Plaisir, plaisirs
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mardi 20 novembre 2007 Plaisir, plaisirs ACTES Rendez-Vous de l’Âge 2007 SOMMAIRE Actes des Rendez-Vous de l’Âge 2007 Ouverture de la journée P3 Allocution de Monsieur Jean-Louis FOUSSERET P7 Présentation de la journée – Lucile LAMY P9 Introduction – Frédéric MORESTIN Conférence P 11 Cultiver notre sensibilité : jouir et se réjouir, les plaisirs de l’âme et du corps – Gérard GUIEZE Atelier 1 De la quête du plaisir P 21 Hédonisme et bonheur dans la société – Gilles LIPOVETSKY P 27 Synthèse des débats – Dominique SCHAUSS Atelier 2 De la construction du plaisir P 33 Plaisir et fin de vie – Dr Régis AUBRY P 37 Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? – Moussa NABATI P 43 Synthèse des débats – Marie-Madeleine BOUHÉLIER Atelier 3 Du plaisir des sens P 47 Du plaisIr du corps que génère la danse – Marie-France ROY P 51 Le plaisir alimentaire, un atout pour le bien-être et la santé – Jean-Pierre CORBEAU P 57 Intervention de Thérèse CLERC P 61 Synthèse des débats – Pierre Olivier LEFEBVRE Clôture de la journée P 65 Conclusion et perspectives – Marie-Marguerite DUFAY et Lucile LAMY Plonger, quelques mois après, dans la lecture des Actes des Rendez-Vous de l‘Age est toujours l’occasion de réactiver des souvenirs... Cette année, il s’agit de recontacter les menus plaisirs qui ont enchanté cette journée… Il y eut tout d’abord une présence massive, fidèle des Bisontins à ce temps qui devient un « temps fort de la vie de la cité », un rendez-vous à ne pas manquer. Il y eut le charisme et l’éloquence de Gérard GUIEZE pour exprimer en termes simples les multifacettes de plaisir… D’autres orateurs se sont succédés pour décliner, chacun à sa manière, des approches spécifiques du plaisir, des plaisirs... Chacun, soit au travers de recherches, soit au travers d’expériences, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, a permis d’enrichir le débat. Ces pages témoignent de la qualité des interventions et vous permettront de retrouver les propos de chacun. Et puis, tout au long de la journée, dans les différents espaces, lors des interventions, des citations on brillamment illustré ce thème. Nombreux sont ceux d’entre vous qui ont souhaité pouvoir en disposer. Elles illustrent cet ouvrage, petites touches poétiques et printanières, et invitent, au fil des pages, à une lecture ludique. Le plaisir étant fugace et le bonheur durable... Que ces pages soient pour chacun un petit moment de bonheur ! Pascale VINCENT Chef de service Développement Démocratie Locale et Participation “Une vie sans plaisir, c'est un long voyage sans auberge.” Démocrite Allocution de Monsieur Jean-Louis FOUSSERET Maire de Besançon, Président du Grand Besançon Mesdames, Messieurs, Chers Amis, Lorsqu’on évoque la notion de plaisir, singulier ou pluriel, viennent souvent à l’esprit en premier, ceux de la chair, quels qu’ils soient d’ailleurs. Sans doute Gérard GUIEZE en parlera-til avec le talent qui le caractérise au point que c’est le verbe avec lui qui se fait chair ! Cette chair que l’on dit faible, mais qui représente pour beaucoup le sel de la vie. On l’oppose à l’esprit, à tort, à mon sens. Car les plaisirs qu’elle engendre procèdent du bonheur que l’on éprouve à profiter de la vie. C’est en tout cas mon approche et peut-être celle d’Alfred de MUSSET pour qui un des deux grands secrets du bonheur était le plaisir (le second étant l’oubli). Les philosophes se sont bien sûr emparés de ce concept dans la mesure où il touche à quelque chose d’essentiel. A tel point qu’on le retrouve dans bon nombre d’expressions : prendre plaisir à…, par plaisir, les menus plaisirs… Cette multitude invite les penseurs à la réflexion, « au plaisir de penser ». L’histoire de la philosophie foisonne d’échanges sur le sujet. Si, comme disait Epicure nous n’avons du plaisir aucune expérience négative, il n’en est pas de même du bonheur qui ne serait sans doute rien sans le plaisir. Faut-il y consacrer sa vie comme le laissent entendre certains écrits de Sade ou au contraire l’éviter ? Faut-il l’évaluer comme ont tenté de le faire les économistes ? En tout cas, il fait partie de notre culture. J’ose même dire qu’il n’y aurait peut-être pas de morale sans « le plaisir » ! Il accompagne nos actes, qu’il soit lié à une quête ou associé à la douleur. Les hédonistes en ont fait un étendard et les civilisations l’ont produit. Même FOURIER s’est penché sur la question concernant les personnes âgées. « Il n’y a pas à douter, déclare-t-il, que le vieillard privé de plaisirs et de désirs ne souffre de cette privation ainsi que du 3 Ouverture de la journée - Allocution de Monsieur Jean Louis FOUSSERET délaissement qui s’ensuit ». Ceux qui en sont privés justement, je pense aussi aux personnes seules, aux pauvres, aux exclus… ne jouissent pas du plaisir de bien manger par exemple. Il y a le plaisir de préparer mais aussi de déguster et de faire déguster. Mais quand on n’a rien, il est difficile d’éprouver de la joie et il est difficile d’échanger. L’échange, autre source de plaisir… le plaisir de discuter, de se retrouver qui vous pousse ainsi à être présents si nombreux cette année encore. Pensez à ces personnes quelquefois sur le même palier, de l’autre côté de la rue qui ne parlent qu’à elles-mêmes. De léger, vous comprenez que le sujet qui nous rassemble aujourd’hui recouvre ainsi des aspects profonds mais aussi douloureux lorsque le plaisir manque. Prenez simplement votre quotidien. Il est parsemé de « petits plaisirs ». Nous connaissons cela. Au plaisir de se retrouver, c'est-à-dire la convivialité, s’ajoute celui de réfléchir ensemble aux enjeux de la cité, c'est-à-dire la citoyenneté. Mais d’autres non parce qu’ils n’ont pas grand-chose dans leur assiette, parce qu’ils ne peuvent «faire plaisir» à leurs proches. Et vous savez, comme Jean de la BRUYERE, le plaisir qu’il y a à rencontrer les yeux de celui à qui l’on vient de donner. Je m’inquiète d’ailleurs lorsque je constate comme vous la cherté de la vie de tous les jours. Elle empêche l’accès à ces plaisirs que je viens juste d’évoquer. Elle touche des catégories épargnées jusqu’à présent. La courbe du plaisir est en quelque sorte inversement proportionnelle à celle des prix et certaines gesticulations politiques ne m’incitent guère à moins d’inquiétude car elles sont stériles et ne répondent pas aux préoccupations de la population. Je sais que les intervenants ô combien éminents qui participent à cette journée prendront la hauteur nécessaire pour dégager des pistes de réflexion sur le sujet qui nous réunit et je n’ai surtout pas la prétention de comparer mon propos avec le leur. Mais je voudrais simplement leur dire, comme je vous l’exprime d’ailleurs à vous tous, que nous tentons tous les jours à notre manière, avec les moyens qui sont les nôtres, et comme beaucoup d’élus locaux, de procurer au plus grand nombre des moments où ils peuvent se faire plaisir : c’est cette journée, c’est l’accès aux sports, ce sont des moments festifs et culturels comme « Musiques de Rues »… C’est notre réalité. Mais je sais que c’est aussi celle de nos intervenants. C’est pourquoi nous tirerons sans doute les enseignements de ce que nous entendrons. Nous vous écouterons vous aussi, Bisontins et Bisontines, parce que je suis convaincu que vous apporterez l’eau nécessaire au moulin de la réflexion de ces 6° Rendez-Vous 4 Ouverture de la journée - Allocution de Monsieur Jean Louis FOUSSERET de l’Age qui marquent un nouveau record de fréquentation avec 2000 participants démontrant ainsi que ce rendez-vous citoyen a pris toute sa place dans le débat public et la vie locale. Au plaisir de se retrouver, c'est-à-dire la convivialité, s’ajoute celui de réfléchir ensemble aux enjeux de la cité, c'est-à-dire la citoyenneté. Alors, osez franchir la barrière des conventions, le sujet s’y prête et l’occasion vous en est donnée.“Lâchez-vous” si je puis dire et nous avancerons tous. Le plaisir n’a pas d’âge ! Il est temps pour moi de conclure et de remercier celles et ceux qui ont organisé cette rencontre au premier rang desquels le personnel de la Ville et du CCAS et qui méritent vos applaudissements. Je remercie aussi bien sûr Lucile LAMY qui a su, comme chaque année, fédérer les énergies pour faire de ce temps une journée des petits et des grands plaisirs ! Je n’oublie pas non plus l’investissement conséquent des membres du Conseil des Sages témoignant ainsi de leur générosité et de leur fraternité valorisant à juste titre le plaisir du don de soi au-delà du plaisir pour soi. Je vous souhaite donc une journée riche, agréable et conviviale. Au plaisir de vous revoir ! “Vieillir ensemble, ce n’est pas ajouter des années à la vie, mais de la vie aux années.” Jacques Salomé 5 “Tout devient plaisir dès qu'on a pour but d'être seulement bien ensemble.” Louis-Ferdinand Céline 6 Présentation de la journée Lucile LAMY Conseillère municipale déléguée aux liens intergénérationnels Je crois que nous sommes bien là dans la notion de prendre plaisir, pour soi et avec les autres, et donc tout à fait dans la continuité de l’état d’esprit des années précédentes. Plaisir, plaisirs… Quel sujet ! Sujet surprenant peut-être pour certains d’entre vous après les thèmes des années précédentes. Peut-être l’avez-vous même trouvé un peu léger. Je vous rassure : il n’est pas si léger que ça si vous interrogez les membres du groupe de pilotage qui ont concocté le programme. La réflexion menée tout au long de la journée vous prouvera que la notion de plaisir méritait bien qu’on s’y attarde aux Rendez-Vous de l’Age. Nous avons tellement coutume de valoriser le plaisir d’avoir plutôt que le plaisir d’être, comme le disait Monsieur le Maire tout à l’heure, d’associer le mot plaisir à jeunesse, peut-être aussi de s’interdire le droit au plaisir parce que marqués par une éducation un peu trop restrictive. Il nous a donc semblé opportun, après des journées axées sur notre place de citoyens, de nous arrêter, une fois, sur un aspect plus personnel de la vie de chacun. Et ce qui nous attire toujours lors de ces rendez-vous depuis 6 ans, n’est-ce pas le plaisir de participer, de nous rencontrer, d’être accueillis, de réfléchir ensemble à des thèmes de société, accompagnés par des élus et des agents de la collectivité qui ont plaisir à organiser, des membres du conseil des sages qui ont eu plaisir à s’engager pour la réussite de cette journée. Je crois que nous sommes bien là dans la notion de prendre plaisir, pour soi et avec les autres, et donc tout à fait dans la continuité de l’état d’esprit des années précédentes. Voici maintenant quelques informations sur les ateliers-débats de l’après-midi : Ils ont été construits pour aller de la quête du plaisir à la construction du plaisir et enfin aux plaisirs éprouvés. 7 Présentation de la journée - Madame Lucile LAMY Gilles LIPOVETSKY, philosophe et sociologue, évoquera la notion de plaisir par l’hyperconsommation, en lien avec son ouvrage intitulé « le bonheur paradoxal ». Pour aborder le thème de la construction du plaisir, nous aurons l’intervention du psychologue Moussa NABATI, qui nous aidera à comprendre où et comment trouver le plaisir, et celle du docteur Régis AUBRY, que vous connaissez tous pour son implication dans le développement des soins palliatifs. Régis AUBRY nous parlera du droit au plaisir jusqu’à la fin de la vie. Enfin le plaisir des sens sera traité sous trois aspects : le plaisir alimentaire avec JeanPierre CORBEAU, professeur de sociologie et co-fondateur de l’Institut Français du Goût ; le plaisir du mouvement nous sera présenté par Marie-France ROY, chorégraphe qui nous vient d’Angers et qui a expérimenté des créations chorégraphiques intergénérationnelles, sources de beaucoup de plaisir et d’émotion que j’ai pu d’ailleurs éprouver lors de la présentation de l’un de ses spectacles ; enfin, nous aborderons le plaisir dans la sexualité que Thérèse CLERC, avec toute la verve que nous lui connaissons, va oser revendiquer sans tabou ni considération d’âge. Voici un programme qui ouvre de larges perspectives au(x) plaisir(s), et dans lequel vous trouverez, je l’espère, un écho à vos attentes pour vivre la journée des petits et des grands plaisirs ! “Le plaisir d'avoir ne vaut pas la peine d'acquérir.” Jean-Jacques Rousseau 8 Introduction Frédéric MORESTIN Consultant et animateur “Il est bon de noter combien la charge affective des mots : bien-être, joie, plaisir est différente. Le bien-être est acceptable, La joie est noble, le plaisir est suspect.“ Henri LABORIT, Extrait de L’éloge de la fuite Si le « bonheur est dans le pré », le plaisir est une culture de la joie de vivre ! « Plaisir, plaisirs », c’est à partir de cette formulation que nous nous retrouvons une fois encore, pour cette sixième édition des « Rendez-vous de l’âge ». Formidable occasion peut-être pour chacun d’entre nous de prendre le temps de se poser mais également de s’interroger sur cet élément du quotidien ! Il est tellement plus fréquent de goûter au plaisir que de prendre un temps pour en parler ! Effectivement, le plaisir est peut-être quelque chose qui a plus à voir avec l’éprouvé… Au cœur de chacun d’entre nous siège un espace dédié au plaisir… Espace qui ressent, qui profite, espace où se rencontrent sensorialité et émotion. Nous tentons par tous les moyens de profiter de cet espace. Petit ou grand plaisir, les occasions ne manquent pas chaque jour pour éprouver cette sensation. La société de consommation l’a bien compris… il n’est pas un moment où elle ne nous le rappelle : profusion d’objets, offres à outrance d’invitation à la redécouverte du plaisir, des plaisirs… plaisir du corps, plaisir du voyage… Serions-nous en train de redécouvrir l’hédonisme ? Pour aborder cette question, nous allons profiter d’orateurs émérites qui, par leurs connaissances et la diversité de leurs disciplines, vont nous éclairer. Qu’ils soient philosophes, sociologues, médecins, artistes ou encore militants, chacun nous invite à la redécouverte de cette notion, de ces petits moments de la vie faits de petites ou de grandes joies, de petits ou de grands bonheurs… Ce sera tout d’abord, Gérard GUIEZE, qui à partir d’une intervention intitulée «Cultiver notre sensibilité : jouir et se réjouir, les plaisirs de l’âme et du corps », nous invitera à découvrir 9 Introduction de la journée - Frédéric MORESTIN une cartographie du plaisir. Ensuite, il nous permettra de différencier le plaisir des notions de bonheur et de joie. Il nous conviera progressivement à explorer les liens étroits qu’entretient le plaisir avec le désir et la jouissance. Enfin, il nous invitera à nous ouvrir à la joie et à dilater notre être au monde. Cette conférence introductive devrait nous permettre d’aborder les autres intervenants de la journée qui, au fil de leurs présentations, approfondiront la réflexion. En effet, les sujets de discussions ne manqueront pas. Nous pourrons, grâce aux différents ateliers, nous interroger sur : • le rapport du plaisir à la consommation, • les rapports du plaisir au corps, au goût, à la sexualité, • la place du plaisir dans notre dynamique psychique, • la place du plaisir en fin de vie. Comme vous pouvez le voir dans ces quelques mots, le programme de cette journée est dense. J’espère que chacun d’entre vous pourra aujourd’hui profiter pleinement du temps qui lui est offert pour construire, grâce à la présence des différents intervenants, sa propre réflexion sur cette notion de « plaisir ». Il peut paraître facile de convier le plaisir, pour autant fait-il le bonheur ? Vaste question dans laquelle je ne m’aventurerai pas, préférant sûrement laisser le soin à chacun de trouver sa propre réponse. J’espère que cette journée vous permettra autant qu’à moi de réfléchir et de trouver un début de réponse à ce type d’interrogation. J’espère surtout que cette nouvelle édition des Rendez-vous l’Age sera l’occasion de retrouvailles, du plaisir à être ensemble… à écouter et à échanger, dans la joie et la bonne humeur. “Le plaisir est pour le corps, le bien pour l'âme. Plaisir et Bien coïncident rarement.” Léon Tolstoï 10 Conférence d’ouverture Cultiver notre sensibilité : jouir et se réjouir, les plaisirs de l’âme et du corps. Gérard GUIEZE Philosophe La notion de plaisir est une notion plus complexe qu’il n’y paraît. C’est pourquoi elle mérite un peu notre réflexion. Ainsi, le plaisir n’est pas nécessairement un DONNÉ, il est une EXIGENCE. Ainsi, il peut être l’objet d’un DÉSIR. Par exemple, on peut souhaiter éprouver un plaisir PUR qui ne soit pas mêlé à un souvenir ni à de simples conventions sociales (qui voudraient que, dans certaines circonstances, l’homme DOIVE éprouver du plaisir). Un tel plaisir authentique est assez rare. De plus, quand il est éprouvé, le plaisir est sans longue durée : il s’évapore toujours trop vite ; d’où notre recherche du BONHEUR ! Le bonheur serait un plaisir DURABLE, une joie qui demeure. C’est pour cette raison qu’il est difficile de se le représenter, parce qu’on a toujours tendance : soit à l’espérer dans le futur, soit à le regretter dans le passé. Il est souvent : soit un avant-goût du futur, soit un arrière-goût du passé. Pour exemple, la jeunesse paraît heureuse lorsqu’on est âgé. Elle n’est pas toujours saisie comme telle lorsqu’on est jeune ! En somme, le bonheur serait un plaisir CONTINU. Parce que le plaisir est trop souvent une intensité sans durée, trop instantanée. I – LA CLASSIFICATION DES PLAISIRS Selon toute une tradition philosophique, il y aurait des plaisirs préférables, car il y aurait de bons et de mauvais plaisirs. 