LE REGRETTÉ ARCHEVÊQUE GEORGES D`EVDOKIA

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LE REGRETTÉ ARCHEVÊQUE GEORGES D`EVDOKIA
LE REGRETTÉ
ARCHEVÊQUE GEORGES D’EVDOKIA
L’Archevêque Georges d’Evdokia (Eudociade), dans le monde Georges
Wagner, est né à Berlin, le 10 mars 1930, de parents allemands et
protestants. Son grand-père paternel était pasteur réformé et, avant la
première guerre mondiale, il occupa durant plusieurs années la charge
de prédicateur à la cour impériale de Berlin. Sa mère, Marthe Wagner,
découvrit l’Orthodoxie durant les années 1930, à l’église Saint-Vladimir
sur la Nachodstrasse, dont le recteur était à l’époque l’archimandrite
Jean (Schakhowskoy). C’est elle qui introduisit son fils dans les
paroisses russes de Berlin, à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Ces paroisses étaient alors dirigées par l’archevêque Alexandre
(Nemolovskiï), lequel avait été pendant de nombreuses années
l’auxiliaire du métropolite Euloge pour la Belgique, puis avait été placé
en résidence surveillée par les nazis à Berlin. À la fin de la guerre, Mgr
Alexandre se rattacha au patriarcat de Moscou ainsi que le clergé et
toutes les paroisses orthodoxes russes de Berlin et de l’Allemagne
orientale sous occupation soviétique. En 1948, alors que le blocus
soviétique maintenait la population berlinoise dans des conditions de vie
extrêmement précaire, Georges Wagner fut reçu dans l’Orthodoxie. Mgr
Alexandre était déjà reparti pour la Belgique, mais la majorité du clergé
berlinois était encore constituée de prêtres issus de l’Institut SaintSerge, notamment l’archiprêtre Serge Polozhenskiï (†1992) qui joua un
rôle important dans le cheminement spirituel du jeune homme. En 1949,
ses études secondaires achevées, Georges Wagner part pour l’Institut
de théologie Saint-Serge, à Paris, où il laisse le souvenir d’un étudiant
consciencieux et réservé. En 1953, il achève ses études en présentant
une thèse de maîtrise consacrée à L’enseignement des Pères de
l’Eglise des IIe et IIIe siècles sur la Mère de Dieu qui avait été préparée
sous la direction de l’archimandrite Cyprien (Kern). L’autre père spirituel
du jeune étudiant est alors l’évêque Méthode qui résidait à Asnières. Au
mois de mai de l’année suivante, à l’invitation du patriarche
œcuménique Athénagoras Ier, Georges Wagner séjourne à l’Institut de
théologie patriarcal de Halki, à Istanbul, en compagnie des professeurs
de l’Institut Saint-Serge Antoine Kartachev et Léon Zander. Sa thèse
soutenue, Georges Wagner est invité par le Conseil des professeurs de
l’Institut à poursuivre une année d’études de spécialisation. Il est
envisagé à l’époque de lui confier une partie de l’enseignement de
l’exégèse du Nouveau Testament afin d’alléger la tâche de l’évêque
Cassien qui, en plus de ses activités pédagogiques et scientifiques,
occupait la fonction de recteur de l’Institut. Toutefois, ce projet n’aboutit
pas. Le 29 mai 1955, Georges Wagner est ordonné diacre, en l’église
des Trois-Saints-Docteurs, rue Pétel à Paris, et, le 6 juin de la même
année, prêtre, par le métropolite Nicolas (Eremin), exarque du
patriarche de Moscou en Europe occidentale. Pendant plusieurs
années, il accomplit son ministère pastoral à Berlin, dans le diocèse du
patriarcat de Moscou, et fonde la paroisse Saint-Jean-Chrysostome,
dont il devient le recteur et où les célébrations ont lieu en slavon et en
allemand. En 1962, il s’inscrit à la Faculté de philologie de Berlin-Ouest
et commence la préparation d’une thèse de doctorat sur la liturgie
byzantine de Saint Jean Chrysostome. Les conséquences de la guerre
froide ainsi que les changements de responsables à la tête de
l’Exarchat du patriarcat de Moscou à Berlin sont autant de raisons qui
conduisent le père Georges Wagner à prendre ses distances avec le
patriarcat de Moscou. Des agents soviétiques entrent en contact avec
lui et cherchent à le convaincre de faire des déclarations publiques pour
dénoncer l’impérialisme américain en Allemagne. Le père Georges
Wagner refuse courageusement malgré des pressions très fortes. C’est
là un épisode de sa vie dont il ne parlait pas volontiers, probablement du
fait des menaces qu’il avait reçues après son refus de collaborer à la
propagande soviétique. Au sein de l’Exarchat du patriarcat de Moscou à
Berlin, la situation a aussi évolué. La direction est assurée par
l’archevêque Boris (Vik) qui s’illustre par des déclarations fracassantes
en faveur de la politique soviétique. On assiste à une reprise en main
des paroisses de Berlin. Les anciens prêtres sont mis sur la touche et
remplacés par des prêtres envoyés de Moscou. Parmi ces nouveaux
venus, le père Wagner n’entretiendra des relations suivies qu’avec
l’higoumène Juvénal Poliarkov qui devait devenir plus tard métropolite
de Kroutitsy avec lequel il devait garder des contacts épisodiques
jusqu’à sa mort. Après quelques mois d’hésitation, au cours desquels il
fréquente surtout la petite église grecque de Berlin, le père Georges
Wagner décide de se tourner vers l’Exarchat des paroisses russes en
Europe occidentale dépendant du Patriarcat œcuménique et qui, depuis
1961, se trouvait dirigé par l’archevêque Georges (Tarassov). Son
arrivée en 1964 soulève quelques suspicions de la part de certains
responsables de l’Exarchat qui craignent une manœuvre du patriarcat
de Moscou pour infiltrer l’exarchat, mais finalement, grâce à la caution
morale du père Nicolas Afanasieff, son ancien professeur, et du père
Georges Drobot, un de ses anciens camarades d’étude à l’Institut SaintSerge, le père Georges Wagner est admis dans le clergé du diocèse.
