LA RADIO PAS COM LES AUTR

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LA RADIO PAS COM LES AUTR
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MARDI 8 NOVEMBRE 2016
Vive la Sociale !
L’
Histoire est bonne
pour la santé. Sa piqûre
de rappel soulage, revigore, retrempe, même
si elle ne guérit pas toujours, ne
prévient pas forcément les rechutes. Bien dosée, elle se fait recommandation et même thérapie collective. Ne serait-ce que pour se
remémorer que le passé n’est jamais certain et le futur jamais sûr.
Que rien n’est écrit à l’avance. Que
l’espoir fait vivre, pour dire vite.
Prenons ce 27 mai 1943, tout
nimbé de désespoir. Le 48 rue du
Four, dans le 6e arrondissement
de Paris. Tandis qu’à l’extérieur
des guetteurs redoutaient de voir
débouler des voitures de la Gestapo ou de la Milice, les représentants des mouvements de Résistance, des syndicats et des partis
politiques, gauche et droite confondues, se réunissaient.
Naissait ce jour-là le Conseil national de la Résistance (CNR), sous
l’autorité de Jean Moulin. Moins
d’un an plus tard, le 15 mars 1944,
tandis que la Libération n’était
encore qu’une espérance, alors
que Jean Moulin et un autre
membre de cette première réunion, Roger Coquoin, étaient
morts en héros, le CNR adoptait
un programme de réformes pour
l’après. Il était baptisé avec un bel,
un naïf, un forcené optimisme :
« Les Jours heureux ».
Le document appelait de ses
vœux « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous
les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont
incapables de se le procurer par le
travail ». Ce qui fut fait par des ordonnances d’octobre 1945. Leur
mise en œuvre s’étendit de 1946 à
1948. Un ministre communiste,
Ambroise Croizat, et un haut
fonctionnaire gaulliste, Pierre Laroque, en furent les grands artisans. La Sécu était née.
Pourquoi se rappelait-on cela, la
semaine passée ? Pourquoi cette
envie de relire les magnifiques
pages d’Alias Caracalla, où Daniel
Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, faisait revivre ce 27 mai, 48,
rue du Four ? Tout simplement
parce qu’est discuté ces jours au
Parlement le PLFSS. Le PLFSS ?
Oui, le PLFSS, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Ah, le PLFSS, bien sûr, que ne le disiez-vous plus clairement !
Lors de la première discussion
du texte par les députés, il ne fut
question que de « trou », de « charges », de « hausse des cotisations »,
de « gains d’efficience ». L’idée fut
notamment caressée de matraquer l’économie dite « collaborative » et les combines de petits
malins pour arrondir leurs fins de
mois. Il fut ainsi voté une dîme
sur les locations d’appartements
par Airbnb, mesure qui a fait pleurer dans certaines chaumières.
Mais aussi décidé de taxer le
louage des voitures, des tondeuses et même des poussettes
(amendement n° 591), puisque
tout semble se pouvoir louer
aujourd’hui, sauf le Bon Dieu.
A lire le compte-rendu fatigué
de ces débats, on se disait qu’il y
avait loin de la rue du Four au Palais-Bourbon, beaucoup plus loin
que les trois stations de métro répertoriées. Entre « Les Jours heureux » et le PLFSS s’étendait un
fossé plus large et profond que le
trou de l’Assurance-maladie ou
des caisses de retraite. Qu’il sem-
LA SÉCU ? UNE
LUBIE CARICATURÉE
EN VAMPIRE
SAIGNANT À MORT
L’ENTREPRENEUR
ET L’ASSURÉ
QU’IL SEMBLE
FAIBLE, LE SOUFFLE
ÉPIQUE DE
LA LIBÉRATION,
RAMENÉ À UNE
RUDE COMPTABILITÉ
ble faible le souffle épique de la Libération, ramené à une rude
comptabilité. Même si, comme le
soldat Ryan, le but est bien de sauver la Sécu.
La Sécu et, derrière elle, la solidarité, ce pacte nécessaire à toute
société humaine. Une belle idée
d’hommes pourchassés, de rêveurs debout, devenue pour les
Français à la fois aussi vitale et
oubliée que la petite carte sans
cesse égarée. Une lubie d’êtres en
sursis, aujourd’hui caricaturée en
une monstrueuse administration
et un matricule impossible à retenir. Un ogre dévorant 500 milliards d’euros par an, un vampire
saignant à mort l’entrepreneur et
l’assuré social en prétendant le
soigner.
Tant il en est pour penser ainsi.
On se souvient d’avoir interrogé il
y a quelques années une femme
qui militait pour la fin de cette
avanie collectiviste. La brave
dame se voyait assez bien en résistante des temps modernes, luttant contre l’oppression d’une institution totalitaire et bolchevique.
Elle refusait de verser ses cotisations à l’organisme public et avait
souscrit une assurance privée et
individuelle en Angleterre. Chiffres à l’appui, elle détaillait les formidables économies qu’elle réalisait ainsi. Oubliant juste de préciser que ses enfants étaient, eux,
inscrits à la Sécurité sociale, sous
le régime de son ex-conjoint…
Poujadisme, quand tu nous tiens.
