. 2. Les organisations régionales d'intégration économique disposent, pour exercer, en vertu du présent article, leur droit de vote dans les domaines qui relèvent de leur compétence, d'un nombre de voix égal au nombre de leurs États membres Parties au présent Protocole. Elles n'exercent pas leur droit de vote si leurs États membres exercent le leur, et inversement. 3. Un amendement adopté conformément au paragraphe 1 du présent article est soumis à ratification, acceptation ou approbation des États Parties. 4. Un amendement adopté conformément au paragraphe 1 du présent article entrera en vigueur pour un État Partie quatre-vingt-dix jours après la date de dépôt par ledit État Partie auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies d'un instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation dudit amendement. 55 5. Un amendement entré en vigueur a force obligatoire à l'égard des États Parties qui ont exprimé leur consentement à être liés par lui. Les autres États Parties restent liés par les dispositions du présent Protocole et tous amendements antérieurs qu'ils ont ratifiés, acceptés ou approuvés. Article 19 Dénonciation 1. Un État Partie peut dénoncer le présent Protocole par notification écrite adressée au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Une telle dénonciation prend effet un an après la date de réception de la notification par le Secrétaire général. 2. Une organisation régionale d'intégration économique cesse d'être Partie au présent Protocole lorsque tous ses États membres l'ont dénoncé. Article 20 Dépositaire et langues 1. Le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies est le dépositaire du présent Protocole. 2. L'original du présent Protocole, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe font également foi, sera déposé auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. EN FOI DE QUOI, les plénipotentiaires soussignés, à ce dûment autorisés par leurs gouvernements respectifs, ont signé le présent Protocole. Tiré du Human Rights Library, Universiy of Minnesota, Disponible sur : http://www1.umn.edu/humanrts/instree/Ftrafficking.html 56 Annexe B Recommandations de McDonald, Moore et Timoshkina (2000) 1. « Diffuser, dans les pays d'origine, de la documentation présentant des renseignements plus réalistes sur la vie des danseuses exotiques au Canada et sur les réalités du trafic. 2. Il faudrait remettre aux points d'entrée de la documentation sur les lois canadiennes aux travailleuses et travailleurs temporaires, visiteuses et visiteurs, étudiantes et étudiants. L'information devrait être produite dans des langues étrangères. Cela est essentiel, car la majorité de ces femmes ne parlent pas anglais, ou très peu. 3. Comme beaucoup de femmes victimes de trafic sont entrées au pays à titre de visiteuses, il est recommandé de réévaluer les procédures d'obtention et de maintien d'un visa de visiteur et de trouver des moyens d'éviter d'utiliser la catégorie de statut illégal lorsque ces femmes prolongent leur séjour sans autorisation. 4. Il faut accélérer le processus de reconnaissance des immigrantes et des immigrants professionnels et offrir des cours de français ou d'anglais langue seconde, même si les femmes se trouvent illégalement au Canada. 5. Il faut faire des efforts pour améliorer les conditions de travail difficiles dans les clubs de striptease et les studios de massage. Des inspections sanitaires de tout l'établissement (et pas uniquement de la cuisine) devraient être faites régulièrement. 6. Créer un organisme administratif neutre de réglementation chargé de superviser les clubs de striptease et les studios de massage pendant les heures d'ouverture pour assurer le respect des règles 57 7. Obliger les clubs de striptease, les studios de massage et les autres établissements où se pratique le commerce du sexe à afficher dans un endroit central, à l'intention des travailleuses et des travailleurs du sexe, de l'information rédigée dans diverses langues sur des questions liées à la santé (c.-à-d. maladies transmissibles sexuellement, sécurisexe, etc.) et les services de santé et les services sociaux offerts (c.-à-d. traitement de la toxicomanie, refuges, services médicaux). 8. Promouvoir la création d'organismes de services sociaux offrant des services réservés aux travailleuses et aux travailleurs du sexe et financer les organismes existants. Ces organismes doivent devenir une partie intégrante de l'industrie du sexe et travailler activement à la sensibilisation dans les clubs et studios de massage. Leur accès aux clubs et studios devrait être assuré par la législation. 9 Établir et financer des opérations conjointes interdisciplinaires de services, comme le Project Almonzo, qui a connu beaucoup de succès, afin de lutter contre la prostitution organisée» (2000, vi-vii). 