11 Cultiver notre sensibilité : jouir et se réjouir, les plaisirs de l’âme et du corps. Gérard GUIEZE Il faut donc faire preuve, au sujet du plaisir, de tout un esprit de FINESSE. En fait, le plaisir est ÉQUIVOQUE : il lui faut tout un raffinement. Nous avons donc à CHOISIR parmi les plaisirs, car tous les plaisirs n’ont pas la même importance, ni la même valeur. Autrement dit, le problème du plaisir devient le problème suivant : « Quels plaisirs ? » En somme, ce n’est pas du tout le principe du plaisir qui est à mettre en question, mais le CHOIX des plaisirs. Mais alors, quels sont les principes possibles de choix ? Déjà, il est impossible de satisfaire TOUS les plaisirs et donc un choix s’impose nécessairement. Ce qui est complexe parce que notre NATURE dit facilement OUI à TOUT plaisir. Il y a un oui universel de la part de notre nature SENSIBLE. Par exemple, on pourrait aimer bien des femmes, mais ce serait peut-être n’en aimer aucune ! Pour aimer quelqu’un, il faut le CHOISIR. Aucun principe NATUREL ne peut donc décider quels plaisirs nous devons suivre ou refuser, tout simplement parce que ce n’est pas le plaisir qui se décrit lui-même comme juste ou injuste, bon ou mauvais pour nous, etc. Le premier critère peut être le TEMPS. Ainsi, on peut accueillir le plaisir qui nous offre la jouissance la plus immédiate, ou bien nous pouvons préférer un plaisir DURABLE à un plaisir BREF. Ainsi, je peux préférer à un plaisir qui se présente aujourd’hui, un plaisir meilleur demain. Exemple : je peux préférer la jouissance à la PRUDENCE, ou bien l’inverse : résister à une tentation présente pour me réjouir demain d’une perte de poids grâce à mon régime ! Ou bien crier que « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » et rejeter la prudence relationnelle. Un deuxième critère serait celui de la PLÉNITUDE, c’est-à-dire le plaisir qui permet le plus d’accroître notre ÊTRE, qui permet une réalisation de soi, qui peut consacrer un effort, une attente, une durée : voir ses enfants grandir, réaliser une œuvre, obtenir le résultat d’un engagement, etc. Ici, on s’approche davantage du BONHEUR, c’est-à-dire d’une JOIE DURABLE et pas seulement d’une jouissance passagère, d’un plaisir qui peut survivre à l’instant. Ici donc, la recherche du plaisir n’est pas le BUT ; le plaisir est une CONSÉQUENCE, une récompense. Ce qui nous apprend que l’homme heureux n’est pas nécessairement l’homme VOLUPTUEUX. Par exemple, nous pouvons contribuer au plaisir d’autrui, à sa joie. Cela peut nous faire plaisir ! Heureusement que nos actes sont parfois un peu récompensés ! 12 A cela, il y a toutefois une CONDITION : se maintenir soi-même comme SUJET. Il y a des limites au dévouement : il ne s’agit pas de s’abandonner à autrui ; il faut bien pouvoir se CONSERVER soimême, ne serait-ce que pour pouvoir agir ! L’altruisme est une notion très équivoque… Nous voyons qu’ici, le plaisir n’était pas nécessairement l’objet de l’intention, c’était l’action, la réalisation de soi, l’amour d’autrui. Mais le plaisir parachève, fait suite à l’intention première. Le critère suivant pourrait être la CONSCIENCE. Nous savons que le propre de la conscience, c’est de PRENDRE conscience (cf. Descartes). Pour exemple, vous savez tous qu’un imbécile heureux reste un imbécile. En effet, la conscience ACCENTUE le plaisir parce qu’elle l’ENGLOBE (ce qui est autre chose que de l’accompagner !). Les philosophes grecs utilisaient deux mots pour désigner la vie humaine : La BIOS, c’est-à-dire la vie du corps La ZOÊ, c’est-à-dire la vie spirituelle (propre à l’espèce humaine). Par suite, un être humain vit sur ces deux plans à la fois, et Le plaisir renvoie donc à tout un art de vivre, car on ne peut pas être heureux n’importe comment. Il faut une conscience lucide. donc il peut ÉPROUVER : - Les plaisirs du CORPS - Les plaisirs de l’ESPRIT, de l’ÂME. Et pour Platon (cf. le Philèbe), les plaisirs conscients, les plaisirs de l’esprit sont les plus PURS, les plus durables et donc ils peuvent ÉDIFIER le bonheur, parce qu’ils donnent lieu à une réalisation plus complète de l’homme que les plaisirs du corps (par exemple le plaisir esthétique et le plaisir de la connaissance). Pour les philosophes de l’Antiquité, le plaisir renvoie donc à tout un ART de VIVRE, car on ne peut pas être heureux n’importe comment. Il faut une conscience LUCIDE. Il faut une SAGESSE, un savoir-vivre. Et nous avons besoin d’apprendre à vivre… II – LA SAGESSE ET LE BONHEUR S’il fallait classer les plaisirs pour Platon, Aristote, mais aussi Épicure (341-240 avant J.C.), c’était en raison de la structure de nos DÉSIRS : -Le désir est intensité et donc toujours susceptible d’un débordement (cf. Platon, Rép. IV) Il est de l’ordre d’une puissance, pas d’une connaissance. Il est donc toujours porteur de sa DÉMESURE, et peut donc nous faire perdre toute maîtrise. - Le désir peut se fixer sur n’importe quel OBJET (y compris sur les objets du besoin), puisqu’il 13 Cultiver notre sensibilité : jouir et se réjouir, les plaisirs de l’âme et du corps. Gérard GUIEZE n’est pas relié à une connaissance. Il recherche sa satisfaction sans prendre en compte son objet. Il ne relève pas de la faculté de JUGER. On peut toujours désirer sans sagesse. Le désir est aveugle à tout jugement. Ainsi, par exemple, peut-il céder aux apparences. Le désir se rapporte à des biens multiples : - es biens extérieurs (pouvoir, richesse, honneurs), - les biens du corps (santé, habileté, beauté), - les biens de l’âme (intelligence, connaissance, courage). Or ces biens ne seront des biens que pour l’USAGE que nous en ferons. Il faut donc l’idée d’un Souverain Bien. Il faut donc apprendre à désirer… Par suite, le bonheur nécessite la sagesse (au sens d’un art de vivre). Il faut savoir S’ORIENTER vers ce qui est vraiment DÉSIRABLE et non se laisser aller à toute impulsion, à toute inclination. Car il y a des plaisirs nuisibles pour le bonheur : - les désirs immodérés, telle l’ambition par exemple, qui Le désir est intensité et donc toujours susceptible d’un débordement. peut nous perdre, - une belle aventure sans lendemain et malheureuse : une ferveur sans plénitude… Autrement dit, dans cette perspective : le plaisir n’englobe pas le bonheur. Par exemple, il y a un lendemain du plaisir : une maladie peut en résulter. Il y a des lendemains qui ne chantent pas ! Le plaisir est la Matière Première du Bonheur, mais il ne doit jamais être un simple DONNÉ, une inclination PASSIVE. Il doit bien être la promesse d’une JOUISSANCE et le rester. Alors, il exige : ACTION, DÉCISION, Exercice de notre faculté à JUGER. Il faut toute une CULTURE de soi (cf. les œuvres de Michel Foucault). La SAGESSE nous invite à inverser la CAUSALITÉ : - le bonheur nécessite et englobe le plaisir, - le plaisir n’englobe pas le bonheur. Parce que le plaisir est sans NORMES en lui-même. Il n’est jamais porteur d’une norme en lui-même ; c’est pourquoi la société sera normative pour orienter socialement le plaisir (cf. les travaux de Gilles Lipovetsky !). 14 Cela suppose que le bonheur soit ce qui est désirable en soi, pour lui-même. Un but qui n’a pas d’autre but. Il accède au rang d’une FIN EN SOI (cf. Aristote, EN). Pourquoi ? Parce qu’il apaise nos désirs en les satisfaisant et en les classant . Car ce qui rend le bonheur problématique, ce sont nos multiples désirs. En effet, un désir : c’est la conscience d’un MANQUE. Nous désirons sans cesse ce qui nous manque. Et alors nous ne désirons plus ce que nous avons. Par exemple, nous sommes indifférents à la santé quand nous sommes en bonne santé. Et quand nous ne désirons plus rien : nous nous ENNUYONS… C’est là tout ce qui fait que nous éprouvons souvent le bonheur comme une ABSENCE. Nous l’espérons sans cesse… D’où l’intérêt d’une CONVERSION de nos désirs, ce que toute philosophie a donc appelé la SAGESSE, qui consiste à apprendre à désirer ce que nous avons et vivons, c’est-àdire, à dire OUI à la vie. Ce qui définit le plaisir comme une PUISSANCE, une jouissance en ACTE, comme un désir quand il n’est pas un MANQUE mais une JOIE. Il est bien vrai par exemple que le bonheur surgit quand nous faisons l’expérience de ne manquer de rien. Par suite, le bonheur n’est pas un ÉTAT PASSIF, un état d’attente, mais un ACTE, un PLAISIR D’ÊTRE et D’AGIR, le plaisir d’être libéré du manque. Le bonheur est ici, de l’ordre du VOULOIR, c’est-à-dire de notre capacité à faire ce qui dépend de nous : vouloir un peu plus, espérer un peu moins. Un bonheur authentique est donc un bonheur lucide, volontaire (cf. le stoïcisme philosophique, Épictète – le Manuel en 130 après J.C.). Ce qui ne signifie nullement qu’il n’y a pas des conditions nécessaires au bonheur, mais si nous sommes INSENSÉS, ces conditions risquent de ne pas être suffisantes ! Prenons l’exemple de l’expression populaire : « Il a tout pour être heureux », mais il ne l’est pas ! C’est-à-dire que la personne n’est pas heureuse alors que les conditions extérieures sont bonnes ! Alors, nous voici conviés par nos auteurs à apprendre à désirer autre chose que ce qui nous manque : on peut désirer, on peut aimer ce que l’on fait. Nous devons apprendre à désirer ce qui peut dépendre de nous. Alors, on désire avec PLAISIR. Par exemple, on ne peut pas se contenter d’espérer la justice, la liberté, la paix : il faut AGIR pour elles. Le plaisir, il consiste à désirer ce dont on jouit, ce dont on peut jouir. Il y a des situations tragiques où le bonheur n’est pas paisible : celles où l’on est condamné à l’espérance. Ainsi en est-il lorsqu’on souffre : on espère alors moins souffrir ! 15 Cultiver notre sensibilité : jouir et se réjouir, les plaisirs de l’âme et du corps. Gérard GUIEZE Le bonheur relève de la puissance (possible) d’être, d’exister, d’agir, de jouir (cf. les gens blasés). Exemples : - Avoir faim : c’est manquer de nourriture (ce qui peut être un malheur). L’appétit : c’est pouvoir jouir de ce que l’on mange. - La dépression : elle surgit chez celui qui ne sait plus prendre plaisir à ce qui est, à ce qu’il est, à ce qu’il fait, parce qu’il est pathologiquement affecté. Il ne vit alors que dans le manque : il a perdu toute puissance d’être ou d’agir. Le bonheur fait donc état d’une joie. Il est un espace de temps où la joie est possible… Il a des conditions de possibilité : - extérieures, - intérieures, parce que nous ne pouvons pas seulement l’attendre du dehors. Sinon, nous sommes condamnés à l’espérance (le bonheur est différent du salut ; la sagesse est différente de la foi). Le bonheur est dans : - des conditions, - des dispositions. Tous les plaisirs ne sont pas compatibles avec le bonheur : certains conduisent à des manques, à des souffrances, à nous vouer à l’insatisfaction car ils sont limités. Ainsi n’a-t-on, par exemple, jamais assez d’argent, de pouvoir, de gloire. Il y a donc tout un ART DE JOUIR qui vise à rendre compatible le plaisir, le désir, le bonheur. Le bonheur n’est pas une simple CHANCE : il est philosophiquement lié à un art de vivre, de vouloir… Il a (aussi) pour conditions extérieures trois biens : la santé, la paix, ne pas être dans la misère. Exemple : L’expérience du malheur, là où la joie semble impossible car on a le sentiment que la journée qui commence sera dépourvue de toute joie parce que l’on est pauvre, malade, seul. Par contraste, le bonheur consiste dans ce sentiment que la joie est de l’ordre du POSSIBLE aujourd’hui, dans la semaine… Le bonheur relève donc aussi d’une CULTURE DE SOI, c’est-à-dire de la nécessité de se constituer comme SUJET pour éviter l’ERRANCE. C’est un SOUCI de soi qui relève d’une ÉDUCATION : à savoir se guérir de sa PASSIVITÉ. Nous devons, pour ces philosophes, parvenir à une culture du PLAISIR en apprenant à VIVRE. Par exemple, toute éducation reçue est certes décisive. Mais la vie aussi est formatrice : on 16 s’éduque soi-même en permanence par les épreuves que l’on traverse. Un échec peut être formateur. Pour être heureux : il faut ne pas désirer l’impossible, il faut ne pas renoncer au possible. Le bonheur atteste d’un accomplissement. En voici quelques exemples : Quand on vieillit, on sait distinguer de mieux en mieux les plaisirs authentiques et les faux plaisirs. Le bonheur nécessite bien une puissance d’agir ; il a besoin de militants qui ne feront pas le bonheur des hommes, mais qui pourront le rendre possible. Dans la vie humaine, le tragique, c’est une situation qui se perpétue (une oppression) parce que cela désespère les hommes. Alors que l’homme est un être inachevé qui a toujours plus de ressources qu’il n’en réalise : personne n’est entièrement tout ce qu’il peut être ! Le bonheur exige bien d’être délivré d’un sentiment d’impuissance. III – JOUIR ET SE RÉJOUIR Une philosophie du bonheur peut être une philosophie du plaisir. C’est là l’idée du bonheur PAR le plaisir ; mais le plaisir comme jouissance. Quelle jouissance ? La jouissance est toujours, quand elle est authentique, la jouissance d’une PRÉSENCE. On jouit toujours de quelque chose ou de quelqu’un. On peut jouir, se réjouir de l’existence de quelqu’un ! Ici, le bonheur fait état d’une joie : d’une présence au monde, à autrui, à soi-même. Or, la jouissance n’a pas à être limitée : elle peut RAVIR. Nous devons condamner (refuser) toute condamnation morale de son excès. Et l’obstacle à la jouissance, ce sont les passions tristes, c’est-à-dire celles dont nous pouvons devenir prisonniers (cf. Spinoza, Nietzsche). Par exemple, il y a des souffrances qui sont dues à un aveuglement sur le plaisir (les addictions, les frustrations qui surgissent d’une abondance qu’on ne peut plus satisfaire). L’obstacle à la jouissance, c’est le pessimisme facile, le fatalisme, c’est-à-dire tout ce qui valorise l’impuissance, au point même parfois de faire du renoncement une VERTU ! (cf. Nietzsche) Ainsi, nous devons assumer les intermittences du plaisir : il ne peut être que temporaire et c’est justement pour cette raison qu’il faut dire OUI à la présence d’un paysage, d’une personne (d’un lien), d’un plaisir, c’est-à-dire OUI à la jouissance. Certes, elle doit intégrer le VERTIGE qu’elle n’est jamais ACQUISE : nos désirs peuvent se trouver 17 Cultiver notre sensibilité : jouir et se réjouir, les plaisirs de l’âme et du corps. Gérard GUIEZE en échec et il faut bien survivre à ces situations… Cf. la JOIE : elle désigne bien un état de la sensibilité mais qui présente un caractère TOTAL, parce que la joie s’étend à toute la conscience. Elle n’est pas un état isolé comme un simple bien-être ou un simple plaisir. C’est une excitation à la fois physique et mentale, car c’est la jouissance d’un passage à une plus grande puissance vitale. La joie est une DILATATION de notre être. Une dilatation de notre sensibilité et de notre présence au monde. Elle permet d’éviter le REPLI sur soi et permet d’approfondir le sensible, l’intime : nous nous dilatons dans la joie, alors que la tristesse nous resserre. La tristesse, elle, nous CONTRACTE. La joie, elle, veut toujours éclater, elle est fraternelle. Plaisir qui non seulement se prend, mais cherche à se PARTAGER, à S’ÉLARGIR. Exemple : L’art fait aussi cela, il nous fait découvrir dans les choses plus de nuances que nous n’en apercevons naturellement. La joie est alors une dilatation hospitalière, elle est accueillante et SPACIEUSE. C’est sans doute le meilleur des fortifiants ! La joie est encore l’expression d’une conformité, d’une adéquation entre notre ÉTAT et ce qui nous arrive. Et cet état est un état de pleine conscience. Alors la jouissance devient ré-jouissance car elle est aussi spirituelle. Elle existe sans attendre le bonheur. C’est le plaisir EN ACTE d’exister plus et mieux grâce à : - un sentiment d’INTENSITÉ qui fait rupture avec un sentiment de banalité de la vie que l’on mène, - la joie suspend ce qui est problématique. Ainsi, nos problèmes ne sont pas résolus, mais ils ne se posent plus… - la suspension du MANQUE : tout d’un coup, nous ne désirons rien d’autre que ce qui est présent. Il n’y a rien que le pur plaisir, la jouissance, la sensualité, la volupté, le plaisir de la chair, la contemplation d’une œuvre. Il n’y a plus que l’ÊTRE. - le moi ne fait plus semblant : il ne joue plus sa comédie humaine. Il est absorbé par cet accomplissement. Exemples : Vous faites l’amour : il n’y a plus que l’amour et son désir. Vous agissez : il n’y a plus que cette action. Il y a UNITÉ entre le Sujet et le Monde, entre le Corps et l’Esprit. Ce qui se donne encore dans la joie, c’est l’expérience d’un présent qui dure. Le présent est là, et il continue…Il y a là toute une SÉRÉNITÉ : nous habitons le présent au lieu d’être livré à la crainte ou au seul espoir, c’est-à-dire au souci. Nous sommes alors un peu affranchis de nous-mêmes, de nos rôles, de notre personnage, de nos frustrations, de nos habitudes. 