En 1965, il est élevé au rang d’archiprêtre et, l’année suivante, il est
nommé doyen des paroisses de l’Archevêché en République Fédérale
Allemande. En 1967, après la mort du père Nicolas Afanasieff, le conseil
des professeurs de l’Institut Saint-Serge confie au père Georges
Wagner la chaire de droit canonique. En 1969, il est également chargé
de l’enseignement de la théologie liturgique à la place de Théodose
Spasskiï. Durant cette période, le père Georges Wagner assure
régulièrement les célébrations liturgiques au monastère Notre-Dame de
la Toute-Protection à Bussy-en-Othe (Yonne) et établit des liens étroits
avec la communauté, notamment avec mère Théodosie, qui marquera
profondément son cheminement spirituel. En 1970, il termine sa thèse
de doctorat sur "Les sources de la liturgie de saint Jean Chrysostome"
qu’il soutient avec succès l’année suivante à l’Université de Berlin. Cette
thèse dans laquelle il démontre l’attribution de la liturgie à saint Jean
Chrysostome à partir d’une analyse textologique approfondie devait être
ensuite publiée, à Münster, sous le titre Der Urprung des
Chrysostomusliturgie dans la collection Liturgiewissenschaftliche
Quellen und Forshungen (1973). Le 12 mars 1971, le père Georges
Wagner fait sa profession de rasophore, premier degré de la vie
monastique, et il est élevé au rang d’archimandrite le dimanche suivant,
dans l’église de Chaville. Le 30 juin de la même année, il est l’un des
cinq évêques auxiliaires élus pour l’Archevêché par le saint-synode du
Trône œcuménique et il devient évêque titulaire de l’ancien siège
d’Evdokia (Eudociade en Asie Mineure). L’ordination épiscopale de Mgr
Georges (Wagner) est célébrée dans notre cathédrale, le dimanche 3
octobre 1971, sous la présidence de l’archevêque Georges (Tarassov),
entouré du métropolite Mélétios, évêque du diocèse grec du patriarcat
œcuménique en France, de son auxiliaire, l’évêque Jérémie (aujourd’hui
métropolite), et des évêques auxiliaires de l’Archevêché, Mgr Méthode
(Kuhlman) et Mgr Alexandre (Semenoff-Tian-Chansky). En 1973,
l’évêque Georges abandonne ses fonctions pédagogiques à l’Institut
Saint-Serge et, après la mort de Mgr Méthode, en avril 1974, il se
consacre à la direction pastorale de la paroisse du Christ-Sauveur, à
Asnières, où il s’installe. Parallèlement à ce ministère paroissial, mené
en commun avec l’archiprêtre Alexandre Rehbinder, il est chargé par
l’archevêque Georges Ier des paroisses d’Allemagne et, après la mort
de l’évêque Stéphane en 1979, de la Scandinavie. Durant toutes ces
années et, jusqu’à l’année dernière encore, Mgr Georges participe
activement aux Semaines liturgiques de l’Institut Saint-Serge, en y
présentant des communications à plusieurs reprises. Il publie également
quelques articles dans le Messager de l’ACER (en russe). À plusieurs
reprises, Mgr Georges assumera certaines responsabilités à la
demande du Patriarcat œcuménique : c’est notamment lui qui traduisit
en russe le rapport sur Les sources de la Révélation divine d’après
l’enseignement de l’Église orthodoxe, présenté par le patriarcat
œcuménique à la Commission préparatoire du futur Concile panorthodoxe qui eut lieu à Chambésy (Suisse), en 1976. Il publie aussi un
article dans l’ouvrage théologique et historique édité par le patriarcat
œcuménique, en 1981, à l’occasion du 1600e anniversaire du 2ème
Concile œcuménique (Concile de Constantinople en 381). Plus tard, il
se voyait confié par le patriarcat œcuménique la préparation d’un
dossier sur l’histoire, très complexe, nous disait-il, de l’autocéphalie de
l’Eglise de Géorgie, ce qui devait aboutir, en 1991, à la reconnaissance
de cette Église comme telle. Après la disparition de l’archevêque
Georges Ier (22 mars 1981), Mgr Georges (Wagner) assure l’intérim
jusqu’à la réunion de l’assemblée diocésaine. Il réussit le tour de force
de réorganiser très rapidement les structures canoniques du diocèse qui
n’existaient pratiquement plus depuis déjà plusieurs années. Le 1er mai
1981, la 11ème assemblée diocésaine présidée par le métropolite
Mélétios, exarque extraordinaire du patriarcat œcuménique, l’élit à la
tête de l’Archevêché de Paroisses Russes en Europe occidentale.
