La création d`une maison de santé près de Paimpol sème la discorde

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La création d`une maison de santé près de Paimpol sème la discorde
I N F O R M AT I O N S
PROFESSIONNELLES
Un territoire breton combat la désertification
La création d’une maison de santé
près de Paimpol sème la discorde
Une offre de soins assurée par
une poignée de généralistes
proches de la retraite et des
spécialistes qui se font rares.
Pour contrer la désertification
médicale, la presqu’île de
Lézardrieux, en Bretagne, va
accueillir une maison de santé
pluridisciplinaire d’ici fin
2013. S’il est défendu par un
certain nombre de praticiens
et d’élus, le projet ne fait pas
l’unanimité.
DR
« L’HUMANISME ne paye plus. »
Le Dr Jean Dehon a le cœur lourd.
Le 31 décembre, le médecin généraliste de Pleudaniel a refermé la
porte de son cabinet médical pour
la dernière fois. Il s’était installé
voilà 36 ans dans ce village de 1 000
habitants au sud de la presqu’île de
Lézardrieux, bout de terre armoricain tout proche de Paimpol, au
nord de la Bretagne.
Pendant ses dernières années
d’exercice, le Dr Dehon a recherché un confrère prêt à assurer la
relève. Sans succès. En dix ans, le
nombre de médecins généralistes
a été divisé par deux sur la pres-
De gauche à droite, les Drs Bruno Lambert, Philippe Tournier et Jean Dehon, à l'origine du projet
qu’île. Ils ne sont désormais plus
que cinq : les Drs Jean-Luc Le
Corre, Jean-Paul Thomas et JeanMarc Bourdieu à Pleubian, gros
bourg de 2 600 habitants au nord
de la presqu’île, le Dr Bruno Lambert au centre, à Pleumeur-Gautier
(1 150 habitants), et le Dr Philippe
Tournier à Lézardrieux (1 600 ha-
La presqu’île de Lézardrieux
touchée par la désertification médicale
!
Nombre d’habitants en 2009 (INSEE)
Nombre de médecins généralistes
au 1er janvier 2012
!
2 642
3
Pleubian
!
322
!
463
0
Lanmodez
0
Kerbors
!
1 174
1
Pleumeur-Gautier
!
!
1 160
0
Trédarzec
1 653
1
Lézardrieux
Lannion
DR
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
!
Paimpol
1 037
0
Pleudaniel
Peu de médecins candidats pour l’instant
Le projet de maison de santé pluridisciplinaire de Pleumeur-Gautier a beau être
bien avancé, les médecins ne se bousculent pas au portillon. « Il ne faut pas
trop compter sur des murs pour attirer les professionnels de santé en rase
campagne », explique le Dr Hervé Le Néel, président de l’union régionale des
professionnels de santé (URPS) de Bretagne et médecin généraliste à Rennes.
Et de rappeler l’histoire de la Ferté-Bernard, ville moyenne de la Sarthe (Pays
de la Loire), victime elle aussi de la désertification médicale. Las de ne voir
aucun médecin libéral à l’horizon, le maire de la ville a opéré en septembre
dernier un virage radical en offrant un poste de médecin salarié à 4 000 euros
net par mois pour 35 heures hebdomadaires. Résultat : il a reçu une dizaine de
candidatures.
« Nous n’avons jamais vraiment songé au salariat, explique Pierrick Gouronnec, maire de Pleumeur-Gautier. Mais nous pourrions y réfléchir le moment
venu. » Au risque d’affronter la colère des professionnels déjà engagés dans
l’aventure. « Rester 100 % libéral, c’est la condition sine qua non à notre participation », estime le Dr Bruno Lambert, médecin généraliste très impliqué
dans le projet.
bitants), à l’est. À l’exception des
Drs Lambert et Bourdieu, tous ont
plus de 60 ans. Au 1er juillet, Philippe Tournier dévissera à son tour
sa plaque. Qui a parlé de désertification médicale ?
Afin d’attirer de nouveaux professionnels de santé, Jean Dehon a
milité auprès des politiques en
compagnie de l’énergique Dr Lambert pour la construction d’une
maison de santé pluridisciplinaire.
Un projet que la communauté de
commune valide à l’unanimité. Sur
le papier, tout semble parfait.
« Nous avons cédé le terrain pour
1 euro symbolique à la communauté de communes, explique
Pierrick Gouronnec, maire de
Pleumeur-Gautier, commune sur
laquelle le bâtiment sera construit
à l’automne prochain. Très impliqué, l’homme voit dans cette réalisation « un bel outil qui donne la
possibilité aux professionnels de
santé d’exercer dans de bonnes
conditions et d’avoir une belle
qualité de vie ». Le Dr Lambert, 43
ans, aime quant à lui l’idée « de
l’échange, de la possibilité d’améliorer la relation de travail entre
médecins et paramédicaux et
d’augmenter le temps médical
consacré au patient ». L’inauguration des locaux est prévue fin 2013.
Vent de fronde au nord. Malgré
la bonne entente affichée, cette
maison pluridisciplinaire ne fédère
pas l’ensemble des acteurs du
monde médical et politique de la
presqu’île. Un projet d’une telle envergure dans un si petit territoire,
où tous se connaissent et se soucient de leur voisin ne pouvait voir
le jour sans heurt.