18 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Finalement, la joie est à la fois une sensation et une expérimentation. Le plaisir n’est pas une simple sensation, mais l’expérience de plusieurs, de plaisirs multiples : car il y a le plaisir sensible, amoureux, esthétique, partagé… Le plaisir rend donc possible plusieurs accomplissements parce qu’il rend la vie à sa vitalité. BIBLIOGRAPHIE Pour bien commencer ALAIN – Propos sur le bonheur COMTE-SPONVILLE – Le bonheur, désespérément ; La plus belle histoire du bonheur PÉNA-PUIZ – Leçons sur le bonheur Pour approfondir PLATON – Philèbe ARISTOTE – Éthique à Nicomaque ÉPICURE – Lettre à Ménécée ÉPICTÈTE – Manuel SÉNÈQUE – La vie heureuse MÉHEUT – Penser le bonheur CHRÉTIEN – La joie spacieuse “Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir. Souvenez-vous que, dans la vie, sans un peu de travail on n'a point de plaisir.” Jean-Pierre Florian 19 “La jeune génération est très inférieure à la nôtre… Tout de même, si je pouvais en faire partie… Georges Feydeau 20 ATELIER 1 De la quête du plaisir Hédonisme et bonheur dans la société Gilles LIPOVETSKY Philosophe, sociologue Réfléchir sur le plaisir aujourd’hui implique de réfléchir sur la consommation, sur sa place dans la vie quotidienne, ses fonctions, sa signification, tant l’univers consumériste marchand est devenu un vecteur primordial des plaisirs. Il est largement admis que nous sommes dans des sociétés de consommation. Pourtant la société qui est la nôtre n’est plus celle des « Trente Glorieuses ». Je voudrais précisément essayer de montrer ce qui a changé dans l’univers de la consommation, dans ce que l’on appelle communément la « société de consommation ». Nous sommes entrés en effet dans une nouvelle phase de l’histoire de la consommation moderne : la société d’hyperconsommation, troisième moment du capitalisme de consommation. Et je voudrais m’attacher à « planter le décor » général, à présenter très sommairement quelques traits qui ont changé en profondeur l’univers de la consommation et de ses plaisirs avant de considérer ce qui en résulte sur la question du bonheur. Le nouvel âge consumériste n’est évidemment pas né ex nihilo. Pour que naisse le consommateur moderne, il a d’abord fallu arracher les individus aux normes particularistes et locales, déculpabiliser l’envie de dépenser, dévaloriser la morale de l’épargne, déprécier les productions domestiques au profit des biens marchands. Autrement dit, inculquer de nouveaux modes de vie en liquidant les habitudes sociales qui résistaient à la consommation marchande. C’est en se débarrassant des comportements traditionnels, en ruinant les normes puritaines que s’est construite la consommation de masse. Le crédit, les grands magasins, la publicité, tout cela a entraîné le développement d’une nouvelle psychologie, d’une nouvelle morale hédoniste. Ce moment inaugural est désormais dépassé. Il n’y a plus en effet de normes et de mentalités qui s’opposent fondamentalement au déferlement des besoins marchands. Toutes les inhibitions traditionalistes, tous les remparts archaïques ont été liquidés. Il ne reste plus que la légitimité consumériste, les incitations aux jouissances de l’instant, les hymnes au bonheur et à la conservation de soi. Le premier grand 21 ATELIER 1 Hédonisme et bonheur dans la société Gilles LIPOVETSKY cycle de rationalisation et de modernisation est terminé. Plus aucune norme traditionnelle n’est à abolir, tout le monde est déjà formé, socialisé, nourri à la consommation illimitée. L’ère de l’hyperconsommation commence quand les anciennes résistances culturelles sont tombées, quand disparaissent les freins culturels au goût des nouveautés et à la commercialisation des besoins. Depuis le fond des âges, les comportements de consommation ont été encadrés par des habitudes, des normes, des pratiques de classe. Ceci a changé. Nous sommes en effet à l’heure de la déstructuration des modèles culturels de classe entraînant une plus grande latitude des individus vis-à-vis des normes et des habitudes communautaires. De même que l’hypercapitalisme déréglementé et globalisé est devenu, comme le dit Edward Luttwak, un « turbocapitalisme », de même voit-on monter ce que j’appelle un « turbo -consommateur », c'est-à-dire un consommateur affranchi du poids des ethos, des règles, des traditions de classe. Ne reste que l’individu face au marché, les anciennes formes d’appartenances sociétales ayant été liquéfiées. De là, le profil de ce consommateur nouveau style, décrit si souvent comme erratique, nomade, volatile, imprévisible, fragmenté, dérégulé. Parce qu’il est de plus en plus affranchi des contrôles collectifs à l’ancienne, l’hyperconsommateur s’impose comme un acheteur zappeur et dé-coordonné. C’est sur ce fond que le néo-acheteur est devenu un consommateur de marques et non plus de produits. Hyperconsommation qui n’est autre qu’un hyperindividualisme consommatoire sous-tendu notamment par le pluri-équipement des ménages, lequel substitue un mode de consommation de plus en plus centré sur l’équipement des individus en lieu et place d’une logique de consommation fondée sur l’équipement du foyer. La société de consommation de masse a, bien sûr, favorisé l’individualisation des comportements mais la société d’hyperconsommation, elle, agence une véritable escalade individualiste, un hyper-individualisme, le multi-équipement des foyers permettant des activités désynchronisées, des pratiques de consommation individualisées, des usages personnalisés de l’espace, du temps et des objets. Les bouleversements vont bien au-delà. Pour rendre compte de la dynamique de la consommation et des besoins, nombre de théoriciens ont privilégié le modèle de Veblen, c'està-dire celui des compétitions symboliques, de la dépense honorifique ou statutaire. Cette problématique affirme qu’on ne consomme pas les choses pour elles-mêmes ou leur valeur d’usage, mais pour gagner l’estime sociale, briller, être admiré, reconnu dans un groupe ou se distinguer des groupes inférieurs. C’est le schéma développé par Bourdieu, centré sur l’impératif de distinction sociale et les luttes pour le rang et le prestige. Force est d’observer pourtant que ce modèle est de moins en moins pertinent à mesure 22 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 que les objets de consommation se banalisent et se diffusent dans tout le corps social : le plus grand nombre d’achats n’est plus effectué aujourd’hui pour afficher une position économicosociale mais en vue de plaisirs privés, hédonistiques ou ludiques, esthétiques ou communicationnels. En un mot expérientiels. Nous voulons des objets « à vivre » beaucoup plus que des objets pour la montre et pour nous différencier socialement. La consommation intimisée l’emporte sur la consommation ostentatoire. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que le souci de l’autre ait disparu : en témoigne en particulier les “fashion victims”, la consommation des « nouveaux riches » ou celle, très conformiste, des adolescents. Si le mode d’achat ostentatoire demeure, il est de fait, de plus en plus concurrencé par tout un ensemble de motivations qui ne relèvent pas de cette logique et du culte du standing. L’époque de l’hyperconsommation coïncide avec le triomphe d’une consommation plus émotionnelle que statutaire, plus ludique que prestigieuse. Tel est l’hyperindividualisme consommatoire: moins de distinctif mais plus de recherches sensitives, distractives ou expérientielles. Et lorsqu’elle est au premier plan, la L’époque de l’hyperconsommation coïncide avec le triomphe d’une consommation plus émotionnelle que statutaire, plus ludique que prestigieuse. distinction est plus individuelle que de classe ou de rang social : c’est le Soi singulier que l’on s’emploie à mettre en scène, plus qu’un niveau de richesse. Désormais, la consommation fonctionne comme un doping : elle est une expérience banale mais qui permet néanmoins de lézarder d’une certaine manière la routine des jours en intensifiant le présent. Sur ce plan, l’hyperconsommation doit être vue moins comme une puissance d’aliénation, que comme une puissance d’animation de soi : c’est précisément ce qui explique sa puissance émotionnelle croissante sur les individus. Il faut interpréter la passion consommative comme une manière plus ou moins réussie de conjurer la fossilisation du quotidien. A travers l’achat d’objets ou de divertissements nouveaux, le consommateur exprime le refus de la chosification du soi et du routinier, le désir d’intensifier et de ré-intensifier son présent vécu. C’est peut-être là le désir fondamental de l’hyper-consommateur, à savoir rajeunir son expérience du temps, la revivifier par des nouveautés, qui sont comme des semblants d’aventures. On peut dès lors penser l’hyperconsommation comme une cure de jouvence émotionnelle, indéfiniment recommencée. La culture hédoniste a fait son œuvre : l ’hyper-consommateur, ce n’est plus l’obsédé du standing, c’est celui qui veut sans cesse rajeunir son vécu, qui refuse les temps morts, qui veut toujours connaître de nouvelles émotions, de nouveaux plaisirs, à travers les nouveautés marchandes. Animation de soi qui est aussi une espèce de thérapie destinée à pallier nos déceptions et diverses frustrations intimes ou professionnelles. Je ne me sens pas très bien, donc je consomme : la frénésie hypermoderne des achats ne peut être détachée de la spirale de la malvie individualiste et de la volonté de compenser tout ce que nous n’aimons pas dans notre 23 ATELIER 1 Hédonisme et bonheur dans la société Gilles LIPOVETSKY existence quotidienne. Certains sociologues ont parlé, au sujet de la nouvelle société consumériste, de l’avènement d’une culture néo-dionysiaque célébrant le seul souci du présent et les désirs de jouissance ici et maintenant. Nos sociétés verraient ainsi se recomposer ce que depuis Horace on appelle le Carpe diem, c'est-à-dire l’idéal de vivre au jour le jour en goûtant tous les plaisirs, de profiter à plein de tous les moments. Est ce aussi sûr ? C’est là, je pense, une vision beaucoup trop unidimensionnelle de l’époque contemporaine. En réalité, c’est moins un Carpe diem qui domine l’esprit du temps, que l’inquiétude face à un avenir frappé d’incertitude, de risques professionnels et sanitaires. Désormais l’individualisme consommatoire ne peut plus se penser en dehors de l’obsession de la santé et de la longévité ; les dépenses médicales, les examens, les consultations, tout cela connaît une hausse exponentielle. L’époque est à la prévention par tout un ensemble de pratiques sportives, alimentaires, hygiéniques. Même les conversations quotidiennes sont de plus en plus envahies par la thématique de la santé, de l’alimentation saine, de la forme. C’est moins la jouissance, comme dans les années 60 ou 70 qui est le maître-mot que la santé, la longévité, la prévention, l’équilibre. La conséquence en est que, peu à peu, le référentiel de la santé colonise toutes les sphères de l’offre marchande : les loisirs, le sport, l’habitat, le logement, la cosmétique, l’alimentation, tous ces domaines sont peu ou prou envahis, redéfinis par le souci sanitaire ; de plus en plus de produits sont vendus comme des hybrides de bien-être et de santé. La médicalisation de la consommation et des modes de vie est devenue une des grandes tendances de la société d’hyperconsommation. Ce qui à nouveau montre les insuffisances du modèle de la compétition symbolique appliqué à la consommation hypermoderne. On ne peut évidemment pas rendre compte du processus de médicalisation de la vie, de l’obsession de la santé en termes de lutte symbolique et de recherche distinctive de classe. Du coup, la valorisation contemporaine des plaisirs immédiats, de l’évasion, des jouissances sensualistes se conjugue avec l’affirmation d’une culture sanitaire et préventive, c'est-à-dire une culture anxieuse aux antipodes du dionysiaque. Si nos valeurs sont hédonistes, notre société n’est ni dionysiaque, ni livrée aux délices démultipliées du carpe diem. L’âge de l’hyperconsommation est aussi celui qui voit se constituer une nouvelle culture du bien-être et du confort.Tout se passe comme si le type de confort, qui s’est mis en place dans les années 50 à travers le réfrigérateur, la voiture, la télévision, ne suffisait plus. On ne veut plus seulement une maison pour dormir et être protégé des intempéries : on veut se sentir bien chez soi. On assiste à une véritable passion pour la décoration du chez soi, comme le montre le succès des magazines d’aménagement des intérieurs et des jardins. Les gens consacrent de plus en plus de temps, d’argent et d’amour à l’embellissement de leur maison pour vivre dans un environnement accueillant, chaleureux et harmonieux. Le bien-être moderne était technicien, 24 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 quantitatif, fonctionnel, hygiéniste ; le bien-être hypermoderne est qualitatif, sensoriel et émotionnel, esthétisé et individualisé. Mais la culture du bien-être sensitif ne se limite pas à l’habitat et aux objets : elle a gagné le rapport au corps. Cela se voit d’abord dans la sphère “hygiène, soin et beauté”. Auparavant, faire sa toilette se ramenait à une activité destinée à la propreté du corps. Désormais, l’hyperconsommateur investit la salle de bains comme un « espace de détente », une « pièce à vivre » pour se relaxer, se détendre, se sentir bien, d’où la multiplication des gels douche parfumés, bains moussants, huiles essentielles, mais aussi décors de thermes romains, mobilier zen, éléments décoratifs… On ne vend plus de la propreté corporelle, mais du bien-être global, polysensoriel, olfactif, tactile et esthétique. Essor du bien-être sensitif qui se lit encore dans la multiplication des activités liées à la forme, à l’entretien de soi et au training : gymnastiques douces et aquatiques, cardio-fitness, yoga, tout cela est destiné à nous détendre, à chasser le stress, à nous sentir mieux. A quoi s’ajoute le succès des thalassothérapies, massages, saunas, hammams, bains californiens. Et aussi, le formidable développement des sports de glisse tournés vers le plaisir sensitif, les sensations corporelles, les émotions liées au contact de la nature. Avec la société d’hyperconsommation s’impose la culture du bien-être sensitif et du senti subjectif. Intimisation, autonomisation, prévention, sensualisation : cela ne signifie pas pour autant le meilleur des mondes consommatoires possible. D’un côté, l’hyperconsommateur se montre réflexif, il s’informe et compare, il a de plus en plus des comportements de prévention. Il privilégie la qualité et la santé. Mais d’un autre côté, on observe une foule de phénomènes, synonymes d’excès, de dérégulation pathologique, de « dé-contrôle » de soi. Les exemples ne manquent pas : “fashion victims”, achats compulsifs, toxicomanies, pratiques addictives en tous genres. L’anarchie des comportements alimentaires, les boulimies et obésités en sont des expressions bien connues. De bons observateurs ont parlé de l’avènement d’un « consommateur entrepreneur », d’un consommateur « expert ». Ce n’est que la moitié de la vérité. C’est autant un consommateur déstructuré ou anomique qu’un consommateur expert qui s’annonce. Le relâchement des contrôles collectifs, les normes hédonistes, le surchoix, l’éducation libérale qui accompagne le consumérisme, tout cela a contribué à agencer un individu détaché des fins communes et qui se montre souvent incapable de résister aux sollicitations du dehors comme aux impulsions du dedans. C’est pourquoi on est témoin de tout un ensemble de comportements d’excès, de consommations pathologiques et compulsives. D’un côté on voit se développer un consommateur ordonné, de l’autre un consommateur chaotique exprimant le dérèglement de soi et l’impuissance subjective. A travers cette brève analyse on peut commencer à entrevoir la profonde mutation de la 25 ATELIER 1 Hédonisme et bonheur dans la société Gilles LIPOVETSKY civilisation consumériste. Les motivations des consommateurs sont devenues plus individualistes . Leurs comportements sont plus imprévisibles et chaotiques. Les marques ont acquis un pouvoir symbolique nouveau pour le plus grand nombre. Il y a plus d’autonomie du consommateur et en même temps plus de puissance du marché et des marques dans les décisions d’achat. Plus d’achats hédonistiques et en même temps plus de réflexivité, de désir d’informations, de recherches comparatives en matière de prix. Plus de sensorialité mais aussi toujours plus de vitesse, d’immédiateté, d’échanges numérisés. Fièvre du “low cost” et dans le même temps, culte des marques de luxe. L’âge de l’hyperconsommateur-caméléon, paradoxal, à géométrie variable, a commencé sa carrière historique. La société hédoniste d’hyperconsommation est celle du « bonheur paradoxal ». On vit de plus en plus vieux et en meilleure forme, la vie privée (sexualité, mariage, natalité) est libre, les satisfactions marchandes sont innombrables. Pourtant on n’a pas le sentiment que le niveau de bonheur progresse. Les individus sont moroses et plus d’1 personne sur 2 se déclare insatisfaite de sa vie sexuelle. Nous consommons trois fois plus d’énergie que dans les années 