Après confirmation de l’élection par le saint-synode du Patriarcat
œcuménique, Mgr Georges est élevé au rang d’archevêque titulaire
d’Evdokia (Eudociade) et, le 5 juillet, il est solennellement intronisé en
notre cathédrale, en présence du métropolite Mélétios, des évêques
Jérémie et Roman (patriarcat œcuménique), Gabriel (patriarcat
d’Antioche) et Adrien (patriarcat de Roumanie) ainsi que d’une
quarantaine de prêtres. Mgr Georges devenait également le recteur de
la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru. Pendant les douze ans
qu’il passa à la tête de l’Archevêché, Mgr Georges devait s’efforcer de
réunir des assemblées diocésaines (1982, 1986, 1990) et pastorales
(1984, 1989, 1992) régulières, permettant aux clercs et aux laïcs,
venant de France, de Belgique, d’Italie ou encore de Suède de se
rencontrer, de prier ensemble, de débattre de certains problèmes
d’ordre pastoral et liturgique. Spécialiste de la liturgie, il chercha à
rendre à la cathédrale la solennité qu’il convient dans les célébrations
pontificales, tout en rappelant sans cesse dans ses sermons le sens de
la prière de l’Église et des mystères sacramentels. Enfin, l’un de ses
principaux mérites consista à renforcer les liens unissant l’Archevêché
avec le Patriarcat œcuménique, notamment lors des différentes visites
qu’il effectua au Phanar auprès du patriarche Dimitrios Ier avec le
recteur de l’Institut saint-Serge, le protopresbytre Alexis Kniazeff (1981),
Serge Obolensky (1983, 1986), le père Eugène Czapiuk (1988). Il
effectua son dernier voyage au Phanar à l’occasion de la 1ère synaxe
des évêque diocésains du Patriarcat œcuménique, réunie, par le
nouveau patriarche, Bartholomée Ier, du 30 août au 1er septembre
1992. Depuis 1989, Mgr Georges avait repris son enseignement à
l’Institut Saint-Serge, assurant une partie des cours de théologie
liturgique ainsi que l’ensemble du droit canonique. Après la mort du père
Alexis Kniazeff, Mgr Georges avait été élu recteur de l’Institut, le 12
février 1991, charge qu’il exerçait en même temps que celle de recteur
de la paroisse Saint-Serge. Toutefois, la douloureuse maladie qui s’était
déclarée au cours de l’été 1992, une varice du talon, ne devait pas lui
permettre de reprendre ses cours à la dernière rentrée académique. Ne
pouvant plus tenir debout, Mgr Georges traversa alors la plus dure des
épreuves pour l’évêque, le théologien et le liturgiste qu’il était, car il ne
pouvait plus célébrer la liturgie. Surmontant la douleur, dont il ne se
plaignait jamais, il devait une dernière fois présider la liturgie
eucharistique dans la cathédrale, le jour de la fête de la Sainte
Rencontre, le 15 février 1993. Mgr Georges est décédé d’une embolie
pulmonaire consécutive à sa maladie, le 6 avril 1993 (la veille de la fête
de l’Annonciation de la Mère de Dieu, selon le calendrier julien), en sa
résidence épiscopale d’Asnières, à 10 heures du matin. Il s’est éteint
sans un mot dans les bras du hiéromoine Nicolas (Moulinier), qui
célébrait ce jour-là les offices du grand carême et de l’avant-fête de
l’Annonciation dans l’église d’Asnières et qui a pu lui donné la dernière
absolution. Peu après, la vêture et la première pannykhide devaient être
accomplies par l’évêque Paul de Trachéia, appelé par téléphone, ainsi
que par les pères Boris Bobrinskoy, Nicolas Cernokrak, Nicolas
Moulinier et le hiérodiacre Nicodème. Les obsèques ont été célébrées le
samedi 10 avril, samedi de Lazare, en la cathédrale par le métropolite
Jérémie (patriarcat œcuménique) et l’évêque Paul entourés de trentehuit prêtres et six diacres, en présence des évêques Romain, Stéphane
(patriarcat œcuménique) et Goury (patriarcat de Moscou). L’inhumation
a eu lieu dans la crypte de l’église de la Dormition, au cimetière de
Sainte-Geneviève-des-Bois, où reposent déjà ses prédécesseurs les
métropolites Euloge et Vladimir, l’archevêque Georges (Tarassov). Mgr
Georges a été inhumé dans le même tombeau que l’évêque Cassien.