Bain de jouvence
On se rappelle également ce cordonnier rencontré dans le Morvan. Il se lamentait avec humour
d’être tondu par le RSI, le régime
social des indépendants. « Moi, je
leur ai dit : “Eh, faut m’en laisser un
peu !” » Et, de fait, le RSI, la CSG et
ces autres sigles abscons cachent
des bureaux d’octroi qui n’y vont
pas toujours de main morte.
Et que dire de ce sentiment partagé par tant de malades de n’être
réduits qu’à un lit qu’on occupe
indûment, à une table d’opération qu’on usurpe, à un médicament qu’on vole, bref à un coût
pour la société. La Sécurité sociale,
c’est aussi ça. Il serait imbécile de
le nier, tout comme il serait imbécile de nier les abus. La Sécu est
malade, souffreteuse à l’orée de
ses 70 ans, qui dira le contraire ?
Pour se refaire une santé, rien
ne vaut donc l’Histoire. Un documentaire invite à nous y replonger, comme dans un bain de jouvence. Il sort en salles, ce mercredi 9 novembre, et s’appelle La
Sociale, de Gilles Perret.
Son auteur avait organisé une
avant-première au printemps,
quand les rues de Paris résonnaient des manifestations contre
la loi travail. Fait d’aller-retour entre hier et aujourd’hui, cette ode à
la Sécu réincarne les grandes figures qui la fondèrent et moque
à l’occasion des successeurs bien
ignorants du précieux héritage
qu’ils gèrent.
De ce film, Jacques Mandelbaum fera dans les jours à venir
une critique plus inspirée que
nous ne saurions le faire. Disons
juste que La Sociale est d’un militantisme totalement assumé,
d’un manichéisme parfois pesant. Mais Gilles Perret a l’immense don de combattre la plus
grave des maladies : l’oubli. p
benoît hopquin
Tirage du Monde daté dimanche 6 et lundi 7 novembre : 286 222 exemplaires
VENEZUELA,
DONNER
SA CHANCE
AU DIALOGUE
T
out faire pour éviter un bain de sang
au Venezuela et poursuivre coûte
que coûte le dialogue entre le gouvernement du président Nicolas Maduro et
l’opposition. Tel est l’appel de l’archevêque
italien Claudio Maria Celli, envoyé par le
pape François comme médiateur au Venezuela. « S’il advient qu’une partie ou une
autre veut mettre fin au dialogue, ce n’est pas
le pape, mais le peuple vénézuélien qui y perdra, parce que la voie ouverte pourrait être
celle du sang », a mis en garde l’émissaire de
Rome dans un entretien, publié samedi
5 novembre. Le dialogue doit reprendre le
11 novembre, après l’élection américaine.
Le peuple vénézuélien, on le sait, a déjà
tout perdu, ou presque. Pénuries de denrées alimentaires, de produits d’hygiène et
de médicaments ; hyperinflation, de 700 %
par an ; dollar échangé à 2 000 bolivars sur
le marché parallèle (contre 6,30 au taux officiel), dans une économie qui doit tout importer ; industrie pétrolière en ruine et endettée : le Venezuela est en faillite et menacé d’une explosion de mécontentement
populaire.
La misère de ce pays sud-américain richissime en pétrole est l’héritage laissé par l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013),
sous l’influence d’un mentor intéressé par
l’or noir vénézuélien, Fidel Castro. La rente
pétrolière a été utilisée pour stimuler la
consommation par des programmes clientélistes, sans pour autant sortir durablement les Vénézuéliens de la pauvreté par la
création d’emplois et l’éducation. Une large
part de ces pétrodollars est allée dans les
poches d’une nouvelle bourgeoisie « bolivarienne ».
L’opposition, majoritaire à l’issue des
élections législatives de décembre 2015,
prétendait écourter le mandat du président
chaviste Nicolas Maduro par un référendum révocatoire, comme l’y autorise la
Constitution promulguée par Chavez. Cependant, dans un pays où le pouvoir est
avant tout présidentiel, l’équipe Maduro a
bloqué cette solution électorale et pacifique. Aux abois, le régime est en pleine dérive autoritaire : il criminalise la protestation et emprisonne les opposants. Faute de
débouché politique, la frustration sociale
pourrait prendre la forme de débordements, de saccages, de violences en tout
genre.
La médiation du Vatican est donc la bienvenue pour calmer le jeu et rétablir les règles élémentaires de l’Etat de droit mises à
mal par le président Maduro, à commencer
par l’indépendance de la justice et des autorités électorales. Le gouvernement doit accepter les prérogatives de l’Assemblée nationale et les élus doivent chercher un accord avec l’exécutif. Le dialogue lancé par le
Vatican doit aboutir à des résultats concrets dans les prochains jours : la libération
de la centaine de prisonniers politiques,
dont le maire de Caracas, Antonio Ledezma, et le dirigeant du parti Volonté populaire, Leopoldo Lopez, serait un premier
gage de bonne volonté.
La négociation doit permettre de rendre la
parole au peuple. Si un référendum révocatoire se révèle impossible, il conviendrait de
convoquer des élections anticipées. Le mandat du président Maduro court jusqu’en
janvier 2019, mais la crise est tellement
aiguë que cette date semble trop lointaine si
l’on veut éviter une révolution violente.
Chavez citait ses nombreuses victoires électorales comme preuve de sa vocation démocratique : pour l’intérêt des Vénézuéliens, ses héritiers ne peuvent pas refuser de
se soumettre au verdict des urnes. p
JEAN-JACQUES BOURDIN
@JJBourdin_RMC
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