1960, mais nul ne peut soutenir que nous sommes trois fois plus heureux. Plus se multiplient les jouissances privées et plus s’affirment les frustrations de la vie intime, les anxiétés et dépressions, les déceptions affectives et professionnelles. Les insatisfactions vis-à-vis de soi progressent proportionnellement aux plaisirs procurés par le marché. Mais ce n’est pas la consommation qui doit être tenue pour le grand responsable du mal -être contemporain. Ce sont bien davantage les défis de la pauvreté dans la société d’abondance, en même temps que les difficultés croissantes de la vie professionnelle, de la vie intime, du rapport à l’autre. Ce ne sont pas les rapports aux choses qui nous font le plus souffrir, mais le rapport à soi et aux autres. La société d’hyperconsommation est ainsi capable de démultiplier l’offre et la demande de plaisirs mais elle se montre incapable de créer la joie de vivre et de nous rapprocher du bonheur. “Le luxe n'est pas un plaisir, mais le plaisir est un luxe.” Francis Picabia 26 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 1 De la quête du plaisir Synthèse Dominique Schauss Gilles Lipovetsky tente d’élucider la question de ce qu’il nomme le “bonheur paradoxal “! Difficile de faire tenir cette question dans une heure et demie, débat compris, alors que plus de 300 pages y suffisent à peine... Difficile d’y répondre tant le paradoxe est tenace, le besoin de consommer est toujours plus intense, alors que l’offre s’individualise au plus près de nos besoins... A-t-on une meilleure vie pour autant ? L’hyperconsommation paraît triomphante, pour autant le bonheur est-il plus accessible ? Alors que les signes de mal-être ne cessent de s’afficher pour une partie croissante de nos congénères. Gilles Lipovetsky nous incite à nous écarter d’une vision manichéenne... Ce n’est pas l’enfer, ni le paradis, on se trouve sur une ligne de crête ! Et quel plaisir échappe à l’univers marchand ? L’amour peut-être ? Gilles Lipovetsky nous décrit un monde d’hyperconsommation qui est passé d’une consommation de masse à la fin des années cinquante, pourvoyeuse d’indépendance, à une hyperconsommation hédoniste, aujourd’hui le corollaire d’un hyper individualisme. Dans quelle mesure cette société consumériste nous éloigne-t-elle ou nous rapproche-telle du bonheur ? La consommation s’est individualisée La consommation de masse qui caractérise les trente glorieuses s’est avant tout construite sur un mode familial. Chaque équipement est en nombre unique dans le ménage, la télévision, le téléphone, la voiture. Les plaisirs procurés par ces biens sont liés à un espace-temps homogène. La consommation actuelle consacre au contraire un hyper individualisme, chacun suit son propre rythme et consomme ses propres biens et services. Téléphones portables, télévisions, 27 ATELIER 1 Synthèse Dominique Schauss véhicules sont de plus en plus la possession de chacun de façon individualisée. Alors que la consommation des années 50 renvoyait à une culture de classe, réservant certains produits aux riches, d’autres aux pauvres, bien au-delà du simple pouvoir d’achat, créant par làmême une forme de conformisme consumériste, l’hyperconsommation fait éclater la norme. Le luxe, les marques, sont autant désirés par les riches que par les pauvres. Les achats sont moins marqués par une appartenance sociale que par un zapping de circonstance. On assiste à une fragmentation des modèles, même si subsistent les inégalités par l’argent. Comment expliquer la course à la consommation ? Qu’est-ce qui nous fait courir ? On ne croit plus au sacrifice, ni à l’au-delà. Les encadrements sociaux ont perdu du terrain. Le plaisir social de parader, de se montrer comme affilié à un groupe est un des ressorts de la consommation. Le passage de la valeur d’usage à la quête de plaisirs symboliques obéit à une logique du statut, du prestige. La consommation serait une recherche de satisfactions privées, dans un registre émotionnel et individualiste. Le plaisir de la consommation participerait à une mise en mouvement de l’imaginaire, quelque chose de nouveau dans notre quotidien qui permet d’intensifier le présent. Ce phénomène permet de rajeunir perpétuellement son expérience du temps, de revivifier le présent par quelque chose de nouveau. La culpabilité de ne pas jouir des instants de la vie ajoute un ressort supplémentaire comme le phénix qui toujours renaît de ses cendres. La nouveauté permanente est un ingrédient du plaisir (Freud) Et quand on ne va pas bien, la consommation devient une thérapie du quotidien avec le shopping, le tourisme, les voyages. Quels sont les effets de l’hyperconsommation sur le bonheur ? Nous vivons dans une situation paradoxale. On vit de plus de plus en plus vieux. La vie sexuelle est de plus en plus libre, les unions, désunions sont de plus en plus libres, les naissances sont choisies... et pour autant, la morosité n’a jamais été aussi ressentie, la dépression des moins de 30 ans a été multiplié par sept en une dizaine d’années. Le sexe est partout, mais la misère sexuelle est répandue. L’hédonisme dans la consommation des loisirs est omnipotent, mais les inquiétudes grandissent. On consomme trois fois plus d’énergie que dans les années 60... Est-on plus heureux ? ;Non ! Comment expliquer ce bonheur paradoxal ? A peine un besoin est-il satisfait qu’un autre apparaît. C’est comme un mécanisme implacable, un 28 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 supplice faisant que les plaisirs s’éloignent à mesure qu’on s’en approche. Le plaisir est-il lié aux superlatifs ? Le plus beau, le plus cher, le plus rare ? Y a-t-il des modèles de rechange ? Le bonheur intérieur, la quête de la sagesse, le bouddhisme... le retour sur soi-même. Et si pour être heureux, il suffisait de se détacher des choses matérielles, se changer soi-même. Mais n’est-ce pas de la pensée magique ? Nous ne sommes pas maîtres du bonheur. L’homme ne peut se satisfaire tout seul, le bonheur est inséparable des autres. Mon bonheur dépend des autres, il est tributaire de l’autre, je ne le domine pas. On ne peut pas être heureux tout seul. Le bonheur vient quand il veut, et non quand je le veux. Le bonheur est un état d’esprit. On voit la montée techno-scientifique du monde et le pouvoir sur la joie de vivre fait du sur place. L’homme ne peut se satisfaire tout seul, le bonheur est inséparable des autres. Mon bonheur dépend des autres, il est tributaire de l’autre, je ne le domine pas. On constate un recul de la mortalité, des tyrannies, de la misère, mais pas une montée de la joie de vivre. La qualité de vie augmente mais la qualité subjective fait du sur place. L’homme a plus de pouvoir sur l’action de faire et de produire que sur le bonheur de son prochain. Mais on peut aussi dire que les pays les plus pauvres sont aussi les plus malheureux et que les plus riches sont plutôt plus heureux. Si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue, à la nuance près qu’il n’y a pas un indice du bonheur parallèle à l’indice de richesse. La course permanente au bien-être n’est pas la satisfaction du bien-être. Faut-il diaboliser le consumérisme ? L’intelligentsia se plaît à dénoncer la consommation, mais il ne faut pas assimiler la légèreté et l’éphémère à des besoins inférieurs, ces plaisirs donnent des satisfactions. Ce n’est pas l’éloge de la superficialité, car l’homme n’est pas « un ». Il faut admettre des contradictions en contre partie de la construction de soi. Pascal prônait de n’exclure ni la profondeur ni la superficialité. La philosophie du bonheur est nécessairement pluraliste, la légitimité du quotidien invite à exclure une philosophie radicale, mais à rééquilibrer sans tout rejeter. S’il ne faut pas diaboliser les plaisirs légers ou faciles, et ne pas condamner la consommation en bloc, on peut refuser sa croissance excessive. L’homme n’est pas un acheteur seulement, mais un être qui pense, qui progresse et qui donne du plaisir, même si la consommation envahit trop d’espace de la vie humaine. 29 ATELIER 1 Synthèse Dominique Schauss Il faut se garder d’un moralisme excessif. Pour lutter contre les excès des passions consuméristes il faut inventer d’autres passions. Des tâches, des objectifs, capables de mobiliser les hommes sur d’autres paradis que la seule consommation. S’invitent alors, le travail, le sport, l’engagement public, l’autre... Il faut inventer d’autres modes d’éduquer pour résister et relativiser la consommation, construire une écologie de l’esprit et de l’existence. On peut tout refuser en bloc, mais où cela conduit-il ? Quel modèle alternatif de rechange ? Gilles Lipovetsky ne croit pas à une nouvelle morale qui exclurait la consommation du champ social, et comment cela se peut-il ? Quel modèle économique en découle ? Mais où est la dimension politique, n’a-t-on pas un besoin vital de figures identitaires, de grands horizons face à l’éphémère ? Gilles Lipovetsky ne prône pas une autre organisation sociale, s’il décrit avec une grande justesse des phénomènes collectifs, il renvoie pour l’essentiel le contrepoids de l’hyperconsommation à une morale individuelle et recommande de revoir le système éducatif, car c’est à la prime enfance que tout se joue et tout au long de l’apprentissage, il faut motiver, donner à voir d’autres choses que l’univers de la consommation par un système éducatif qui ne doit pas surévaluer l’écoute, il faut réhabiliter une nouvelle forme de discipline, non pas une discipline à l’ancienne basée sur l’autoritarisme, mais une discipline qui amène à reprendre en main sa propre vie, et qui ne soit pas celle du “shopping center”. Il faut réapprendre à apprendre. L’éducation doit préparer l’individu à son avenir. Dans le même temps, il nous invite à ne pas sombrer dans un excès de pessimisme. Le plaisir est légitime, l’hédonisme est critiqué depuis le XIX° siècle et passe pour une forme d’égocentrisme par rapport à la vie en société. Cependant, il y a 12 millions de bénévoles en France, c’est beaucoup plus que dans les années 60. Certes les passions individuelles se développent, mais le plaisir de faire pour les autres et avec les autres aussi. Le plaisir et le besoin de faire la fête ensemble n’ont jamais été aussi plébiscités, le besoin de sociabilité, la recherche de l’ambiance, sont de plus en plus présents. Par ailleurs, le besoin de consumérisme a recentré les gens sur le présent. Cela a eu un effet sur le destin des équilibres socio-politiques, cela a probablement contribué à éroder les grandes utopies qui ont fait rêver, mais également les rêves nationalistes qui ont généré de grandes catastrophes et plusieurs guerres... Les massacres du Cambodge, de Staline à Hitler, tout cela laisse G. Lipovetsky sceptique sur les grandes espérances. Evidemment l’hyperconsommation n’apporte pas la paix; la délinquance, le terrorisme sont là pour nous le rappeler, mais cela n’est en aucun cas à l’échelle des grands conflits mondiaux et des guerres de nationalisme au début du siècle. 30 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Il ne faut pas éluder l’évolution de la société qui sera de plus en plus chaotique, les avancées pacifient d’un côté et engendrent de l’autre d’autres formes de violence. Gilles Lipovetsky nous invite à la vigilance notamment sur les rapports entre hédonisme et culture. Car tout est spectacle, notamment par la télévision ; or, la vie de l’esprit n’est pas cela. Il ne faut pas que la culture évolue vers une forme seulement consumériste. Des signes encourageants nous sont donnés, car la publication d’ouvrages et la production de films n’ont jamais été aussi nombreuses. La vigilance est rappelée par le public ! Le sport, le travail : l’humanité a déjà donné ! N’a-t-on pas entendu d’un responsable d’une grande chaîne de télévision (TF1) que la télévision devait contribuer à la fabrication de temps de cerveau disponible pour la consommation ? Comment rétablir l’équilibre entre ce qui empêche le citoyen d’exercer son libre arbitre et une nouvelle morale politique ? Quelle voie ? s’interroge G. Lipovetsky. Un mode de vie à l’ancienne ? Non. Et le consumérisme en est à ses débuts, la planète entière va accéder à ce cycle. Mais quels sont les contre-modèles ? La simplicité volontaire ? Il n’y croit pas. On peut dire que tout cela est manipulé, mais Gilles Lipovetsky ne croit pas à une attaque frontale, il conclut sur une posture spinoziste. Une passion ne peut être réduite que par une autre passion. L’espérance amoureuse reste le plus grand élément de la vie... et le plus profond des malheurs. On ne retiendra que la première partie de la proposition (ndlr). On ne saurait retenir le chat quand il a goûté à la crème. 31 “Le bonheur date de la plus haute Antiquité. Il est quand même tout neuf car il a peu servi.” Vialatte 32 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 2 De la construction du plaisir Plaisir et fin de vie Dr Régis AUBRY Médecin responsable du département douleur soins palliatifs au CHU de Besançon Car tous les actes visent à écarter de nous la souffrance et la peur. Lorsqu'une fois nous y sommes parvenus, la tempête de l'âme s'apaise, l'être vivant n'ayant plus besoin de s'acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni de chercher autre chose pour parfaire le bien de l'âme et celui du corps. C'est alors en effet que nous éprouvons le besoin du plaisir quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; mais quand nous ne souffrons pas, nous n'éprouvons plus le besoin du plaisir. …Conçois-tu maintenant que quelqu'un puisse être supérieur au sage, qui a sur les dieux des opinions pieuses, qui est toujours sans crainte à la pensée de la mort, qui est arrivé à comprendre quel est le but de la nature, qui sait pertinemment que le souverain bien est à notre portée et facile à se procurer et que le mal extrême, ou bien ne dure pas longtemps, ou bien ne nous cause qu'une peine légère. Épicure Préambule : l’homme, la vie, la fin de vie, le plaisir Etre capable de se poser ce type de question est d’ailleurs bien le propre de l’homme. L’homme est l’être vivant qui a une conscience. Comme tout animal il éprouve des émotions. Il est capable de les transformer sous forme de sentiments, de les mémoriser et les relier pour enrichir aussi bien le plaisir que la peine; cette mémorisation et ce lien lui permettant de construire, de créer, d’inventer, mais aussi de détruire… Nous ne nous arrêterons pas à une définition biologique, biochimique, hormonale et physiologique ou génétique de la vie. Ne devons nous pas considérer la vie précisément comme la capacité de l’homme à éprouver du plaisir ? Autrement dit, le plaisir n’est-il pas le moteur de la vie ? 