On ne peut s’empêcher de remarquer que ses obsèques ont été
célébrées le jour où l’Église fête la Résurrection de Lazare, l’"ami de
Jésus", auquel Mgr Georges témoignait une vénération particulière,
puisqu’il le commémorait lors du congé de célébration à chaque office
des défunts. Mgr Georges a laissé à ses successeurs, au clergé et aux
membres laïcs de l’Archevêché, deux leçons. Il enseignait sans relâche
la fidélité, tout d’abord, à la tradition orthodoxe, notamment dans sa
forme d’expression russe, sans que cela soit incompatible avec la vision
universelle de l’Eglise, qu’il gardait toujours présente à l’esprit : “Nous
voulons vivre une vie imprégnée de la tradition spirituelle et liturgique
toujours vivante que nous avons reçue de l’orient chrétien et de
l’ancienne Russie orthodoxe”, déclarait-il dans son discours
d’intronisation, en 1981. Il insistait tout particulièrement sur l’importance
de la vie liturgique et sacramentelle qui se construit autour de l’évêque
et de son représentant, le prêtre, dans la paroisse. D’où l’importance
qu’il donnait à la paroisse, au diocèse, et la méfiance qu’il éprouvait à
l’égard des organisations et mouvements para-ecclésiaux. Fidèle en
toute chose à la Tradition, il savait que la Tradition était l’expression
vivante de la vie de l’Eglise et qu’il convenait de l’adapter avec sagesse
aux conditions d’existences locales. Il nous faut “rester fidèles à
l’héritage spirituel reçu et en même temps travailler à l’actualisation de
notre témoignage orthodoxe dans les pays où nous habitons”, répétaitil. Fidélité aussi au Patriarcat de Constantinople qu’il qualifiait de “grand
centre canonique et historique de l’unité conciliaire du monde
orthodoxe”. Il est symptomatique qu’il avait dédié sa thèse de doctorat
sur saint Jean Chrysostome “à la grande Église du Christ qui est à
Constantinople”. Concrètement il insistait sur la nécessité absolue pour
l’Archevêché de “garder notre lien avec la plénitude de l’Église
orthodoxe par notre présence dans la juridiction du patriarcat
œcuménique”. Cette juridiction avait été instaurée sous une forme
provisoire en 1931, parce que l’existence paraissait alors temporaire et
transitoire. En 1971, elle avait reçu une nouvelle forme, “valable jusqu’à
ce que la question de la diaspora soit réglée conformément aux
exigences de l’ordre canonique par le Saint et grand concile
panorthodoxe”, expliquait-il dans son discours devant l’assemblée
pastorale de février 1981. De là découlait son deuxième grand
enseignement, qui consistait à savoir garder précieusement le don de la
liberté face aux ingérences et pressions extérieures à l’Eglise, qu’elles
soient politiques, nationales, idéologiques. “Dieu a donné à notre
organisme ecclésial une grande et précieuse grâce, que nous utilisons
tous, mais dont nous ne sommes pas toujours suffisamment
conscients : il nous a donné de vivre notre vie ecclésiale dans une
pleine liberté vis-à-vis des influences étrangères à l’Eglise et des
pressions extérieures venant des puissants de ce monde. Ce don
précieux, nous devons le garder, absolument”, disait-il devant
l’assemblée générale de l’archevêché en 1982 (Messager diocésain,
n° 1-2, p. 22). Un important recueil d’articles de théologie liturgique de
Mgr Georges est paru, en 2003, en français, aux presses de l’Institut
Saint-Serge, sous le titre La liturgie, expérience de l’Eglise. Etudes
liturgiques. Une traduction de sa thèse de doctorat ainsi qu’un recueil de
sermons ont également été édités en russe, à Paris, par les éditions
Liturgica.
(source: www.exarchat.org)