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dossier
Le
cinéma
selon Arte
Le pouvoir de l’argent.
Entretien avec Olivier Père
Directeur du cinéma d’Arte France
Polyglotte, classieux,
fin connaisseur du milieu
du 7e art, Olivier Père
est aujourd’hui le jeune
directeur du cinéma d’Arte
France. Une carrière
fulgurante lui a permis
de faire ses classes
comme programmateur
à la Cinémathèque
française, critique
aux Inrocks, délégué
général de la Quinzaine
des réalisateurs (20032009) et directeur
artistique du Festival
de Locarno de 2010 à
2012. Ses réflexions sur
le cinéma permettraient
d’alimenter une longue
chronique mais d’un
commun accord nous nous
sommes limités à quatre
entrées successives.
d’ancien directeur de festival me confère
Pourriez-vous me dire quelle est la
une proximité naturelle avec le cinéma
place d’Arte France dans l’industrie
d’auteur et le milieu de la création.
cinématographique ?
Olivier Père : Le rôle de soutien d’Arte
Qu’avez-vous pensé de la tribune de
France Cinéma est très important. Sa
Vincent Maraval1 et du débat autour des
mission consiste à aider le cinéma d’auteur
conventions collectives ?
et le cinéma européen. Le champ couvre
De mon point de vue, le « Maraval-gate » a
aussi bien des premiers films, des films
questionné utilement l’économie des films
d’auteurs, des documentaires et des
français même si le débat a été rapidement
coproductions internationales. L’enveloppe
dévoyé. Je précise qu’Arte France Cinéma
financière de 9,4 M€ par an est stable
est vertueuse sur ces questions, car la
et permet de soutenir
moyenne de ses devis
environ 25 longs métrages
avoisine 3,4 M€ et ne
Il convient
de cinéma par an dont
relève donc pas du champ
trois documentaires et un
des critiques mentionnées
de favoriser
film d’animation.
par la tribune. J’observe
la singularité,
L’investissement d’Arte
par ailleurs qu’un cinéaste
l’éclectisme,
France Cinéma dans une
comme Leos Carax s’est
la diversité des
coproduction varie entre
toujours engagé dans des
200 et 500 K€, avec la
projets audacieux. L’acteur
formats ainsi
possibilité d’aller jusqu’à
Vincent Lindon ne réclame
que des styles
700 K€ pour les films
pas le même salaire pour
du « grand accord » (six
un film de Claire Denis ou
projets par an choisis en collaboration avec
pour une grosse production. Willem Dafoe
nos homologues allemands d’Arte). Il y a
agit de même à l’endroit de Lars von Trier
cinq comités de sélection par an. Nous
ou Abel Ferrara. Certains cachets peuvent
avons reçu près de 90 projets de films
toutefois être très élevés et un phénomène
pour le comité de juin. Nous effectuons
d’escalade absurde contamine alors des
films déjà surproduits. Les producteurs des
une présélection d’une douzaine de projets,
films dits du « milieu »2 sont donc inquiets
puis trois d’entre eux sont retenus par le
comité de sélection.
au regard des contenus des nouvelles
Au terme de « pouvoir », je préfère celui de
conventions collectives. La profession
« responsabilité ». Il convient de favoriser
essaie donc de faire évoluer les décisions
du gouvernement.
la singularité, l’éclectisme, la diversité des
formats ainsi que des styles. Sur Arte on ne
Le pouvoir du sélectionneur
craint pas de passer du film expérimental
Quel a été le vôtre dans vos expériences
à la comédie et il n’existe pas de frontières
successives ? Existe-t-il des rapports de
infranchissables entre les genres. L’audience
pouvoir entre la Sélection officielle du
de la chaîne progresse notamment grâce
Festival de Cannes et la Quinzaine des
aux films. L’offre accède aujourd’hui à la
réalisateurs ?
maturité et affiche sans peine son côté
J’ai tout appris à la Quinzaine, laquelle
culturel. L’idée principale consiste à susciter
l’enthousiasme du plus grand nombre pour
1 - Tribune de Vincent Maraval, président de la société de production Wild
des découvertes exigeantes. Il n’existe pas
Bunch, publiée dans Le Monde du 28 décembre 2012 : « Les acteurs français
de ghetto ni de caste, mais de grands et
sont trop payés ».
beaux films pour un large public. Mon statut
2 - Ceux dont le budget total est compris entre 2,5 MF et 7MF.
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dossier
Cinéma & Pouvoirs
ouvre beaucoup de portes, mais il faut
aussi se méfier des pièges qui peuvent
être tendus. C’est un atout considérable
de profiter de l’exposition du plus grand
Festival du monde, mais la surexposition
peut être également périlleuse, voire
néfaste. Sur 20 films sélectionnés il y a
parfois des paris risqués et la concurrence
avec les autres sélections de Cannes peut
être exacerbée. Il existe cependant un
risque à inviter des films trop fragiles et
parfois à céder à des compromis.
La polémique sur l’absence de femmes
réalisatrices dans la compétition officielle
de 2012 à Cannes ne m’a pas semblée
entièrement fondée, car je savais
pertinemment que plusieurs d’entre elles
étaient à l’époque en tournage et que
leurs films ne sortiraient qu’en 2013. Je
ne serais toutefois pas hostile à pratiquer
une sélection sans générique pour voir le
bouquet qui en résulterait. Je ne me suis
jamais senti lié par la loi du genre ni à la
Quinzaine, ni à Locarno3.