33 ATELIER 2 De la construction du plaisir - Plaisir et fin de vie Dr Régis AUBRY Certaines vies qui ne sont que souffrance sont plus proches de la mort que de la vie. Entendons par souffrance tout ce qui sépare l’homme de l’autre, son congénère : souffrances physiques, souffrances morales et souffrances sociales sont des maux de la séparation, de l’isolement, de la marginalisation et, pour finir, de l’exclusion de la vie. Si nous restons sur cette définition, la fin de la vie est peut-être la fin de vie heureuse ; la fin de la possibilité d’éprouver, de ressentir le plaisir et peut-être le bonheur. Dans l’exposé qui suit, nous resterons toutefois sur une acception plus habituelle de la fin de vie. Lorsque nous parlerons de la fin de vie, nous nous référerons à celle à laquelle l’âge et la maladie grave nous confrontent et nous obligent. Pour finir, même si nous nous limitons à cette définition de la fin de vie, nous sommes renvoyés à une notion consubstantielle à la définition de la vie : sa relativité. La vie n’existe que parce qu’elle a un début et une fin. Ou plus exactement la vie n’a de sens que parce qu’elle a un début et une fin. Pour éprouver ce que ces mots signifient, imaginons-nous immortels. Que serait notre vie ? Il est fort à parier que l’immortalité pourtant rêvée ou fantasmée par l’homme l’amènerait… à se détruire ; du fait de la surpopulation, du fait de notre animalité, de notre instinct de préservation. Cette question de la relativité de soi, l’homme l’éprouve d’autant plus qu’il s’approche de la fin de sa vie et qu’il a conscience à la fois de sa fin et de sa relativité ; nous nommerons cette aptitude de l’homme la conscience de la finitude : conscience de la relativité de la vie, de relativité Nous souhaitons, en nous appuyant sur des exemples issus de notre expérience, témoigner de la réalité et de la place possible du désir et du plaisir qui peuvent se loger dans tous les instants et tous les interstices de la vie, jusqu’à sa toute fin. de soi et des autres ; parfois conscience de la différence entre la fin de la vie et l’éternité de l’existence. C’est cette aptitude de l’homme alors très vivant et en fin de vie qui explique que l’on peut parler de plaisir en fin de vie.. Pour plagier Saint-Exupéry, l’essentiel de la vie est alors invisible à nos yeux de non malades ou de non conscients de notre finitude. Terminons ce préambule en tentant une définition du plaisir. D'une part, le plaisir peut être assimilé au bien-être ; c'est la sensation d'une satisfaction, un sentiment de satiété émotionnelle, intellectuelle, physique… Le langage courant regorge d’expressions où le plaisir est cité: éprouver du plaisir, faire durer le plaisir, je vous souhaite bien du plaisir où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir... D'autre part, le mot plaisir exprime le plaisir sexuel, la jouissance, l'orgasme, la volupté : avoir du plaisir, donner du plaisir. Quel est le sens du plaisir ? A quoi sert-il ? A rien, apparemment. Pourtant, toutes et tous nous recherchons le plaisir. Même les animaux le recherchent. Nous pouvons avoir une approche syllogique et circulaire de cette question : à quoi ça sert de vivre ? A éprouver du plaisir. Et à quoi ça sert d'éprouver du plaisir ? A vivre. Le plaisir est-il absurde ? Ce qui est absurde, c'est de vouloir trouver une fin à tout avant d'en 34 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 connaître les chaînes causales. Le mot plaisir' en grec, se dit hedoné. Nous en avons tiré dans la langue française le mot hédonisme. L'hédonisme est la philosophie morale qui fait du plaisir le principe ou le but de la vie. Pour Michel Onfray, “toute existence est construite sur du sable, la mort est la seule certitude que nous ayons. Il s'agit moins de l'apprivoiser que de la mépriser. L'hédonisme est l'art de ce mépris.'” Plaisir et fin de vie La représentation que nous nous faisons de la fin de la vie n’a souvent rien à voir avec la réalité que nous constatons en tant que professionnel de santé dans le champ des soins palliatifs et de l’accompagnement. Notre culture et notre histoire ont généré au sein de notre société la peur de la mort, une vision souvent pénible pour ne pas dire apocalyptique de la fin de vie. Le plaisir est tout simplement un impensé dans l’espace de la fin de la vie. Nous souhaitons, en nous appuyant sur des exemples issus de notre expérience, témoigner de la réalité et de la place possible du désir et du plaisir qui peuvent se loger dans tous les instants et tous les interstices de la vie, jusqu’à sa toute fin. Tant qu’il peut penser et se souvenir, jusqu’au bout l’homme est capable de plaisir. Tant qu’il est capable d’éprouver, l’homme est capable de plaisir. Voir, entendre, sentir, ressentir, goûter, toucher être touché restent des sources de plaisir jusqu’à la fin de la vie intimement liées à la sensorialité. L’oralité est un lieu d’investissement fort du plaisir : la bouche est faite pour rire, elle est faite pour embrasser; la voix sert à parler, à exprimer une opinion, des sensations, des sentiments. De la tendresse à la sexualité en passant par le toucher, les caresses, le corps à corps, le peau à peau… le plaisir se situe dans la rencontre de l’autre aimé sans distinction de l’âge et de la maladie, contrairement à ce que l’on croit. Le plaisir est enfin tout simplement celui d’être, au sens d’exister, d’être en relation, d’espérer…. loin de l’agir. Face au plaisir il y a l’absurdité de la souffrance. La condition sine qua non du plaisir est que l’homme soit délivré de turpitudes telles que la douleur, que sa souffrance existentielle, sa souffrance spirituelle puissent être dites, entendues... qu’il se sente respecté comme individu singulier et membre d’une communauté citoyenne. Bonheur ou résilience en fin de vie ? Le bonheur se mesure à deux caractères : la longueur et l’intensité. Certes, entre plaisir et bonheur, il n’y a qu’une différence de durée, pas de nature : bonheur et plaisir ne sont qu'une 35 ATELIER 2 De la construction du plaisir - Plaisir et fin de vie Dr Régis AUBRY seule et même chose. En outre, à la différence du plaisir, le bonheur n’a rien à voir avec l’extériorité, ni avec l’objet, il relève entièrement de l’intériorité et du sujet. Même si parfois l’homme, au crépuscule de sa vie éprouve un apaisement, celui de la pacification et de la sagesse ; même si parfois l’homme a alors un sentiment d’accomplissement, de calme intérieur nous n’irons pas jusqu’à prétendre que l’homme en fin de vie est capable de bonheur. La fin de vie est de fait très souvent comme un condensé de ce que la vie a été : un carambolage permanent entre « bons et mal heurts ». Plaisirs et peines se succèdent de façon chaotique. Parfois la fin de vie est un malheur, un temps et un espace intérieur où la conscience est plongée dans l’affliction. Peut-être à l’instar de l’art de vivre, peut-on parler chez certains d’un certain art de mourir, en référence à l’ ars moriendi du Moyen Age ; mais on est loin du bonheur et près de la sagesse. Pour Boris Cyrulnik , «la résilience, c'est arracher du plaisir» « Il n'y a pas de blessure qui ne soit récupérable. A la fin de sa vie, un adulte sur deux aura vécu un traumatisme, une violence qui l'aura poussé à côtoyer la mort. Mais qu'il ait été abandonné, martyrisé, handicapé ou victime de génocide, l'être humain est capable de tricoter, dès les premiers jours de sa vie, sa résilience, qui l'aidera à surmonter des chocs inhumains. La résilience, c'est le fait d'arracher du plaisir, malgré tout, de devenir beau quand même. Mais cela n'a rien à voir avec l'invulnérabilité ni la réussite sociale. Pour être résilient, il faut avoir été « mort ».... La résilience se tricote toute la vie : j'ai déjà observé des cas de résilience chez les malades d'Alzheimer. Ils trouvent la force de lutter, de se défendre. Certes, l'accès aux mots se perd, mais on peut encore communiquer, avec des gestes, de la musique. Certains se mettent à fredonner les chansons de leurs 20 ans. Evidemment, la résilience est de plus en plus difficile avec l'âge, mais c'est encore jouable. “Pour aller au bout du plaisir, il faut aimer plus que le plaisir.” Maurice Chapelan 36 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 2 De la construction du plaisir Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? Moussa NABATI Psychologue Je vais d’abord vous raconter un conte, une légende, qui pour moi est un trésor de sens : Une nuit, un habitant d’Ispahan, rêve qu’il y a un trésor caché dans une ville extrêmement lointaine, à Bagdad, dans une cave. Lorsqu’il se réveille, il se met en marche ; bien longtemps après, il arrive à Bagdad et se promène dans la rue qui lui était indiquée dans son rêve, la monte et la descend… Il finit par trouver la maison où le trésor est censé se trouver. Il semble tellement perplexe et perdu qu’un commissaire de police le remarque, le prenant pour un voleur. L’habitant d’Ispahan venu chercher son trésor à Bagdad, se met à pleurer en disant : « Non, Monsieur, je suis un honnête homme, je ne suis pas un voleur, et voici la vérité : j’ai rêvé il y a quelques jours qu’il se trouvait un trésor dans la cave d’une maison à Bagdad, et je crois qu’il s’agit de cette maison. » Le commissaire de police lui répond : « Je me rends compte que tu n’es pas un homme malhonnête, que tu es un homme naïf, car moi aussi j’ai fait ce rêve un nombre incalculable de fois. J’ai rêvé que, dans telle maison de telle rue à Ispahan se trouvait un trésor, dans la cave. Mais je n’ai jamais été suffisamment sot pour me mettre en marche et aller à Ispahan pour trouver ce trésor. » Curieusement, la rue et la maison qu’il indiquait étaient celles de ce voyageur venu à Bagdad. Le voyageur rentre alors chez lui à Ispahan, descend dans sa cave et y trouve le trésor. Ce conte, je le disais, est un trésor de sens. Il montre que le bonheur, le plaisir, la joie, ne se trouvent pas à l’extérieur, à des milliers de kilomètres, mais qu’on les trouve dans sa propre maison. 37 ATELIER 2 De la construction du plaisir - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? Moussa NABATI Il faut donc être extrêmement méfiant, car l’idéologie et la culture actuelles (le marketing, la publicité), sont justement basées sur l’extériorité. Nous nous trouvons être la cible de cette manipulation. On nous fait croire que c’est dans la consommation que nous trouverons le bonheur, le plaisir, la joie en soi. Ce conte nous dit que ce n’est pas seulement, voire pas du tout, dans la consommation « addictive ». Au-delà d’un certain degré, tout se renverse. Il est évident qu’il est très important d’avoir un minimum d’aisance matérielle, mais un peu de vent rafraîchit, et trop de vent devient tempête, un peu de feu réchauffe, trop de feu devient incendie. Au-delà d’un certain degré, la consommation se transforme donc en une sorte de drogue, que l’on appelle aujourd’hui « addiction ». Comme l’eau salée de la mer, plus on en boit, plus la soif augmente. Il faut donc être convaincu que l’accession au plaisir, au bonheur est une disposition naturelle intérieure. Je travaille dans un centre spécialisé dans la dépression, et je reste très étonné de voir que la très grande majorité des patients, influencés, inconsciemment sous l’emprise de la propagande médiatique et publicitaire, pensent qu’ils ne vont pas bien, qu’ils se trouvent dans un état de détresse, de souffrance, de dépression parce qu’il leur manque quelque chose ou quelqu’un. De fait, ils pensent que si l’on parvient à restaurer ce manque qui est extérieur, à le combler, leur bonheur sera complètement rétabli. C’est ainsi qu’ils espèrent trouver dans des médicaments chimiques une espèce de solution magique ou prennent parfois le thérapeute pour un dépanneur qui va parvenir à les aider en comblant ce manque extérieur de façon réelle. La possibilité d’accéder au plaisir, au bonheur, ne dépend pas d’un produit, d’un programme, d’un enseignement, de recettes que l’on pourrait appliquer, comme un savoir dont quelqu’un, quelque part, détiendrait le secret. Ainsi, tout être humain devrait pouvoir avoir accès au bonheur de façon très naturelle. Mais alors, pourquoi n’y arrive-t-on pas ? Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, qu’est-ce qui nous empêche de prendre plaisir dans les choses de la vie ? Je ne ferai pas de distinction entre grandes et petites choses de la vie, entre grands et petits plaisirs, c’est une classification qui ne me paraît pas indispensable. Je vais essayer de vous parler des difficultés, et tout spécialement de la difficulté qui vient faire dysfonctionner cette disposition spontanée et naturelle. D’après mon expérience clinique, ce qui nous empêche d’être bien dans notre peau, de cueillir les roses de la vie, d’être et de nous investir dans le présent, d’en profiter, c’est la culpabilité. 38 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Nous avons en effet deux sortes de culpabilité. Une culpabilité qu’on pourrait ressentir parce qu’on a transgressé une limite, un ordre, une règle, un interdit (fait quelque chose qu’on n’aurait pas dû faire) qui nous ont été dictés. C’est ce que nous pourrions appeler la culpabilité juridique (si par exemple on a brûlé un feu rouge, volé, …). Cette culpabilité n’a strictement aucune importance au plan psychique. Ces transgressions ne nous empêchent absolument pas de jouir de nous-mêmes, de notre présent ni de ceux qui nous sont chers. Il n’en va pas de même pour la seconde culpabilité, qui est une culpabilité inconsciente, c’est-àdire qu’on ne ressent pas, mais qui se traduit dans les effets, un peu comme l’électricité qu’on ne voit pas à proprement parler mais dont on voit les effets : l’énergie, la lumière, la chaleur. Cette seconde culpabilité, inconsciente, est donc invisible. C’est celle de la victime innocente. C’est là le vrai poison, c’est cela qui nous empêche d’être bien, d’être nous tout simplement, d’avoir confiance en nous, d’avoir une bonne image de nous, de jouir de ce que nous sommes et de ce que nous avons ici et maintenant. D’après mon expérience clinique, ce qui nous empêche d’être bien dans notre peau, de cueillir les roses de la vie, d’être et de nous investir dans le présent, d’en profiter, c’est la culpabilité. La pensée occidentale n’est pas habituée à cette formule de la « culpabilité de la victime innocente ». Elle est prisonnière de la pensée qui lie la culpabilité au malfaiteur. Or, nous ne voyons pas de malfaiteur coupable : justement, celui qui arrive à faire du mal, c’est précisément parce qu’il n’a pas en lui le frein de la culpabilité. De fait, la culpabilité n’est jamais – ou presque – du côté du malfaiteur, mais elle est toujours du côté de la victime innocente. Elle se croit – elle ne l’est pas, bien sûr – coupable. L’exemple de la femme violée, c’est une évidence pour tout le monde, porte la culpabilité que le violeur ne peut jamais ressentir. Mais alors, cette culpabilité, d’où vient-elle ? En tant que psychanalyste, je peux dire qu’elle vient de l’enfance, de notre passé familial. De quelle(s) façon(s) ? J’en vois trois. Dans une première situation, l’enfant a été directement maltraité. Il n’a pas été désiré, il n’a pas été aimé, il a été battu, abandonné, abusé, … Pour lui, s’il n’est pas aimé, s’il a été rejeté, c’est parce qu’il n’est pas aimable, parce que c’est de sa faute. S’il était aimable, c’est-à-dire digne d’être aimé, il le serait. La première source de culpabilité de la victime innocente est donc d’avoir été personnellement victime. La seconde source est d’avoir assisté à la violence autour de soi. Il peut s’agir de toutes sortes de violences : disputes entre les parents, divorces, une maman déprimée, un papa au chômage, le décès d’un petit frère ou d’une petite sœur, … L’enfant se trouve alors observateur, témoin 39 ATELIER 2 De la construction du plaisir - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? Moussa NABATI impuissant. Il assiste (le terme « assister » est d’ailleurs fort intéressant : il signifie voir, mais aussi collaborer, être complice de) à une violence, une souffrance sur lesquelles il n’a pas de moyens d’agir, il en est éclaboussé de façon passive. Il est ainsi confronté à un impossible interne. L’enfant agressé personnellement ou témoin de violence autour de lui est confronté à son impuissance ; impuissance qui le rend coupable, ou plus exactement dont il se rend coupable. Pour la troisième source de culpabilité, l’enfant n’a été ni victime personnellement ni témoin d’une quelconque agression ou agressivité, il a même été très aimé, protégé, entouré. Il n’y a donc aucune source apparente de problème en lui ni autour de lui. Pourtant, il peut souffrir de la culpabilité de la victime innocente parce qu’il n’est pas à sa place, il n’est pas dans sa fonction propre. Je m’explique : quand un enfant vient au monde par exemple pour « marier ses parents », dans un contexte où ils ne s’entendaient pas et ont fait un enfant pour « se recoller », cet enfant n’a pas été conçu dans la gratuité du désir mais s’est vu attribuer une fonction de thérapeute de ses parents. De la même façon, quand eux-mêmes, ou l’un d’entre eux a souffert de manque dans sa propre enfance, l’enfant n’est alors pas regardé comme étant à sa place et à sa fonction. On lui donne un rôle, on attend de lui qu’il nous aime, qu’il compense l’amour, la tendresse, l’affection que l’on n’a pas eus de la part de notre propre parent. L’enfant a alors une sorte d’enfance sautée, d’enfance blanche ; il a une fonction complètement aliénée, il est chargé de « rendre ses parents heureux ». Dans ces trois cas, en devenant adulte, on va développer deux mécanismes importants. Le premier de ces mécanismes est de se trouver tous les défauts, qui sont évidemment des défauts fantasmatiques ne correspondant à aucune réalité. Je peux observer pour exemple des femmes de 45 kilos qui se trouvent énormes. L’essentiel n’étant pas ce que nous sommes mais l’image qu’on a de soi et l’amour qu’on a de soi, quelles que soient notre intelligence et notre beauté, on se trouve « nul et moche ». L’une des conséquences de la culpabilité de la victime innocente est donc d’être – de se sentir – indigne. On ne mérite pas, on n’a pas le droit, on s’interdit par expiation masochiste, par autopunition et autodestruction, d’accepter le plaisir, les cadeaux de la vie. C’est tout de même assez curieux : on va passer sa vie à rechercher de l’amour, et lorsque quelqu’un nous en donne, on a tendance à le refuser… La seconde conséquence est la quête de la perfection. Puisqu’on a une mauvaise image de soi, on va être gentil, généreux, altruiste. L’altruisme pathologique est la forme d’égoïsme la plus pure. A travers l’altruisme, on se sacrifie à autrui pour quérir en l’autre la reconnaissance de soi. En conclusion, en raison de la culpabilité, l’énergie vitale est agressée. Cette agression va se traduire par une radicalisation. Ne pouvant pas couler, comme une rivière, de façon libre, fluide et tranquille dans la maison « Soi », l’énergie vitale risque de se coincer dans deux extrêmes : la dépression et la perversion, qui sont l’envers et l’endroit de la même médaille. 