« J’étais écœuré ». Didier Rogard,
maire de Pleudaniel, a des mots
choisis lorsqu’il parle du comportement des médecins pendant la
première réunion sur la création
de la maison médicale, deux ans
plus tôt, en présence de tous les
élus de la presqu’île. « Les médecins de Pleubian, au nord, ont eu
une réaction très violente, explique-t-il. Ils ont tout refusé en
bloc pour des questions de gros
sous. Je ne m’attendais pas à une
telle fronde. » « J’ai été très surpris de voir que les médecins ne se
connaissaient pas du tout, ajoute
Alain Gouronnec, président de la
communauté de communes (et pa-
Pierrick Gouronnec, maire de Pleumeur-Gautier, qui accueillera la maison de santé
rent du maire de Pleumeur-Gautier). Certains se contentent de
mener leur petit train-train de
médecin de campagne sans voir
plus loin. »
Ces propos font hausser les
épaules du Dr Lambert, selon qui
les médecins du Nord ne sont « ni
pour ni contre la maison pluridisciplinaire ». Le Dr Bourdieu
n’est quant à lui nullement étonné
par la dureté des élus : « Ils ne
comprennent rien au monde médical, juge-t-il. Ça a gueulé, à cette
réunion, et pour cause. Leur politique du “place aux jeunes” est
frustrante pour nous, les vieux
toubibs qui avons assuré l’offre
de soins de la presqu’île ces 20 ou
30 dernières années. »
Scepticisme des professionnels.
Outre un problème de communication, ce projet de pôle révèle aussi
une fracture entre la vision que les
professionnels de santé en exercice ont de leur métier et le désir
des politiques d’enrayer la désertification médicale en marche.
N’ayant « rien contre cette maison pluridisciplinaire », le
Dr Bourdieu y préfère « le confort
extrême de travailler chez soi,
dans son cabinet médical, dans sa
maison ». Surtout, il n’y voit en
rien une solution miracle à ce qui
constitue selon lui le fond du problème : la surconsommation médicale. « Est-il normal de voir une
gamine de 10 ans dans mon cabinet alors que, en vingt minutes
de consultation et malgré tout ce
que prétend sa mère, je ne l’entends tousser que deux fois ? s’insurge-t-il. C’est la médecine McDonald’s qu’il faut changer, pas le
mode d’exercice ».
Le médecin n’est pas le seul sceptique. Les seize infirmiers (19,7
pour 10 000 habitants) de la presqu’île, très attachés à leur liberté
et en surnombre par rapport à la
moyenne régionale (12,7) et nationale (9,7), ne veulent pas entendre
parler du projet. Les trois dentistes
de la presqu’île souhaitent eux
aussi conserver leur mode d’exercice individuel. Du côté des kinésithérapeutes, dont le territoire est
très largement dépourvu – 2,5 pour
10 000 habitants, densité très inférieure à la moyenne régionale (8,7)
et nationale (7,9) –, on reste circonspect. « C’est une maison faite
2 - LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - N° 9087 - MERCREDI 22 FÉVRIER 2012 - www.lequotidiendumedecin.fr
par des médecins pour des médecins », reconnaît Maguy Nouël de
Kérangué, installée à Pleubian. La
kinésithérapeute s’interroge sur
« la rentabilité » du projet mais y
envisage tout de même un exercice à temps partiel, en alternance
avec sa toute jeune collaboratrice.
Le Dr Lambert est le seul médecin
libéral embarqué à bord. La future
maison de santé ne se trouve qu’à
quelques centaines de mètres de
son cabinet.
Dans son ancien bureau aujourd’hui désert, le Dr Dehon explique
avec douceur qu’il a embrassé ce
projet pour « ne pas laisser tomber les habitants du coin ». Sa récupération par les politiques « qui
se foutent totalement de la détresse des gens » agace l’ancien
médecin de Pleudaniel. Qui a accepté de dépanner encore quelque
temps en conseils médicaux « les
copains » et ses anciens patients,
bien démunis par son départ.
> ANNE BAYLE-INIGUEZ
Un projet
à 1,2 million d’euros
La future maison de santé pluridisciplinaire a été voulue pour améliorer l’offre de soins auprès des 8 450
habitants de la presqu’île de Lézardrieux, dont 40 % ont plus de 60 ans.
Le coût total de ce bâtiment de
800 m2 construit à Pleumeur-Gautier est estimé à 1,2 million d’euros.
Dans l’immédiat, la communauté de
communes, maître d’ouvrage, validera le 5 mars l’une des esquisses
des 17 cabinets d’architectes qui
ont travaillé sur le projet. Le
12 mars, ce sera au tour de l’agence
régionale de santé (ARS) d’avaliser
le montant des subventions allouées, à hauteur de 40 % (si tout
va bien). En septembre, les travaux
de terrassement doivent commencer. La maison doit ouvrir ses portes
fin 2013. Trois dentistes, deux (voire
trois) kinésithérapeutes, un orthoptiste, un ergothérapeute, une sagefemme formée en gynécologie, deux
psychologues, un podologue et une
diététicienne se disent intéressés
par l’aventure, le plus souvent en
vacation. Quatre cabinets médicaux
sont prévus. Pour l’instant, hormis le
Dr Bruno Lambert, seul un médecin
hospitalier y envisage un mi-temps.

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