Existe-t-il une pression des grands studios ?
Certains vous harcèlent, mais on est libre de
dire non. Diplomatie et professionnalisme
doivent guider nos choix car il plus fréquent
de répondre par la négative. Dans ce
contexte, il est essentiel d’entretenir un
dialogue permanent avec les artistes.
Quelles relations se sont instaurées avec
la Société des réalisateurs de films (SRF) ?
J’ai été nommé sous la présidence de
Pascal Thomas, puis Cédric Klapisch,
Pierre Salvadori, Christian Vincent et Malik
Chibane ont renouvelé mon contrat. Je
n’ai jamais rencontré de problèmes, ni
connu de pression ou conflit. La SRF a
toujours scrupuleusement respecté les
règles déontologiques applicables.
Le pouvoir du critique
Quel pouvoir exerce-t-il face à l’industrie
cinématographique ?
Je constate, à regret, une grande perte de
pouvoir du critique, phénomène d’autant
plus douloureux pour une personne comme
moi, qui a été littérairement formée par
les grandes signatures. Avec les réseaux
sociaux, l’information circule vite mais
s’uniformise au détriment d’un contenu
fort. La plupart des commentaires sont
dépourvus d’analyses structurantes.
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Certains blogs sont toutefois d’excellent
niveau, mais le plus souvent on glisse
vers les abysses un peu en raison de la
perte de vitesse de la presse. Il subsiste
heureusement quelques très bons
journalistes et critiques, dotés de belles
plumes.
Les Festivals prennent de l’importance
ainsi que la Vod, et de ce fait se répand
l’idée illusoire de l’inutilité du recours aux
intermédiaires, mais à mon sens, c’est une
erreur. Festivals, programmateurs et Arte
réalisent ce travail d’accompagnement
éditorial indispensable à la vie des films.
Les rencontres et la vision dans la salle
collective du cinéma restent des étapes
cruciales. Tabou de Miguel Gomes constitue
une exception au parcours très réussi. On
peut tout simplement tomber amoureux
de ce film.
L’exemple d’Honora de cavalleria d’Albert
Serra4 illustre aussi l’intérêt de la rencontre
avec le milieu de la critique. Ce film, qui
aurait pu passer inaperçu, a été découvert
par la Quinzaine qui l’a immédiatement
évalué comme une pépite et valorisé
comme telle. L’auteur a pu ensuite réaliser
un deuxième puis un troisième film.
Quel distributeur aura le courage de montrer
des films exigeants comme ceux de Corneliu
Porumboiu5 ? L’Assemblée des cinéastes6
peut aider ces créateurs hors norme, mais
il existe aussi des chemins plus naturels.
Ainsi à Locarno, j’ai découvert une com­
munauté de passionnés qui travaille
de manière concrète et opiniâtre à la
production, l’écriture, la diffusion de films.
Maintenant que vous vous êtes rapproché
de l’œuvre et de son créateur, votre pas­
sion pour les réalisateurs trouve un nouvel
accomplissement. Pensez-vous passer
demain derrière la caméra ?
Je ne me définis pas comme un artiste,
mais davantage comme un découvreur. Les
artistes ont une vision, une imagination et
un courage dont je ne me sens pas doté.
Leos Carax soulignait en 2012 à Locarno
que le courage constitue la première qualité
requise pour faire des films. Les cinéastes
ne doivent pas craindre l’aventure, voire être
portés par une folie, dont je suis éloigné.
Le pouvoir du glamour
Cannes, ses marches, son univers, Locarno
sa douceur estivale et sa piazza grande
constituent-ils des rouages essentiels de
la machine à rêves ?
Faut-il du glamour ? Avant mon arrivée à
Locarno par exemple, c’était jugé contre
nature et à 19h tout le monde gagnait son
lit. L’austérité protestante concevait mal
la fête nocturne qui heurtait également
une conception militante internationaliste,
consubstantielle du festival. Puis, en
2012, on a trouvé qu’il y avait presque
trop de paillettes… Toutefois, la venue
d’Harrison Ford, d’Alain Delon, d’Ornella
Muti, de Charlotte Rampling ou bien d’une
belle et jeune actrice américaine comme
Lizzy Caplan ont beaucoup apporté au
charme et à la renommée du Festival. Le
subtil mélange de réalisme et d’onirisme
crée l’équilibre attendu. Le pouvoir de
la séduction me semble indispensable
à la complète réussite d’une grande
manifestation.
■
Propos recueillis par Françoise Camet
Léonard de Vinci 1985
3 - Plusieurs découvertes de réalisatrices lui sont dues comme Mia HansenLøve, Axelle Ropert ou Sophie Letourneur.
4 - Cinéaste catalan exposé à Beaubourg du 17 avril au 12 mai 2013.
5 - Caméra d’or en 2006 pour « 12 h 08 à l’est de Bucarest ».
6 - Créée en 2012 en marge de la quinzaine des réalisateurs et destinée à
favoriser les échanges entre cinéastes du monde entier.