40 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Si le déprimé se sent coupable d’être incapable – il est dans la congélation de la personnalité, de sa libido, de son énergie vitale (il ne fait rien, il n’a pas de désir, il n’a pas de plaisir, etc.), le pervers est incapable d’être coupable ; il s’autorise tout, il croit que la jouissance est possible en tout. Nous sommes devant une supercherie idéologique terrible qui consiste à évacuer la culpabilité. La culpabilité est une bénédiction. Sans culpabilité, nous n’avons pas de plaisir. L’absence de culpabilité, c’est comme être dans une Formule 1 qui n’aurait pas de frein. La culpabilité – à condition bien sûr qu’elle ne soit pas écrasante – est donc fondamentale. Pour finir, l’essentiel pour le psychisme est d’être porté par le désir, la libido au sens d’énergie vitale (et pas de désir sexuel, une des émanations de la libido étant la sexualité, mais seulement l’une d’elles). Ce qui caractérise le désir, c’est sa gratuité et sa non-nécessité d’être complètement réalisé. L’objet du désir peut d’ailleurs être non pas l’objet, mais le désir lui-même. Par opposition, le besoin est, lui, révélateur d’une situation aliénante, et il ne mène pas au plaisir. Prétendre contenter ses désirs par la possession, c'est compter que l'on étouffera le feu avec de la paille. 41 “Le plaisir d'avoir ne vaut pas la peine d'acquérir.” Jean-Jacques Rousseau 42 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 2 De la construction du plaisir Synthèse de Marie-Madeleine Bouhélier Déléguée de l’Institut Régional du Vieillissement de Franche-Comté Dans un premier temps, M. Aubry nous a expliqué que la vie ne peut être définie seulement à travers l’angle du « biologique, biochimique, physiologique, génétique… ». Nous devons aussi la considérer par l’aspect de la capacité de l’homme à éprouver du plaisir. Autrement dit, le plaisir serait moteur de la vie. En restant sur cette définition, la fin de vie serait la fin d’éprouver, de ressentir le plaisir, le bonheur. Mais la vie ainsi que son sens n’existe que parce qu’il y a un début et une fin. C’est donc cet apprentissage de la relativité de la vie qui développe chez l’homme une aptitude à acquérir la conscience de sa finitude. C’est aussi cette aptitude de l’homme au soir de sa vie qui explique et rend possible, pour lui, les plaisirs de fin de vie. Le plaisir peut être assimilé au bien-être, c’est la sensation d’une satisfaction, un sentiment de satiété émotionnelle, intellectuelle, physique. Quel est le sens du plaisir ? A quoi sert-il ? A rien, apparemment et pourtant nous recherchons tous le plaisir. A quoi sert-il de vivre ? Et à quoi sert-il d’éprouver du plaisir ? A vivre ! En tant que professionnel chargé d’accompagner les personnes malades en fin de vie, M. Aubry nous a montré la place possible du désir et du plaisir qui peuvent se loger dans tous les instants et tous les interstices de la vie jusqu’à sa toute fin, (car souvent le plaisir est un impensé dans l’espace de fin de vie). Mais tant qu’il peut penser et se souvenir, l’homme est capable de plaisir jusqu’au bout. Tant qu’il peut voir, entendre, sentir, toucher, être touché, l’homme peut éprouver du plaisir. Car le plaisir est aussi simplement celui d’être au sens d’exister, d’être en relation, d’espérer, …donc loin de l’agir, mais d’être en vie tout simplement. Cependant, face au plaisir, il y a l’absurdité de la souffrance. Il faut donc, par l’écoute et le soin, 43 ATELIER 2 De la construction du plaisir - Synthèse de Marie-Madeleine BOUHELIER que l’homme soit délivré de sa douleur, sa souffrance existentielle, spirituelle et qu’il se sente unique, respecté jusqu’au bout. Même si au crépuscule de sa vie, l’homme éprouve un apaisement, celui de la pacification et de la sagesse, il est difficile de prétendre que l’homme en fin de vie est capable d’éprouver du bonheur. La fin de vie est de fait très souvent comme un condensé de ce que la vie a été, une sorte de « carambolage » permanent entre les moments douloureux et heureux. Peut-être à l’instar de l’art de vivre, on peut parler d’un certain art de mourir…mais on est loin du bonheur… plutôt près de la sagesse ! M. Régis Aubry a également évoqué la notion de résilience, soit le fait d’arracher du plaisir malgré tout ! La fin de vie aurait donc quelque chose à voir avec la résilience. Notre responsabilité est de faire en sorte que celui qui va mourir éprouve encore des « petits plaisirs » jusqu’au bout. Dans un deuxième temps, M. Moussa Nabati a commencé son intervention en nous racontant un conte oriental. Il s’agissait du récit de la recherche d’un trésor. La conclusion était la suivante : le bonheur ne se trouve pas à l’extérieur, il se cache à l’intérieur de soi, dans sa propre maison ! Notre société développe cependant une idéologie bien différente par la consommation à outrance et le « toujours plus » qui serait source de bonheur… Puis il a posé cette interrogation : « qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? » Si toutes les conditions favorables sont réunies, qu’est-ce qui empêche une personne d’être heureuse, d’être bien ? Prendre plaisir, jouir de ce qu’offre la vie constitue une disposition intérieure, spontanée. Et il n’existe aucune technique ou recette susceptibles d’enseigner du dehors cette aptitude. Contrairement à la croyance répandue, les conditions matérielles ou extérieures, comme par exemple, l’âge, la beauté, la fortune, la santé, même si elles favorisent l’accès au bonheur, ne peuvent garantir cette capacité à être heureux, propre à chacun selon sa propre histoire. Car le vrai bonheur, c’est être soi. Alors comment faire pour ces personnes, ayant pourtant réuni les conditions favorables jugées nécessaires et qui n’arrivent pas à accéder à cette source intérieure de plaisirs et de bien-être, de petits bonheurs quotidiens ? Pour M. Moussa Nabati, l’obstacle renvoie à l’existence d’une culpabilité inconsciente provenant de l’enfance. Dès lors, l’adulte, en l’absence même de toutes difficultés ou privations matérielles extérieures, s’interdit de jouir de ce dont il dispose dans le présent, comme s’il en était indigne ou n’en avait pas le droit. Pour parvenir à défaire ce nœud, il est nécessaire d’effectuer un retour sur son histoire, pour essayer de retrouver ce que l’on porte en soi de cette enfance qui nous empêche en tant qu’adulte d’être bien et de s’autoriser du plaisir. Les questions des participants ont porté essentiellement sur la façon de se débarrasser de cette culpabilité qui nous empêche d’être heureux. Il s’agit donc de déconstruire ce qui nous emprisonne pour se construire soi. Cependant, même s’il existe des repères donnés par la psychanalyse, il est également essentiel de croire que les recettes toutes faites n’existent pas car nous sommes tous singuliers. 44 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Puis un dernier message a été donné par M. Aubry : lorsque nous accompagnons une personne en fin de vie, il est essentiel de la raccrocher à des gestes de vie, notamment par le toucher, par le regard, cette démarche est très importante à tout âge pour que les plaisirs, si petits soient-ils, puissent exister jusqu’au bout. “Le plaisir étant éphémère et le désir durable, les hommes sont plus facilement menés par le désir que par le plaisir.” Gustave le Bon 45 “Toujours du plaisir n’est pas du plaisir.” Voltaire 46 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 3 Du plaisir des sens Du plaisir du corps que génère la danse. Marie-France ROY Pédagogue en danse contemporaine, formatrice, chorégraphe de 16 pièces intergénérations intégrant des danseurs à mobilité réduite. 1. Le plaisir de danser, plaisir à vivre, plaisir à donner J’ai coutume de dire : qu’une danse habite chaque être et celle-ci ne demande qu’à naître. Aussi ai-je l’intime conviction que chaque être est porteur d’une gestuelle qui lui est propre et cela indépendamment de ses aptitudes physiques et techniques. La danse naît lorsque le geste artistique est juste et fait sens pour celui qui le vit. En affinant la perception et la sensation de son corps, la danse devient une véritable force d’expression, inévitablement, naturellement le plaisir du mouvement dansé vous inonde. Le plaisir grandit, se diffuse lorsque la danse est liée à ses propres sensations. Moi-même à travers mon rôle de pédagogue et de chorégraphe, je veille à donner les clés nécessaires à chacun pour découvrir ses sensations afin de donner à voir un mouvement habité, pétri de sensibilité, un mouvement habité par le plaisir. Un chemin intérieur que chaque danseur doit parcourir pour vivre ce plaisir et le donner à voir aux autres. Je veille attentivement à ce que ce plaisir soit palpable et reçu par le public. Le plaisir n’est heureusement pas lié qu’au regard de la virtuosité et de la tonicité du danseur, cependant ce plaisir peut naître dans le silence devant un corps immobile mais présent et habité. Je travaille avec des danseurs, des danseuses de tous les âges y compris lorsque la vieillesse, la maladie amoindrissent les corps. Les « âmes » : elles ont toujours quelque chose à exprimer; le 47 ATELIER 3 Du plaisir des sens Du plaisr du corps que génère la danse. Marie France ROY battement d’une paupière, le hochement de la tête, un bras qui se dresse... Aux antipodes des acrobaties et autres jaillissements spectaculaires, le moindre geste fait sens, exprimant sa poésie, révélant une autre forme de virtuosité, celle de la vie, du plaisir qui jaillit imperturbablement pour peu que l’on y soit attentif. 2. Le plaisir de danser apparaît aussi dans le dépassement de soi, dans le « oser expérimenter » au delà de la timidité, de la peur, mais aussi en ôtant les clichés. J’ai mille fois entendu dire « j’aurais tellement aimé danser, mais je suis trop vieille, pas assez souple, timide, trop ceci, trop cela . Pour venir danser avec moi, je leur dis : emportez dans votre sac une tenue souple, beaucoup d’envie, un petit soleil dans la tête et une bonne dose de confiance. Durant l’apprentissage, l’atelier danse commencé, le PLAISIR arrive rapidement et nombreux sont ceux qui ajoutent au terme de ce travail artistique : « jamais je n’aurais cru être capable de faire ce que nous avons fait », « et j’ai eu énormément de plaisir ». Le plaisir fait naître une image valorisante de son corps; le plaisir habite tous les corps, ronds, petits, grands, en fauteuils… A propos de ce beau cliché tel que : « La danse c’est pour les jeunes », c’est comme si le plaisir également était réservé aux jeunes. Je voudrais souligner l’éloge de la lenteur, du plaisir qu’elle procure. Ici, l’éloge de la lenteur révèle tout son sens pour qui, par obligation, a doucement remplacé la rapidité par la lenteur. Le temps s’étire à l’image des corps qui se déplacent dans l’espace, retrouvant le temps de l’exercice, des possibles enfouis au creux de la mémoire, pourtant encore improbables l’instant d’avant. Un PLAISIR certain remonte de cette mémoire, en inondant ce corps sensible et réceptif. Je m’attache à faire grandir le geste comme une promesse de rencontre, de renouement, de réconciliation à la fois avec soi mais aussi avec l’autre dans l’étreinte ou dans la caresse, dans la pression ou la protection, dans la présence, l’écoute et le plaisir . Une certitude : le corps artistique en mouvement peut faire des cadeaux. Le plaisir de danser procure une onde indéfinissable qui envahit notre cœur et notre corps. Cette onde de plaisir peut se répandre doucement vers le public et l’envahir d’émotion. 3. Le plaisir de danser, d’enseigner, de chorégraphier Ce plaisir de danser en tant qu’interprète dans une compagnie, je l’ai vécu pleinement, je l’ai partagé avec des danseurs et danseuses professionnels. Mais le chemin a été long et fastidieux pour que l’onde du plaisir envahisse mon corps de danseuse. On a coutume de dire qu’en règle générale les rêves ne se réalisent pas, mais pour moi si, un rêve s’est réalisé : danser et faire danser . 48 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Grandissant dans la campagne vendéenne, née d’une famille peu valorisée financièrement, ce n’est qu’à 20 ans que j’ai réalisé ce rêve : danser en tant qu’interprète, enseigner la danse, chorégraphier et apporter du plaisir par la danse. Cette soif de danser était enfermée en moi déjà toute petite, et attendre 20 ans c’est long ! Tout naturellement ce plaisir que je n’ai pas suffisamment connu dans l’enfance, je veux le donner, le multiplier, le transmettre avec force à travers la pédagogie et la chorégraphie pour les danseurs, pour le public et pour vous aussi aujourd’hui. Prendre en charge les danseurs en tant que chorégraphe est une réelle aventure humaine de travail, d’échanges, de rire mais aussi de tensions et de plaisirs partagés. L’expérience de la préparation d’un spectacle est jalonnée de moments d’émotions. Cela représente pour tous un grand voyage où le plaisir d’être sur une scène est quelquefois sans mots. Ce voyage laissera des traces indélébiles pour chacun d’entre nous. Lors des spectacles, je partage avec le public de réelles émotions. Ces représentations incarnent l’aboutissement d’un travail artistique. C’est l’heure à partir de laquelle la pièce ne m’appartient plus vraiment. Lors de cette étape, je me sens passeur et riche d’une aventure dont l’empreinte m’autorise à me tourner vers l’avenir, vers de nouveaux projets afin que naisse le plaisir avec d’autres danseurs, avec d’autres spectateurs et aussi avec ceux qui m’entourent dans mon travail. Et puisque les corps des danseurs se souviennent et en redemandent à la fin de chaque aventure, l’avenir se fait promesse de nouveaux voyages parfumés de plaisir pour vous aussi les aînés. Et que la danse puisse embellir longtemps encore le crépuscule de votre vie. Merci de votre écoute. Les deux grands secrets du bonheur : le plaisir et l'oubli. Alfred de Musset 49 “Les plaisirs ne sont jamais vains, au moins pendant la minute où on les goûte.” Jean Anouilh 50 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 3 Du plaisir des sens Le plaisir alimentaire, un atout pour le bien-être et la santé. Jean-Pierre CORBEAU Professeur de sociologie Le plaisir alimentaire est un plaisir qui accompagne toute notre vie. Il est nécessaire au maintien de notre identité sociale et il permet, tout au long de sa vie, de communiquer avec les autres. Le plaisir alimentaire permet de réguler nos comportements alimentaires et l’équilibre nutritionnel ne saurait se faire sans lui. Ce sont ces multiples facettes que nous nous proposons de développer ici. 1. Le plaisir alimentaire est un plaisir qui accompagne toute notre vie. Léo Moulin, l’un des fondateurs de la sociologie de l’alimentation aimait rappeler que « nous mangeons 100.000 fois environ au cours de notre vie. Nous engloutissons ainsi plus de 5000 quintaux de nourriture. Nous buvons plus souvent encore. Et nous consacrons à ces activités de 40 à 60.000 heures de notre existence ». C’est dire l’importance de cette action biologique qui prend aussi, dès les premières secondes de notre existence et jusqu’à notre dernier souffle, une dimension sociale et symbolique. Le lait maternel ou maternisé, que nous tétons plus ou moins goulûment dans le même temps que nous nous ouvrons au monde et que nous le découvrons, ne se résume pas à un simple apport nutritionnel nécessaire à notre développement vital. Il est aussi un plaisir ! Matty Chiva avait montré lors d’une première expérience avec des nourrissons comment, dès les premiers instants de notre vie, nous réagissons tous de façon favorable à la saveur sucrée qui nous fait physiologiquement plaisir tout en nous sécurisant. Et puis, nos proches, parents, grands-parents, éducateurs, pairs, nous aident à construire lors de multiples interactions ce que l’on appelle une préférence alimentaire. Elle dépend d’une image 51 ATELIER 3 Du plaisir des sens Le plaisir alimentaire, un atout pour le bien être et la santé. Jean-Pierre Corbeau sensorielle elle-même marquée par le plaisir ou « principe d’hédonisme ». A propos de la construction de cette image sensorielle gustative, Christine Ton Nu rappelle que s’il est difficile de cerner tous les déterminants des préférences alimentaires, on doit retenir le rôle décisif de la culture (comme filiation à des groupes macro et micro sociologiques fournissant des représentations participant à la construction d’un répertoire du comestible et du non comestible) et celui de l’expérience individuelle. Elle relève aussi, à la suite de Paul Rozin , l’existence d’un petit nombre de mécanismes qui participent à l’établissement des goûts… Des mécanismes de conditionnements associatifs : • association de l’aliment à un goût agréable, par exemple le sucré. • association de l’aliment à des effets post-ingestifs bénéfiques (rassasiants ou pharmacologiques). • association de l’aliment à des effets sociaux positifs (approbation des pairs, appartenance à un groupe, événement festif ). Des mécanismes non associatifs : • exposition simple à un aliment, familiarisation. • mécanismes cognitifs permettant d’acquérir un goût pour des substances initialement détestées (recherche de sensations, etc.). Ainsi, nous ne mangeons pas de simple nutriments : en Le plaisir de manger résulte d’une inscription dans un « répertoire du comestible ». Nous signifions ainsi notre appartenance à une civilisation (...) mangeant nous affirmons des appartenances culturelles, nous construisons, confortons ou ressourçons notre identité. Pour que cela se fasse le mieux possible le plaisir y est essentiel. Nous affirmons cette caractéristique de l’alimentation tout au long de notre vie Que ce soit le plaisir gustatif lié à des émotions surprenantes, celui qui mobilise notre mémoire, nos souvenirs (notre Madeleine de Proust) ou celui qui simplement, alors que nous ne pouvons plus avoir d’autres joies parce que nous sommes seuls ou immobilisés, ou les deux, nous permet de ressentir, le temps d’une bouchée, d’une gorgée, un sentiment de bien-être. On lit souvent que le goût se détériore avec l’âge, mais des travaux particuliers montrent parfois le contraire. Ce qui est sûr, c’est qu’une majorité d’entre nous est persuadée de « perdre le goût » alors que le plaisir de manger est encore réel. Les véritables problèmes du vieillissement sont ceux de la dentition qui ne permet pas toujours de profiter de toutes les textures et celui de l’hydratation des muqueuses de la bouche c’est pourquoi il faut prendre l’habitude de boire régulièrement au cours de la journée. Lorsque quelqu’un déclare perdre le goût, ne plus avoir faim, c’est plutôt le symptôme d’un état dépressif et il doit s’obliger, avant qu’il ne soit dans une situation irrémédiable de dénutrition, à rencontrer d’autres personnes et se faire plaisir (même s’il mange des produits qui ne sont pas particulièrement recommandés par son médecin). 