Le devenir artistique de l`information dans l`art contemporain chinois

Transcription

Le devenir artistique de l`information dans l`art contemporain chinois
Le devenir artistique de l’information dans l’art contemporain chinois :
dépassement d’une impossibilité originelle
La simple possibilité que l’art puisse avoir à rendre compte de « l’information » entre
a priori en totale contradiction avec le fondement de la tradition artistique chinoise, la
peinture lettrée qui s’est constituée dès les Song en opposition à la peinture de cour, sur une
posture morale de désengagement des servitudes du siècle. L’imagerie académique était alors
un corpus de règles impératives, dont le respect par l’artisan chevronné assurait la valeur de
son travail, liée à la maîtrise technique, au respect du thème imposé, à la fidélité de son
traitement. L’art lettré, dans la filiation duquel s’inscrit l’art contemporain actuel, se pose lui
en un libre jeu sur l’ensemble des règles codifiant chacun des choix nécessaires à la
réalisation de l’œuvre et il présuppose le refus d’ériger en critère de jugement la restitution de
ce qui est, n’acceptant pas davantage que le contenu de la représentation décide de sa valeur :
une esquisse de bambou monochrome vaut bien un portrait d’empereur réaliste. De ce point
de vue, le réalisme socialiste n’a été qu’un avatar de la peinture de cour et nul ne s’étonne que
l’art contemporain chinois, qu’il recoure à des techniques anciennes ou plus récentes, soit
entré en conflit avec lui ; il est en revanche incongru que de nombreux observateurs attendent
désormais de l’art contemporain qu’il réagisse à l’actualité et à l’information, après lui avoir
reproché sa prétendue politisation originelle, tout au long des années 1980 et au début des
années 1990, visant principalement la figure du critique Li Xianting.
Tel est le cadre dans lequel se pose en Chine la question du devenir artistique de
l’information et son traitement très contrasté dans des œuvres de valeur et de notoriété
inégales. La première approche est une approche frontale anecdotique, du type de la
déferlante de peintures sur le thème du clonage sitôt révélée l’existence de Dolly. Cette
naïveté illustrative et opportuniste a connu des versions assorties d’un discours théorique
discutable, notamment chez Wang Du se justifiant d’un clinquant « Je suis un média ! ».
Autrement plus élaboré, le travail de Huang Yongping, prend souvent sa source dans des
actualités que son traitement très personnel rend méconnaissables et dont la postérité peut
rejaillir sur l’information de manière imprévisible comme l’a démontré son mémorable
« Projet chauve-souris ». Zhou Tiehai, quant à lui, s’était fait une spécialité des fausses
couvertures de magazines et du traitement biaisé de l’art par les journalistes, avant de
récupérer pour « The American Effect » une couverture grandiloquente sur Giuliani dont la
cible a eu du mal à se dépêtrer (Libertas, dei te servent !) ou de réaliser à Taiwan une vraie
couverture de Diancang aux répercussions inattendues à Paris. Ce traitement artistique de
l’information conserve toutefois un caractère spectaculaire qui occulte le minutieux mais très
discret travail de substitution à l’information défaillante entrepris par les documentaires
d’artistes soutenus et diffusés à grand peine par la Fondation Li Xianting pour le cinéma, qui
mérite ici un éclairage tout particulier.
Frédéric Le Gouriérec
- Maître de conférences de langue et civilisation chinoises à l’Université de Poitiers. Centre de
recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l’Art et Musicologie (CRIHAM) et Centre de
Recherches sur l’Extrême-Orient de Paris-Sorbonne (CREOPS).
- Ancien élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, de l’Institut National des Langes et
Civilisations Orientales et de l’Institut Central des Beaux-Arts à Pékin ; agrégé de lettres classiques et
docteur en histoire de l’art.
- Spécialiste de l’art moderne chinois, de l’introduction de la peinture à l’huile par les Jésuites, en
particulier au XVIIIe siècle, jusqu’à l’art contemporain actuel. Voir notamment, deux des principaux
articles du catalogue de l’exposition Alors la Chine ? au Centre Pompidou, dans le cadre des années
croisées France-Chine (2003-2005).
Articles récents :
- Gros mots et petite politique : paradoxes sociaux et technique des déviances verbales chinoises,
revue en ligne Argotica.
- Émergence du système des expositions en Chine au XXe siècle, actes du colloques « Histoires
d’expositions » (Centre Pompidou, INHA, Paris VIII), à paraître aux éditions Hermann.