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L'Amérique, cible de choix du
révisionnisme
Par Isabelle Lasserre
25/01/2010 |
Débris après l'attaque du World Trade Center à New York le 11 septembre 2001. Crédits photo : AFP
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les théoriciens du complot ont retrouvé du
grain à moudre.
Neuf ans après les attentats contre le World Trade Center, la traque de Ben Laden est à nouveau
considérée comme une priorité par les responsables américains, qui cherchent une porte de sortie
à la guerre en Afghanistan. La tentative d'attentat contre le vol Amsterdam-Detroit par un jeune
Nigérian, le 25 décembre, a replacé al-Qaida au centre de l'actualité. Mais, depuis le 11 septembre
2001, une chose n'a guère changé : la persistance des thèses révisionnistes qui contredisent la
version officielle des événements. Plus solides qu'al-Qaida et plus immuables que Ben Laden, elles
se sont transformées en une croyance collective qui atteint tous les continents et résiste, comme
les mauvaises herbes, à tous les traitements.
«Le Pentagate»
Pour les tenants des thèses conspirationnistes, la CIA, les Juifs et les compagnies pétrolières
seraient à l'origine des attentats. Au mieux, l'Administration américaine aurait été au courant des
attaques mais aurait laissé faire, pour justifier son projet de s'emparer du Moyen-Orient. Les idées
qui veulent que les Twin Towers se seraient effondrées sous l'effet d'explosifs, qu'un missile
américain et non un avion aurait frappé le Pentagone et qu'aucun appareil ne se serait jamais
écrasé en Pennsylvanie se portent toujours très bien. Après avoir vendu 200 000 exemplaires de
son livre, L'Effroyable Imposture, traduit en vingt-huit langues, le chef de file des révisionnistes
français sur le 11 Septembre, Thierry Meyssan, directeur du réseau Voltaire, a écrit une suite,
LePentagate. Sur le Net, les associations se multiplient comme des petits pains. Le Mouvement
(américain) pour la vérité sur le 11 septembre 2001 fédère aujourd'hui une centaine de sites
différents, vend des tee-shirts, édite des DVD, organise des conférences dans le monde entier.
Depuis neuf ans, les zones d'influence des thèses négationnistes sont plus ou moins les mêmes : le
monde musulman en général, la Russie, d'anciens pays communistes, l'Amérique latine et quelques
pays isolés comme la France et l'Allemagne. «La carte des théories révisionnistes épouse
parfaitement celle de l'antiaméricanisme dans le monde», explique Claude Moniquet, le président
du Centre européen pour l'intelligence stratégique et la sécurité (ESISC), basé à Bruxelles. Ainsi,
elles n'ont pas marché en Ukraine et en Géorgie, dont les cœurs sont tournés vers Washington
plutôt que vers Moscou. Les présidents iranien, Mahmoud Ahmadinejad, et vénézuélien, Hugo
Chavez, les ont en revanche soutenues dans des discours officiels.
Aidées par l'effet amplificateur d'Internet, les thèses révisionnistes sont constamment alimentées
par les sympathisants. «Leur popularité est quotidiennement nourrie par de nouveaux arguments»,
explique le sociologue Gérald Bronner, qui a consacré deux ouvrages à la question (*). Mais si ces
théories marchent si bien, c'est aussi parce qu'elles sont très difficiles à démonter. «Les arguments
paraissent toujours convaincants. Il faut être à la fois ingénieur, physicien, pilote… pour pouvoir les
anéantir. Fondés sur un effet de dévoilement satisfaisant pour l'esprit, les mythes
conspirationnistes répondent en outre à notre soif de comprendre le monde.»
Les théories du complot ont toujours existé. Parmi les mythes conspirationnistes les plus connus,
on peut citer l'assassinat de John F. Kennedy, en 1963, qui aurait été fomenté par Cuba, par
l'URSS ou par la CIA. Et les Protocoles des sages de Sion, faux document censé représenter un
plan de conquête du monde par les Juifs, fabriqué par la police secrète du tsar russe Nicolas II.
Plus récemment, les théories conspirationnistes se sont emparées du sida, qui aurait été créé par
la CIA, et de la mort de Lady Di, qui aurait été assassinée par les services secrets britanniques.
«Les thèses conspirationnistes correspondent à des cycles conjoncturels… Aux XIX, XX et
XXIe siècles, nous assistons à une véritable culture de l'opposition et du complot», écrit la
chercheuse Nathalie Bastin dans une étude réalisée pour l'ESISC.
Une suspicion généralisée
Mais elles évoluent aussi avec les époques. Longtemps limités à une région ou à un pays, les
mythes sont désormais devenus mondiaux et transcendent les frontières. «Auparavant concentrés
sur les minorités (Juifs, gitans, francs-maçons), ils se polarisent aujourd'hui sur un nouvel acteur,
les États-Unis, qui représentent la force centrale, l'expression du pouvoir occidental», explique
Gérald Bronner. Pour le sociologue, l'époque contemporaine est particulièrement favorable à leur
développement. «Il y a, dans nos sociétés occidentales, un désaveu de la parole officielle et une
suspicion généralisée de l'expertise et de l'innovation scientifique.» Deux particularités auxquelles il
faut, selon lui, ajouter le développement des idées «anticapitalistes» et la «libération du marché
cognitif» avec l'explosion des radios, des télévisions et la généralisation d'Internet. «Il est de plus
en plus difficile de cacher les choses et les complots. Mais paradoxalement, comme tout finit par se
savoir, y compris les mensonges, le sentiment que l'on nous ment se développe.»
Le sociologue voit aujourd'hui un autre grand mythe prendre le pas sur ceux qui entourent le 11
Septembre : le «précautionnisme», c'est-à-dire le principe de précaution poussé à l'extrême.
(*) «Vie et mort des croyances collectives», chez Hermann, et «La Pensée extrême», chez Denoël.

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