52 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 2. Le plaisir alimentaire construit et exprime notre identité sociale. En nous alimentant nous développons, souvent à notre insu, un double phénomène sociologique : d’un côté nous affirmons des appartenances sociales, géographiques, religieuses, etc. qui reposent justement sur les plaisirs constructeurs de nos préférences alimentaires acquises lors de notre socialisation gustative. D’un autre côté, l’acceptation de ces filiations nous distingue de l’autre, qui mange différemment, n’apprécie pas les mêmes mets, ne les cuisine pas de la même façon, etc. Le plaisir de manger résulte d’une inscription dans un « répertoire du comestible ». Nous signifions ainsi notre appartenance à une civilisation, qui mange des insectes, du chien, du porc, des champignons, des cuisses de grenouilles, etc., alors qu’une autre s’interdit de telles consommations. On comprend comment des croyances, des superstitions décident, d’une façon très relative, de ce qui est comestible (qui entre alors dans notre répertoire) et de ce qui ne l’est pas. Le plaisir de manger suppose que les aliments qui nous sont proposés soient compatibles avec notre « répertoire du comestible », qu’il ne suscite pas de dégoût. Par exemple de vieux agriculteurs du Sud Ouest, refusent de manger du Maïs qui est considéré comme une nourriture pour les animaux… En mangeant, nous nous inscrivons aussi dans la construction d’un « répertoire culinaire ». Il ne suffit pas de décréter qu’un produit est comestible pour accepter de le manger : des rituels d’abattage dictés par les religions, des types de cuissons, des façons de cuisiner, etc., compliquent l’usage du « répertoire alimentaire ». Il faut y ajouter des préférences qui varient selon le groupe socioculturel, la catégorie sexuelle et la région d’origine auxquels on appartient qui font privilégier des rapports viandes/végétaux, des apports lipidiques ou non, des types de graisses, des types de cuisson, etc. Cela varie aussi à travers le temps pour un groupe social donné (par exemple les groupes dominants qui valorisaient les apports caloriques à la fin du XIX° mangent de plus en plus léger) et pour une cohorte donnée qui découvre une nouvelle texture (cf. CO2 des sodas, etc.). Cela peut aussi varier d’un type de famille à un autre, car l’acte culinaire participe à la construction de la mémoire familiale qui structure nos préférences alimentaires. Depuis le répertoire du culinaire des segmentations, des typologies peuvent être appréhendées et l’on peut distinguer deux grands paradigmes de mangeurs inscrits, soit dans des trajectoires populaires, soit dans des trajectoires héritières d’un modèle aristocratique ou grand bourgeois. Les préférences des premiers pour des plats consistants, caloriques, lipidiques, leur désir d’exorciser la famine, leur refus du gaspillage qui les poussent à terminer la nourriture proposée correspondent à des conceptions corporelles que Luc Boltanski qualifie de représentation instrumentale du corps. A l’inverse, le second paradigme introduit une distanciation avec l’aliment, la recherche d’un contrôle de soi, une réflexivité qui devient l’un des principes essentiels de la seconde ou de “l’hyper-modernité”. On chipote, grignote, et préfère les aliment symbolisant la légèreté ou ayant la réputation (parfois usurpée) de faibles apports caloriques. 53 ATELIER 3 Du plaisir des sens Le plaisir alimentaire, un atout pour le bien être et la santé. Jean-Pierre Corbeau En mangeant, enfin, et pour ressentir un plaisir qui ne repose pas uniquement sur le sentiment d’appartenance sociale, pour ressentir un plaisir qui inclue la dimension organoleptique de l’aliment et l’usage sensoriel que nous en faisons, nous nous inscrivons dans un « répertoire gastronomique ». Ce répertoire est défini par deux critères : le sujet se pense mangeant et il en retire un plaisir que provoquent ou légitiment trois logiques pouvant parfois s’imbriquer en système. La « haute cuisine », celle des restaurants et des chefs prestigieux, qui stigmatise le mangeur/client comme le centre d’un monde autour duquel du personnel s’active et pour lequel le chef a créé artistiquement une nouveauté dont il a la primeur. La mise en scène de cette première forme de répertoire gastronomique (qui est généralement la seule retenue par les analystes) glorifie le mangeur, signifie sa réussite sociale au sein du théâtre gourmand. La “cuisine affective”représente la seconde logique. Elle correspond à la cuisine porteuse de mémoire, d’une filiation identitaire. On la situe du côte des femmes et de la reproduction de savoir-faire (même si elle est parfois beaucoup plus innovante qu’elle ne l’imagine). Elle confère au mangeur une sorte de tranquillité, d’apaisement à travers la reconstruction identitaire ou la représentation que l’on s’en fait. La « cuisine de foire », troisième logique gastronomique, gomme les contraintes, permet de s’approprier l’espace public, d’y partager, dans des relations éphémères non contraignantes, des aliments avec l’altérité. Ce type de gastronomie, qui s’accompagne souvent de nomadisme, croît dans nos cité modernes et s’inscrit aussi dans leur multiculturalisme ou leur cosmopolitisme. Le plaisir de manger suppose que notre identité culturelle, c’est-à-dire notre appartenance à ces trois répertoires ne soit pas malmenée. Cela ne signifie pas qu’il faille se replier sur soi. Au contraire, le plaisir de manger n’a de sens que dans le partage et la communication avec les autres…. 3. Le plaisir de la convivialité Lorsque l’on mange on peut le faire de deux façons différentes : soit l’on goûte, déguste et s’alimenter pousse à découvrir le monde. On cherche à rencontrer et comprendre le passé, la différence, l’exotique, voire le surprenant. Saisissant l’altérité on construit ou reconstruit mieux son identité. Manger, c’est communiquer : au plaisir gustatif s’ajoute celui de la convivialité. Mais on peut aussi manger en se repliant sur soi, en s’enfermant. Consommer l’aliment n’entraîne plus la curiosité intellectuelle, l’acuité et la mobilisation des sens susceptibles de décoder, reconnaître, apprécier, mémoriser l’émotion gustative qui déclenche les métalangages. Consommer l’aliment devient un acte solitaire, égotique… Manger équivaut à se fermer, se boucher. Le seul plaisir possible est alors celui de s’empiffrer, de sombrer dans l’excès et de prendre ainsi des risques concernant sa santé. Il est donc important de maintenir des rituels d’invitations, de se retrouver, au sein de la famille ou avec des amis et des voisins pour partager des savoir-faire, des émotions gustatives, des complicités autour de mets. Il n’y a pas d’obligation de faire des grands repas mais de créer une occasion de rencontre autour d’un dessert partagé, d’une invitation à un apéritif, à un goûter. Si la convivialité alimentaire engendre du plaisir, celui-ci résulte aussi de toutes les forces et attentions mobilisées pour cultiver ou élever les produits, pour s’approvisionner, pour cuisiner et transformer ces végétaux ou produits d’origine animale en nourritures porteuses de sens et 54 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 d’affection, pour transmettre ses savoir-faire à ceux que l’on aime. On comprend qu’il faut s’obliger à rencontrer les autres autour d’un partage alimentaire car ce plaisir de la convivialité commence aussi avec celui de préparer la réception, d’imaginer la recette que l’on va réaliser. Créer des rituels de rencontres autour d’un repas, d’un dessert, d’un goûter, d’un apéritif qui ne deviendrait pas une habitude quotidienne sont autant d’occasions d’ajouter au plaisir gustatif celui d’être avec les autres, de se construire et d’évoquer des souvenirs, de communiquer en acceptant les points de vue différents de l’intergénérationnel ou de la multiplicité des groupes sociaux. 4. Le plaisir gustatif régule le comportement alimentaire et s’imbrique dans une véritable politique de santé publique. Le fait d’apprécier un aliment qui correspond à nos désirs, d’en parler avec les autres convives, nous permet de développer un rapport à l’aliment qui régule les quantités absorbées tout en valorisant leur qualité gustative. Ce n’est pas par hasard que la semaine du goût a récemment mis l’accent sur celui-ci en imaginant comment il peut s’insérer dans une véritable information nutritionnelle. En effet, des enquêtes récentes réalisées pour le compte de l’INEPS montrent que pour faire le bon, le beau, le bien manger, la valorisation de l’acte culinaire, la transmission du message en situation de transformation et d’appropriation des nourritures apparaissent comme les meilleures stratégies (d’où l’avantage des seniors qui disposent de plus de temps pour l’acte culinaire et qui, peut-être possèdent plus de savoir-faire). Il faut donc encourager des ateliers de cuisine, intergénérationnels, multiculturels qui ne se limitent pas au seul milieu scolaire mais activent une sociabilité et replacent l’information nutritionnelle au sein d’une information alimentaire intégrant les dimensions identitaires et sensorielles. Concernant les seniors, dont la cohorte a subi de grandes mutations alimentaires, l'opposition entre plaisir et santé ne semble au fond pas être radicale puisque chacun adopte finalement le choix qui lui convient : le plaisir alimentaire, souvent objet de négociations, demeure fondamental. Le plaisir de la table est la sensation réfléchie qui naît de diverses circonstances de faits, de lieux, de choses et de personnes qui accompagnent le repas. Anthelme Brillat-Savarin 55 Les fruits défendus sont les meilleurs. 56 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 3 Du plaisir des sens La sexualité des vieux : un bel humanisme Thérèse CLERC Je remercie les organisatrices de m’avoir réservé la dernière intervention avec le plaisir le plus totalisant de tous les plaisirs : la sexualité. La sexualité des vieux est un sujet tabou. C’est terra incognita, personne n’en parle, on chuchote dans le secret des alcôves, sous les duvets, derrière les portes. La société prend des mines dégoûtées ou horrifiées quand ce n’est pas dans la répression – avec l’approbation des enfants – que les maisons de retraite interdisent tout rapprochement intime entre les vieux. Sujet tabou d’abord parce que la question ne se posait même pas il y a 20 ans : on était vieux à 50 ans et on mourait à 60 ; mais avec l’allongement de la durée de vie, la sexualité suit les normes démographiques. C’est la première fois dans l’histoire que les femmes ont une période de vie non féconde plus longue que féconde. Sujet tabou pour la bonne raison que nous n’avons qu’un langage restreint de la sexualité : le langage médical, bien rébarbatif et technique, un langage obscène plus roboratif mais qu’on ne peut utiliser partout. Reste la métaphore, le poétique. C’est celui-là que je vais essayer d’employer pour ne pas choquer les oreilles sensibles. La sexualité évoque tout de suite les images de jeunesse et de beauté, car elle est d’abord et jusqu’à nos jours une nécessité pour la procréation ; l’imaginaire social est envahi de cette idéologie : les livres pour l’information dans les écoles, le discours de l’église, l’élaboration de la loi dans la tête du législateur. Le mot plaisir ne vient jamais en premier et même jamais tout court. Le mot plaisir est rangé dans la case « morale », ou plutôt dans la case immorale et pornographique. 57 ATELIER 3 Du plaisir des sens Intervention de Thérèse CLERC Il est vrai que la procréation a été nécessaire pour remplir la planète (croissez et multipliez !), pour combler la mortalité infantile, fournir le soldat, pourvoir à la production. Mais aujourd’hui, halte ! Nous allons être 9 milliards d’individus dans 20 ans sur une planète que nous avons tellement dégradée. La contraception – la plus grande invention du XX° siècle – commence à réguler la natalité dans l’hémisphère Nord, l’hémisphère Sud se charge de combler le déficit : 600 millions de femmes ne savent pas lire et n’ont pas de contraception. Pour revenir au sujet qui nous occupe, la sexualité des vieux, elle est motivée uniquement par le désir et le plaisir. Nous ne sommes plus dans la procréation, nous ne sommes plus dans la consommation effrénée du sexe, et pour cause, on fait avec ce que l’on a; nous ne sommes plus dans des rapports de pouvoir, nous ne sommes plus dans la performance, on fait ce que l’on peut mais guère plus, l’autre n’est plus un objet. Je veux m’arrêter un instant sur ce point très important : dans la sexualité des vieux, l’autre est reconnu dans sa dignité, son existence, sa liberté … et faire chanter ta peau contre ma peau est un bel acte gratuit. Nous ne sommes pas dans l’amour comptable – tu m’as fait ci, je t’ai fait ça – recettes, dépenses, qui nous a laissés sur le flanc pendant nos discussions des jeunes années et ont si souvent abouti au divorce – il y a aujourd’hui un divorce sur deux mariages dans nos sociétés. Nous ne sommes plus que dans l’échange, la tendresse, la reconnaissance de la dignité de l’autre quand on fait l’amour. La sexualité des vieux est un bel humanisme ! Il faut bien dire que les vieux sont des vieilles (à 75 ans, 5 fois plus de femmes que d’hommes, à 80 ans, 7 fois plus). Les femmes sont en surnombre considérable, éternel phantasme du désir des hommes, les vieilles femmes ne sont plus touchées, caressées, embrassées, ne sont plus désirées. J’ai de temps en temps l’impression d’être devenue une icône : on me regarde, on vient me demander mon expérience, je me demande où est le temps où tous ces gens me prenaient dans leurs bras, m’embrassaient et me faisaient valser… Seulement, le désir, lui, est toujours vivace. Alors comment se faire toucher, par qui, avec qui ? Beaucoup m’opposent la morale ? Qu’est-ce que la morale ? La morale consiste à souscrire à des pratiques, à des normes, qui maintiennent la cohésion des sociétés. La vieillesse n’a plus rien à prouver, se soucie-t-on encore de la morale ? Nous avons l’âge de la liberté et par conséquent de la subversion. La sexualité a toujours été proche du sacré, elle nous procure un absolu dans l’orgasme qui abolit temps et espace, l’instant le plus parfait que nous puissions connaître. Ce court moment prend goût d’éternité ; de fait, il est de l’ordre du sacré. 58 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Nous avons toutes connu le contrôle social sur notre corps : - contrôle social des politiques natalistes, - contrôle social du médical qui « normait » le corps, le choix de la sexualité, l’interdiction de l’avortement, - contrôle social du religieux – le pire – qui culpabilisait, nous vouait à l’enfer si nous étions désobéissantes, avec pour couronner le tout, une Marie vierge et mère, servante du Seigneur, qui a modélisé le comportement du féminin durant vingt siècles ! La vieillesse nous permet de secouer le joug de toutes ces contraintes. A nous la liberté ! Le désir dure. Les pratiques de l’amour des vieux sont un peu différentes. Il n’y a là ni raillerie, ni mépris. Les hommes, si fiers de leur virilité font dans le vieil âge ce qu’ils peuvent avec, quelquefois sans, ce qu’ils ont, pour cause de défaillances liées à la vieillesse. Leur orgueil (qui était si souvent des prétentions !) est mis à mal. L’amour J’ai de temps en temps l’impression d’être devenue une icône : on me regarde, on vient me demander mon expérience, je me demande où est le temps où tous ces gens me prenaient dans leurs bras, m’embrassaient et me faisaient valser… des vieux la plupart du temps se passe de coït. L’un de mes amis (82 ans) m’a dit : « je ne peux plus faire l’amour avec mon sexe mais je m’occupe beaucoup des femmes avec qui je suis, avec ma bouche et mes mains, j’arrive à faire des miracles », et il ajoute « je ne m’occupais pas tant de ma partenaire dans le temps, mais maintenant, je fais très attention à tout ce qu’elle aime. » Cet homme m’a émue : il a gravi un degré en humanité. C’est à travers sa déficience qu’il est arrivé à une humanité plénière. Il faut une analyse de genres : amour des femmes, amour des hommes. Les hommes font ce qu’ils peuvent avec les restes de leur virilité qui deviennent des plats succulents dans le vieil âge. Quant aux femmes, la sexualité normative exigée par les codes sociaux du Patriarcat en a fait des femmes soumises. Celui-ci régit et réprime la liberté de choix des femmes depuis des millénaires, entraînant les discriminations que nous voyons depuis toujours dans le monde entier. Certaines auteures disent que l’hétérosexualité est le bras séculier du patriarcat, le jour où les femmes oseront la liberté du choix de leur plaisir, la face du monde sera changée, puisque le pouvoir ne sera plus seulement au bout du phallus. D’autres possibles dans la sexualité des vieux vont générer d’autres rapports sociaux de sexe. Vu la raréfaction des hommes, il va falloir penser, nous les vieilles, que les chemins buissonniers peuvent nous réserver de délicieuses promenades !... Honni soit qui mal y pense ! 