58 Annexe C Recommandations de The Toronto Network Against Trafficking in Women, The Multicultural History Society of Ontario et The Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic “This report deals with undocumented Asian migrant workers in the sex trade who work in massage parlours and/or whose workplace is a "parlour" in an apartment or condominium. It does not assume that the experiences of the women involved with this project are representative of the experiences of all women trafficked, documented and undocumented, to Canada for the sex industry. Accordingly, the recommendations set out below, although they may be applicable to similar situations, relate to this particular group of workers. The recommendations are mainly based on the analysis that considers Thai women as being trafficking victims. 1. Trafficking in women must be analyzed in terms of structural inequality between Third World and industrialized countries. A gender and race - based analysis must be applied to immigration policies in receiving countries, considered in the international migration of women (i.e. the low status of women, poverty), factored into the criminalization of prostitution and applied in the intersection of inequalities, such as race analysis. 2. A clear and working definition of "trafficking in women" and "forced labour/slavery-like practices" must be adopted and must have as the primary focus the protection of women's human rights and fundamental freedoms. The Canadian government is obligated under human rights instruments to recognize the woman-specific character of violations of human rights during the process of trafficking. In doing so, the needs of migrant women and the rights of women to self-determination must be recognized. Moreover, coercion and abusive circumstances in various forms and levels with 59 respect to brokerage practices and/or working conditions in both public and private domains, must be considered. 3. It must be recognized that women's rights include the right to movement and to earn a living. It must be recognized that Canada's response to the movement and migration of women through the construction of "tougher" immigration policies places women in high-risk situations. Bill C-3 is an attempt to assuage political opinion by locking doors to the world's most vulnerable and marginalized. There is no consideration of those who must earn a living and who are impacted by the global economy. Accordingly, work visas should be available to migrant women to allow them to find temporary employment in Canada. This would encourage their legal entry as workers. This will give women greater security in their status and therefore increase the likelihood that they would seek recourse, for example, against poor working conditions. 4. Policies are required to address all forms of discrimination and forced labour/slavery-like practices involving sex workers, domestic workers, mail-order brides and migrant workers. The policies must incorporate legal and other strategies (e.g. identify social services) to address human rights abuses. 5. Existing legislation and other legal instruments, both national and international, should be re-assessed. The Canadian Criminal Code, for example, should be amended to include trafficking in women as an indictable offence. Women who are trafficked and/or subjected to forced labour and/or slavery like practices, should be provided treatment that is fair and equitable, no different from or harsher than Canadian citizens. The women of Project Orphan, for example, were not provided with an opportunity to act as witnesses against the organizers/managers. 60 At the same time, a long-term goal to be considered is the removal of criminal provisions that penalize and limit the rights of sex workers. 6. Canada should expand its human rights framework to recognize sexual autonomy and selfdetermination, and non-discriminatory collective and individual human rights as a basic right of every human person. 7. A comprehensive national program to assist trafficked women – which includes health care, job training, shelter and financial assistance – is required and can be put into place using existing services. More specifically: Women should be provided with assistance while they await trial, and access to competent, qualified, neutral and sensitive interpreters · Women who are prepared to act as witnesses should be entitled to work for a period of no less than six months, and/or participate in the witness protection plan Women should be able to access the Victim Assistance Programme for economic, physical and psychological damage caused to them by trafficking and related offences Women who are trafficked should have the option of remaining in Canada In terms of working conditions, the women are entitled to: Safe and healthy working (and living) conditions Protection under universal health and safety standards Freedom to their control working (and living) conditions Freedom of movement 8. To combat the trafficking in women and forced labour and slavery-like practices, Canada must work in cooperation with the official representatives of the country of origin, NGOs and 61 community-based organizations that are assisting trafficked women and migrant women both in Canada and in country of origin. NGOs such as the Global Alliance Against Trafficking in Bangkok have developed guidelines to protect the human rights of trafficked persons, forced labour and slavery-like practices. These guidelines can be used as starting points to develop a protocol to assist the women. The European Union has also done much work in this area. Canada, having already participated in several EU initiatives, should work more assertively with European experts, institutions and NGOs to develop an international framework to address the issues and, at the same time, initiate a framework to specifically address the problem in the Canadian context. 