59 “L‘homme est né pour le plaisir : il le sent, il n'en faut point d'autre preuve.” Blaise Pascal 60 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ATELIER 3 Du plaisir des sens Synthèse de Pierre-Olivier LEFEBVRE Jean-Pierre Corbeau nous a parlé du plaisir du goût et du partage, en nous rappelant que tous les êtres humains ont en commun ce plaisir alimentaire. L’être humain se construit, se reconstruit sans cesse, construit son identité grâce à la nourriture, aux parfums qu’il inhale de son premier jusqu’à son dernier souffle. Manger, ce n’est pas simplement se nourrir, c’est bien plus que cela : c’est la construction de nos images sensorielles, c’est un repère social, culturel, religieux. Les menus plaisirs nous offrent une « carte », il nous reste à choisir à l’intérieur de cette carte. Les menus plaisirs sont aussi les plaisirs du quotidien, il ne faut les oublier, les bouder. C’est aussi un acte de partage fort, de communication avec l’autre, qui implique des choix – la préparation d’un repas implique de faire son marché (quels aliments ?), de préparer pour l’autre (quel menu ?). L’acte culinaire doit rester un acte choisi et non un acte esclavagiste. Il est aussi l’occasion de transmission entre générations, cela doit être un jeu, une construction qui aboutit à un acte jubilatoire. Jean-Pierre Corbeau nous a donc parlé du goût, et notamment de la difficulté à conserver ce sens éveillé avec l’âge, à ne pas être esclave de modalités d’organisation, de sorte que l’être humain reste respecté dans ce qu’il est. De la même façon dans le vieil âge, il ne faut pas opposer les conseils médicaux et les interdictions à la nécessité de manger, il faut rester vigilant à ne pas déconstruire ces points de repère d’identité forts de l’individu, pour éviter à tout prix le risque du mépris identitaire. Il faut donc essayer de faire preuve de créativité, même si c’est parfois complexe notamment en cas de problèmes mécaniques. Néanmoins, il reste essentiel de s’efforcer de maintenir ce lien à l’alimentation, non pas comme un simple référent nutritif et gustatif, mais comme un acte plaisant. 61 ATELIER 3 Du plaisir des sens Synthèse de Pierre Olivier LEFEBVRE Le plaisir gustatif est une notion complexe, Jean-Pierre Corbeau nous a donné quelques conseils simples, tels que l’hydratation de la muqueuse gustative tout au long de sa vie, afin de maintenir le goût et ainsi le plaisir de se nourrir. Il a aussi proposé des « petits trucs » que les institutions peuvent mettre en place pour ne pas se déshumaniser et qu’elles restent en permanence ouvertes en nourrissant les gens, au sens plein du mot « nourrir », en tenant également compte de la différence de chacun, et non pas simplement en faisant à manger de façon mécanique, automatique. Il nous a également alertés sur les interdictions, les avis médicaux. Même si elles doivent quelquefois être modifiées par nécessité, changer radicalement les habitudes alimentaires des personnes âgées n’est pas bon. Par ailleurs, il est constaté que la douleur peut s’estomper si une personne pratique une activité lui procurant du plaisir ; ainsi, un repas qui procure du plaisir peut atténuer, voire effacer la douleur. Le sucré par exemple, a souvent, et déjà dès l’enfance, cette capacité à apporter ce réconfort. Marie-France Roy nous a parlé du plaisir de danser. La danse est présente dans la vie de tout un chacun, à un moment ou à un autre, comme un moment de plaisir possible. Cet aspect « possible » de la danse par tous, à tout moment, est essentiel ; il ne faut donc pas se dire : « j’aurais aimé… » La perception de son corps en mouvement est ressentie dans une expression pour l’autre. Si un geste est habité, s’il est ajusté, il prend de l’importance : le moindre geste fait sens. Le plaisir de la danse se trouve certes dans le dépassement de soi (à ne pas confondre avec la performance; il s’agit pour chacun de s’aventurer au-delà de ce qu’il se figurait être ses limites). Mais l’apprentissage de la danse, quelle qu’elle soit, permet d’oser faire des choses impensables : là se trouve déjà un vrai plaisir qui peut être éprouvé par tous, par tous les corps. La danse passe donc par une initiation, une découverte, donc par un effort à accepter, c’est le résultat de ce dépassement de soi qui permet immanquablement d’accéder au plaisir. Ainsi la danse n’est-elle pas réservée aux jeunes… éloge de la lenteur, de l’art de prendre le temps de se souvenir. L’Homme utilise le langage du corps avant la parole. Il ne faut surtout pas opposer les expressions corporelles les unes aux autres, chacun peut trouver son compte, sa façon de s’exprimer, dans l’immense variété des styles de danses, et elle sera différente pour chacun. Chacun peut en vérité trouver et développer sa propre gestuelle, en fonction de son physique, de ses capacités ; c’est d’ailleurs là une proposition essentielle de la danse contemporaine. Danser et faire danser, c’est un rêve qui s’est réalisé pour elle, ce qui lui a permis de faire réaliser à d’autres personnes leurs propres rêves. Elle associe à la danse l’écoute, le cœur, le corps bien sûr, 62 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 l’émotion, le travail, l’échange, le rire, l’aventure tournée vers l’avenir, vers l’autre … Thérèse Clerc a présenté son propos comme étant le dessert ! En préambule, elle nous a dit qu’elle avait fait le choix du langage poétique pour nous parler de sexualité, en raison de la pauvreté, à ses yeux, du langage de la sexualité, limité ou peu flatteur. Pour reprendre les propos de Thérèse Clerc, la sexualité n’est plus seulement dédiée à la procréation, à la performance, au pouvoir, à « comptabilité » entre les hommes et les femmes; et avec l’âge, la sexualité se trouve incarner la reconnaissance de l’échange avec l’autre, elle développe un profond respect. Lorsque l’on est vieux, être touché est important et essentiel, le désir de l’être est toujours vivace. Quant à la morale, on la met alors à sa bonne dimension, on n’en a quelquefois plus rien à faire, dans tous les cas, l’enjeu n’est pas là. La contraception est pour Thérèse la plus grande invention du XX° siècle; cette première remarque a ému une partie du public, et a ouvert le débat sur : « faut-il avoir beaucoup ou peu d’enfants ? ». Ce qu’il faut en retenir d’après elle,, c’est que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les femmes ont le choix. La question du rôle de la religion dans le rapport à la sexualité a été soulevée. Parmi les témoignages du public, l’amour a par ailleurs été évoqué comme devenant rituel liturgique en vieillissant, faire l’amour prenant un aspect sacré; il a également été question du rôle des femmes, qui ne sont plus effacées mais maîtresses de cet amour dans le vieil âge ; des hommes qui sont moins prétentieux parce qu’ils ont moins de prétentions; ainsi, en vieillissant, la pratique de l’amour charnel est vraiment différente, transformée, autre. Enfin, en terme de sexualité, Thérèse nous invite à prendre des chemins buissonniers, qui peuvent être de belles promenades. En conclusion, pour Thérèse, c’est donc « fromage et dessert » ! Voilà 57 ans qu’elle veut refaire le monde. Elle a un attachement particulier à Besançon qui est le berceau de son militantisme par l’action « des LIP », et l’idée de sa Maison des Babayagas lui vient aussi d’ici. Pour ma part, j’ai été particulièrement saisi par la densité et la liberté des propos, et cela autant de la part des intervenants que du public. C’est pour moi un révélateur de la sincérité des personnes, qui se livrent vraiment. Pour être régulièrement venu aux Rendez-Vous de l’Age, j’ai le sentiment qu’il y a là le fruit d’un cheminement dans le temps entre les Bisontins. J’ai pris de mon côté beaucoup de plaisir à prendre le temps de réfléchir, et à ne faire que cela dans ma journée ! 63 “Les passions sont les vents qui enflent les voiles du navire ; elles le submergent quelquefois, mais sans elles il ne pourrait voguer.” Voltaire 64 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Conclusion et perspectives Marie-Marguerite DUFAY Adjointe au maire, déléguée à l’action sociale, Vice-présidente du CCAS de Besançon Gérard GUIEZE me demande ce qui est formidable et ce qui est perfectible dans ces Rendez-Vous de l’Age… Ce qui est formidable, c’est de pouvoir se retrouver aussi nombreux – nous étions près de 2000 aujourd’hui – et que le dialogue, malgré tout, existe. Cela est notamment possible en raison de l’organisation maintenant bien huilée et qui s’est améliorée au fil des années ; bien entendu, je ne peux pas répondre à la question de Gérard GUIEZE sans adresser maintenant et de façon très chaleureuse et très solennelle un énorme remerciement à Lucile LAMY, puisque, comme vous l’a rappelé le maire ce matin, c’est Lucile qui, depuis 6 ans, porte cette initiative en y mettant tout son cœur, je crois que c’est le secret de la réussite. D’autre part, je veux remercier les équipes du CCAS et tout spécialement Pascale VINCENT et Sonia RAINJONNEAU qui l’a rejointe depuis deux ans maintenant. Un grand merci et un grand bravo à elles qui oeuvrent de longs mois à la réussite de cette journée, même si bien entendu, avec elles, travaille toute une équipe. Je voudrais rappeler ici comment est née cette manifestation. Le maire n’a pas décidé, en début de mandat, qu’il fallait organiser ces rencontres, personne n’avait alors idée que ces rencontres allaient se mettre en place de cette façon. En revanche, le maire nous avait donné pour objectif, à Lucile et à moi-même, de réunir un conseil des sages. Précisément la création d’un conseil des sages consistait à reconnaître aux « anciens » leur place entière dans la cité. Ce n’est pas parce que l’on n’est plus relié à cette cité par les liens du travail, au-delà de la retraite, que l’on n’y a plus une place entière. La question qui s’est alors posée à nous était la suivante : comment reconnaître, depuis notre observatoire, avec notre levier d’action des politiques publiques, la place de celui qui ne travaille plus mais peut évidemment apporter beaucoup de choses à la collectivité ? La création d’un conseil des sages était donc un premier acte dans cette démarche. Nous ne 65 Conclusion et perspectives Madame Marie-Marguerite DUFAY savions pas vraiment comment le mettre en place. Nous avons donc décidé d’organiser une journée de débats sur cette question. A l’époque, voilà 6 ans, on ne parlait pas encore de débats participatifs. Toutefois, la participation a été lancée, vous avez été invités à venir débattre autour de ce que pourrait être ce conseil de sages, de ce dont on traiterait en son sein, de la façon dont il s’organiserait et dont vous vous y impliqueriez. Nous nous sommes rendus compte lors de cette première invitation en 2002, à laquelle vous aviez déjà répondu massivement, que nous avions beaucoup de choses à échanger. C’est ainsi que sont nées ces rencontres que je qualifierais de citoyennes, puisque nous échangeons, cette année comme les précédentes, sur ce qu’il y a de plus essentiel. Comme l’a dit Gérard GUIEZE, nous n’étions pas dans l’anecdotique aujourd’hui, mais bien sur le sens profond des choses et de la vie de chacun et de tous, le tout dans un très grand esprit de liberté. Il me semble que c’est cela des rencontres citoyennes. Pour terminer, dans la continuité des propos que nous a tenus Gérard GUIEZE ce matin, pour notre plus grand plaisir, je voudrais vous faire part d’une image que j’ai trouvée très belle aujourd’hui : une grand-mère est venue me voir pour me demander si elle pourrait avoir, pour sa petite fille qui est déjà en train de plancher pour le bac, l’intégralité du texte de la conférence sur le thème du plaisir de Gérard GUIEZE. J’ai pu la rassurer, puisque chaque année nous produisons les Actes de cette rencontre, elle pourra donc l’avoir avant le bac de sa petite-fille. Voilà le lien intergénérationnel parfaitement convoqué à l’occasion de cette réunion ! Je voudrais enfin rappeler que le succès de nos rencontres vient bien sûr de la qualité des intervenants. Merci à eux toutes et tous, et ce n’est pas pour rien que nous vous invitons, Monsieur GUIEZE, depuis plusieurs années ! Merci à vous ! Je me tourne à présent vers Lucile LAMY : « Alors, qu’y a-t-il de perfectible dans cette journée ?! » 66 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Conclusion et perspectives Lucile LAMY Conseillère municipale déléguée aux liens intergénérationnels Avant de répondre, je tiens à dire que je suis très touchée par les compliments et les remerciements chaleureux de Madame DUFAY. Elle a aussi adressé ses remerciements à Sonia et Pascale, et je veux redire ma gratitude à cette dernière, car, cela vient d’être rappelé, nous avons mis en place et construit ensemble les premiers Rendez-Vous de l’Age en 2002. Depuis le début, Pascale a porté l’organisation de ces rendez-vous, elle a accompli un énorme travail de fond, et tous les ans, avec elle, nous avons fait de ce rassemblement un moment attendu par vous tous, un moment d’échanges qui, me semble-t-il, vous tient à cœur. Je voulais l’en remercier devant vous. Je voulais aussi remercier très sincèrement les membres du conseil des sages qui se sont énormément investis une fois de plus dans la réalisation de cette journée, aussi bien dans la préparation en amont que dans l’accompagnement et l’organisation pratique auprès de vous aujourd’hui. Eux aussi, en effet, méritent d’être applaudis ! C’est pour moi une grande satisfaction, puisque, comme le disait Madame DUFAY, les premiers Rendez-Vous de l’Age ont été organisés pour aider à la réflexion en vue de la création d’un conseil des sages, et ses membres sont devenus les acteurs de ce moment d’échanges. Je tiens également à remercier très chaleureusement Frédéric MORESTIN qui depuis 4 ans nous accompagne, il veille au bon déroulement de la journée avec un regard toujours attentif au bienêtre des uns et des autres. Frédéric, encore merci ! « Qu’y a-t-il de perfectible dans cette journée ?! » Je vais tenter maintenant de répondre à la question ! Avec une telle adhésion en nombre, je crois que nous atteignons aujourd’hui la capacité maximale d’accueil dans cette salle de spectacle comme dans celle du lieu du repas. Cette journée a donc pris de l’importance, elle est devenue incontournable pour beaucoup des Bisontins que vous êtes. Le défi aujourd’hui est donc de continuer à répondre à vos attentes, de traiter de sujets sérieux, comme c’est le cas depuis la première édition, tout en essayant de rester 67 Conclusion et perspectives Madame Luciel LAMY dans une forme « à taille humaine » c’est-à-dire en gardant ce caractère chaleureux et convivial que je sais être apprécié par vous, mais aussi d’ouvrir à d’autres l’accès à ces échanges. Sans dire que nous sommes victimes de notre succès, je crois que la problématique est là, et soyez sûrs que cela nous interpelle. C’est d’ailleurs bien la preuve que lorsqu’on vous offre des espaces et des lieux d’échange et de débat, vous répondez aux invitations. Comme le disait Madame DUFAY, voilà vraiment un rendez-vous citoyen ! Aux élus donc de réfléchir à la façon de répondre, sous cette forme ou sous d’autres, à vos attentes, aux attentes de citoyens bisontins désireux d’être et de rester acteurs de leur vie et de la vie de leur ville. Ce challenge reste entier. Les retours de questionnaires que vous voudrez bien nous adresser nous aideront une fois de plus à évoluer. Il y aura, à n’en pas douter, une suite… Merci beaucoup à vous tous, bon retour chez vous, et au plaisir de vous revoir… ! “Tout amour contient un abîme qui est le plaisir.” Pierre Jean Jouve 68 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 ACTES Rendez-Vous de l’Âge 2007 mise en pages : handicom / clichés : Ville de Besançon 69 0 Ville de Besançon - ACTES DES RENDEZ-VOUS DE L’AGE 2007 Contact Rendez-Vous de l’Âge : Centre Communal d’Action Sociale de la Ville de Besançon Service Développement Démocratie Locale et Participation 2, rue Mégevand 25034 BESANCON CEDEX tél. 03 81 87 82 04 www.besancon.fr Les Rendez-Vous de l’Âge 2007 sont organisés par le CCAS de la Ville de Besançon avec le soutien des partenaires suivants : Avec l’aimable participation de : 72