9. The Canadian government should allocate adequate funds for NGOs, grassroots and community-based organizations to advocate for and serve the needs of trafficked women. 10. Data on trafficking in women must be collected and made available to the public. The information obtained should include the following: The Canadian government's efforts to address the trafficking in women, including its efforts with the countries of origin; Governmental efforts with NGOs and inter-governmental agencies in addressing the issue; Identification of services available to women who are trafficked; The disposition of trafficking cases in the criminal courts and in regards to immigration; Regular reviews of governmental legal and administrative measures to reduce trafficking and the effect on women who are trafficked. 11. A protocol is required to assist from the point of arrest onward. From the experiences of women arrested in Operation Orphan and Project Trade, the following guidelines were developed: 62 A native-speaking interpreter ought to be available at the time of arrest Strip searches should not used to intimidate the women. If deemed necessary, it should be conducted by female police officers and in private. Large-scale arrests (as in Project Orphan) must factor in the need to adequately provide for the number of detainees (i.e. blankets; food; intererpreters etc.). Non-governmental agencies ought to be notified, as are members of the press, of impending arrests. Immediate access to legal counsel should be available to avoid undue influence from employers. The bail conditions imposed on the arrested women need to be realistic (disallowing a return to their workplaces, which double as their living places, imposes an undue hardship on those detained). Bail conditions ought to take into consideration the very limited support the women can expect on their release. 12. Sensitivity training -- of police officers, the judiciary and health and social service providers - is necessary. police officers should undergo training so that they can understand the nature of international trafficking networks, their operation and how they affect the situations of migrant women. health and social service professionals need training, in order to minimize biases against prostitution and/or illegal work. 13. The health, social, and legal services that were pulled together on an ad hoc basis under Project Orphan should be formalized. A coalition of groups should be established to improve service delivery to migrant women in the sex trade. The coalition might address health, legal, or social service issues. The network can also collaborate and work together in terms of funding and advocacy. These groups can also provide assistance to those who want to escape from debt bondage or abusive working 63 conditions, return home, or obtain legal redress against those who have abused them while in Canada. Service providers should be non-judgmental about the kind of work the women did or do, as well as sensitive to cross-cultural issues. Interpretation service in their native language is important with any kind of service delivery. Such confidential service is needed to ensure protection of privacy, and to ensure that the women are informed of their rights. 14. The Royal Thai Embassy: The Thai government must cease discriminating against, and treating as criminals Thai migrant women who engage in the sex trade. The Thai government is obligated to help the women to return to Thailand, without fear of persecution, and provide them with assistance to resettle. The provision of emergency assistance, protection and legal advice are necessary. A hotline or contact point at the Thai Embassy in Ottawa or at the Thai Consulate in Toronto for Thai citizens who find themselves in abusive situations should be established. A Canadian handbook for Thai immigrants is required. It would contain explanations of the laws applicable in certain situations (e.g. when an arrest is made), the individual rights that an immigrant could expect to find protected, the services available at the Thai embassy, and the process of applying for these services. It would have a listing of contacts in Canada and in Thailand and information about trafficking.” (p.75-79) 64 Bibliographie AQOCI. 2001. La mondialisation de la prostitution et du trafic sexuel. Compte-rendu des journées de formation organisées par le Comité québécois femmes et développement (CQFD) de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), (Cégep du Vieux-Montréal, 15-16 mars 2001). Montréal : Publication du CQFD/ AQOCI, 146p. 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